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Depuis le début des années 1990, les dix provinces canadiennes – et non plus exclusivement le Québec – sont graduellement devenues actives en matière d’immigration et d’intégration (voir par exemple Biles et al., 2011). De passives, les provinces en sont venues à jouer le rôle d’« acteurs institutionnels » (Pierson, 1995) dans la gouvernance de l’immigration et de l’intégration au Canada (Paquet, 2014). Elles détiennent des pouvoirs considérables – bien que différents – en matière de sélection des immigrants (Lewis, 2010 ; Baglay, 2012 ; Dobrowolsky, 2013, entre autres)[2]. Elles conçoivent et mettent en oeuvre des politiques pour faciliter l’établissement et l’intégration des nouveaux arrivants (voir par exemple : Leo et August, 2009 ; Brochu, 2011). Les provinces sont aussi très impliquées dans des activités de promotion qui visent à se faire connaître comme destination pour les immigrants pensant à s’établir au pays (par exemple : Belkhodja et Traisnel, 2011). À l’échelle de l’ensemble du Canada, l’immigration est devenue un sujet d’importance dans les relations intergouvernementales, au même titre que le développement de la main-d’oeuvre et les ressources naturelles (voir par exemple Biles, 2008).

Bien que l’immigration soit une compétence formellement partagée (article 95 de la Loi constitutionnelle de 1867), elle ne représentait pas historiquement un domaine d’action pour les provinces canadiennes, à l’exception du Québec d’après la Révolution tranquille (Vineberg, 1987 ; Hawkins, 1988 : 177-230 ; Garcea, 1994 ; Biles, 2008 : 150-151)[3]. Cet état de fait convenait alors parfaitement au gouvernement fédéral, qui préférait exercer une quasi-dominance en la matière en lien avec ses activités d’édification nationale suivant la Seconde Guerre mondiale (Vineberg, 2011). En ce sens, le développement d’une mobilisation et de politiques liées à l’immigration dans l’ensemble des provinces à partir des années 1990 représente un changement considérable des pratiques ayant jusqu’alors caractérisé la gouvernance de l’immigration et de l’intégration au Canada.

Expliquer la croissance de l’activité en immigration des dix provinces depuis les années 1990 pose un défi considérable, et ce, à deux égards. Dans un premier temps, cette croissance ne peut pas être expliquée facilement par les théories sur les politiques publiques d’immigration. Les facteurs qui sont le plus souvent mis de l’avant pour expliquer la mobilisation des entités fédérées en matière d’immigration – présence de partis politiques ou de mouvements sociaux anti-immigrants, conflits avec le gouvernement fédéral en matière d’administration de la politique nationale ou encore arrivée non contrôlée et rapide d’une grande population d’immigrants sur un territoire donné – ne sont pas présents au Canada. Dans un second temps, cette croissance ne s’explique pas bien par le biais des écrits sur les politiques publiques provinciales et sur le fédéralisme au Canada. En effet, elle n’est pas le résultat d’un retrait complet du gouvernement fédéral de ces domaines de politique ou encore le résultat de mouvements nationalistes ayant des visées de préservation culturelle dans les dix provinces canadiennes. Qui plus est, cette croissance ne peut pas être attribuée à une « culture provinciale » particulière, ni à une dynamique partagée liée aux cycles électoraux ou budgétaires.

Le présent article a comme objectif d’expliquer la croissance des activités provinciales en immigration depuis 1990, en réhabilitant ce qui est probablement le concept le plus galvaudé, mais aussi le plus critiqué en politique canadienne : la construction provinciale. La notion de construction provinciale est, selon nous, une lentille porteuse pour l’étude de la politique provinciale et du fédéralisme au Canada, à condition d’éviter l’étirement conceptuel et de réfléchir à son statut épistémologique. Dans le but de revitaliser la construction provinciale comme outil pour l’étude des politiques et de la politique provinciale, nous soutenons qu’il convient de la traiter comme un mécanisme social, un outil pour analyser des processus politiques et pour soutenir le développement théorique. Ce raffinement de la notion permet de rendre compte de la diversité dans les trajectoires de construction provinciale, de mieux comprendre son fonctionnement interne et de limiter sa charge normative.

Afin de démontrer l’apport heuristique du repositionnement mécanistique du concept de construction provinciale, nous présentons dans cet article une analyse empirique de la croissance de l’intérêt et de l’activité du gouvernement manitobain en matière d’immigration à partir des années 1990. Nous montrerons que ce développement – dans une province où l’immigration demeurait un domaine d’intervention contesté et où les flux migratoires post-1945 ne justifiaient pas, a priori, d’action publique provinciale – s’explique par l’enclenchement d’un mécanisme de construction provinciale centré sur l’immigration comme ressource à partir des années 1990.

Après un retour sur la notion de construction provinciale, nous proposerons un déplacement épistémologique permettant de la concevoir comme un mécanisme social et mettrons de l’avant les implications analytiques de ce mouvement. Dans un deuxième temps, nous décrirons et contextualiserons une itération empirique du mécanisme de construction provinciale : la construction provinciale centrée sur l’immigration. Dans un troisième temps, nous illustrerons le fonctionnement du mécanisme de construction provinciale en immigration qui a cours au Manitoba depuis 1990.

Repenser la construction provinciale

La genèse de la notion de construction provinciale tient d’un désir d’expliquer la résilience des provinces comme communautés politiques et le développement des gouvernements provinciaux, malgré le processus de modernisation de l’État canadien, pourtant censé favoriser l’unification et la centralisation. Cette centralisation, on le supposait généralement à l’époque, aurait comme conséquence logique un gouvernement fédéral fort et des provinces de plus en plus désuètes (Black et Cairns, 1966). Concept analogue aux apports sur l’édification ou la construction étatique[4], la construction provinciale est toutefois une notion proprement canadienne. En tant qu’« image » commune aux analystes politiques canadiens (Young et al., 1984 : 783-784), elle a servi d’outil à partir des années 1960 pour témoigner d’un ensemble de processus se référant aux dynamiques fédérales canadiennes. À des fins de clarification, il est possible d’identifier deux variantes courantes de la construction provinciale : la variante ancrée dans une approche socio-institutionnelle et la variante ancrée dans une approche d’économie politique.

La première, relevée par Black et Cairns (1966), et reprise ailleurs, réfère aux processus d’édification des entités fédérées du Canada en tant que sociétés politiques provinciales. Alors que ces entités ne reposent pas toutes sur une fondation sociologique claire, on assiste historiquement au Canada à des processus d’édification provinciale (Cairns, 1977). Ces processus et leurs conséquences matérielles créent les assises des sociétés provinciales contemporaines. La construction provinciale est portée, tout d’abord, par l’émergence d’une élite provinciale qui considère que ses intérêts sont mieux servis par les institutions à l’échelle provinciale plutôt que celles à l’échelle fédérale. On assiste ensuite à l’établissement d’une administration publique provinciale qui répond aux besoins de cette élite. Ce faisant, se développent de nouvelles classes d’acteurs (dont les fonctionnaires). Cela renforce l’alignement des élites envers la province et le poids des acteurs en relation avec l’État provincial. Finalement, la construction provinciale est renforcée par la mise de l’avant d’efforts provinciaux concertés de planification et de gestion de l’économie ainsi que de la société. Ces efforts servent les intérêts de l’élite et démontrent l’apport ainsi que l’importance des institutions publiques provinciales pour la société. Cette version de la construction provinciale amène les analystes à se concentrer sur deux classes d’acteurs : l’élite politique et les fonctionnaires (Cairns, 1977 ; Chorney et Hansen, 1985). Toutes deux ont comme objectifs de légitimer leur présence, de maintenir leurs capacités et de chercher à élargir leurs pouvoirs et leurs domaines d’intervention.

Une seconde version de la notion se différencie par le rôle central attribué à l’élite économique, groupe d’acteurs propulsant l’activation de la construction provinciale. Garth Stevenson (1979 ; 1980) définit la construction provinciale comme le processus de développement d’un État et l’instauration d’activités publiques provinciales devant servir les intérêts d’une élite économique (1979 : 79-104). Janine Brodie (1990 : 190-200) ainsi que John Richards et Larry Pratt (1979) – pour ne nommer que ceux-là – opinent dans le même sens, en soulignant le rôle important joué par les ressources naturelles et les rentes qui leur sont liées dans la mise en place d’économies provinciales autonomes. Dans la pratique, la construction provinciale réfère ici à l’intervention provinciale dans l’économie, au développement des administrations publiques, à l’investissement dans les infrastructures et, plus tard, à la gestion de la force de travail provinciale (Stevenson[5], 1980 : 266, 1979 ; Brodie, 1990 : 191-192). Pour tous ces auteurs, la construction provinciale est mobilisée en tant qu’explication du régionalisme au Canada et présentée comme renforçant la différentiation des économies provinciales.

Ces deux variantes de la construction provinciale ne sont pas des construits aux frontières étanches[6]. Elles se distinguent toutefois par leur accent temporel : la construction provinciale socio-institutionnelle s’ancrant dans une perspective développementale de l’État provincial et la variante économique répondant à la fois du développement, de l’activité et des transformations de l’État provincial dans le temps. Malgré les différences, trois similitudes importantes transparaissent des deux variantes. Premièrement, le fait que la construction provinciale est un processus élitiste et non le résultat d’une mobilisation sociétale (par exemple : Elkins et Simeon, 1980 : 305 ; Chorney et Hansen, 1985). Deuxièmement, l’idée selon laquelle la construction provinciale est une dynamique au caractère auto-renforçant, en grande partie en raison du rôle crucial joué par les institutions politiques et, en particulier, celui des administrations publiques (par exemple, Cairns, 1977). Troisièmement, la construction provinciale est affectée par les dynamiques en cours au sein de la société politique canadienne (voir entre autres : Black et Cairns, 1966 ; Stevenson, 1979 ; 1980 ; Brodie, 1990). Des analystes ont notamment identifié des changements considérables à l’échelle des contextes provinciaux (économies, populations, etc.) (Stevenson, 1980) et dans les activités du gouvernement fédéral comme étant la toile de fond de l’activation de la construction provinciale (Black et Cairns, 1966 : 35-36). Face à ces mouvements, l’État provincial se trouve en position de devoir répondre à de nouveaux besoins, ce qui renforce la tendance générale à accroître l’importance des compétences provinciales. Ces pressions nourrissent aussi la propension générale des élites politiques provinciales à vouloir légitimer et faire croître un État au service d’une société provinciale (Cairns, 1977 : 705). Face à cela, on assiste à un repositionnement de l’État provincial qui, dans certains cas, s’effectue par le biais d’une période de construction provinciale. En réponse à la mobilisation provinciale et en fonction des efforts parallèles de repositionnement du gouvernement fédéral, apparaissent parfois compétition ou conflit. Ces tensions ne sont toutefois pas les résultats inéluctables de cette dynamique ; à différentes époques de l’histoire canadienne, les résultats sont apparus sous des formes différentes (Elkins et Simeon, 1980 : 295-298).

L’expansion de la notion de construction provinciale et ses critiques

Mis de l’avant dans les années 1960, le concept de construction provinciale a été ensuite utilisé de multiples façons (entre autres auteurs : Elkins et Simeon, 1980 ; McMillan et Norrie, 1980 ; Chorney et Hansen, 1985 ; Tomblin, 1990 ; Cairns, 1992 ; Marland, 2010). L’expression perd toutefois de sa popularité suivant la publication, en 1984, de l’article « The Concept of Province-building : A Critique ». Robert Young, Philippe Faucher et André Blais y présentent la construction provinciale comme le raccourci utilisé par les politologues canadiens pour rendre compte à la fois des activités des gouvernements provinciaux ainsi que des causes de l’attitude conflictuelle des provinces envers le gouvernement fédéral. Cette « fécondité » a amené ces auteurs à critiquer, d’un point de vue positiviste, la surenchère dans l’usage de la notion et à démontrer l’absence de preuves empiriques soutenant les arguments de la littérature évoquant alors la construction provinciale.

Bien qu’il soit possible de remettre en question les ambitions épistémologiques de ces auteurs, trois de leurs critiques analytiques méritent d’être prises au sérieux. Dans un premier temps, ils décrient l’étirement conceptuel de la notion et les problèmes qui y sont rattachés. En soulignant son caractère évocateur dans le contexte de l’étude de la vie politique canadienne, les auteurs mentionnent le fait que l’utilisation de la notion de construction provinciale s’effectue souvent avec une économie de définition (Young et al., 1984 : 784). Cela a comme effet d’amalgamer un ensemble de processus et de manifestations empiriques sous l’ombrelle de la construction provinciale, comme raccourci équivoque. Dans un second temps, Young et ses collègues critiquent le biais de la littérature qui tend à présenter la construction provinciale comme un processus global et homogène, affectant de la même manière l’ensemble des provinces (ibid. : 780-786). Alors que les données empiriques révisées ne permettent pas de soutenir cette proposition, les auteurs soulignent également que l’utilisation du concept obscurcit les variations entre les provinces ainsi qu’entre les domaines de politiques. Dans un troisième temps, ils mettent de l’avant qu’il existe une tension dans la littérature entre l’opération de la construction provinciale et les résultats qui lui sont attribués. Alors que les analystes se concentrent sur la documentation des indications empiriques de ce qui est conçu comme des résultats de la construction provinciale (dont la croissance des dépenses des provinces), la multiplication des utilisations du concept laisse toutefois en place un angle mort crucial : les causes et surtout le fonctionnement de la construction provinciale (ibid. : 815).

Afin de revitaliser la notion de construction provinciale, nous considérons que ces critiques doivent être prises au sérieux. En particulier, devant l’impossibilité de documenter de façon scientifiquement consensuelle la croissance générale de la taille des gouvernements provinciaux et de leurs activités, l’utilisation de la notion devrait se faire en faveur de l’analyse des forces qui animent la politique provinciale et les relations intergouvernementales. La construction provinciale devrait alors aider à traduire des dynamiques de mobilisation interne au sein des provinces, ainsi que leurs impacts externes. Pour ce faire, plutôt que d’abandonner le concept, nous proposons de le repositionner en tant que mécanisme social. Ce faisant, il devient possible d’apporter des réponses aux trois critiques analytiques de Young, Faucher et Blais et, notamment, de commencer à mieux comprendre le fonctionnement de la construction provinciale.

La construction provinciale comme mécanisme

La méthode d’analyse que nous proposons s’ancre dans une conception épistémologique qui peut être qualifiée d’approche de la causalité par les mécanismes, ressortant de la sociologie historique et de l’institutionnalisme. Distincte d’une « approche par variables », elle vise à identifier les mécanismes actifs dans un processus donné et à rendre compte de leurs interactions. La logique de l’explication repose donc sur l’absence ou la présence d’un mécanisme – plutôt que sur la gradation d’une variable ainsi que sur ses potentielles corrélations avec d’autres variables – et sur ses relations avec d’autres mécanismes, dans le cadre d’un contexte donné (Mayntz, 2004 : 241 ; Ancelovici et Jenson, 2012 : 41). Dans ce cadre, les chercheurs visent à développer des explications et, plus largement, des apports théoriques basés sur l’identification de mécanismes et sur leur fonctionnement (George et Bennett, 2005 : 136, Falleti et Lynch, 2008 : 334).

Un mécanisme est en quelque sorte une roue d’engrenage qui unit un résultat observé avec une série de facteurs initiaux (Gerring, 2008 : 178). Spécifiquement, on peut le définir comme une modalité qui produit un effet par l’interaction d’une série d’étapes qui transmettent des forces causales (Beach et Pedersen, 2012 : 176). Un mécanisme est constitué de plusieurs composantes (acteurs et actions) représentant les étapes minimalement suffisantes pour soutenir sa présence (ibid. : 39). Par nature, les mécanismes doivent être donc conçus comme des éléments relationnels (Falleti et Lynch, 2009 : 1151-1152). Ils peuvent être actifs à différentes échelles et être activés à différents moments dans un même processus (ibid. : 1149 ; Grzymala-Busse, 2011 ; Ancelovici et Jenson, 2012 : 41).

La mobilisation de cette posture épistémologique a deux impacts pour la revitalisation de la notion de construction provinciale : la première est liée à la conception de la causalité interactionnelle et contextuelle qu’elle suppose et la seconde est liée à l’avancement des connaissances à propos des mécanismes.

D’abord, cette approche soutient qu’un résultat donné n’est pas inéluctablement le résultat de la présence et donc du fonctionnement d’un mécanisme. Ainsi, les mécanismes ne sont pas déterminants a priori (Falleti et Lynch, 2009 : 1151-1152). Il convient de plutôt les concevoir comme des éléments portables qui produisent un effet spécifique, en fonction d’un contexte donné et de l’interaction possible avec d’autres mécanismes. Face à cela, l’objectif de l’analyse devrait être de spécifier les éléments du contexte (temporel, politique, institutionnel) au sein duquel les mécanismes sont activés, tout comme d’identifier d’autres mécanismes potentiellement actifs (ibid. : 1152). Pour l’étude de la construction provinciale, cela implique donc de travailler à identifier la présence du mécanisme et à documenter ses effets dans différents contextes, sans pour autant assumer que ces effets seront toujours similaires (par exemple, une hausse des dépenses ou une croissance des conflits avec le gouvernement fédéral).

Ensuite, une telle approche dirige l’attention des analystes vers le fonctionnement des mécanismes plutôt que vers les résultats qui peuvent en être inférés. À l’échelle de l’avancement des connaissances, cela implique une attention particulière quant à l’accumulation d’informations sur les étapes composant un mécanisme, afin d’identifier inductivement des régularités (Hedström et Ylikoski, 2010 : 51). À l’aide de la méthodologie appropriée – en particulier les méthodes de retraçage de processus ainsi que l’analyse comparée –, il devient possible de détecter les manifestations empiriques d’un mécanisme et notamment ses composantes minimalement suffisantes (Beach et Pedersen, 2012 : 16-18 et 29-44). En documentant et en analysant diverses instances de fonctionnement de la construction provinciale, l’analyse par mécanisme permettra d’identifier des régularités dans la mobilisation interne des provinces (par exemple type d’acteurs inclus ou institutions concernées) plutôt que de chercher des récurrences par rapport aux résultats qui en découlent. En ce sens, l’approche mécanistique permet de définir avec le plus de précision possible le déroulement de la construction provinciale.

Nous proposons ainsi de repositionner épistémologiquement la construction provinciale comme un mécanisme transformateur général. Le mécanisme de construction provinciale correspond ici à une mobilisation de l’élite centrée sur létablissement de stratégies visant le développement de la société provinciale (État, administration publique, économie et population). Cette définition n’implique pas de supposition quant aux résultats générés par le mécanisme, mais amène plutôt les analystes à se concentrer sur les dynamiques internes associées à la construction provinciale.

La construction provinciale centrée sur l’immigration

Nous appuyant sur cette définition de travail, nous pouvons soutenir que la construction provinciale est le mécanisme par lequel les provinces ont émergé en tant qu’acteurs institutionnels dans la gouvernance de l’immigration et de l’intégration au Canada, et cela depuis le début des années 1990. Contrairement à ses itérations précédentes, cette activité du mécanisme de construction provinciale est centrée sur une identification de l’immigration comme ressource pour la société provinciale. Au lieu qu’elle soit basée, comme ce fut le cas par le passé, sur un objectif de contrôle et d’exploitation des ressources naturelles, ce sont plutôt les immigrants – en tant que sources de capital humain, de capital démographique et, dans une moindre mesure, de capital économique –, qui sont les objets de la mobilisation visant le développement de la société provinciale. La construction provinciale centrée sur l’immigration est soutenue par la nécessité, aux yeux de l’élite provinciale, de maintenir une population provinciale viable ainsi que par l’objectif d’entretenir une force de travail capable de répondre aux besoins spécifiques des économies provinciales spécifiques[7].

Le mécanisme suppose donc une mobilisation de l’élite souhaitant s’assurer du développement et de la survie de la société provinciale ainsi que de la légitimation de l’État provincial. Cela s’effectue par le biais d’interventions étatiques et par le biais de l’acquisition de pouvoirs dans les domaines liés à l’immigration. En 2006 le premier ministre de l’Alberta Ed Stelmach (Parti conservateur, 2006-2011) illustrait cette nouvelle conception du rôle de l’immigration pour sa province en déclarant à l’Assemblée législative : « Another important area, Mr. Speaker, is gaining control of the tools to manage immigration policy. It could be as fundamental to Alberta’s future prosperity as the affirmation in 1929 of constitutional jurisdiction over natural resources has been to our present prosperity » (Assemblée législative de l’Alberta, 2006). L’activation du mécanisme de construction provinciale en immigration a donc signalé l’émergence d’un nouveau rôle pour les provinces au Canada à compter des années 1990 : l’édification de leur population, en tant que personnes et en tant que travailleurs.

Diverses itérations de ce mécanisme peuvent être observées de 1990 à 2010 dans les dix provinces. Toutefois, cette présence à l’échelle de l’ensemble du Canada ne permet pas de soutenir l’existence d’un mouvement homogène : la construction provinciale est hautement diversifiée, tant en ce qui a trait à ses conditions de départ qu’aux résultats qu’elle génère. Cela se traduit, en pratique, par des politiques publiques provinciales liées à l’immigration et à l’intégration différentes ainsi qu’à des stratégies et des attitudes provinciales variées dans les relations intergouvernementales en la matière (Paquet, 2013). Néanmoins, la présence d’un mécanisme de construction provinciale centré sur l’immigration dans toutes les provinces – à des moments précis au cours d’une période de vingt ans – suggère que des changements institutionnels, politiques et économiques à l’échelle de la fédération canadienne ont eu un impact sur l’ensemble des provinces.

La mise en mouvement du mécanisme est fonction de modifications à l’échelle des contextes provinciaux (Stevenson, 1980), mais aussi dans le contexte plus large de la fédération canadienne au début des années 1990. Il faut ainsi chercher dans les modifications des conjonctures provinciales et dans le repositionnement de l’État fédéral les germes de l’identification, par les élites provinciales, de l’immigration en tant que ressource pour la société provinciale manitobaine. Cette émergence se déroule avec comme toile de fond des forces qui affectent l’ensemble du Canada : la mondialisation et la croissance de l’intégration continentale (Netherton, 2001 : 228), la fin de la transition des économies canadiennes vers les services et le savoir (Courchene, 2004), tout comme le vieillissement de la population. Ces pressions, en particulier la mondialisation et l’influence de l’idéologie néolibérale, ont comme conséquences de renforcer la relation historiquement utilitaire de l’État canadien envers l’immigration sélectionnée à des fins économiques (Green et Green, 1999 ; 2004 ; Abu-Laban et Gabriel, 2002 : 62) et la croissance d’un discours liant immigration et capital humain (Abu-Laban et Gabriel, 2002 : 79).

À l’échelle des provinces, cette toile de fond se conjugue avec deux éléments qui ont un impact considérable sur les façons d’agir traditionnelles de l’État provincial et sur ses capacités. D’une part, les États provinciaux doivent mettre de l’avant de nouveaux modes d’intervention à la suite de l’épuisement du paradigme keynésien. Face à des pressions néoconservatrices et néolibérales, les États provinciaux tentent tout de même de conserver une légitimité considérable par le maintien de liens avec la population et les acteurs économiques. D’autre part, le ralentissement économique des années 1990 envenime le mauvais état des finances publiques de l’ensemble des provinces canadiennes. Cette situation, en plus de propulser la mise en place de mesures d’austérité, a comme impact de limiter les modes de gouvernance et les politiques publiques typiques de plusieurs provinces canadiennes au cours de la décennie. De même, cette situation fiscale renforce l’influence de nouvelles idées de gouvernance politique et économique, avant tout post-keynésiennes, sur les élites provinciales. Ces deux dynamiques créent des pressions considérables pour un repositionnement de l’État provincial, qui se doit de trouver de nouvelles voies de légitimation dans un contexte changeant.

Au cours de la même période, l’État fédéral se repositionne et ses rôles se transforment en fonction de pressions idéologiques et structurelles similaires (Boismenu et Graefe, 2004). Trois éléments sont d’une importance particulière pour l’identification de l’immigration comme ressource pour toutes les provinces : 1) l’achèvement du retrait du gouvernement fédéral des modes d’intervention et de financement des politiques sociales mis en place à partir de 1945 (Banting, 2005) ; 2) la remise en question de la participation fédérale – puis dans plusieurs instances la dévolution – en matière de politique du marché de l’emploi à partir des années 1990 (Wood et Klassen, 2009) ; et 3) un repositionnement de l’État fédéral en matière de support et de développement de l’économie canadienne. Ces éléments s’ajoutent à l’offre faite aux provinces, au cours de l’exercice de révision des programmes et des dépenses fédérales, de leur transférer les responsabilités concernant l’établissement des immigrants (Vineberg, 2012).

Les pressions pour la réinvention de l’État provincial sont donc renforcées par le repositionnement de l’État fédéral et les modifications plus générales à la toile de fond affectant l’ensemble du Canada dans les années 1990. Ce contexte interactif changeant requiert que les provinces travaillent au maintien et à la réinvention des bases économiques et démographiques qui justifient leur existence. C’est dans le cadre de ces changements que l’immigration émerge comme une ressource centrale permettant aux provinces d’atteindre ces objectifs et que s’active le mécanisme de construction provinciale à l’échelle du Canada (Paquet, 2014).

Observer le mécanisme de construction provinciale

Les impacts de ces facteurs généraux ont été ressentis de différentes façons dans chacune des dix provinces. Afin de mieux comprendre comment s’active et fonctionne le mécanisme de construction provinciale, cet article est basé sur dix études de cas inductives sur les trajectoires de chacun des gouvernements provinciaux en matière d’immigration et d’intégration entre 1990 et 2010 (Paquet, 2013). Mobilisant une méthode de retraçage de processus axé sur le développement théorique (Beach et Pedersen, 2012 : 16-18), cette recherche repose sur des données tirées d’analyses documentaires (publications des gouvernements provinciaux, journaux des débats [hansards] et travaux en assemblées législatives, archives personnelles et sources médiatiques) et d’entrevues d’élite semi-dirigées avec des fonctionnaires provinciaux et fédéraux ainsi qu’avec des acteurs politiques provinciaux (n = 71).

Retracer les trajectoires des dix provinces a rendu possible l’identification de similitudes considérables quant au mécanisme de construction provinciale, tout comme la constatation d’une variation structurée quant aux résultats qu’il produit. Les similitudes ressortant des études de cas sont en continuité avec les écrits fondateurs sur le concept, tout particulièrement en ce qui a trait à son caractère élitiste et à la présence de rétroactions positives en son sein. Ces régularités sont à la base de l’identification des composantes minimales attribuables au mécanisme de construction provinciale. En ce sens, suivant une analyse empirique de dix trajectoires provinciales s’échelonnant sur une période de vingt ans, il est possible de soutenir que le mécanisme de construction provinciale se déroule par la mise en mouvement de trois composantes interdépendantes, bien que distinctes.

Le mécanisme de construction provinciale

Le mécanisme de construction provinciale

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La première composante du mécanisme de construction provinciale est l’activation. Elle correspond à une mise à l’ordre du jour d’un problème ou d’un défi touchant directement la société provinciale ainsi que d’une ou de plusieurs solutions potentielles. L’activation est le fait de l’élite provinciale : gouvernements, politiciens, hauts fonctionnaires ou acteurs économiques. Elle peut être soutenue, selon les cas, par des pressions directes mais discrètes d’un groupe d’acteurs sur le gouvernement, par une alternance partisane, ou encore être le résultat d’une période de réflexion sociétale (audiences publiques, recherches officielles, etc.). En tant que première composante du mécanisme de construction provinciale, l’activation représente l’identification de la ressource centrale et la création des pressions pour une croissance des activités gouvernementales.

La seconde composante du mécanisme de construction provinciale est la consensualisation. Une fois la question bien en place à l’ordre du jour gouvernemental, les acteurs gouvernementaux mettent de l’avant une histoire causale particulière à propos du rôle de la ressource pour la société, ainsi qu’à propos des responsabilités de l’État et de la société par rapport à sa capitalisation. Ces idées sont projetées dans le discours officiel de la province pour être en même temps diffusées comme idées programmatiques pour l’administration publique et comme cadre pour les acteurs sociétaux. En tant que seconde étape de fonctionnement du mécanisme, l’établissement d’un consensus a comme conséquence de justifier une croissance et une réorientation des activités de l’État provincial. La consensualisation a aussi comme incidence de dissoudre les clivages partisans et sociétaux quant à la ressource et au rôle de l’État provincial dans le domaine.

L’institutionnalisation correspond à la troisième composante du mécanisme de construction provinciale. À cette étape, le gouvernement provincial met en place une administration publique responsable de la ressource, ainsi que des politiques publiques lui étant liées directement. Par ces actions, le gouvernement consolide le consensus provincial. Les politiques et les programmes établis durant cette composante « substantifient » des liens entre l’État et la société en ce qui a trait à la ressource. En ce sens, l’institutionnalisation instaure le caractère auto-reproductif du mécanisme de construction provinciale. D’un côté, la mise en place d’une administration publique crée une nouvelle élite bureaucratique souhaitant le maintien et l’expansion de ses pouvoirs. De l’autre, la mise en oeuvre de politiques publiques crée des liens plus directs entre l’État provincial, les acteurs actifs dans la prestation de services, ainsi que les bénéficiaires directs ou indirects de ces politiques.

L’activité de ces trois composantes nécessaires du mécanisme de construction provinciale aura des conséquences diverses, suivant la présence d’autres mécanismes et le contexte au sein duquel il opère. Dans le cas de la construction provinciale en immigration, nos recherches démontrent que l’activité du mécanisme a eu deux résultats : la mise en place d’approches provinciales particulières pour l’intervention en immigration et en intégration et le positionnement des gouvernements provinciaux comme acteurs institutionnels dans la gouvernance intergouvernementale de l’immigration et de l’intégration.

L’approche par mécanisme permet de répondre aux trois critiques substantives soulevées par Young et ses collègues (1984). Le développement d’une définition minimale et générique du mécanisme ouvre directement la porte tant à l’induction qu’à la comparaison dans une logique d’accumulation de savoir. En ce sens, elle permet de limiter l’étirement conceptuel au profit de l’identification des régularités en ce qui a trait au fonctionnement du mécanisme. Le caractère générique du mécanisme permet de rendre compte de la variété dans son fonctionnement et ne suppose pas, a priori, l’existence d’un mouvement global. De plus, le détachement effectué entre le mécanisme et ses résultats permet à l’analyste de se concentrer sur la tâche de comprendre le fonctionnement interne de la construction provinciale. Finalement, en repositionnant la construction provinciale en tant que mécanisme, il est possible de détacher la notion de tout postulat normatif sur les formes que devrait prendre la vie politique au Canada.

Le mécanisme de construction provinciale et l’immigration : le cas du Manitoba

Cette proposition théorique est illustrée à l’aide du cas du Manitoba. En effet, à partir des années 1990, le Manitoba prend une approche proactive et revendicatrice en matière d’immigration (Clement, 2003). Parmi les dix études de cas effectuées, le choix du cas manitobain est porté par le puzzle que représente la mobilisation interne et externe de la province envers l’immigration. Celle-ci ne peut pas être expliquée de façon fonctionnaliste, en tant que réaction à la présence d’une population importante de nouveaux arrivants sur son territoire (Money, 1997). En 1990, il est estimé que le Manitoba recevait 6637 immigrants permanents, ce qui ne représentait qu’environ 3 % de l’immigration permanente vers le Canada (Canada, 1990 : 15). De plus, la province était aux prises avec des problèmes de rétention de ces nouveaux arrivants. Par ailleurs, contrairement à d’autres cas de mobilisation d’entités fédérées en matière d’immigration – y compris au Canada –, l’activité du gouvernement manitobain ne s’explique pas par la présence d’un mouvement nationaliste ou de contestation des principes de base d’un modèle national. Face à cela, nous proposons plutôt que l’activité du mécanisme de construction provinciale est la clé manquante pour comprendre la mobilisation manitobaine en immigration à partir des années 1990.

Contexte provincial préalable

L’immigration ayant joué un rôle crucial dans la mise en place d’un État provincial au Manitoba[8] (Coates et McGuiness, 1987 : 31-32 ; 77-78, Carter et Amoyaw, 2011 : 166), la province a pendant longtemps été très active en la matière pour ensuite mettre ses interventions en dormance un peu avant la Seconde Guerre mondiale, au profit de la politique fédérale d’immigration (Coates et McGuiness, 1987 : 135-145, Wardhaugh, 2000 : 134-138, Carter et Amoyaw, 2011 : 169-170). À partir des années 1960, on assiste à une certaine mobilisation provinciale à l’égard de l’importance de recevoir une juste part (fair share) de l’immigration totale reçue par le pays (Hawkins, 1988 : 180-181 ; Vanstone, 1999 : 19). Celle-ci ne prend toutefois jamais une ampleur considérable, en raison d’un clivage partisan maintenu jusque dans les années 1990. Ce clivage opposait alors le Parti progressiste-conservateur du Manitoba – qui défendait la justesse des interventions provinciales en immigration – au Parti néo-démocrate du Manitoba – qui s’opposait à un rôle provincial et soutenait que l’immigration devait avant tout demeurer une responsabilité fédérale.

À la fin des années 1980, le gouvernement du Manitoba, alors dirigé depuis sept ans par le néo-démocrate Howard Pawley (1981-1988), est néanmoins minimalement actif en immigration (Manitoba, 1990) tout en continuant à soutenir une division assez stricte des responsabilités avec le gouvernement fédéral (Vanstone, 1999). Le retour des conservateurs au pouvoir en 1988 s’explique en grande partie par une série de politiques impopulaires auprès de l’électorat, un déficit croissant et une remise en question des stratégies de développement économique (Netherton, 2001 : 223), ainsi que des tensions internes au sein même du gouvernement néo-démocrate (Adam, 2008 : 49). Le premier mandat de Gary Filmon (1988-1990) est minoritaire et dominé par la politique constitutionnelle (ibid. : 49-50, Saunders, 2010 : 99).

Le gouvernement de Filmon sera réélu en 1990, cette fois avec une majorité. Ce nouveau mandat, qui s’étirera jusqu’en 1999, sera l’occasion d’une réorientation politique d’importance au Manitoba. Les années Filmon marquent le passage graduel d’une tradition manitobaine de « conservatisme keynésien » – caractérisé par le soutien de l’État pour la stimulation et le maintien de la croissance économique et la préservation de l’État providence – vers un modèle plutôt inspiré de la nouvelle droite (Netherton, 2001 : 225-227 ; Wesley, 2011 : 210). Aux prises avec une économie en mauvais état, des finances publiques en souffrance ainsi que des coupures de transferts fédéraux de plus en plus considérables (Adam, 2008 : 54), le gouvernement conservateur met en place de façon incrémentale des mesures d’austérité (Saunders, 2010 : 100). Les efforts du gouvernement de Filmon, couplés à une certaine reprise de la croissance économique, finiront par permettre à la province de reprendre le dessus en matière financière. En effet, en 1995, le gouvernement présente un surplus budgétaire pour la première fois en 22 ans (Netherton, 2001 : 227).

Le contexte provincial préalable est également tributaire des grands changements qui affectent l’ensemble de la fédération, tel que décrit précédemment (par exemple repositionnement de l’État fédéral). La position de plus en plus revendicatrice du Manitoba à l’égard du gouvernement fédéral face aux diminutions des transferts fédéraux à partir des années 1990 est notable (Thomas, 2010 : 278-279). Le mécontentement grandissant de la province quant aux nouvelles dynamiques de partage des ressources et des responsabilités dans la fédération s’ajoute à des contentieux liés plus directement à la gouvernance de l’immigration. Dans un premier temps, ces tensions se cristallisent autour de l’insatisfaction de la province face aux politiques d’immigration du gouvernement fédéral. À cet égard, trois éléments sont à souligner : 1) l’impact des changements de politiques de sélection entamés sous Brian Mulroney et consolidés sous Jean Chrétien qui furent, aux yeux de toutes les provinces, une source croissante de désalignement entre des flux migratoires en augmentation et les besoins de leurs économies en matière de main-d’oeuvre (Hiebert, 2006) ; 2) la frustration grandissante et plus spécifique du Manitoba quant à la répartition des nouveaux arrivants entre les provinces et en particulier quant au nombre d’immigrants dirigés vers son territoire ; 3) les modifications apportées aux programmes fédéraux d’immigrants investisseurs qui, dès 1998, rendirent plus difficile l’accès au capital immigrant pour l’ensemble des États provinciaux (Ley, 2003) et qui limitèrent les revenus de la province. Dans un deuxième temps, on assiste à l’échelle de toutes les provinces – et très tôt au Manitoba – à une montée en puissance des angoisses démographiques. Ces angoisses, renforcées suivant la publication des résultats des recensements de 1996 et de 2001, propulsent les discours sur le vieillissement de la population, l’exode des travailleurs et la dénatalité (Abu-Laban et Garber, 2005).

L’ensemble de ces éléments, formant le contexte préalable, aura comme conséquences non seulement la mise en branle d’une décennie de repositionnement idéologique de tous les partis de la province (Saunders, 2010 : 103-110 ; Wiseman, 2010 : 88), mais aussi l’enclenchement d’un mécanisme de construction provinciale centré sur l’immigration au Manitoba.

Activation

L’élection du gouvernement de Gary Filmon en 1988 représente un moment décisif qui remettra l’immigration à l’ordre du jour gouvernemental et sociétal au Manitoba. C’est en particulier lors du second mandat du gouvernement conservateur, à partir de 1990, que le mécanisme de construction provincial en immigration s’activera. Celui-ci sera basé sur une nouvelle conception de l’immigration, où l’apport économique et démographique de celle-ci est conçu comme étant crucial au développement et à la survie du Manitoba.

Lors de son premier mandat, le gouvernement conservateur annonce déjà son intérêt pour l’immigration. Bien que ne figurant pas au premier plan du programme de Filmon, l’intervention gouvernementale en immigration est néanmoins mentionnée pour la première fois dans l’histoire de la province dans un discours du Trône manitobain en 1989 (Johnson, 1989). La forme d’une intervention provinciale en immigration est également l’objet de débats au sein de l’élite politique (Garcea, 1994 : 464-465). Ces développements illustrent le début d’un glissement progressif de la conception gouvernementale de l’immigration d’une question sociale et humanitaire vers une question plutôt économique.

La réélection pour un second mandat des conservateurs de Filmon en 1990 mettra définitivement l’immigration à l’ordre du jour de la province. En cours de campagne, Filmon s’engage à entamer des négociations avec le gouvernement fédéral pour conclure une entente bilatérale en immigration. Suivant cela, à l’occasion du discours du Trône d’octobre 1990, le gouvernement annonce la mise en place d’un nombre accru de mesures et de services adaptés pour les nouveaux arrivants. En décembre 1991, le gouvernement provincial va plus loin en annonçant clairement sa mobilisation auprès du gouvernement fédéral ainsi que l’importance de l’immigration comme ressource pour la province (Johnson, 1991).

Aux dires de plusieurs acteurs de l’époque, l’activation du mécanisme de construction provinciale s’explique en grande partie par l’intérêt de Gary Filmon et de son cabinet envers l’immigration. En entretien, un haut fonctionnaire de l’époque souligne en effet que le cabinet conservateur a montré de façon autonome un intérêt pour une intervention provinciale en immigration[9]. Alors directeur exécutif des questions d’emploi et d’immigration, Gerald Clément précise que le gouvernement de Filmon cherchait, dès son arrivée au pouvoir, à tirer parti de l’immigration comme source de croissance[10].

Cet engagement politique à poursuivre une politique provinciale plus active en immigration est renforcé par la reprise de la croissance économique dans la province à partir de la moitié des années 1990. Le regain de l’économie a comme effet de créer une demande importante pour des travailleurs qualifiés dans certaines industries spécifiques (notamment habillement et transformation alimentaire) et, plus largement, de mobiliser les acteurs économiques de la province envers l’immigration[11] (voir aussi : Dumont, 1995).

Entre 1990 et 1995, les pressions des communautés d’affaires, d’industries spécifiques ainsi que de communautés rurales en déclin se font de plus en plus sentir auprès du gouvernement provincial[12]. Cela renforce l’engagement politique des conservateurs envers une bonification des interventions provinciales en la matière et, surtout, augmente les pressions sur le gouvernement provincial pour la poursuite d’une entente en immigration avec le gouvernement fédéral. Un haut fonctionnaire manitobain résume ainsi la boucle :

All these stakeholders [came] to government saying : “We’ve got some ideas for the growth, we’ve got some ideas on how to address these growing labour market shortages, we’re not finding success through Service Canada’s labour market opinion process and we’re not receiving any intake from the federal immigration program… what can we do[13] ?”

De même, la reconfiguration idéologique ayant cours au moment de l’activation du mécanisme de construction provinciale a donné plus d’espace pour les revendications des acteurs économiques auprès du gouvernement provincial.

Le retour des conservateurs après sept années de gouvernance du Parti néo-démocrate explique donc en partie le déclenchement d’une réflexion sur l’immigration comme moteur de développement pour la province. Plutôt qu’une réponse à des pressions sociétales, l’activation de la construction provinciale est ici le fait de l’élite politique de la province. L’activation a comme effet de mettre à l’ordre du jour une série de problèmes – pénurie de main-d’oeuvre freinant la croissance économique et essoufflement démographique – à l’ordre du jour de la province, de faire jaillir l’immigration comme ressource pour la société provinciale et de mettre de l’avant qu’une intervention de l’État provincial est une solution aux défis du Manitoba.

Consensualisation

L’interaction de ces facteurs favorise l’émergence d’un nouveau consensus sociétal sur le rôle de l’immigration au Manitoba. Ce nouveau consensus repose sur la revendication, pour le Manitoba, des outils lui permettant de recevoir une juste part (fair share) du total de l’immigration canadienne, dans la mesure où il s’agit d’une ressource cruciale aux yeux de l’élite de la province. Dans ce cadre, l’immigration est présentée comme servant au développement de l’économie de la province, en lui fournissant des travailleurs et des investissements et en assurant la pérennité démographique du Manitoba. L’État provincial apparaît comme l’acteur central pour la capitalisation de cette ressource, par des efforts pour attirer davantage de nouveaux arrivants et favoriser leur intégration au marché de l’emploi et à la société (voir notamment : Assemblée législative du Manitoba, 1993).

Ce nouveau consensus s’établit en se diffusant auprès de l’ensemble des acteurs de la société dans les années 1990, bien au-delà de l’élite provinciale responsable de l’activation du mécanisme de construction provinciale. En effet, face à la croissance économique, on remarque que la politique fédérale ne sert pas la province et irait même jusqu’à lui nuire. Les coupables sont ici l’incapacité – ou, pour certains acteurs, le manque de volonté – du gouvernement fédéral d’assurer au Manitoba la réception d’un nombre assez important de nouveaux arrivants et les lacunes du programme fédéral des immigrants investisseurs pour répondre aux besoins de la province. Au fil du temps, ce diagnostic sera aussi partagé par les acteurs sociaux, politiques et communautaires, et ce, de manière encore plus importante lorsque s’ajouteront des coupures aux transferts provinciaux en immigration vers la province (Assemblée législative du Manitoba, 1994). Finalement, les anxiétés démographiques[14] auront tôt fait de rallier des acteurs moins intéressés traditionnellement à l’immigration : les communautés rurales[15]. Selon un haut fonctionnaire responsable du portfolio de l’immigration à la mi-1990, ces préoccupations étaient bien connues du cabinet de Filmon[16]. Cette mobilisation s’ajoutera à des inquiétudes plus générales de la classe politique manitobaine quant à l’essoufflement démographique et à la diminution de la population au Manitoba et à ses conséquences sur la place de la province au sein de la fédération canadienne.

De ce diagnostic émerge un consensus quant à l’importance d’un rôle provincial accru en immigration. Ce consensus, dès le début des années 1990, fait diminuer le clivage partisan à l’égard de la division des responsabilités souhaitée en matière d’immigration : le Parti néo-démocrate ne s’opposera pas au consensus et ira progressivement jusqu’à y souscrire entièrement. Comme le montreront les prochaines pages, il guidera l’augmentation des activités et des revendications de la province au cours les années à venir. Plus largement, le consensus émergeant au Manitoba sera institutionnalisé dans les années 1990 et continuera à animer le mode d’intervention de la province.

Institutionnalisation

À la suite de l’élection du gouvernement de Gary Filmon pour un second mandat en 1990, l’ensemble des services liés à l’immigration et à l’intégration des immigrants est centralisé dans un seul nouveau ministère (Vanstone, 1999 : 16 ; Clement, 2003 ; Leo et August, 2009 : 18). Une nouvelle division est créée en 1991 au sein du nouveau ministère de la Culture, du Patrimoine et de la Citoyenneté. Selon les documents officiels, cette décision vise avant tout à « enhance the visibility of immigration within the government and the general public » (Manitoba, 1992). En décrivant les changements, la ministre responsable de l’époque souligne que cette décision permettra également à la province de répondre plus adéquatement aux besoins – surtout liés à l’économie et au marché du travail – des nouveaux arrivants (Assemblée législative du Manitoba, 1992b ; Mitchelson, 1992a). Cette décision est bien reçue par l’opposition, qui néanmoins demande une augmentation encore plus substantielle des activités du gouvernement en immigration. Se trouvent ainsi regroupées les responsabilités de l’établissement des immigrants, de la formation des immigrants adultes, de l’enseignement des langues secondes aux nouveaux arrivants, de l’immigration d’affaires, de la reconnaissance des acquis, de la lutte au racisme et du développement des politiques (Manitoba, 1992 ; 1993 : 35 ; 1994 : 36 ; Assemblée législative du Manitoba, 1992a).

La première moitié des années 1990 représente également une période de croissance importante des activités provinciales en immigration et en intégration au Manitoba. En raison de l’enclenchement du mécanisme de construction provinciale en immigration, le gouvernement investit ressources et énergie pour sophistiquer et bonifier ses activités. Cette bonification est d’autant plus indicative qu’elle s’effectue dans le contexte d’une ère d’austérité provinciale, mais aussi fédérale.

En matière d’immigration, la province vise à augmenter le nombre d’immigrants reçus. À la suite de son retrait du programme fédéral d’immigrants investisseurs en raison d’irrégularités (Deloitte & Touche, 1992 ; Vanstone, 1999), le Manitoba augmente de façon importante, au cours de ces années, ses efforts de promotion en tant que destination pour les nouveaux arrivants, y compris par des visites promotionnelles (Manitoba, 1994 : 38), la production de matériel d’information, la mise en place de centres d’appels et par des activités de recherche tant de pays à cibler que de moyens de rétention (Manitoba, 1995 : 40). De plus, durant la même période, la province entame le développement d’une stratégie provinciale de recrutement et met en place un groupe de travail interdépartemental sur la promotion et le recrutement afin d’en assurer la mise en oeuvre (ibid. : 39). Finalement, tout au long de cette période, le gouvernement entreprend des consultations avec les acteurs provinciaux – y compris les régions éloignées et les communautés rurales – afin de discuter de l’avenir de l’immigration dans la province (ibid. : 39).

Dans le domaine de l’intégration, on note une bonification ainsi qu’une certaine réorientation des efforts provinciaux. En début de décennie et à la suite des consultations publiques, la province entame un virage vers la pluralisation de ses services aux citoyens (Manitoba, 1993 : 38). Cette politique se développe parallèlement à l’augmentation des initiatives de lutte contre le racisme mises en place durant cette période. La province est également active dans le développement d’une nouvelle approche pour la formation linguistique des nouveaux arrivants, en collaboration avec le gouvernement fédéral (ibid. : 38). De même, la province établit en 1992, au sein de l’administration publique, une Direction générale explicitement dédiée à l’intégration des nouveaux arrivants au marché de l’emploi. Celle-ci procure non seulement des services aux nouveaux arrivants (placement, reconnaissance des acquis), mais est aussi responsable de produire des données et des recommandations sur le marché de l’emploi de la province et ses besoins en matière d’immigration économique (voir : Manitoba, 1993 : 36)[17]. En plus de continuer à prodiguer ses programmes bien établis, l’administration provinciale commence à offrir du support direct aux immigrants dans le cadre de leurs relations avec le gouvernement fédéral et, en lien avec sa capacité croissante de développement de politiques ainsi que de recherche, elle conduit plusieurs études sur les besoins spécifiques de certains groupes d’immigrants (Manitoba, 1994 : 37, 1995 : 42).

Outre rendre l’action provinciale plus visible, l’institutionnalisation a comme effet de mettre en place une administration publique de taille considérable dédiée à l’immigration au Manitoba. La croissance des politiques et des programmes crée et renforce des liens avec les acteurs économiques, les organismes de prestation de services[18], ainsi qu’avec les bénéficiaires directs et indirects des programmes de la province. L’institutionnalisation signale finalement l’engagement du gouvernement à l’égard d’un rôle provincial plus substantiel en immigration et, de ce fait, indique hors de tout doute une consolidation du consensus.

Résultats

En plus de jeter les bases de l’approche spécifique du Manitoba – un mode d’intervention caractérisé par une intervention holiste qui lie les efforts de sélection intensifs à des politiques d’intégration sociale, linguistique et économique (Paquet, 2013) –, le mécanisme de construction provinciale en immigration a comme résultat de faire émerger la province comme un acteur institutionnel au sein de la gouvernance du régime canadien d’immigration. La croissance de l’intérêt de la province, le contenu du consensus central au mécanisme de construction provinciale et l’augmentation des capacités intergouvernementales, administratives et politiques issues de l’institutionnalisation rendent le Manitoba plus proactif et revendicateur en matière d’immigration.

Dès 1990, le gouvernement manitobain prend la décision d’augmenter ses revendications en matière d’immigration auprès du gouvernement fédéral pour la conclusion d’une entente bilatérale (Mitchelson, 1992b ; Manitoba, 1993 : 35 ; 1994 : 36) et pour tenter d’influencer la politique fédérale en sa faveur[19] (Manitoba, 1994 : 36). Malgré la signature d’un protocole d’entente le 28 octobre 1994 (Manitoba, 1995 : 39), la province continue de vouloir jouer un rôle plus important dans la gouvernance de l’immigration (Gilleshammer, 1995), suivant le consensus au centre du mécanisme de construction provincial selon lequel la province doit prendre en charge sa destinée en matière d’immigration. Ce désir, ainsi que l’existence de capacités administratives de plus en plus considérables, explique la réception positive de la part du Manitoba de l’offre fédérale de lui transférer l’administration des services d’établissement dans le cadre de l’exercice de révision des programmes de Citoyenneté et Immigration Canada, le « Renouveau de l’établissement » (Canada, 1994)[20]. À partir de 1998, la province sera donc entièrement responsable de l’administration et de la prestation des services d’établissement sur son territoire et le rôle fédéral se limitera à transférer les sommes à la province.

Le maintien de revendications provinciales au cours des années 1990, malgré une importante résistance fédérale[21], donnera finalement naissance au Programme des candidats de la province, développé entre 1994 et 1998. En conséquence, à partir de cette période, le Manitoba est en mesure de sélectionner de façon quasi directe un nombre grandissant de nouveaux arrivants qui souhaitent s’établir sur son territoire, permettant ainsi de faire augmenter les flux migratoires et de répondre aux besoins de son économie. La mise en oeuvre officielle de ce programme permettra au Manitoba de faire augmenter progressivement le nombre d’immigrants pour atteindre 15 809 personnes en 2010 (5,6 % de l’immigration totale vers le Canada) (Canada, 2011b). Cette croissance est directement attribuable aux efforts de la province : en 2010, près de 75 % des nouveaux arrivants au Manitoba ont été sélectionnés directement par la province dans le cadre du Programme des candidats de la province (Canada, 2010 ; 2011a)[22].

En l’espace de moins de dix ans, le Manitoba gagnera ainsi des pouvoirs et des ressources considérables en ce qui touche à l’immigration, ce qui rend réaliste la mise en place d’une approche « Made in Manitoba » souhaitée par l’élite. Le consensus central au mécanisme de construction provinciale manitobain, cristallisé par l’acquisition de pouvoirs et de ressources, est toujours en place aujourd’hui. L’élection d’un gouvernement néo-démocrate en 1999 n’aura pas comme effet de mettre un frein au fonctionnement du mécanisme de construction provinciale en immigration au Manitoba ou encore de réorienter le mode d’intervention holiste de la province[23]. Ce constat – surprenant si l’on s’en tient aux positions historiques du Parti néo-démocrate de la province en matière d’immigration – démontre la profondeur de l’engagement provincial envers une conception de l’immigration comme ressource pour le développement de la société manitobaine.

Conclusion

Cet article propose la revitalisation d’un outil analytique pour l’étude des politiques et de la politique provinciale : la construction provinciale, conçue comme mécanisme social transformateur général. En puisant dans les apports sur la causalité mécanistique, nous avons soutenu qu’il est possible de dépasser les écueils attribués au concept de construction provinciale – en premier lieu, ceux identifiés par Young, Faucher et Blais (1984) – et de révéler son potentiel heuristique. Nous proposons que le mécanisme de construction provinciale mobilise à la fois des acteurs, des idées et des institutions. En nous penchant sur son fonctionnement, nous avons identifié les trois étapes minimalement suffisantes du déroulement de ce mécanisme : l’activation, la consensualisation et l’institutionnalisation.

Nous soutenons que, par le biais de cette approche – en se concentrant sur le fonctionnement de la construction provinciale, et non sur les résultats lui étant généralement attribués (par exemple : conflits avec le gouvernement fédéral ou croissance générale de l’État) –, il devient possible faire de la construction provinciale un mécanisme portable dans le temps et dans l’espace qui peut être fécond pour l’étude de la politique provinciale et du fédéralisme canadien. La recherche présentée dans cet article s’est fortement concentrée sur le fonctionnement interne du mécanisme de construction provinciale, au détriment d’une analyse substantielle de ses interactions avec d’autres mécanismes. Ce faisant, elle a partiellement mis de côté l’influence dynamique du gouvernement fédéral sur le mécanisme de la construction provinciale à différents moments dans le temps, par exemple par le fonctionnement d’autres mécanismes tels que la décentralisation fiscale ou politique (Falleti, 2005). Toutefois, cette approche, compatible avec les apports théoriques issus de l’institutionnalisme et de la sociologie politique, permet de lier les processus politiques à l’échelle des provinces avec les changements de politiques et de stratégies à l’échelle fédérale, tout en reconnaissant l’« agencéité » des deux ordres de gouvernement (Paquet, 2014). Nous espérons que ce repositionnement épistémologue ouvrira la porte à une utilisation du concept pour l’analyse de la politique provinciale et des relations entre le gouvernement fédéral et les provinces dans d’autres domaines de politiques et au cours d’autres périodes de l’histoire canadienne.

Dans cet article, nous avons démontré l’utilité du mécanisme de construction provinciale comme lentille analytique en l’appliquant au puzzle de la croissance des activités gouvernementales en matière d’immigration depuis les années 1990. Nous avons illustré le potentiel heuristique de cette approche en retraçant le mécanisme de construction provinciale au Manitoba à partir de 1990. Notre analyse a fait ressortir comment, dans un contexte de repositionnement des États provinciaux et fédéral, l’élite provinciale en est venue à identifier l’immigration comme une ressource pour la société provinciale et comment, dans le temps, un consensus sur le rôle de l’État en est venu à se diffuser dans la province. Nous avons aussi montré comment, suivant ce consensus, la province en est venue à créer des institutions et à consacrer des ressources à des activités en immigration, et ce, même dans le contexte d’une période de contraintes budgétaires et d’austérité. Les résultats de ce mécanisme, dans le cas manitobain, ont été l’établissement d’une approche provinciale particulière et un positionnement de plus en plus revendicateur du gouvernement en matière de gouvernance du régime d’immigration canadien.

La trajectoire manitobaine, bien qu’idiosyncrasique en ce qui a trait aux acteurs impliqués, aux discours présents et aux détails des politiques provinciales développées, est néanmoins représentative de larges tendances qui ont traversé les neuf autres provinces canadiennes à partir des années 1990. Les dix études de cas qui sont la toile de fond de cet article montrent que les provinces canadiennes ont toutes, à leur façon et à des moments distincts entre 1990 et 2010, décidé de se saisir de l’immigration comme ressource pour la survie et le développement de leurs sociétés ainsi que de leurs économies. En réaction aux changements plus larges à l’échelle de la fédération et à l’échelle du monde, les provinces ont réagi par le biais d’une mobilisation interne. Le recours au concept de construction provinciale permet de comprendre les sources et les formes de ces réponses provinciales. Ancrer l’analyse de l’émergence des provinces comme acteurs institutionnels dans la gouvernance de l’immigration et de l’intégration dans une telle optique relationnelle permet de mieux comprendre les dynamiques qui façonneront l’avenir des réponses étatiques à l’immigration au Canada, à l’échelle tant des provinces que du gouvernement fédéral.