Interculturel et pédagogie des langues étrangères : cas du français et de l’anglais dans les écoles des camps de réfugié-e-s congolais-e-s de Musasa et Kinama au Burundi

Rémy NSAVYIMANA et Marie-Immaculée NDAYIMIRIJE

 

Introduction

Une des avancées majeures dans l’enseignement/apprentissages (EA) des langues étrangères (LE) au cours des cinquante dernières années est celle mise en avant par l’approche communicative (AC) et qui consacre la centration de l’objectif de communication dans la pratique pédagogique. Sous cet angle, la réussite est perçue comme résultant de l’installation chez et par l’apprenante des compétences linguistiques de la langue cible, en tenant compte des notions et représentations culturelles de celui/celle-ci. L’enseignante a la responsabilité d’amener progressivement l’apprenante à développer et à consolider sa « compétence communicative » (Hymes, 1992).

Il faut cependant se rendre compte que, selon le contexte éducatif, l’intégration de l’AC par les acteurs de l’action pédagogique peut prendre du temps pour diverses raisons. Pour le sujet au centre de notre étude, les perceptions de la langue culture cible (français et anglais), dans l’environnement où elle est enseignée (au Burundi) ainsi que les opportunités disponibles pour sa rencontre, pourraient servir d’exemples. En tenant compte du dynamisme qui, généralement caractérise l’enseignement des LE, l’idée est de comprendre que le processus d’intégration des principes de l’AC peut devenir long, et qu’une réalisation de l’objectif de communication peut être entravée si les acteurs (l’enseignant, l’apprenant et l’élaborateur des curricula) n’ont pas pris bonne conscience de l’indissociabilité de la langue et sa culture au moment de l’exploitation des outils pédagogiques.

C’est dans cette optique que l’approche interculturelle, initiée pourtant depuis les années 1970 (Fougerouse, 2016, p. 113), peine à trouver sa place dans le champ pédagogique des LE dans bon nombre de pays en développement, notamment au Burundi et en République Démocratique du Congo. En considérant que l’interculturel est pourtant un aspect d’une importance capitale dans la mise en œuvre de l’AC, ceci constitue une lacune.

Notre article propose de mener une réflexion sur les perceptions de l’interculturel dans l’enseignement-apprentissage du français et de l’anglais (toutes deux langues étrangères) dans les classes de 3e et 4e secondaires des camps de réfugié-e-s congolais-e-s de Musasa et Kinama en province de Muyinga, au Burundi. L’objectif proposé est de faire un réveil de conscience sur cette lacune qui se remarque à la fois au niveau de l’élaboration des programmes y relatifs, plus spécialement sur le vide qui entoure son implémentation. Les propositions y afférentes s’inspirent des résultats d’une enquête de terrain menée auprès des enseignant-e-s desdites langues.

Les raisons d’une perspective interculturelle dans l’EA des langues étrangères

Dans l’enseignement/apprentissage moderne des langues étrangères (LE), l’Interculturel est une notion qui résulte d’une croyance universelle en une relation profonde entre une langue et sa culture (Robinett, 1978), et en l’idéal d’une coexistence pacifique de différentes cultures au sein des communautés, petites ou grandes qui forment le monde des humains (de plus en plus perçu comme un grand village en devenir, y compris dans le discours public). Il ne serait pas superflu de souligner que ceci constitue l’une des idées au centre de la protection et de la défense des droits humains, quel que soit le niveau ou le lieu (local, national, régional, international), ou encore la communauté concernée (travailleurs/travailleuses, chrétien(ne)s, étudiant-e-s, réfugié-e-s, communautés tribales, immigré-e-s, etc.)

 L’idée selon laquelle les choix que font les usagers d’une langue au niveau du lexique (vocabulaire et expressions), des éléments discursifs (stylistique) ainsi que des attitudes comportementales (langage/messages corporels) sont tous tributaires des mœurs, croyances, systèmes de valeurs, et des représentations qui sont faites du monde, avec ses patrimoines matériel et immatériel (Hinkel, 2001), semble longtemps établie. Il s’en suit que l’être humain, pour vivre en harmonie avec ses pairs et autres citoyen(ne)s du monde (compatriotes ou pas, de près ou de loin), est appelé à apprécier les différences et les richesses inhérentes à leurs modes de vie et de pensée, lesquelles sont aussi transmises à travers leurs choix et attitudes langagiers ( Fougerouse, 2016; Abdallah-Pretceille, 2011).

De ce qui précède, l’être humain, qui entend participer activement dans la prise de parole et dans la communication (puisqu’elles sont toutes nécessaires dans la construction du monde), doit aussi apprécier, sinon apprendre à distinguer comment elles sont exprimées, leurs significations changeantes à travers la diversité des actes et des contextes de communication pour qu’il s’en inspire au moment de ses interactions sociales ( Halvorsen, 2018; The partnership for 21st century learning, 2015; Hinkel, 2001). Selon The partnership for 21st century learning (2015, p.v), la sensibilisation et la compétence culturelles doivent figurer parmi « les compétences et attributs dispensés dans l’enseignement, ceci pour aider le citoyen à développer une pensée critique, améliorer sa façon de travailler, de communiquer, et de vivre dans le monde du 21e siècle ».

Dans leur volonté de promouvoir la compétence culturelle, les élaborateurs des programmes éducatifs et les enseignant-e-s des LE font des efforts pour insérer des contenus-matières qui donnent la place aux patrimoines culturels (objets d’art, sites historiques…), systèmes de valeurs, modes de vie et d’habillement, croyances religieuses, etc.), aux patrimoines naturels divers (fleuves et rivières, monts et montagnes, parcs, faune, flore, etc.) propres à un pays donné (Hinkel, 2001). Tout ceci montre que l’interculturel a son rôle à jouer dans l’acquisition des compétences langagières d’une LE (ici le français et l’anglais).

Le choix des camps de réfugié-e-s de Musasa et Kinama

Le choix des camps de réfugié-e-s pour notre recherche n’est pas un fait du hasard. Il a été dicté par des facteurs socio-éducatifs, d’une part et pédagogiques, d’autre part.

Considérations socio-éducatives

Il est connu que l’enseignement-apprentissage d’une langue seconde ou étrangère, dans un environnement où les apprenant-e-s sont en contact direct avec la culture cible, permet une meilleure prise de conscience de la pertinence d’une approche éducative qui intègre la dimension interculturelle (Hinkel, 2001; Robinett, 1979). En effet, le besoin pour les apprenant-e-s de « fonctionner correctement », c’est-à-dire sans briser les règles sociolangagières dans la communauté cible (qui par ailleurs les héberge), est immédiat. Du coup, l’enseignant-e et l’apprenant-e se sentent tous/toutes deux justifié-e-s dans leur embarquement sur une perspective interculturelle.

Dans les contextes où cette caractéristique socio-environnementale fait défaut, à l’instar des camps de réfugié-e-s congolais-e-s au Burundi, la part de l’interculturel dans l’EA du français et de l’anglais, et partant, dans la sensibilisation sur le relativisme culturel, peut être déconsidérée, mais à défaut, par les concepteurs et conceptrices des programmes et les enseignant-e-s, pourtant chargé-e-s de sa capitalisation dans les pratiques de classe. Leurs perspectives d’intégration et de communication avec les communautés cibles ne sont pas aussi perceptibles que dans le cas précédent.

 Ici, comme dans bon nombre de cas similaires (le français et l’anglais, LE dans le système éducatif burundais), il faut invoquer la responsabilité qui incombe à l’enseignant-e d’une LE de garder à l’esprit son rôle de guide et de personne-ressource dans des circonstances qui nécessitent que l’apprenant-e ait de la lumière sur le pourquoi de ce qu’il apprend et fait pendant ses leçons (Derewianka, 2013; Hahn, 1989). Selon Fougerouse (2016, p.114), « l’enseignant dans la classe de langue étrangère est le lien entre le groupe d’apprenants et la langue-culture cible […] Son rôle est de favoriser et d’encourager les échanges dont la richesse est source de progrès et de motivations […]. Il est un médiateur ». D’où la nécessité d’expliquer les avantages d’une approche interculturelle dans la perspective d’un monde qui se globalise et où la mobilité des populations en quête d’opportunités est devenue une réalité presque quotidienne autour du globe (Larsen-Freeman, 2012, p. 24).

Il y a donc lieu de considérer que des modes d’enseignement qui s’inscrivent dans une perspective interculturelle s’y pratiquent déjà. De ce fait, la présente étude gagnerait à en apprendre de leurs expériences. Dans le cas contraire, une formation à cette approche viendrait à point nommé.

Au plan éducatif, les enseignant-e-s desdites écoles enseignent le français et l’anglais comme LE. C’est un aspect d’intérêt majeur pour l’objectif du présent article, dans la mesure où une telle situation offre un terrain propice à une recherche sur la place qu’occupe les renseignements et explications socioculturels dans l’enseignement-apprentissage du français et de l’anglais LE, ainsi que les mécanismes utilisés pour rationaliser leur assimilation par les apprenant-e-s. Et que dire des programmes de français et d’anglais enseignés dans les sections pédagogique et économique?

Bref aperçu des programmes de français et d’anglais

Les programmes cibles sont ceux dispensés en classes de 3e et de 4e secondaires pour les deux disciplines (anglais et français). L’âge atteint par les apprenant-e-s et la nature des programmes sont les facteurs principaux qui ont motivé le choix du niveau d’étude / classe. Concernant l’âge atteint par les apprenant-e-s, les adolescent-e-s constituent un groupe d’apprenant-e-s capables de comprendre les faits et phénomènes abstraits. On considère qu’ils/elles sont en position de comprendre le bien-fondé d’un mode de transmission de connaissances linguistiques du français et de l’anglais qui associe la découverte culturelle de ces derniers. Il s’agit ici de leur apprendre que la langue est le reflet de sa culture et ne pourrait donc pas en être dissociée; et qu’apprendre l’une sans l’autre est préjudiciable à la bonne qualité de leur acquisition des compétences langagières dans lesdites langues. Le tableau ci-après montre les principales articulations après analyse des programmes.

Tableau 1. Articulations des programmes

Sans entrer dans les détails, on se rend compte, à la lecture du tableau, que non seulement les programmes des cours de français et d’anglais datent du 20e siècle (année de publication), mais ils sont aussi désuets par rapport aux principes de l’approche communicative et la perspective interculturelle. Une intégration du volet interculturel dans l’enseignement de ces programmes – bien que difficilement faisable au vu des directives méthodologiques proposées – ne serait qu’une amélioration prometteuse pour l’atteinte des objectifs énoncés. Il faut cependant songer à former les enseignant-e-s en la matière dans le long terme.

Cadre méthodologique

En ce qui concerne la méthodologie suivie, nous avons utilisé la recherche documentaire et l’enquête de terrain. La collecte des données pour la présente étude est rendue possible par la présence dans lesdits camps d’un des auteurs, alors qu’il s’y était rendu pour une mission officielle de travail dans le cadre d’un partenariat, avec Jesuit Refugee service (JRS) et l’École Normale Supérieure (ENS), axé sur le renforcement des capacités des enseignant-e-s en pédagogie. C’était durant la période du 2 au 12 avril 2021. Un questionnaire a été préalablement élaboré pour servir d’instrument d’enquête, lequel était dirigé vers les enseignant-e-s de français et d’anglais qui travaillent et vivent eux/elles-mêmes dans les camps de réfugié-e-s. De plus, une autorisation a été sollicitée auprès des responsables des camps, aux échelons administratifs et scolaires. Sécurité obligeant, une copie du questionnaire leur a été remise sur leur demande. Une rencontre avec les enseignant-e-s concerné-e-s était organisée pour une introduction du questionnaire et expliquer son objectif.

Concernant le questionnaire, il comprend 13 questions dont 9 sont suivies d’option de réponses à cocher, alors que le reste était des questions ouvertes. Cette conception a été dictée par le souci de faciliter les enseignant-e-s, au cas où le concept d’interculturel ne leur serait pas familier. L’accès aux manuels de cours était facilité par la nature même de la mission. Ainsi, 12 enseignant-e-s dont 8 (sur un total de 12) à Musasa et 4 (sur un total de 8) à Kinama constituaient l’échantillon de l’enquête.

Résultats du dépouillement du questionnaire

Il sied de signaler en premier lieu que le questionnaire était écrit en français pour faciliter la compréhension de son contenu par les enseignant-e-s. Quatre rubriques y figuraient, à savoir (1) les détails démographiques; (2) les caractéristiques générales des programmes; (3) les mécanismes /approches interculturels utilisés par les enseignant-e-s dans leurs pratiques de classe; (4) leurs points de vue sur l’impact de l’interculturel sur l’apprentissage, ainsi que leurs perspectives.

L’évaluation des programmes de français ou d’anglais suivis dans les camps de réfugié-e-s

Le tableau et la figure ci-après décrivent le plan de référence des programmes de français et d’anglais enseignés dans les écoles des camps de réfugié-e-s de Musasa et Kinama.

Tableau 2. Plan de référence dans l’exploitation du programme de français et d’anglais

Figure 1. Plan de référence dans l’exploitation du programme de français et d’anglais

Les résultats dans le tableau montrent un recours prédominant (8/12) aux programmes congolais (actuelle RDC), ce qui présage que les thèmes abordés sont de nature à développer les compétences langagières en langues française et anglaise inspirées de la culture congolaise. Ceci malgré le risque d’une connaissance dégradée de cette dernière par les enseignant-e-s – pour ne pas dire les apprenant-e-s – au vu de la période de 25 années de vie des camps, et pendant laquelle le nombre de réfugié-e-s congolais-e-s vivant au Burundi a évolué de manière croissante.

Aussi, la non-adoption d’un plan de référence spécifique, bien que minoritaire (1 enseignant-e/12) pourrait être inspirée par une décision délibérée de l’enseignant-e qui, malgré sa provenance congolaise, ne se reconnaît pas ou plus Congolais-e en termes d’appartenance culturelle. Dans tous ces cas, et la perspective du rapatriement étant encore lointaine, on peut arguer qu’une approche qui favorise un dialogue des cultures aurait toute sa place dans le système d’enseignement au sein des camps de Musasa et Kinama.

Quant à la référence au plan burundais, rappelons que les programmes de français et d’anglais restent eux aussi muets sur ce sujet au niveau des directives dans les Guides du Maître.

Mécanismes de vérification des connaissances dans l’exploitation des textes

Le tableau et sa figure correspondante ci-dessous précisent les différents mécanismes de vérification des connaissances dans l’exploitation des textes décrivant les réalités de la RDC.

Tableau 3. Mécanismes de vérification des connaissances

Figure 2. Mécanismes de vérification des connaissances

À travers le tableau ci-haut, on observe une diversification au niveau des mécanismes de vérification des connaissances ou de leur assimilation. L’illustration par des exemples passe certes pour un mécanisme efficace, d’où son choix par la majorité cumulée des enseignant-e-s (7/12); mais on peut craindre que son efficacité, dans une leçon centrée sur l’interculturel, ne se limite qu’au contexte de langue native. En réalité, toutes les options de mécanisme présentées ont chacune leur rôle dans la vérification et la consolidation des connaissances, quelle que soit la nature de la matière enseignée : linguistique, langagière, socioculturelle ou autres. Après tout, l’approche communicative, ne recommande-t-elle pas la variété et la flexibilité dans le choix des techniques d’enseignement? (Harmer, 2007). Toutefois, une approche qui met en avant l’apprentissage de la compétence de communication est d’autant efficace qu’elle offre aux apprenant-e-s des opportunités pour créer et produire le langage.

Mécanismes de vérification de la compréhension des leçons de français et d’anglais

Le tableau et sa figure ci-dessous présentent les mécanismes dont se servent les enseignant-e-s pour vérifier la compréhension, par les apprenant-e-s, des connaissances transmises dans les leçons de français et d’anglais.

Tableau 4. Mécanismes de vérification de la compréhension des leçons

Figure 3. Mécanismes de vérification de la compréhension des leçons

Comme dans le tableau précédent, on remarque ici le recours à divers mécanismes pour vérifier la compréhension. Une pratique pédagogique qui diversifie les méthodes d’enseignement et les modes d’apprentissage ne peut qu’ être encouragée, à condition de ne pas l’appliquer machinalement. Le partenariat ENS-Jesuit Refugee Service pourrait capitaliser cet aspect dans sa mission de renforcement des capacités en pédagogie des enseignant-e-s des camps de Musasa et Kinama, en y intégrant le volet sur la pédagogie de l’interculturel dans l’enseignement des langues étrangères.

Effets positifs d’incorporation de l’interculturel dans la transmission du programme de français et d’anglais

Le recours à l’interculturel dans l’enseignement du français et de l’anglais a des effets positifs ou négatifs, tels que présentés dans les tableaux 5a et 5b qui suivent :

Tableau 5a. Effets positifs d’incorporation de l’interculturel dans l’exécution du programme

Figure 4a. Effets positifs d’incorporation de l’interculturel dans l’exécution du programme

Tableau 5b. Effets négatifs d’incorporation de l’interculturel dans l’exécution du programme

Figure 4b. Effets négatifs d’incorporation de l’interculturel dans l’exécution du programme

Les informations collectées montrent que les enseignant-e-s interviewé-e-s ont des opinions positives (tableau 5a), mais aussi négatives (tableau 5b) face aux effets de l’intégration de l’interculturel dans leurs approches pédagogiques. Comparativement et quantitativement, les premières dépassent les secondes. Les éléments positifs qui viennent en tête sont la connaissance interculturelle et sa réintégration, soit respectivement 5 et 4 mentions sur un total de 9 éléments d’enquête soumis aux enseignants des deux camps de réfugié-e-s. Quant aux effets négatifs, le problème d’adaptation de l’interculturel obtient la plus grande fréquence dans les opinions exprimées.

Importance d’acquisition de la culture du pays d’asile

Le tableau ci-dessous résume les perceptions des enseignant-e-s enquêté-e-s sur l’acquisition de la culture du pays d’asile.

Tableau 6. Importance d’acquérir la culture du pays d’asile

Figure 5. Importance d’acquérir la culture du pays d’asile

Les résultats obtenus montrent une certaine divergence dans l’appréciation de l’importance d’acquérir la culture du pays d’asile pour les enseignant-e-s de Musasa et de Kinama. Alors qu’on observe à Musasa des perceptions instrumentalistes des LE plus prononcées (opportunités d’emploi, séjours), la possibilité de participation et d’intégration sociales recueille moins d’adhésion dans les deux camps, variant entre 0 et 1 mention parmi les éléments d’enquête.

Stratégies de promotion de l’approche interculturelle dans l’enseignement du français et de l’anglais

Un autre volet de l’enquête était orienté vers les stratégies en vue de promouvoir l’interculturel dans l’EA

du français et de l’anglais, comme le montre le tableau suivant :

Tableau 7. Stratégies de promotion de l’approche interculturelle

Figure 6. Stratégies de promotion de l’approche interculturelle

Il ressort des résultats que plusieurs stratégies ont été proposées, avec des fréquences plus élevées, respectivement pour le renforcement des capacités en interculturel et les visites d’exploration de terrain dans les deux camps de réfugié-e-s, soit 7/12 et 5/12 mentions. Un centre de documentation interculturelle semble retenir l’attention de 3 enquêtés à Musasa; par contre, il ne fait pas objet d’intérêt pour les enquêtés de Kinama (zéro mention). On constate aussi peu ou pas d’intérêt pour le suivi régulier et l’usage du film comme outils de promotion de l’interculturel.

Discussion des résultats

Les opinions positives (cf. tableau 5a) corroborent les idées dans la littérature ambiante sur les avantages de l’interculturel (Fougerouse, 2016; Hinkel, 2001; Robinett, 1987) , d’où l’optimisme qu’une approche interculturelle serait accueillie avec enthousiasme dans l’EA des LE à Kinama et Musasa si elle y était initiée. Les perceptions négatives d’une approche interculturelle (Tableau 5b), quant à elles, pourraient être graduellement dissipées à travers l’enseignement formel de l’interculturel, y compris aux enseignant-e-s au moment des séances de renforcement de leurs capacités pédagogiques disciplinaires. Il est important de déplorer ici l’absence d’opinions (positives ou négatives) en rapport avec l’objectif de communication efficiente dans une langue étrangère, ou d’amélioration de la pratique langagière; ce qui confirme l’idée que la perspective interculturelle dans l’EA des LE est un concept encore méconnu, surtout dans les programmes de formation des enseignant-e-s (Hinkel, 2001; Erdogan, 2020).

Les résultats de notre étude révèlent, par ailleurs, que l’acquisition de la culture du pays d’asile est d’une importance capitale pour les réfugié-e-s (cf Tableau 6) et, par extension, l’acquisition de la culture cible dans une classe de LE. En effet, comme le suggère Le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (2001, p. 83), « la connaissance, la conscience et la compréhension des relations (ressemblances et différences distinctives) entre ‘le monde d’où je viens’ et ‘le monde de la communauté cible’ sont à l’origine d’une prise de conscience interculturelle ».

Ces résultats suggèrent également une importance accordée à la culture du pays d’asile (tableau 6), dans la mesure où les enquêté-e-s l’associent avec la possibilité d’être compétitif sur le champ de travail et de s’intégrer socialement. En dehors du milieu d’apprentissage, des connaissances sur l’interculturel permettent une cohabitation pacifique avec les résident-e-s, ainsi qu’une collaboration étroite dans les projets de développement socio-économique. Fougerouse (2016, p. 114) soutient cet argument dans sa référence à « l’ouverture aux autres, à la communication, à la coaction, à l’interaction et au partage », comme des éléments indispensables dans la réussite de l’interculturel dans l’EA des LE.

Conclusion et perspectives

L’interculturel est méconnu dans l’EA du français et de l’anglais dans les écoles des camps de réfugié-e-s de Musasa et Kinama où il s’observe une situation multilingue avec des populations réfugiées qui parlent le français, l’anglais, le kiswahili, le kifulero, le kibembe, le kinyamulenge, le kirenga et le mashi; et certainement un peu de kirundi. Nous avions probablement raison de fournir aux enseignant-e-s enqueté-e-s une description détaillée de l’interculturel dans la partie introductive du questionnaire d’enquête. Cette description a permis de constater que les programmes en usage des deux disciplines sont désuets par rapport aux nouveaux développements dans l’enseignement /apprentissage des langues étrangères, et que l’interculturel est une notion à leur faire découvrir, autant au niveau des manuels de cours qu’au niveau de son implémentation. Le Partenariat École Normale Supérieure – Jesuit Refugee Service – est appelé à imaginer les moyens efficaces pour réaliser cette perspective qui, fort heureusement, fait partie des stratégies proposées pour sa promotion par les enseignant-e-s enquêté-e-s.

Références

Abdallah-Pretceille, Martine. 2011. L’éducation interculturelle. Paris, PUF.

Derewianka, Beverly. 2003. Développement de matériel électronique pour l’enseignement des langues. Élaboration de matériels pour l’enseignement des langues, 199-220.

Fougerouse, Marie Chrsitine. 2016. Une approche de l’interculturel dans l’enseignement/apprentissage du français langue étrangère. Synergies France, 10, 109-122.

Hahn, Cora. 1989. Dealing with variables in the language classroom. English language forum, 27, 9-11.

Halvorsen, Andy. 2018. Comprendre et utiliser l’enseignement axé sur la forme dans la classe de langue. ORTESOL Journal35, 27-35.

Harmer, Jeremy. 2007. The practice of English language teaching. Harlow: Pearson Longman.

Hinkel, Eli. 2001. Building awareness and practical skills to facilitate cross-cultural communication. Teaching English as a second or foreign language3, 443-458.

Hymes, Dell. 1992. Le concept de compétence communicative revisité. Trente ans d’évolution linguistique, 31-57.

Larsen-Freeman, Diane. 2012. De l’unité à la diversité : vingt-cinq ans de méthodologie d’enseignement des langues. Dans le forum d’enseignement de l’anglais (Vol. 50, No. 2, pp. 28-38). Département d’État américain. Bureau des affaires éducatives et culturelles, Bureau des programmes de langue anglaise, SA-5, 2200 C Street NW 4e étage, Washington, DC 20037.

Robinett, Betty Wallace. 1978. Teaching English to speakers of other languages: Substance and technique. Minnesota: University of Minnesota Press.


Pour citer cet article

NSAVYIMANA, Rémy et NDAYIMIRIJE, Marie Immaculée. 2022. Interculturel et pédagogie des langues étrangères : cas du français et de l’anglais dans les écoles des camps de réfugié-e-s congolais-e-s de Musasa et Kinama au Burundi. MASHAMBA. Linguistique, littérature, didactique en Afrique des grands lacs, 2(1), en ligne. DOI : 10.46711/mashamba.2022.2.1.6

Licence

La revue MASHAMBA. Linguistique, littérature, didactique en Afrique des grands lacs est sous licence Creative Commons CC BY-SA 4.0, disponible en ligne, en format PDF et, dans certains contextes, en version imprimée.

Digital Object Identifier (DOI)

https://dx.doi.org/10.46711/mashamba.2022.2.1.6

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2630-1431