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« La représentation du monde, comme le monde lui-même, est l’opération des hommes ; ils le décrivent du point de vue qui est le leur et qu’ils confondent avec la réalité absolue. »

Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, 1949

Cet article s’inscrit dans le cadre d’une analyse des interactions entre transformations sociales, mouvements sociaux, critique sociale, engagement, utopie et pensée scientifique, bref entre société et sociologie, sur le terrain des rapports de sexe, en adoptant l’esprit et la démarche de la sociologie de la connaissance[1]. Il s’agit très précisément d’interroger du point de vue des sciences sociales l’apport épistémologique et théorique de la critique féministe, et plus exactement les conditions sociales de cet apport. Si l’on reconnaît de plus en plus unanimement, peut-il sembler aujourd’hui, que l’émergence et le développement de ce qu’on appelle les « problématiques de sexe »[2] dans les sciences sociales doivent beaucoup à la pensée critique féministe, reste la question, qui porte sur la sociologie de la connaissance plus encore peut-être que sur l’épistémologie : comment cela est-il possible, et pensable ? Ce sont d’une part la dette de la sociologie et des sciences sociales à l’égard de la pensée féministe et d’autre part les questions (sociologiques) que cette dette pose qui m’intéressent.

Il semble relativement admis aujourd’hui par au moins une partie des sciences sociales que c’est la transformation des rapports sociaux de sexe (du travail productif et reproductif) qui a permis — ou contraint — la transformation des problématiques de sexe/genre et, pour le cas de la France, traité ici, la construction de la problématique des rapports sociaux de sexe. Il semble moins bien connu et surtout reconnu, en France moins qu’ailleurs, que cette transformation « paradigmatique » non acquise n’est pas le produit du fonctionnement « normal » (au sens de Kuhn) du champ scientifique. C’est un peu dans l’esprit du « devoir d’inventaire » recommandé par Berthelot que cet article se propose de poursuivre l’interrogation des conditions sociales du renouvellement des problématiques de sexe dans les sciences sociales.

À partir de l’examen de la littérature sur la question, il est possible de formuler synthétiquement et un peu brutalement l’hypothèse générale suivante : c’est en tant que dominé-e-s, minorité, minoré ou minorisé, mineurisé[3], dans les rapports sociaux de sexe que certain-e-s individu-e-s qu’on appelle aussi femmes, féministes, ont pu soutenir sur ces rapports un point de vue spécifique, situé, engagé, un point de vue différent de celui qui apparaît de ce fait également situé et engagé mais dominant et normatif, en un mot androcentré.

Ainsi formulée, l’hypothèse ne donne pas prise directe à l’investigation. Elle peut être appréhendée de bien des façons, tant les dimensions qui la constituent, les questions (épistémologiques, théoriques, empiriques) qu’elle pose implicitement, les angles d’attaque possibles sont nombreux. Nombreux sont également les écrits, recherches, chercheurs et chercheuses qui d’une manière ou d’une autre ont apporté une contribution à la formulation et parfois à l’élucidation du problème, soit sous sa forme générale (position et connaissance), soit sous sa forme spécifique (dans l’étude des rapports de genre)[4]. Il faut donc essayer de délimiter le sujet et de sérier les problèmes. Globalement, c’est le problème classique des conditions de possibilité de l’objectivité de la connaissance dans les sciences sociales qui est ici posé, plus spécifiquement au sujet des rapports de genre. L’angle d’attaque est celui des conditions sociales de production de cette connaissance. Sans prétendre à l’exhaustivité, les questions soulevées tournent autour de celle, également classique, de « l’enracinement social de l’observateur » : l’engagement, l’idéologie, la culture, la position ou la situation sociale, le point de vue de l’observateur, etc., et leur incidence sur la connaissance produite, bref les rapports entre « sujet connaissant » et « objet de la connaissance ».

Ce sont les rapports de pouvoir et la position au sein de ces rapports qui sont plus spécifiquement mis au centre de l’hypothèse. Rapports parmi lesquels on pourrait distinguer, comme Foucault a essayé de le faire, ceux de domination (par la loi), d’exploitation (au sens marxiste), d’assujettissement (par la norme). La domination masculine s’exprime et sur le plan juridique et politique de la loi, et sur le plan économique du travail marchand et domestique, et sur le plan social et culturel des normes de comportement et d’identité. Les rapports de genre qu’on résume souvent par « domination masculine » combinent en fait divers rapports de pouvoir que l’analyse peut et doit distinguer parce qu’ils ne se superposent pas nécessairement, même si « l’expérience » de la domination et de l’oppression ne connaît pas forcément ces subtilités. La prise en compte séparée de ces différents registres de rapports de pouvoir, qui ne sont autonomes qu’analytiquement, permettrait très certainement d’analyser plus méthodiquement et de manière plus approfondie les différents aspects du rapport entre sujet connaissant situé et objet de connaissance.

S’il n’est pas possible de mener sérieusement une telle analyse systématique ici, on peut essayer d’apporter une contribution à l’éclaircissement du problème. Certains aspects ont été explorés ailleurs, sur lesquels nous nous appuierons en partie (Gaussot, 2003). On y appréhendait le problème du point de vue classique de la question de l’idéologie (et de l’utopie) et plus généralement de l’engagement et de son rapport à la connaissance. En l’occurrence, on peut penser à l’engagement en faveur d’une société sans classe de sexe. Il semble en effet que c’est à partir du moment où l’on a imaginé une société sans classe de sexe que la place du sexe et des rapports de sexe a pu être spécifiquement pensée dans les sciences sociales. On peut poser là la question du sens et de la fonction cognitive de l’utopie féministe dans la recherche sur le genre et la domination masculine. Cette interrogation de la fonction cognitive du point de vue utopique par rapport au point de vue idéologique (qui s’inspirait étroitement de Mannheim et de Ricoeur) implique de poser la question de l’ancrage social de ce point de vue, ce qui conduit assez directement à questionner les rapports sociaux (de sexe) et la position dans ces rapports. Je propose de conduire ce travail ici, dans la voie précédemment dégagée, en délaissant la question de la part et de la place de l’idéel et de l’idéal dans la déconstruction du savoir des sciences sociales sur le genre, pour revenir tout particulièrement à la question plus matérielle des rapports sociaux (de sexe), de la position au sein de ces rapports et de l’effet de cette position sociale sur la perception et la connaissance de ces rapports. Par position il faut donc entendre la place occupée au sein d’un ensemble social hiérarchisé, d’une structure, d’un système ; même s’il s’agit d’une réduction extrême on distinguera dans ce cadre de pensée la position dominante et la position dominée. Le point de vue désigne l’endroit, au sens quasi géographique, à partir duquel une vue, une observation est possible et s’élabore[5]. Par connaissance nous entendrons production de sens et intelligibilité (Berthelot, 1990) : la connaissance n’est pas simple information (Passeron, 1991), mais mise en relation significative des informations, qui suppose un sujet connaissant actif.

Pour répondre à cette interrogation, je rappellerai d’abord brièvement un certain nombre de « faits historiques » (bien connus au moins à l’intérieur du champ d’études des rapports de sexe), qui illustrent le renouvellement des problématiques de sexe dans les sciences sociales et mettent en évidence les conditions proprement sociales de ce renouvellement. Le problème sera interrogé ensuite sous l’angle épistémologique et théorique. Un exemple permettra enfin d’illustrer cela : la controverse Godelier/Mathieu autour de l’explication de la reproduction de la domination.

1. Le renouvellement des problématiques de sexe : rappel historique[6]

Les problématiques de sexe se sont fortement étoffées et enrichies, ou plus exactement ont été bouleversées et subverties (Guillaumin, 1981) à partir de la deuxième moitié et même du troisième tiers du xxe siècle. Comme Mathieu notamment l’a montré longuement dans ses recherches sur l’état du savoir des sciences sociales jusqu’à « l’irruption » des femmes comme objet et comme sujet, les catégories de sexe ne sont guère l’objet d’une élaboration sociologique. Ou les deux sexes sont traités, mais alors séparément (les femmes faisant progressivement l’objet — comme naguère les ouvriers ou les « ethniques » — d’une étude particularisante, en lien étroit avec les transformations démographiques, économiques, culturelles et politiques de la « condition » des femmes et, avec elle, de la structure sociale), ou alors à des niveaux d’analyse différents (l’un relevant du social, l’autre de la nature).

Dans les années 1980-1990 se multiplient les travaux qui reconnaissent combien les premières ruptures féministes ont mené à la reformulation des problématiques disciplinaires, la construction de nouveaux objets et de nouvelles interrogations mettant en question les problématisations antérieures, que ce soit entre autres en sociologie du travail, de la famille ou de l’éducation (Laufer, Marry et Maruani, 2003). On peut penser à cet égard pour le cas français à l’explication matérialiste de l’oppression et de la domination, qui a été tout particulièrement mise en avant par les chercheuses féministes, notamment dans les pages de la revue Questions féministes devenue en 1981 Nouvelles questions féministes. On peut citer les travaux de Delphy, les concepts de « mode de production domestique » et de « patriarcat » désignant un système d’exploitation parallèle au système capitaliste qui, jusque-là, faisait l’objet de l’essentiel de l’analyse (critique, notamment). On peut citer les travaux de Guillaumin poursuivant l’analyse de l’exploitation économique de la catégorie femmes comme forme spécifique d’exploitation et d’appropriation : le « sexage ». Guillaumin confère une importance plus grande à la dimension idéologique de ce rapport : rapport matériel d’appropriation et effet idéologique sont pensés comme les deux faces d’un même phénomène, l’effet idéologique ou « face idéologico-discursive » étant la « forme mentale » de ce rapport social dont le contenu renvoie au « Discours de la nature » (explication-justification naturaliste dominante de l’assignation des femmes à la sphère reproductive). On peut citer enfin les travaux de Mathieu, reconnue comme l’une des auteures ayant initié l’analyse systématique de l’androcentrisme fondamental des sciences sociales.

Dès le tout début des années 1970 s’élabore ainsi une analyse matérialiste de l’oppression et de la domination masculine, qui débouche sur une analyse de la conscience dominée (des femmes), une analyse de la prise de conscience de l’oppression par les sujets femmes et enfin une analyse de l’effet qu’a cette prise de conscience sur les rapports de sexe et la pensée des sciences sociales sur les rapports de sexe : ce que Guillaumin (1981) a appelé « les effets théoriques de la colère des opprimés ».

Les ruptures féministes ont inauguré le renouvellement des problématiques de sexe dans les sciences sociales, en France comme ailleurs, à partir du « dévoilement » de certains « impensés » sur lesquels reposaient ces sciences : occultation des femmes, de leur travail, de leur oppression/exploitation ; occultation du masculin, derrière un discours présenté comme neutre et universel ; occultation enfin du genre, c’est-à-dire de la construction sociale des sexes dans leurs rapports mêmes. L’approche en termes de « rapports sociaux de sexe » a permis en particulier de mettre en question la traditionnelle dichotomie production/reproduction, travail/famille, public/privé, dichotomie qu’enregistre encore souvent le découpage de la sociologie en spécialités, pour proposer des analyses transversales montrant comment ces différentes sphères s’articulent et se construisent conjointement.

Comme cela a pu être montré par l’examen de l’évolution des recherches, les problématiques de sexe, apparues et impulsées dans les années 1970 par le mouvement et en particulier au sein du mouvement par les sociologues féministes, se sont fortement étoffées, ceci pressant la communauté et les institutions de recherche à inscrire le genre et les rapports sociaux de sexe à l’agenda des programmes de recherche. Mathieu (1991) a essayé de le montrer pour sa part :

À partir des années 1970, c’est bien la contestation des rapports de pouvoir par le renouveau des mouvements féministes qui, en développant une sorte de « conscience de classe » chez les femmes (conscience d’être déterminées socialement comme femmes), a permis un début de systématisation de la problématique des sexes — de même que l’apparition d’autres dominés, prolétaires et jeunes, sur la scène publique s’était précédemment accompagnée de la systématisation de la problématique des classes puis des âges.

La perspective dominante naturaliste et/ou fonctionnaliste renvoie en les superposant la division sexuelle du travail à l’évidence (la « saillance ») de la différence des sexes et la différence des sexes à celle anatomique et physiologique des corps, et la différence des fonctions sociales (complémentaires) à celle des fonctions biologiques. De ce fait, elle n’interroge — d’un point de vue sociologique en tout cas — ni la différence, ni la division, ni encore moins la domination, ni les aspects sociaux de la division/domination sexuelle, ni les aspects sexuels (c’est-à-dire genrés) des rapports de domination[7]. Les problématiques de sexe ont ainsi fait l’objet d’un travail de rupture et de construction pour se hisser à un niveau d’appréhension sociologique considérant les rapports entre sexes en tant que rapports sociaux. L’analyse en termes de rapport social envisage d’échapper à la fois au naturalisme ou à la naturalisation (toujours prêts à resurgir sous une forme ou une autre pour au moins l’un des deux sexes), au « psychologisme » et enfin au « culturalisme »[8] (Juteau, 1981), pour questionner ce que les rapports entre sexes (en termes d’inégalité et de domination certes, mais aussi d’identité, de différence, de catégorie) doivent au social, pour questionner ce que le sexe doit au genre[9].

En France notamment[10], l’impulsion et sans doute même une grande part des contributions à l’essor de ce champ n’émergent donc pas de manière immanente ou autonome du fonctionnement normal du champ sociologique, mais de l’extérieur, et qui plus est, dans un climat de subversion : le mouvement et la critique féministes ont eu un impact non seulement dans la rue, les foyers ou la sphère juridique et politique, mais aussi et peut-être surtout dans le champ scientifique et intellectuel. On retient du féminisme la politisation du privé, et sa théorisation, les deux conjointement et indissociablement menées. En outre, ce sont « des femmes, des individus appartenant au groupe des femmes (et non un individu d’un autre groupe s’instituant le médiateur et l’interprète d’un groupe auquel lui-même n’appartient pas) qui ont produit ce renversement » (Guillaumin, 1981)[11], ce qui pose doublement la question de l’engagement, de la prise de position, de la position tout court au sein des rapports sociaux de sexe ou du système hiérarchique du sexe/genre, de leur influence et conséquence sur le travail d’observation, d’analyse et d’interprétation de ce système.

Il se trouve enfin que les mêmes féministes françaises ont théorisé les raisons et les conditions du renouvellement du regard porté sur le sexe/genre : Guillaumin est de celles qui ont particulièrement approfondi l’idée selon laquelle la prise de conscience, par les femmes, de leur position de dominées dans des rapports sociaux de domination - qui doivent également être nommés comme tels — était une condition nécessaire, quoique non suffisante, de leur libération. La « colère des opprimées » serait un produit de la domination en réaction contre la domination, à l’origine du dévoilement des fondements symboliques et sociaux de la domination fondée sur le sexe. L’histoire de la découverte et de l’analyse/déconstruction de la logique sociale de la domination sexuelle serait le fruit d’une synthèse entre révolte, activisme, analyse et conscience : il fallait que les femmes deviennent sujet dans l’histoire (sisterhood is powerful) pour devenir objet dans la théorie, mais aussi sujet de la théorie. C’est en tant que sujet dominé sur la voie de leur propre libération que les femmes ont pu saisir les mécanismes de la domination masculine et l’androcentrisme des sciences sociales.

L’androcentrisme scientifique (défini dans l’exergue) signifie que le point de vue majoritaire des sciences sociales reflète le point de vue dominant des hommes ; c’est un « dominocentrisme » qui repose sur « des préoccupations, des postulats, des concepts et des modèles théoriques élaborés à partir d’un point de vue masculin sur le monde, qui invisibilise les sujets sociaux et historiques et naturalise les rapports de division et de hiérarchisation fondés sur le sexe » (Ollivier et Tremblay, 2000). Autrement dit : « En plus d’être une science de la société masculine, la sociologie était une science masculine de la société » (Juteau, 1981).

Ce rappel est suffisant pour poser le problème qui m’intéresse ici, celui de l’objectivité dans les sciences sociales, et ses conditions sociales. La critique féministe s’inscrit en effet dans le cadre de ce qu’on appelle l’épistémologie de la connaissance située. Cette épistémologie se différencie et se définit en fonction des grandes réponses au problème de l’objectivité, que par simplification et commodité on désigne par positivisme, marxisme, relativisme. Il n’est pas possible de faire une présentation sérieuse de ces grandes conceptions ici ; en revanche une évocation de leurs aspects les plus pertinents du point de vue du problème qui nous préoccupe est nécessaire[12].

2. positivisme, marxisme, relativisme et le problème de l’objectivité

On reconnaît à l’origine du positivisme un axiome fondateur selon lequel le monde historique et social est gouverné par des lois universelles ou des régularités aussi rigoureuses que celles qui gouvernent le monde de la nature ; il s’agit de les mettre au jour par la méthode scientifique, devant présenter les conditions instrumentales d’une observation neutre et objective qui élimine le chercheur et sa subjectivité. Dans le cadre de la théorie classique de la connaissance comme « miroir de la nature », il faut se défaire de ses valeurs, intérêts, passions, préjugés, biais idéologiques, pour observer la réalité « telle qu’elle est », considérée comme existant objectivement ou, du moins, considérée du seul point de vue de ce que l’observation instrumentalisée nous en apprend. Le positivisme ne pose pas, ou ne règle pas la question de la position ni du point de vue. C’est l’extériorité du chercheur, adoptant le « point de vue de nulle part », qui doit garantir son objectivité (« On n’observe bien que de l’extérieur », écrivait Comte). Les « biais » peuvent subsister, notamment ceux introduits pas la situation d’observation, mais ils proviennent d’une application inadéquate ou imparfaite de la méthode scientifique.

Le marxisme considère le positivisme comme l’expression dans la science de l’idéologie dominante. Au contraire du positivisme, il affirme que la position au sein des rapports sociaux, qui sont des rapports de domination et d’exploitation, a des conséquences directes sur les représentations. Plus exactement, le sujet de l’histoire est le sujet de la connaissance : à chaque époque historique, les classes progressistes ou révolutionnaires sont celles dont le point de vue favorise une meilleure connaissance de la vérité objective. La position du prolétariat en tant que classe opprimée et pourtant productrice de vie sociale offre un point de vue totalisant permettant d’objectiver le monde social (voir Lukacs ou, plus près de nous, Löwy, 1985). Le prolétariat serait même la seule classe dans l’histoire à pouvoir accéder à la vérité, fondamentale pour sa praxis et pour l’avènement de l’histoire, parce qu’il est la seule classe capable de penser et de vouloir sa propre disparition. Ansart (1979) écrit à ce propos : « À travers la révolte, se constitue, comme bien des mouvements de libération nous le confirment, la possibilité d’une conscience globalisante, percevant, par-delà les circonstances et les avatars de la lutte, le système social dans sa totalité oppressive dans laquelle les révoltés se découvrent comme exploités et comme agents de la révolution. »

Le relativisme ne représente pas non plus une vision homogène. Dans sa version historiste, l’histoire est conçue comme une suite de singularités dont le sens varie en fonction de la position historique de l’observateur lui-même (Boudon, 1986) ; il ne peut y avoir de vérité objective en histoire, l’on ne peut expliquer les phénomènes historiques, seulement les interpréter, car la sensibilité et le regard de l’observateur sont nécessairement influencés par l’époque et le contexte social, on ne peut faire abstraction des intérêts et des préoccupations de son temps. Le relativisme contemporain repose de même sur l’idée qu’il n’existe pas de critères universels et absolus permettant de départager les connaissances vraies de celles qui sont fausses, donc à la limite « que les débats théoriques et méthodologiques en science ne sont que le reflet de rapports de force entre groupes aux intérêts divergents » (Ollivier et Tremblay, 2000).

Simmel[13] et Weber illustraient une position moyenne : dans une perspective néokantienne, ils ont repris et développé la question du point de vue (Standpunkt) comme outil permettant de sélectionner parmi l’infinité du réel : la vérité et l’objectivité sont accessibles au sujet connaissant non pas bien que, mais parce que la connaissance exprime toujours un point de vue, écrit Simmel dans ses Problèmes de la philosophie de l’histoire. « Toute connaissance de la réalité culturelle est toujours une connaissance à partir de points de vue spécifiquement particuliers », écrit Weber dans son essai sur L’objectivité de la connaissance. La connaissance est toujours un point de vue à partir d’une perspective, et suppose de ce fait la mobilisation d’a priori, lesquels dépendent pour partie, en tout cas pour ce qui est des questions posées au réel (sinon des réponses apportées[14]) des circonstances sociales, des valeurs et intérêts (au sens large : matériels, culturels, intellectuels) du chercheur. Mais ce relativisme ou perspectivisme (Freund) ne conduit pas plus au « scepticisme » que celui de Mannheim[15].

À propos de l’entreprise de Mannheim, qui a été vue (notamment par Aron) comme une tentative de synthèse entre marxisme et historisme, et qui peut donner parfois l’impression de déboucher sur une conception positiviste de la science sociale, il faudrait rappeler deux choses. D’abord la conception relationnelle selon laquelle les groupes ascendants, mus par une utopie et engagés dans un conflit avec le monde « tel qu’il est », sont à même d’identifier l’idéologie dominante comme telle, la vision qui conforte l’état des choses (l’idéologie désignant symétriquement l’utopie comme telle). Ricoeur reprendra et développera cette idée (1986). Dans un deuxième temps, Mannheim (et non Ricoeur) renvoie dos à dos ces différentes visions sociales du monde (comme distorsion idéologique), que les « intellectuels sans attaches »[16] doivent « assimiler » et dépasser pour viser la synthèse des perspectives. Celle-ci est peut-être depuis Mannheim, et avant lui Simmel, la voie moyenne la plus souvent empruntée pour tenter d’éviter et le Charybde du relativisme absolu et le Scylla du positivisme.

3. l’épistémologie de la connaissance située/du point de vue

La critique féministe reprend donc un problème ancien et pourtant encore central de la sociologie de la connaissance et, plus largement, de l’ensemble des sciences sociales : quelles sont les conditions de possibilité de l’objectivité dans les sciences sociales ? Y a-t-il un point de vue privilégié sur lequel fonder l’objectivité de la connaissance ? La réponse nuancée s’inscrit dans le cadre de l’épistémologie de la connaissance située (situated knowledge) ou théorie du point de vue (standpoint theory). Cette épistémologie a peut-être surtout été théorisée dans les pays anglo-saxons, notamment par les féministes (Haraway, 1988 ; Harding, 1990 ; Hartsock, 1998)[17], mais les féministes françaises radicales (notamment Delphy, Guillaumin, Mathieu) en ont jeté les bases, du moins dans le champ qui nous intéresse. L’épistémologie de la connaissance située/du point de vue abandonne l’idée de neutralité, de détachement pour poser que « toute connaissance est nécessairement située dans le temps et l’espace » et ancrée « dans les conditions matérielles d’existence spécifiques à un groupe et à une époque donnée » (Ollivier et Tremblay, 2000). Elle peut être rattachée d’un côté aux néokantiens Weber et Simmel, notamment pour la reconnaissance de la fonction cognitive du point de vue, des a priori, des cadres. Mais elle refuse la rupture entre le théorique et le politique, entre l’engagement et la connaissance : elle peut être rattachée de ce côté à Marx et en partie à Mannheim pour la question de la position et de l’effet de la position sociale sur la connaissance sociologique. L’originalité se situe dans le fait qu’il s’agit d’interroger la position sociale dans les rapports de sexe et l’effet de cette position dans la connaissance de ces rapports.

La théorie féministe de la connaissance, fondée sur l’épistémologie du point de vue, a en effet suggéré que c’était la prise de conscience de l’oppression de la part des opprimés en révolte contre leur situation qui pouvait déboucher sur une connaissance théorique de l’oppression : « Ce qui est un inconvénient en termes d’oppression peut devenir un avantage en termes de science[18] » (traduction) (Harding, 1990). Elle refuse de dissocier révolte, prise de conscience, imagination, analyse et connaissance, et suggère que l’acteur engagé et opprimé peut s’appuyer sur son expérience et sa colère pour produire des « effets théoriques » y compris dans le champ scientifique (Guillaumin, 1981).

On pourrait interroger les conditions sociales de l’interrogation des conditions sociales de production de l’objectivité. Les féministes radicales, matérialistes, ont en effet dû repenser ces conditions, pour au moins deux raisons : d’une part parce que le savoir des sciences sociales apparaissait, contrairement aux apparences, situé, partiel et partial (Juteau, 1981), androcentré (lié idéologiquement à certains intérêts et certaines positions), d’autre part parce que la critique féministe se voyait d’emblée délégitimée comme discours particulier, situé, engagé, idéologique. Le savoir dominant occultait la position à partir de laquelle il s’élaborait (Mathieu, 1971) tout en réduisant le discours féministe à la sienne (ce qui est le propre de l’analyse idéologique, voir Mannheim). Dans ces conditions, l’interrogation même du rapport entre l’inscription sociale de l’observateur, sa position, d’une part, le point de vue qu’il adopte sur le monde social d’autre part et, enfin, le type d’interprétation élaboré apparaît désormais nécessaire[19].

L’on pourrait se demander en ce sens si, tout comme les marxistes ont essayé de montrer que le point de vue dominé du prolétariat sur le système capitaliste qu’il combattait était plus près de la vérité de ce système (car libéré de l’aveuglement par l’intérêt et ayant au contraire un intérêt pour la vérité), les féministes, dominées dans un système de domination et d’oppression patriarcal dont elles visent l’abolition, ont de même un intérêt particulier pour la vérité de ce système en tant que membres de la seule classe de sexe capable de penser et de vouloir sa propre disparition[20]. Mathieu a donné une réponse nuancée intéressante, que je résume : l’enjeu, les intérêts n’étant pas les mêmes de part et d’autre, la connaissance ne sera pas la même selon la place du locuteur dans le champ des rapports de sexe (1991). Mais il ne s’agit pas pour Mathieu de discréditer simplement le point de vue masculin, dominant, pour lui substituer le point de vue dominé (il ne s’agit pas de proposer quelque chose d’analogue à la « science prolétarienne »). Elle précise l’articulation entre la position dans les rapports de sexe et le point de vue sur ces rapports : les hommes, de par leur position dominante, seraient mieux à même de connaître les mécanismes de la domination masculine, l’action oppressive (il ne s’agit pas pour elle de dire que tout ce qui est dit d’un point de vue androcentrique est « faux ») ; mais ils ne seraient par contre pas en mesure de saisir, pour les femmes, la matérialité ni la psychologie de l’aliénation à l’homme. Mathieu ajoute que cela n’est pas symétrique pour les femmes : les femmes ne seraient pas toujours, de par leur position dominée, en mesure d’évaluer non seulement la domination exercée, mais aussi la domination subie (tout ce qui est dit d’un point de vue « gynécocentrique » n’est pas nécessairement « vrai »). « Si vivre en dominant n’est pas connaître l’oppression, vivre en opprimé(e) est peut-être encore moins connaître (avoir la pleine conscience de) la domination et l’oppression. » L’idée est donc qu’hommes et femmes, oppresseurs et opprimés, ne sont pas des sujets à conscience identique, mais des sujets à conscience située, et que la place dans les rapports sociaux de domination a une incidence dissymétrique sur la conscience même et donc sur la science[21].

4. Une controverse autour de l’explication de la reproduction de la domination

La controverse Godelier/Mathieu sur l’explication de la reproduction de la domination et sur la place du « consentement à la domination » de la part des dominé(e)s peut être rappelée ici[22]. La théorie de la domination masculine de Godelier (1984) a donné lieu à une discussion critique (assez célèbre dans le champ) de la part de Mathieu (1985), qu’elle a reprise et adressée ensuite (dans Les Temps modernes, 1999) à Bourdieu pour La domination masculine (1998).

Si l’on résume sa théorie à sa plus simple expression, Godelier soutient que c’est le « consentement » des dominés à leur domination (de classe, de caste ou de sexe) et le « partage des mêmes représentations » qui constituent le facteur le plus important de cette reproduction ; dans sa critique, Mathieu explique la domination par la méconnaissance de la domination et entend « réfuter » de ce fait l’hypothèse du consentement et du partage des représentations.

Godelier distingue d’abord deux composantes de la domination : la violence et le consentement. La plus forte des deux ne serait pas la violence des dominants, mais le consentement des dominés. Seuls le « consentement », l’« acceptation », l’« adhésion », la « coopération » des dominés semblent à même d’expliquer sinon la prise de pouvoir, du moins son maintien. Plus précisément : comment des individus et des groupes dominés peuvent-ils consentir « spontanément » à leur domination ? La réponse contre-intuitive de Godelier fait intervenir le sentiment de la dette et le concept de contrat : la domination apparaît aux yeux mêmes des dominés comme un « service » que rendent les dominants (la maîtrise des forces invisibles qui gouvernent la marche de l’univers, dans l’exemple des Baruya que donne Godelier), à l’égard desquels les dominés contractent donc une dette. Le pouvoir des dominants apparaîtrait dès lors si légitime qu’il semble aux dominés « de leur devoir » de « servir ceux qui les servent ». La seule manière d’expliquer ce « consentement » serait la croyance en la légitimité du pouvoir (ce qui est très wébérien), croyance elle-même fondée sur la croyance au service rendu par les dominants en échange. Cette croyance ne pouvant à son tour être que si dominants et dominés « partagent » les mêmes représentations : c’est en vertu de la croyance partagée selon laquelle les dominants assurent un certain type de service à l’égard même des dominés que ceux-ci, « reconnaissant les bienfaits, la légitimité et la nécessité de ce pouvoir », « acceptent » la domination, y « consentent ».

Mathieu cherche à réfuter cette interprétation (positive) en termes de reconnaissance, d’acceptation et de consentement, par une interprétation (négative) en termes de méconnaissance, de négation et de résignation. C’est une « analyse matérialiste de la conscience » et plus exactement de la « conscience dominée » que propose Mathieu. L’objectif étant de réfuter l’hypothèse de l’autonomie de la conscience propre, cette analyse esquisse un tableau des limitations et fragmentations de la conscience auxquelles les femmes seraient soumises de par leur position dominée. Ces limitations et fragmentations viennent et des contraintes matérielles pesant sur les femmes au profit des hommes, et de la médiatisation de la conscience propre des femmes par l’écran que constitue le système de pensée et de réalité androcentré, et — mais la liste n’est pas close — de la limitation des connaissances disponibles pour les femmes, encore une fois au profit des hommes.

Godelier prête une conscience claire et lucide au dominé ; il réintroduit ainsi la symétrie et le principe de l’identité des contraires et oublie de ce fait l’existence même de la domination et de ses effets. Il attribue finalement implicitement au dominé le principe explicatif (sinon la responsabilité) de la soumission à la domination (tout en s’en défendant) : à la limite, dans ce schéma, l’opprimé s’opprime, écrit Mathieu. Selon elle, ce ne peut être le consentement qui explique la soumission, mais la violence. Côté dominé, le « consentement » à la domination, si le terme a un intérêt, ne peut être la cause de la domination (la « force la plus forte »), il ne peut en être que l’effet. Le consentement éventuel des dominés n’explique pas la domination, il en résulte, or s’il en résulte il ne s’agit plus d’un consentement et il faut trouver un autre terme.

Le point central de divergence d’interprétation est le suivant : le « partage » de certaines représentations (c’est-à-dire le fait qu’hommes et femmes, dominants et dominés, emploient les mêmes notions, le fait plus particulièrement que les dominés se voient au travers des catégories dominantes, ce qui n’est pas très éloigné de la « violence symbolique » de Bourdieu) est interprété par Mathieu comme « médiatisation » de la conscience propre. Ce que Godelier interprète comme partage fondamental des représentations et fondement du consentement à la domination, Mathieu l’interprète secondairement comme médiatisation de la conscience et principe de l’aliénation des femmes. Comment expliquer ces divergences ? Mathieu nous aide à répondre : Godelier n’interprète-t-il pas la domination, dupoint de vue dominant, Mathieu l’oppression, du point de vue dominé ?

Conclusion

L’étude qui précède ne prétend nullement avoir épuisé un sujet aussi riche et complexe. Certaines questions n’ont été que survolées, d’autres ont été éludées. Par exemple, les concepts et couples conceptuels utilisés parfois indifféremment et les cadres théoriques dans lesquels ils prennent sens ont été insuffisamment définis : dominé, minorité, marginalité ne sont pas synonymes. Au contraire, ces différents concepts montrent la pluralité des cadres mobilisables et la difficulté à appréhender de manière unilatérale une réalité si complexe. Il faudrait en particulier envisager les rapprochements et les distinctions théoriques — et pratiques — à faire, du point de vue des rapports de pouvoir, de l’expérience de ces rapports et des conditions du savoir, entre position dominée dans les rapports sociaux et situation de marginalité ou de non-conformité par rapport aux normes : on peut considérer qu’il s’agit de différents types de situations sociales qui s’inscrivent dans des logiques différentes et méritent d’être appréhendées dans des cadres théoriques spécifiques[23]. Dans cet examen de la situation de marginalité ou de non-conformité par rapport aux normes dominantes, se pose de même la question du « point de vue » original sur le monde social potentiellement autorisé par cette situation. Un certain rapport (un rapport critique) aux normes sociales dominantes peut-il permettre de mettre au jour ces normes, et ce, comme normes sociales (comme normatives et contraignantes) ? Peut-il par là faciliter l’objectivation de ces normes ? La contestation des normes et rapports sociaux n’était-elle pas en effet un préalable à l’élaboration des problématiques de sexe dans les sciences sociales ? Y aurait-il alors une vertu (cognitive) de la non-conformité ? Plus concrètement, la non-conformité sexuelle offre-t-elle un point de vue spécial (à la fois expérimenté et théorisé, théorisé parce qu’expérimenté) à partir duquel la contrainte à l’hétérosexualité comme condition du maintien de l’ordre social peut apparaître et surtout être conceptualisée comme telle ? Ces problèmes, suggérés par la formulation même de l’hypothèse et par la délimitation du cadre, ont été laissés totalement mais volontairement en suspens tant ils méritent un traitement à part entière[24].

Pour conclure, je voudrais préciser le sens de cette étude, qui risque en effet d’être perçue comme une contribution matérialiste au relativisme cognitif ambiant.

Insister sur la position et l’effet de la position sociale ne signifie pas qu’on nie la dimension fondamentalement cognitive de la connaissance, tout comme insister sur les facteurs cognitifs (par exemple le rôle de l’imagination utopique dans la pensée du monde social réel, Gaussot, 2003) ne signifie pas qu’on néglige pour autant les facteurs sociaux. Le meilleur exemple de cela se trouve chez Mannheim, non celui qui aurait théorisé le rôle du désengagement « porté » par l’intelligentsia sans attaches sociales, mais celui qui a essayé de montrer comment le point de vue idéologique, celui des groupes sociaux dominants, était révélé donc « découvert » comme tel par le point de vue utopique, celui des groupes ascendants, et vice-versa (le Mannheim repris et développé par Ricoeur)[25]. Ainsi, il est possible d’entrer dans cette « boîte noire » sans chercher la relativisation (c’est-à-dire en ce sens l’invalidation) du savoir.

Bien au contraire, ce genre d’étude permet d’illustrer l’idée que Simmel, Weber et Mannheim avaient partiellement formulée à leur manière : le point de vue et la position sociale sont ce qui permet d’élaborer une connaissance sociologique (non pas bien que mais parce que la connaissance exprime toujours un point de vue). Il peut de ce fait paraître surprenant qu’en France du moins, une grande partie des recherches sur les effets de position ne les présentent que comme une source d’erreur cognitive : on peut sur ce point penser aussi bien à Boudon qu’à Bourdieu. Tout en poussant finalement très loin, en tout cas dans L’idéologie (1986), la reconnaissance des effets de position et de disposition sociales, Boudon ne sort en fait jamais du cadre dans lequel les effets de position, de perspective, cognitifs, etc., sont et ne sont que des sources d’erreur, des biais, tandis que la vérité proviendrait du point de vue non biaisé, non impliqué, distancié, désintéressé du « spectateur impartial » (Boudon, 2001), animé par l’esprit critique et les valeurs universelles (et qui tel un deus ex machina arrive à la fin pour détromper tout le monde). Même si Bourdieu reconnaît quant à lui différents types d’effets de position et attribue au point de vue scolastique la palme des distorsions (parce qu’il s’agit d’un point de vue qui se méconnaît comme tel), le travail d’objectivation du sujet objectivant (la réflexivité) qu’il préconise consiste toujours à tâcher de l’en libérer, dans un effort sans fin pour tenter d’arracher du même coup le savant à ses déterminations sociales et la raison à l’histoire (ainsi que la sociologie au « sens commun »), mais (du moins explicitement) sans succomber à l’illusion de la toute-puissance de la pensée en croyant à la possibilité de prendre un point de vue absolu, transcendant par rapport aux points de vue empiriques des agents : l’« historicisme rationaliste » ou « rationalisme historiciste » devant préserver de l’« absolutisme objectiviste » sans condamner au « relativisme irrationaliste ». Tous deux, en dépit de tout ce qui les sépare par ailleurs, attachés malgré eux à la théorie classique de la connaissance en tant que miroir non déformé du réel, présentent les effets de position sociale comme biais et obstacles qui conduisent à des erreurs cognitives que la critique rationnelle pour l’un ou la réflexivité pour l’autre peut et doit corriger[26].

Contrairement aux objectifs des tenants des programmes fort ou relativiste dans l’étude de la science, à qui l’on reproche de contribuer à relativiser les notions de vérité et d’objectivité, parce qu’ils préconisent d’expliquer selon le principe de symétrie les « croyances vraies » tout comme les « croyances fausses » par des causes sociales, il est sans doute redevenu possible de reconnaître et de redécouvrir que la position sociale de l’observateur (notamment au sein des rapports de sexe), l’ancrage social des observations, est, avant d’être ce qui limite le point de vue donc la connaissance du social, ce qui les facilite et les rend possible.