Corps de l’article

1. Introduction

L'assainissement a de tout temps été une préoccupation majeure pour des questions d'hygiène et de santé publique. Le but de l'assainissement est de fournir un environnement de vie sain à tout être vivant, en éloignant ou éliminant les excréments, pour éviter le contact avec la population, limitant ainsi les épidémies (OMS/UNICEF, 2013). Une installation d'assainissement non collectif (ANC) est définie comme « toute installation d'assainissement assurant la collecte, le transport, le traitement et l'évacuation des eaux usées domestiques ou assimilées au titre de l'article R. 214-5 du code de l'environnement des immeubles ou parties d'immeubles non raccordés à un réseau public de collecte des eaux usées » (MEEDDM, 2009). En France, l’ANC représente 20 % des installations de traitement des eaux usées domestiques. Cela concerne une population de 12 millions d'habitants, soit environ cinq millions d'installations en zones rurales (DUBOIS et BOUTIN, 2017).

Parmi les technologies utilisées dans l’ANC, les systèmes de filtration biologique utilisant un milieu filtrant sont souvent mis en oeuvre (GARZON-ZUÑIGA et al., 2012; LENS et al., 1994). Le traitement des eaux usées (élimination des matières en suspension et de la matière organique) est effectué par les actions conjointes de filtration, et de biodégradation par des bactéries se développant au sein du milieu filtrant. L'aération des milieux s'effectue naturellement avec une forte dépendance à la porosité et à l'agencement du matériau (BERLAND, 2012; CAUCHI et VIGNOLES, 2011).

Historiquement, des matériaux comme le sable et la tourbe sont les plus utilisés, et plus récemment des milieux à base de copeaux de coco venus remplacer la tourbe dont l’extraction est interdite, sont en développement croissant. Cependant, l’empreinte carbone produite par l'importation depuis l'étranger de matériaux tels que ce dernier est très importante. Dès lors l’utilisation de sous-produits agro-industriels locaux pourrait la diminuer et rendre l’utilisation de ces nouveaux milieux filtrants plus compatible avec des critères environnementaux.

Pour ce faire, la société ITREN, le Laboratoire de génie chimique et le Laboratoire de chimie agro-industrielle développent ensemble un nouveau dispositif de traitement décentralisé (GALLIEN et al., 2016) : un milieu filtrant constitué d’une couche de chènevotte sur une couche de grignons d’olives, testé d’abord à l’échelle pilote puis à l’échelle réelle. L’innovation réside, entre autres, dans la valorisation de ces sous-produits agro-industriels disponibles localement. L’objectif de cet article est de vérifier la capacité de ce milieu filtrant à traiter les eaux usées domestiques. Les résultats du suivi de la qualité physico-chimique des eaux rejetées en sortie de pilotes laboratoire et sur le terrain sont présentés.

2. Matériels et méthodes

2.1 Pilotes de biofiltration au laboratoire

Quatre unités-pilotes à l'échelle du laboratoire en PVC transparent ont été mises en oeuvre (Figure 1). Leur conception est basée sur des travaux de recherche antérieurs (BRETON, 2013). Un pilote avec des copeaux de coco (Premier Tech Aqua, Canada) est utilisé comme référence. Deux pilotes ont été remplis avec une couche de chènevotte (Chanvrière de l’Aube, Bar-sur-Aube, France) sur une couche des grignons d’olives (Établissement Bardon Lignoblast, Le Muy, France) avec des hauteurs identiques. Ces deux pilotes similaires permettront d’évaluer la reproductibilité et la robustesse des résultats. Un dernier pilote avec une hauteur plus importante de chènevotte (80 %) permet d’étudier l’impact de la hauteur des couches sur la performance épuratrice des biofiltres.

Figure 1

Pilotes de biofiltration : CC : copeaux de coco; CHE : chènevotte; GO : grignons d’olives

Biofiltration pilots: CC: coconut husks; CHE: hemp shives; GO: olive pomace

Pilotes de biofiltration : CC : copeaux de coco; CHE : chènevotte; GO : grignons d’olives

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Une solution synthétique, réalisée au laboratoire à base d’une boue digérée récupérée en sortie de digesteur complétée par des composés chimiques pour obtenir une DCO maitrisée, alimente par gravité l’ensemble des pilotes à raison de 75 L·j‑1·EH‑1 (EH : équivalent-habitant). Cette solution permet d’assurer des valeurs d'entrée des matières en suspension (MES ≈ 170 mg·L‑1), de demande biochimique en oxygène en cinq jours (DBO5 ≈ 300 mg O2·L‑1) et de demande chimique en oxygène (DCO ≈ 800 mg O2·L‑1) constantes. Le pH moyen de cette solution est de 7,2.

Un suivi hebdomadaire des eaux collectées en sortie des pilotes sur 24 h permet de suivre l’évolution de l’épuration. Les méthodes analytiques utilisées sont les suivantes : DCO : ISO 15705 (tests rapides Spectroquant® Merck; ISO, 2002); DBO5 : NF EN 1899-1 (AFNOR, 1998); MES : NF EN 872 (AFNOR, 2005); pH : NF T 90-008 (AFNOR, 2001).

2.2 Prototypes terrains

Six prototypes de biofiltre ont été installés chez des particuliers pour étudier leurs performances en conditions réelles. Les familles ont été choisies en fonction de leur localisation, du nombre d’habitants, et de leur disposition à faire partie de cette étude. La figure 2 résume les conditions opératoires de l’étude pour chaque site : composition des familles, date de la mise en service, proportion des couches chènevotte sur grignons d’olives (50:50 ou 80:20). De plus, pour étudier les effets de l’aération, six tubes de diamètre 50 mm, ont été répartis dans chaque cuve. Ces tubes peuvent être percés (16 orifices de 5 mm uniformément répartis) ou pleins.

Figure 2

Conditions opératoires de chaque site

Sites’ operating conditions

Conditions opératoires de chaque site

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Les cuves sont en béton fibré (fibres en polyéthylène), avec un volume utile du système de traitement de 6 000 L pour le site A et 5 400 L pour les autres sites. La hauteur de milieu filtrant est fixée à 80 cm. Le suivi a été réalisé de façon périodique, avec une campagne de prélèvements mensuelle. Les prélèvements en sortie du biofiltre sont réalisés à raison d’un prélèvement moyen sur 24 h. Les teneurs moyennes en DCO, MES et DBO5 observées dans la littérature (CHABAUD, 2007) pour les eaux usées prétraitées (EUPT), eaux issues du prétraitement des filières d’ANC, sont utilisées comme valeurs théoriques de référence en entrée du biofiltre pour calculer les taux d’abattement.

3. Résultats et discussion

3.1 Étude pilote en laboratoire

L'évolution des différents paramètres suivis pendant plus de 35 semaines d'opération ininterrompue est présentée à la figure 3.

Figure 3

Paramètres environnementaux de l’eau en sortie des pilotes

Environmental parameters of the pilots’ outlet water

a

demande biochimique en oxygène en cinq jours (DBO5)

biochemical oxygen demand at five days (BOD5)

demande biochimique en oxygène en cinq jours (DBO5)

b

matières en suspension (MES)

total suspended solids (TSS)

matières en suspension (MES)

c

demande chimique en oxygène (DCO)

chemical oxygen demand (COD)

demande chimique en oxygène (DCO)

d

pH

pH

pH

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Pour faciliter les comparaisons entre pilotes, le numéro de la semaine correspond au temps qui s’est écoulé à partir de la mise en service du pilote. L’étude a commencé à la dixième semaine, temps préconisé pour l’établissement de la biomasse épuratrice. La période comprise entre les semaines 24 et 28 correspond à la fermeture estivale du laboratoire. Les pilotes ont été maintenus en fonctionnement habituel, en continu, avec une surveillance régulière, mais aucune analyse n’a été réalisée. D’après la législation française (MEEDDM, 2009), les seuils des deux paramètres réglementaires en sortie de système sont de 30 mg·L‑1 pour les MES et de 35 mg O2·L‑1 pour la DBO5. Ces paramètres sont stables tout en étant très inférieurs au seuil imposé (Figures 3a, 3b). L’évolution de l’épuration de la DCO est lente mais constante (Figure 3c), sans que cela n’ait une influence importante sur la DBO5. Ce phénomène est retrouvé aussi dans les filtres à coco (EPNAC, 2014), où un relargage de tanins est associé à des concentrations en DCO plus élevées en sortie de station (rendements autour de 60 %), mais sans effet sur la DBO5. L’évolution du pH souligne que les pilotes chènevotte sur grignons d’olives ont tendance à présenter un pH neutre, tandis que l’eau de sortie du pilote copeaux de coco est plutôt acide (Figure 3d). L’ensemble des pilotes montre un rendement d’élimination moyen de MES supérieur à 90 % et une réduction en DBO5 de plus de 96 %; en termes d’épuration, les pilotes chènevotte sur grignons d’olives ont une capacité similaire à celle du pilote copeaux de coco.

L’ensemble de ces résultats indique d’une part que la mise en régime (développement de la biomasse épuratrice) est inférieure ou égale à dix semaines, d’autre part, les performances épuratoires conduisent à des valeurs des paramètres réglementaires inférieurs aux seuils, ce qui est de bon augure pour les expérimentations terrains.

3.2 Étude terrain

Les figures 4a, 4b et 4c montrent l’évolution de la DBO5, de MES et de la DCO respectivement, au cours de 600 jours de fonctionnement ininterrompu. Ces graphes sont tracés à partir de la date de mise en route des installations. Certains sites fonctionnent mieux que d'autres, notamment les sites B, C et E qui ont le meilleur démarrage. En réalité, au tout début des opérations, des problèmes techniques sont survenus sur ces trois sites : le biofiltre du site B a été alimenté pendant les premiers 90 jours par des eaux usées brutes (EUB). En effet, à cause d’un mauvais raccordement, les EUB ont été délivrées directement sur la surface du biofiltre sans passer en amont par la fosse toutes eaux (cuve en béton de 3 000 L). Cette erreur technique semble être à l’origine d’un démarrage plus rapide de l’activité de la flore bactérienne, comme si un ensemencement bactérien avait été bénéfique. Le biofiltre du site C, par un dysfonctionnement du système de pompage survenu à 120 jours, a été submergé de façon ponctuelle, mais intense par un volume important d’EUPT. Enfin, le biofiltre du site E, a été complètement immergé pendant les 30 premiers jours d’opération à cause d'une absence de pompage du poste de relevage situé en aval. La rapidité avec laquelle ces biofiltres ont développé une bonne performance épuratrice semble être liée à ces imprévus, qui dans tous les cas ont conduit à un mouillage rapide et global du massif filtrant.

Figure 4

Paramètres environnementaux de l’eau en sortie des prototypes terrain

Environmental parameters of the full scale prototypes’ outlet water

a

demande biochimique en oxygène en cinq jours (DBO5)

biochemical oxygen demand at five days (BOD5)

demande biochimique en oxygène en cinq jours (DBO5)

b

matières en suspension (MES)

total suspended solids (TSS)

matières en suspension (MES)

c

demande chimique en oxygène (DCO)

chemical oxygen demand (COD)

demande chimique en oxygène (DCO)

d

résultats du site A après trois ans de fonctionnement

site A results after three years of continuous operation

résultats du site A après trois ans de fonctionnement

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De plus, afin de permettre une meilleure répartition des eaux à la surface du biofiltre, une scarification a été réalisée autour des 300 jours (TALBOT et al., 1996). Ceci induit donc à une réoxygénation des filtres tout en restituant leurs pleines capacités d’infiltration. Les résultats de cette opération ont en particulier une répercussion dans le site D, où une amélioration de sa performance est remarquée.

Pour le site A, dans un premier temps les données sont disponibles jusqu’à 340 jours, puis, comme le montre la figure 4d, entre la troisième et quatrième année de fonctionnement. Ce dernier graphe permet ainsi de constater une efficacité remarquable à long terme. En effet, ce site qui fonctionne en continu depuis plus de quatre ans, montre des valeurs de DBO5 et de MES stationnaires et bien au-dessous des limites réglementaires. Le suivi de ce site permettra d’établir la longévité de ce milieu filtrant. De plus, pour la DCO, il présente des valeurs majoritairement entre 80 et 100 mg O2·L‑1, ce qui est conforme à ce qui est attendu pour ce type d’installation. En somme, les pourcentages moyens de réduction de la DCO, de la DBO5 et de MES pour ce site sont respectivement de plus de 83 %, 97 % et 96 %. Les rendements d’élimination moyens en MES pour les sites B, C et E sont de 82 %, 80 % et 79 % respectivement. Pour la DBO5, ce rendement est de 89 %, 87 % 89 %, pour les mêmes sites. Des rendements similaires ont été trouvés pour des filtres à sable et à copeaux de coco (OLIVEIRA CRUZ et al., 2013; EFFERT et al., 1984).

La figure 5 propose une synthèse des résultats de la figure 4, de façon à comparer la durée nécessaire par chacun des sites pour arriver aux valeurs cibles en fonction des conditions initiales; tout en tenant compte des différents problèmes techniques et/ou modifications mécaniques survenus.

Figure 5

Récapitulatif de l’étude terrain

Summary of the field study

Récapitulatif de l’étude terrain

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Comme dit précédemment, les sites B, C et E, qui ont subi une immersion accidentelle, semblent avoir une dynamique de mise en régime plus rapide, et ce d’autant plus avec la répartition 80:20. Par contre, aucun lien évident ne peut pas être établi entre les performances et la présence de tubes avec ou sans aération, pas plus qu’avec les proportions envisagées de hauteur de matériaux ou le nombre d’habitants. Une faible hauteur de la couche de support pour une hauteur majeure de la couche active sera donc à privilégier.

Une différence importante est aperçue lorsqu’on compare les résultats obtenus dans l’étude pilote avec ceux obtenus dans l’étude terrain. En effet, le temps de mise en régime est supérieur dans l’étude terrain, ceci est surement lié à la variabilité de la qualité des eaux usées domestiques d’entrée, que ce soit entre les différentes installations ou au sein d’une même installation au cours du temps.

4. Conclusions

Vu la qualité des eaux traitées et les valeurs obtenues pour les paramètres réglementaires à l’issue des campagnes d’expérience terrain d’environ 600 jours, le milieu chènevotte sur grignons d'olives, dans des installations telles que dimensionnées, se présente comme une alternative originale et fiable aux copeaux de coco. La distribution 80:20 permet une performance correcte tout en utilisant moins de grignons d’olives.

En outre, il semble qu'un mouillage initial du biofiltre avec des eaux usées ou prétraitées pourrait permettre un démarrage plus rapide du processus d’épuration.