Elsevier

L'Anthropologie

Volume 119, Issue 1, January–March 2015, Pages 58-71
L'Anthropologie

Article original
Une médecine du fonds des âges : trépanations, amputations et tatouages thérapeutiques au NéolithiqueA very oldest medicine: Trepanations, amputations and therapeutic tattooing during the Neolithic

https://doi.org/10.1016/j.anthro.2015.02.007Get rights and content

Résumé

Les premiers bergers et paysans du Néolithique européen, entre le VIe et le IIe millénaire avant J.-C., avaient acquis de sérieuses connaissances médicales. Les trépanations crâniennes et les amputations de membres réalisées avec succès témoignent de techniques opératoires parfaitement maîtrisées qui impliquent un savoir transmissible. Les tatouages à but thérapeutique révèlent toutefois que la médecine de ce temps demeurait encore empreinte de rituels et de magie.

Abstract

The first shepherds and peasants of the European Neolithic period, between VIth century and IIth millennium BC, had acquired serious medical knowledge. The cranial trepanations and the amputation of members accomplished successfully testify perfectly controlled surgical techniques, which indicate a transmissible knowledge. Tattoos towards a therapeutic end reveal however that the medicine of this time still remained under the influence of rituals and magic.

Introduction

Le Néolithique fut, comme chacun sait, une époque de la Préhistoire caractérisée par de grands bouleversements qui firent que l’homme devint agriculteur et/ou éleveur et abandonna au moins en partie le mode ancestral d’acquisition alimentaire basé sur la cueillette, la pêche et la chasse. Sur ce sujet, une bibliographie pléthorique n’a guère besoin de large développement. Nous nous limiterons à quelques ouvrages de synthèse francophones récents (Cauwe et al., 2007, Demoule, 2007, Tarrête et Le Roux, 2008, Guilaine, 2011). Cette mutation économique apparaît en Europe occidentale vers 6000 avant J.-C. et s’accompagne de toute une série de changements dans le mode de vie avec des habitats permanents et la création de véritables terroirs, mais aussi dans les techniques avec l’apparition de la céramique, du filage et du tissage ou encore le polissage d’outils de pierre servant au défrichement et au travail de la terre. Peu à peu, une spécialisation des tâches s’installe et des échanges de matériaux s’opèrent sur de longues distances. Les sociétés s’organisent différemment de celles auxquelles elles succèdent et on peut observer une stratification sociale avec l’émergence progressive de rapports très hiérarchisés entre les individus. Dans nos contrées, les néolithiques élevaient de petits bœufs, des porcs, des chèvres et des moutons mais aussi des chiens, tout en poursuivant la chasse au cerf, au chevreuil, au sanglier et à l’aurochs. Ces premiers paysans cultivaient le blé amidonnier, le blé tendre, l’orge nue, les pois, les vesces et les lentilles et consommaient des produits laitiers. À la fin de la période, l’artisanat connaît de nouvelles innovations, avec en particulier l’utilisation des premiers métaux (cuivre et or), ce qui conduit progressivement aux alentours de 2300/2200 avant J.-C. vers l’âge du Bronze.

Depuis un siècle et demi, les découvertes de sépultures du Néolithique n’ont cessé de se multiplier sur l’ensemble du vieux continent. De nos jours, les fouilles préventives continuent régulièrement d’en mettre au jour ce qui augmente substantiellement les données sur le monde des morts dans les premières sociétés paysannes d’Occident. Au total, des milliers de tombes individuelles ou collectives fournissent un matériel anthropologique considérable au sein duquel il a parfois été possible de déceler les marques d’interventions de véritables chirurgiens. À leurs lumières, on peut donc légitimement considérer que les temps néolithiques virent également la naissance d’une forme précoce de médecine ou tout au moins d’un savoir médical avancé. L’objectif de la présente contribution est de proposer une synthèse sur le sujet. Nous argumenterons essentiellement notre propos par des découvertes révélées par l’archéologie sur le sol français, puisqu’il demeure notre terrain de recherche privilégié. Néanmoins, afin d’être complet à propos de ces gestes thérapeutiques, il est impossible de faire l’impasse sur les tatouages de la très médiatisée momie des Alpes italiennes.

Section snippets

Un art opératoire maîtrisé : les trépanations crâniennes

Les travaux consacrés aux trépanations crâniennes néolithiques abondent depuis la fin du XIXe siècle. À la source, les découvertes réalisées par le docteur B. Prunières sur les Grands Causses du Gévaudan dès les années 1870 permirent de mettre en évidence les toutes premières trépanations identifiées comme telles. Le médecin lozérien s’adjoignit très rapidement le concours de P. Broca. Ensemble, ils firent connaître à la communauté scientifique les premiers crânes trépanés préhistoriques et

Des actes chirurgicaux exceptionnels : les amputations

En matière de chirurgie néolithique, les exemples de sujets amputés demeurent particulièrement anecdotiques pour des époques aussi anciennes. Longtemps, seuls deux cas étaient connus dans les nécropoles du Néolithique ancien de Vedrovice (sépulture 82) en République Tchèque (Crubézy, 1996) et de Sondershausen (sépulture 18) en Allemagne (Kahlke, 2004 : 24–26).

Dernièrement, une découverte française est venue se verser au dossier permettant d’affiner nos connaissances en matière d’amputations.

Un cas remarquable de nécropsie dans le midi de la France

L’examen de stigmates présents sur l’humérus d’un sujet déposé dans l’aven de la Boucle à Corconne (Gard) suggère que les contemporains de ce défunt étaient animés d’un certain souci de connaissance anatomique.

Disons tout d’abord quelques mots, pour mémoire, sur le contexte archéologique. Située à 35 km au nord de Montpellier, cette cavité sépulcrale a été découverte vers 1950 à l’occasion d’une sortie spéléologique. Elle se compose d’une salle unique d’environ 40 m2, à laquelle on accède par un

Des tatouages thérapeutiques sur la momie des glaces

Bien rares sont les trouvailles archéologiques qui firent couler autant d’encre qu’Ötzi, la momie des glaces découverte en 1991, à 3213 m d’altitude, sur le glacier du Similaun, dans les Alpes italiennes. On ne compte désormais plus les ouvrages et les articles de toute nature, aussi bien érudits que destinés au grand public, dont elle est le sujet depuis plus de vingt ans. Essayons de faire court. Ötzi vécut à la charnière du Néolithique et du Chalcolithique, entre 3350 et 3100 avant J.-C. Il

Conclusion

Il va sans dire qu’il nous est particulièrement difficile de mesurer les répercussions des premières pharmacopées néolithiques. Comment évaluer, par exemple, l’utilisation empirique de végétaux sous forme de cataplasmes, de baumes ou de décoctions ? Les gestes thérapeutiques sont en revanche indiscutables et nous renseignent quelque peu sur cette médecine du fond des âges. Certaines fractures bi-diaphysaires, comme par exemple celle des os de la jambe de l’un des sujets de la sépulture de la

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