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Les petites et moyennes entreprises (PME) sont des acteurs clés de l’économie de l’Union Européenne (UE) au regard de leur contribution à la croissance et à l’innovation. Un des facteurs de développement et de pérennité de ces PME est de s’ouvrir à l’international. L’enquête réalisée en 2008 par l’Observatoire Européen des PME sur le thème de l’internationalisation des entreprises européennes nous apporte deux résultats intéressants. Le premier concerne le taux d’exportation qui est traditionnellement considéré comme un critère pertinent pour mesurer le degré d’internationalisation des entreprises (Pacitto, 2006). Moins d’une PME sur dix a réalisé des exportations au sein de l’UE. En effet, les PME de certains des plus grands pays de l’UE sont relativement peu intéressées par le commerce transfrontalier (l’Espagne, 3 %, la France 6 %, l’Italie 7 %). Le second constat concerne leur présence à l’international. Seulement 5 % des PME européennes ont déclarée avoir au moins une filiale ou une joint-venture à l’étranger. Il semble, par conséquent, que la grande majorité des PME n’atteignent que rarement ce stade avancé de l’internationalisation, se contentant clairement de simples stratégies d’exportation. Plusieurs obstacles à l’internationalisation sont fréquemment avancés par les praticiens et les chercheurs pour expliquer cette situation. Effectivement, le processus d’internationalisation requiert l’adaptation du modèle d’affaires de l’entreprise. Cette évolution stratégique demande l’acquisition de connaissances sur les nouveaux marchés visés et le déploiement de nouvelles ressources, notamment financières. Dans ce sens, Hollenstein (2005) avance que la volonté de s’ouvrir à l’international pour les PME est susceptible de conditionner leur accès aux différentes sources de financement. Les PME sont donc dépendantes, dans leur projet d’internationalisation, des apporteurs de capitaux, en particulier des établissements bancaires qui constituent, à la fois, les principaux pourvoyeurs de fonds et des interlocuteurs avisés en matière de gestion des risques internationaux (Beck et al., 2008a ).

Des travaux antérieurs, aussi bien théoriques (Chaney, 2005; Manova, 2012) qu’empiriques (Greeneway et al 2007; Bridges et Guariglia, 2008; Bellone et al. 2010; Silva, 2011; Minetti et Zhu, 2011), se sont intéressés à l’étude de la relation entre contraintes financières et exportation. Les conclusions de ces études paraissent assez mitigées. Une première catégorie d’études montre que les bénéfices liés à l’exportation permettent une réduction des contraintes financières supportées par les entreprises et leur facilite l’accès au financement. L’exportation agit comme un élément de réduction des risques par la diversification de la clientèle (Bridges et Guariglia, 2008). Elle envoie un signal positif en termes d’efficacité et de compétitivité qui se traduit par de meilleures performances financières. L’ouverture aux marchés internationaux est ainsi perçue comme un facteur réduisant l’asymétrie d’information (Ganesh-Kumar et al, 2001). A contrario, une seconde catégorie de travaux aboutit à des résultats opposés. A titre d’exemple, Chaney (2005) avance qu’une entreprise qui souhaite exporter fait face à d’importants coûts fixes associés. Ces coûts sont de nature à aggraver les difficultés d’accès aux ressources financières. Au final, seules les entreprises qui disposent de moyens financiers internes suffisants peuvent être en mesure d’exporter.

L’internationalisation des PME paraît donc comme une variable déterminante de l’accès aux crédits bancaires. C’est dans cette perspective que cet article se donne comme objectif d’étudier les relations entre l’accès au financement bancaire et un ensemble de variables économiques et financières d’un échantillon de 1895 observations de PME françaises sur la période allant de 2004 à 2008. Parmi ces relations, nous mettons spécifiquement l’accent sur le lien entre l’internationalisation des PME et leur accès aux crédits bancaires. Nous considérons, dans le cadre de ce travail, que la principale forme d’internationalisation pour les PME concerne l’activité d’exportation (Pacitto, 2006). En effet, il semble difficile pour ces entreprises de s’ouvrir aux marchés internationaux en considérant d’autres formes d’internationalisation (joint-venture, création de filiales à l’étranger, etc.) car elles ne disposent pas de suffisamment de ressources financières et humaines. Par conséquent, nous cherchons à analyser la relation entre le financement bancaire et l’activité exportatrice considérée comme estimateur de l’internationalisation des PME.

Notre travail contribue à la littérature existante dans ce domaine à deux égards principalement. Premièrement, il étend les travaux antérieurs au cas spécifique des PME dans un contexte européen, celui de la France. Deuxièmement, il approfondit l’analyse empirique de la question. Ainsi, il se focalise sur une ressource financière particulière : les crédits bancaires. Ce choix est fait parce que les établissements bancaires constituent la principale source de financement externe pour les PME (Beck et al, 2008a; Benkraiem et Gurau, 2011). La recherche déploie une méthodologie économétrique qui permet de tester directement la relation entre l’exportation et le financement bancaire et d’intégrer une série additionnelle de variables explicatives (taille, collatéral physique, performance, solvabilité, etc.).

L’analyse empirique met en évidence plusieurs résultats intéressants. En particulier, la taille et la tangibilité des actifs sont positivement reliées à l’endettement bancaire, ce qui montre l’importance des garanties présentées par les PME dans l’octroi du financement bancaire. En revanche, le ratio d’exportation est négativement relié à ce même type d’endettement, ce qui met en exergue les difficultés des PME à financer leur développement lorsqu’elles désirent s’ouvrir aux marchés internationaux.

La suite de ce papier comporte quatre sections. La section 2 présente le cadre théorique. La section 3 explicite la méthodologie déployée. La section 4 expose et discute les résultats obtenus et la section 5 tient lieu de conclusion.

Cadre théorique

Le financement bancaire des PME

Un des principaux rôles d’une banque commerciale consiste à accorder des crédits aux entreprises, notamment aux plus petites d’entre-elles, les PME. Différentes formes de ressources sont proposées par ces établissements de crédit en fonction de la nature et des caractéristiques en termes de risque, de rentabilité et de durée des projets d’investissement. Les crédits à long terme sont traditionnellement accordés pour financer des actifs immobilisés, alors que les crédits à court terme permettent de financer l’augmentation du besoin en fonds de roulement. Lorsque l’entreprise souffre d’un manque de trésorerie, la banque peut octroyer des concours bancaires courants à un taux d’intérêt plus élevé qui tient compte de l’augmentation du risque. Quelle que soit la maturité de la dette, la banque fixe un processus strict d’octroi des crédits bancaires fondé sur une collecte d’informations sur la nature de l’investissement, les perspectives commerciales et financières, le niveau du risque, etc. L’ensemble de ces informations comptables et financières doit permettre à l’établissement de crédit de juger la solvabilité de l’entreprise, c’est-à-dire sa capacité à honorer ses engagements. Par conséquent, la banque demande souvent aux dirigeants toute une série de documents traduisant l’activité passée, présente et future de l’entreprise (liasses fiscales, éléments hors bilan, perspectives financière, etc.) afin de réaliser une évaluation pertinente du couple rendement / risque du projet. Plusieurs auteurs tels que Beck et al. (2008a) et Benkraiem et Gurau (2011) soulignent la particularité et l’importance de ce type de financement dans la réduction de l’asymétrie d’informations entre les différentes parties. Les établissements bancaires, de par leurs ressources et moyens, ont la possibilité d’accéder aux informations internes des entreprises et de limiter, par conséquent, l’avantage informationnel des dirigeants. Ces arguments aident à mieux comprendre pourquoi les banques constituent un des principaux pourvoyeurs de fonds pour les PME. Néanmoins, dans les faits, même si les banques sont plus efficaces dans le contrôle que d’autres apporteurs de capitaux (par exemple, les investisseurs individuels), elles rencontrent des difficultés à mettre ce contrôle en application. Ainsi, elles peuvent être confrontées à un manque de transparence (Berger et Udell, 1998 et 2006; Cole et al. 2004), soit parce que le dirigeant ne souhaite pas révéler certaines informations, soit par méconnaissance ou manque de compétences (St-Pierre, 2004). En outre, il est difficile pour les pourvoyeurs de fonds d’obtenir des informations de qualité sur les perspectives commerciales et financières des PME car l’information n’est parfois pas auditée et certifiée, contrairement aux pratiques des grandes entreprises. Cette relation de crédit demeure entachée d’importantes asymétries d’informations. Les emprunteurs possèdent plus d’informations sur leurs propres entreprises que les créanciers. Cette situation génère un double risque : le risque d’aléa moral et le risque de sélection adverse. Le risque d’aléa moral se réalise suite au non-respect d’un co-contractant des engagements liés au contrat de prêt. Autrement dit, l’emprunteur ayant obtenu le crédit peut utiliser les fonds pour les allouer à des projets plus risqués afin d’obtenir une plus grande espérance de gain. Quant au risque de sélection adverse, il se manifeste lorsque l’ensemble des emprunteurs obtiennent des crédits aux mêmes conditions notamment de taux d’intérêt. Dans cette situation, seules les entreprises qui ont des caractéristiques défavorables vont accepter cette tarification du risque. Les autres entreprises refuseront de s’endetter car le coût du capital devient inacceptable. Ces deux composantes augmentent le risque de crédit et peuvent amener à la réduction de l’offre de financement aux PME.

Il existe plusieurs variables qui peuvent contribuer à la diminution de l’asymétrie d’informations. Beck et al. (2008b) ont montré que la disponibilité du collatéral est un des facteurs prépondérant dans le processus d’octroi du crédit. En effet, 75 % des 91 banques étudiées de 45 pays développés et en voie de développement, accordent une importance capitale à la présence d’actifs leur permettant d’établir des garanties physiques (biens tangibles). Les créanciers exigent alors des garanties qui se matérialisent principalement par des nantissements sur les actifs corporels de l’entreprise. Ces actifs pourront être cédés par les créanciers en cas de faillite de l’entreprise. Les créanciers sont sensibles à la composition des actifs de l’entreprise (tangibilité) qui permet d’augmenter la valeur de liquidation, de réduire l’aléa moral et donc l’exposition au risque (Steijvers et Voordeckers, 2009). La taille semble également constituer une bonne approximation de la capacité du préteur à se couvrir contre le risque de défaut de l’emprunteur. En outre, la taille constitue une approximation de la qualité d’informations détenues par les pourvoyeurs de fonds (Rajan et Zingales, 1995), ce qui corrobore l’hypothèse selon laquelle les asymétries d’informations sont plus importantes pour les PME que pour les grandes sociétés (Cleary, 2006; Beck et al. 2006). D’autres variables telles que la croissance, l’investissement, la liquidité ou encore la couverture des frais financiers peuvent être également utilisés par les banques pour apprécier la capacité de remboursement de l’entreprise (Benkraiem et Gurau, 2011). Au final, les banques semblent occuper une place importante dans le financement des PME, grâce à leur capacité et efficacité de contrôle. Néanmoins, la persistance d’importantes asymétries d’informations et la complexité dans les faits de la relation entre les entreprises et les banques, poussent ces dernières à sélectionner les PME en faisant attention à certaines de leurs caractéristiques, en particulier comptables et financières.

L’internationalisation des PME et l’accès au financement bancaire

L’activité exportatrice nécessite des financements spécifiques. Vendre à l’étranger oblige l’entreprise à recourir à des sources de financement supplémentaires, notamment pour couvrir la nouvelle organisation commerciale, les investissements en prospection, l’augmentation des capacités productives et donc des stocks ainsi que l’augmentation des créances clients. Cela demande des crédits à court terme associés à l’augmentation du besoin en fonds de roulement et des crédits long termes liés aux immobilisations. Au-delà des ressources financières classiques, l’ouverture aux marchés internationaux exige des garanties,. Ces garanties figurent souvent dans le contrat de vente international passé entre l’acheteur et l’exportateur. A cet égard, la banque semble être l’interlocuteur privilégié de l’entreprise. En plus d’apporter les fonds nécessaires au projet d’exportation, elle se porte garante du bon déroulement des opérations commerciales en s’engageant à verser à l’acheteur étranger un dédommagement en cas de défaillance de l’exportateur. Dans ce contexte international, on peut s’interroger sur la relation entre le financement bancaire et l’activité exportatrice considérée comme estimateur de l’internationalisation des PME. Les éléments de réponse apportés jusqu’à présent par la littérature théorique et empirique relative à l’activité exportatrice et l’accès aux ressources financières ne semblent pas unanimes.

Une première catégorie de travaux tend à montrer que l’exportation réduit les contraintes financières supportées par les entreprises et facilite l’accès au financement bancaire. A ce niveau, deux principales explications sont généralement avancées. D’abord, l’exportation réduit les risques par la diversification de la clientèle. Ensuite, l’exportation envoie un signal positif en termes d’efficacité et de compétitivité censé se traduire par de meilleures performances financières (Ganesh-Kumar et al 2001). Sur le plan empirique, Campa et Shaver (2002) ont étudié la relation entre la capacité d’exporter et les contraintes financières. Leur analyse a porté sur un échantillon d’entreprises manufacturières espagnoles. Cet échantillon a été décomposé en deux groupes en fonction de l’existence ou non d’une activité d’exportation pour les entreprises étudiées. Leurs résultats montrent que le groupe d’entreprises non exportatrices fait face à des contraintes financières plus sévères. Plus récemment, Greeneway et al. (2007) trouvent que les entreprises exportatrices anglaises bénéficient d’un avantage comparatif en termes d’accès aux ressources financières par rapport aux entreprises non exportatrices. Dans ce même sens, Bridges et Guariglia (2008) précisent, pour leur part, que l’internationalisation des entreprises permet d’amoindrir le coût des contraintes financières. Les entreprises qui exportent paraissent disposer de plus de facilité à se financer. Ainsi, l’exportation permet une diminution de l’asymétrie d’informations entre apporteurs de capitaux et emprunteurs dans la mesure où l’exportation est perçue comme un gage d’efficacité de l’entreprise. En outre, l’ouverture aux marchés internationaux permet une diversification du chiffre d’affaires des entreprises exportatrices, ce qui tend à réduire leur vulnérabilité. Les vertus attribuées à l’exportation devraient, selon cette première catégorie de travaux, se traduire par une relation positive entre la capacité à exporter et l’accès au financement bancaire.

Une deuxième catégorie de travaux met en exergue les difficultés rencontrées par les PME à s’ouvrir aux marchés internationaux. Plusieurs freins sont évoqués tels que les rigidités du marché du travail, les modèles de gouvernance peu adaptés et le manque de ressources pour financer l’innovation. Ce dernier frein met en évidence l’insuffisance des ressources financières. Les travaux théoriques de Chaney (2005) et Manova (2012) analysent, entre-autres, les implications financières des décisions d’exportation de l’entreprise. Ils aboutissent à deux principaux résultats. Premièrement, une entreprise souhaitant exporter fait face à des coûts fixes associés à l’exportation. Cela implique que, pour devenir exportatrice, l’entreprise doit avoir suffisamment de ressources internes disponibles. Dans le cas contraire, l’entreprise doit se tourner vers des sources de financement externes. Celles qui seront confrontées à des difficultés pour lever des fonds seront freinées dans leur volonté d’exporter. Seules les entreprises qui disposent de suffisamment de liquidité peuvent donc être en mesure de s’ouvrir aux marchés internationaux. Deuxièmement, l’entreprise ne peut pas garantir complètement à ses pourvoyeurs de fonds le retour sur investissement associé au volume du chiffre d’affaires réalisé à l’export. A ce titre, Chaney (2005) avance qu’il n’est pas toujours facile, à la fois pour l’entreprise et pour la banque, d’obtenir des informations précises sur les marchés étrangers. Par ailleurs, l’activité d’exportation n’offre aucune garantie contractuelle aux prêteurs. Cela se traduit, en cas de non remboursement, par des difficultés pour les créanciers à saisir les recettes de l’entreprise provenant des ventes réalisées sur les marchés étrangers. L’ensemble des éléments précédents vont dans le sens d’une limitation d’accès aux crédits bancaires associée au financement des activités d’exportation. Sur le plan empirique. Minetti et Zhu (2011) montrent, à partir d’un échantillon de 4680 entreprises italiennes, que les petites entreprises connaissant des situations de rationnement de crédits ont une plus faible probabilité d’exporter que les grandes entreprises. Ces auteurs précisent que ces dernières sont peu affectées par les problèmes d’accès au financement bancaire. Silva (2011) parvient à des résultats similaires sur un échantillon de 4500 entreprises portugaises sur la période 1996-2003. Les difficultés d’accès au financement posées par l’internationalisation des PME devraient, selon cette deuxième catégorie de travaux, aboutir à une relation négative entre la capacité à exporter et l’accès aux crédits bancaires.

Au final, il y a peu de consensus dans la littérature sur le sens et l’ampleur de la relation entre l’existence de contraintes financières et la capacité des entreprises à exporter. Dès lors, cette recherche a pour ambition, d’abord, d’étendre cette discussion au cas spécifique des PME dans un contexte européen, celui de la France et, ensuite, de se focaliser sur une catégorie particulière de financement : la dette bancaire. La méthodologie économétrique déployée nous permet d’une part, d’étudier directement et spécifiquement le lien entre le financement bancaire et l’activité exportatrice des PME françaises, et d’autre part, d’intégrer dans l’analyse une série de variables comptables et financières qui rentre en considération dans le processus d’octroi des crédits bancaires.

Collecte des données et méthodologie

Collecte des données

Le tableau 1 résume la procédure d’échantillonnage déployée dans le cadre de ce travail. Les informations financières proviennent de Diane, éditée et commercialisée par l’éditeur Bureau Van Dijk. Cette base de données reprend notamment les états financiers des entreprises françaises cotées sur Euronext Paris. L’échantillon de départ est composé de toutes les PME non financières ou assimilées disponibles durant la période de 5 ans allant de 2004 à 2008. La période d’étude présente un intérêt particulier. Effectivement, à partir de mai 2003, la définition des PME a été modifiée par la recommandation 2003/361/EC de la Commission Européenne. Cette définition introduit une nouvelle typologie qui vise à mieux prendre en considération les caractéristiques économico-financières de ces entreprises[1]. Ainsi, une entreprise est considérée comme PME lorsqu’elle emploie moins de 250 salariés et dispose d’un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions d’euros. L’échantillon de départ comprend 2221 entreprises-années. 326 observations ont été exclues à cause de données manquantes ou d’inscriptions dans des procédures de redressement. Au final, l’échantillon retenu est constitué de 1895 observations de Pme françaises. La répartition de cet échantillon en petites et moyennes entreprises s’élève, respectivement, à 56 % et 44 %.

Table 1

Critères de sélection de l’échantillon

Critères de sélection de l’échantillon

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Méthodologie

Pour les besoins de notre étude, nous utilisons le modèle de régression à effets fixes (temps et entreprise) présenté ci-dessous. Ce modèle permet d’étudier l’influence de l’exportation sur l’accès aux crédits bancaires. Bien évidemment, il prend en considération d’autres variables de contrôle inspirés par des travaux antérieurs (Cassar et Holmes, 2003; Benkraiem et Gurau, 2011, etc.), à savoir la taille de l’entreprise, la croissance des ventes, la tangibilité de l’actif, les opportunités d’investissement, le ratio de couverture des frais financiers et le ratio de liquidité (voir descriptions et explications des variables plus loin).

En ce qui concerne les variables indépendantes, deux mesures de l’activité d’exportation sont introduites à la fin du modèle pour être mises en relief. Nous considérons, dans ce travail, que l’activité exportatrice constitue la principale forme d’internationalisation pour les PME. Effectivement, il parait délicat pour ces entreprises de s’ouvrir aux marchés internationaux en considérant d’autres formes d’internationalisation dans la mesure où elles ne disposent pas de suffisamment de ressources. La première mesure, la variable binaire (EX 1), prend la valeur 1 lorsque la PME est exportatrice et 0 sinon. La deuxième mesure, le ratio d’exportation (EX 2), est calculé comme le rapport entre le montant des exportations et le chiffre d’affaires total de l’entreprise. Ces deux mesures sont complémentaires car elles permettent d’étudier les effets de l’existence et l’intensité de l’activité d’exportation sur l’accès aux dettes bancaires. Comme spécifié plus haut, les conclusions des études antérieures paraissent assez mitigées. Certaines d’entre elles tendent à montrer que l’exportation réduit les contraintes financières supportées par les entreprises (Bridges et Guariglia, 2008; Ganesh-Kumar et al, 2001). Tandis que d’autres vont dans le sens inverse et avancent que seules les entreprises disposant de suffisamment de ressources financières internes peuvent être en mesure d’exporter. De ce fait, un lien aussi bien positif que négatif est alternativement anticipé entre l’endettement bancaire et l’exportation.

Par ailleurs, il est généralement établi dans la littérature empirique que les problèmes informationnels sont plus importants pour les PME (Cleary, 2006, Beck et al, 2005 et 2006). Dès lors, l’octroi de prêts bancaires peut être conditionné par la taille de l’entreprise. Effectivement, la taille est susceptible de constituer une approximation de la qualité d’informations détenues par les pourvoyeurs de fonds. En outre, les créanciers exigent des garanties qui se matérialisent par des nantissements sur les actifs corporels de l’entreprise. Ces actifs pourront être cédés par les créanciers en cas d’insolvabilité. Dès lors, la composition de l’actif total de l’entreprise peut être considérée comme un facteur explicatif du ratio d’endettement. En conséquence, les variables sélectionnées, à ce stade, sont le logarithme de l’actif total (AT), utilisée notamment par Bellone et al (2010) et Silva (2011) comme facteur limitant les contraintes financières, et la tangibilité de l’actif (TA), mesurée par le rapport entre les actifs corporels divisés par l’actif total. Cette dernière sert de collatéral physique et permet à l’établissement bancaire de se couvrir, totalement ou partiellement, contre le risque de faillite de l’emprunteur. En effet, la tangibilité de l’actif peut augmenter la valeur de liquidation de l’entreprise et réduire, par conséquent, le risque pour les créanciers. A ce titre, Manova (2012) utilise la variable tangibilité comme estimateur de la solidité financière. Une relation positive est attendue entre l’endettement bancaire et, à la fois, la taille de l’entreprise et la tangibilité de l’actif.

Les opportunités d’investissement de l’entreprise (OI) peuvent jouer un rôle dans l’octroi des crédits bancaires. A l’instar de Gugler et al. (2004), nous mesurons ces opportunités par le ratio Q de Tobin pour notre échantillon de PME cotées. Nous prenons ainsi en considération l’importance de la création de valeur perçue par les actionnaires. Le ratio de Tobin est pertinent car il constitue une mesure des opportunités d’investissement futures. Il est défini comme le rapport entre la valeur de marché des capitaux propres plus la valeur de marché de la dette et la valeur comptable de l’entreprise. Une moyenne de ce ratio supérieure à 1 signifie que l’entreprise affiche de fortes opportunités d’investissement, et vice versa. Un haut niveau de ce ratio peut révéler d’importants besoins de financement. En France, Aubier et Cherbonnier (2007) avancent que l’accès des PME aux dettes bancaires pour financer leurs opportunités d’investissement est problématique, spécialement pour les plus petites d’entre elles. Sur le plan empirique, Benkraiem et Gurau (2011) observent un lien négatif entre les dettes bancaires et les opportunités d’investissement. En conséquence, une relation négative est anticipée entre ces deux variables.

Nous intégrons également dans l’étude une variable (CR) qui mesure la croissance de la PME mesurée par la variation des ventes. Nous situons donc cette croissance sur le plan de l’activité commerciale de l’entreprise. Nous rejoignons ainsi les définitions de la croissance établies par Cassar et Holmes (2003) et Hall et al (2004). Une relation positive est attendue entre l’endettement bancaire et la croissance des ventes.

Enfin, nous introduisons dans notre modèle de régression des variables de couverture des frais financiers (CI) et de liquidité (CO). Le premier ratio de couverture des frais financiers est mesuré à partir du résultat d’exploitation sur les frais financiers. Généralement, ce ratio s’analyse comme la capacité de l’entreprise à honorer ses engagements auprès des établissements de crédit en utilisant uniquement ses produits d’exploitation. Le deuxième ratio de liquidité s’interprète comme un ratio de capacité de couverture des dettes à court terme, qui sont par nature rapidement exigibles, par des actifs circulants. Ce ratio traduit la prédisposition de l’entreprise à honorer ses engagements imminents à l’égard de ses créanciers par des éléments d’actifs à court terme tels que la trésorerie (Greenavay et al. 2007 et Silva, 2011). Une relation positive est attendue entre l’endettement bancaire et à la fois la couverture des frais financiers et de liquidité.

Résultats empiriques

Statistiques descriptives

Le tableau 2, ci-dessous présenté, décrit les statistiques descriptives des variables déployées pour analyser le financement bancaire des PME de notre échantillon. La variable dépendante est constituée par les dettes bancaires. Elles s’élèvent en moyenne à 35,8 % de l’actif total. Ce niveau moyen d’endettement bancaire des PME de notre échantillon est comparable à celui obtenu par Degryse et al. (2012) sur un échantillon de PME Néerlandaises. Cette moyenne varie de 4,3 % à 65,6 % de l’actif total selon le quartile de référence, marquant ainsi une disparité entre les entreprises en termes d’accès au financement bancaire.

En ce qui concerne les variables indépendantes, pour nos variables d’exportation (EX 1 et EX 2), nous obtenons pour la première une moyenne de 50,2 %. Etant donné que cette variable est binaire, la moyenne s’analyse comme une fréquence. Plus de la moitié de notre échantillon de PME dispose donc d’activités à l’exportation. Nous constatons pour la deuxième variable un pourcentage d’exportation de 16,029 % pour l’ensemble des entreprises, contre 21,023 % pour les entreprises les plus exportatrices. La taille de l’entreprise (AT), mesurée par le logarithme de l’actif total, s’élève en moyenne à plus de 10. La croissance des ventes (CR) traduit une variation annuelle moyenne de 48,3 %. Toutefois, cette moyenne s’établit à -18.1 % pour le premier quartile alors qu’elle se situe autour de 23 % pour le troisième quartile. La tangibilité de l’actif (TA) est, en moyenne, supérieure à 45, %, ce qui veut dire que l’actif total des PME de notre échantillon est constitué, à près de la moitié, par des actifs tangibles. Les opportunités d’investissement (OI), mesurées par le Q de Tobin, affichent une moyenne de 1,508. Cette valeur est supérieure à 1, ce qui indique qu’en moyenne, les PME françaises ont de fortes opportunités de croissance. Les ratios de couverture des frais financiers (CI) et de liquidité (CO) affichent, respectivement, des moyennes de plus de 23 et de 6. Les entreprises présentes dans notre échantillon paraissent en mesure d’honorer leurs engagements à l’égard de leurs créanciers. Néanmoins, les écart-types observés pour ces deux variables sont élevés rendant nécessaire de faire particulièrement attention à la valeur de ces ratios par quartile. La grande disparité des valeurs de (CI) et (CO) nous indiquent qu’une grande partie des PME de notre échantillon semblent confrontées à des problèmes de solvabilité. Un ratio CI inférieur ou égal à 3 est traditionnellement considéré par les analystes financiers comme étant critique. Ces résultats corroborent une disparité importante des niveaux d’endettement bancaire moyen obtenus par quartile.

Tableau 2

Statistiques descriptives des variables utilisées

Statistiques descriptives des variables utilisées

Voir plus haut pour la définition des variables.

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Le tableau 3 présente la matrice de corrélation de Pearson entre les variables indépendantes. Il nous permet d’examiner un possible degré de multicolinéarité entre ces différentes variables. Comme attendu, il montre certaines corrélations statistiquement significatives. En particulier, la taille de l’entreprise est négativement et significativement liée à la tangibilité des actifs. Aussi, la taille est positivement et significativement liée au ratio de couverture des frais financiers, ce qui montre que les entreprises dont la taille de l’actif est importante sont celles qui parviennent aisément à honorer leurs engagements à l’égard de leurs créanciers. Globalement, les coefficients de corrélation ne semblent pas assez élevés pour causer de sérieux problèmes de multicolinéarité.

Analyses multivariées

Le tableau 4 présente les résultats empiriques de notre modèle de régression contrôlant les effets temps et entreprise. Les trois spécifications de ce modèle présentent des coefficients de détermination ajustés (R2 Ajustés : pouvoirs explicatifs) allant de 34,80 % à 36,50 %. Aussi, les paramètres (VIF) sont de l’ordre de 1,6, ce qui confirme les résultats du Tableau 3 et indique l’absence de sérieux problèmes de multicolinéarité. Les valeurs du test de Durbin-Watson (D-W) tendent vers 2, ce qui montre l’absence de problèmes d’autocorrélation des termes d’erreur des différentes spécifications du modèle de régression.

Tableau 3

Corrélations de Pearson entre les variables indépendantes

Corrélations de Pearson entre les variables indépendantes

Le Tableau 3 affiche les coefficients de corrélation et leurs probabilités associées (P). Voir plus haut pour la définition des variables.

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Le premier résultat à mettre en évidence correspond à la corrélation négative entre l’activité d’exportation et l’endettement bancaire. La variable EX 1 affiche un coefficient de régression négatif et significatif au seuil de 5 %. Les PME exportatrices paraissent rencontrer plus de difficultés à accéder aux crédits bancaires que celles non exportatrices. De la même manière, la variable EX 2 montre un coefficient de régression négatif et significatif au seuil de 1 %. Plus l’activité d’exportation est intense, plus les PME rencontrent des difficultés de bénéficier d’un financement bancaire. Globalement, ces résultats vont dans le sens de la catégorie de travaux qui relie l’activité d’exportation à l’existence de contraintes financières (Bellone et al, 2010; Silva, 2011; Minetti et Zhu, 2011). Ils montrent que les coûts liés à l’exportation aggravent l’accès aux dettes bancaires en France. En effet, les établissements de crédit semblent estimer ne pas pouvoir obtenir suffisamment de garanties et d’informations sur les marchés internationaux de l’entreprise (Chaney, 2005), le caractère exécutoire des contrats relatifs aux transactions internationales étant très limité. De son côté, l’entreprise ne peut garantir le retour sur investissement des projets d’exportation, c’est-à-dire la part de son résultat d’exploitation provenant des exportations. L’ensemble de ces contraintes génère un risque élevé lié à l’activité d’exportation. Les établissements bancaires paraissent réticents à financer de tels projets. En d’autres termes, ces liens négatifs observés entre l’activité d’exportation et l’endettement bancaire mettent en exergue les difficultés des PME à financer leur développement lorsqu’elles désirent s’ouvrir aux marchés internationaux.

Par ailleurs, la variable croissance, estimée par la variation du chiffre d’affaires (CR), affiche un coefficient statistiquement non significatif. Il n’existe donc pas de relation significative entre la croissance des ventes et l’endettement bancaire. Pour le reste, les relations obtenues sont significatives, selon le cas, aux seuils de significativité de 1 ou de 5 %. Nous obtenons une relation positive entre la taille de l’entreprise (AT) et l’endettement bancaire. Ce résultat est corroboré par plusieurs études empiriques sur des échantillons de PME (Degryse et al, 2012; Bougheas et al, 2006). En effet, une valeur élevée de l’entreprise, mesurée par son actif total, peut fournir aux créanciers potentiels une garantie de remboursement intéressante dans le cadre d’une approche patrimoniale de la solvabilité. Cette variable se comporte comme une approximation des garanties physiques disponibles (immobilisations corporelles) pour les créanciers. L’explication de ce phénomène est à trouver dans la perception des banquiers du risque du projet. Ils seront plus enclins à financer des projets de renouvellement et ou d’accroissement d’actifs corporels que des projets visant à établir des processus de R&D ou d’achat de brevet. De façon cohérente, la tangibilité de l’actif (TA) affecte positivement l’endettement bancaire des PME françaises. Ce résultat corrobore celui obtenu précédemment. La présence de collatéral est un facteur important pour l’accès des PME aux ressources externes. Ces garanties physiques contribuent à la diminution des asymétries d’informations entre l’entreprise et ses créanciers (Steijvers et Voordeckers, 2009). Leur présence permet également une diminution de l’exposition au risque de faillite pour les banques. Nous obtenons une relation négative entre les opportunités d’investissement (OI), mesurées par le ratio Q de Tobin, et l’endettement bancaire. En effet, il semble que ces opportunités d’investissement augmentent les coûts d’agence et poussent les dirigeants à ne pas recourir à l’endettement bancaire, voire à le diminuer, ce qui expliquerait la relation négative obtenue. Ce résultat est cohérent avec celui obtenu en France par Benkraiem et Gurau (2011). Le ratio de couverture des frais financiers (CI) est négativement relié à l’endettement bancaire. Ce résultat est surprenant et contraire à nos attentes. Rappelons que ce ratio est considéré comme le rapport entre le résultat d’exploitation et les frais financiers. Le lien négatif peut s’expliquer par le fait que l’amélioration de la performance de l’entreprise met à la disposition du dirigeant des ressources financières internes qu’il pourrait déployer au lieu de recourir en priorité à l’endettement bancaire. En d’autres termes, cette relation semble montrer que l’augmentation du résultat d’exploitation de l’entreprise est utilisée pour autofinancer tout ou partie des projets d’investissement sans pour cela faire appel à des ressources financières externes. Le ratio de liquidité (CO) est positivement corrélé à l’endettement bancaire. Ce résultat, conforme à nos anticipations, montre qu’une valeur positive de ce ratio reflète pour les créanciers la capacité de l’entreprise à honorer ses engagements exigibles.

Tableau 4

Résultats de différentes spécifications du modèle de régression étudié

Résultats de différentes spécifications du modèle de régression étudié

Le Tableau 4 reporte les coefficients de régression (B) leurs probabilités associées (P). Voir plus haut pour la définition des variables.

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Conclusion

Le financement des PME est d’une importance capitale car ces entreprises sont, plus que les grands groupes, les vecteurs de l’innovation et de l’emploi en Europe et notamment en France. Leur développement et leur pérennité dépendent, en partie, de la manière dont elles parviennent à financer leur phase de développement. Un des facteurs de développement et de pérennité de la PME est de s’ouvrir à l’international. Partant de ce constat, cet article s’est donné comme objectif d’étudier les relations entre l’accès au financement bancaire et un ensemble de variables économiques et financières d’un échantillon de 1895 PME françaises sur la période allant de 2004 à 2008. La période d’étude présente un intérêt particulier. Effectivement, à partir de mai 2003, la définition des PME a été modifiée par la recommandation 2003/361/EC de la Commission Européenne. Cette définition introduit une nouvelle typologie qui vise à mieux prendre en considération les caractéristiques économico-financières de ces entreprises. Parmi les relations analysées, nous mettons spécifiquement l’accent sur le lien entre l’internationalisation des PME, estimée par l’activité d’exportation, et leur capacité à obtenir des crédits bancaires. Plusieurs résultats sont à mettre en perspective. En particulier, nous constatons des relations positives entre la taille, la tangibilité de l’actif et le financement bancaire. Cela démontre l’importance de ces variables dans l’octroi du crédit bancaire aux PME. La taille et la tangibilité de l’actif jouent un rôle fondamental car elles sont perçues comme une approximation des garanties physiques disponibles au bilan de l’entreprise. En revanche, nous observons une relation négative entre l’activité d’exportation et le crédit bancaire qu’elle que soit la variable d’exportation utilisée. Plus l’activité d’exportation est intense, plus les PME éprouvent des difficultés à financer leurs projets d’investissement lorsqu’elles désirent s’ouvrir aux marchés internationaux. Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer ce phénomène, notamment la nature des contrats relatifs aux transactions internationales, les incertitudes liées aux exportations et la complexité de l’analyse des risques associés à l’environnement international. Vu l’importance du rôle joué par les PME dans la création de valeur ajoutée et l’emploi, ces résultats peuvent intéresser les pouvoirs publics, chercheurs et professionnels de la scène financière et contribuer à l’enrichissement du débat sur le financement des PME.