Démontrer la danse : les danses-conférences d’Yvonne Rainer dans les années 1960

DOI : 10.54563/demeter.106

Résumés

La contribution essentielle d’Yvonne Rainer à l’histoire de la conférence-performance est encore largement sous-estimée. Ingrédient crucial de la danse rainerienne, la voix s’impose pourtant dès ses premières pièces chorégraphiques, au début des années 1960. Dans ces œuvres, la juxtaposition disjonctive de la danse, du bruitage vocal et du discours oscille entre parodie ironique, didactisme et parole autobiographique. Celle qui affirme que « la danse est difficile à voir », intègre au cœur de sa démarche chorégraphique les questions de la monstration et de la démonstration du mouvement. Entre 1968 et 1970, Rainer développe un format performatif qu’elle dénomme performance demonstration (performance-démonstration), un genre de collage en perpétuelle mutation, mêlant mouvements, textes, images et sons. En éclairant les enjeux kinesthésiques, pédagogiques, théoriques et personnels des conférences performées créées par la danseuse et chorégraphe durant les années 1960, nous proposons de décaler le regard pour discuter la part de la subjectivité, de la critique et de la subversion dans ce format performatif.

The essential contribution of Yvonne Rainer to the history of lecture-performance is still widely underestimated. However, from her early 1960s’ choreographic pieces, voice prevailed as a fundamental component of Rainerian dance. In these former works, the disjunctive juxtaposition of dance, vocal noises, and discourse, fluctuates between ironic parody, didacticism, and autobiographical speech. The one who stated “dance is hard to see”, integrated at the very core of her choreographic process the issues of showing and demonstrating the movement. Then, between 1968 and 1970, Rainer elaborated a performative form, which she called performance demonstration, a kind of collage in progress merging together movements, texts, images, and sounds. Bringing to light kinesthetic, pedagogical, theoretical, and personal implications in performed lectures created by the dancer and choreographer during the 1960s, we intend to slightly change the focus in order to discuss the part of subjectivity, criticism, and subversion in this performative form.

Index

Mots-clés

Rainer (Yvonne), danse postmoderne, danse-conférence, performance-démonstration, subjectivité

Plan

Texte

Ingrédient primordial de la danse de la chorégraphe et danseuse américaine Yvonne Rainer, la voix s’impose dès ses premières pièces chorégraphiques au début des années 1960 sous l’influence d’Anna Halprin et de Simone Forti. Entre 1961 et 1962, au sein de l’atelier de composition de Robert Dunn, creuset du Judson Dance Theater, elle élabore, dans la lignée des conférences-performances de John Cage, un genre de solo dansé et parlé, associant au mouvement une réflexion d’ordre personnel et théorique. Ensuite, entre 1968 et 1970, elle intègre la monstration (présenter le mouvement à la vue du public) et la démonstration (montrer concrètement les propriétés de la danse) dans un nouveau format performatif qu’elle dénomme performance demonstration (performance-démonstration). Dans ces performances, Rainer reprend le dispositif de la conférence académique en lui adjoignant l’expérimentation du geste, transformant le moment spectaculaire en espace de conceptualisation et de transmission. Pour autant, si la contribution d’Yvonne Rainer à l’histoire de la conférence-performance est remarquable, elle demeure encore méconnue. Cet article vise à restituer cet apport, en mettant en lumière les visées à la fois kinesthésiques, théoriques et pédagogiques de son travail. En soulignant les aspects ironiques, absurdes et transgressifs de la voix et du discours, il s’agira également de discuter la part de la subjectivité, de la critique et de la subversion dans la conférence-performance rainerienne.

La voix comme outil de transgression

La juxtaposition de la voix et du geste dansé apparaît dès les premières pièces chorégraphiques d’Yvonne Rainer. Allier le geste et le langage verbal en danse s’impose alors comme une véritable transgression car les lèvres de la danseuse se devaient traditionnellement de demeurer closes2. En danse classique comme en danse moderne, les réflexions théoriques sur le médium plaçaient les gestes porteurs d'expressivité et d'émotion au cœur de la spécificité ontologique de l’art chorégraphique3. On définissait la danse comme un mouvement émancipé du verbe, et se situant même en deçà, possédant ses propres codes, sa propre symbolique. En s’évadant hors des frontières du médium, en intégrant des éléments vocaux incongrus et « anormaux » dans son exploration kinesthésique, Rainer a contribué à remettre en cause les règles de bienséance et le décorum imposés à la danseuse au début des années 1960.

C’est à vingt-quatre ans – donc « tardivement » à l’aune du parcours prescrit par la formation chorégraphique académique – qu’Yvonne Rainer débute la danse. Venue à New York pour entreprendre des études d’art dramatique, elle se prend de passion pour la danse moderne avant d’intégrer les cercles de l’avant-garde en rejoignant à l’automne 1960 un cours de composition chorégraphique donné au studio de Merce Cunningham. Celui-ci est mené par un disciple de John Cage, le compositeur Robert Dunn. Dans ce cadre d’expérimentation, Rainer élabore un corpus de sept pièces chorégraphiques. Créé à l’origine pour répondre à l’exercice proposé par Robert Dunn, le solo Three Satie Spoons (1961) représente un jalon important dans l’œuvre rainerienne. À la racine de la construction chorégraphique de l’œuvre, il y a d’une part la structure musicale des trois Gymnopédies d’Erik Satie, et d’autre part l’apport méthodologique des compositions aléatoires et des notations graphiques initiées par John Cage. La danse juxtapose des mouvements désarticulés, sans référent narratif ou psychologique, et des bruitages vocaux aussi extravagants que dérangeants. En découpant les parties du corps, en leur associant arbitrairement des gestes et des sons, il s’agit de rompre avec la vision académique du corps dansant, soumis à l’impératif d’unification du mouvement et à l’harmonie. Dans la dernière partie du solo, Rainer enchaîne des mouvements géométriques et angulaires tout en émettant une série de bruits étranges : des pépiements, des couinements, des phrases absurdes ou des onomatopées. Et puis, au milieu d’une phrase chorégraphique, elle s’arrête dans une pose très alambiquée, la tête en bas, pour déclarer : « l’herbe est plus verte quand le soleil est plus jaune ». Absurde et déconcertante, cette juxtaposition inaccoutumée du geste et de la voix choque profondément les spectateurs. On en prend la mesure en lisant les critiques de l’époque : pour le compositeur et théoricien de la danse moderne Louis Horst, l’approche chorégraphique de la jeune danseuse, mêlant « charabia » et « bruits irraisonnés », est « inconvenante » et de « mauvais goût4 ». Pour sa part, le réalisateur expérimental Hollis Frampton se souvient d’avoir été sérieusement ébranlé par l’introduction du bruitage vocal dans Three Satie Spoons :

[Yvonne Rainer] a commencé à faire des bruits : des petits miaulements, des couinements, des bêlements. J’étais électrisé parce que c’était totalement discordant dans cette situation. Elle était là, en justaucorps noir, exécutant quelque chose qui ressemblait à de la danse. Ce qui était mémorable c’était cette perturbation, cette transgression de ce qui était culturellement attendu […]. L’important, ce n’était pas les bruits en eux‑mêmes, mais le fait que cette seule action suffise à détruire tout le décorum de la danse5.

Pour l’historienne de la danse Sally Banes, l’emploi de la voix dans les premiers essais chorégraphiques de Rainer serait « remarquablement original dans la danse moderne ». Son « usage du discours, à mettre en relation avec le recours dadaïste aux déclarations protocolaires et artistiques, comme son utilisation du bruit brut, deviendront les traits saillants de son travail durant toute sa carrière6 » poursuit-elle. Si la question de « l’originalité » est à prendre avec précaution, tant la danse rainérienne est fortement infléchie par les approches chorégraphiques précurseures d’Anna Halprin et de Simone Forti, qui intègrent la voix et les bruitages vocaux dans la danse dès la fin des années 1950, il n’en demeure pas moins que Rainer initie une approche proprement singulière du discours en danse, d’inspiration cagienne.

Théoriser en dansant

L’intégration du discours dans les premières danses de Rainer doit beaucoup à John Cage. En 1961, le compositeur publie Silence, recueil de textes théoriques ou poétiques, d’anecdotes et de transcriptions de conférences. La mise en page du livre est essentielle : les textes des conférences sont accompagnés de didascalies et d’indications de durée et de rythme, transformant le discours en véritable composition musicale. Il faut citer le célèbre « Discours sur rien », performé pour la première fois en 1949 à l’Artists’ Club de New York, une « causerie » composée avec la même structure rythmique que les Sonates et Interludes pour piano préparé (1946-1948), dans laquelle le compositeur clame « je n’ai rien à dire et c’est ce que je dis » et rythme son texte du refrain « si quelqu'un a sommeil, qu'il s'endorme7 ». Parodie de conférence autour du silence, variation sur la vacuité multipliant les digressions et les répétitions qui semblent ne mener à rien, le « Discours sur rien » s’affirme comme une performance donnant à expérimenter ce rien, qui est à la fois rien et quelque chose. C’est en s’inspirant du format expérimental des conférences-performances de John Cage, dans la volonté d’utiliser le discours comme un matériau chorégraphique, que Rainer met au point son format de solo dansé et parlé. Créé en 1961, Reflections and Dogmas of a Dogged Dog (Réflexions et dogmes d’un chien têtu8) a été élaboré dans le cadre de l’atelier de composition de Robert Dunn, avant de sombrer dans l’oubli. La chorégraphe elle-même ne conserve qu’un souvenir lacunaire de ce que l’on pourrait définir comme un exercice chorégraphique, performé devant le public du Dunn’s Workshop. Réalisé sans costume ni décor, le solo combine le discours et le geste ordinaire. De ce solo, il demeure une partition inscrite à la main par la chorégraphe, à l’encre bleue sur une série de feuilles de papier colorées, composant un livret non relié. Le texte du discours est entrecoupé par quelques parcimonieuses didascalies, qui retranscrivent les mouvements et les bruitages vocaux. En l’occurrence, l’exposé prend le pas sur le geste, comme c’est le cas dans la dernière partie :

[Feuille jaune, recto]
Le processus aléatoire versus l’image. J’entends par image la vision personnelle, le fantasme, ou le rêve ainsi que la tonalité qui l’accompagne.
Il y a une contradiction innée entre le processus aléatoire et l’image.
Au-delà des possibilités offertes par l’image dans le recours au hasard – je fais par là allusion à l’intégration des résultats d’un procédé aléatoire dans le vocabulaire et l’imagerie personnels – tout ceci mis à part – il est possible que les éléments résultant du hasard ou de l’image puissent coexister.
Il est également possible que l’image influence l’interprétation du procédé aléatoire.
Il est également possible que l’image soit si puissante et insistante qu’elle rende tous les autres moyens d’investigation superflus.
Il est aussi possible – et c’est très gratifiant lorsque cela m’arrive – que le procédé aléatoire puisse contrôler certains aspects d’une imagerie plus vaste. Mais là encore c’est une conjoncture où l’image – ainsi que l’expérience et la vie de l’artiste – est affectée par l’utilisation du hasard.
[Feuille jaune, verso] Saut à la corde9.

Entre théorie et pratique, la pièce propose un recours idiosyncrasique au procédé aléatoire enseigné par Dunn. En bonne disciple de Cage, la chorégraphe valorise les potentialités d’une méthode qui permet de couper court aux automatismes inculqués au corps dansant, offrant l’opportunité de générer des matériaux kinesthésiques inédits. Elle dit utiliser le procédé aléatoire pour l’aider dans la difficile tâche qui consiste à se détacher des matériaux autobiographiques et psychologiques (dansés et parlés). Elle souhaite « entreprendre la longue ascension de l’intérieur de soi vers le monde extérieur10 ». Pour autant, adoptant une ironie distanciée face à une méthode cagienne devenue quasiment dogmatique, celle qui s’identifie avec humour à un « chien têtu », refuse d’adhérer entièrement au systématisme de l’approche enseignée par Dunn. Rainer perturbe d’ailleurs l’exposé théorique et déconstruit son autorité d’oratrice en le parsemant d’interjections humoristiques (« hue hue », « huhau »), conduisant le speech comme on mène un cheval à la voix.

« Il y a une contradiction intrinsèque entre le processus aléatoire et l’image11 » argue Rainer dans le texte du solo. Pour autant, elle propose de faire « coexister » ces éléments a priori contradictoires dans le moment chorégraphique. Il s’agirait de favoriser une égalité parfaite entre ces matériaux, sans que l’image n’influence le procédé aléatoire et sans que sa puissance inhérente ne compromette toutes les autres investigations sur le mouvement. À la fin de son intervention, avant un dernier saut à la corde, elle appelle de ses vœux une situation chorégraphique dans laquelle l’aléa serait structurant, dans laquelle « l’image – comme l’expérience et la vie de l’artiste – [serait] affectée par l’utilisation du hasard12 ». Après Cage, l’artiste soutient que la méthode aléatoire permet de se libérer de la résurgence de l’héritage culturel et individuel dans le processus de création, de toute « croyance rassurante » en somme. Cependant, le recours à ce qu’elle appelle « l’image », soit « la vision personnelle, le fantasme, ou le rêve13 », permettrait à son sens d’éviter le systématisme stérile. Comme écartelée entre une posture qui valorise la méthode et l’abstraction, au détriment de l’image délivrée par le corps, et une démarche qui prend sa source dans la puissance de l’imagerie personnelle, elle propose finalement une voie médiane. Entre réflexion autobiographique et mise en discours de sa pratique, elle tente de dépasser le conflit entre abstraction et imagination, pour valoriser une fructueuse coexistence du processus aléatoire et de l’image. Pour cela elle valorise une imagerie excentrique, débarrassée de toute intensité émotionnelle : elle évoque par exemple une « verrue sur le menton maternel14 », malicieux repoussoir des états d’âme individuels.

S’il ne reste aucune trace visuelle de la performance gestuelle et orale, les didascalies permettent cependant de s’en faire une idée. L’énonciation de la conférence s’accompagne de quelques actions ordinaires (sauter à la corde), d’onomatopées (aaaah) et de mouvements glanés dans le réel (Rainer combine des gesticulations frénétiques observées dans le métro new-yorkais à la gestualité codifiée du rituel social du thé). Lorsque le discours prend un tour plus personnel, alors que la danseuse évoque sa volonté de se libérer du poids du traumatisme (entre enfance malheureuse et adolescence torturée), le geste vient perturber, hacher et entrecouper l’allocution. Parodie d’un discours théorique, la danse-performance est l’occasion pour la danseuse d’énoncer sa subjectivité, celle-là même que Cage et Cunningham proposent d’effacer dans la pratique artistique. À cette époque, danser représente une véritable urgence pour Rainer, un acte qui lui permet de « s’éprouver comme un individu à part entière15 ». Dans Reflections and Dogmas of a Dogged Dog, la chorégraphe affirme ainsi que c’est dans le rapport immédiat entre le corps et le monde que se produit le processus d’individuation : « Je suis moi parce que je marche dans la rue et que le soleil caresse ma main. Je suis moi parce que le clochard jette une pisse polie dans le caniveau, dissimulant son activité avec son imperméable16 », dit-elle. Essai fébrile, Reflections and Dogmas of a Dogged Dog marque une oscillation entre le personnel et le théorique, l’imaginaire et la méthode, le subjectif et l’objectif, qui demeurera récurrente dans l’œuvre de Rainer. Froideur et loufoquerie, rigueur expérimentale et théâtralité camp : Rainer désignera plus tard son travail de cette période par le terme de goofy glamour17 (glamour loufoque). Par cette précoce conférence-performance, elle développe une relation dialectique entre la théorie et la pratique tout en s’affirmant en tant que chorégraphe face aux héritages écrasants de la danse moderne, d’un côté, et de la méthode cagienne, de l’autre.

La danse-conférence : un espace de réflexion et de subjectivisation

De 1962 à 1964, durant la courte existence du Judson Dance Theater, collectif qu’elle a cofondé et dont elle est une figure dominante, Yvonne Rainer se nourrit de ce laboratoire d’expérimentation chorégraphique pour développer une danse non narrative, débarrassée de toute psychologie, focalisée sur la matérialité du mouvement. Aux côtés de Trisha Brown, Lucinda Childs, David Gordon, Deborah Hay ou Steve Paxton, elle entreprend de travailler le corps dans sa réalité la plus physique et la plus concrète, introduisant les gestes, les actions et les objets quotidiens dans la danse et développant une temporalité « réelle », monotone et plate18. À l’automne 1963, elle est invitée par l’artiste James Lee Byars à intervenir à la Green Gallery lors du vernissage de son exposition, dans le cadre d’une sorte d’installation-event. Dans un espace maculé de blanc, un homme coiffé d’un casque en forme d’œuf et une femme vêtue d’une grande robe blanche Balenciaga, étendent deux rouleaux de papier blanc sur une estrade composée de cubes blancs. Improvisant dans ce contexte, mais en marge de l’event, Rainer, en robe noire et en chaussures à talon, est prise d’une brusque pulsion : profaner la pureté minimaliste de l’ensemble19. Elle finit par courir jusqu’à percuter le mur blanc qui structure l’installation, salissant le sol et son propre corps de poussière de plâtre. L’expérience lui inspire un essai dans lequel elle décrit le déroulement de la pièce chorégraphique et en tire quelques réflexions pour une analyse plus générale du processus d’improvisation.

Les rouleaux sont en papier blanc, pour l’essentiel. Les cubes forment un champ de neige. Les murs se dressent blancs et lisses. […] Je partage le désir de beaucoup dans la salle. Nous avons envie de profaner, de désacraliser, de salir cette blancheur, d’écrabouiller cette fragilité, de fracasser le silence20.

Quelques mois plus tard, en janvier 1964, elle présente à la State University de New York21 une performance improvisée intitulée Some Thoughts on Improvisation et dédicacée à James Lee Byars. Il ne demeure que quelques brèves descriptions et de rares photographies de la performance, où l’on voit Rainer vêtue, comme à la Green Gallery, d’une robe noire et de chaussures à talon. La danseuse improvise avec une bobine de fil blanc pendant que sa propre voix, enregistrée sur cassette audio, lit de manière monotone et plate son essai sur l’improvisation. À la première personne du singulier, l’essai décrit de façon extrêmement précise la performance source, une improvisation qui, de par sa nature ponctuelle et éphémère, ne peut être réitérée. Par conséquent, face à la nouvelle improvisation qui se déroule sous ses yeux, le public est invité à disjoindre le geste et le discours. Comme le souligne Sally Banes, un tel dispositif :

[…] défie le spectateur ou la spectatrice de deux manières : en présentant une description du processus, [la pièce] expose des informations contradictoires – c’est‑à‑dire que, dans un premier temps, l’acte d’écouter les informations énoncées peut distraire l’attention des personnes regardant [la danse] ; mais dans une seconde phase, à l’évocation des choix et des éléments qui structurent une improvisation, le public est engagé à établir des corrélations entre la danse qui est en train d’être vue et les stimuli qui informent chaque moment22.

Par l’artifice de l’enregistrement, la voix entendue est positionnée dans un autre espace-temps que le corps performatif, qui se meut dans l’ici et le maintenant. Une dichotomie s’instaure entre le corps agissant et le discours. Par l’entremise de ce processus de juxtaposition et de disjonction, la réflexion exposée par Rainer permet d’appréhender ce moment fugitif, difficilement saisissable, où s’invente le mouvement. Au-delà de l’approche réflexive et théorique qui s’énonce dans Some Thoughts on Improvisation, il faut relever la dimension profondément subjective d’un texte qui vise à analyser l’intériorité de la danseuse et sa présence dans l’instant. Fondamentalement hybride, l’essai part du récit de l’expérience vécue pour conceptualiser l’improvisation. Il évoque, avec beaucoup d’ironie et d’autodérision, la dimension anxiogène de la situation d’improvisation, son incertitude, la précarité de l’interaction avec l’autre, l’incidence considérable du moindre geste.

À partir de 1964, le format de danse-conférence développé par Rainer entre en dialogue avec la recherche menée parallèlement par Robert Morris. En effet, tous deux collaborent au sein du Judson Dance Theater, à une période où l’artiste minimaliste poursuit une exploration du corps, du mouvement et du processus23. Morris présente sa conférence-performance 21.3 en février 1964 au Surplus Dance Theater de New York, dans le cadre d’un programme de danses et de performances organisé par Steve Paxton24. Le décalage opéré entre l’enregistrement de sa propre voix lisant l’introduction des Essais d’iconologie (1939) d’Erwin Panofsky et le travail sur la gestualité banale et anodine du conférencier fait écho au dédoublement du corps et de la parole dans la danse de Rainer. Cette dernière présente plusieurs pièces dans le même festival, dont Dialogues (1964), une pièce pour sept danseurs qui propose une juxtaposition absurde de gestes et de remarques incohérentes. À partir de 1965, engagée dans une démarche de conceptualisation du mouvement, la chorégraphe abandonne néanmoins le « glamour loufoque ». Elle confère une place plus déterminante au discours juxtaposé à la danse, qu’il soit de nature théorique, autobiographique, littéraire ou poétique.

Démontrer la danse ?

Parler en dansant pour expliquer le mouvement en train de se faire, juxtaposer l’expérience kinesthésique au discours théorique, montrer concrètement une sorte de « mode d’emploi » du geste dansé postmoderne : c’est entre 1968 et 1970, bien après la période du Judson Dance Theater, que Rainer développe le format de la conférence-performance. Moins investie dans la création de nouvelles pièces, la chorégraphe développe des formats tentaculaires en constante transformation : The Mind is a Muscle (1966-1968), Rose Fractions (1969) ou encore Continuous Project-Altered Daily (1970). Longues et ambitieuses, ces danses engagent des coûts de représentation importants que les institutions culturelles rechignent à assumer. Dès lors, Rainer imagine une forme moins onéreuse, entre la danse et la conférence, permettant de diffuser plus largement son travail. Comme elle l’écrit à l’une des participantes de ses cours d’improvisation, elle conçoit alors ce type de présentations comme une « opportunité économique25 ». Mais loin du simple expédient, les potentialités pédagogiques, kinesthésiques et théoriques de cette forme s’imposent peu à peu dans le travail de Rainer. En 1969, elle publie par exemple « Lecture for a Group of Expectant People » dans la revue 0 to 9, un texte à mi-chemin entre la transcription d’un cours, d’une conférence sur la danse et d’une partition26. En combinant un dessein pédagogique et le désir de théoriser le geste pendant qu’il s’exécute, elle invente une matrice scénique qu’elle dénomme « performance demonstration » (performance démonstration)27. Celle-ci lui permet de présenter ses réflexions sur le mouvement en les juxtaposant avec des séquences de mouvements extraites de pièces précédentes, des diapositives, des films, un accompagnement sonore, des extraits de textes provenant de sources très diverses. Elle généralise alors un procédé qu’elle affectionne : la diffusion d’un enregistrement de sa propre voix lisant de manière monotone et inexpressive.

De cette démarche émerge la pièce également nommée Performance Demonstration, montrée le 16 septembre 1968 à la Performing Arts Library du Lincoln Center. À cette occasion, la chorégraphe présente plusieurs « conférences » enregistrées par sa propre voix. À l’ouverture, la séquence « Mat » tirée de The Mind is a Muscle, est accompagnée d’un essai portant sur le processus de création de la pièce et sur la place de la musique dans la démarche de l’artiste. La bande sonore est extrêmement factuelle :

Cette cassette a été spécialement réalisée pour cette occasion particulière. Elle aborde à la fois les omissions dans la présentation actuelle et des réflexions récentes à propos de mon travail. Dans d’autres circonstances, le matériau verbal sera probablement très différent, tant en termes de contenu que de positionnement dans la démonstration28

Dans sa totalité, l’œuvre est désormais envisagée comme une démonstration. Rainer recourt à la fonction démonstrative du discours pour instruire l’auditoire au sein d’une temporalité spectaculaire où « le processus et la production ne font désormais plus qu’un29 ». Dès lors, s’agirait-il, comme dans le cas d’une démonstration scientifique, de montrer pour convaincre, en expliquant concrètement les propriétés, le mode d’emploi ou la pertinence de la proposition chorégraphique ? Une telle démarche n’est certainement pas nouvelle en danse : Merce Cunningham, par exemple, avait pour usage de proposer des « lecture-demonstrations » (conférences-démonstrations), entrecoupant son exposé sur la danse de mises en pratique du geste dansé. Néanmoins les conférences-démonstrations de Cunningham30 étaient strictement circonscrites au contexte pédagogique et en aucun cas envisagées comme des productions spectaculaires.

Pour sa part, Rainer est parmi les premiers chorégraphes à construire le processus d’apprentissage comme un objet chorégraphique. Dans la pièce Rose Fractions (1969), elle enseigne Trio A (1966)31, sur scène, à Becky Arnold, puis juxtapose le geste non-virtuose et le geste maîtrisé en faisant danser amateurs et professionnels côte à côte. Dans Performance Demonstration, Becky Arnold performe Trio A pendant que Rainer corrige son geste sur scène. À ce stade de son travail chorégraphique, Rainer approfondit son travail pédagogique en rendant intelligible la structure du mouvement et la constitution du processus chorégraphique au public de la danse. Pour autant, la fonction didactique est perturbée puisque Rainer se refuse à commenter ou expliquer ce que les spectateurs et les spectatrices regardent. Celle qui affirme à propos de Trio A que « la danse est difficile à voir32 », rechigne singulièrement à faciliter la tâche de l’audience. Tout au contraire, elle choisit de complexifier l’entreprise en multipliant les niveaux de compréhension.

Dans Performance Demonstration, pendant que la première conférence se fait entendre, Yvonne Rainer et Becky Arnold réalisent « Mat », performant la même série de mouvements de manière non synchrone, dans une énergie étale et sans inflexion, en portant une attention consciencieuse à la répartition du poids du corps. Pendant un peu plus de cinq minutes, le duo interagit avec un matelas en mousse et un haltère noir, effectuant toutes sortes d’activités : faire le poirier sur le matelas, marcher, rouler, s'asseoir dessus, le jeter en l’air, faire des tractions avec l’haltère, etc.

Totalement disjoint du mouvement en train de se faire, le texte est, quant à lui, dédié aux lacunes de la pièce et aux projets non encore concrétisés dans Performance Demonstration. De manière provocante, Rainer refuse d’éclairer ce que l’audience voit, suscitant ainsi frustration et attente. Concentrée sur l’exposé de son processus de création, elle évoque de manière exagérément détaillée un court-métrage (Trio Film), non encore réalisé, mais qu’elle envisage de projeter dans le cadre de la représentation. Elle parle également de « l’omission d’une performeuse qui participera plus tard à un trio, pour le moment réalisé sous la forme d’un duo ». L’espace d’un instant, le spectateur ou la spectatrice nourrit l’espoir d’une mise en adéquation du texte et de la danse, mais Rainer le détrompe aussitôt par une adresse directe : « Ce n’est pas le duo avec les matelas que vous regardez à présent, mais un autre qui va se produire plus tard accompagné d’un film montrant deux pieds et une balle blanche ». Au moyen de cette disjonction du texte et de la danse, Rainer perturbe le regard du public en le contraignant au difficile exercice intellectuel de surimposer à ce qu’il voit, un film ou un duo chorégraphique qu’il n’a jamais vu, d’imaginer ce que la pièce chorégraphique a pu être et ce qu’elle n’est pas encore. La chorégraphe propose ainsi une réflexion sur le médium en lui-même, qu’elle définit comme performance davantage que comme danse, à savoir comme un événement qui se « dématérialise » une fois la représentation achevée et dont il ne subsiste ensuite qu’un projet et une partition en constante évolution.

Dans le format de la performance-démonstration, le propos conférencier est cantonné à l’enregistrement sonore, le corps émetteur du discours est invisible. C’est d’ailleurs un parti-pris constant dans la danse rainerienne : c’est le corps dansant et non pas discourant qui s’expose aux regards. De Reflections and Dogmas of a Dogged Dog au format évolutif des « performance demonstrations », Rainer adopte un positionnement défiant à l’égard du pouvoir associé au savoir et au logos. Refusant les codes de l’éloquence et le jeu de l’orateur, elle persiste à lire le texte d’une voix plate et sans inflexions. De même, elle rejette le ton docte, la maîtrise langagière et les formules rhétoriques du conférencier. À l’opposé, elle adopte un langage décontracté et une syntaxe souvent relâchée, multipliant les inventions langagières ou les formules familières.

Dans le texte de Performance Demonstration, Rainer déconstruit l’autorité de la conférencière en adoptant un ton badin, ironique voire caustique, passant d’un sujet à l’autre sans opérer de transition, s’affirmant en tant qu’ennemie éhontée de la musique « sérieuse », qu’elle surnomme narquoisement « muzeek », « moozeek » ou encore « mussuck ». En recourant à l’humour et à l’ironie, Rainer remet en cause la domination de la culture élitiste, dite « sérieuse », tout aussi bien que l’autorité symbolique du discours intellectuel. Si une volonté didactique transparaît dans la notion de démonstration, Rainer en prend le contrepied en refusant d’expliquer la danse en train de s’effectuer, préférant exposer et conceptualiser son processus à la manière d’une conférencière. Dès lors, la visée pédagogique consiste précisément à rendre intelligible une approche chorégraphique sans mâcher le travail du public, le poussant ainsi à s’émanciper de la captivité et de la passivité qu’elle dénonce dans le dispositif spectaculaire traditionnel. D’autre part, refusant d’exhiber l’oralité, opérant une disjonction systématique du geste et de la parole, le format de la « performance demonstration » permet d’explorer la dimension monologique de la conférence. Dans leurs modes d’articulation et d’énonciation, les textes prennent la dimension d’une sorte de soliloque. Ils sont certes orientés vers un public (avec, parfois, des formes d’adresse à l’audience) et rapportent des événements survenus, en l’occurrence des danses passées. Mais ce sont en réalité des discours de soi à soi : l’énonciation à la première personne du singulier, le ton introspectif, la volonté d’analyser l’expérience vécue ou encore d’exposer les réflexions personnelles de la chorégraphe sur sa pratique, laissent transparaître une volonté d’affirmer une subjectivité, à rebours de la neutralité et de l’objectivité associées à la posture du conférencier.

Dans la perspective d’une histoire de la conférence-performance en cours d’écriture, l’apport de Rainer à ce genre, qu’elle expérimente de manière pionnière dès le début des années 1960, doit être réévalué. Mettant à mal le modèle de la conférence, refusant le pouvoir et l’autorité liés au savoir, elle engage une déhiérarchisation entre chorégraphe, danseurs et spectateurs. La performance-démonstration rainerienne transforme la représentation spectaculaire en un espace vivant, en constante transformation, où le mouvement s’élabore, s’analyse et se transmet. Par la suite, le geste dansé comme construction d’un savoir et comme démonstration, entre théorie, pratique et pédagogie, deviendra une exploration primordiale pour la danse postmoderne américaine : au sein du Grand Union entre 1970 et 197633, ou dans la danse narrative de Trisha Brown (par exemple Accumulation with Talking en 1973) ou encore chez Simone Forti, qui développe un format chorégraphique qu’elle appelle la « logomotion » à partir des années 1980. Pour sa part, Rainer renoue avec la performance-démonstration dans les chorégraphies produites après son retour à la danse, à partir des années 2000.

1 Ce texte a été initialement présenté le 10 mars 2017 sous la forme d’une communication intitulée « Démontrer la danse : théorie, pédagogie et

2 Une telle observation est à nuancer : citons le travail de Valeska Gert (1892-1978), danseuse et actrice allemande, qui a utilisé la voix en danse

3 L’ouvrage de Julia Beauquel propose une bonne synthèse des débats sur l’ontologie de la danse : Julia Beauquel, Esthétique de la danse. Le danseur

4 Louis Horst, « Contemporary Dance, Inc. Young Choreographers », Dance Observer, vol. 29, n° 5, mai 1962, p. 71‑72.

5 Scott MacDonald, A Critical Cinema: Interviews with Independent Filmmakers, Los Angeles, University of California Press, 1988, p. 30. Toutes les

6 Sally Banes, Democracy's Body: Judson Dance Theater, 1962-1964, Ann Arbor, Mich., umi Research Press, 1983, p. 13.

7 John Cage, « Discours sur rien », Silence. Discours et écrits, Paris, Denoël, (1re éd.) 2004, trad. par Monique Fong, p. 68-82.

8 La partition de cette pièce précoce est conservée dans les archives d’Yvonne Rainer au Getty Research Institute, mais le manuscrit n’est pas daté (

9 Yvonne Rainer, Score for Reflections and Dogmas of a Dogged Dog, loc. cit.

10 Yvonne Rainer, Score for Reflections and Dogmas of a Dogged Dog, op. cit.

11 Ibid.

12 Ibid.

13 Ibid.

14 Ibid.

15 Liza Béar, Willoughby Sharp, « The Performer as a Persona »,Avalanche, n° 5, été 1972, p. 58.

16 Yvonne Rainer, Score for Reflections and Dogmas of a Dogged Dog, op. cit.

17 Yvonne Rainer, « Some Retrospective Notes on a Dance for 10 People and 12 Mattresses called Parts of Some Sextets, performed at the Wadsworth

18 Voir Jill Johnston, Marmelade Me, E.P. Dutton, New York, 1971 ; Sally Banes, Democracy's Body: Judson Dance Theater, op. cit.; Carrie

19 Yvonne Rainer, Feelings Are Facts: a Life, Cambridge, Mass., mit Press, 2006, p. 236.

20 Yvonne Rainer, « Some Thoughts on Improvisation », Judson Dance Theater-A Concert of Dance #14, 1964, Series A, subseries 2, Box 3, Folder 54, The

21 La pièce a également été performée par la suite lors du Concert # 14 du Judson Dance Theater en avril 1964 – spectacle dont la première partie

22 Sally Banes, Democracy's Body, op. cit., p. 196.

23 Leur complicité est d’ailleurs toute à fois artistique et intime, puisqu’ils entretiendront une relation amoureuse durantprès de sept ans.

24 Voir notamment Anaël Lejeune, « 21.3 (ou le discours claudicant) », (Sic), n° 1, octobre 2006, p. 7‑15 ; Paul Bernard, « Morris schizophone, Notes

25 Yvonne Rainer, Correspondence, 1968, Series II, Box 8, Folder 15, Getty Research Institute, Research Library, Los Angeles.

26 Yvonne Rainer, « Lecture for a Group of Expectant People », 0 to 9, n° 5, Janvier 1969, p. 12-19.

27 Yvonne Rainer, Work, op. cit., p. 110.

28 Ibid. Nous soulignons.

29 Jill Johnston, « Pain, Pleasure, Process »,The Village Voice, 27 février 1964, p. 9.

30 Voir par exemple Merce Cunningham, « Extraits d'une “Lecture-Demonstration” au Dance Deck d'Ann Halprin (13 juillet 1957) », dans Merce Cunningham

31 Trio A a été présentée pour la première fois au public sous la forme d’un trio dansé par David Gordon, Steve Paxton et Yvonne Rainer en janvier

32 Yvonne Rainer, « A Quasi Survey of Some “Minimalist' Tendencies” in the Quantitatively Minimal Dance Activity Amidst the Plethora, or an Analysis

33 Impulsé par Yvonne Rainer, le Grand Union est un collectif de danseurs et de chorégraphes qui, entre 1970 et 1976, rassemble par intermittence

Bibliographie

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Rainer Yvonne, Feelings Are Facts: a Life, Cambridge, Mass., mit Press, 2006.

Notes

1 Ce texte a été initialement présenté le 10 mars 2017 sous la forme d’une communication intitulée « Démontrer la danse : théorie, pédagogie et subjectivité dans les performance demonstrations d’Yvonne Rainer (1961-1969) » dans le cadre du colloque La conférence comme performance à l’université Rennes 2 (9 et 10 mars 2017).

2 Une telle observation est à nuancer : citons le travail de Valeska Gert (1892-1978), danseuse et actrice allemande, qui a utilisé la voix en danse, et notamment le cri et le sanglot. Par ailleurs, si le silence en danse concerne autant le danseur que la danseuse, il n’en demeure pas moins que les prescriptions imposées aux corps des femmes sont beaucoup plus drastiques. En danse classique, la ballerine est majoritairement construite comme une figure éthérée et irréelle, suscitant l’émotion par le geste. Voir par exemple Christie Adair, Women and Dance : Sylphs and Sirens, Londres, Macmillan, 1992 ; Susan Leigh Foster, Choreography & Narrative : Ballet's Staging of Story and Desire, Bloomington, Indiana University Press, 1996 ; Hélène Marquié, Marina Nordera (dir.), « Perspectives genrées sur les femmes dans l’histoire de la danse », numéro spécial, Recherches en danse [en ligne], n° 3, 2015.

3 L’ouvrage de Julia Beauquel propose une bonne synthèse des débats sur l’ontologie de la danse : Julia Beauquel, Esthétique de la danse. Le danseur, le réel et l'expression, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.

4 Louis Horst, « Contemporary Dance, Inc. Young Choreographers », Dance Observer, vol. 29, n° 5, mai 1962, p. 71‑72.

5 Scott MacDonald, A Critical Cinema: Interviews with Independent Filmmakers, Los Angeles, University of California Press, 1988, p. 30. Toutes les traductions sont de l’auteure sauf mention contraire.

6 Sally Banes, Democracy's Body: Judson Dance Theater, 1962-1964, Ann Arbor, Mich., umi Research Press, 1983, p. 13.

7 John Cage, « Discours sur rien », Silence. Discours et écrits, Paris, Denoël, (1re éd.) 2004, trad. par Monique Fong, p. 68-82.

8 La partition de cette pièce précoce est conservée dans les archives d’Yvonne Rainer au Getty Research Institute, mais le manuscrit n’est pas daté (Yvonne Rainer, Score for Reflections and Dogmas of a Dogged Dog, undated, The Yvonne Rainer Papers, Series III, Box 31b, Folder 12, Getty Research Institute, Research Library, Los Angeles). Dans un échange de courriels avec l’auteure, l’artiste précise « “Dogged Dog” est une danse solo que j’ai créée et performée, consistant en la lecture de papiers colorés disposés sur le sol, en alternance avec quelques mouvements de danse. Cela s’est déroulé au Merce Cunningham Studio vers 1961 ». Email à l’auteure, 16 octobre 2015.

9 Yvonne Rainer, Score for Reflections and Dogmas of a Dogged Dog, loc. cit.

10 Yvonne Rainer, Score for Reflections and Dogmas of a Dogged Dog, op. cit.

11 Ibid.

12 Ibid.

13 Ibid.

14 Ibid.

15 Liza Béar, Willoughby Sharp, « The Performer as a Persona », Avalanche, n° 5, été 1972, p. 58.

16 Yvonne Rainer, Score for Reflections and Dogmas of a Dogged Dog, op. cit.

17 Yvonne Rainer, « Some Retrospective Notes on a Dance for 10 People and 12 Mattresses called Parts of Some Sextets, performed at the Wadsworth Atheneum, Hartford, Connecticut, and Judson Memorial Church, New York, in March, 1965 », in Work 1961-73, Halifax, N.S., Press of the Nova Scotia College of Art and Design 1974, p. 46.

18 Voir Jill Johnston, Marmelade Me, E.P. Dutton, New York, 1971 ; Sally Banes, Democracy's Body: Judson Dance Theater, op. cit.; Carrie Lambert-Beatty, Being Watched, Yvonne Rainer and the 1960s, Cambridge Mass., mit Press, 2008.

19 Yvonne Rainer, Feelings Are Facts: a Life, Cambridge, Mass., mit Press, 2006, p. 236.

20 Yvonne Rainer, « Some Thoughts on Improvisation », Judson Dance Theater-A Concert of Dance #14, 1964, Series A, subseries 2, Box 3, Folder 54, The Judson Memorial Church Archives, The Fales Library and Special Collections, New York ; publié dans Work 1961-73, Halifax, Press of the Nova Scotia College of Art and Design, 1974, p. 298-301. La traduction est tirée de l’article de Klaus Ottmann, « Épiphanies de beauté et de connaissance. Le monde de la vie de James Lee Byars » publié dans le catalogue de l’exposition James Lee Byars. Life, Love, and Death, organisée par le Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg en 2004-2005 (trad. par Jeanne Bouniort, Alexandra Pignol et Thomas De Kayser, Strasbourg, Les musées de Strasbourg, 2004, p. 28).

21 La pièce a également été performée par la suite lors du Concert # 14 du Judson Dance Theater en avril 1964 – spectacle dont la première partie était entièrement dédiée à l’improvisation, sous toutes ses formes.

22 Sally Banes, Democracy's Body, op. cit., p. 196.

23 Leur complicité est d’ailleurs toute à fois artistique et intime, puisqu’ils entretiendront une relation amoureuse durant près de sept ans.

24 Voir notamment Anaël Lejeune, « 21.3 (ou le discours claudicant) », (Sic), n° 1, octobre 2006, p. 7‑15 ; Paul Bernard, « Morris schizophone, Notes sur 21.3 », Volume – What you See is What you Hear, n° 4, 2012, p. 97-104.

25 Yvonne Rainer, Correspondence, 1968, Series II, Box 8, Folder 15, Getty Research Institute, Research Library, Los Angeles.

26 Yvonne Rainer, « Lecture for a Group of Expectant People », 0 to 9, n° 5, Janvier 1969, p. 12-19.

27 Yvonne Rainer, Work, op. cit., p. 110.

28 Ibid. Nous soulignons.

29 Jill Johnston, « Pain, Pleasure, Process », The Village Voice, 27 février 1964, p. 9.

30 Voir par exemple Merce Cunningham, « Extraits d'une “Lecture-Demonstration” au Dance Deck d'Ann Halprin (13 juillet 1957) », dans Merce Cunningham. Un demi-siècle de danse, David Vaughan (dir.), Paris, Éditions Plume, 1997, trad. par Denise Luccioni, p. 100-101.

31 Trio A a été présentée pour la première fois au public sous la forme d’un trio dansé par David Gordon, Steve Paxton et Yvonne Rainer en janvier 1966 à la Judson Memorial Church. Si elle conçoit d’abord cette danse comme la première partie de The Mind is a Muscle (1966-1968), Rainer l’a ensuite revisitée à de multiples reprises, en groupe ou en solo (citons Convalescent Dance en 1967, Trio A with Flag en 1970 ou encore Geriatric With Talking en 2010).

32 Yvonne Rainer, « A Quasi Survey of Some “Minimalist' Tendencies” in the Quantitatively Minimal Dance Activity Amidst the Plethora, or an Analysis of Trio A » (1968), dans Work, op. cit., p. 68.

33 Impulsé par Yvonne Rainer, le Grand Union est un collectif de danseurs et de chorégraphes qui, entre 1970 et 1976, rassemble par intermittence Becky Arnold, Trisha Brown, Barbara Dilley, Douglas Dunn, David Gordon, Nancy Green, Steve Paxton, Lincoln Scott. Véritable laboratoire communautaire, le groupe explore les potentialités du processus d’improvisation dans le temps de la représentation.

Citer cet article

Référence électronique

Johanna Renard, « Démontrer la danse : les danses-conférences d’Yvonne Rainer dans les années 1960 », Déméter [En ligne], 5 | Été | 2020, mis en ligne le 01 septembre 2020, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.peren-revues.fr/demeter/106

Auteur

Johanna Renard

Docteure en histoire et critique des arts de l’université Rennes 2, Johanna Renard est l’autrice d’une thèse intitulée « Poétique et politique de l’ennui dans la danse et le cinéma d’Yvonne Rainer », à paraître en février 2021 chez De l’incidence Éditeur. Ses recherches sur l’histoire et la théorie de l’art contemporain depuis les années 1960 explorent les rencontres et les croisements entre arts visuels, performance, danse, cinéma expérimental et art vidéo. S'intéressant plus particulièrement aux femmes artistes, sa réflexion est nourrie par l'histoire sociale de l'art et les études de genre. Elle a co-dirigé avec Marie-laure Allain-Bonilla, Émilie Blanc et Elvan Zabunyan une anthologie de textes intitulée Constellations. Pour une histoire féministe de l'art à paraître en novembre 2020 aux Éditions iXe.

Droits d'auteur

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