- 1 “« Instagram (post)baddies » : ces filles dont la beauté a fait sensation sur la toile”, Vie Pratiq (...)
- 2 Ibid.
1Le 10 janvier 2020, le magazine Vie Pratique Féminin, publiait un article faisant le « zoom sur 26 jeunes femmes, qui grâce à leur beauté époustouflante, sont passées du statut d’instagrameuse à celui de mannequin professionnel […] »1. Le lecteur pouvait y lire que « L’arrivée d’Instagram a ouvert le champ des possibles pour les gens comme vous et moi : grâce à ce réseau social, ouvrir son business, être (re)connu, ou encore devenir mannequin sont [sic] désormais à notre portée »2.
2La démonstration publique du travail de la beauté effectué gratuitement par ces femmes les a conduites à devenir des professionnelles effectuant un métier rémunéré. Cet exemple peut sembler anecdotique. Il révèle pourtant la manière dont la pratique sociale de l’intervention sur les corps en vue de les conformer à des normes de “beauté” ne se cantonne pas à des enjeux privés ou domestiques ou à des scènes professionnelles restreintes où l’apparence corporelle est un outil de travail, à l’image de l’exemple du mannequinat mentionné. En effet, le travail de la beauté, que l’on peut définir comme le travail effectué sur l’apparence pour la conformer à des normes de beauté en cours dans un groupe social donné, se déploie dans des sphères variées de la vie sociale. Produire un corps “beau” est donc une pratique sociale doublement située. Tout d’abord du fait de son ancrage dans les sphères spécifiques et parfois concurrentes de la vie sociale où elle se fait, qu’elles soient domestiques, professionnelles, amicales, scolaires, etc. La production du beau sur le corps s’élabore autour d’acteurs et d’actrices appartenant à des domaines d’activités divers (cosmétique, habillement, médecine, etc.), présentant des degrés de légitimité inégaux ; elle se forge également dans des espaces professionnels qui s’en sont fait les spécialistes, mais aussi dans les espaces privés où elle est longtemps restée cantonnée. Elle est également située socialement, car les sociologues, anthropologues et historien·ne·s ont largement démontré ses déterminations sociales (par exemple Bourdieu, 1977 ; Darmon, 2003 ; Saint-Pol, 2010). L’apparence des individus témoigne de leur inscription dans des groupes sociaux et s’élabore en relation avec des normes de beauté historiquement et socialement situées. Ces normes sont sociales, car elles recouvrent des enjeux moraux, politiques, religieux, la beauté pouvant être, selon les contextes, domestiquée (Laurent, 2007) ou exacerbée, perçue comme un artifice suspect ou comme révélatrice d’une grandeur morale, etc. Ces normes participent de la différenciation sociale de genre, de classes et de race, comme l’ont montré de nombreuses enquêtes sur la période récente (par exemple Skeggs, 2015). Ainsi, le rapport à la beauté et l’importance accordée aux pratiques de valorisation des corps varient selon les milieux sociaux et les normes de genre en leur sein : ils étaient largement minorés dans des milieux populaires du 19ème siècle rejetant la coquetterie ; ils étaient euphémisés dans les milieux supérieurs tout en faisant l’objet d’une attention toute particulière. Cette “naturalisation” de la beauté constitue un mécanisme puissant de reproduction sociale des hiérarchies et des rapports de domination.
3Ce numéro de Recherches sociologiques & anthropologiques se propose d’en étudier un aspect spécifique : les activités, pratiques et processus concrets engagés par des individus dans un cadre professionnel conduisant aux différenciations sociales des apparences. Ce numéro réunit des recherches récentes analysant la manière dont le processus de différenciation sociale se fait à travers des pratiques d’entretien et de valorisation du corps (pratiques alimentaires, sportives, vestimentaires, cosmétiques, etc.) qui sont encadrées par des individus dans le cadre d’un travail professionnel. Il engage donc une réflexion sur le travail de la beauté et plus précisément sur l’activité de celles et ceux qui, dans leur travail professionnel, œuvrent à la production d’une apparence corporelle considérée comme avantageuse ou “belle”, selon les normes de beauté en vigueur dans le contexte où l’activité se déploie. Ce travail professionnel renvoie à un travail d’édiction ou de transformation des normes de beauté (conception des tendances dans l’industrie vestimentaire ou cosmétique, transformation du regard porté sur une corpulence ou une couleur de peau dans la presse ou la publicité, etc.). Il renvoie aussi au travail, matériel et relationnel, visant à transformer l’apparence corporelle de client·e·s afin de la rendre conforme à des normes de beauté. Si l’étude systématique de ce travail est intéressante, c’est que ce dernier va au-delà d’une simple transformation du corps. Pouvant passer par des conseils sur l’alimentation ou le rythme de vie, par exemple, le travail sur les apparences corporelles vise à rendre ces dernières conformes à des normes de beauté et consiste en un programme de transformation de dispositions qui ne sont pas que corporelles.
4L’ambition de ce dossier est de réfléchir à ce travail sous ses formes professionnelles, à ses métiers, à leur émergence, au contenu de leur travail, à leurs qualifications, leurs contraintes, aux caractéristiques sociales et aux trajectoires des individus qui les exercent, à leur segmentation et hiérarchisation, à leur effet prescripteur de “normes de beauté”. Les contributions réunies appréhendent trois dimensions principales : les métiers du corps et de la beauté, les frontières du travail de la beauté et enfin les normes esthétiques à l’épreuve des rapports sociaux de sexe, de race et de classe.
5L’industrie de la beauté apparaît durant la deuxième moitié du 19ème siècle. Initialement, les produits issus de cette activité, promus avec d’importants budgets publicitaires, s’adressent principalement aux femmes. Ils affectent l’intime et la manière dont les individus se perçoivent eux-mêmes et sont perçus par les autres (Jones, 2010). Se situant sur le marché de la santé et de la science autant que de l’esthétique, cette industrie concerne des populations de plus en plus larges et variées au cours du 20ème siècle (Vigarello, 2004 ; de Barros, dans ce numéro). Dans ce processus, les métiers où l’apparence est en jeu sont devenus plus nombreux au 20ème siècle et ne se limitent plus à l’industrie de la beauté et à son commerce. Aujourd’hui, le travail de la beauté recouvre des formes variables et caractérise plus ou moins profondément les mondes professionnels : dans certains espaces du monde du travail, il constitue le cœur noble de l’ouvrage. Dans d’autres, il apparaît comme une dimension annexe, plus ou moins valorisée. Son contenu peut passer par une manipulation des corps ou la seule prescription verbale : travail matériel d’intervention technique sur autrui, travail relationnel prenant la forme d’une interaction verbale avec autrui (de vente notamment), travail rationalisé par des procédures strictes (orientées, par exemple dans le cas des soins esthétiques, vers une conception médicale du soin). Des normes esthétiques se trouvent légitimées. Elles passent par le recrutement, le rituel d’interaction avec les client·e·s, la formation et impliquent des attentes implicites ou explicites sur l’apparence des employé·e·s (Amadieu, 2002 ; voir aussi Lotti dans ce numéro). Ce dossier appréhende la manière dont ce souci pour la beauté structure la division du travail dans ces activités professionnelles tandis que les métiers de la beauté se diversifient : des métiers de service à ceux de la conception en passant par la publicité et la production, c’est un secteur qui mobilise de nombreux salarié·e·s et sur lequel les recherches émergent en France, comme c’est le cas pour la coiffure par exemple (Messu, 2013 ; Desprat, 2015 ; Denave/Renard, 2019).
6À l’image de l’exemple des instagrameurs et des instagrameuses, le travail de la beauté pose la question des frontières du travail. Le travail exercé à titre professionnel conduit-il à devoir respecter un ensemble de normes régissant la tenue et l’exposition du corps ? Ces normes sont-elles intériorisées par les individus exerçant le travail (Hidri, 2008) ? Le travail de conformation à ces normes est-il un “travail” reconnu, rémunéré, etc. ? S’agit-il plutôt d’un travail sur soi, domestique, ni reconnu, ni qualifiant, mais pourtant bien réel que les un·e·s et les autres sont amené·e·s à effectuer pour être recruté·e·s lors d’un entretien d’embauche par exemple ? Réfléchir à cette catégorie de “travail de la beauté” nous engage donc à analyser les délimitations entre le travail professionnel et le travail domestique (Albert et al., 2017), les qualifications professionnelles, les formes de socialisation professionnelle, mais aussi, plus simplement à examiner ce que le travail de la beauté produit comme brouillage entre travail domestique et professionnel (Renard, dans ce numéro) et par extension dans quelle mesure il permet de réinterroger la définition du travail par ses marges (Calderon et al., 2016). Ces brouillages tiennent à des dynamiques professionnelles à la fois sociologiques et historiques (certaines professions apparaissant et disparaissant, en relation avec la prise en charge de certaines pratiques dans la sphère privée (Vigarello, 2004 ; Lanoe, 2008), comme ce fut le cas des barbiers par exemple). Aujourd’hui, le brouillage des sphères peut s’observer dans la partition des espaces où le professionnel s’invite à la maison tandis que le privé envahit des lieux considérés comme publics (Dufournet, dans ce numéro). Certaines activités se professionnalisent tandis que d’autres se trouvent domestiquées.
7Enfin, les normes de beauté s’élaborent en relation avec des rapports sociaux qui structurent la société dans son ensemble. L’historienne Kathy Peiss montre comment les produits de beauté, mal considérés à la fin du 19ème siècle, participent de la formation des canons de beauté dans la société américaine au 20ème siècle (1990). Elle définit trois marchés correspondant à trois secteurs industriels spécifiques : le marché de classe, correspondant au luxe ; le marché de masse et le marché ethnique. Tous trois ont été confrontés à des difficultés analogues puisqu’il s’agissait dans un premier temps de convaincre des consommatrices « qu’avoir le visage “peint” était une chose non seulement compatible avec la décence, mais encore indispensable à la féminité ». Cependant, elle montre que le croisement du genre avec la classe et la race a produit des approches culturelles différentes quant à la consommation de ces produits. Au 21ème siècle, comment les normes esthétiques se trouvent traversées par les rapports sociaux ? Comment se traduisent en actes les normes de beautés légitimes ? En quoi le contenu du travail de la beauté – construit autour de certaines formes de beautés légitimes (Bédinadé dans ce numéro) – transforme les cultures de classes, les styles de vie, dans la dimension corporelle, les manières d’être, l’apparence de celles et ceux qui l’exécutent (Couvry dans ce numéro) ?
8Le dossier examine également la subjectivité et la capacité d’agir des salarié·e·s dans ces professions face aux canons de beauté. Si les professions concernées couvrent des gammes de clientèle très variées, allant de l’offre bon marché jusqu’au produit de luxe, il est indéniable que la majorité de ces salarié·e·s sont issu·e·s des classes populaires. En ce sens, s’engager dans ces métiers, notamment ceux de luxe, peut signifier une distinction sociale et professionnelle pour les salarié·e·s et ainsi les inciter à répondre aux normes esthétiques de ces milieux professionnels (par exemple dans le cas de la vente de vêtements (Perez, 1992 ; Williams/Connell, 2010 ; Barbier, 2019). L’enjeu est donc également de saisir la façon dont ces salarié·e·s interprètent et intériorisent les normes de beauté au travail et en dehors de celui-ci (Gallot, 2015).
9Ces questions sont examinées dans les six articles de ce dossier, souvent fondés sur des enquêtes articulant observations et entretiens dans des contextes professionnels et extra-professionnels. Le cumul de l’observation et de l’entretien permet d’accéder à un système de normes dont l’effet sur les pratiques de travail professionnel, sur les pratiques extraprofessionnelles et sur l’organisation du travail, professionnel ou non, est le plus souvent discret ou tu. Les articles présentés ici cherchent à révéler l’ampleur de cet effet.
10À partir d’une enquête qualitative fondée sur trente entretiens avec des candidates aux concours de beauté, des organisateurs et des partenaires de ces concours locaux et des observations lors d’élections de miss locales entre 2011 et 2015, Camille Couvry montre que les interactions dans le cadre des concours de beauté se fondent sur des modèles de travail de la beauté attendus dans les métiers de service et souligne que la participation à ces concours génère chez les candidates des dispositions réinvesties dans le travail professionnel. Ces expériences « servent l’entrée et l’employabilité dans certaines formes d’emploi » allant de l’hôtessariat au modèle de mode en passant par le commerce de détail, situées principalement dans les « strates basses » de la hiérarchie des professions, où l’incarnation d’une présentation de soi considérée comme féminine de classe moyenne est attendue. Les candidates apprennent à feindre l’intérêt pour une situation à laquelle elles prennent part, à être capables de représenter une organisation avec une gestuelle corporelle associée, à se conformer à un modèle de beauté de classe moyenne du tertiaire. L’article analyse ainsi les ressorts d’une socialisation corporelle dépassant l’optimisation esthétique (effectivement présente à travers un travail mis en œuvre en regard de certaines normes – maquillage, coiffure, habillement) et engageant également un travail sur la gestuelle, la présentation de soi et les techniques du corps. Dans ces contextes, le travail de la beauté, délibérément exercé par les bénévoles dans le cadre de ces concours, articule, comme cela est également montré par Fanny Renard, une volonté d’amender des apparences et le souhait d’agir sur les individus dans leur ensemble dans une logique d’empowerment ou d’empotentiation – pour reprendre les catégories de Camille Couvry – de ces jeunes femmes.
11À la différence de Camille Couvry, Fanny Renard appréhende le travail de la beauté dans sa composante professionnalisée, celle de la coiffure. Son travail repose sur une enquête conduite dans un Centre de formation des apprentis et dans un lycée professionnel. L’autrice a observé des enseignements, la vie à l’intérieur de l’établissement et des stages. Elle a réalisé des entretiens avec les enseignant·e·s, les formateurs et les formatrices et les apprentis. Si ce travail de coiffure est formellement qualifié par ses techniques (gestes, outils, etc.), Fanny Renard montre l’importance, non reconnue, du travail d’apparence sur soi des professionnelles. À partir d’une sociologie de la socialisation, elle étudie comment les apprentis sont confrontés à cet enjeu en lien avec leur travail avant même leur véritable et durable rencontre avec la clientèle. Elle montre la récurrence des injonctions à l’embellissement des corps dans un secteur professionnel où la beauté est appréhendée comme un travail comprenant le soin de soi. Sans être utile directement à la production d’une coiffure, la capacité de se soumettre « aux normes esthétiques » permet de « refléter le travail d’un professionnel ». Les apprenties, des jeunes femmes de milieux populaires stables, sont donc immergées dans un travail de transformation de leur « chevelure, corpulence, maintien, tenue vestimentaire, maquillage ». L’enjeu est de féminiser leur corps sans verser dans la sexualisation de celui-ci. Une telle entreprise repose sur les actions des enseignant·e·s, des référent·e·s à l’intérieur des salons de coiffure, mais aussi sur les apprenties qui opèrent à l’intérieur de leur sociabilité juvénile une véritable action socialisatrice.
12D’un autre point de vue, l’article de Tanguy Dufournet montre comment la question de la beauté est retraduite en norme professionnelle dans le contexte du milieu pornographique gay. Reposant sur une enquête menée en France et en Espagne entre 2015 et 2019 auprès de vingt-cinq acteurs âgés de 18 à 40 ans ainsi que cinq producteurs-réalisateurs travaillant au sein de l’industrie pornographique gay, l’auteur montre comment cette norme exerce son influence par l’intermédiaire d’un contrôle « informel » des producteurs et des réalisateurs et un autocontrôle des acteurs eux-mêmes sur différents segments de leur mode de vie, allant de l’alimentation au rythme de vie, en passant par les activités sportives, etc. Si l’influence de cette norme n’est pas reconnue formellement comme une qualification, une condition de travail ou le contenu d’une tâche à effectuer, elle est directement repérable dans les entretiens et les observations. En effet, Tanguy Dufournet analyse les enjeux professionnels de la maîtrise de « compétences corporelles » : enjeux de carrière et de capacité de durer à l’intérieur de la profession.
13De son côté, c’est l’intersection des rapports sociaux de genre, de classe et de race qu’examine Daphné Bédinadé dans une attention aux pratiques de « traitement ou de transformation du corps ». Cette question est travaillée à travers le segment dit “ethnique” de la beauté au sein de l’industrie cosmétique brésilienne dont l’offre a « longtemps peu considéré les produits cosmétiques tournés vers le soin de la peau noire ». Ce segment de l’industrie cosmétique qui vise une clientèle possédant « des marqueurs corporels » associés à « une identité afro-brésilienne » (« la couleur foncée de peau et la texture bouclée ou crépue des cheveux ») a gagné en visibilité depuis les années 2010, notamment via les réseaux sociaux et l’apparition du « mouvement naturel ». Le propos de Daphné Bédinadé porte précisément sur la manière dont le « cheveu crépu », une des « caractéristiques phénotypiques des femmes noires » les plus importantes et stigmatisées, a été construit comme un enjeu commercial en même temps qu’il est devenu un enjeu de l’acceptation/revalorisation de soi chez une partie de la population brésilienne. À partir d’une enquête de terrain menée à São Paulo, Rio de Janeiro et Paris auprès d’entrepreneuses, bloggeuses consommatrices régulières de produits cosmétiques « ethniques », d’experts de la peau noire et de professionnels de l’industrie cosmétique, l’autrice étudie la relation qu’entretient l’industrie cosmétique avec la question de la race et de l’ethnique. Elle utilise la beauté comme un « outil d’analyse des différentes structures de relations de pouvoir, de genre, de race, de classe et d’inégalités à l’œuvre » dans la société brésilienne. Son étude de cas de deux marques de l’industrie cosmétique généraliste brésilienne révèle que les modes de productions des produits cosmétiques sont enracinés dans des « configurations sociales propres à l’histoire coloniale et raciale du pays ».
14Françoise de Barros appréhende, pour sa part, les liens unissant les esthéticiennes et l’industrie cosmétique. À partir d’une enquête par entretiens auprès d’esthéticiennes et d’une l’analyse de la structuration de ce monde professionnel, l’autrice montre que les esthéticiennes sont aujourd’hui tenues à distance des processus de fabrication des produits cosmétiques. Bien que présents au quotidien dans leur travail, leur utilisation n’est pas qualifiante alors même que le métier d’esthéticienne implique des discours omniprésents sur les produits et une manipulation adéquate. Finalement, l’autrice rend compte des lignes de clivages existant dans la profession dans le rapport aux produits et à l’industrie pharmaceutique.
15Enfin, une autre dimension du travail esthétique est envisagée par Valeria Lotti dans un compte-rendu ethnographique sur les salons esthétiques en Chine dans le contexte d’un changement normatif dans les normes esthétiques et la promotion récente de caractéristiques physiques regroupant notamment minceur, peau claire, visage ovale, menton pointu et yeux larges. L’autrice examine plus précisément l’offre de soins esthétiques relevant ordinairement de la chirurgie esthétique effectués dans des instituts de beauté et effectués à distance des pratiques de la chirurgie esthétique qui les prend en charge habituellement. Cette activité en pleine expansion dans le cadre du développement de la beauty economy chinoise (« the economy of beautiful women ») est décrite ici sous l’angle des frontières professionnelles qu’elle altère et manipule. Des femmes peu qualifiées réorientées sur la période récente vers le tertiaire et donc le secteur de la beauté s’y engagent sans qualification et reçoivent de bas salaires. Certaines évoluent dans une « zone grise » (gray zone) requalifiante, entre esthétique et médical, beauté et médecine que l’article examine spécifiquement.
16Ces différentes contributions montrent combien le travail de la beauté intervient dans des milieux professionnels variés et contribue formellement ou informellement aux hiérarchisations qui les structurent. Engagé par les professionnels dans des métiers appartenant aux secteurs d’activité visant explicitement à travailler les corps sur la base de normes de beauté, il ne s’y limite pas et opère parfois de manière peu visible dans le contenu du travail, dans les techniques qu’il mobilise, sous la forme de contraintes ou de gratification. L’analyse de ses formes et de ses effets rappelle combien le travail – ici de la beauté – constitue un domaine d’expression des rapports sociaux de classe, de race et de genre.