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Comptes-rendus de lecture

Jean-Christophe Gay, La Nouvelle-Calédonie, un destin peu commun

IRD Éditions, Marseille, 2014, 238 pages
Vincent Herbert
Référence(s) :

Jean-Christophe Gay, La Nouvelle-Calédonie, un destin peu commun

IRD Éditions, Marseille, 2014, 238 pages

Texte intégral

1Le 25 juin 2015, Éric Soriano (Maître de conférences en sciences politiques à l’Université Paul Valéry, Montpellier 3) présentait son ouvrage « La fin des « indigènes » en Nouvelle-Calédonie au centre culturel Tdjibaou (Nouméa). Une étudiante de l’Université de Nouvelle-Calédonie pris la parole pour le remercier de proposer une approche nouvelle en faveur de la jeunesse calédonienne et de son avenir. Cette intervention s’apparentait à un plaidoyer en faveur d’études en sciences humaines et sociales axées sur le contexte socio-économique et politique actuel de la Nouvelle-Calédonie. C’est dans cet esprit que s’inscrit l’ouvrage de J.-F. Gay, qui constitue un réel apport réflexif sur la situation présente de la Nouvelle-Calédonie, par le prisme de la géographie.

2Dès les premières lignes de l’introduction, l’auteur précise que « ce livre se veut être (...) une analyse transversale et comparative d’un territoire attachant, complexe, en profonde mutation ». Le ton est donné : l’orientation de l’ouvrage se fonde sur une réflexion géographique, humaine, dont la finalité est de souligner les inégalités du territoire calédonien, essentiellement marquées par des déséquilibres sociaux et spatiaux.

3La première partie du livre (la plus courte, 25 p.), peut être interprétée comme un cadrage général et multiscalaire. Dans un premier temps, l’auteur s’attache à présenter les principales caractéristiques de cette île-archipel, au sein de la Communauté du Pacifique, et en la situant (à partir de plusieurs indicateurs) par rapport aux autres îles de l’Océanie intertropicale. Ensuite, l’explication de l’organisation politique et administrative de la Nouvelle-Calédonie offre une synthèse nécessaire pour comprendre la complexité de la gouvernance de cette Collectivité sui generis (p. 25-31). Les schémas et organigrammes illustrent utilement la présentation. La dernière thématique est consacrée à la toponymie. Un regret cependant : si le titre de la dernière section est accrocheur (« Des noms en question »), le lecteur reste sur sa faim. Hormis la justification par l’auteur d’utiliser « Nouvelle-Calédonie » et de souligner la présence d’une double toponymie, la dimension historique et culturelle de cette dernière semble avoir été sacrifiée au profit de quelques explications économiques et politiques.

4Au sein de l’ouvrage, les parties suivantes apparaissent plus équilibrées et développées, puisqu’elles font respectivement 56, 55 et 53 pages.

5La deuxième partie, consacrée aux « processus de formation du territoire » s’apparente davantage à un historique, certes nécessaire, mais relativement classique. Cette impression est probablement due aux nombreux détails qui émaillent le texte, utiles pour un expert de l’espace mélanésien, mais probablement trop complexes pour le grand public (40 pages !). A contrario, l’encadré 9 (p. 61) présente une bonne synthèse de l’évolution de la situation kanak. Si certains titres sont sans équivoque (p. 49, « Le bagne »), d’autres auraient pu être nuancés : « La mise en valeur coloniale » (p. 49) intègre, comme le souligne l’auteur, « la spoliation des terres kanak » et « le choc microbien des premiers contacts ». Cet aspect négatif, souligné à plusieurs reprises dans cette partie, aurait pu apparaître plus clairement dans le titre de cette section. Globalement, ce sont surtout les processus sociaux et l’évolution du statut des Kanaks qui ressortent le plus nettement de cette présentation.

6La troisième partie est certainement la plus riche et la plus novatrice. Intitulée « Les grands mécanismes sociaux-spatiaux », elle se positionne dans le prolongement des deux parties précédentes, et l’on comprend alors la logique des développements précédents qui aident à mieux cerner les grandes problématiques du territoire calédonien. L’organisation administrative complexe, entre commune et maille coutumière, qui conduit à la question du foncier, constitue une première entrée. L’auteur a le mérite d’être clair, rappelant, ainsi, les vissicitudes de la colonisation : « À aucun moment n’a été prise en compte l’organisation sociospatiale kanak, avec la dichotomie tenace bourg/tribus et l’influence de la coutume et de ses hiérarchies » (p. 90). D’autres freins au développement équilibré du territoire sont présentés et analysés : la dépendance économique, l’écart des salaires, le coût de la vie, les raisons expliquant les limites du développement de la filière touristique, etc. Par ailleurs, J.-C. Gay précise que l’enjeu socio-spatial est doublé d’une ségrégation persistante, qu’elle soit statutaire (descendants de bagnards ou non) ou raciale (exemple de l’éducation et des établissements du secondaires, pp. 127-131). L’auteur conclut sur la nécessité de chercher un équilibre plus juste en matière de redistribution spatiale (par exemple, un rééquilibrage territorial en matière de dotations de fonctionnement reçues et de contrats de développement).

7La dernière partie aborde « l’organisation de l’espace » et a pour objectif de mettre en lumière les disparités spatiales à Nouméa (quartiers) et sur l’ensemble du territoire de Nouvelle-Calédonie. La présentation suit une logique géographique en soulignant les problématiques inhérentes à chaque espace (Nouméa, avec ses disparités sociales et spatiales marquées, notamment par « l’opposition entre la ville océanienne au nord et la ville européenne au sud » illustrée par la présence de nombreux squats, l’isolement de la « brousse », et les îles, sujettes aux questions d’approvisionnement). Ces constats conduisent l’auteur à présenter les mesures développées depuis une vingtaine d’années en faveur d’un rééquilibrage en matière d’accessibilité et d’équipements des communes sur l’ensemble du territoire, mais, qui « n’ont pas réduit, ne serait-ce que modestement, le poids de Nouméa ou l’écart entre cette agglomération et le reste du pays » (p. 181). Dans la section consacrée aux « désordres environnementaux », J.-F. Gay présente les différents aléas auxquels la Nouvelle-Calédonie est exposée, d’origine naturelle (cyclones, tsunamis) ou humaine (exploitation minière, amiante, feux de brousse). Il conclut par un rappel sur la prise en compte récente du patrimoine (p. 193-194). Selon nous, ce dernier point aurait mérité un développement plus poussé et apparaître plus tôt dans le manuscrit, car la reconnaissance du patrimoine immatériel est probablement un élément fondamental pour forger un destin commun.

8Sur la forme, le commentaire est illustré et enrichi par de nombreux documents, qui offrent au lecteur des exemples concrets ou des précisions utiles (29 encadrés, 23 figures et 28 cartes). L’auteur précisant que certains sont empruntés à l’Atlas de la Nouvelle-Calédonie, publié par l’IRD en 2012. On pourrait objecter le choix de la place de certains extraits, comme « se déplacer dans le grand Nouméa » (p. 184-185) qui aurait pu être inséré dès la présentation de Nouméa, à partir de la p. 144). Signalons aussi qu’une figure prête à confusion (la fig. 13 reprend les données de la fig. 12, p. 128-129) ; malgré l’avertissement de l’encadré 17, La part de la population kanak vivant dans le Grand Nouméa passe de 40 % (fig. 12) à 25 % (fig. 13). Mais ces quelques remarques ne doivent pas remettre en cause la qualité et la richesse du travail effectué.

9A l’heure du référendum d’autodétermination calédonien programmé pour l’automne 2018, l’ouvrage de J.-C. Gay apparaît comme une référence incontournable pour comprendre le contexte actuel humain, politique et socio-économique dans lequel évolue la Nouvelle-Calédonie. Ce travail offre une approche résolument géographique, très complémentaire de la thèse de Doctorat d’É. Soriano, publiée également en 2014. Espérons que ces récents travaux constitueront le socle d’une nouvelle approche en sciences humaines et sociales plus orientée vers des problématiques d’avenir que du passé. Elles peuvent participer à une construction posée de l’avenir et d’un destin commun de la Nouvelle-Calédonie.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Vincent Herbert, « Jean-Christophe Gay, La Nouvelle-Calédonie, un destin peu commun »Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 38 | 2018, mis en ligne le 06 février 2018, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/tem/4478 ; DOI : https://doi.org/10.4000/tem.4478

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Auteur

Vincent Herbert

Université du Littoral Côte d'Opale

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