Elsevier

L'Anthropologie

Volume 120, Issue 4, October 2016, Pages 428-438
L'Anthropologie

Article original
Moulin Quignon : la redécouverte d’un siteMoulin Quignon: Rediscovery of a site

https://doi.org/10.1016/j.anthro.2016.05.007Get rights and content

Résumé

La collection de Moulin Quignon est une collection cohérente, malgré la diversité de ses pièces, dans la certitude de sa provenance et dans son rattachement aux recherches menées sur le site en 1863–1864. Considérée comme historique et patrimoniale, son étude a permis néanmoins de livrer des informations scientifiques importantes et valables pour le présent, et, au-delà, de réintroduire le site de Moulin Quignon dans le panel des gisements paléolithiques les plus anciens de la vallée de la Somme.

Abstract

The collection from Moulin Quignon is a coherent one, despite the diversity of its pieces, in the certainty of its origin, in its attachment to the researches led on the site in 1863–1864. Considered as a historic heritage, its study has nevertheless delivered significant scientific information, valid for the present, and, beyond that, to reintroduce the site of Moulin Quignon in the oldest Palaeolithic panel sites of the Somme valley.

Introduction

S’interroger sur la pertinence et les moyens de redonner vie scientifique à une collection historique et, plus largement, sur les modes de gestion et de valorisation des collections scientifiques est un sujet d’actualité de la recherche. Colloques et publications sur ces questions se succèdent, qu’il s’agisse de questionner l’histoire et les pratiques des grandes institutions scientifiques, les conditions d’accès à la documentation scientifique, ou les enjeux du processus de patrimonialisation des collections d’étude (Boudia et al., 2009 ; Cornu et al., 2010 ; Besson et Chaoui-Derieux, 2012 ; Blanckaert, 2013 ; Daugeron et Le Goff, 2014). Ces réflexions ont pour caractéristique commune de conjuguer des perspectives diverses, pluridisciplinaires, contextualisées, réflexives et concrètes sans négliger la dimension épistémologique, voire éthique. Toutes amènent à conclure au potentiel réel et actuel de ces collections parfois oubliées.

L’étude des collections du site de Moulin Quignon menée en 2012–2015 dans le cadre du programme « PremAcheuSept » (ANR no 2010 BLANC 2006 01, 2011–2014, coordonné par M.-H. Moncel et D. Schreve), s’inscrit dans cette dynamique intellectuelle. Partant de pièces découvertes en 1863–1864, rassemblées au Muséum national d’histoire naturelle (Paris), puis reléguées pendant un siècle et demi dans ses réserves, ce projet entendait, autant que faire se peut, porter sur elles un regard neuf éclairé par les problématiques scientifiques présentes relatives aux peuplements acheuléens de l’Europe et l’histoire de la préhistoire.

Si l’objectif scientifique était clair, en revanche il était soumis à l’impératif que le Muséum ait su préserver cette collection malgré les aléas internes des recompositions institutionnelles, au premier rang desquels se placent les restructurations successives des chaires et les déménagements consécutifs des pièces, d’abord au sein des galeries et laboratoires du Jardin des Plantes puis vers le Musée de l’Homme. Mais, et sans doute est-ce là le paradoxe de Moulin Quignon dans sa dimension muséale, l’anonymat dans lequel cette collection est tombée – oubli d’une profondeur équivalente au retentissement de l’affaire en 1863 et à l’ardeur des débats d’alors – a permis de préserver son unité et son intégrité. Après tant d’années, la présence dans les collections du Muséum de ces fragiles boîtes en carton remplies de sédiment et portant des annotations de la main de Jacques Boucher de Perthes (1788–1868), tout comme celle de ces petits tubes de coquilles de mollusques de Moulin Quignon illustrent ce quasi-miracle.

De même, sur le plan archivistique, il apparaissait nécessaire de renouveler le regard porté sur les événements de 1863 et l’attitude de chacun des principaux protagonistes. Si, du côté anglais, ce travail avait été mené depuis longtemps, que ce soit à travers les mémoires autobiographiques ou par les travaux des historiens (Grayson, 1983 ; Van Riper, 1993 ; Boylan, 1997), il n’avait pas été véritablement entrepris sur cette rive-ci de la Manche. En France, l’affaire de Moulin Quignon semblait, jusqu’à une date récente, encore cantonnée au registre de l’anecdotique et n’était pas un objet de recherche en soi. L’essentiel de la documentation utilisée reposait sur les œuvres de Boucher de Perthes, les publications d’Armand de Quatrefages (1810–1892), les bulletins des académies et sociétés savantes. Une partie importante des enjeux épistémologiques des discussions tout comme du jeu des acteurs se trouvait ainsi escamotée. En les questionnant, les sources primaires (fonds de la bibliothèque historique d’Abbeville, archives personnelles de Léon Aufrère, archives du Muséum national d’histoire naturelle) se sont révélées non moins loquaces que les pierres taillées et les ossements.

C’est donc bien une collection cohérente, malgré la diversité des pièces la constituant, dans la certitude de sa provenance, dans son rattachement avéré au site et aux recherches menées en 1863–1864 et malgré les doutes émis sur l’authenticité des objets mis au jour alors, qui a pu être soumise à l’analyse. Les résultats de ces études démontrent que, malgré le caractère historique de cet ensemble, des informations importantes et valables pour le présent pouvaient en être produites.

Section snippets

Moulin Quignon et la mise en place d’une nouvelle préhistoire

La découverte de Moulin Quignon intervient dans l’élan de la validation en 1859 des travaux de Boucher de Perthes suggérant la grande ancienneté de l’espèce humaine (Lyell, 1860). Attestée jusque-là par des preuves indirectes paléontologiques (ossements fossiles de grands mammifères), stratigraphiques (niveaux anciens des terrasses alluviales de la Somme) et archéologiques (industries lithiques), l’hypothèse d’un homme préhistorique se trouve consacrée en 1863 par la découverte d’une mandibule

Un contexte géologique bien établi

La nature fluviatile des dépôts étudiés par Boucher de Perthes dès les années 1840 à Moulin Quignon, la position topographique élevée du site sur le versant de la vallée et l’antiquité du gisement qui peut en être déduite avaient été, en 1859, des arguments majeurs dans la reconnaissance de l’authenticité préhistorique du gisement impliquant l’antiquité de l’Homme. Ces facteurs géologiques jouèrent ainsi un rôle fondamental dans la naissance de la préhistoire en tant que discipline, grâce à

Conclusion

L’étude menée sur la collection Moulin Quignon conservée au Muséum national d’histoire naturelle n’a pas permis de résoudre parfaitement l’énigme de la découverte de 1863. Certains éléments, comme les noms de l’auteur ou des auteurs de la supercherie ou l’ampleur et les motivations de celle-ci, gardent tout leur secret. Ce résultat négatif était prévisible et n’aurait pu être contrecarré que par la découverte d’un document d’archive inédit livrant ces informations.

Toutefois, ce travail a permis

Références (29)

  • H. Breuil

    Le vrai niveau de l’industrie abbevillienne de la Porte du Bois (Abbeville)

    L’Anthropologie

    (1939)
  • É. Cartailhac

    La France préhistorique d’après les sépultures et les monuments

    (1889)
  • V. Commont

    Excursion de la Société géologique du Nord et de la faculté des sciences de Lille, à Abbeville le 11 juin 1910 : Les gisements paléolithiques d’Abbeville. Stratigraphie- Faune-Industrie humaine-Situation par rapport aux terrasses fluviatiles de la Somme

    Bulletin de la Société géologique du Nord

    (1910)
  • Cited by (8)

    • A view of the Lower to Middle Paleolithic boundary from Northern France, far from the Near East?

      2020, Journal of Human Evolution
      Citation Excerpt :

      From MIS 16 to 10, all the discoveries were classified as Acheulean, except for the site of Rue du Manège. The oldest lithic assemblage comes from the well-known site of Moulin-Quignon, studied by J. Boucher de Perthes in 1863–1864 (Hurel et al., 2016, Antoine et al., 2019). At the Carpentier quarry, also situated in Abbeville, two Acheulean handaxes found in a karstic depression (Fig. 4) may be attributed to the end of MIS 15, or possibly MIS 14 (Antoine et al., 2014).

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