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Shakespeare et l’optique arabe

Anne-Valérie Dulac
p. 17-36

Résumés

L’histoire des sciences, sous l’impulsion des travaux pionniers de Roshdi Rashed en France, par exemple, a récemment exploré les canaux de transmission de la science arabe à l’Europe latine dès le Moyen Âge. Ces échanges ont été particulièrement fructueux dans le cas de l’optique, dont l’œuvre d’Ibn al-Haytham a déterminé le développement ultérieur en Europe. Le motif obsédant de l’œil, qui hante les sonnets composés en Europe à l’époque moderne, porte-t-il en son cœur des traces de ces circulations ? À l’appui des Sonnets de Shakespeare, le présent article retrace les possibles résurgences de la théorie intromissioniste telle qu’elle apparaît chez Alhacen dans la matière poétique du texte shakespearien.

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orient, science

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Orient, science
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Texte intégral

  • 1  Edward W. Said, L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident, coll. « La couleur des idées », Pari (...)

1« Néanmoins on écrit des livres, on tient des congrès dont le thème central est « l’Orient », sous l’autorité de l’orientalisme ancienne ou nouvelle manière. De fait, même s’il n’est plus ce qu’il était, l’orientalisme survit dans l’université à travers ses doctrines et ses thèses sur l’Orient et les Orientaux1. »

  • 2  J’entends le terme de « négociations » au sens que lui donne Stephen Greenblatt : « In place of a (...)
  • 3  Ces méthodes innovantes avaient été inaugurées lors de la campagne d’Égypte, ainsi que le rapporte (...)
  • 4  Pierre Singaravélou, op. cit. p. 46.
  • 5  Ibid. Il convient néanmoins de nuancer cette ouverture : « profondément républicain et patriote, i (...)
  • 6  James Darmesteter, Essais de littérature anglaise, Paris, Delagrave, 1883 et Shakespeare, coll. «  (...)
  • 7  Le père de Guillaume Guizot, François Guizot, était historien, homme d’État, et également traducte (...)
  • 8  James Darmesteter, Essais de littérature anglaise, p. xii.
  • 9  Ibid., p. xi.

2Ainsi que l’énonçait Edward W. Said en 1978, toute réflexion sur l’Orient ne saurait faire l’économie d’une investigation de son lien à l’orientalisme. C’est pourquoi la question de « Shakespeare et l’Orient » invite à au moins deux niveaux d’analyse nécessaires et simultanés. Il s’agit tout d’abord d’informer les négociations2 textuelles et historiques avec un Orient shakespearien qu’il reste à cerner, ou à défaire. Mais cette analyse gagne en outre à être replacée dans un contexte critique et historiographique français tout à fait particulier, très différent de l’environnement anglo-saxon qui l’a à ce jour souvent précédé sur ces questions. C’est d’ailleurs à James Darmesteter, un shakespearien, que la France doit certains bouleversements majeurs dans l’orientalisme. Darmesteter est le premier à avoir plaidé en faveur de méthodes scientifiques nouvelles associées à une pratique archéologique de terrain3 inspirée d’un modèle anglais – autant de techniques présentées à l’époque comme le versant antithétique de l’idéalisme et du philologisme de l’orientalisme de cabinet allemand. Soucieux d’inscrire l’Orient hors d’une « conception éternelle et immuable », Darmesteter est l’un des premiers à envisager l’Asie contemporaine comme « objet d’étude à part entière4 », et est considéré comme le père d’une seconde « génération d’orientalistes mettant à mal l’ethnocentrisme européen5. » Paradoxalement, pour un chercheur qui finira en défenseur d’un patriotisme fervent confinant au nationalisme, ses positions premières ont permis l’émergence de perspectives nouvelles dans l’orientalisme français. Cette évolution scientifique vaut à Darmesteter, d’après Louis Finot, premier directeur de l’École française d’Extrême-Orient, d’avoir scellé la destinée de cette institution. Parallèlement à ses activités d’orientaliste (il est spécialiste des études comparées de langues et religions de la Perse, de l’Inde et de l’Afghanistan, enseigne le persan au Collège de France dès 1885 et est promu directeur de l’EPHE en 1892), Darmesteter publie deux ouvrages importants consacrés à Shakespeare6. Or il ne s’agit pas d’une coïncidence, car, en réalité, les deux entreprises sont liées : dans la « Lettre adressée à Guillaume Guizot7 sur l’étude de l’anglais en France » qui précède ses Essais de littérature anglaise (1883), Darmesteter explique que « nos savants ont beaucoup à apprendre de l’Allemagne, mais […] la France en général a surtout à apprendre de l’Angleterre8 » et notamment de la poésie anglaise. En plus de probables raisons personnelles – Darmesteter était marié à la poétesse anglaise A. Mary F. Robinson dont il traduisait les œuvres – le premier spécialiste de la « nouvelle génération » d’orientalistes français assigne la supériorité de la poésie anglaise sur la poésie allemande à une raison historique précise. D’après lui, en effet, la poésie allemande, contrairement à la poésie anglaise, est « née dans la lutte contre l’influence étrangère, elle a gardé le ton de l’école, [elle] est une création de patriotes qui se sont dit : nous voulons une poésie à nous9 ».

  • 10  Ibid., p. 17.

3L’autre argument majeur de ces Essais de littérature anglaise plaide en faveur d’une recontextualisation du « génie » shakespearien : « Pendant longtemps, l’on a étudié Shakespeare comme on étudierait un livre révélé, sans songer à lui appliquer les lois ordinaires de la critique historique. Les figures innombrables, si diverses et toutes si vivantes qu’il a jetées pour l’éternité dans l’imagination moderne […] passent comme la production presque naturelle et inconsciente d’un génie à part10 ». Cette approche historicisante répond, dans le domaine littéraire, à ses affinités revendiquées avec l’orientalisme in situ plutôt qu’avec l’« orientalisme en chambre » éloigné de toute matérialité historique.

  • 11  Darmesteter envisage la culture comme issue des domaines scientifique, commercial et littéraire : (...)

4L’orientalisme français deuxième manière, contemporain d’une volonté de préserver l’empire colonial français par le biais d’une entente cordiale avec l’Angleterre est donc le fruit du travail d’un spécialiste du persan et de Shakespeare, d’archéologie et de littérature, dont l’innovation majeure a consisté à mettre en évidence l’importance de l’ouverture des études françaises à la culture11 anglaise et à l’Angleterre. Historicisant le canon littéraire shakespearien, Darmesteter se présente explicitement comme l’auteur du passage d’une archéologie littéraire d’antiquaires à visée esthétisante et confinant à l’hagiographie vers une lecture historique du génie anglais.

  • 12  Un événement parisien récent offre ici un exemple tout à fait révélateur de cette tendance : le 11 (...)
  • 13  William Shakespeare, King Lear, éd. R. A. Foakes, coll. Arden Shakespeare, Third Series, Londres, (...)
  • 14  Ces expressions reprennent la traduction par Jean-Michel Déprats de la tirade de Thésée dans Le so (...)

5Qu’en est-il aujourd’hui ? Près de 10 ans après le centenaire de la fondation de l’EFEO et 30 ans après la parution de l’Orientalisme de Said, l’archéologie post-foucaldienne s’est confrontée aux fondements théoriques des antiquaires et a permis d’exhumer une histoire postcoloniale qui refuse désormais de se fonder sur un discours et une méthode de civilisateurs. Ces débats ont agité en retour la critique littéraire : les études portant sur Shakespeare et les marges de la « civilisation » se sont multipliées au cours de ces dernières années, dans le dessein de voir s’effondrer les frontières conceptuelles et terminologiques qui sépareraient l’Orient de l’Occident. En effet, bien que le texte de Said ait considérablement vieilli, les deux termes d’Orient et d’Occident n’ont cessé d’exhiber leur labilité, pour ne pas dire leur caducité. Le terme d’Orient en particulier, lorsqu’il n’est pas précédé d’un adjectif en précisant la proximité ou l’extrémité, est devenu si problématique qu’il disparaît progressivement des ouvrages universitaires aussi bien que des institutions12. Le mot d’Orient ne manque donc pas aujourd’hui d’évoquer les propos du fou du Roi Lear : « Thou art an O without a figure13 ». Ce O là, comme le monde dont il présume, n’a pas de « figure », pas de substance ou d’image puisqu’il ne dit rien, pas plus qu’il ne signifie quoi que ce soit de manière pérenne ou universelle. La « demeure précise » et le « nom » d’Orient – ce « rien dans l’air14 » – ne valent désormais que le temps d’une représentation. Ce sont donc les termes de cette mise en scène et de ses ficelles historiques qui fondent désormais les enjeux centraux des discours portant sur l’Orient.

  • 15  Je songe ici notamment à deux ouvrages : The Sale of the Century : Artistic Relations Between Spai (...)
  • 16  Alison Games, The Web of Empire : English Cosmopolitans in an Age of Expansion, 1560-1660, New Yor (...)

6Les études liées à la Renaissance et à l’époque moderne qui s’intéressent aux rencontres Orient / Occident sont néanmoins à ce jour considérablement plus nombreuses, s’agissant du monde musulman, chez les spécialistes français de l’Europe méditerranéenne, et ibérique en particulier. Ici encore, la France accuse un certain retard par rapport aux récentes pistes explorées par la critique anglo-saxonne. À la suite de John Huxtable Elliott15, Alison Games propose aujourd’hui de parler des « origines méditerranéennes » de l’Angleterre du dernier xvie siècle. Dans The Web of Empire : English Cosmopolitans in an Age of Expansion, 1560-166016, paru en juillet 2008, cette historienne spécialiste de la période moderne consacre ainsi un chapitre entier à « The Mediterranean origins of the British Empire », associant de la sorte l’Angleterre à l’histoire méditerranéenne dont elle est a été jusqu’à présent le plus souvent exclue.

7Il semblerait pourtant que la compréhension des échanges méditerranéens entre Orient et Occident puisse s’appuyer de manière tout à fait profitable et souhaitable sur une connaissance de « la culture anglaise » et, en particulier, de Shakespeare. Said, dans L’Orientalisme, cite d’ailleurs Shakespeare à de nombreuses occasions, et notamment dans son chapitre portant sur « Le domaine de l’orientalisme ». Alors qu’il tente d’en tracer les frontières à l’époque moderne, il explique que l’Europe s’est constituée à partir du Moyen Âge comme l’Occident d’un Orient barbare en général et musulman en particulier :

  • 17  E.W. Said, op. cit., p. 88 (c’est moi qui souligne).

Dans le poème de Dante, […] dans les écrits des polémistes chrétiens contre l’islam, de Guibert de Nogent et Bede à Roger Bacon, […] dans La Chanson de Roland et dans l’Othello de Shakespeare […], l’Orient et l’islam sont toujours représentés comme des êtres du dehors qui ont un rôle particulier à jouer à l’intérieur de l’Europe17.

8Cet Orient-ci, extra-européen et musulman, occupe et habite, localement (« a local habitation »), certains endroits du corpus shakespearien, en donnant matière à certains « rôles » – celui d’Othello, par exemple. Perçus depuis l’intérieur de l’Europe, ces rôles conçus pour renvoyer à une orientalité essentialisée dans l’accessoire n’en sont pas moins contemporains d’un autre Orient, proprement historique, mais non désigné ou montré comme tel, ni par le mot d’orient, ni par les signes visibles et compassés de l’orientalité. La matérialité historique plutôt que dramatique de cet Orient-ci s’envisage nécessairement hors du mot ou de l’accessoire qui le désigne et où, précisément, il ne se montre pas. Aborder cet autre possible de l’Orient shakespearien revient à inverser le regard porté sur les figurations de l’Orient pour tenter de comprendre ce qui a su se constituer en présence historique et demeurer comme trace archéologique plutôt qu’en effet de représentation.

9Or l’un des domaines reconnus et largement documentés des rencontres entre Europe chrétienne et Orient musulman à l’époque moderne est celui de l’histoire des sciences. Quelques années après la composition des Sonnets de Shakespeare, Francis Bacon, soucieux de présenter le tableau rétrospectif le plus exhaustif possible de la situation scientifique de l’époque, rend d’ailleurs très clairement compte des débats qui agitent ce champ et de ses liens avec une présence extra-européenne :

  • 18  John M Robertson (éd.), The New Organon, LXXVIII, in The Philosophical Works of Francis Bacon, Lon (...)

only three revolutions and periods of learning can properly be reckoned; one among the Greeks, the second among the Romans, and the last among us, that is to say the nations of Western Europe and to each of these hardly two centuries can be assigned. The intervening ages of the world, in respect of any rich or flourishing growth of sciences, were unprosperous. For neither the Arabians nor the Schoolmen need be mentioned; who in the intermediate times rather crushed the sciences with a multitude of treatises, than increased their weight18.

  • 19  Le choix de l’adjectif « intervening » est tout à fait révélateur ici : il s’agit de rétablir le f (...)
  • 20  J’entends ici par « science arabe » la science écrite en arabe, comme on parle de science grecque (...)
  • 21  Ce centre est depuis ses débuts et aujourd’hui encore représenté internationalement par Roshdi Ras (...)

10Pour lui, ni les Arabes ni les universités médiévales ne mériteraient d’appartenir au récit linéaire19 de son histoire. L’Europe occidentale (« Western Europe ») se définit scientifiquement comme l’autre des Arabes et de l’ère médiévale. Ce panorama scientifique s’avère aujourd’hui dépassé grâce notamment aux travaux d’édition et de traduction de spécialistes de sciences « arabes20 et médiévales » qui ont permis de montrer que le texte baconien n’avait d’autre réalité historique que celle du vœu pieux de performativité de son auteur. Nous savons désormais l’impact des scientifiques arabes sur l’Europe latine. Il a tout de même fallu attendre 1975, en France, pour que soit créé au CNRS un centre d’« Histoire des sciences et des philosophies arabes et médiévales » (CHSPAM), intitulé dont la double entrée (« arabes et médiévales ») reprend très précisément les termes des périodes jugées inessentielles dans le texte baconien21. L’histoire des sciences de la période shakespearienne oppose dès lors un Orient arabe et musulman à un occident européen hellénisé : ce sont ces pôles ou points cardinaux – mais provisoires, mais superficiels – qui articulent le débat qui nous occupe.

  • 22  « Dans tous les cas, mal intégrée à l’histoire des sciences, l’activité scientifique extérieure à (...)
  • 23  Ibid.
  • 24  Ibid., p. 142.

11À la fin d’une intervention à Édimbourg, en 1977, Roshdi Rashed – membre fondateur du CHSPAM – concluait sur la nécessité de dépasser l’approche simplement ethnographique22 – c’est-à-dire orientaliste – de l’activité scientifique extérieure à l’Europe afin de proposer une nouvelle définition des sciences classiques. Alors, « les sciences classiques se révèleront ce qu’elles n’ont jamais cessé d’être : le produit de la Méditerranée comme foyer d’échanges de toutes les civilisations au centre et à la périphérie de l’Ancien Monde23. » Plus récemment encore, dans un recueil d’hommages à Roshdi Rashed paru en 2006, Gad Freudenthal reprend cette proposition et offre d’envisager l’histoire des sciences classiques comme l’« histoire d’une région allant de l’Inde au Maghreb et à l’Espagne, en passant par le Moyen Orient et l’Égypte24. » C’est de cette même proposition, enfin, que s’est emparé pour partie Serge Gruzinski en 2008, dans Quelle heure est-il là bas ? Amérique et islam à l’orée des temps modernes. Appuyant la thèse méditerranéenne du cosmopolitisme, il y rappelle par exemple qu’il existait à la périphérie des discours occidentaux :

  • 25  Serge Gruzinski, Quelle heure est-il là bas ? Amérique et islam à l’orée des temps modernes, coll. (...)

des formes de modernité qui s’écartent de la modernité canonique que revendique l’Europe occidentale. Loin, de la France, de l’Angleterre ou de l’Allemagne, d’autres expériences éclosent aux confins de la domination ibérique. Objet d’une histoire qui ne saurait être que « globale et conjoncturelle », ces modernités se forgent au contact d’autres humanités et d’autres savoirs25.

12L’Angleterre y fait donc figure de canon scientifique, affirmation corroborée par le tableau généalogique proposé par Francis Bacon cité plus haut. Il faut donc au contraire désormais, à la suite des travaux les plus récents d’historiens anglo-saxons, s’interroger sur les conditions concrètes de l’extension du domaine méditerranéen par la réappréciation du rôle de l’Angleterre dans ces expériences non-canoniques de cosmopolitisme.

T(r)opologie du lieu commun - l’optique au miroir du poétique

13Le présent article prend pour point de départ l’hypothèse formulée par Gérard Simon dans Sciences et Savoirs aux xvie et xviie siècles :

  • 26  Gérard Simon, Sciences et savoirs aux xvie et xviie siècles, coll. « Histoire des sciences », Vill (...)

Dans une culture où il est plausible que la vue parte de l’œil, il n’est pas exclu que le regard aille agir en retour sur les choses qu’il touche et qui agissent sur lui. De là sans doute encore l’origine de bien des figures de rhétorique : le pouvoir envoûtant du regard aimé a bien pu en d’autres temps ne pas être une simple clause de style26.

  • 27  C’est accepter que les figures shakespeariennes fassent « figure » de science, et recèlent quelque (...)

14Gérard Simon exprime ici la possibilité d’une origine scientifique véritable pour les métaphores visuelles développées à l’époque moderne, en poésie, notamment. Au-delà de la « clause de style », ces figures de rhétorique auraient pour socle « culturel » spécifique une origine scientifique véritable. Prendre une telle suggestion au sérieux revient à faire le choix d’entreprendre une nouvelle archéologie des cultures visuelles pour tenter d’exhumer, au cœur d’une matière textuelle mobile et toujours déjà érodée – le cliché, le lieu commun – ce qu’elle a d’originel ou ce qui en fonde l’origine ou le lieu proprement scientifique et historique27.

  • 28  Voir Marcus Nordlund, The Dark Lantern : A Historical Study of Sight in Shakespeare, Webster and M (...)

15Il s’agit dès lors de déterminer la nature de ces « régimes de plausibilité », c’est-à-dire les couches de savoir scientifique qui déterminent les métaphores poétiques liées à la vision. Et ce afin d’éclairer ce qui semblait scientifiquement « plausible » à des poètes non plus simples passeurs de clichés mais acteurs d’une culture visuelle et scientifique propre. Quels étaient, donc, les « régimes de plausibilité » présidant à la culture au cœur de laquelle Shakespeare composa son œuvre ? Marcus Nordlund ou Lucy Gent28 ont tous les deux rappelé la coexistence, en ces années, de deux théories optiques concurrentes : l’extramission d’une part, qui explique que l’œil émet un rayon visuel dont la vocation sensible quasi-tactile lui permet de palper les objets, et l’intromission d’autre part. Cette autre théorie pose un rayon lumineux (et non visuel) émis par un objet qui, frappant le cristallin en rayons perpendiculaires et réfractés, s’offre à la visibilité. Or, plus que toute autre forme littéraire, peut-être, le sonnet a su s’emparer de l’image du rayon visuel. Joel Fineman, dans Shakespeare’s Perjured Eye donne par exemple la définition suivante du « sonnet type de la Renaissance » en empruntant librement au vocabulaire scientifique optique :

  • 29  Joel Fineman, Shakespeare's Perjured Eye : The Invention of Poetic Subjectivity in the Sonnets, Lo (...)

The typical renaissance sonnet embraces an idealised visuality which is reflexively reflective, on the model of the sun whose brightness is both agent and patient of both seer and seen, or of an eidolon whose intromissive-extromissive visibility joins beholder to beheld, joining kind with kind, in an homogeneous conception of desire29.

  • 30  Toutes les références aux sonnets de Shakespeare sont issues de Stephen Booth (éd.), Shakespeare’s (...)
  • 31  Op. cit., Sonnet 114, v. 8, p. 99.

16On retrouve d’ailleurs ce rayon visuel idéal et cette analogie solaire dans les sonnets shakespeariens : le soleil est bien décrit comme « the eye of heaven30 » au sonnet 18 et les rayons issus de l’œil (« beams ») sont donnés comme tels au sonnet 11431. De même, la « visualité idéalisée » évoquée par Fineman s’actualise dans une relation spéculaire et réflexive figurée par les procreation sonnets où le speaker exhorte son interlocuteur à engendrer un fils, « son ». La convergence homophonique de « sun » et « son » indique clairement que l’image du jeune homme à qui sont dédiés les premiers sonnets ne vaut que dans la réciprocité d’un échange visuel :

So thou, thyself out-going in thy noon,
Unlooked on diest, unless thou get a son. (
Sonnet 7, v. 13-14)

17Aussi, l’image d’un être vivant n’a d’existence que tant qu’elle est perçue par un autre : « Die single, and thy image dies with thee » (Sonnet 3, v. 14). Dans ce même sonnet, le quatrain inaugural donne les clés de la formation de l’image :

Look in thy glass, and tell the face thou viewest
Now is the time that face should form another,
Whose fresh
repair if now thou not renewest
Thou dost beguile the world, unbless some mother. (
v. 1-4)

  • 32  Alhacen s’emparera aussi de ce terme mais en lui « infligeant » un traitement tout à fait différen (...)
  • 33  John Donne, « The Ecstasy », http://www.luminarium.org/sevenlit/donne/ecstacy.htm, v. 7-8.
  • 34  « La réciproque ouverture de l’homme et du monde, attestée par le thème rémanent de la disposition (...)
  • 35  Sonnet 7, v. 1-2, p. 8 : « Lo, in the orient when the gracious light / Lifts up his burning head…  (...)
  • 36  Sylvain Gouguenheim, Aristote au mont Saint-Michel : Les racines grecques de l'Europe chrétienne, (...)

18La réparation dont il est question joue sur tous les sens du mot : « repair » peut s’entendre aussi bien comme la reconstitution d’une paire (re-pair) destinée à vaincre l’isolement visuel du jeune homme que comme un rapatriement d’où la réparation est étymologiquement issue. Il s’agit de ramener le jeune homme vers sa patrie d’origine, vers la source première à travers laquelle il advient à la visibilité. Fineman dit de ce type d’échange spéculaire qu’il correspond à une visibilité de type extromissif et intromissif (« intromissive-extromissive visibility »). En réalité il s’agit ici d’un schème purement extramissif où les rayons issus des yeux des amants se croisent et se rencontrent en un feu partagé, plus brillant d’être double mais néanmoins toujours homogène : tous se ressemblent – père, fils et soleil – en une parenté spéculaire fantasmée comme possible : le rapatriement se fait vers l’optique grecque, dont les fondements ne bouleversent pas l’assise scientifique occidentale. Cette visualité repose en effet sur une réflexivité inspirée du modèle grec pour la vision, développé chez Euclide ou Ptolémée, justifiant le choix de Fineman de qualifier l’image par le terme grec d’eidolon32. La vision y est le lieu d’une rencontre entre le sujet voyant et l’objet vu qui, ainsi, se ressemblent, à l’image de la correspondance entre le reflet du père (« son ») et la source solaire de toute vision (« sun »). La communion visuelle, lorsqu’elle a lieu, organise la rencontre sur le mode néo-platonicien tel que le développera plus tard John Donne dans « The Ecstasy » : « Our eye-beams twisted, and did thread / Our eyes upon one double string33. » La dualité (« double ») n’empêche pas l’union en un seul rayon, qui n’est pas deux mais en réalité dédoublé à partir du même (« one double string »), à l’image de l’Un des Ennéades de Plotin, figure centrale du néoplatonisme dont les thèses n’ont jamais remis en cause l’optique grecque de ses prédécesseurs. Si l’œil reproduit et ressemble à la lumière solaire dont il participe et qu’il s’évertue à rejoindre, ceci se traduit, en termes optiques par une parenté établie en lumière, couleur et regard. Dans les mots de G. Simon, l’optique grecque, celle d’Euclide, celle de Ptolémée, « comble le hiatus entre ce qui sent et ce qu’il y a à sentir à l’aide d’une similitude inférée entre l’agent et le patient34. » Pas de hiatus ici, c’est-à-dire pas d’espace pour l’intromission, qui se fonde au contraire sur la schize entre le lumineux et le visuel. Il y a donc bien de l’Orient dans ce processus optique-ci, mais seulement tant qu’on le comprend comme celui qui apparaît au Sonnet 735 et désigne le point du jour : tel père, tel fils, autrement dit, tel soleil, tel œil. Cette parenté se double d’une parenté ou d’une parité scientifique qui permet d’asseoir les filiations défendues par Francis Bacon : l’image d’une Athènes « civilisée », mère des sciences occidentales, ressemble à l’image véhiculée par les généalogies scientifiques de l’époque. C’est sur ce rapatriement classique et canonique que concluait encore Sylvain Gouguenheim en 2008, dans son Aristote au Mont-Saint-Michel. Pour un historien estimant que « l’Europe – et l’Europe seule – a créé la science moderne, dont l’universalité actuelle démontre le rôle primordial à l’échelle de l’humanité36 », il n’est pas étonnant que la conclusion de son ouvrage soit intitulée « Le soleil d’Apollon illumine l’occident ». L’Orient est ainsi réduit à n’être que le lieu d’où poindrait un soleil uniformément occidental et destiné à illuminer une science exclusivement européenne.

  • 37  Nous nous garderons ici d’en déduire une quelconque volonté nationale d’ouverture aux savoirs arab (...)
  • 38  Gérard Simon, Archéologie de la vision : L'optique, le corps, la peinture, Paris, Seuil, 2003, p.  (...)

19Mais Fineman parle également d’intromission, ce schéma optique concurrent qui, s’il est absent de la première partie des sonnets, se fait jour dans ceux dédiés à la Dark Lady. Or c’est cette deuxième hypothèse qui permet de ré-évaluer la présence de l’Orient dans le texte shakespearien. Il nous faut pour comprendre cette autre présence orientale faire un détour nécessaire, bien que sommaire, par l’histoire de la science optique. L’hypothèse intromissive a en effet été formulée pour la première fois de manière définitive par Ibn al-Haytham, que l’Europe latine connaissait sous le nom d’Alhacen. Celui que l’Europe médiévale nomme « le second Ptolémée » ou « le Physicien » naît à Bassora en 965, dans l’actuel Irak, et meurt au Caire vers 1039. Or l’Optique d’Alhacen entretient depuis le Moyen Âge une relation toute particulière37 avec l’Angleterre. Le franciscain Roger Bacon œuvre à Oxford dans la première moitié du xiiie siècle. Il est l’un des premiers à accorder à Ibn al-Haytham, à partir de la traduction latine de sa Perspective, une importance prépondérante. Dans les mots de Gérard Simon, « Roger Bacon se révèle comme un initiateur, le premier dans l’Europe chrétienne à adopter, maîtriser et divulguer les conceptions optiques d’Alhacen38. » La diffusion européenne des manuscrits de l’optique d’Alhacen au xive siècle témoigne de sa présence déterminante sur les îles britanniques: sur les quatorze exemplaires recensés en Europe, deux se trouvent à Cambridge, un à Édimbourg, trois à Londres, et un à Oxford. Sept, en tout – c’est-à-dire la moitié des manuscrits disponibles – sont donc répartis sur les différentes parties de l’île. Pour l’époque qui nous intéresse, on peut noter que John Dee en possède encore deux exemplaires dans sa bibliothèque.

20Peu de temps après la rédaction de l’Opus de Bacon, John Pecham compose sa Perspectiva Communis (1277-1279) qui est déclarée « commune » au motif qu’elle est diffusée comme manuel d’enseignement à travers l’Europe et notamment dans les universités anglaises dès le quatorzième siècle et jusqu’au seizième siècle. Son format – sensiblement plus court que la somme de Bacon – et la simplicité de son approche ont également permis à ce texte de circuler en dehors de l’université, auprès de personnalités éduquées mais ne participant pas directement de la culture académique :

  • 39  David C. Lindberg (éd.), John Pecham and The Science of Optics, Perspectiva Communis, Londres, The (...)

The Perspectiva Communis was by far the most popular of all medieval treatises on optics, doubtless because of its broad scope and introductory character. Lectures on the Perspectiva Communis were included in the curriculum of many universities during the fourteenth through to the sixteenth centuries39.

  • 40  « the De Aspectibus saw its widest dissemination in manuscript form during the thirteenth and four (...)

21Le texte de Pecham se revendique explicitement de l’optique d’Alhacen qu’il cite nommément et plagie très largement en de nombreux endroits. Sa proximité avec le savant musulman est d’ailleurs si grande qu’elle justifie, pour Mark A. Smith, le déclin de la diffusion de l’œuvre d’Alhacen après 140040. En termes d’optique, donc, le texte de Pecham constitue l’œuvre de référence pour les universités et les érudits anglais jusqu’à la fin du xvie siècle. Or la Perspective de Pecham, bien que nécessairement dérivative, est plus fidèle à la pensée d’Alhacen que celle de Roger Bacon ne l’avait été, notamment en ce qui concerne la théorie de l’intromission. Car la plus grande innovation d’Alhacen par rapport à ses prédécesseurs grecs consiste bien en l’inversion du rayon visuel émis pas l’œil en rayon lumineux émané de chaque point d’un objet visible. Si Pecham ne souscrit pas intégralement à cette proposition, il n’en demeure pas moins qu’il l’inclut dans une forme hybride de savoir scientifique qui synthétise les traditions grecque et arabe de l’optique :

  • 41  D. Lindberg, op. cit., p. 127 (c’est moi qui souligne).

visual rays which are neither required for sight nor capable of producing sight by themselves, nevertheless play a contributory role, and that role is to moderate excessively bright lights so that they do not overwhelm the power of sight. Pecham thus yields to the authority of Aristotle, Alkindi, and Grosseteste on the existence of visual rays without seriously violating the teachings of Alhazen41.

  • 42  « Thine eyes I love, and they as pitying me, / Knowing thy heart torment me with disdain, / Have p (...)

22Les « clauses de style » des sonnets shakespeariens en portent-elles la trace archéologique ? Dans le sonnet 132, le couple homophonique morning / mourning42 inverse radicalement la perspective des premiers sonnets, et, alors que les procreation sonnets vantaient la perpétuation de la beauté par la paternité (« proving his beauty by succession thine » au sonnet 2), c’est-à-dire par la mise en visibilité, la Dark Lady met en scène un désir non plus « homogène », tel que le décrivait Fineman, mais essentiellement hétérogène. Dans la logique « réparatrice » de l’extramission, l’émission du flux visuel permettait d’envisager l’engendrement d’un fils (son) ouvrant en retour au rapatriement vers la source (sun) en une circularité idéelle où l’image se maintient, ardemment. Car le flux visuel « partage la nature de l’âme en tant qu’elle est un principe vital, source de la chaleur animale ». Alors l’œil « anime » le visible, au sens premier du terme :

So long as men can breathe or eyes can see,
So long lives this and this gives life to thee. (Sonnet 18, v. 13-14)

  • 43  Sonnet 147, v.8, p. 127.
  • 44  Sonnet 1, v. 8, p. 4.
  • 45  Sonnet 133, v. 5, p. 115.
  • 46  La rétine n’a pas encore, à l’époque moderne, le rôle qu’on lui connaît et le cristallin est consi (...)
  • 47  L’apport des connaissances relatives à l’anatomie de l’œil à la théorie optique d’Alhacen est ici (...)
  • 48  Joel Fineman, op. cit., p. 22.

23En revanche, la fièvre (« my love is as a fever ») qui s’empare de l’amant de la femme obscure devient un principe mortifère : « Desire is death, which physic did except43. ». Le corps prend fin, s’achève et se consume dans l’expression d’un désir hétérogène qui ne ressemble en rien à celui des premiers sonnets. Dans le cas du jeune homme l’affrontement qui se joue fait s’opposer de manière antithétique et finalement classique la douceur à la cruauté. La logique qui y préside est celle d’un dédoublement sur fond d’unité première : « thyself thy foe, to thy sweet self too cruel44 ». Une fois l’œil mis en contact avec la Dark Lady, en revanche, le poète dit tout autre chose : « Me from myself thy cruel eye hath taken45 ». L’échange visuel, au lieu de créer le cadre d’une circularité spéculaire, creuse au cœur du visible un hiatus que rien ne vient combler, et qui ne lui ressemble à aucun égard. C’est pourquoi désirer ou mourir, c’est tout un : l’appel de l’hétérogénéité constitutive de la Dark Lady, doublement étrangère au Speaker pour être femme et obscure, met en faillite la logique de similitude et de perpétuation instaurée par les premiers sonnets en invalidant le processus reproductif et visuel inaugural. Comment ce changement s’opère-t-il en termes optiques ? Le rayon visuel des premiers sonnets établit une continuité de matière, une parenté ignée entre le sujet voyant et l’objet vu. Dans l’intromission, au contraire, la lumière devient l’agent de la vision, alors qu’elle n’était que la condition de la sensation visuelle dans la première théorie. Le cristallin46, qui reçoit la quasi-image avant de la transmettre aux nerfs optiques47, est pensé comme l’interface entre des éléments hétérogènes, lumineux d’une part, jusqu’à sa face antérieure, et visuels d’autre part, au moment où de physique l’image devient psychique, c’est-à-dire au moment où elle s’élabore en perception visuelle. D’où, peut-être, la multiplication des références à un principe de distorsion qui souligne l’hiatus jamais comblé entre les données objectives de la lumière – « beauty herself is black » (Sonnet 132, v. 13) – et le jugement visuel subjectif du Speaker : « Or mine eyes, seeing this, say this is not » (Sonnet 137, v. 11). Ou ainsi que l’exprimait Fineman : « the poet, with the lady, identifies himself not only with what is unlike himself, but with what is unlike itself48 ». Aux nombreuses références néoplatoniciennes qui n’ont pas manqué d’être mentionnées par la critique shakespearienne vient donc s’ajouter la présence d’une autre trame possible pour l’histoire des idées qui donnerait toute sa place à l’optique arabe dans la constitution de la culture scientifique anglaise et du regard shakespearien.

L’horizon libertaire49 : « But now is black beauty’s successive heir »

  • 49  Le choix de l’adjectif libertaire fait ici référence à l’usage qu’en fait Said : « all these effor (...)

24Si la Dark Lady pose au cœur des sonnets l’impossible ressemblance et la faillite de la disposition en miroir du monde elle représente ainsi, pour notre propos, un bouleversement des généalogies optiques formulé dès le premier sonnet où elle apparaît, le 127 : « But now is black beauty’s successive heir ». Elle dérange les filiations appelées des vœux du speaker dans la première partie et investit, au niveau archéologique, un cliché littéraire (la Stella de Philip Sidney avait déjà les yeux noirs) auquel elle confère, en creux, un supplément optique plausible où affleureraient les traces de la circulation, en Angleterre, des thèses intromissionistes contenues chez Alhacen. La persistance, dans le texte shakespearien, de deux visions concurrentes de la perception visuelle témoigne d’un éclectisme propre à faire émerger les négociations de l’optique anglaise qui refuse, à l’aube du xviie, de s’inscrire dans une histoire linéaire :

  • 50  G. Simon, Archéologie de la vision, p. 194.

on peut sans doute expliquer par un éclectisme ne choquant personne que, malgré la diffusion de l’Optique d’Alhazen, tenue pour le traité le plus complet et le plus savant, on ait continué en même temps à recopier l’Optique de Ptolémée et plus encore celle d’Euclide, à s’y référer, et, pour la seconde, à la traduire et à l’imprimer jusqu’au milieu du xvie siècle50.

25Ce même éclectisme dont Smith, auteur, en 2001, de la dernière traduction en langue anglaise d’Alhacen, explique qu’il était déjà porté par les tenants de la scolastique médiévale et les scientifiques arabes, ceux-là même que Francis Bacon excluait de son histoire européenne :

  • 51  A. M. Smith, op. cit., p. lxxxi.

Textual and cultural differences aside, however, Scholastic and early Arabic thinkers were much alike in their eclecticism. Wherever logically and doctrinally possible, textual reconciliation or synthesis was the goal51.

26C’est finalement peut-être de cette tradition de l’« éclectisme » scientifique dont l’optique trouble des sonnets shakespeariens serait l’obscure héritière, dark lady d’une histoire des sciences renouvelée.

27Pour infimes que soient les traces archéologiques des sciences arabes dans la poétique shakespearienne, la position de leur plausibilité n’en demeure pas moins actuelle et nécessaire dans l’histoire des approches transdisciplinaires de la poétique shakespearienne. L’an passé, par exemple, S. Gouguenheim écrivait encore :

  • 52  S. Gouguenheim, op. cit., p. 199 (c’est moi qui souligne).

Les prolongements ou les avancées effectués en mathématiques, en optique par des savants arabes, quant à eux, n’ont pas tous été connus de l’Europe, laquelle progressa par la suite de son propre chef […]. On peut dater du temps de saint Thomas d’Aquin et de saint Louis les débuts de la science moderne, dont les Européens seuls sont à créditer. […] en optique – Witelo construit des miroirs paraboliques et calcule les angles de réfraction en fonction des angles d’incidence des rayons lumineux à travers l’eau, l’air et le verre… Déjà certains prennent leurs distances avec Aristote, tel Roger Bacon et les franciscains d’Oxford, qui prônent les vertus de l’expérience52

  • 53  La place respective accordée à l’œuvre d’Alhacen et à celle de Vitellion dans l’ouvrage édité par (...)

28À l’appui de l’exemple de Roger Bacon et de Vitellion, Gouguenheim estime que l’optique européenne est le fruit du seul développement européen du savoir scientifique : c’est négliger de rappeler que Bacon et Vitellion sont tous deux lecteurs et commentateurs d’Alhacen à partir des découvertes duquel ils ont constitué leur propre version de l’optique. C’est passer sous silence le fait qu’en 1572 encore le texte presque complet de l’Optique d’Alhacen est publié, avec la Perspective de Vitellion, dans un seul et même volume, l’Opticae Thesaurus, imprimé à Bâle par Risner. Ces deux optiques sont rassemblées L’éclectisme fondateur de l’histoire des sciences modernes laisse ainsi ouverte la possibilité, en 1572, de publier en un seul volume deux œuvres issues d’aires culturelles différentes sans que leur rencontre se prête à une comparaison à visée hiérarchique ou téléologique53.

  • 54  G. Freudenthal, op. cit., p. 141.

29Rashed, dans son allocution d’Édimbourg, avait pourtant mis en garde les historiens des sciences contre ce type de périodisation : « dans sa modernité aussi bien que dans son historicité, la science classique apparaît finalement comme l’œuvre de la seule humanité européenne ; plus encore, c’est par elle essentiellement que l’on définit cette humanité54. » Le dépassement de l’orientalisme appelle au contraire à une lecture non linéaire, et archéologique, en propre, de l’histoire des filiations scientifiques, où de familial le modèle optique bascule vers l’imprévu – « and now is black beauty’s successive heir ». Ou, en d’autres termes :

  • 55  « Transmissions et Recommencements : l’exemple de l’optique », Maghreb-Machrek, n° 123, Paris, la (...)

Il lui faut (à l’historien des sciences d’avant le xviie siècle) redéfinir la notion de « successeur » ou d’héritier : nous venons de voir que l’héritier ne parle pas nécessairement la même langue, et peut ne pas appartenir à la même famille culturelle. Les véritables héritiers de Ptolémée avaient pour nom Abû al-’Alâ’ et Abû ’Alî, tandis que les authentiques successeurs de ces derniers se nomment Kamâl al-Dîn, certes, mais surtout Witelo, Dietrich de Fribourg, Risner, Kepler, et Descartes. Aussi les revendications nationalistes d’héritage apparaissent-elles le plus souvent comme des prétentions aussi vides que naïves55.

30C’est à cette seule condition que les universitaires anglo-saxons ont pu envisager de se pencher sur les origines méditerranéennes de l’Angleterre moderne. Il importe dès lors que les shakespeariens se saisissent de cette archéologie scientifique pour réinvestir un champ qui, s’il avait été ouvert par Darmesteter sur des fondements théoriques et politiques radicalement différents des propositions actuelles, n’en appelle pas moins aujourd’hui encore à l’exploration de ces questions par les études shakespeariennes.

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Notes

1  Edward W. Said, L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident, coll. « La couleur des idées », Paris, Le Seuil, 2005, p. 14.

2  J’entends le terme de « négociations » au sens que lui donne Stephen Greenblatt : « In place of a blazing genesis, one begins to glimpse something that seems at first far less spectacular : a subtle, elusive set of exchanges, a network of trades and trade-offs, a jostling of competing representations, a negotiation between joint-stock companies. » (Stephen Greenblatt, The Circulation of Social Energy in Renaissance England, Berkeley, Los Angeles, University of California Press, 1988, p. 7).

3  Ces méthodes innovantes avaient été inaugurées lors de la campagne d’Égypte, ainsi que le rapporte Pierre Singaravélou : « Les savants de l’expédition [d’Égypte de Bonaparte] ont initié l’archéologie scientifique, fondée sur la géométrie, la critique philologique et la description graphique. Les naturalistes et les ingénieurs substituent à l’archéologie prédatrice des antiquaires, qui se contentaient de ramener les plus beaux objets en Europe, une science plus respectueuse des monuments et de leur environnement. Les archéologues s’attachent moins à l’esthétique qu’au contexte topographique, géographique et historique de leur découverte. » (Pierre Singaravélou, L’École française d’Extrême-Orient ou l’institution des marges. Essai d’histoire et politique de la science coloniale, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 27-28.

4  Pierre Singaravélou, op. cit. p. 46.

5  Ibid. Il convient néanmoins de nuancer cette ouverture : « profondément républicain et patriote, il voua un véritable culte à Jeanne d’Arc et à la Révolution, rédigea un manuel scolaire d'histoire patriotique et de nombreux articles passionnés, jusqu'à tomber dans l'excès à la fin de sa vie : dans les années 1890, qu'il vécut comme celles d'une décadence pour le pays, il évolua vers un conservatisme moral et politique qui donna à son patriotisme une teinte nationaliste. » (Extrait du résumé du mémoire de maîtrise d'Aurélie Darbour, sous la direction de Patrick Cabanel, 1999, Université de Toulouse-Le Mirail). La réception de son œuvre n’a pas été plus unanimement perçue comme la marque de l’évolution de l’orientalisme, ainsi qu’en témoigne cette description de Monod : « il fut reçu par les autorités de l'Inde, par les chefs afghans et par les Parsis, ces derniers sectateurs de Zoroastre, comme le représentant de la science de l'Occident qui venait révéler à l'Orient le secret de ses origines. » (Gabriel Monod, « James Darmesteter », Revue archéologique, Paris, Ernest Leroux, 1895, p. 9).

6  James Darmesteter, Essais de littérature anglaise, Paris, Delagrave, 1883 et Shakespeare, coll. « Les classiques populaires », Paris, H. Lecène et H. Oudin, 1889.

7  Le père de Guillaume Guizot, François Guizot, était historien, homme d’État, et également traducteur de Shakespeare. Son fils Guillaume Guizot, neuf années avant que Darmesteter ne lui adresse cette lettre, avait succédé à Philarète Chasles à la chaire de langues et littératures d’origine germanique du Collège de France, où il s’attachait alors exclusivement à l’enseignement de la littérature anglaise.

8  James Darmesteter, Essais de littérature anglaise, p. xii.

9  Ibid., p. xi.

10  Ibid., p. 17.

11  Darmesteter envisage la culture comme issue des domaines scientifique, commercial et littéraire : « Un peuple vit par la science et par le commerce. Les langues scientifiques sont d’abord l’allemand, puis l’anglais ; les langues commerciales sont d’abord l’anglais, puis l’espagnol. En science, la grande affaire pour le savant, c’est d’être au courant, c’est-à-dire de connaître aussitôt que possible tous les travaux et toutes les découvertes de l’étranger. » (Essais de littérature anglaise, p. v), et plus loin : « Entre le savant et le commerçant se place la masse du public lettré qui cherche dans la connaissance des langues étrangères, non un instrument scientifique comme le savant, ni un instrument d’action comme le commerçant, mais une source de jouissances littéraires. » (ibid., p. xi).

12  Un événement parisien récent offre ici un exemple tout à fait révélateur de cette tendance : le 11 février 2009 a eu lieu la cérémonie de fondation du « Pôle des Langues et Civilisations du Monde » qui marquait la fusion de deux institutions historiques: la « Bibliothèque universitaire des langues et civilisations » d’une part et l’« Institut national des langues et civilisations orientales » d’autre part. Ainsi, à l’adjectif « orientales » – qui servait jusqu’à présent à désigner une « aire culturelle » sans cohérence propre ou spécifique sinon celle, définie par la négative, de l’hétérotope – se substitue une étiquette plus vaste, mais non moins problématique. L’orient, vu depuis Paris, est devenu « le monde ». C’est-à-dire, en réalité, le « Reste » du monde. C’est d’ailleurs l’expression retenue par Jean-Loup Amselle dans son introduction à L’occident décroché, coll. « Un ordre d’idées », Paris, Stock, 2008, p 7-8 : « En effet, tout autant qu’un affrontement entre l’Ouest et le Reste, ou entre le Nord et le Sud, la crise de la pensée occidentale, si tant est que cette dernière existe, on y reviendra, est aussi, sinon davantage, le résultat d’un processus d’effondrement interne. »

13  William Shakespeare, King Lear, éd. R. A. Foakes, coll. Arden Shakespeare, Third Series, Londres, Thomas Nelson, 1997, i.iv.183-184.

14  Ces expressions reprennent la traduction par Jean-Michel Déprats de la tirade de Thésée dans Le songe d’une nuit d’été : « Les formes des choses inconnues, la plume du poète / En dessine les contours, et donne à ce qui n’est qu’un rien dans l’air / Une demeure précise, et un nom » (William Shakespeare, Le Songe d’une nuit d’été, trad. Jean-Michel Déprats, éd. Gisèle Venet , coll. « Théâtre », Paris, Folio, 2003, p. 227-229.

15  Je songe ici notamment à deux ouvrages : The Sale of the Century : Artistic Relations Between Spain and Great Britain, Yale, Yale University Press, 2002 ou à l’ouvrage réédité en 2000 : Europe Divided 1559-1598, coll. « Fontana History of Europe », Londres, Collins, 1968.

16  Alison Games, The Web of Empire : English Cosmopolitans in an Age of Expansion, 1560-1660, New York, O.U.P., 2008.

17  E.W. Said, op. cit., p. 88 (c’est moi qui souligne).

18  John M Robertson (éd.), The New Organon, LXXVIII, in The Philosophical Works of Francis Bacon, Londres, George Routledge and Sons, 1905, p. 275. La première édition de The New Organon date de 1620, date sensiblement postérieure aux Sonnets. Le tableau rétrospectif du New Organon inclut ainsi nécessairement la période shakespearienne qu’il associe à une troisième révolution mondiale du savoir. Par ailleurs, il est également envisageable de réduire l’écart chronologique qui sépare Shakespeare de Bacon si, à la suite de Lisa Jardine et Michael Silverthorne, il est admis que Thomas Bodley aurait commencé à rassembler des notes pour Bacon en vue de la rédaction du New Organon dès 1607. Voir à ce sujet Lisa Jardine et Michael Silverthorne (éd.), The New Organon by Francis Bacon, Cambridge, C.U.P., 2000, p. xxvi.

19  Le choix de l’adjectif « intervening » est tout à fait révélateur ici : il s’agit de rétablir le fil conducteur de l’histoire par la conversion de ruptures potentielles en interruptions négligeables sur le cours téléologique du récit scientifique.

20  J’entends ici par « science arabe » la science écrite en arabe, comme on parle de science grecque ou de science latine.

21  Ce centre est depuis ses débuts et aujourd’hui encore représenté internationalement par Roshdi Rashed, entre autres, qui, en 1977 (un an avant la parution de l’Orientalisme), donnait à Édimbourg une conférence sur la « notion de science occidentale ». Rashed y exprimait de virulente façon son souhait de voir les historiens des sciences se résoudre « à écrire l’histoire sans recourir aux fausses évidences dont les motivations nationalistes ou nationalitaires sont à peine voilées » (142). En effet, d’après lui, pour de trop nombreux universitaires, « la science classique est européenne et ses origines sont directement lisibles dans la science et dans la philosophie grecques. » (141). La redécouverte des sciences arabes s’est donc réalisée contre une science classique conçue comme fille de la Grèce.

22  « Dans tous les cas, mal intégrée à l’histoire des sciences, l’activité scientifique extérieure à l’Europe fait l’objet d’une certaine ethnographie de la science dont la traduction universitaire n’est autre que l’orientalisme. » (cité par Gad Freudenthal, « Les tribulations de l’Introduction arithmétique de Nicomaque de Gérase », dans De Bagdad à Paris. Hommage à Roshdi Rahed, Régis Morélon et Ahmad Hasnawi (éds.), coll. « Le monde arabe en débat », Paris, Institut du Monde Arabe, 2006, p. 141-142.

23  Ibid.

24  Ibid., p. 142.

25  Serge Gruzinski, Quelle heure est-il là bas ? Amérique et islam à l’orée des temps modernes, coll. « L’univers historique », Paris, Seuil, 2008, p. 54.

26  Gérard Simon, Sciences et savoirs aux xvie et xviie siècles, coll. « Histoire des sciences », Villeneuve d'Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 1996, p. 23 (c’est moi qui souligne).

27  C’est accepter que les figures shakespeariennes fassent « figure » de science, et recèlent quelque chose comme de l’optique. C’est, enfin, redonner au lieu commun sa valeur de « territoire archéologique », dans la redéfinition qu’en propose Gérard Simon dans Sciences et histoire, publié l’an passé : « La recherche archéologique nous oblige ainsi à interpréter la signification des vestiges dans leurs rapports mutuels de contemporanéité et à les corréler à des données de même époque, quitte à reconstituer grâce aux indices découverts les grandes étapes d’une histoire dont la trame événementielle nous échappe, mais non les mutations et les ruptures. » (G. Simon, Sciences et histoire, coll. « Bibliothèque des histoires », Paris, NRF Gallimard, 2008, p. 104).

28  Voir Marcus Nordlund, The Dark Lantern : A Historical Study of Sight in Shakespeare, Webster and Middleton, Götheborg (Suède), Acta Universitatis Gothoburgensis, 1999, p. v : « While [the] theory of extramission – which was expounded and reshaped for two thousand years by a series of influential figures from Augustine to Roger Bacon – had lost some of its prestige in the later Middle Ages and cannot be said to have been dominant after this period it remained a plausible account of sight even when Shakespeare wrote his works. » Ou bien Lucy Gent, « The Rash Gazer : Economies of Vision in Britain, 1550-1660 », dans Lucy Gent (éd.), Albion’s classicism. The visual arts in Britain 1550-1660, coll. « Studies in British Art », n° 2, Londres, Yale University Press, 1995, p. 386 : « It is also relevant to recall that there were still competing versions of optics towards the end of the sixteenth century. Reception theory – in which the eye receives information originating from external objects – would with Newton’s optics become dominant ; at the end of the sixteenth century extramission theory – which saw the eye as the source of rays exploring the world ‘rather as fingers palpate objects’ – was still current. »

29  Joel Fineman, Shakespeare's Perjured Eye : The Invention of Poetic Subjectivity in the Sonnets, Los Angeles, University of California Press, 1986, cité par Marcus Nordlund, op. cit., p. 65

30  Toutes les références aux sonnets de Shakespeare sont issues de Stephen Booth (éd.), Shakespeare’s Sonnets, New Haven et Londres, Yale University Press. Ici, Sonnet 18, v. 5, p. 19.

31  Op. cit., Sonnet 114, v. 8, p. 99.

32  Alhacen s’emparera aussi de ce terme mais en lui « infligeant » un traitement tout à fait différent : « The Aristotelians and the atomists had tended to regard the ‘forms’ (eide) and ‘idols’ (eidola) as coherent entities representing the visible aspect of the object as a whole. Ibn al-Haytham espoused the language and the ontology of the Aristotelians on condition that the total form be atomized into forms of individual points (or very small parts) of the object that can be examined independently of one another. By thus analysing the visible surface into punctiform elements (as Vasco Ronchi has put it – see his Histoire de la Lumière, p. 38) Ibn al-Haytham was able to formulate a principle which became the basis of his mathematization of the Aristotelian version of the intromission hypothesis by submitting this version to a geometrical treatment in terms of lines and angles. », A. I. Sabra (éd.), Ibn al-Haytham Optics (2 vols), Londres, The Warburg Institute, 1989, vol. 2, p. 23-24.

33  John Donne, « The Ecstasy », http://www.luminarium.org/sevenlit/donne/ecstacy.htm, v. 7-8.

34  « La réciproque ouverture de l’homme et du monde, attestée par le thème rémanent de la disposition en miroir du macrocosme et du microcosme, impliquait au moins une parenté entre nos sens et le sensible qui agit sur eux, parenté garantissant que par eux-mêmes nos sens nous livrent quelque chose de la nature du sensible. » (Gérard Simon, Sciences et savoirs aux xvie et xviie siècles, p. 27)

35  Sonnet 7, v. 1-2, p. 8 : « Lo, in the orient when the gracious light / Lifts up his burning head… »

36  Sylvain Gouguenheim, Aristote au mont Saint-Michel : Les racines grecques de l'Europe chrétienne, coll. « L'Univers historique », Paris, Seuil, 2008, p. 23 (c’est moi qui souligne).

37  Nous nous garderons ici d’en déduire une quelconque volonté nationale d’ouverture aux savoirs arabes : « It would be anachronistic to speak of a specifically English contribution to Arabic studies in the Middle Ages. Among the leading figures in the twelfth-century renaissance which drew largely on Arabic sources were Englishmen, such as Adelard of Bath (fl. 1130) […] and his contemporary, Robert of Ketton (fl. 1141-50) […]. The English origin of Adelard and Robert has no real bearing, however, on their work, which was not carried out in England […] nor undertaken for national purposes. » (P. M. Holt, « The Background to Arabic Studies in Seventeenth-Century England », in G. A. Russel (éd.), The ‘Arabick’ interest of the natural philosophers in seventeenth-century England, New York, E. J. Brill, 1994, p. 20), mais l’ancrage anglais de la plupart des traductions et commentaires de l’œuvre d’Alhacen permet néanmoins d’en conclure que la prégnance des théories de l’intromission est particulièrement sensible en Angleterre.

38  Gérard Simon, Archéologie de la vision : L'optique, le corps, la peinture, Paris, Seuil, 2003, p. 187. Bien sûr, la lecture par Bacon du savant musulman ne va pas sans heurts. Si Bacon se démarque très nettement d’Alhacen sur de nombreux points centraux de sa thèse, c’est aussi qu’il n’existe pas, en histoire des sciences, de filiation simple qui puisse reposer sur la seule circulation de textes : « La modernité revendiquée par Bacon relaie-t-elle pour la poursuivre la tradition scientifique inaugurée par Ibn al-Haytham ? Malgré les apparences, je ne le pense pas. Sans doute a-t-il repris à son compte les idées du savant arabe, et a-t-il fait éprouver à certains de ses contemporains le besoin de le lire en latin. Mais une science ne se transmet pas seulement par la continuité des textes qui l’exposent, et ne se diffuse pas seulement à l’aide de traductions, quelle que soit l’utilité de ces dernières. L’optique pratiquée par Ibn al-Haytham exigeait une chambre noire, des instruments de mesure, une familiarité avec l’expérimentation. Bacon n’avait rien de tout cela. […] Les perspectivistes médiévaux ne me paraissent donc pas les continuateurs directs des savants arabes de Bagdad ou du Caire. Une tradition s’est rompue en arrivant en Europe, bien qu’elle y soit textuellement transmise, et une autre a commencé, qui fut capitale à bien des égards… », op. cit., p. 198.

39  David C. Lindberg (éd.), John Pecham and The Science of Optics, Perspectiva Communis, Londres, The University of Wisconsin Press, 1970, p. 26.

40  « the De Aspectibus saw its widest dissemination in manuscript form during the thirteenth and fourteenth centuries - i.e. between roughly 1250 and 1400. After that, most of the momentum for « publication » seems to have been lost until the printing of Risner’s edition in 1572. A probable factor in this loss of momentum is the parallel dissemination of various derivative works, particularly John Pecham’s Perspectiva Communis. » (Mark A. Smith (éd.), Alhacen’s Theory of Visual Perception. A Critical Edition with English Translation and Commentary of the First Three Books of Alhacen’s De Aspectibus, the Medieval Latin Version of Ibn al-Haytham’s Kitāb al-manāir (2 vols), Philadelphie, American Philosophical Society, 2001, vol. 1, p. xxi.

41  D. Lindberg, op. cit., p. 127 (c’est moi qui souligne).

42  « Thine eyes I love, and they as pitying me, / Knowing thy heart torment me with disdain, / Have put on black, and loving mourners be, / Looking with pretty ruth upon my pain. / And truly not the morning sun of heav’n / Better becomes the gray cheeks of the east, / Nor that full star that ushers in the ev’n / Doth half that glory to the sober west / As those two mourning eyes become thy face. » (Sonnet 132, v. 1-9, p. 114-115, c’est moi qui souligne).

43  Sonnet 147, v.8, p. 127.

44  Sonnet 1, v. 8, p. 4.

45  Sonnet 133, v. 5, p. 115.

46  La rétine n’a pas encore, à l’époque moderne, le rôle qu’on lui connaît et le cristallin est considéré par tous nos auteurs comme lieu de la perception. Il faut attendre Kepler pour établir le rôle de la rétine dans la constitution d’une image perceptuelle.

47  L’apport des connaissances relatives à l’anatomie de l’œil à la théorie optique d’Alhacen est ici considérable et constitue l’un des changements notables par rapports aux théories antiques.

48  Joel Fineman, op. cit., p. 22.

49  Le choix de l’adjectif libertaire fait ici référence à l’usage qu’en fait Said : « all these efforts [those made by critics of orientalism] work out of what might be called a decentered consciousness, not less reflective and critical for being decentred, for the most part non- and in some cases anti-totalizing and anti-systematic. […] I do not think it too much to say that the political meaning of analysis, as carried out in all these fields, is uniformly and programmatically libertarian by virtue of the fact that, unlike Orientalism, it is based not on the finality and closure of antiquarian or curatorial knowledge, but on investigative open analysis. » (Edward W. Said, Reflections on Exile and Other Essays, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 2000, p. 216).

50  G. Simon, Archéologie de la vision, p. 194.

51  A. M. Smith, op. cit., p. lxxxi.

52  S. Gouguenheim, op. cit., p. 199 (c’est moi qui souligne).

53  La place respective accordée à l’œuvre d’Alhacen et à celle de Vitellion dans l’ouvrage édité par Risner apparaît nettement dans la présentation du volume ainsi que dans le titre complet sous lequel il est imprimé : Opticae Thesaurus, Alhazeni Arabis libri septem, nuncprimum editi. Eiusdem liber De Crepusculis et nubium ascensionibus. Item Vitellonis Thuringopolini libri x / Omnes instaurati, figuris illustrati & aucti, adiectis etiam in Alhazenum commentarijs, a Federico Risnero. Les deux traités des auteurs se complètent et font autorité à part égale sur la question optique dans l’esprit de Risner, qui, suivant les enseignements de Ramus et Pena, reconnaît à l’optique une utilité scientifique et philosophique. Le frontispice présente le nom d’Alhacen en caractères plus grands que ceux de Vitellion, qui n’apparaît qu’en dessous de celui d’Alhacen : mais cette hiérarchie typographique ne fait que reprendre l’écart de longueur entre les textes présentés. En effet, l’introduction ne laisse planer aucun doute sur les qualités et la valeur de la pensée de Vitellion. Par ailleurs, l’édition de 1572 ne représente pas le premier rapprochement de ces deux auteurs puisque Vitellion et Alhacen s’étaient déjà retrouvés exploités de semblable façon dans les réflexions de Ghiberti (1378-1455) qui s’était réclamé explicitement de la tradition scientifique inaugurée par ces deux hommes. Leur complémentarité n’est donc pas chose nouvelle.

54  G. Freudenthal, op. cit., p. 141.

55  « Transmissions et Recommencements : l’exemple de l’optique », Maghreb-Machrek, n° 123, Paris, la Documentation Française, 1989, p. 26.

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Pour citer cet article

Référence papier

Anne-Valérie Dulac, « Shakespeare et l’optique arabe »Actes des congrès de la Société française Shakespeare, 27 | 2009, 17-36.

Référence électronique

Anne-Valérie Dulac, « Shakespeare et l’optique arabe »Actes des congrès de la Société française Shakespeare [En ligne], 27 | 2009, mis en ligne le 13 décembre 2009, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/shakespeare/1498 ; DOI : https://doi.org/10.4000/shakespeare.1498

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Auteur

Anne-Valérie Dulac

Université Paris XII – Val de Marne

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