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Le plan local d’urbanisme : un champ d’extension de la protection patrimoniale ?

The local urban plan: an instrument for extending heritage protection?
Mathieu Gigot, Sébastien Jacquot, Julie Marchand et Vincent Veschambre
Traduction(s) :
The PLU (local urban plan): an instrument for extending heritage protection? [en]

Résumés

Cet article s’appuie sur les résultats d’un projet de recherche consacré à la notion de « plan local d’urbanisme patrimonial » et qui visait à dresser un état des lieux de la manière dont les collectivités territoriales se sont emparées des outils d’identification et de protection du patrimoine dans le cadre de l’élaboration de leur PLU. Nous nous sommes focalisés ici sur des communes centres de grandes agglomérations françaises, pour une analyse comparée de ces PLU, enrichie d’entretiens et d’analyses de terrain avec les acteurs de leur élaboration. De cette analyse, il ressort que le patrimoine figure clairement parmi les points de passages obligés d’un PLU, en lien généralement avec d’autres enjeux, sans que cela ne présume cependant de l’ambition politique en la matière. Dans le cadre de l’élaboration de ces PLU se déploie un jeu d’acteurs mettant en jeu la définition du patrimoine et pouvant aboutir à une extension géographique et typologique de celui-ci avec notamment une tendance à l’immatérialisation de cette notion, qui se rapproche de celles de cadre de vie et de paysage. Cette recherche a également été l’occasion d’entrer dans l'écriture réglementaire et de constater de grands écarts dans les degrés de contraintes et de protection. Elle a aussi permis de préciser les manières dont s’articulent des outils spécifiques de protection et la planification patrimoniale par le PLU. Ce que l’on peut qualifier en certains cas de véritable « PLU patrimonial » enrichit incontestablement la panoplie réglementaire en la matière.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 Les Secteurs sauvegardés, issus de la loi Malraux de 1962, sont des dispositifs de protection gérés (...)
  • 2 Les Zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), issues des lois d (...)
  • 3 Site Internet du programme de recherche : https://plupat.hypotheses.org/
  • 4 Loi n°2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patri (...)
  • 5 Comme en témoigne le thème des rencontres nationales de l’association Sites et Cités remarquables d (...)
  • 6 Cf. les travaux du GRIDAUH (https://www.gridauh.fr/) et les sessions dédiées à cette thématique dan (...)

1À côté de l’habitat, l’économie ou la mobilité, le thème du patrimoine est devenu un point de passage obligé dans l’élaboration de la planification urbaine et de ses outils réglementaires. Mais alors que de nombreux travaux s’attachent à la construction et à l’expression des représentations patrimoniales dans le contexte de la fabrique urbaine (Greffe, 2000 ; Veschambre, 2008 ; Nicolas et Zanetti, 2013), l’étude des règles de droit, de leurs modalités d’application et de leurs effets reste souvent négligée, hormis quelques travaux de géographes (Gigot, 2020 ; Maurice, 2013) ou de sociologues de l’urbain (Marchand, 2018). La patrimonialisation en ville a été étudiée au prisme des dispositifs portés par l’État, du Monument historique aux périmètres patrimoniaux de type Secteur sauvegardé1 ou ZPPAUP2 (Tomas, 2004 ; Gigot, 2012), plus rarement du point de vue des politiques locales (Poupeau, 2009). C’est pour tenter de combler ce besoin de recherches et pour contribuer à une meilleure compréhension des effets d’un cadre juridique en mutation que s’est déployé le projet « PLU patrimonial »3 financé par l’ANR entre 2015 et 2019, rassemblant des chercheurs situés à la fois dans le champ du droit public et des études urbaines (géographie, sociologie). Même si au final la loi LCAP du 7 juillet 20164 n’a pas retenu la notion juridique de « PLU patrimonial » (De Lajartre, 2016), nous avons pu constater que l’idée d’un PLU affichant une ambition en matière d’identification et de protection de patrimoines d’intérêt local avait fait son chemin depuis la loi SRU de 20005 (Lebreton, 2011) et était aujourd'hui fréquemment revendiquée en ces termes mêmes6. Dans une logique interdisciplinaire, nous avons donc cherché à caractériser les évolutions juridiques en matière de qualification et de gestion des espaces patrimonialisés, derrière l’expression de « PLU patrimonial », et à faire le lien entre choix d’outils (spécifiques ou relevant de la planification urbaine) et action urbaine, en interrogeant les stratégies d’acteurs.

2Cette contribution à quatre voix est ainsi l’occasion de nous appuyer sur les principaux résultats de ce programme de recherche pour dresser un état des lieux de la manière dont les collectivités, plus spécifiquement des métropoles régionales et villes moyennes, se sont emparées des outils d’identification et de protection du patrimoine lors de l’élaboration de leur PLU, selon des ambitions variables. Dans le même temps, l’enjeu était de construire une typologie des usages conjoints de protection du patrimoine (via des outils juridiques spécifiques) que l’on pourrait qualifier « d’urbanisme patrimonial ». Tout ceci s’inscrivant dans un contexte évolutif, dont il s’agit de mesurer l’ampleur et le caractère innovant, dans le domaine de la planification et de la production patrimoniale.

3Parmi la quinzaine de terrains que nous avons pu mobiliser durant le temps du programme PLU patrimonial, nous nous focaliserons ici sur des communes centre de grandes agglomérations françaises, de sorte de garantir une certaine homogénéité du corpus (Tableau 1). Nous avons mobilisé une étude documentaire et comparée des PLU – mise en perspective par les documents d’urbanisme antérieurs – mené un travail d’archives, et conduit des entretiens et analyses de terrain avec les acteurs de l’élaboration du PLU.

  • 7 Plus ponctuellement sont aussi mobilisés les PLU de Bordeaux, Brest, Grenoble, Lille, Marseille et (...)

Tableau 1 : Les PLU étudiés et leur date d’approbation7

Commune (ou intercommunalité)

Date d’approbation du PLU étudié

Angers Loire Métropole (PLUi)

13/02/2017

Blois

18/11/2013

CC Grand Chambord (PLUi)

02/03/2020

Grand Lyon (PLUi) - Lyon, Villeurbanne

11/07/2005 (Lyon) et 18/06/2019 (Villeurbanne)

La Riche

26/06/2017

Le Havre

19/09/2011

Montpellier

02/03/2006

Orléans

25/10/2013

EPT Plaine Commune (PLUi)

25/02/2020

Rennes

17/05/2004 et 19/12/2010 (Rennes Métropole)

Eurométropole de Strasbourg (PLUi)

16/12/2016 (version 2019)

Tours

11/07/2011 et 20/01/2020

4Nous ne reviendrons pas ici sur les trajectoires locales de patrimonialisation, ni sur le détail des spécificités patrimoniales mises en exergue par les collectivités, mais chercherons à monter en généralité, afin d’identifier les enjeux patrimoniaux auxquels s’attachent à répondre les PLU analysés (1), les types de patrimoines qui sont « révélés » par ces documents, eux-mêmes issus de jeux d’acteurs locaux et de rapports de force (2) et enfin les types d'écriture réglementaire et de manières d'articuler outils spécifiques et planification patrimoniale (3).

1. À quels enjeux le PLU patrimonial répond-t-il ?

1.1 Le PLU, outil du projet urbain

  • 8 Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains.
  • 9 Loi n°67-1253 du 30 décembre 1967 dite loi d’orientation foncière.

5Lorsque la loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU) en 20008 institue le Plan local d’urbanisme (PLU) en lieu et place du Plan d’occupation des sols (POS) issu de la loi d’orientation foncière de 19679, l'objectif est de mettre en œuvre un document d'urbanisme capable à la fois d'exprimer un projet urbain local et de mettre en cohérence différentes politiques sectorielles à d'autres échelles (Douay, 2013).

  • 10 Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.
  • 11 Cette obligation doit être nuancée puisque les communes peuvent s’opposer au transfert de la compét (...)
  • 12 Nos cas d’étude concernent majoritairement des PLU, réalisés avant le délai de passage au niveau in (...)

6Pour faire face à l’instabilité réglementaire du POS et à ses révisions successives, le PLU est supposé traduire à l'échelle locale des objectifs définis par une politique nationale d’aménagement. Il devient l’outil central de la planification urbaine française, supposé défini au plus près des habitants et des acteurs locaux (Desjardins, 2020). Plusieurs enjeux politiques, au premier rang desquels l’enjeu environnemental et la lutte contre l'étalement urbain, sont ainsi exprimés. En 2014, la loi ALUR10 impose un changement d’échelle en rendant obligatoire l’élaboration des PLU au niveau de l’intercommunalité11. À terme, tous les PLU seront des PLU intercommunaux, dits PLUi12.

7Au-delà de ces grands enjeux, le PLU devient l’instrument privilégié de la collectivité pour exposer un projet de territoire (Melot, 2009), via l’élaboration du Projet d’aménagement et de développement durable (PADD). Inscrit dans la suite des différents diagnostics et états des lieux du territoire compris dans le Rapport de présentation du PLU, le PADD traduit au travers d’orientations ou d’axes les choix politiques qui vont présider au règlement et aux Orientations d’aménagement et de programmation (OAP).

8Les différents PLU(i) étudiés nous ont amenés à constater une prise en compte du patrimoine variant d’un simple recensement dans le diagnostic à l’application réglementaire dans le cadre de zonages spécifiques.

1.2. Le patrimoine dans le PLU : un item parmi d’autres ?

9La thématique patrimoniale apparaît dans les différentes parties qui composent le PLU, du rapport de présentation aux annexes, en passant par le PADD, les OAP et la partie réglementaire. Au sein du projet « PLU patrimonial », nous avons mis en œuvre une grille d’analyse des PLU(i), afin de cerner l’importance donnée au patrimoine, tant au niveau discursif que réglementaire. Dans le rapport de présentation, nous avons relevé toutes les occurrences de la racine « patrimo » (pour les termes « patrimoine » et « patrimonial »), afin d’identifier son importance et ses définitions, variables selon les territoires.

10Si certains territoires urbains ou métropolitains mettent largement en avant la thématique patrimoniale (1.000 occurrences pour Marseille, 520 pour l’Eurométropole de Strasbourg, 590 pour Angers, 449 pour Bordeaux…), d’autres manifestent un nombre d'occurrences plus limité (97 pour Montpellier, 51 pour Villeurbanne…). La thématique patrimoniale apparaît fréquemment au sein d’une partie du diagnostic qui lui est consacrée (cas du PLUi de l’Eurométropole de Strasbourg), notamment lorsqu’est rappelée l’histoire du territoire et les grandes étapes de son évolution (par exemple le PLUi de Plaine Commune), ou en lien avec une analyse paysagère (comme dans le PLUi du Grand Chambord qui fait du paysage le fondement de la démarche de planification intercommunale). Plus rarement, l’analyse patrimoniale est diffuse au sein du document, comme c’est le cas pour Le PLUi du Grand Lyon.

11Au-delà de cet aspect quantitatif, le PLU révèle un travail catégoriel, qui associe ou dissocie patrimoine et environnement et fait apparaître des types patrimoniaux spécifiques de l’agglomération. Ainsi, à Montpellier le patrimoine est tant « historique » que « paysager », à Lyon il est tant « majeur » que « d’intérêt local » ou « ordinaire », à Grenoble il est « urbain », « industriel », « scolaire », « écrit », « naturel », « végétal », « paysager ». Généralement, ces diagnostics reprennent les éléments d’un patrimoine déjà reconnu par les dispositifs Monument historique ou Secteur sauvegardé / AVAP / SPR, mais vont aussi au-delà de ces périmètres de protection, proposant une lecture patrimoniale enrichie, identifiant des patrimoines sur l’ensemble du territoire, de façon ponctuelle, linéaire ou zonale. Les qualificatifs associés au patrimoine traduisent aussi son importance aux yeux des concepteurs de PLU. Le rapport de présentation du PLU de Blois mentionne par exemple un « patrimoine exceptionnel », celui d’Orléans un patrimoine « identitaire », quand ceux de Rennes ou du Havre n’y attachent pas de qualificatif particulier, privilégiant une approche plus descriptive.

1.3. Le patrimoine dans le projet urbain : une confrontation avec d’autres enjeux

12Le PADD permet de repérer la façon dont la thématique patrimoniale est intégrée au projet urbain à travers sa place au sein des orientations ou des axes, et les types d’espaces et objectifs associés. Cette question a été appréhendée à partir de l’étude de PADD des PLU(i) représentant des villes moyennes ou grandes. La place du patrimoine au sein des différentes orientations est variable selon les villes, en dépit d’intitulés des orientations ou axes (attractivité, qualité de vie, mobilités...) relativement proches.

13Tout d’abord, le patrimoine est souvent utilisé comme un des éléments composant une orientation « attractivité », notamment pour les villes disposant d’un secteur UNESCO, comme à Tours, Le Havre ou Orléans. Ainsi, au Havre, la première des quatre orientations du PADD met en avant le patrimoine du centre-ville reconnu à l’UNESCO : « faire du Havre une ville attractive et dynamique ». À Orléans, le patrimoine est présent uniquement au sein de l’orientation « renforcer l’attractivité et le rayonnement », évoquant « le patrimoine remarquable », l’UNESCO, et l’enjeu de l’économie touristique.

14Dans un second cas, fréquent également, le patrimoine constitue un élément important d’une orientation « cadre de vie », « qualité de vie », etc. Dans le cas du PLU de Paris, une des quatre orientations est consacrée à la « qualité de vie », avec un sous-axe « le paysage architectural et urbain » (le patrimoine étant appréhendé comme paysage urbain). À Rennes la question patrimoniale est évoquée dans l’orientation 2 « une ville au service de ses usagers ». De même à Lille le patrimoine urbain est un élément constitutif d’une orientation « qualité de vie ».

15Une troisième association entre patrimoine et PADD relève de l’enjeu de l’identité urbaine, le patrimoine servant à exprimer des spécificités paysagères ou historiques, en continuité avec la partie diagnostic du PLU. La première orientation du PADD du PLU de Brest consiste à « faire de la mer l’emblème de la métropole brestoise », ce qui implique de mettre en valeur les « caractéristiques patrimoniales et environnementales spécifiques », ou de « révéler le patrimoine ».

16Toutefois, le lien entre patrimoine et orientation du PADD n’est pas exclusif. Dans plusieurs PLU(i), la thématique patrimoniale est présente dans plusieurs orientations d’un même PADD, souvent « attractivité » et « cadre de vie ». Le patrimoine est appelé alors à jouer un double rôle dans le projet de territoire, relevant d’un partage spatial de ses fonctions : les patrimoines au centre sont mis au service de l’attractivité (touristique, d’image, rayonnement), tandis que les patrimoines au-delà servent à signifier les enjeux de qualité de vie ou à définir des identités territoriales spécifiques, comme pour le PADD du PLUi de Strasbourg, à l’échelle de quartiers ou territoires spécifiques (faubourgs, centres de villages intégrés au tissu urbain de l’agglomération, etc.).

17Le PLU définit aussi des enjeux patrimoniaux à l’échelle plus localisée du projet urbain, dans le but « d’articuler la prise en compte de l’existant et la créativité dans les projets à toutes les échelles de mutation urbaine », comme l’exprime le PADD du Grand Lyon. Souvent il est rappelé que la démarche patrimoniale ne vise pas à « figer » la ville (PADD de Paris). Il s’agit alors de penser « le développement dans le respect du passé » (PLU de Tours), afin de produire « le patrimoine de demain » (PADD de Paris, PADD de Rennes).

18Les OAP constituent les instruments de cette conciliation localisée. Elles posent des principes et définissent un cadre d'intervention à l’échelle d’un secteur réduit du territoire, parmi lesquels peuvent figurer le maintien d’éléments identifiés comme patrimoine, ou la nécessaire articulation de nouvelles réalisations avec l’existant. Certaines OAP ont explicitement des objectifs de préservation patrimoniale (OAP Coteaux de Loire à Tours, visant à préserver les vues) ; d’autres intègrent un élément patrimonial à conserver dans un projet urbain. Par exemple pour le Grand Lyon, des OAP qualifiées de Périmètres d’intérêt patrimonial (PIP) cartographient différents patrimoines à prendre en compte, confrontée aux cartes des enjeux urbains (déprise foncière, vacance, mutabilité, mobilités…), afin d’opérer des choix de stratégie territoriale.

2. Le PLU, révélateur des patrimoines

19Au-delà de l’importance de la question patrimoniale dans le PLU, se pose la question des types de patrimoines produits et révélés par la démarche d’élaboration du document, selon deux perspectives. Tout d’abord, quels sont les acteurs et méthodes de l’identification patrimoniale ? Reste-t-on dans une procédure technique et spécialisée, mobilisant des corps professionnels experts, ou l’identification patrimoniale s’inscrit-elle dans une démarche ouverte à d’autres acteurs, notamment à une participation habitante ? Ensuite, le PLU est-il révélateur de nouveaux patrimoines, voire de nouvelles typologies patrimoniales, ou conforte-t-il une conception du patrimoine déjà ancrée sur le territoire ?

2.1. Identifier et sélectionner : comment se construit le patrimoine dans le PLU ?

20« La protection du patrimoine figure parmi les objectifs que le PLU doit poursuivre » (Iogna-Prat, 2011 : p. 1553), comme le mentionne l’article L. 101-2, d. du Code de l’urbanisme. Cet objectif suppose que la collectivité dispose de connaissances suffisantes sur le patrimoine de son territoire. En la matière, l’identification du patrimoine dans le PLU ne répond pas à des critères stabilisés. Celle-ci peut être absente (ce qui constitue un risque pour la collectivité), minimaliste ou, au contraire, très fournie. L’identification de patrimoine dans le PLU dépend des études préexistantes, de la méthode utilisée pour le recenser mais aussi de la volonté politique des élus, des moyens ou encore du profil des acteurs

21En matière de recensement du patrimoine, notre analyse dégage trois cas de figure, selon l’intégration ou non de l’inventaire à la démarche PLU.

    • 13 Disponible via la base Mérimée, disponible en ligne.

    Dans un premier cas, le PLU mobilise des recensements, inventaires et études préexistants. La connaissance des patrimoines a alors été construite en dehors des documents de planification territoriale. À ce titre, l’Inventaire général du patrimoine culturel13 peut être mobilisé par les concepteurs de PLU. C’est le cas à Montpellier où les chargés d’étude ont repris les données de l’Inventaire régional. À Angers, l’identification patrimoniale s’est appuyée sur l’inventaire conduit au niveau municipal, créé en 1975 en partenariat avec la DRAC. D’autres recensements ciblés sur des types de patrimoines, des périodes historiques ou des quartiers peuvent être réemployés, comme à Tours, pour le ré-usage d’une étude sur le patrimoine du XIXe siècle dans les quartiers périphériques du centre-ville, commandée par la Ville dans les années 1990 en vue d’une ZPPAUP finalement non conduite. À Plaine Commune, les données de l’Atlas de l’architecture et du patrimoine, mené par le département, ont été mobilisées lors de l’élaboration du PLUi.

  • Dans un deuxième cas, le PLU conduit à la production de recensements. Les acteurs peuvent concentrer les moyens sur des typologies particulières (le patrimoine industriel, le patrimoine balnéaire, etc.), en écho aux enjeux choisis. La Ville de Bordeaux a par exemple procédé au recensement systématique des échoppes de la « ville de pierre » (sur les franges du Secteur sauvegardé) dans le cadre de la mise en place de son PLU. Dans d’autres cas, des recensements à visée plus générale et systématique sont menés, leur qualité et leur exhaustivité dépendant des moyens alloués. Ces recensements peuvent être poursuivis après l’approbation du PLU (cas de certaines communes périurbaines du PLUi de l’Eurométropole de Strasbourg).

  • Dans un troisième cas, l’identification d’éléments patrimoniaux est faite en l’absence de recensement systématique, par simple compilation d’informations ponctuelles. C’est ce qui s’est produit dans le cadre de la révision du PLUH du Grand Lyon pour la plupart des communes concernées, notamment pour Villeurbanne, l’agence d’urbanisme n’ayant pu s’appuyer sur le travail de l’Inventaire régional que sur une partie de la commune de Lyon. L’absence de connaissance systématique et le caractère arbitraire de l’identification patrimoniale sont d’autant plus mis en lumière dans ce genre de situation.

22Les deux premiers cas de figure questionnent le profil des acteurs qui opèrent les recensements : en interne ou en externe, avec des méthodes participatives ou uniquement des experts. La variété des principes de recensement et des acteurs associés produisent des inventaires différents dans leurs résultats et formes, de simples listes à des fiches justifiant la valeur patrimoniale des éléments repérés. Difficile aussi d’affirmer que le recensement du patrimoine précède sa sélection dans le PLU : focaliser des études sur une typologie ou une période donnée pré-détermine déjà la sélection. Dans le PLU, le patrimoine est une composante du projet urbain et non une finalité en soi : le recensement est alors un outil d’aide à la décision et à l’arbitrage, voire de justification des choix effectués.

2.2. Les acteurs de la sélection et les modes de justification

23Selon les territoires, plusieurs configurations d'acteurs peuvent être à l'origine des sélections et décisions de protection patrimoniale. Trois catégories d’acteurs interviennent : les élus, caractérisant le pouvoir politique local, les experts, au sein des services des collectivités ou des services déconcentrés de l’État, et les habitants, en tant que pétitionnaires, riverains, ou citoyens engagés dans une démarche participative. Ces acteurs se distinguent par leur degré d’intérêt à la sauvegarde patrimoniale et leur connaissance des dispositifs patrimoniaux, pouvant être « spécialiste », « profane » ou « éclairé » (Marchand, 2018). Ils articulent leurs interventions selon plusieurs formes de légitimation. Considérer l’enjeu patrimonial comme choix stratégique du projet politique (tel qu’exprimé par le PADD) questionne la place des élus dans la sélection des patrimoines. Basé sur un diagnostic préalable et argumenté, le choix patrimonial repose aussi sur la mobilisation d’experts, en amont ou en aval de cette décision politique. Des démarches participatives peuvent aussi être menées.

24Tout d’abord, la place donnée au patrimoine peut être assumée et portée politiquement par un élu (le maire ou l’adjoint en charge du PLU), qui définit l’importance accordée au patrimoine et les principes de sa sélection. Ainsi, à Grenoble, la mise en avant de l'enjeu écologique justifie la protection du patrimoine bâti et naturel et se traduit par une division du zonage en zones U et N uniquement. À l’inverse, des arbitrages politiques peuvent être pris au préjudice d’une protection patrimoniale au PLU. À La Riche, les emprises réservées au tramway ont mis en concurrence deux enjeux urbains, sur toile de raréfaction du foncier : les mobilités et les patrimoines. Cela a conduit la municipalité à ne pas inscrire au PLU certains éléments potentiels pour ne pas bloquer le projet de tramway. À Villeurbanne, la moitié des éléments bâtis patrimoniaux (EBP) proposés par l’agence d’urbanisme n’ont pas été retenus par l’élu concerné, soit parce qu’ils ne présentaient aucun risque de démolition (bâtiments municipaux par exemple), soit au contraire parce qu’ils s’inscrivaient dans des projets urbains en cours ou à venir.

25Un autre mode de légitimation de la décision patrimoniale repose sur l'accompagnement par des experts, au sein des services de la collectivité (service d’urbanisme à Strasbourg, animatrice de l’architecture et du patrimoine à Plaine Commune) ou relevant d’autres structures. Dans le cas de La Riche, l’architecte des bâtiments de France (ABF) a souhaité la réalisation d’un recensement patrimonial par l’Inventaire régional. Cette action a révélé un patrimoine local aux élus, qui l’ont intégré dans leur PLU. Les compétences internes aux collectivités ouvrent à la fois le champ des patrimoines sélectionnés et les choix de leur prise en compte au-delà de la seule conservation. Pour la Communauté de communes du Grand Chambord, l’orientation vers un PLU intercommunal patrimonial est amorcée par les techniciens de la collectivité, afin de révéler la richesse d'un territoire masquée par le château éponyme. Pour Lyon, la protection UNESCO et son plan de gestion ont donné lieu à une prise en compte d’un patrimoine non monumental, caractéristique d’une ville stratifiée. La notion de « patrimoine ordinaire » est enrichie par la chargée de mission spécialiste de l’agence d’urbanisme de l’intercommunalité.

26Les agences d’urbanisme constituent une forme d’expertise transdisciplinaire, non spécifiquement patrimoniale mais visant à la conciliation d’enjeux pluriels. Sur certains terrains métropolitains étudiés, elles peuvent élaborer des méthodologies communes d’identification du patrimoine. L’inventaire patrimonial sur le territoire de l’Eurométropole de Strasbourg est mené par l’agence de développement d’urbanisme de Strasbourg (ADEUS), qui actualise d’année en année des inventaires communaux pré-existants, eux-mêmes issus de PLU précédents, ou de démarches préparatoires de ZPPAUP. L’agence d’urbanisme de l’agglomération tourangelle (ATU) tente d’élaborer une méthodologie commune pour recenser et sélectionner les patrimoines dans les différents PLU communaux, anticipant ainsi le passage au PLUi. Pour cela, elle développe des collaborations avec les services qualifiés (Inventaire régional ou ABF par exemple). Des compétences patrimoniales peuvent aussi être intégrées à ces agences (architecte du patrimoine, historien de l’architecture…), même si leur nombre (une seule personne à l’Agence d’urbanisme du Grand Lyon ou à l’ATU) ne suffit pas toujours à produire une expertise sur l’ensemble du territoire.

27Enfin, les habitants peuvent être sollicités pour alimenter la démarche de recensement et de sélection, induisant une troisième forme de légitimation des inventaires réalisés, par l’attachement et la proximité, mais aussi des expertises revendiquées par certaines associations.

28À Strasbourg, les catégories patrimoniales utilisées pour l’inventaire résultent d’un travail mené avec une association habitante, au sein d’un quartier de Strasbourg, le Neudorf, dans les années 1990, en vue de l’élaboration du POS. En effet, ce quartier est alors marqué par des dynamiques de densification et gentrification, aboutissant à la destruction d’un bâti ancien. L’ARAN (Association des Résidents et Amis du Neudorf) fait pression sur la municipalité pour la mise en place de protections (proposant une ZPPAUP), tout en pesant sur la façon dont les catégories patrimoniales sont finalement construites par le service d’urbanisme (poussant à l’intégration des éléments végétaux par exemple). Cette mobilisation associative et ces échanges avec les acteurs publics aboutissent à un POS partiel approuvé en 2002, qui sert de base à la démarche patrimoniale du PLU(i) dans les années 2010 qui en reprend les catégories.

29L’habitant peut également être le garde-fou d’un recensement patrimonial insatisfaisant. Si nous avons peu constaté la mise en œuvre de concertation préalable d’habitants quant à l’enjeu patrimonial, pour les PLU étudiés, nous avons pu relever des contestations de la sélection opérée par les pouvoirs publics, lors des enquêtes publiques.

30Ainsi, via le rapport d’enquête publique du PLU de Tours (lors de la révision du PLU de 2013), plusieurs habitants voire élus ont émis des avis négatifs sur le projet de construction d’une tour de bureaux à proximité de la gare, au nom de la préservation des paysages. Un habitant ne souhaitait pas voir la perspective des rues bouchée par la nouvelle tour, tandis qu’une élue de l’opposition craignait que ce projet ne vienne défigurer le paysage urbain, caractérisé par le particulier tourangeau à R+1.

31Lors de l’enquête publique de 2018 pour la révision du PLUH du Grand Lyon, trois dépositions ont été faites à Villeurbanne sur les questions de patrimoine, dont la principale a été signée par l’association « la ville édifiante », créée l’année précédente. Bien que modeste par les forces mobilisées, cette association a marqué les esprits par la rigueur et l’ampleur du travail réalisé. Dans un document de 110 pages, une centaine d'Éléments bâtis patrimoniaux (EBP) supplémentaires ont été proposés, en particulier sur des maisons et des villas menacées dans des secteurs à projet.

  • 14 T.A. Nantes, 21 avril 2009, Association Sauvegarde de l’Anjou, req. n°064265.

32Plus incisives, les associations angevines ont fait annuler le PLU de 2009 au motif de la légalité interne et externe. En effet, le PLU d’Angers prévoyait le déclassement de 146 Ha initialement en espaces boisés classés, alors que le PADD célébrait la place du végétal dans la ville. Par ailleurs, le PADD annonçait la prise en compte d’un patrimoine urbain, dans cinq quartiers de la ville, et la protection n’était pas assurée par une traduction réglementaire. En 2009, le tribunal administratif a jugé insuffisante la prise en compte des recensements préexistants, dont l’atlas établi par le service de l'Inventaire14. Les associations d’habitants, maniant diverses expertises patrimoniales et juridiques, peuvent alors jouer un rôle de contrôle de légalité du document de planification.

2.3. Le PLU au fondement d’une extension patrimoniale ?

33Le PLU(i) fait-il émerger de nouveaux patrimoines, ou constitue-t-il le prolongement ou l’approfondissement de démarches patrimoniales déjà établies, notamment par rapport aux dispositifs urbanistiques de protection du patrimoine (Secteurs sauvegardés, ZPPAUP, AVAP, SPR désormais) ?

34Tout d’abord, le PLU(i) permet de dépasser une logique patrimoniale cantonnée aux centres anciens ou périmètres des abords, en étendant l’identification à de larges parties du territoire communal ou intercommunal. Par exemple, l’identification des éléments patrimoniaux pour le PLUi de l’Eurométropole de Strasbourg se fait au fur et à mesure des révisions et modifications. L’identification et la protection patrimoniale concernent alors aussi les faubourgs, les centres des communes de l’intercommunalité, les espaces ruraux d’une agglomération. À une échelle plus localisée, le PLU(i) peut préciser la valeur patrimoniale des contextes de Monuments historiques, comme à Montpellier avec l’identification de hameaux dans le voisinage des châteaux ou folies viticoles. Cette extension spatiale peut aussi entraîner une diversification des éléments protégés, tant du point de vue des périodes que des typologies. Ainsi le PLU(i) peut permettre une reconnaissance et une protection d’édifices du XXe siècle, de bâtiments industriels (pour le PLUi de Plaine Commune, les usines Babcock & Wilcox ou Mecano à La Courneuve), de bâtiments d’architecture régionale (les maisons à colombages des centres des communes de l’Eurométropole de Strasbourg), d’éléments du petit patrimoine (murs, murets, mares maçonnées, lavoirs pour le PLUi d’Angers Loire Métropole, souvent des clôtures particulières), d’éléments végétaux (arbres remarquables, jardins, dans de nombreux PLU), ou d’un patrimoine spécifique du territoire (l’héritage des Jeux Olympiques à Grenoble).

35Cette diversification se lit aussi dans le travail catégoriel mené au sein des PLU à des fins de justification et à des fins réglementaires. Tout d’abord, de nouvelles catégories patrimoniales sont proposées dans le rapport de présentation : patrimoine industriel, patrimoine du XXe siècle, patrimoine ordinaire, patrimoine végétal… La comparaison entre les PLU(i) révèle un foisonnement et une variété sémantique. Toutefois, ces catégories ne sont pas reprises telles quelles dans la partie réglementaire, et donnent lieu à un nouveau travail catégoriel, qui en définit les formes et les niveaux de protection. La nécessité de cartographier ces éléments et de définir clairement des règles aboutit alors à une typologie à plusieurs niveaux. Le premier niveau est généralement géographique, voire géométrique, et distingue des « éléments » et des « périmètres » (Grand Lyon), des « ensembles » et des « édifices » (Angers), des « ensembles », des « lignes » et des « bâtiments » à Strasbourg, etc. D’un PLU à l’autre, les catégories et les lexiques varient, manifestant une inventivité patrimoniale. Ce niveau est éventuellement croisé avec une hiérarchisation patrimoniale (« bâtiments exceptionnels » ou « intéressants » à Strasbourg), et avec un regroupement selon les types patrimoniaux (distinguant a minima éléments végétaux et bâtis).

36Enfin, cette extension patrimoniale peut être analysée comme un élément fédérateur des nouvelles logiques territoriales. Au-delà de la logique de l’exceptionnalité et de l’unique qui peut caractériser la patrimonialisation, le PLUi peut identifier un patrimoine sériel, en constituant un trait commun justifiant des discours sur « l’identité territoriale ». Dans la démarche PLUi du Grand Chambord, le patrimoine et le paysage deviennent des vecteurs d’une identité territoriale commune. Pour Bordeaux, l’enjeu est de définir un patrimoine métropolitain fédérateur.

37Ainsi, la dimension patrimoniale du PLU(i) permet de réinterroger les catégorisations du patrimoine.

3. Protéger et réglementer le patrimoine par le PLU

38Si le PLU est en capacité d’identifier une variété importante de patrimoines, il ne les protège pas pour autant systématiquement. La démarche patrimoniale peut consister en une simple mention au diagnostic, une liste des éléments d’intérêt en annexe sans incidence réglementaire ou, a contrario, en des fiches patrimoine qui prescrivent, un secteur inscrit au plan de zonage, etc. Les stratégies de patrimonialisation par le PLU sont différenciées, notamment par des traductions juridiques plus ou moins marquées, via l’écriture réglementaire. Le PLU constitue alors un cadre ouvert, dont le croisement avec d’autres dispositifs patrimoniaux permet de comprendre la stratégie des collectivités locales à l’égard du patrimoine.

3.1. L’écriture réglementaire du PLU, filtre de la patrimonialisation

39Le Code de l’urbanisme offre une palette d’outils pour protéger les patrimoines dans le PLU, avec des intensités juridiques différentes, de la recommandation à la prescription (Lebreton, 2011). L’écriture réglementaire des PLU analysés prend des formes contrastées et montre que les acteurs mobilisent et croisent plusieurs outils (De Lajartre et Gigot, 2021).

40L’article L. 151-19 du Code de l’urbanisme, fréquemment mobilisé, pose les bases de la protection des patrimoines dans le PLU, en reliant l’identification et la réglementation. Cet article ouvre la possibilité pour le règlement de PLU « d'identifier ou de localiser » des espaces, des bâtiments et sites « à protéger, à mettre en valeur ou à requalifier » pour une série de motifs qui, peu ou prou, reprennent des grandes catégories de patrimoines. Cette possibilité n'entraîne pas pour la collectivité une obligation de protection, ce qui confère une grande souplesse d’interprétation et d’application. Ainsi, une collectivité peut filtrer une nouvelle fois le patrimoine, après la phase d’identification et de sélection, par des niveaux de réglementation différents, selon l’expression de la règle, mais aussi selon les pièces du PLU dans laquelle elle est énoncée.

Protéger via le zonage

  • 15 Cf. art. L.151-9 et suivants du Code de l’urbanisme.

41La définition de secteurs et sous-secteurs au sein du zonage du PLU permet de territorialiser la règle patrimoniale. Si le zonage du PLU est normé à l’échelle nationale (avec quatre types de zones : U, AU, A, N)15, les collectivités conservent la liberté de créer des secteurs à l'intérieur de ces zones, pour exprimer des enjeux ou des spécificités localisées. Plusieurs des PLU analysés ont recours à la sectorisation pour afficher clairement dans le plan de zonage le caractère patrimonial de certaines zones. Le PLU de La Riche utilise l’indice « P » de « patrimoine » pour caractériser certains secteurs de sa zone U, correspondant à la partie la plus ancienne de la ville (Figure 1). De même, le PLU de Tours a mis en place une zone UA, correspondant aux quartiers « à forte valeur patrimoniale ». Concernant le PLUi de l’Eurométropole de Strasbourg, les zones UAa et UAb posent explicitement les enjeux de la préservation patrimoniale. Ainsi UAa renvoie aux « tissus anciens caractéristiques des cœurs de village », imposant notamment des implantations au nom du respect du « caractère patrimonial de la zone ».

Figure 1 : La prise en compte du patrimoine dans un secteur spécifique (PLU de La Riche, approuvé le 26/06/2017)

Figure 1 : La prise en compte du patrimoine dans un secteur spécifique (PLU de La Riche, approuvé le 26/06/2017)

42Les règlements de zone permettent d’exprimer des prescriptions particulières au patrimoine, concernant les conditions de démolition et l’aspect extérieur des constructions. La rédaction de ces articles ne répond à aucune règle spécifique et les situations sont très variées, de la simple reprise mot pour mot du Code de l’urbanisme (notamment de son article R. 111-27) à des formulations plus précises sur la nature des matériaux à utiliser, l’alignement à la rue ou la qualité des clôtures. Les collectivités peuvent ainsi faire varier le degré de précision de cette réglementation patrimoniale. L’article R. 111-27 permet par exemple à la collectivité de refuser un projet si elle estime qu’il est « de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants ». Cette disposition laisse une place importante à l’interprétation de la règle, et donc à sa négociation (Marchand, 2018). La règle constitue une ressource pour les acteurs (Maurice, 2013) et son interprétation croise localement des débats sur l’esthétique ou le paysage urbain (Gigot, 2020).

43La formulation concrète de l’écriture réglementaire traduit des niveaux de protection variés, de la recommandation à la prescription. Des règlements de PLU interdisent la démolition de certains éléments repérés au titre du patrimoine quand d’autres l’autorisent sous conditions. Cette interdiction de démolition est critiquée par certains acteurs au motif que la protection instituée se rapprocherait alors du régime des Monuments historiques et constituerait une atteinte à la propriété privée, alors que pour d’autres, elle est une condition de l’efficacité de la démarche patrimoniale. Dans la typologie des patrimoines protégés, le PLU de Tours distingue des « bâtiments soumis à une protection très forte », avec démolition interdite, et des « bâtiments soumis à une protection forte », avec destruction est possible, « lorsque [l’] état de vétusté le justifie et/ou lorsque le projet de remplacement s’intègre dans la séquence ». Ces niveaux de protection hiérarchisent l’engagement pour le patrimoine dans le PLU.

Le patrimoine individualisé : repérages et réglementations

44Certaines collectivités repèrent chaque bâtiment ou série de bâtiments d’intérêt patrimonial dans le règlement graphique, sans créer de secteurs spécifiquement patrimoniaux. Ces éléments sont représentés dans le règlement graphique sous des formes différentes, du bâtiment individualisé aux ensembles patrimoniaux en passant par des linéaires de bâtiments ou de façades (Angers) (Figure 2). La même distinction peut être opérée pour le patrimoine végétal (l’arbre remarquable, la haie ou la rangée d’arbres, le parc). En plus de ces formes de repérage, certaines collectivités introduisent une hiérarchie des patrimoines protégés : le PLU de Rennes par exemple hiérarchise la règle en fonction de trois niveaux représentés dans le plan de zonage par un système d’étoiles (Figure 3).

Figure 2 : Les éléments de patrimoine ponctuels et linéaires dans le plan de zonage (PLUi d’Angers Loire Métropole, approuvé le 13/02/2017)

Figure 2 : Les éléments de patrimoine ponctuels et linéaires dans le plan de zonage (PLUi d’Angers Loire Métropole, approuvé le 13/02/2017)

Figure 3 : Hiérarchisation du patrimoine dans le plan de zonage (PLUi de Rennes Métropole, approuvé le 19/12/2019)

Figure 3 : Hiérarchisation du patrimoine dans le plan de zonage (PLUi de Rennes Métropole, approuvé le 19/12/2019)

45Les éléments repérés au PLU sont souvent l’objet de fiches, qui en explicitent la valeur patrimoniale et intègrent des préconisations ou réglementations. Elles peuvent aussi constituer un outil d’aide pour les instructeurs en droit des sols, lors de l’examen d’autorisations d’urbanisme. Leur place dans le PLU définit leur efficacité (De Lajartre et Gigot, 2021) : en annexe du règlement, elles possèdent une valeur juridique, alors que positionnées parmi les pièces annexes du PLU elles n’ont qu’une dimension informative.

46Les fiches sont mobilisées de quatre façons dans les PLU analysés, selon leur position dans le PLU et leur efficacité (entre description, recommandation et prescription) :

  • Des fiches en annexe du PLU ou du règlement qui décrivent seulement. Leur objectif est de dresser un inventaire des richesses patrimoniales identifiées sur le territoire, reprenant des éléments du diagnostic. Elles constituent alors une base de connaissances qui peut être mobilisée dans le cadre de l’instruction des autorisations d’urbanisme si ce patrimoine fait l’objet de prescriptions générales dans le règlement. Par exemple, le PLU de Tours disposait, dans sa version de 2011, d’un cahier de fiches patrimoniales qui ne contenait pas de prescriptions. C’est le règlement littéral qui protégeait le patrimoine, les fiches n’apportant que des éléments de connaissance sur celui-ci. À l’inverse, la version en vigueur depuis 2020 explicite désormais dans les fiches les « enjeux de protection » et les « éléments caractéristiques à maintenir ». Au Havre, un « répertoire du patrimoine » (titre éloquent) est annexé au règlement mais se contente de situer le bien, d’en dresser un bref historique et une description courte, accompagnée d’une photo, sans visée réglementaire.

  • Des fiches en annexe du PLU qui décrivent et qui recommandent. Au-delà de ce rôle descriptif des richesses patrimoniales, certaines fiches intègrent des recommandations, sans portée contraignante. Associées à des prescriptions au règlement, ces recommandations permettent d’expliciter la règle générale à destination des agents du droit des sols, des pétitionnaires ou des habitants.

  • Des fiches en annexe du règlement qui décrivent, prescrivent et recommandent. Les fiches peuvent compléter des dispositions réglementaires générales sur le patrimoine, ou apporter des prescriptions sur les éléments identifiés lorsque le règlement est silencieux. Le PLU de La Riche comporte des fiches, annexées au règlement, qui associent prescriptions et recommandations, de façon à sécuriser juridiquement la protection du patrimoine tout en constituant une explicitation pédagogique.

  • Des fiches dans le règlement qui prescrivent : certains PLU intègrent des fiches patrimoine au sein même de la partie réglementaire du PLU, ce qui rend leur contenu de facto prescriptif. Ainsi, le titre 7 du règlement du PLU de Blois dresse une typologie des éléments identifiés (architecture rurale, maisons de maître…), attache un niveau de protection à chaque élément et détaille dans une fiche des prescriptions particulières.

Les Orientations d’aménagement et de programmation (OAP) : une protection alternative au règlement ?

47La partie réglementaire n’est pas la seule modalité de protection du patrimoine via le PLU. Des OAP peuvent prendre en compte l’objectif de sauvegarde du patrimoine. Pièce obligatoire du PLU, les OAP constituent un outil relativement souple dans la mesure où elles ne donnent que des principes d'aménagement opposables aux tiers dans une logique de compatibilité (et non de conformité, comme pour le règlement). Énonçant et explicitant des principes, elles permettent les échanges entre acteurs, et comportent, par ses modes d’écriture, une dimension plus pédagogique. Elles expriment des orientations générales pour un secteur ou une thématique donnée. Le patrimoine peut y être pris en compte comme un élément du projet d’aménagement sur un secteur donné ou via une OAP thématique dédiée.

48Les OAP de secteur peuvent concerner des secteurs de projets délimités (un projet d’écoquartier par exemple) et qui intègrent une dimension patrimoniale, ou d’autres types de secteurs comme les centres-bourgs ou les entrées de villes. La Communauté de communes du Grand Chambord a mis en place une OAP pour l’ensemble des centres-bourgs afin de croiser les enjeux de renouvellement urbain avec la préservation des caractéristiques patrimoniales des centres-bourgs. Cette OAP présente une typologie des centres-bourgs qui met en exergue leurs principes de développement et qui est associée à des orientations visant à encadrer les nouvelles constructions ou les projets de densification, dans le respect de l’existant. Elle se superpose avec la zone UAp, dont le règlement est moins fort que dans d’autres zones, justement parce que c’est l’OAP qui pose les principes de l’évolution des espaces urbains (Gigot, 2020).

49Une OAP thématique consacrée au patrimoine constitue une façon de donner des lignes directrices pour la prise en compte du patrimoine, sans contraintes réglementaires précises, de façon plus qualitative. Par exemple, une OAP Patrimoine permet sur un périmètre Patrimoine mondial d’expliciter les exigences liées à la Valeur universelle exceptionnelle, comme pour l’OAP Val de Loire au sein du PLUi d’Angers Loire Métropole. Les orientations de cette OAP peuvent être complétées dans le plan de zonage du PLU (au travers de zones N par exemple, pour protéger des composantes végétales du paysage).

50L’OAP patrimoniale est aussi utilisée pour gérer des enjeux difficiles à traduire dans le règlement. Le PLU d’Orléans intègre une OAP « clôtures et ambiances urbaines » qui se compose à la fois d’éléments prescriptifs et de recommandations. L’OAP vise à sensibiliser les acteurs au paysage urbain qu’elle participe à façonner (Gigot et De Lajartre, 2018).

51Ces différentes pratiques (définition de secteurs patrimoniaux, zonage et repérage de bâtiments ou linéaires, fiches, OAP) peuvent se cumuler, l’ensemble constituant la stratégie générale de protection patrimoniale via le PLU.

3.2. Le PLU face au Site patrimonial remarquable : quelles stratégies réglementaires ?

52Nombre de démarches de PLU patrimonial tiennent compte des outils de planification existants, notamment le Site patrimonial remarquable (précédemment Secteur sauvegardé, ou ZPPAUP-AVAP). Nos terrains d’étude permettent d’identifier cinq stratégies de la relation du PLU aux autres dispositifs de protection patrimoniale :

  • Le PLU alternatif (l’un ou l’autre). Dans plusieurs cas, le PLU patrimonial est alternatif à un SPR ou une extension de celui-ci. À Tours, la municipalité a fait le choix de ne pas mettre en place de SPR dans un quartier qui jouxte le Secteur sauvegardé, privilégiant une protection au titre du PLU, appuyée par l’intervention de l’ABF dans le cadre des abords des Monuments historiques. Ainsi, le PLU de 2020 zone cet espace en « quartier à forte valeur patrimoniale » et y repère plus de 1.000 édifices. Dans cette catégorie de PLU, l’intervention de l’ABF n’est pas effacée, mais elle est d’autant plus légitime si le PLU identifie des espaces ou des bâtiments d’intérêt patrimonial : le PLU donne corps et sens aux avis de l’ABF, en particulier dans les contextes où les relations entre l’ABF et la collectivité forment une collaboration vertueuse.

  • Le PLU concurrent (l’un contre l’autre). Dans certains cas, la dimension patrimoniale du PLU peut être revendiquée par les acteurs de façon à marquer une forme d’appropriation et de gestion locale du patrimoine, à distance des protections de l’État, potentiellement considérées comme une ingérence. Ici, le PLU patrimonial pose les bases d’une protection locale du patrimoine. Dans son édition de 2005, le PLUi du Grand Lyon, sur le territoire de l’AVAP de la Croix-Rousse, prenait ainsi en compte les 1.500 immeubles considérés comme remarquables au titre d’éléments bâtis à protéger. Nos enquêtes montraient alors une concurrence entre service de l’État, dont les prérogatives se cantonnaient à la gestion du Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) du Vieux Lyon, et la Ville de Lyon qui souhaitait prendre en charge la gestion du reste du territoire, en évitant la mise en place d’une AVAP, servitude d’utilité publique s’imposant au PLU.

  • Le PLU complémentaire (l’un et l’autre). Le PLU peut permettre de gérer les franges d’un SPR avec une réglementation patrimoniale plus souple, à l’instar des zones tampons autour des périmètres des biens inscrits à l’UNESCO. Il s’agit, pour les acteurs, d’affirmer la valeur patrimoniale d’un espace mais en la hiérarchisant par rapport au SPR. Dans cet esprit, le PLU est perçu (voire conçu) comme un outil dont la portée réglementaire est plus faible que celle du SPR. Le cas de Montpellier est caractéristique de cette stratégie : comptant un PSMV sur son hypercentre et quatre AVAP protégeant la couronne des faubourgs, le PLU se cantonne aux espaces dispersés en dehors des autres outils de planification. À Lyon, le PLU s'articule autour ou en correspondance des AVAP et du PSMV présents. Le PLU peut aussi être conçu comme complémentaire aux abords des Monuments historiques, sous la responsabilité de l’ABF, en y explicitant les règles. Dans cette configuration, le PLU repose alors sur une coopération entre services de l’État et collectivité, fixant un cadre commun, dans ces périmètres où l’ABF garde un droit de regard sur les autorisations d’urbanisme. Dans plusieurs PLU (Grand Chambord, Tours, Angers…), l’ABF contrôle ainsi l’évolution du paysage urbain.

  • Le PLU précurseur (l’un puis l’autre). Dans ce type, le PLU anticipe la création d’un SPR, mettant en place une réglementation permettant d’éviter des transformations du bâti, dans l’attente de l’approbation du SPR, aux délais de mise en place souvent plus longs. À Strasbourg, le PLUi a intégré une démarche patrimoniale intense sur le périmètre de la future extension du SPR (ex-PSMV), par ailleurs intégré au périmètre UNESCO depuis l’extension de 2017 à la Neustadt. Dans le temps plus long, il est possible d’envisager le PLU comme un révélateur de richesses patrimoniales, protégées au titre du PLU, qui feraient l’objet, à terme, d’un SPR.

  • Le PLU apatrimonial. Un PLU peut rester silencieux sur le patrimoine, même si le rapport de présentation devrait a minima l’intégrer en tant qu’élément de diagnostic. Cela peut résulter d’une omission, ou d’une volonté explicite des acteurs locaux de ne pas intégrer la dimension patrimoniale à la planification, laissant alors la protection patrimoniale aux autres dispositifs existants.

53Nos territoires d’étude entrent dans l’une ou plusieurs de ces catégories, suivant les espaces ou les versions du PLU considérées. Certains PLU pensent la dimension patrimoniale à l’échelle du territoire quand d’autres se focalisent sur des quartiers particuliers. Sur un même territoire, le rapport entre un SPR et le PLU peut être ambivalent et dépend de la capacité des acteurs à penser une politique patrimoniale à travers des outils de valeur juridique différente. Les temporalités de mise en œuvre des outils influencent aussi les rapports entre SPR et PLU. Ces rapports relèvent aussi d’une forme de géopolitique locale, caractérisée par les modes de gouvernance qui se mettent en place autour du patrimoine, notamment les rapports entre l’ABF et la collectivité.

3.3. Du patrimoine au paysage urbain

54Au-delà du degré de contrainte impliqué par l’écriture réglementaire (de la recommandation à la prescription), le contenu même des règles énonce une certaine façon de définir le patrimoine et sa conservation, opérant un glissement de la protection d’une matérialité patrimoniale à une protection des paysages urbains. De nombreux PLU proposent une typologie des patrimoines protégés : un premier niveau (souvent qualifié d’exceptionnel) limite les possibilités de transformation voire de démolition, tandis qu’un second niveau énonce la nécessité de reconstruire dans les volumes existants en cas de démolition. Cette seconde disposition peut apparaître comme une façon de décourager de fait les démolitions, qui ne peuvent conduire à accroître la surface bâtie, mais elle montre aussi une approche alternative des objectifs de la patrimonialisation : ce n’est plus la stricte matérialité, ni même l’apparence ou le style architectural, qui sont l’objet des recommandations, mais les volumes et formes de la ville, voire sa silhouette, bref les paysages urbains. Ainsi, au sein du PLUi de Strasbourg, les prescriptions concernant les bâtiments identifiés comme « intéressant » concernent la nécessité d’une reconstruction dans la même volumétrie et implantation ; pour le PLU de Tours c’est l’intégration dans la « séquence » de l’édifice reconstruit qui est prescrit pour les bâtiments soumis à une protection forte.

55La question de la protection des paysages urbains n’est toutefois pas nouvelle, même si les PLU ne revendiquent pas explicitement une filiation théorique ou conceptuelle. F. Choay rappelle le couplage entre naissance de l’idée d’un patrimoine urbain et préoccupations esthétiques liées à la morphologie urbaine, à travers les écrits de C. Sitte (Choay, 1999), prolongé par la diffusion des réflexions de G. Cullen sur le prisme paysager d’appréhension de la ville (Pousin, 2007), qui aboutit à une valorisation des espaces anciens, et au couplage avec les notions de « cadre de vie » et de « qualité architecturale » (Jannière, 2007). Au-delà du repérage explicite d’un patrimoine protégé au PLU, l’écriture réglementaire peut être interprétée, pour certaines zones, comme une protection d’un paysage urbain plus que des éléments matériels. Cela est justifié par la volonté de préserver un cadre de vie ou une ambiance urbaine, emblématisés par des paysages urbains singuliers, définis par des alignements, une implantation, des volumes et des hauteurs. Ainsi, le règlement vise aussi à un contrôle morphologique des espaces urbains, notamment par l’usage de l’article 10 (hauteur) et 11 (aspect extérieur), sans forcément que cela soit interprété comme démarche patrimoniale. Un brouillage entre différents registres semble ainsi s’opérer, entre patrimoine et cadre de vie ou ambiance urbaine.

56L’enjeu de protection des paysages urbains est en revanche plus explicitement patrimonial dans les PLU associés à des biens inscrits sur la Liste du Patrimoine mondial. Au niveau international, la notion de Paysage Urbain Historique (Historic Urban Landscape) émerge dans les années 2000, du fait de controverses concernant la place des projets urbains contemporains au cœur des périmètres UNESCO (Van Oers, 2007 ; Cominelli et Jacquot, 2020), et se traduit par le Mémorandum de Vienne de 2005 puis par la recommandation concernant le paysage urbain historique de 2011. Cet espace théorique international a alors une influence sur la façon dont le patrimoine est intégré au PLU. Ainsi à Strasbourg est envisagée une OAP Cadre distant, protégeant la silhouette urbaine au-delà des périmètres historiques centraux.

Conclusion

57Cet outil de planification qu’est le PLU, associé à l’article L. 151-19 du Code de l’urbanisme qui permet d’identifier et de protéger des éléments de patrimoine local, a fait émerger de nouveaux acteurs légitimes pour définir ce qui fait patrimoine et doit être de ce fait transmis : les collectivités territoriales. Dans un État à l’histoire marquée par la centralisation, ce n’est pas une mince évolution que cet avènement d’acteurs locaux dans la production patrimoniale (Planchet, 2009), même si ces collectivités territoriales ont des capacités inégales et surtout, à taille de ville comparable, des ambitions politiques plus ou moins affirmées en la matière. À la faveur de l’élaboration de ces PLU, s’invitent par ailleurs d’autres acteurs, que ce soient les représentants de l’État (ABF) ou les habitants, regroupés ou non en associations, qui réussissent parfois à faire valoir leur propre sensibilité patrimoniale. C’est un jeu d’acteurs au plus près du terrain qui se met en place autour de ces enjeux de positionnement du patrimoine dans les documents d’urbanisme. Avec l’instauration de la loi ALUR, c’est l’échelle de l’élaboration des PLU qui change, ces documents d’urbanisme devenant obligatoirement intercommunaux. Ce changement d’échelle a des conséquences en termes d’élargissement et de diversification des typologies patrimoniales. Mais c’est aussi une véritable géopolitique patrimoniale qui s’instaure, dans laquelle la commune centre, héritière d’une légitimité plus ancienne en la matière, n’est plus la seule à dire le patrimoine de l’agglomération.

58Ce que l’on pourrait qualifier de « PLU patrimonial » enrichit donc la panoplie réglementaire. Selon les cas – et c’est l’un des principaux enseignements de notre étude – le positionnement du PLU vis-à-vis des protections spécifiques peut varier considérablement : il peut se substituer à ce type de protection, venir la concurrencer, la compléter sur les plans géographiques et thématiques, ou bien encore servir de marchepied à la mise en place d’une nouvelle protection zonale (SPR).

59Cette appropriation sur vingt ans de l’outil PLU produit donc une double évolution : dans la conception même du patrimoine et sur le plan de sa réglementation. Cette double évolution semble porter une transformation, qu’il s’agira dans des recherches ultérieures de vérifier, de la matérialité patrimoniale à une approche plus immatérielle, renvoyant aux acceptions de cadre de vie et de paysage. Ce glissement n’est pas neutre du point de vue de la fabrique de la ville, apparaissant a priori moins contraignant pour les collectivités territoriales beaucoup mieux armées pour définir et gérer « leur patrimoine ».

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Veschambre V., 2008, Traces et mémoires urbaines, Rennes : Presses Universitaires de Rennes.

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Notes

1 Les Secteurs sauvegardés, issus de la loi Malraux de 1962, sont des dispositifs de protection gérés par l’État.

2 Les Zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), issues des lois de décentralisation de 1983 et transformées en Aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine en 2010, sont à l’initiative des collectivités territoriales et co-gérés avec l’État. Depuis la loi LCAP de 2016, Secteurs sauvegardés, ZPPAUP et AVAP ont fusionné en un seul dispositif : le Site patrimonial remarquable (SPR).

3 Site Internet du programme de recherche : https://plupat.hypotheses.org/

4 Loi n°2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.

5 Comme en témoigne le thème des rencontres nationales de l’association Sites et Cités remarquables de France en 2006 : « les Secteurs sauvegardés, les ZPPAUP et les PLU patrimoniaux ».

6 Cf. les travaux du GRIDAUH (https://www.gridauh.fr/) et les sessions dédiées à cette thématique dans le cadre des clubs PLUi nationaux ou locaux (http://www.club-plui.logement.gouv.fr/).

7 Plus ponctuellement sont aussi mobilisés les PLU de Bordeaux, Brest, Grenoble, Lille, Marseille et Paris.

8 Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains.

9 Loi n°67-1253 du 30 décembre 1967 dite loi d’orientation foncière.

10 Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.

11 Cette obligation doit être nuancée puisque les communes peuvent s’opposer au transfert de la compétence urbanisme à l’intercommunalité en activant une minorité de blocage (si au moins 25 % des communes de l’intercommunalité représentant au moins 20 % de la population s’y opposent).

12 Nos cas d’étude concernent majoritairement des PLU, réalisés avant le délai de passage au niveau intercommunal fixé à 2017.

13 Disponible via la base Mérimée, disponible en ligne.

14 T.A. Nantes, 21 avril 2009, Association Sauvegarde de l’Anjou, req. n°064265.

15 Cf. art. L.151-9 et suivants du Code de l’urbanisme.

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Table des illustrations

Titre Figure 1 : La prise en compte du patrimoine dans un secteur spécifique (PLU de La Riche, approuvé le 26/06/2017)
URL http://journals.openedition.org/tem/docannexe/image/8990/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 220k
Titre Figure 2 : Les éléments de patrimoine ponctuels et linéaires dans le plan de zonage (PLUi d’Angers Loire Métropole, approuvé le 13/02/2017)
URL http://journals.openedition.org/tem/docannexe/image/8990/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 308k
Titre Figure 3 : Hiérarchisation du patrimoine dans le plan de zonage (PLUi de Rennes Métropole, approuvé le 19/12/2019)
URL http://journals.openedition.org/tem/docannexe/image/8990/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 254k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Mathieu Gigot, Sébastien Jacquot, Julie Marchand et Vincent Veschambre, « Le plan local d’urbanisme : un champ d’extension de la protection patrimoniale ? »Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 56 | 2023, mis en ligne le 12 juillet 2022, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/tem/8990 ; DOI : https://doi.org/10.4000/tem.8990

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Auteurs

Mathieu Gigot

Maître de conférences en aménagement de l’espace – urbanisme
Université Paris Cité, UMR Géographie-Cités
Associé UMR CITERES
mathieu.gigot@u-paris.fr

Sébastien Jacquot

Maître de conférences en géographie
Université de Paris Panthéon Sorbonne, EA EIREST
Associé UMR PRODIG
sebastien.jacquot@univ-paris1.fr

Julie Marchand

Docteure en sociologie urbaine
Université de Tours, UMR CITERES
Médiatrice des territoires, Connaixens
Crealead – Hôtel de la coopération
jmpatrimoine@gmail.com

Vincent Veschambre

HDR en géographieDirecteur du Rize, Centre mémoires, cultures, échanges, UMR EVSHDR en géographie, Directeur du Rize, Centre mémoires, cultures, échanges
Ville de Villeurbanne, UMR EVS
vincent.veschambre@mairie-villeurbanne.fr

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Droits d’auteur

CC-BY-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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