LA NOBLESSE DE ROBE EN FRANCE"
LA GENÈSE DE LA NOTION DE NOBLESSE DE ROBE
L'égalité des hommes restait malgré une certaine rhétorique ecclésiastique une utopie guère envisagée ' . La philosophie léguée par le Moyen Age aux Temps modernes postulait une société qui se divisait en trois ordres plus ou moins bien définis et aux tâches pareillement bien déterminées : le clergé, la noblesse, et le tiers état. La noblesse, se soumettant à « l'impôt du sang » pour la conservation et la gloire du roi et du royaume, justifiait par là sa position élevée qui, au sein du système féodal, lui assurait la domination sur le reste du peuple. Elle se concevait donc comme une classe guerrière qui se caractérisait principalement, sinon exclusivement, par la profession des armes.
« Noblesse de robe » ? Une contradiction dans les termes ou plutôt l'indicateur d'un changement dans la structure de la société ? La notion semble avoir fait son apparition au tout début du xvne siècle2. En 1607, lors d'une réédition de ses Recherches de la France, Etienne Pasquier s'en servit, semble-t-il, le premier en l'opposant à la noblesse guerrière3. La définition est bien éclairante. Elle met en évidence l'existence de deux groupes sociaux distincts, chacun d'eux ayant ses intérêts propres, en conflit avec ceux du groupe opposé. Ils ont conscience, par ce mouvement d'hostilité à l'égard de l'autre, qui entraîne également la solidarité entre leurs membres respectifs, de former des entités collectives4. S'il y avait deux noblesses, l'une « d'épée » ou « d'extraction », l'autre « de robe », où doit-on placer cette dernière dans le schéma trifonctionnel, cette vision de la société qui mène loin en deçà même du Moyen Age, aux catégories des peuples indo-européens où, déjà, on connaissait les trois fonctions du sacré, de la force physique, de la fécondité et de l'abondance5 ? Au XIe siècle d'abord, puis au XIIe siècle, cette
* Ces trois articles sont issus de l'enquête « Naissance d'une haute noblesse d'État » financée par l'A.T.P., Genèse de l'État moderne du C.N.R.S.
1. Armand Arriaza, « Adam's Noble Children : An Early Modem Theorist's Concept of Human Nobility », Journal of the History of Ideas, 55, 1994, p. 385-404, traite une des très rares exceptions.
2. Walter von Wartburg, Franzosisches Etymologisches Wôrterbuch. Eine Darstellung des gallo- romanischen Sprachschatzes, t. 7, Bâle, 1955, p. 159.
3. Voir plus bas n. 85.
4. Robert Mandrou, Classes et luttes de classes en France au début du xvn1' siècle, Messine- Florence, 1965, p. 17.
5. Georges Dumézil, L'idéologie tripartie des Indo-Européens, Bruxelles, 1958.
Revue d'histoire moderne et contemporaine, 46-1, janvier-mars 1999.
