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La matière des images dans The Duchess of Malfi

Anne-Valérie Dulac

Résumés

Le présent article explore les différentes figures de peintres et d'artistes convoquées par John Webster dans The Duchess of Malfi. Tout comme le portrait empoisonné de The White Devil, les images peintes ou sculptées qui surgissent dans The Duchess of Malfi semblent elles aussi, pour certaines, dotées de pouvoirs terrifiants sur qui les contemple. À quoi les images doivent-elles leur perfidie dans cette tragédie? La pièce revient de manière récurrente sur la fabrique des images, et semble fascinée par la matière même dans laquelle elles s'impriment. À partir d'une analyse des circonstances matérielles de production des images que la pièce donne à voir, j'émets l'hypothèse que Webster oppose le travail du métal au travail de matériaux ductiles, en des termes qui permettent de lier la matière au temps ainsi qu'au son de la création, conférant aux images une efficacité ou une toxicité plus ou moins grande.

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Texte intégral

Introduction : La forge des images

1The Duchess of Malfi abonde en évocations de peintres et d'images peintes, qui semblent pour la plupart servir l'exhibition de la vanité, comme le note Gisèle Venet:

[C]omme si dans ces deux espaces du regard, le théâtre et la peinture, espaces tous deux de l'ostentation et de l'illusion, une ontologie paradoxale, un être du non-être, tentait de s'exprimer. Comme si l'ostentation de l'illusion avait valeur épistémologique, fondée sur l'ostentation même de ce qui est tromperie de l'œil, sur la vanité même de l'illusion. (Webster 2006, xiv)

  • 1 L'expression est employée par Georges Didi-Huberman dans un entretien avec François Noudelmann inti (...)
  • 2 J'entends ici le terme comme une traduction de « fashion », terme employé pas moins de 14 fois dans (...)

2Sous le commun de l'illusion exhibée, le texte distingue néanmoins différents types d'imitateurs, plus ou moins capables d'agir sur le spectateur, de l'émouvoir ou de l'impressionner. L'émotion et l'impression, comme le mouvement et l'empreinte qu'elles suscitent, sont deux effets récurrents de l'image chez Webster, qui en expose les degrés divers d'intensité et de succès. L'hypothèse que je formule ici est fondée sur l'idée que Webster lie l'efficace à la matière, au matériau de l'image et de l'imitateur: en d'autres termes, que Webster donne à voir, mais aussi, de manière plus surprenante, à entendre le travail de l’artiste, les sons produits dans la « cuisine de l'atelier » (Didi-Huberman, 2002). 1 La tragédie offre en effet à ses spectateurs d'entrevoir la forge de l'image et d'en percevoir les échos plus ou moins sonores: de quels ateliers les images les plus troublantes de la tragédie sont-elles issues? Après avoir envisagé les différentes « façons »2 déployées par les figures d'imitateurs dans The Duchess of Malfi, je montrerai que la qualité de l'impression laissée par les images est aussi liée à la conception du temps dramatique. Car le passage erratique et les discontinuités de ce dernier semblent en effet au moins partiellement dus à son engluement dans la matière des images en décomposition.

Le peintre et l'assassin

3Immédiatement après avoir obtenu de la Duchesse qu'elle lui révèle l'identité de son mari et du père de ses enfants, Bosola, resté seul sur scène, se lance dans une réflexion sur la trahison qu'il s'apprête à commettre en révélant le secret qu'il s'était engagé à conserver précieusement quelques instants plus tôt :

  • 3 Toutes les références à la pièce sont tirées de l'édition de Michael Neill (Webster 2015), sauf men (...)

A politician is the devil's quilted anvil:
He fashions all sins on him, and the blows
Are never heard. He may work in a lady's chamber,
As here for proof. What rests but I reveal
All to my lord? Oh this base quality
Of intelligencer! Why, every quality i'th'world
Prefers but gain or commendation.
Now for this act I am certain to be raised—
And men that paint weeds to the life are praised. (3.2.310-317)3

4Dans la première version du quarto (1623), un double guillemet précède ce dernier vers, dès lors désigné comme lieu commun pour le lecteur, ce que le distique rimé permet également de donner à entendre au spectateur. Pourtant, même s'il est possible de voir ce que ce vers a de général, ce qui y tient de l'adage, il résonne de manière extrêmement frappante et tout à fait singulière dans la pièce. J'emploie ici le terme « résonner » à dessein, car la question de l'audible, de ce que l'on entend (ou, au contraire, de ce que l'on ne parvient pas à entendre), est ici évoquée de manière explicite: « A politician is the devil's quilted anvil / He fashions all sins on him, and the blows / Are never heard. » L'œuvre de l'espion est métaphoriquement comparée à une forge silencieuse, à une enclume qui ne produirait aucun son et façonnerait son objet dans le plus grand silence, « ce qui lui permet d'œuvrer dans un boudoir » (Webster 2006, 113). Leah Marcus, dans l'édition pour Arden, note que ce passage fait écho à un sermon de Thomas Adams, donné en 1612 et publié en 1614 sous le titre de The Gallant's Burden, dans lequel on peut lire: « an insensible heart is the devil's anvil, he fashions all sins on it, and the blows are not felt » (Webster 2009, 236). Si Webster cite sa source presque terme à terme, il opère néanmoins un changement significatif: dans la tragédie les coups ne manquent plus d'être ressentis (« felt ») mais entendus (« and the blows are not heard »): c'est du bruit produit par les coups portés que parvient à se défaire le cœur endurci.

5L'ouvrage silencieux de l'intrigant, forge inaudible, voit par ailleurs naître une image ambivalente qui associe l’espion au peintre: « And men that paint weeds to the life are praised ». Bosola sous-entend ici qu'il fait mauvais usage de son talent. Il suffirait d'après lui d'imiter la nature à la perfection, de la manière la plus réaliste possible, mais aussi la plus vivante qui soit, pour recueillir des louanges, quand bien même le sujet traité par l'artiste manquerait de beauté, de splendeur ou de noblesse (« weeds »).

6Le choix de ce sujet pictural fait peut-être écho au couplet qui clôt l'acte 2 scène 2 de The White Devil: « Both flowers and weeds spring when the sun is warm / And great men do great good, or else great harm » (2.2.55-56, Webster 2008). Le distique établit un lien entre la bonté du principe solaire lorsqu'il donne naissance à des fleurs (« great good ») et, au contraire, à sa nocivité lorsqu'il produit de mauvaises herbes (« great harm »). Dans The White Devil, Ces deux vers viennent conclure la scène de la mort par empoisonnement d'Isabelle, et résonnent donc avec le crime vénéneux commis par Bracciano, son propre époux. C'est en effet ce dernier qui a confié à des apothicaires le soin d'enduire son portrait de poison. Isabelle, épouse fidèle et aimante, a pour habitude d'embrasser le portrait de son mari en son absence. Elle trouve ainsi la mort dans un ultime baiser déposé sur les lèvres peintes de Bracciano. Autrement dit, selon Yves Peyré: « la perversion des forces créatrices les met au service de la destruction. Aussi, le meurtrier et l'artiste ne font qu'un. » (in Cottegnies et al. 1699).

  • 4 Sur le démembrement et l’anatomie dans la pièce, voir l’article de Line Cottegnies pour le présent (...)

7Peindre et tuer, donc, parfois, c’est tout un. Lodovico n'exprime pas autre chose lorsqu'au crépuscule de la tragédie, face aux cadavres qui jonchent la scène, il s'exclame: « I limbed this night-piece and it was my best » (5.6.293). L'allusion est ici encore picturale. Le verbe limbed ou limned désigne l'art du peintre, de l'aquarelliste en particulier, que l'on désigne encore souvent à l'époque par le terme limner, par analogie avec le terme qui désignait l'enlumineur, dont il tient ses techniques. Le choix de ce terme permet aussi de donner à entendre, par homophonie, le mot limbed, au sens de démembré: il fait dès lors advenir à nouveau l'alliance du peintre et du tortionnaire, de l'artiste et de l'assassin ou de l’anatomiste.4 L'expression « night-piece » renvoie elle aussi à la peinture puisqu'elle désigne un tableau représentant une scène de nuit. Le tableau nocturne qui ferme le drame confirme que l'on meurt avec art et sous le coup de l'art dans le théâtre de Webster. L'expression « night-piece » revient à plusieurs reprises sous sa plume, et notamment pour décrire l'élégie qu'il compose à la mort du Prince Henry, dans la dédicace qu'il fait à Robert Carr:

  • 5 L'expression apparaît aussi dans le corps de l'élégie: « What a dark night-piece of tempestuous wea (...)

Neither do I, my noble lord, present you with this night-piece to make his death-bed still float in those compassionate rivers of your eyes: you have already, with much lead upon your heart, sounded both the sorrow royal and your own. O, that care should ever attain to so ambitious a title! Only, here though I dare not say you shall find him live, for that assurance were worth many kingdoms, yet you shall perceive him draw a little breath, such as gives us comfort his critical day is past, and the glory of a new life risen, neither subject to physic nor fortune. (Dyce 263)5

8La dédicace confère au tableau élégiaque un statut intermédiaire, indécidable, à mi-chemin de la vie et de la mort: « I dare not say you shall find him live […] yet you shall perceive him draw a little breath. » Si l'élégie redonne une vie paradoxale au défunt, un second souffle à peine audible, au théâtre, en revanche, dans The White Devil comme The Duchess of Malfi, l'art sert moins à ressusciter qu'à tuer.

9À ce titre, la traduction que propose Gisèle Venet pour la phrase prononcée par Bosola, « and men that paint weeds to the life are prais'd » révèle l'un des parallèles les plus troublants établis par le dramaturge:

Un intrigant est l'enclume du diable, ouatée à souhait,
Pour y forger tous les crimes, sans qu'on entende un coup
De marteau; ce qui lui permet d'œuvrer dans un boudoir
Comme c'est le cas ici. Que me reste-t-il à faire d'autre
Que de tout révéler à mon maître? Ah! Le vil métier
D'espion! Bah! Tous les métiers du monde se valent!
Ce qui compte, c'est le gain ou la gloire qu'on en tire:
Or, pour cette action, je suis sûr du salaire;
Quand il peindrait de la ciguë, l'imitateur parfait ne connaît que louanges. (Webster 2006, 113)

10La ciguë désigne une plante dont certaines variétés sont vénéneuses, si bien que le mot sert aussi à désigner le poison mortel extrait de cette plante. À ce titre, le choix de traduction permet de souligner encore le lien entre image et poison. Or je crois que le choix du sujet du tableau composé par le peintre auquel Bosola se compare (« weeds ») n'est pas choisi au hasard, ainsi que je m’apprête à le démontrer.

Images et substances perfides

11On commencera par se tourner vers l'hypothèse formulée par Yan Brailowsky dans le chapitre intitulé « True Substantial Bodies in The Duchess of Malfi » publié dans le volume dirigé par Pascale et William C. Carroll, The Duchess of Malfi. Webster's Tragedy of Blood. Yan Brailowsky y revient sur le nom de l'artiste à qui Ferdinand attribue les figures de cire qu'il a fait concevoir pour torturer sa sœur:

She's plagued in art:
These presentations are but framed in wax
By the curious master in that quality,
Vincentio Lauriola; and she takes them
For true substantial bodies. (4.1.108-112)

12Le nom Vincentio Lauriola ne renvoie à aucun artiste connu ou identifié à ce jour. L'invention est d'autant plus marquante qu'à une autre occasion dans la pièce Webster cite nommément un artiste italien, bien réel, celui-là: « That Cardinal hath made more bad faces with his oppression than ever Michaelangelo made good ones. » (3.3.51-52). Le choix semble donc délibéré de recourir à un nom créé de toutes pièces, et s'il est sans doute vain de tâcher à tout prix de déceler une référence à un artiste ayant bel et bien existé, on peut en revanche se livrer à une analyse onomastique. Brailowsky, après nous avoir rappelé l'intérêt de Webster pour la botanique et la médecine, propose l'interprétation suivante:

Lauriola may simply be an Italianization of “laureole”, the spurge laurel, or Daphne laureolo (` in contemporary Latin), a plant native to the British Isles, known for its laxative and even poisonous properties. (Brailowsky 230)

13Cela lui permet de suggérer que « the name of this mysterious person is actually the name of a poisonous substance. » (Brailowsky 229). Le nom de l'auteur des figures de cire indiquerait donc qu'il est éminemment dangereux, tout comme Bosola donnait comme exemple de peintre reconnu et loué unanimement l'imitateur de plantes vénéneuses. Aussi le nom de l'artiste qui conçoit les figures de cire fait-il écho à l'imitateur idéal auquel Bosola se compare, « a man who paints weeds to the life ». Les atlas de botanique richement illustrés se multiplient à la période où Webster compose sa pièce, et les illustrations les plus réalistes, les plus fidèles (dites ad vivum ou to the life) de ces atlas qui lui étaient familiers étaient justement l’œuvre des limners, ces artistes qui travaillaient l'aquarelle dans le but de reproduire le monde visible au plus près.

  • 6 Voir sur le site du Victoria and Albert Museum:

14L'idée obsédante d'une image-poison, chez Webster, n'est donc peut-être pas tout à fait détachée de certains faits historiques avérés, puisque l’on sait les risques et la toxicité, déjà bien connus à la Renaissance, de certains pigments que l'on trouvait en peinture (qu'il s'agisse de maquillage ou d'art pictural), et tout particulièrement des pigments employés par les limners. Il est par exemple avéré que le Heneage Jewel,6 cadeau d'Elisabeth I à l'un de ses conseillers privés, Sir Thomas Heneage, contenait un nombre important de pigments potentiellement dangereux:

The miniature in the Heneage Jewel contains perfidious substances known in the sixteenth century to have potentially toxic effects: in addition to white lead, red lead, vermilion, and orpiment (a form of arsenic) have been identified as components of this work. Though sometimes taken in small doses as physic or worn around the neck in amulets to ward off the plague, the therapeutic value of such substances remained highly contested. (Osborne 128)

15Loin de se prémunir de la peste ou de la contamination par l'art (« to ward off the plague »), la Duchesse, elle, succombe aux effets toxiques de l'art, au poison distillé par Vincentio Lauriola: « she's plagued in art » (4.1.108).

  • 7 Il était d’usage entre personnes mariées de posséder un portrait miniature de son épouse ou de son (...)
  • 8 Je songe ici à l’écho de l’acte 5 scène 3 : l’étymologie du mot (emprunté au latin classique, du gr (...)
  • 9 Sur l’emploi de la cire dans la pièce on pourra notamment consulter Maxwell et Owens (voir bibliogr (...)

16L'art du portrait miniature, tel celui que renferme le bijou de Heneage, est d’ailleurs mentionné à plusieurs reprises dans la pièce. Alors qu'il dresse son portrait en vers, à l'acte 1 de la scène 1, Antonio conclut par les mots « I'll case the picture up » (1.1.200), par où il enferme la duchesse, comme un portrait miniature en son pendentif, dans ce qui lui servira de tombeau: « what do I look now? / Like to your picture in the gallery: / A deal of life in show, but none in practice. » (4.2.29-31): le poison a finalement fait effet. Au portrait miniature en vers de l'ouverture de la pièce répond l'allusion à une miniature bien réelle, conservée par Antonio, après la mort de son épouse, et probablement déposée dans un atelier afin d'être reproduite: « Or else go to the picture-makers, and learn / Who brought her picture lately. »7 (5.2.139-140) D'un bout à l'autre de la pièce la Duchesse semble vouée à devenir image: image vivante et troublante mais non moins image, écho parfois, plutôt que chair.8 Le maître qui a conçu les figures de cire a su s'approprier cet effet délétère, dont la puissance s'exprime à travers le paradoxe baroque de la mort dans la vie et de la vie dans la mort. Le peintre idéal, qui réalise son œuvre ad vivum, emprisonne et aspire l'énergie du vivant pour l'enfermer dans son œuvre et en priver le modèle. Si la duchesse périt par l'art (« is plagued in art »), à l'inverse les poupées de cire sont animées d'un effet de réel si puissant qu'elles parviennent à duper la Duchesse. Il revient à Ferdinand, maître en perfidie, de nous révéler que la Duchesse a confondu les poupées de cire avec des corps de chair et d'os: « true substantial bodies » (4.1.112). L'expression n'est pas sans renvoyer au débat qui oppose catholiques et protestants sur la nature du corps du Christ dans l'Eucharistie, mais je me concentrerai ici sur la matière artistique qui compose la substance des corps travaillée par le peintre-apothicaire.9 Quelle contrainte matérielle, hors les pigments, confère aux effigies de cire leur pouvoir d’impression inégalé ?

Fracas du métal, silence de la cire

17La matière où s'imprime l'œuvre de l'imitateur idéal, celui qui pousse l'illusion à son terme venimeux, est une matière inquiète mais silencieuse: « a quilted anvil » (3.2.310). L'enclume se pare de ouate où s'éteignent les bruits. J'insistai plus haut sur la question du bruit et sur la variante apportée par Webster à la citation du sermon de Thomas Adams, « and the blows / Are never heard », par opposition à « and the blows are never felt ». À cet égard, on peut rapprocher cette citation d'un autre passage dans la pièce, afin d'en proposer une nouvelle interprétation. L'acte 3 scène 3 s'ouvre sur conversation entre Ferdinand, Delio et Silvio, qui, à la faveur d'un échange privé entre le Cardinal et Malateste, en profitent pour se moquer ouvertement de ce dernier et de ses piètres qualités de soldat:

FERDINAND: This great count Malateste, I perceive,
Hath got employment?
DELIO: No employment my lord—
A marginal note in the muster book that he is
A voluntary lord
FERDINAND: He's no soldier?
DELIO: He has worn gunpowder in's hollow tooth
For the toothache
SILVIO: He comes to the leaguer with a full intent
To eat fresh beef and garlic, means to stay
Till the scent be gone, and straight return to court.
DELIO: He hath read all the late service;
As the city chronicle relates it,
And keeps two painters going, only to express
Battles in model.
SILVIO: Then he'll fight by the book. (3.3.8-20)

La note de bas de page qui accompagne le vers 19 dans l'édition Neill indique que le choix de rendre « painters » n'est pas unanime, certains éditeurs lui préférant « pewterers » :

Most editors prefer the Qc reading, supposing that the press correction is authorial. Marcus however, argues that Delio refers to « workers in pewter » who made toy soldiers for Malateste's military re-enactement. (Webster 2015, 63)

Leah Marcus justifie quant à elle son choix dans les termes suivants:

[P]ewterers is far preferable in its quirky specificity to the revised, much vaguer « painters » (Q1b) and accords better with the play's many other references to metal objects and mechanical devices. (Webster 2009, 68).

18Si l'on opte pour « painters », le parallèle avec les vers de Bosola qui précèdent ceux-ci de quelques instants ne peut pas être manqué. On a là, à quelques vers de distance, deux références explicites au métier de peintre: « men who paint weeds » d’abord, puis, plus bas, « keeps two painters going ». Si, en revanche, l'on choisit « pewterers » le lien, et ici en l'occurrence l'opposition entre les deux types d'imitation, se fait entendre, au sens propre, plus évidemment, plus bruyamment encore, dans le son produit par les coups de marteaux des artistes qui recréent les scènes de combat pour Malateste, par opposition au silence décrit par Bosola. Avec « pewterers », en effet, l'idée de l'imitation passe essentiellement par le bruit:

[I]n the act of making models, pewterers are also kept going in that they are constantly hammering away, and they express real battles in that their hammering sounds like the clash of arms. (Webster 2009, 239)

19Marcus voit dans le choix des verbes « going » et « express » la confirmation de son choix éditorial, l'idée qu'il s'agit plus probablement de « pewterers ». Le choc constant des marteaux, leur bruit de guerre et de bataille, offre un contraste saisissant avec les coups silencieux de la forge où œuvre l'intrigant: « and the blows are never heard ». Leur agentivité, leur efficace sont également diamétralement opposées. Le modèle des peintres de Malateste, qui trouve sa source dans les chroniques (« as the city chronicle relates it ») a pour seul effet sur le comte de lui apprendre à sa battre comme une image, comme un livre: « then he'll fight by the book ». L'expression « by the book » semble répondre terme à terme au « to the life » prononcé par Bosola, en un contraste saisissant. D'un côté, l'efficace silencieuse du peintre-meurtrier, dont l'œuvre venimeuse tue et affecte le vivant, de l'autre le fracas des mauvais peintre, dont les images ne servent au comte qu'à mieux éviter l'expérience de la guerre, à se soustraire à la violence vécue et à se préserver: « to choose the good days and shun the critical » (3.3.23). Ces images, ou peut-être ces figurines, si l'on admet qu'il s'agit de petits soldats de plomb, ne sont suivis d'aucun effet. Bruit sans écho, fracas inutile, ces œuvres n'ont aucun pouvoir sur Malateste et demeurent à l'état d'images inertes, de représentations ridicules.

20Il me semble que l'on voit, ou plutôt que l'on entend ici mieux la puissance évocatoire des matières molles, des chairs sur lesquelles l'image est imprimée dans le plus grand secret. Les corps métalliques semblent significativement moins dotés de pouvoirs. Lauriola, maître curieux (« curious master », 4.1.110) et facteur de sculptures perfides, semble bien plus dangereux que l'autre artiste curieux désigné par Antonio à la scène 5 de l'acte 3: « Heaven hath a hand in't, but no otherwise / Than as some curious artist takes in sunder / A clock or watch, when it is out of frame, / To bring it in better order » (3.5.59-62). L'image de la mécanique brisée et de la main de la Providence opérant comme celle de l'artisan horloger paraît moins efficace que le stratagème de cire, puisque l'artiste espéré par Antonio faillit à sa tâche et échoue et réparer ou réunir (re-pair) ce(ux) qui avai(en)t été brisé(s) ou séparé(s).

  • 10 Je renvoie ici au sens de « curious » ainsi défini par le Oxford English Dictionary : « made with c (...)

Le céroplasticien en revanche fournit à la scène une main efficace, qui impressionne et fonctionne (« What witchcraft does he practice, that he hath left / A dead man's hand here? », 4.1.53-54), contrairement à la main (hand, qui désigne l'aiguille) de la montre inutile. On se souvient en effet que la main est le premier objet de cire présenté à la Duchesse par son frère, cette partie du corps vivant décrite par Bosola à la scène 2 de l'acte 3 comme « a curious engine » (3.2.281), qui dit à la fois, par métonymie, l’instrument du pouvoir de la Duchesse mais aussi la machine ingénieuse et délicate.10 La duchesse, lorsqu'elle explique à Antonio son intention de l'accuser d'un crime imaginaire afin de justifier son départ, lui explique en ces termes: « Our weak safety / Runs upon enginous wheels: short syllables must stand for periods. » (3.2.174-176). L'adjectif « enginous » permet de rapprocher les rouages décrits ici de ceux d'une montre ou d'une horloge. C'est du moins l'hypothèse de lecture formulée par Brian Gibbons dans son édition de la pièce pour New Mermaids où il écrit, au sujet de cette expression: « enginous (engenous Q1) Like those of a clock where a small, almost imperceptible movement produces obvious motion in the hands. » (loc. 2755). Dans tous les cas, c'est la matière dans laquelle sont sculptés les rouages et la « main » ou « l'aiguille » qui semble dicter les effets de l'art et témoigner du plus ou moins grand talent de l'artiste.

Viscosité du temps tragique

21« Curious master », « curious artist », « curious engine », « enginous wheels »: la répétition de l'adjectif et la déclinaison de l'image cache une différence de traitement notable d'un artiste à l'autre. La curiosité des uns et des autres ne produit pas les mêmes effets, loin s'en faut. L'ingénieur suprême, dans ce théâtre de la cruauté (soit celui qui fournit les machines les plus efficaces), est aussi « intelligencer », terme employé par Bosola pour qualifier sa mission, avant de la comparer à l'œuvre du peintre. « L'intelligence » de l'espion et de celui qui l’emploie (Ferdinand, qui fait concevoir les statues de cire) renvoie peut-être ici au premier sens que l'on donnait encore à « engine » à la période où Webster compose sa pièce, d’après le Oxford English Dictionary: « ingenuity, artfulness ». D’ailleurs Bosola, espion, ingénieur et peintre à la fois, est aussi celui qui imprime la direction du mouvement des aiguilles, ou des mains: « Sir, your direction / Shall lead me by the hand. » (3.2.315-316). La main de l'intrigant (et à travers elle, celle de qui l’emploie) dont l'œuvre est comparable à celle du peintre à la cigüe renvoie par écho, dans ce dense réseau d'images et de répétitions, à la main du temps qui passe et de ses dérèglements. Le temps se retrouve ici pris, englué dans la matière.

  • 11 Sur les femmes, l’impression et la cire voir notamment Maxwell 2016.
  • 12 Le verbe waste peut signifier ici à la fois « to lay waste, devastate, ravage, ruin » mais aussi « (...)

22L'artisan qui travaille le métal, lui, faillit à créer le mouvement, ou l'émotion. La main de l'artisan qui travaille le métal dans le bruit de la forge ne peut rien, dans la pièce, face à celle qui imite la vie, dans la chair d'une matière souple et ductile où les coups, imprimés sans bruit, marquent le cœur au sceau de la cruauté. « Pray do, and bury the print of it in your heart. » (4.1.45), intime Ferdinand à sa sœur en lui offrant à embrasser la bague qu'il a placée sur la main de cire. Le cœur impressionnable, au sens propre (« print »), de la Duchesse, la rend réceptive à la torture du maître imitateur, de l'empoisonneur à la cire. Contaminée, la Duchesse se voit elle-même façonnée en image de cire: « It wastes me more / Than wer't my picture, fashioned out of wax » (4.1.61-62).11 Cette machine-ci, cette main ou "curious engine", accélère le temps et ses effets délétères. La main du tyran ingénieux, de l'horloger manipulateur ou de l'excellent artiste—toutes une et la même—anéantit la Duchesse (« it wastes me ») et la consume, comme de la cire.12 Rien ne semble échapper à ces montres molles qui dérèglent le temps et sont dotées d’aiguilles conçues pour torturer les chairs et les cœurs. Gisèle Venet, dans Temps et Vision Tragique, insistait déjà sur l'importance de ce dérèglement dans la pièce, en évoquant un « tragique de la désintégration », de la « discontinuité anarchique » (Venet 172). Tout laisse à penser que la cire des figures artistement conçues qui anéantissent la Duchesse garde en mémoire celle dont on fait les bougies, à la lumière vacillante desquelles passent le temps et les tragédies. Les images susceptibles d'empoisonner, d'assassiner et de consumer partagent donc avec les effigies de Lauriola une même substance cireuse, toxique et muette.

23Très tôt dans la pièce, à la scène 1 de l'acte 1, Ferdinand, qui tâche de dissuader sa sœur de se remarier, lui tient le discours suivant :

Now hear me:
You live in a rank pasture here, i't'court.
There is a kind of honeydew that's deadly;
Twill poison your fame. (1.1.297-300)

  • 13 Sur les emprunts de Webster à Sidney voir notamment Dent (1960).

24La note de bas de page de Michael Neill éclaire le sens de « honeydew » de manière révélatrice: « sweet sticky substance found on certain plants, attractive to bees. Instances of naturally poisonous honey have been recorded since Antiquity. » (Webster 2015, 22). La mention de cette substance visqueuse, associée qu'elle est aux abeilles et chargée de poison, annonce déjà peut-être le pouvoir maléfique des statues de cire, produite par un Lauriola dont le seul nom révèle le métier véritable d'empoisonneur. Ferdinand offre en outre un commentaire presque métathéâtral sur l'impossibilité de la pastorale (« you live in a rank pasture ») dans une tragédie pourtant ponctuée de nombreuses références à l'Arcadie de Sir Philip Sidney.13 C'est que la nature, chez Webster, semble s’être vidée de ses vertus et n’être convoquée qu’afin de pourvoir les artistes et les assassins de leurs funestes ingrédients.

Conclusion: inquiéter la matière

25La pièce oppose donc différents types d'images, et différents types de peintres ou d'artistes, comme dans l'image employée par la Duchesse à la scène 2 de l'acte 3:

Did you ever in your life know an ill painter
Desire to have his dwelling next door to the shop
Of an excellent picture-maker? 'Twould disgrace
His face-making and undo him. (3.2.49-52)

  • 14 « [R]ight poets […] betwixt whom and [meaner poets] is such a kind of difference as betwixt the mea (...)

26Que l'on se choisisse pour modèle la cigüe ou les batailles, la différence entre le mauvais peintre et le bon (qui n'est pas ici sans rappeler l'opposition formulée par Sir Philip Sidney dans sa Défense de la poésie)14 se joue sur scène entre le facteur d'images sculptées dans la consistance bruyante et résistante du métal et celui qui travaille le pouvoir silencieux des substances malléables et cireuses.

  • 15 Je songe ici à la proposition formulée par Farah Karim-Cooper : « Practically, the effigies could b (...)

27On sait que les effigies de la scène 1 de l’acte 4 utilisées lors des premières représentations étaient sans doute bien en cire.15 On ne saurait donc que trop rappeler l’exhibition, la mise en scène et en voir de l'écho matériel qui unit les effrayantes poupées et la cire des bougies que l'on utilisait à ce même moment sur scène de sorte à figurer l'obscurité et jeter une lumière sombre et cruelle sur ce tableau de nuit (« night-piece »). La tragédie de Webster s'écoule et se coule dans un temps de cire, incertain et souple, qui vient se substituer aux inefficaces horloges de métal.

28The Duchess of Malfi explore en cela tout le mouvement et toute la force d’expression/impression des « matières inquiètes », pour reprendre le titre d'un article de Georges Didi-Huberman, où, commentant le discours sur la viscosité de Sartre dans L'Être et le Néant, le philosophe propose de voir l'objet de cire comme la saisie vivante de l'anéantissement, exhibition de l'instable et de la fuite, dans une description dont les termes ne peuvent manquer d'évoquer la nature plastique et visqueuse des images qui empoisonnent et déforment le temps tragique chez Webster :

Mais l’objet de cire—dans le processus de sa fabrication comme dans la phénoménologie de sa « connaissance approchée »—présente bien cette étrange composition de plasticité et de viscosité qui le rend « partout fuyant et partout semblable », qui l’instaure comme « instabilité figée » et comme « substance entre deux états ». L’objet de cire présente bien l’ambivalence de la « fuite épaisse » dont parle Sartre : à la fois « résistance visible » et possibilité de « dégonflage », d’« étalement » ou de « raplatissement », bref, un « anéantissement qui s’arrête à mi-chemin ». (Didi-Huberman 2000, par. 26)

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Bibliographie

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Cottegnies, Line, Laroque, François et Maguin, Jean-Marie, éd. Théâtre élisabéthain. Paris : Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2009. Vol. 2.

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Didi-Huberman, Georges. « La matière inquiète. (Plasticité, viscosité, étrangeté) ». Lignes, vol. 1, no. 1, 2000, pp. 206-223, https://www.cairn.info/revue-lignes1-2000-1-page-206.htm (consulté le 12 octobre 2018).

Didi-Huberman, Georges. « Image, matière: immanence », Rue Descartes / 94, n°38, 2002/4, « Le matériau, voir et entendre », http://www.ruedescartes.org/articles/2002-4-image-matiere-immanence/1/ (consulté le 12 octobre 2018).

Grimeston, Edward. Natural and Morall History of the Indies. Trad. J. de Acosta. Londres, 1604.

Karim-Cooper, Farah. « Waxwork in The Duchess of Malfi », Shakespeare’s Globe Blog, 2014, https://blog.shakespearesglobe.com/post/74828055002/wax-works-in-the-duchess-of-malfi (consulté le 12 octobre 2018).

Maxwell, Lynn. « Writing Women, Writing Wax : Metaphors of impression—Possibilities of Agency in Shakespeare’s Rape of Lucrece and Twelfth Night ». Criticism 58. 3 (Été 2016): 433-458.

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Owens, Margaret E. « John Webster, Tussaud Laureate : The Waxworks in The Duchess of Malfi ». ELH 79. 4 (Hiver 2012): 851-877.

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Notes

1 L'expression est employée par Georges Didi-Huberman dans un entretien avec François Noudelmann intitulé « Image, matière: immanence » (Rue Descartes / 94, n°38, 2002/4, « Le matériau, voir et entendre », disponible en ligne: http://www.ruedescartes.org/articles/2002-4-image-matiere-immanence/1/ (consulté le 12 octobre 2018). Didi-Huberman y installe la notion de matière du côté « du geste, de la main, du matériau », qu'il ne distingue pas de la forme: « pas plus qu'un artiste, un historien de l'art ne peut accepter jusqu'au bout la séparation entre forme et matière », et, plus loin: « Une forme, pour un peintre […] c'est ce qu'il s'agit d'incarner, de mettre en mouvement et de produire matériellement, en jetant du pigment sur un support […]. À aucun moment, la forme—qui se meut, qui se transforme, ne se sépare de la matière, qui se meut et se transforme avec. »

2 J'entends ici le terme comme une traduction de « fashion », terme employé pas moins de 14 fois dans la tragédie, et qui signe l'importance de la façon, de l'art et la manière.

3 Toutes les références à la pièce sont tirées de l'édition de Michael Neill (Webster 2015), sauf mention contraire.

4 Sur le démembrement et l’anatomie dans la pièce, voir l’article de Line Cottegnies pour le présent volume, « Le théâtre baroque du corps démembré dans The Duchess of Malfi ».

5 L'expression apparaît aussi dans le corps de l'élégie: « What a dark night-piece of tempestuous weather / have the enraged clouds summon'd together! » (Dyce 276).

6 Voir sur le site du Victoria and Albert Museum:

https://collections.vam.ac.uk/item/O33883/the-heneage-jewel-locket-hilliard-nicholas/ (consulté le 12 octobre 2018)

7 Il était d’usage entre personnes mariées de posséder un portrait miniature de son épouse ou de son époux, et ce passage, qui laisse entendre qu’Antonio aurait amené lui-même l’image à l’atelier à des fins de reproduction (deux choses rendues possibles par la miniature, à la fois portable et reproductible), permet d’affirmer qu’il s’agit bien d’une miniature. Cela transparaît par exemple dans la note de bas de page de Leah Marcus au sujet du choix de « brought » plutôt que « bought », préféré par certains éditeurs : « [I]t seems unlikely that Antonio would not already possess a miniature of his own wife. » (Webster 2009, 309).

8 Je songe ici à l’écho de l’acte 5 scène 3 : l’étymologie du mot (emprunté au latin classique, du grec pour « bruit répercuté », confirme encore l’importance du son, de sa portée et, dans la tragédie, de son étouffement ou sa modification. Il n’est en effet pas anodin que les présages funestes de la scène (« thou art a dead thing », 5.3.40) soient portés par les « accents funèbres » de l’écho (Webster 2009, 199, qui traduit « deadly accent », 5.3.21), soit par un son renvoyé, une répétition atténuée et diminuée des phrases prononcées par les deux hommes (l’écho ne porte que quelques mots de chacune de leurs répliques).

9 Sur l’emploi de la cire dans la pièce on pourra notamment consulter Maxwell et Owens (voir bibliographie). Je remercie également Anne-Marie Miller-Blaise pour sa suggestion de rapprocher l’œuvre du poison (réel ou métaphorique) dans la pièce des effets de celui que Juliette se procure auprès de l’apothicaire dans Romeo and Juliet. Roméo, découvrant son amante gisant inerte sous l’effet du poison, s’étonne des couleurs encore visibles sur son visage « peint », qui offrent l’image troublante de la vie dans la mort (alors qu’il la croit déjà morte) : « Beauty’s ensign yet / Is crimson in thy lips and in thy cheeks, / And death’s pale flag is not advanced there. » (5.3.94-96).

10 Je renvoie ici au sens de « curious » ainsi défini par le Oxford English Dictionary : « made with care or art; skilfully, elaborately or beautifully wrought ».

11 Sur les femmes, l’impression et la cire voir notamment Maxwell 2016.

12 Le verbe waste peut signifier ici à la fois « to lay waste, devastate, ravage, ruin » mais aussi « to consume », ainsi que dans l’exemple suivant, tiré du Oxford English Dictionary et daté de 1604 : ‘The waxe melts nor droppes not, for that the flame doth waste it by little and little as it riseth » (E. Grimeston, Natural and Morall History of the Indies, trad. J. de Acosta, ii.vii.99).

13 Sur les emprunts de Webster à Sidney voir notamment Dent (1960).

14 « [R]ight poets […] betwixt whom and [meaner poets] is such a kind of difference as betwixt the meaner sort of painters, who counterfeit only such faces as set before them, and the more excellent, who having no law but wit, bestow that in colours upon which is fittest for the eye to see. » (Sidney 86-87)

15 Je songe ici à la proposition formulée par Farah Karim-Cooper : « Practically, the effigies could be performed by real bodies; wooden mannequins or wax replicas of the actors playing those characters to which the effigies refer. It is likely that the King’s Men may well have deployed wax figures and a wax hand to stage the horrors of Act IV. [There are other plays in the repertory that may have also required a ‘dummy’—which could also have been fashioned from wax- The Lady’s Tragedy, 1611; The Duke of Milan 1626, for example]. », voir la page dédiée à cette question : https://blog.shakespearesglobe.com/post/74828055002/wax-works-in-the-duchess-of-malfi (consultée le 12 octobre 2018).  

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Pour citer cet article

Référence électronique

Anne-Valérie Dulac, « La matière des images dans The Duchess of Malfi »Sillages critiques [En ligne], 26 | 2019, mis en ligne le 15 janvier 2019, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/sillagescritiques/6962 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sillagescritiques.6962

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Auteur

Anne-Valérie Dulac

Sorbonne Université
Unité de recherche VALE

Anne-Valérie Dulac est Maître de Conférences en études élisabéthaines à Sorbonne Université et membre de l'Unité de recherche VALE. Ses recherches et publications portent sur l'aquarelle et le portrait miniature à la période élisabéthaine et jacobéenne. Elle travaille actuellement à la publication d’une monographie sur l’aquarelle et ses usages au théâtre et en poésie dans l’Angleterre de la première modernité, ainsi qu’à la traduction du traité de Nicholas Hilliard sur le portrait miniature. Elle est co-directrice des publications de la Société Française Shakespeare.

Anne-Valérie Dulac is Assistant Professor in Elizabethan Studies at Sorbonne Université. Her research interests and publications focus on watercolour and portrait miniatures in Elizabethan and Jacobean England. She is currently preparing a monograph on limning in early modern drama and poetry and a critical edition and translation of Nicholas Hilliard’s treatise on the art of limning. She is co-general editor of the journal of the Société Française Shakespeare.

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