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INTRODUCTION

Les parents vivant des conflits sévères à la suite de leur séparation constituent une clientèle jugée difficile pour les intervenants en raison des enjeux psychologiques et relationnels complexes qu’ils soulèvent (Johnston et al., 2009). En outre, ils sollicitent de manière récurrente les tribunaux en multipliant les procédures et mettent en échec les services offerts pour les aider (Birnbaum et Bala, 2010; Cyr et al., 2017; Neff et Cooper, 2004). Le développement de modèles d’intervention psychojudiciaire destinés à ces familles est fortement encouragé par les chercheurs et les professionnels intervenant auprès d’elles (Quigley et Cyr, 2014; Polak et al., 2020). Le protocole d’intervention Parentalité-Conflit-Résolution (PCR) constitue une initiative en ce sens.

Cet article décrit dans un premier temps, les caractéristiques des séparations dites hautement conflictuelles et le défi qu’elles représentent pour les intervenants psychosociaux et judiciaires. Les différentes composantes du protocole PCR et défis qui y sont associés, notamment au niveau de l’interdisciplinarité, ainsi que des limites de la confidentialité et de l’établissement de l’alliance thérapeutique sont présentés. Nous abordons ensuite les composantes jugées essentielles au succès de l’intervention et l’importance de bien cibler les familles admises à ce protocole. Enfin, nous formulons diverses recommandations en vue d’optimiser le potentiel du PCR dans l’avenir. Précisons qu’une partie des données présentées dans cet article repose sur une recherche évaluative effectuée lors de la mise en place du projet pilote. À partir d’une méthode mixte (entrevues et questionnaires), Cyr et ses collègues ont interrogé huit familles admises en 2015 et 2016, de même que 12 avocats, trois psychologues et quatre juges impliqués dans le protocole d’intervention (voir Cyr et al., 2017 pour une présentation plus détaillée de la méthode).

Les conflits sévères de séparation : un concept à raffiner

Le terme conflit sévère de séparation (CSS) est un concept fourre-tout utilisé pour décrire diverses problématiques pouvant être interreliées. Ce vocable peut renvoyer, par exemple, à des niveaux élevés de colère et de méfiance entre les ex-conjoints, des incidents de violence verbale ou physique, une incapacité à coopérer ou à communiquer, une propension à blâmer l’autre et à se dénigrer mutuellement. Il est dit aussi que les CSS perdurent dans le temps (Birnbaum et Bala, 2010; Maccoby et Mnookin, 1992) et sont associés à un recours fréquent aux tribunaux. Dans certains cas, les CSS comportent des indices de violence conjugale et d’aliénation parentale qui sont associés à des difficultés de contact parent-enfant. Cette diversité de situations pose des défis au plan conceptuel et complique le développement d’une offre de services adaptés (Birnbaum et Bala, 2010; Johnston et al., 2009). Ainsi, plusieurs auteurs reconnaissent l’importance de bien différencier la violence situationnelle du terrorisme intime. La première réfère à des incidents de violence bidirectionnelle liés à l’escalade des conflits ou à des actes violents isolés qui sont circonstanciels; le second se caractérise surtout par un contrôle coercitif exercé par l’un des partenaires et comporte généralement un historique d’actes violents, de même qu’un déséquilibre de pouvoir entre les ex-conjoints (Anderson et al., 2010; Jaffe et al., 2008). De la même façon, les CSS doivent être distingués de l’aliénation parentale. Celle-ci réfère plutôt à une problématique familiale complexe dans laquelle un enfant rejette un parent alors que la conduite du parent et l’état de la relation parent-enfant avant la séparation ne justifie pas cette répudiation de la part de l'enfant. L'enfant exprime librement et de façon persistante des croyances et sentiments négatifs non raisonnables, tels que de la colère, haine, rejet et une peur du parent, disproportionnées à son expérience réelle avec ce parent (Kelly et Johnston, 2001). Ce rejet est causé principalement par l’influence d’un des parents, mais peut être aussi alimenté par des conduites inappropriées de l’autre parent dans les cas dits hybrides. Le rejet est exprimé par l’enfant sans ambivalence, ni culpabilité (Gagné et al., 2005; Jaffe et al., 2017). Bien que toutes les situations d’aliénation parentale impliquent des CSS, tous les CSS ne réfèrent pas à des situations d’aliénation parentale.

Les parents vivant des CSS présenteraient des caractéristiques individuelles, notamment des problèmes de santé mentale ou des troubles de personnalité pouvant contribuer à la chronicité de ces conflits (Johnston et al., 2009) et peuvent adopter des conduites parentales et coparentales, susceptibles de compromettre le développement et le bien-être des enfants (Godbout et al., 2017). Toutefois, ces situations familiales hautement conflictuelles sont hétérogènes et une évaluation rigoureuse est nécessaire pour bien comprendre les défis que pose chaque situation familiale et identifier l'intervention la plus adaptée à chaque réalité (Saini et Birnbaum, 2007; Saini et al., 2020).

Les conflits sévères de séparation : ampleur du phénomène

Sur le plan international, les études menées auprès de parents séparés révèlent que 20 à 35 % de ceux-ci vivent un niveau élevé de conflits coparentaux, deux à trois ans après la séparation (Emery, 1999; Maccoby et Mnookin, 1992; McIntosh, 2003; McIntosh et Long, 2005; Whiteside, 1998). Au Québec, une enquête populationnelle révèle que, parmi les mères séparées ayant un enfant de 6 ans, 12 % mentionnent que le climat avec leur ex-conjoint est mauvais ou très mauvais (Desrosiers et Simard, 2010). Pour estimer la prévalence des CSS, plusieurs auteurs se sont aussi basés sur le conflit judiciaire (Saini et al., 2013). Bien qu’il se distingue du conflit coparental, ces deux situations sont souvent liées (Maccoby et Mnookin, 1992). À ce propos, la proportion des dossiers de séparation ou de divorce qui vont à procès, principalement en raison d’une demande de garde contestée, est estimée entre 8 à 15 %, alors que seulement 1,5 à 5 % des dossiers nécessitent une décision judiciaire à la suite d’un procès (Biland et Schütz, 2012, 2013; Joyal et al., 2002; Poitras et al., 2017, 2020). Enfin, ces situations familiales hautement conflictuelles sont également présentes dans les services de protection de la jeunesse. Au Québec, 16,6 % des signalements étaient retenus pour mauvais traitements psychologiques en 2016-2017 et environ 19 % d’entre eux, l’étaient en raison de l’exposition des enfants aux CSS (Charette, 2018; Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2017).

Les familles vivant des conflits sévères de séparation : une clientèle jugée difficile et nécessitant la concertation de divers professionnels

Depuis déjà plusieurs années, des chercheurs et professionnels des milieux juridiques et psychosociaux tentent de mettre sur pied des méthodes alternatives de résolution des conflits, dans le but de prévenir l’aggravation des conflits parentaux et d’éviter le recours trop fréquent au litige. Plusieurs interventions, comme la médiation, l’arbitrage là où la loi le permet, la conférence par règlement à l’amiable et l’éducation parentale, ont été rendus accessibles dans de nombreux pays (Quigley et Cyr, 2014). Or, ces interventions sont souvent mises en échec ou peu utilisées par les familles vivant des CSS qui privilégient plutôt l’affrontement et les batailles judiciaires (Target et al., 2017). De plus, il est très peu commun d’assigner un juge à un dossier en matière familiale et les avocats sont le plus souvent maintenus dans un rôle strict de représentation de leur client. Aussi, au Québec comme ailleurs dans le monde, plusieurs décrivent un manque de ressources disponibles et spécialisées pour ces familles vivant des conflits sévères suite à la séparation parentale (Firestone et Weinstein, 2004; Godbout et Saint-Jacques, 2014; McIntosh, 2006; Ward, 2007).

Par ailleurs, certains soulignent que ces familles ont besoin d’interventions personnalisées qu’une seule discipline ne peut prendre en charge, et il est suggéré qu’une intervention psychosociale soit déployée auprès de la famille conjointement à la gestion judiciaire du dossier (Haddad et al., 2016; Levite et Cohen, 2012; Templer et al., 2017).

La recension de Quigley et Cyr (2014) expose plusieurs modèles d’intervention psychojudiciaire qui ont été développés dans les deux dernières décennies tels que la coordination parentale (Cyr et al., 2016) et des programmes psychoéducatifs tels Dad’s for Life (Braver et Griffin, 2000), Working Together Program (Owen et Rhoades, 2012), Parent Conflict Resolution Program (Neff et Cooper, 2004), Family Transitions Guide (Braver et al., 2016) et Giving Children Hope (Rauh et al., 2016). De façon générale, ces programmes permettent une diminution du conflit parental, une meilleure adaptation psychologique des enfants et une amélioration de la relation coparentale (Braver et al., 2005; Braver et al., 2016; Rauh et al., 2016). De plus, les parents ayant participé à de tels programmes sont plus susceptibles d’aller chercher de l’aide en cas de besoin et ils ont moins tendance à recourir aux tribunaux et à s’engager dans des conflits (Ganong et al., 2011). Néanmoins, ces programmes à visée préventive s’adressent principalement aux familles qui débutent leurs procédures judiciaires. En outre, les enfants et les adolescents dont la garde est disputée sont peu impliqués dans les programmes recensés, alors que ces derniers manifestent le désir de s’exprimer et d’être partie prenante de ces interventions (Birnbaum et Saini, 2012). C’est dans le but de pallier ces lacunes, que le protocole PCR fut développé et mis en place entre 2014 et 2016 à la Cour Supérieure du district judiciaire de Québec.

CRITÈRES D’ADMISSION ET COMPOSANTES DU PROTOCOLE PARENTALITE-CONFLIT-RÉSOLUTION

Le protocole d’intervention psychojudiciaire PCR se décline en quatre composantes :

  1. Un juge saisi du dossier qui encadre de manière précise le déroulement du processus judiciaire en vue d’éviter la multiplication des procédures.

  2. L’engagement des avocats des parents et de l’enfant à travailler dans un esprit collaboratif plutôt que litigieux.

  3. Une intervention familiale adaptée aux besoins spécifiques de la famille visant la diminution du conflit parental, l’établissement d’une communication coparentale fonctionnelle et une consolidation ou reprise du lien parent-enfant.

  4. Une communication interprofessionnelle fluide et transparente encadrée par des règles précises.[2]

Pour être admissibles à ce protocole novateur, les familles devaient présenter les éléments suivants : jugements(s) antérieur(s) non respecté(s); contre-expertise(s) ou expertises multiples; hostilité élevée entre les parents; disqualification de l’autre parent et dénigrement; diagnostic de trouble de santé mentale; difficultés d’accès et/ou risque de rupture du lien parental; famille élargie impliquée dans le conflit; allégations de mauvais traitements; d’aliénation parentale ou d’incapacité parentale et rupture de contact parent-enfant[3]. Les familles admises ne devaient pas inclure une problématique de santé mentale sévère ou une situation de violence coercitive.

Une famille, un juge

Les parents vivant des CSS tendent à retourner à la cour à répétition et ces parents sont plus susceptibles de voir leurs conflits tranchés lors d’un procès en matière familiale (Poitras et al., 2020). Or, au Québec, il est peu commun d’assigner un juge à une famille et les parties sont généralement entendues par des juges différents à chaque retour à la Cour. Pourtant, plusieurs spécialistes et chercheurs en droit familial recommandent cette pratique dans les cas complexes où une situation de haut niveau de conflit est présente (Bala et al., 2011; Fidler et Bala, 2020; Fidler et al., 2013; Comité de réflexion et d'orientation sur la justice de première instance au Québec, 2005; Johnston et al., 2009), et certains suggèrent que la présence d’un juge saisi du dossier est une voie prometteuse pour soutenir le dénouement de l’impasse dans laquelle ces parents sont maintenus (Cyr et al., 2017).

Ainsi, dans le PCR, la présence d’un juge saisi du dossier permet une gestion personnalisée et plus étroite de l’évolution de la situation familiale. Par exemple, le juge peut fixer rapidement une audience préliminaire, prédéterminer la durée des témoignages, de même que les questions en litige qui y seront traitées. Il peut également inclure diverses recommandations ou outils visant un accompagnement plus efficace de la dynamique conflictuelle entre les ex-conjoints. Il peut notamment recourir à l’expertise psychosociale ou psychologique ou recommander l’instauration d’un suivi psychothérapeutique individuel pour l’un des membres de la famille, en complément aux services offerts par le psychothérapeute familial impliqué dans le protocole PCR.

En outre, la présence du juge saisi d’un dossier du PCR peut induire une certaine contrainte qui peut être profitable à l’intervention psychosociale. En se saisissant du dossier, ce dernier peut s’assurer de la collaboration de tous aux mesures qui ont été convenues ou ordonnées. Notamment, à la suite de l’audience préliminaire, le juge en charge du dossier prononce un jugement intérimaire dans lequel il prend acte de l’engagement des parents à participer au protocole PCR, il clarifie le rôle du psychothérapeute auprès de la famille et établit les balises du travail interdisciplinaire. Le juge prend note également l’engagement des parents à encourager leur enfant à collaborer au rétablissement du lien parent-enfant qui est compromis. Évidemment, dans l’état actuel du droit québécois, comme dans celui de bien des pays à travers le monde, le juge ne peut contraindre un individu à entreprendre une démarche psychothérapeutique. Toutefois, en prenant acte de la volonté des parents à s’y engager et en assurant un suivi rigoureux de cet engagement, il peut favoriser la collaboration des parents aux changements qui sont attendus de leur part. Par ailleurs, tout au cours du déploiement du protocole, il peut également ordonner des modifications aux modalités de garde, voire même un renversement de garde, et ce, dans le but de s’assurer que le meilleur intérêt de l’enfant soit respecté. Ainsi, le protocole PCR s’apparente à des interventions sous contrainte volontaire et engage la responsabilité des parents, eu égard aux objectifs du protocole et, plus particulièrement, au respect des besoins de l’enfant (Rittner et Dozier, 2000; Brecht et al., 2005; Schneeberger et al., 2017).

Avocat ayant une approche collaborative

Les procédures judiciaires ont le potentiel d’exacerber le litige entre les ex-conjoints et d'aggraver le conflit parental auquel l’enfant risque d’être exposé (Gauthier, 2018; McIntosh, 2006). Conséquemment, plusieurs recommandent de revoir le rôle de l’avocat impliqué dans ces situations familiales hautement conflictuelles, afin de faciliter le dénouement du conflit et de veiller plus activement au meilleur intérêt de l’enfant (Campbell, 2020; Gauthier et Paquin-Boudreau, 2020). Ainsi, les avocats impliqués dans le protocole PCR sont appelés à signer un formulaire de consentement dans lequel ils s’engagent à travailler dans un esprit collaboratif. Ils acceptent alors d’adopter un code de conduite et d’éthique qui inclut notamment de soutenir leur client tout au long du processus, afin qu’il fasse tous les efforts requis pour permettre des changements significatifs dans la dynamique familiale et dans sa relation avec l’autre parent et avec l’enfant. Dans le protocole PCR, une avocate coordonnatrice veille à accompagner les avocats dans ce changement de paradigme. Elle les rencontre au début du processus pour leur donner toutes les informations relatives au protocole d’intervention PCR, souligne l’importance de privilégier une résolution collaborative du litige dans le meilleur intérêt de l’enfant et leur présente le formulaire de consentement qui détaille leurs engagements. L’avocate coordonnatrice offre, au besoin, des consultations concernant la gestion de ces dossiers, notamment quand un parent met en péril l’avancement du processus en ne collaborant pas aux interventions ou en ne respectant pas les engagements qu’il a pris.

Les outils psychosociaux

L’intervention psychosociale du protocole PCR se décline en deux dispositifs distincts. En premier lieu, le programme Faire équipe pour les enfants (FÉE) est une intervention psychoéducative de groupe qui a comme objectifs le développement d’habiletés de communication avec le coparent et une considération accrue pour la réalité de l’enfant. Les ex-conjoints se joignent à des groupes distincts qui sont composés de 6 à 10 parents. Chaque parent participe à trois rencontres de trois heures[4] et les échanges au sein du groupe favorisent l’effort introspectif de chacun. Cette intervention est inspirée en bonne partie du Working Together Program (Owen et Rhoades, 2012) développé pour des parents vivant des conflits à la suite de leur séparation et bonifiée pour y aborder des éléments de violence conjugale et d’aliénation parentale en contexte de conflits sévères de séparation. Ce programme dont l’efficacité a été démontrée (diminution du conflit et de l’hostilité entre les ex-conjoints en présence des enfants) vise les aspects spécifiques d’une coparentalité conflictuelle, notamment la communication négative et la coopération parentale (Owen et Rhoades, 2012).

Le second dispositif offert aux familles du PCR consiste en une intervention psychothérapeutique familiale s’échelonnant sur un maximum de 45 heures. Il s’agit d’une intervention systémique adaptée aux besoins spécifiques de la famille et dont les objectifs sont l’amélioration de la qualité de la relation coparentale, de même que la reprise de contacts entre le parent rejeté et l’enfant, ou le renforcement de leurs liens. Plus particulièrement, les parents sont invités à développer et maintenir des habiletés de résolution des conflits visant une coparentalité fonctionnelle et respectueuse et à acquérir aussi, des compétences permettant une meilleure parentalité. Les rencontres sont effectuées auprès de tous les membres de la famille tantôt individuellement, tantôt en dyade ou en triade. Tel que mentionné plus haut, les parents consentent à participer à cette intervention et s’engagent, dès le début de la psychothérapie, à apporter les changements d’attitude et de comportements qui sont nécessaires à l’amélioration de leur relation coparentale et des relations parent-enfant. À partir de l’analyse d’un groupe de discussion tenu avec les psychothérapeutes à la fin du projet pilote PCR, du contenu de leurs rapports intérimaires, de leurs rapports de fermeture ainsi que des questionnaires complétés en ligne, cinq stratégies psychothérapeutiques ont été identifiées (Cyr et al., 2020). Ces stratégies visent tant les objectifs généraux du protocole PCR que les objectifs spécifiques à la famille. Ils consistent à renforcer ou renouer le lien parent-enfant, à être sensible aux difficultés spécifiques de l’enfant et à référer à des services complémentaires au besoin, à supporter le développement des capacités parentales, à améliorer la relation coparentale et à offrir une intervention systémique avec la famille et le système interprofessionnel.

L’approche systémique adoptée dans le PCR est centrale à l’intervention psychothérapeutique auprès des familles hautement conflictuelles, tel que proposé par plusieurs experts du domaine (Cyr, 2020; Eddy, 2020; Fidler et al., 2011). Les interventions d’approche systémique visent à modifier une dynamique familiale dysfonctionnelle en mettant tous les membres de la famille à contribution et en sollicitant des changements, quant à leurs comportements et leurs modes relationnels. Ces interventions ciblent notamment un rétablissement des frontières saines entre les sous-systèmes parents et enfants, le développement d’une capacité à porter un regard sur soi plutôt que de constamment blâmer l’autre, une amélioration de la régulation émotionnelle et une diminution des conduites impulsives. Par ailleurs, le protocole d’intervention PCR est aussi intersystémique en ce qu’il inclut les acteurs significatifs qui gravitent autour de la situation familiale, soit les membres de la famille élargie et les nouveaux conjoints, de même que les professionnels tels que les avocats et les psychothérapeutes individuels. L’ensemble de ces acteurs peuvent parfois contribuer aux problèmes que vivent ces familles, mais ont aussi le potentiel de faire partie de la solution.

Toutefois, considérant d’une part les besoins complexes et l’hétérogénéité des enjeux présents chez les familles qui sont admises au protocole et, d’autre part, les données probantes disponibles dans le domaine de l’intervention familiale (Deutsch et al., 2020; Fidler et al., 2019; Polak et al., 2020), diverses approches théoriques sont utilisées dans le but d’offrir un traitement sur mesure (Cyr et al., 2020). Ainsi, le psychothérapeute a recours aux divers principes, stratégies et techniques proposés dans les modèles psychodynamique, systémique, humaniste et cognitivo-comportemental en fonction des besoins de chacune des familles (Cyr, 2020). Par exemple, afin d’intervenir sur la perception biaisée de l’enfant face à son parent rejeté et de préparer une reprise de contact parent-enfant, des stratégies d’intervention cognitivo-comportementales semblent de mise (p. ex., restructuration cognitive et désensibilisation systématique). Aussi, les approches psychodynamique et humaniste pourront soutenir le travail introspectif proposé aux parents et à l’enfant.

La fluidité de la communication interprofessionnelle

En s’engageant dans ce protocole, les parents consentent à cette intervention interdisciplinaire impliquant le psychothérapeute, l’avocat et le juge et consentent également à ce que les professionnels échangent de l’information les concernant, en vue de dénouer les impasses et faciliter l’atteinte des objectifs.

Ainsi, le psychothérapeute peut s’entretenir avec les avocats des parents en vue de solliciter des interventions de leur part. En effet, les avocats ont une relation privilégiée avec leurs clients et peuvent les encourager à collaborer aux interventions et effectuer les changements nécessaires, pour atteindre les objectifs thérapeutiques.

En outre, le psychothérapeute doit produire des bilans périodiques (conférences téléphoniques, rapports intérimaires) à l’équipe judiciaire, les avocats et le juge, afin de décrire l’évolution de la situation familiale et l’avancement du processus de reprise ou de consolidation du lien parent-enfant. Ce sont là les limites de la confidentialité nécessaires au travail efficace de l’équipe interdisciplinaire. Les rapports intérimaires peuvent inclure des observations effectuées par le psychothérapeute (collaboration de chacun, embûches au traitement, atteinte des objectifs ou non), de même que des recommandations cliniques (maintien du suivi psychothérapeutique, référence à un autre type d’intervention ou à des ressources additionnelles), et permettent au juge d’intervenir rapidement pour rappeler aux parents leurs engagements et ajuster son ordonnance en conséquence.

Par ailleurs, les parents doivent s’engager à accepter que l’intervenant ne soit pas contraignable à la cour en tant que témoin expert. Son travail en est un de psychothérapie et non d’expert en matière de garde et de droits d’accès. Il ne fera donc pas de recommandations quant aux modalités de garde et sera entendu par le juge à titre de témoin de fait. Le témoignage du psychologue traitant doit ainsi se faire conformément à l’entente prise avec les parents et les enfants et doit se limiter aux informations incluses dans les rapports intérimaires, soit le nombre de rencontres effectuées, les observations factuelles concernant l’avancement dans l’atteinte des objectifs fixés ou les impasses et les recommandations cliniques.

LES DÉFIS DU PROTOCOLE PCR

Le travail en équipe interdisciplinaire constitue un enjeu majeur tel qu’il en ressort dans l’évaluation du projet pilote du protocole PCR (Cyr et al., 2017). Les juges, les avocats et les psychothérapeutes qui ont participé à la recherche s’expriment plus particulièrement sur les défis inhérents aux limites de la confidentialité entre les professionnels et au développement de l’alliance thérapeutique entre le psychothérapeute et chacun des membres de la famille.

Défi du travail interdisciplinaire

L’approche interdisciplinaire et les communications constantes entre les professionnels sont fondamentales au protocole PCR. Il s’agit là de la grande force, mais aussi du principal défi que pose ce protocole d’intervention. Notamment, l’approche interdisciplinaire soulève des enjeux quant à la complémentarité des rôles, aux frontières interprofessionnelles et à l’écart entre la notion du temps judiciaire et du temps psychologique.

Ainsi, il ressort des entrevues réalisées avec les professionnels que la notion de temps n’est pas la même pour l’équipe psychosociale et pour l’équipe judiciaire (Cyr et al., 2017). En effet, il est connu que la psychothérapie auprès de ces familles nécessite de nombreuses rencontres pour permettre le développement d’un lien de confiance, puis le rétablissement de la relation parent-enfant et le changement significatif de la dynamique familiale (Quigley et Cyr, 2014). Le système de justice familiale recherche plutôt une résolution rapide et durable du différend ; il en va du principe d’accès à la justice qui sous-tend les nombreux efforts effectués par les décideurs dans les dernières années et qui vise à diminuer la pression sur les systèmes de justice (Bala, 2004). Selon nous, ces tensions qui risquent de survenir entre l’équipe judiciaire et psychosociale dictent la tenue de rencontres d’équipes régulières. De telles rencontres permettent de souligner le rôle complémentaire de chacun, préciser les frontières interprofessionnelles et maintenir le dialogue et l’engagement des professionnels aux objectifs communs du protocole.

Limites de la confidentialité

Tel que décrit plus haut, la circulation de l’information entre les professionnels du PCR est une composante essentielle au protocole. Elle vise non seulement à observer des changements dans la dynamique familiale, mais également à rendre les parents responsables de leurs conduites devant le juge.

L’étude de Cyr et al. (2017) expose la tension que la communication interprofessionnelle engendre. Ainsi, le psychothérapeute développe une compréhension de la dynamique familiale et saisit ce qui explique l’émergence du conflit parental et son maintien dans le temps. Or, les informations qu’il peut transmettre sont limitées et les avocats, dans l’ensemble, expriment être contrariés par la prudence et la réserve des psychothérapeutes à leur communiquer de l’information. En effet, la recherche évaluative effectuée révèle que les avocats souhaitent obtenir un compte rendu plus détaillé de la situation familiale, comme le fait habituellement l’expert en matière de garde et de droits d’accès. De leur côté, les psychothérapeutes expriment un inconfort quant à ce qui peut être partagé avec l’équipe judiciaire, sans révéler des informations qu’ils doivent maintenir confidentielles. En effet, leurs communications doivent être suffisantes pour éclairer le juge dans sa gestion de la situation, tout en respectant la confidentialité du contenu thérapeutique : un équilibre difficile à atteindre. Même si le contenu partagé par le psychothérapeute est limité et respectueux des ententes prises, les défis à l’alliance thérapeutique sont réels et doivent être traités avec les membres de la famille, avant et après les échanges d’informations avec les professionnels.

Défis liés à l’alliance thérapeutique

Considérant les exigences posées par cette clientèle, de même que celles qui sont inhérentes à la communication interprofessionnelle, il convient de se pencher sur les défis pour le psychothérapeute d’établir et de maintenir une alliance thérapeutique avec chacun des membres de la famille. Cette préoccupation est cruciale, puisque l’alliance thérapeutique entre les membres de la famille et le psychothérapeute familial est un prédicteur de l’adhérence à la psychothérapie et de son succès (Karver et al., 2006; Pinsof, 1995). Or, le défi est important pour le psychothérapeute, puisque les alliances thérapeutiques sont distinctes et interagissent de façon systémique (Friedlander et al., 2011). En effet, il est connu que chacun des membres de la famille s’observe et s’influence mutuellement quant à leurs perceptions du psychothérapeute et de la nature des interventions. Ainsi, il y a des risques à nouer des relations particulières avec un sous-groupe ou avec un des membres de la famille, cela pouvant compromettre le lien de confiance avec les autres (Friedlander et al., 2011).

Effectivement, dans les familles hautement conflictuelles, le discours des uns et des autres est fortement clivé et chacun des parents tentera activement de convaincre le psychothérapeute, ainsi que l’équipe judiciaire, des torts de l’autre parent (Eddy, 2020; Fidler et Bala, 2020; Wright et al., 2020). Du fait qu’il travaille dans une approche systémique incluant divers sous-systèmes, le psychothérapeute est constamment confronté à la nécessité de garder la plus grande neutralité possible dans ses interventions auprès de l’ensemble des membres de la famille. Ce défi est d’autant plus important avec les familles vivant des conflits sévères de séparation, compte tenu que les parents qui vivent de tels conflits tendent à se méfier des intervenants ou tenter de s’y allier, dans l’espoir que leur ex-conjoint entende raison (Honea-Boles et Griffin, 2001; Scharff, 2006). La posture de neutralité à laquelle le psychothérapeute est tenu n’exclut toutefois pas qu’il intervienne davantage auprès de l’un ou l’autre des sous-systèmes familiaux en fonction des objectifs visés ou de l’étape de la psychothérapie. Il s’assurera toutefois de maintenir une transparence dans l’ensemble de ses communications auprès de tous et d’offrir une écoute empathique, malgré les nécessaires confrontations ou réflexions critiques qu’il proposera à chacun des membres de la famille. De plus, le maintien de cette posture de neutralité nécessite un bon maniement de l’expérience contre-transférentielle du psychothérapeute, puisque ces familles peuvent susciter de vives émotions. C’est à cette fin, que le PCR a mis à la disposition des psychothérapeutes un espace de supervision-intervision régulier.

LES COMPOSANTES ESSENTIELLES AU SUCCÈS DE L’INTERVENTION

L’évaluation du projet pilote (Cyr et al., 2017) révèle que les différents professionnels sont enthousiastes quant aux possibilités qu’offre ce protocole d’intervention, bien qu’ils expriment des contrariétés face aux enjeux liés au partage d’informations entre professionnels. Une de réussites les plus marquantes de ce protocole est qu’il a permis une reprise de contact (à des degrés variables) pour six des sept familles pour lesquelles le lien parent-enfant était fragilisé.[5] Pourtant, les parents sont plus mitigés par rapport aux retombées de l’intervention. Si la plupart reconnaissent que le protocole est aidant pour soutenir leur enfant, améliorer les liens parent-enfant et établir une communication plus fonctionnelle avec leur ex-conjoint, d’autres déplorent que le processus est long et coûteux, se sentent contraints de maintenir leur participation au protocole et sont d’avis que les professionnels n’ont pas agi assez fermement (p. ex., mettre au jour les lacunes de l’autre parent, ordonner les modalités de garde souhaitées).

Lors d’un groupe de discussion qui a eu lieu à la fin du protocole, les psychothérapeutes s’expriment sur les composantes qu’ils jugent essentielles au succès de l’intervention. Il ressort que les conditions suivantes favorisent l’efficacité de l’intervention : des parents ayant au moins un minimum de motivation à participer et qui sont exempts d’un problème sévère de santé mentale, une rupture de lien parent-enfant qui ne s’est pas encore cristallisée (qui a eu lieu il y a moins d’un an) et un travail de retissage des liens avec des enfants plus jeunes (10 ans et moins). Puis, sur le plan interdisciplinaire, les psychothérapeutes mentionnent qu’il est aidant de travailler avec des avocats qui saisissent bien la dynamique familiale, qui ont de l’expérience en matière familiale et qui respectent et comprennent la complémentarité des rôles, de même que les délais requis par l’intervention psychothérapeutique.

Toujours selon les psychothérapeutes, les juges sont vus comme des alliés précieux lorsqu’ils sont proactifs et cadrent l’intervention en usant de leur autorité. Le facteur de réussite le plus important du protocole leur apparaît être cette compréhension commune de la situation familiale et la solidarité entre l’équipe juridique et psychosociale. A contrario, les professionnels externes au protocole qui s’impliquent auprès de certains membres de la famille (par exemple, un psychothérapeute individuel) peuvent compromettre la visée du protocole. En effet, ceux-ci n’ont pas nécessairement une perspective systémique des difficultés exprimées par leur client et ne travaillent pas nécessairement en cohérence avec le protocole PCR. D’ailleurs, le formulaire de consentement signé par les parents inclut une autorisation à communiquer avec eux ; ce qui permet au psychothérapeute de sensibiliser les professionnels externes, au contexte dans lequel s’inscrit la demande de leur client. Enfin, s’exprimant sur leur propre rôle, les psychothérapeutes impliqués dans le protocole estiment qu’ils doivent mener un rôle pivot et orchestrer ainsi l’ensemble des interventions psychojudiciaires. Conséquemment, ils sont d’avis que ce type de travail nécessite une grande expérience et une formation spécialisée sur les problématiques rencontrées par ces familles. Enfin, le soutien clinique obtenu lors des rencontres de supervision individuelles et de groupe est apparu comme un facteur de réussite fondamental. Il est vu comme un espace nécessaire pour partager ses expériences, discuter des meilleures pratiques et se protéger contre l’épuisement professionnel.

INDICATIONS ET CONTRE-INDICATIONS

L’évaluation du projet pilote a permis d’identifier les contextes où le protocole PCR a le potentiel d’améliorer les dynamiques familiales hautement conflictuelles et de mieux cibler les situations où l’intervention est contre-indiquée ou présente peu de chances de succès. Ce dernier point représente un réel défi sur le plan de l’évaluation différentielle, car ces familles vivant des conflits sévères de séparation sont justement celles qui vivent les difficultés coparentales et parentales les plus sévères. Tel que discuté plus tôt, ces situations familiales s’accompagnent parfois de problématiques au plan de la santé mentale et d’épisodes de violence. Or, il est reconnu qu’une intervention visant la coparentalité et le partage des décisions entre les parents apparaît inadéquate, voire dangereuse, dans les situations de violence coercitive (Beck et Raghavan, 2010). Il en va de même pour le retissage des liens parent-enfant lorsque l’enfant a été exposé à de la violence conjugale et peut avoir développé des réactions post-traumatiques reliées à cette expérience (Johnston et al., 2009; Hardesty et al., 2012). Dans ces situations, la sécurité de l’enfant doit prévaloir et il est nécessaire de traiter le trauma avant ou concurremment à l’intervention coparentale et familiale (Deutsch et al., 2020). Par ailleurs, des actes ponctuels de violence, bidirectionnels ou entourant la crise de la séparation, peuvent être observés chez les familles présentant un litige en matière de garde (Beck et al., 2013). Ainsi, dans cinq dossiers du projet pilote, des éléments de violence conjugale documentés ou allégués (Cyr et al., 2017) sont observés. Ceux-ci sont suivis par des psychothérapeutes d’expérience, mais il n’en demeure pas moins que des données de recherche ont montré qu’une évaluation formelle de la violence conjugale, à l’aide d’un outil structuré, permet un meilleur dépistage et donc une meilleure évaluation des risques (Ballard et al., 2011). Il apparaît donc crucial d’intégrer pareils outils lors du déploiement à plus grande échelle du protocole PCR (Ellis et Stuckless, 2006; Holtzworth-Munroe et al., 2010). Il faut aussi prévoir différents scénarios pour pallier ces risques, allant de l’intervention en parallèle et sans contact entre les parents, en passant par la mise en place d’un cadre sécuritaire, pour l’échange de garde jusqu’à l’exclusion du protocole et la référence à des ressources spécialisées en violence conjugale (voir Jaffe et al., 2008 pour une proposition d’interventions et de plans parentaux sécuritaires, en fonction de la nature et de la gravité de la violence conjugale). D’autres risques ont également été identifiés lors du projet pilote. Selon les psychothérapeutes, les problèmes sévères de santé mentale rendent difficile l’obtention d’un véritable consentement d’un parent et entravent sa capacité à collaborer au protocole (Cyr et al., 2017). En dernier lieu, les risques à la sécurité et au développement des enfants doivent être écartés[6]. Or, la Direction de la Protection de la Jeunesse (DPJ) est intervenue ponctuellement dans trois dossiers du projet pilote (Cyr et al., 2017), ce qui montre une fois de plus que les familles visées par le protocole PCR se retrouvent sur une mince frontière séparant les interventions curatives, de celles visant la protection des enfants dont le développement est jugé compromis.

QUE RETENIR POUR OPTIMISER LE POTENTIEL DU PROTOCOLE PCR?

Divers constats se dégagent des données de recherche recueillies et nous amènent à formuler des recommandations, si le déploiement à large échelle de ce modèle d’intervention psychojudiciaire était mis de l’avant.

  1. Importance du triage. Force est de constater qu’il y a des risques importants à ne pas effectuer un triage serré des situations familiales hautement conflictuelles, impliquant une coparentalité dysfonctionnelle et une rupture de lien parent-enfant. Or, le dépistage de ces risques pourrait être grandement amélioré par l’utilisation d’un outil de triage « à large spectre », permettant d’identifier notamment la violence conjugale post-séparation et les problèmes de santé mentale des parents et des enfants, de même que les risques au plan de leur sécurité (McIntosh et al., 2016). Enfin, l’évaluation continuelle, de l’engagement des membres de la famille et du pronostic de changement de la dynamique familiale paraissent cruciales, pour optimiser l’utilisation de ce protocole d’intervention. Ainsi, les rapports intérimaires produits par le psychothérapeute font état de l’avancement ou non dans l’atteinte des objectifs fixés. Or, des outils standardisés permettant de mesurer ces changements devraient être ajoutés pour documenter les progrès ou absence de progrès.

  2. Durée de l’intervention. Malgré la générosité apparente des services psychosociaux offerts, le temps alloué aux familles semble insuffisant pour produire des changements significatifs et durables. Ce constat confirme que des interventions à long terme et le maintien d’un suivi ponctuel sont nécessaires pour réussir à effectuer des changements significatifs dans ces dynamiques hautement conflictuelles (Bala et al., 2011; Cyr et al., 2017). La rigidité de ces systèmes familiaux et de leurs modes relationnels confirment la nécessité d’envisager une intervention au long cours. Des travaux de recherche supplémentaires sont requis à ce sujet.

  3. Formation à l'interdisciplinarité. Tous les professionnels du PCR ont eu à sortir de leur zone de confort pour participer au dialogue interdisciplinaire, tout en gardant les frontières interprofessionnelles souples, mais claires. Les intervenants psychosociaux et judiciaires qui se côtoient dans ce protocole révèlent parfois des visions différentes de l’efficacité des interventions auprès des clients et l’apprentissage du travail interdisciplinaire demeure un défi. Les mérites de la collaboration interprofessionnelle et la nécessité d’une intervention psychothérapeutique systémique, particulièrement dans les dossiers très conflictuels, devraient faire partie du curriculum de formation de tout intervenant, du domaine psychosocial ou judiciaire, qui souhaite s’engager dans une telle pratique. Les juges pourraient également bénéficier de telles formations afin qu’ils puissent intégrer ces nouvelles pratiques dans le contenu de leurs ordonnances. Nos travaux de recherche ainsi que les rencontres périodiques du Comité de suivi tripartite (ministère de la Justice, Cour supérieure et équipe de coordination du PCR) travaillent en ce sens.

  4. Formation des avocats aux approches alternatives. Vu le rôle fondamental que joue l’avocat auprès de son client, il est essentiel que sa compréhension du modèle d’intervention et sa confiance en un tel processus soient solides et qu’elles puissent être transmises au client. Aussi, il faudrait encourager la formation plus soutenue aux avocats, relative aux séparations hautement conflictuelles, à la violence conjugale, à l’aliénation parentale et aux modes alternatifs de résolution des conflits avec ces familles.

  5. Formation et supervision des intervenants psychosociaux et des psychothérapeutes. Il en est de même pour les intervenants psychosociaux et psychothérapeutes qui bénéficieraient eux aussi d’une formation spécialisée sur ces problématiques et sur les meilleures pratiques en la matière. Tous déplorent le manque de ressources spécialisées auprès des situations familiales hautement conflictuelles avec ou sans rupture du lien parent-enfant. Il y a un besoin pressant de former une relève pour permettre l’accès à ce type de programme à travers la province. Pour ce faire, des ressources financières devraient être allouées dans les services publics afin que les familles puissent recevoir l’aide professionnelle dont elles ont besoin.

  6. Maintien de la recherche en partenariat. Il est essentiel que les recherches se poursuivent afin, non seulement, de bonifier les pratiques, mais également de mieux comprendre et mesurer l’efficacité des interventions et la pérennité des résultats positifs.

CONCLUSION

Les familles vivant des conflits sévères suite à la séparation parentale, constituent une clientèle jugée difficile considérant les enjeux relationnels massifs qui sont déployés en psychothérapie, la rigidité de leur fonctionnement et la sursollicitation des ressources judiciaires et psychosociales. Les besoins sont criants et les ressources spécialisées sont rares. Cet article a présenté les composantes principales d’un protocole d’intervention prometteur, le bilan qu’il est possible d’en faire, de même que les recommandations pour en optimiser l’utilisation.

Ainsi, le programme PCR est une initiative conjointe de juristes et d’intervenants psychosociaux qui, voyant les limites de leurs interventions isolées auprès des familles en situation de conflits, ont tenté d’unir leurs forces pour soutenir ces enfants et leurs familles. Devant l’augmentation de ces cas difficiles, on assiste présentement à un engouement pour le développement de nouvelles pratiques auprès de ces familles en matière familiale, comme en matière de protection de la jeunesse (Baude et al., 2021). Ainsi, dans le protocole d’intervention psychojudiciaire PCR, on retrouve tous les éléments jugés essentiels pour venir en aide à ces familles vivant des conflits sévères suite à la séparation et pour lesquelles, la relation de l’enfant avec l’un de ses parents est compromise (Sullivan, 2017; Fidler et Bala, 2020; Fidler et al., 2019). L’étude exploratoire de Cyr et al. (2017) confirme que les professionnels constatent la plus-value d’une équipe interdisciplinaire, nomment l’importance de la circulation de l’information entre les professionnels impliqués tout en nommant les défis entourant la définition des rôles professionnels et les limites de l’information, pouvant être rendue disponible par les psychothérapeutes au dossier. Or, il s’impose de poursuivre les réflexions portant sur les défis du travail interdisciplinaire et les enjeux liés à la confidentialité.

Plusieurs intervenants du réseau de la santé et des services sociaux (psychologues, travailleurs sociaux, psychothérapeutes) doivent être formés et supervisés à ces modalités d'intervention interdisciplinaire pour s’outiller à mieux intervenir auprès de ces familles. Il en va de même pour les intervenants du milieu judiciaire (avocats et juges) dont le travail auprès de ces familles doit être mis à contribution dans ce même objectif. Les connaissances dans le domaine dictent le travail en interdisciplinarité. Il apparaît urgent de développer un guide des meilleures pratiques en la matière et de constituer, dans chacun des groupes de professionnels, des modules de formation sur ces nouvelles pratiques. Cependant, nous sommes d’avis que ces nouvelles pratiques doivent continuer à être analysées et balisées afin de respecter les critères d’excellence, tant sur le plan scientifique que clinique. À cet effet, la recherche en partenariat qui se fonde sur le dialogue entre les intervenants et les chercheurs semble la voie la plus féconde.

Enfin, dans le souci de protéger le public et de soutenir le confort des professionnels, il est important que le cadre de pratique de ce type de protocole soit bien défini sur les plans judiciaire et déontologique, pour que les professionnels compétents ne désertent pas ce champ d’exercice. Il reste à souhaiter que le protocole d’intervention PCR puisse être une source d’inspiration pour tous ces professionnels.