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L’Académie de Marseille et les trajectoires individuelles

Entre Paris et Marseille

Quelques réflexions sur les relations du provençal Joseph Vernet avec l’Académie phocéenne
Between Paris and Marseille. Thoughts on the relationship between Provençal painter Joseph Vernet and the Marseille Academy
Émilie Beck Saiello
p. 99-109

Résumés

L’article revient sur le thème des relations de Joseph Vernet avec les cercles marseillais étudié dans le catalogue de l’exposition Marseille au xviiie siècle. Les années de l’Académie de peinture et de sculpture. 1753-1793 en présentant de nouvelles découvertes. Il s’interroge également sur les stratégies professionnelles du peintre et sur les liens complexes qui unissent l’artiste, l’institution phocéenne et l’Académie royale de peinture et de sculpture.

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Texte intégral

  • 1 Étienne Jollet, « Préface », Artistes savants et amateurs. Art et sociabilité au xviiie siècle (171 (...)

1Dans sa préface au récent ouvrage Artistes savants et amateurs. Art et sociabilité au xviiie siècle (1715-1815), Étienne Jollet revenait sur la notion de sociabilité et rappelait à juste titre qu’« une étude du marché de l’art, des commanditaires, des réseaux professionnels et personnels fai[sai]t désormais partie de tout travail monographique sur un artiste1 ». Cette démarche apparaît d’autant plus nécessaire dans le cas du peintre Joseph Vernet (1714-1789), dont le succès repose tant sur la qualité de ses œuvres que sur sa capacité à gérer ses différents réseaux de sociabilité. Dans le tissu complexe des échanges, où les fils se croisent et s’entrelacent, il n’est pas rare d’identifier de nouveaux maillons qui viennent consolider la trame. Cela vaut pour l’étude des réseaux marseillais de Joseph Vernet. Le rôle, auparavant imprécis, de ses collaborateurs, élèves, émules et collectionneurs, est aujourd’hui mieux documenté.

  • 2 Émilie Beck Saiello, « De l’aristocratie du négoce aux cercles de l’Académie : les réseaux marseill (...)

2Quelques mois seulement se sont écoulés depuis la publication de notre article intitulé « De l’aristocratie du négoce aux cercles de l’Académie. Les réseaux marseillais de Joseph Vernet » dans le catalogue de l’exposition Marseille au xviiie siècle. Les années de l’Académie de peinture et de sculpture. 1753-17932. C’est peu pour voir réapparaître de nouvelles informations, œuvres ou documents, venant contredire ou nuancer notre propos. C’est néanmoins suffisant pour apporter quelques pièces à un puzzle encore incomplet, prendre en examen les réseaux complexes de sociabilités marseillaises au sein de l’Académie et s’interroger sur les relations de Vernet avec les académies parisienne et phocéenne.

Pierre Jacques Volaire, collaborateur de Vernet

  • 3 Comme nous l’a aimablement signalé Gérard Fabre, que nous remercions. Jean-Baptiste Grosson, Almana (...)

3Parmi ces pièces figurent des informations concernant le corps des enseignants de l’Académie. L’Almanach historique de Marseille de Jean-Baptiste Grosson mentionne ainsi, à plusieurs reprises, parmi les adjoints aux professeurs de dessin et d’anatomie, le nom de Volaire3. Comme on le sait, le toulonnais Pierre Jacques Volaire (1729-1799), dit le chevalier Volaire, a été le plus proche collaborateur de Joseph Vernet et son assistant durant la période de la réalisation des Ports de France. C’est à Toulon en 1755 que les deux hommes se sont rencontrés, à l’occasion d’une commande provenant de Marseille que le jeune peintre apportait à Vernet. Les Almanachs publiés de 1785 à 1789 (et correspondant aux années 1784 à 1788) signalent, la première année, « Volaire, peintre, aux allées de Meilhan », puis indiquent les années suivantes « Volaire, peintre, à Naples », avant que son nom ne disparaisse de l’Almanach de 1790. Le doute demeure sur l’identité du peintre. Pierre Jacques Volaire s’était installé en Italie en 1763 et établi à Naples en 1767 ou 1768 où il avait connu assez rapidement le succès. Il avait toutefois continué à entretenir des rapports avec la France, rapports qui semblent d’ailleurs s’être intensifiés vers la fin des années 1770 et dans les années 1780 (participation au Salon de la Correspondance en 1779, 1783 et 1786 et tentative, en 1786, de faire exposer ses tableaux au Louvre). Si aucun de ses voyages n’est documenté, il n’est cependant pas impossible qu’il soit retourné à quelques reprises en France. Mais pourquoi un peintre aussi célèbre et fortuné que l’était Volaire à Naples dans les années 1780 (en 1784 il peint un tableau pour le roi Ferdinand IV) aurait-il accepté la même année un poste de professeur adjoint de l’Académie de Marseille ?

  • 4 Etienne Parrocel, Histoire documentaire de l’Académie de peinture et de sculpture de Marseille, Par (...)
  • 5 Sur Jacques Auguste Volaire, voir Émilie Beck Saiello, Pierre Jacques Volaire (1729-1799), dit le c (...)

4Étienne Parrocel évoque les rapports du peintre avec l’Académie, mais de manière assez contestable : « Associés Agréés et correspondants de l’Académie. Volaire, peintre, agréé en 1784. Nous avons vu une série de grands dessins représentant des sujets religieux signés du nom de Volaire, et également quelques eaux fortes assez spirituellement enlevées. Volaire était l’élève de Joseph Vernet.
La notice du musée de Toulouse, de 1805, mentionne de lui sous le nº 377 : Une éruption nocturne du Vésuve4 ». Le peintre du Vésuve est bien Pierre Jacques, et celui de tableaux religieux est son père Jacques (1685-1768) actif à Toulon et dans sa région. Le Volaire cité dans l’Almanach est en fait, probablement, Jacques Auguste (1726-1790 ?), le frère du chevalier. Peintre, pastelliste et cartographe, l’artiste avait été le premier directeur et seul professeur de l’école publique et gratuite de dessin de Nantes, fondée en 1756 et qui avait, grâce à son implication, connu un rapide succès (fig. 1). En 1784, un frère du chevalier Volaire, que l’on peut selon toute probabilité identifier avec Jacques Auguste, bénéficiait d’une recommandation auprès du peintre Jean-Baptiste Descamps (1714-1791), directeur de l’école gratuite de dessin de Rouen. Recommandation rédigée par Vernet à la demande du chevalier Volaire et certainement pour une place de professeur. La réponse négative de Descamps explique probablement l’admission de Jacques Auguste Volaire, cette même année 1784, à l’Académie de Marseille. C’était après tout un provençal de quelque talent, bon pédagogue, frère d’un peintre de marine de renom, et qui était sans doute muni, encore une fois, d’une lettre de présentation de Joseph Vernet. Cet emploi de professeur ne dut pourtant pas suffire à l’artiste puisqu’il vint chercher fortune en Italie : le 21 juillet de l’année suivante on le trouve en effet mentionné comme témoin au baptême d’une nièce, à Naples. Il mourra certainement quelques années plus tard, en 1790, à Lerici5.

5La présence de Jacques Auguste Volaire à l’Académie de Marseille, en qualité de professeur, témoigne à la fois de la bienveillance dont pouvaient bénéficier, au sein de celle-ci, les artistes locaux, du prestige dont jouissait Vernet dans l’institution phocéenne et de la sollicitude de ce dernier, accordée au frère de son ancien collaborateur.

Des commanditaires marseillais ?

6Plus significative sans doute pour l’histoire des relations de Vernet avec la ville de Marseille, est la réapparition, sur le marché de l’art, de deux tableaux de l’artiste, le premier réalisé dans la cité phocéenne en 1754 et le second en 1755, quelques mois après son départ (fig. 2 et 3). Le premier est une huile sur toile, mesurant 101 x 138 cm (soit le format toile d’empereur), signée, datée et localisée en bas à droite : « Joseph Vernet f./Massila/1754 ». Acheté sur le marché parisien en 1962 par un collectionneur qui le légua ensuite à sa famille, le tableau fut acquis par la galerie Colnaghi en 2010, puis vendu à Maurizio Nobile en 2016, avant d’être proposé aux enchères à Zurich par Koller Auktionen, le 22 septembre 2017, nº 3063.

  • 6 Florence Ingersoll-Smouse, Joseph Vernet, peintre de marines, 1714-1789, Paris, Les Beaux-Arts, 192 (...)
  • 7 Léon Lagrange, Joseph Vernet et la peinture française au xviiie siècle. Avec les textes des « Livre (...)
  • 8 Ibidem, p. 338 (œuvres mentionnées aussi p. 336, 364 et 385). Les tableaux sont cités dans la colle (...)
  • 9 Lagrange, Joseph Vernet…, 1864, op. cit., p. 339.
  • 10 Ingamells, A dictionary…, 1997, op. cit., p. 196-199.
  • 11 Florence Ingersoll-Smouse, Joseph Vernet, 1926, t. 1, nº 600.

7Le tableau est localisé à Marseille, comme les deux vues de la cité phocéenne appartenant au musée du Louvre. En premier lieu, l’indication Massila, transformation du latin Massilia, fait-elle référence, au sein de ce paysage composé, à des éléments topographiques identifiables, le phare rappelant celui situé près du fort Saint Jacques, et la forteresse évoquant le château d’If ? Ou plutôt, Vernet conserve-t-il ici une habitude prise à Rome de localiser ses tableaux, à la demande sans doute de ses clients britanniques du Grand Tour ? Habitude maintenue aussi pour certains tableaux des ports de France, et qui devait convenir au roi ou aux spectateurs venus les admirer au Salon ? Il l’abandonnera en revanche en venant s’installer à Paris. En second lieu, faut-il y voir une commande particulièrement prestigieuse ou significative (comme pour le Port au soleil couchant d’une collection particulière, signé et daté de la même année, et commandé par Noguier de Malijay, Receveur Général des Finances de Marseille et membre honoraire de l’Académie phocéenne à partir de 1755)6 ? Le tableau, certes de très belle facture, n’est pas clairement identifiable dans le livre de raison de Joseph Vernet
et était jusqu’à ce jour inédit. Trois commandes néanmoins méritent d’être évoquées pour la proximité de la datation et du format de ce tableau. La première que nous souhaiterions citer, datée de l’année 1753, constituerait une hypothèse d’identification intéressante pour notre propos. Elle émane du marseillais Joseph-Marc Roch de Barrigue de Fontainieu (1721-1807), amateur cultivé, membre de l’Académie royale de peinture et de sculpture depuis 1743, et qui deviendra membre de l’Académie de Marseille en 1756. « Mr Fontainieu place de Noaille a Marseille deux tableaux toille d’empereur des sujets a ma fantaisie reppresentants des marines auxquels je donneray la hauteur de la Toile suivant ce que je jugeray a propos ordonnez au mois de mars 1753 et promis le plutot que je pourray le prix est de cents Ecus Romains (chaque) qui fonts 1050 l. (les deux)7 ». Malheureusement le sujet n’est pas précisé. Il l’est en revanche davantage dans le tableau du chevalier Joseph Henry (1727-1796), voyageur irlandais du Grand Tour qui passe commande en 1752 d’une série des quatre heures du jour pour une somme plutôt conséquente : « Pr Mr le chevalier Henry Irlandois quatres tableaux reppresentent les quatres parties du jour en sujets de marines un soleil levant dans un broüillard, un midy par une tempeste, un soleil couchant d’un ton chaud, et une nuit avec un clair de lune, le prix est de cents cinquante livres sterlins les quatres ; ils doivent etre sur toile d’empereur, et les ay promis pour le plustot qu’il me cera possible8 ». Un autre Irlandais, Milord Charlemont (1728-1799) commande lui aussi pour le même prix une série des quatre heures du jour de même format, en 1754 : « Pr milord Charlemont quatre tableaux toile d’empereur qui doivent representer les quatres parties du jour, en sujets de marine, le prix est de cents cinquante livres sterlins les quatres, qui doivent m’etre payés par Mrs Sollicose et Crowe Banquiers a Marseille, a qui je dois remettre lesdits Tableaux9 ». Charlemont avait connu l’artiste quelques années auparavant à Rome, où il lui avait demandé six tableaux et se trouvait, en 1754, dans le sud de la France, sur le chemin de retour vers l’Irlande10. Il est malheureusement difficile de déterminer qui, de ces trois clients, fut le propriétaire du nocturne marseillais de 1754, même si l’on peut penser que les tableaux commandés par Fontainieu et Charlemont durent certainement être réalisés et livrés à Marseille11.

  • 12 Les informations concernant sa provenance sont les suivantes : collection du prince Anatole Demidof (...)
  • 13 Cf. Lagrange, Joseph Vernet…, 1864, op. cit., p. 478 ; Ingersoll-Smouse, Joseph Vernet…, 1926, op.  (...)
  • 14 On en connaît d’ailleurs deux copies : la première est une huile sur toile, mesurant 98 x 135 cm, q (...)

8Le second tableau, Visite au port, est tout autant difficile à documenter12. Il s’agit d’une huile sur toile mesurant 87 x 136 cm, signée et datée en bas à gauche : « Joseph Vernet 1755 f.13 ». Le tableau ne semble pas clairement identifiable parmi les commandes du livre de raison de l’artiste, et ce malgré la présence d’un personnage en rouge, assez caractérisé, au premier plan, qui pourrait correspondre au commanditaire. L’arrière-plan du tableau évoque Marseille et ses environs et l’édifice représenté au fond à gauche n’est pas sans rappeler le château Borely qui, à cette date, n’était toutefois qu’une architecture de papier dans les portefeuilles de Clérisseau, un peu différente de la version proposée par Vernet. La qualité de l’œuvre en fait néanmoins l’un des tableaux les plus remarquables du séjour de Vernet en Provence14. Elle montre également la séduction du paysage phocéen auprès des amateurs et le prestige des commandes passées à l’artiste pendant sa permanence provençale (commandes auxquelles il ne put renoncer malgré l’importance de la série des Ports pour le roi).

Vernet et l’Académie de Marseille

  • 15 Régis Bertrand, « Le “glorieux” xviiie siècle marseillais. Marseille de la Régence à la Révolution  (...)

9Essayons désormais de réfléchir à la nature des relations qui lient Vernet à Marseille et à son Académie, en rappelant dans un premier temps les éléments dont nous disposons sur le sujet. Vernet a séjourné dans la ville à quatre reprises, en 1751, en 1752, au printemps 1753 (année où il est reçu à l’Académie royale de peinture et de sculpture), puis d’octobre 1753 à septembre 1754, cette fois-ci pour la réalisation des vues de Marseille de la commande royale des Ports de France. Il s’y est créé un réseau de clients, parmi lesquels des banquiers, des administrateurs, des amateurs éclairés, et surtout ceux qui, dans une ville sans intendance ni cours souveraines, tiennent le haut du pavé : les grands négociants, par ailleurs présents en nombre à l’Académie15. Cette clientèle continuera à lui acheter des tableaux après son départ. Les vues du port de Marseille, exposées dans la ville avant leur envoi à Paris, susciteront l’admiration par leur qualité et la modernité de leur composition et connaîtront une rapide fortune artistique. Lorsque Vernet quitte Marseille en 1754, il y laisse donc une empreinte profonde dans le milieu des artistes et des amateurs.

  • 16 Dans une lettre datée du 23 décembre 1766, Étienne Moulinneuf mentionne le dessin dont Vernet a fai (...)

10C’est la raison pour laquelle, en 1761, on le sollicitera pour faire partie des membres d’honneur de l’Académie phocéenne. Certes, cette admission interviendra un peu tard, mais, comme on le sait, la création de l’institution fut laborieuse et ses premières années difficiles. Vernet avait d’ailleurs peut-être encouragé sa fondation, avant de préférer nouer de plus solides relations avec l’Académie royale de peinture et de sculpture à Paris. Les archives sur le sujet sont peu nombreuses et avares d’informations : un morceau de réception non livré et remplacé par un dessin – qui semble d’ailleurs avoir été copié peu de temps après par Lacroix de Marseille16, une liste d’amateurs marseillais possédant de ses tableaux et susceptibles de les prêter à l’exposition de 1762, des relations régulières avec son collègue de l’Académie royale Michel-François Dandré-Bardon (1700-1783), enfin des démarches pour l’obtention des médailles destinées aux élèves primés.

Vernet et ses émules provençaux

  • 17 Voir Beck Saiello, « De l’aristocratie du négoce aux cercles de l’Académie… », art. cit. Notons tou (...)

11Que représenta l’Académie de Marseille pour Joseph Vernet ? Un titre de plus, un supplément de noms dans son carnet d’adresses, un moyen d’entretenir des relations avec les amateurs provençaux, une opportunité de placer ses anciens collaborateurs ou suiveurs, une occasion de diffuser ses modèles et sa manière dans le milieu des artistes provençaux17 ? Certes, cela valait tout de même bien un dessin et une lettre de vœux aux professeurs de l’Académie marseillaise à chaque premier de l’an.

  • 18 Henry d’Arles (1734-1784), qui prend sans doute quelques leçons auprès de Vernet en 1753 et complèt (...)

12Pour l’institution phocéenne, en revanche, Vernet représentait un modèle pour les jeunes artistes18, un réseau de relations utiles pour l’Académie, à Paris comme à Marseille (plusieurs de ses clients marseillais y feront d’ailleurs leur entrée), un intermédiaire influent dans les relations avec l’Académie royale. Et sa notoriété surtout permettait à l’institution, qui, rappelons-le, avait comme particularité de s’intituler « Académie de peinture, sculpture, architecture civile et navale », de s’enorgueillir de compter parmi les siens le plus célèbre peintre de marines du xviiie siècle.

  • 19 Olivier Bonfait, « École de dessin, académie, académies. L’“Académie de Peinture &c. de Marseille” (...)
  • 20 Vernet aide, conseille ou finance son beau-frère Guibert, son frère cadet, François, peintre et mar (...)
  • 21 Un chapitre resterait à écrire sur l’utilisation des modèles de Vernet dans les arts décoratifs, av (...)

13Si l’on revient sur la thèse intéressante développée par Olivier Bonfait dans le catalogue de l’exposition, sur l’évolution des liens de l’Académie marseillaise avec l’Académie royale de peinture et de sculpture - « de l’échange d’honneurs à la servitude volontaire19 » -, les rapports de Joseph Vernet avec l’institution phocéenne sont tout à fait symptomatiques de l’évolution de la politique de l’institution. Vernet, qui entre à l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1753 et séjourne à Marseille au moment précis où sont définis les premiers statuts et règlements, ne compte pas parmi les premiers membres de l’institution phocéenne. Son admission en 1761 témoigne de la progressive affiliation de l’Académie marseillaise à l’institution parisienne ; elle vient renforcer les liens entre les deux académies. Néanmoins le rôle modeste que joua le peintre au sein de l’Académie phocéenne ne fut certainement pas sans décevoir ceux qui avaient œuvré pour son admission. Vernet était certes membre de l’Académie royale de peinture, mais c’était également un provençal, et qui avait fait beaucoup d’émules parmi les peintres de marine de la région. Il aurait pu, peut-être, tempérer la fascination pour Paris de Dandré-Bardon et le désintérêt pour l’Académie marseillaise de Pierre. Mais, le 14 juillet 1762, Vernet s’installait enfin à Paris, après des années de pérégrination dans les ports de France, et obtenait le
21 juin 1763 un logement au Louvre. Il allait alors œuvrer pour lui et sa famille (son fils Carle (1758-1836), son beau-frère Honoré Guibert (vers 1720 - 1791), ses neveux…), certains de ses membres quittant la Provence pour le rejoindre à Paris20. Puis consolider ses appuis, renforcer ses réseaux dans la capitale et profiter des avantages liés à son statut d’académicien. Charité bien ordonnée commence par soi-même. Néanmoins tous les artistes qui le fréquentèrent en témoignent : Vernet n’était pas avare de conseils et partageait assez généreusement son carnet d’adresses. Il en fit certainement profiter l’Académie de Marseille, ses professeurs et ses élèves. Il rédigea sans doute quelques lettres de présentation, se fit l’intermédiaire entre un artiste et son client, recommanda l’Académie phocéenne à des amateurs susceptibles d’encourager l’institution par une contribution ou un présent. Vernet, et il en avait certainement tout à fait conscience, fut aussi et surtout, pour les professeurs et les élèves de l’Académie phocéenne, un modèle de réussite sociale et professionnelle. Le fils du modeste peintre de chaises à porteurs avignonnais était devenu l’une des étoiles des Salons parisiens, l’un des artistes les plus chers et les plus appréciés de son temps, l’un des peintres de paysage et de marine les plus recherchés en Europe21.

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Annexe

Fig. 1 : Jacques Auguste Volaire. Joute au port de Toulon, organisée à l’occasion du couronnement de Louis XVI en juin 1775

Fig. 1 : Jacques Auguste Volaire. Joute au port de Toulon, organisée à l’occasion du couronnement de Louis XVI en juin 1775

Huile sur toile. 92 x 138 cm

Collection particulière

Fig. 2 : Joseph Vernet. Marine au clair de lune

Fig. 2 : Joseph Vernet. Marine au clair de lune

Huile sur toile. 101 x 138 cm. Signé et daté en bas à droite, sur le baril : « Joseph Vernet f. / Massila / 1754 ».

Zurich, Koller Auktionen, 22 septembre 2017, nº 3063.

Fig. 3 : Joseph Vernet. Visite au port

Fig. 3 : Joseph Vernet. Visite au port

Huile sur toile. 87 x 136 cm. Signé et daté en bas à gauche : « Joseph Vernet 1755 f. »

Collection particulière. © Guillaume Benoit.

Fig. 4 : Henry d’Arles. Marine par temps calme

Fig. 4 : Henry d’Arles. Marine par temps calme

Huile sur toile. 55 x 79,5 cm. Signé et daté en bas à gauche : « J. henry D’arles Elève de vernet f. 1768 »

Londres, Partridge, 1995.

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Notes

1 Étienne Jollet, « Préface », Artistes savants et amateurs. Art et sociabilité au xviiie siècle (1715-1815), Jessica L. Fripp, Amandine Gorse, Nathalie Manceau, Nina Struckmeyer (éd.), Paris, Mare & Martin, 2016, p. 8.

2 Émilie Beck Saiello, « De l’aristocratie du négoce aux cercles de l’Académie : les réseaux marseillais de Joseph Vernet », Marseille au xviiie siècle. Les années de l’Académie de peinture et de sculpture, 1753-1793, Luc Georget (dir.), cat. exp., Marseille, Musées de Marseille, Paris, Somogy Editions d’art, 2016, p. 48-75.

3 Comme nous l’a aimablement signalé Gérard Fabre, que nous remercions. Jean-Baptiste Grosson, Almanach historique de Marseille, Marseille, Jean Mossy, 1785, p. 284 ; 1786, p. 273 ; 1787, p. 258 ; 1789, p. 278.

4 Etienne Parrocel, Histoire documentaire de l’Académie de peinture et de sculpture de Marseille, Paris, Imprimerie nationale, 1889-1890, 2, p. 335.

5 Sur Jacques Auguste Volaire, voir Émilie Beck Saiello, Pierre Jacques Volaire (1729-1799), dit le chevalier Volaire, Paris, Arthena, 2010, p. 26-28.

6 Florence Ingersoll-Smouse, Joseph Vernet, peintre de marines, 1714-1789, Paris, Les Beaux-Arts, 1926, t. 1, nº 573.

7 Léon Lagrange, Joseph Vernet et la peinture française au xviiie siècle. Avec les textes des « Livres de raison » et un grand nombre de documents inédits, Paris, Didier, 1864, p. 337.

8 Ibidem, p. 338 (œuvres mentionnées aussi p. 336, 364 et 385). Les tableaux sont cités dans la collection d’Henry en 1775. John Ingamells, A Dictionary of British and Irish Travellers in Italy 1701-1800 from the Brinsley Ford Archives, New Haven, Paul Mellon Centre for Studies in British Art, 1997, p. 484.

9 Lagrange, Joseph Vernet…, 1864, op. cit., p. 339.

10 Ingamells, A dictionary…, 1997, op. cit., p. 196-199.

11 Florence Ingersoll-Smouse, Joseph Vernet, 1926, t. 1, nº 600.

12 Les informations concernant sa provenance sont les suivantes : collection du prince Anatole Demidoff (1813-1870) ; sa vente, Paris (Pillet), 13-16 janvier 1863, nº 13 (selon une annotation manuscrite acheté 4000 fr. par Haro) ; collection des frères Émile Pereire (1800-1875) et Isaac Pereire (1806-1880) ; sa vente, Paris (Pillet), 6-9 mars 1872, nº 74 ; collection Alfred Sommier (1835-1908), resté dans la famille jusqu’à aujourd’hui : Vaux-le-Vicomte, château, collection particulière.

13 Cf. Lagrange, Joseph Vernet…, 1864, op. cit., p. 478 ; Ingersoll-Smouse, Joseph Vernet…, 1926, op. cit., t. I, nº 644 et t. II, nº 2107.

14 On en connaît d’ailleurs deux copies : la première est une huile sur toile, mesurant 98 x 135 cm, qui a figuré à la vente baronne Cassel van Doorn, Paris (Ader), le 30 mai 1956, sous le nº 49 ; la seconde, Vue de fantaisie d’une baie, en Méditerranée avec gentilhommes et dames regardant le produit d’une pêche, une villa et un navire britannique, est une huile sur toile, mesurant 72,5 x 98,5 cm, vendue à Monaco, par Christie’s, le 3 avril 1987, sous le nº 71.

15 Régis Bertrand, « Le “glorieux” xviiie siècle marseillais. Marseille de la Régence à la Révolution », Marseille au xviiie siècle. Les années de l’Académie de peinture et de sculpture, 1753-1793, Luc Georget (dir.), cat. exp., Marseille, Musées de Marseille, Paris, Somogy Editions d’art, 2016, p. 20 et 31.

16 Dans une lettre datée du 23 décembre 1766, Étienne Moulinneuf mentionne le dessin dont Vernet a fait présent à l’Académie quelque temps auparavant, en remplacement du morceau de réception jamais envoyé (Marseille, Bibliothèque municipale à vocation régionale, fonds patrimoniaux, Ms. 988, Archives de l’ancienne Académie de peinture et de sculpture de Marseille, 1752-1788, t. 13, Correspondance. Minutes des lettres écrites par l’Académie (1766-1768), f. 26). Cette œuvre aurait assez rapidement fait l’objet d’une copie par Lacroix de Marseille. Le catalogue de vente de la collection de M. D*** du 29 décembre 1766 mentionne en effet sous le nº 83 un « tableau intéressant, […] peint par M. la croix, d’après un dessein de M. Vernet, qui est dans l’Académie de Marseille », qui sera acquis par l’abbé Renouard ou Belcour.

17 Voir Beck Saiello, « De l’aristocratie du négoce aux cercles de l’Académie… », art. cit. Notons toutefois que l’un de ses frères, installé à Marseille - comme nous l’apprend une liste d’adresses établie vraisemblablement vers 1779 et figurant dans le livre de raison : « Mr vernet peintre rüe d’Aubagne dans la maison qui fait le coin, passé la seconde calade, à Marseille » (Lagrange, Joseph Vernet…, 1864, op. cit., p. 447) - a pu également l’aider à conserver ses liens avec la communauté des artistes et des amateurs phocéens.

18 Henry d’Arles (1734-1784), qui prend sans doute quelques leçons auprès de Vernet en 1753 et complète, probablement sur ses conseils, sa formation à Rome, signe encore, en 1768 ses tableaux comme « élève de Vernet » (Henry d’Arles. Marine. Le soir. Huile sur toile. 108 x 158,5 cm. S.d. « J. Henry d’arles f. Massiliae 1768 elve de Vernet ». New York, Sotheby’s, 4 juin 1987, nº 157 ; Marine par temps calme. Huile sur toile. 55 x 79,5 cm. S.d. en bas à gauche « J. henry D’arles, El-,ve de vernet f. 1768 ». Londres, Partridge, 1995 (fig. 3)). Par ailleurs une mention du livre de raison, assez inhabituelle, « Toiles que Mr Borely de Marseille demande pour faire des Tableaux a Mr henry 4 de 10 pieds 6 pouces sur 8 pieds 3 pouces [338 x 266 cm] et deux de 10 pieds six pouces sur 5 pieds 3 pouces de large [338 x 169 cm] ; Mr le marquis De Bras a l’hôtel des 13 cantons rüe Traversiere m’a Remis La notte. » (Lagrange, Joseph Vernet…, 1864, op. cit., 1864, p. 406) et qui se réfère peut-être à l’année 1772, montre certainement la parfaite assimilation du style et des formules de Vernet par cet artiste, premier lauréat du concours de l’Académie de Marseille en 1753 et professeur à partir de 1776. Cette note fait probablement allusion à un accord entre Vernet, Borély (sans doute Louis-Joseph Denis, 1731-1784) et Henry pour l’exécution de ces six grands tableaux dans le style du maître mais selon les tarifs pratiqués par son disciple. Henry était d’ailleurs plus familier que Vernet de ces cycles décoratifs de grandes dimensions, réalisés certainement pour des bastides provençales. Il est intéressant de relever qu’à la fin des années 1760 et au début des années 1770, soit quinze à vingt ans après le séjour marseillais de Vernet pour les Ports de France, l’influence du peintre dans la ville est encore très forte. Le mérite en est certainement à mettre au compte de l’Académie phocéenne et de ses artistes.

19 Olivier Bonfait, « École de dessin, académie, académies. L’“Académie de Peinture &c. de Marseille” dans l’espace des Lumières », Marseille au xviiie siècle. Les années de l’Académie de peinture et de sculpture, 1753-1793, Luc Georget (dir.), cat. exp., Marseille, Musées de Marseille, Paris, Somogy Editions d’art, 2016, p. 77-85.

20 Vernet aide, conseille ou finance son beau-frère Guibert, son frère cadet, François, peintre et marchand d’estampes, les jeunes fils de celui-ci, Joseph, sculpteur, et Marc-Antoine, peintre, un autre neveu, François Louis, sculpteur également qui a quitté la Provence à la mort de son père etc. Sur la question des solidarités familiales chez Vernet, voir Émilie Beck Saiello, « Solidarités familiales et sollicitude paternelle au xviiie siècle : l’exemple du peintre Joseph Vernet », Famille(s) et pouvoir(s). Regards croisés : antiquité romaine- période moderne, Sabine Armani, Julie Doyon et Thierry Rentet (éd.), Genève, Georg, à paraître.

21 Un chapitre resterait à écrire sur l’utilisation des modèles de Vernet dans les arts décoratifs, avec identification des sources et des modalités de diffusion. En 1990, Madeleine Pinault avait montré que certains décors de vues marines que l’on trouve sur les faïences de la manufacture de la Veuve Perrin s’inspiraient de gravures d’après Vernet. Elle avait aussi rappelé le rôle déterminant joué par l’Académie phocéenne dans le développement des motifs paysagers dans la faïence marseillaise, en particulier par la diffusion des œuvres des grands maîtres (Madeleine Pinault, « Autour des paysages peints dans les ateliers de la veuve Perrin », La Faïence de Marseille au xviiie siècle : La manufacture de la Veuve Perrin, Danièle Maternati-Baldouy, Christian Bonnin, Henri Amouric, Jacques Bastian et Antoinette Faÿ-Halle, cat. exp., Marseille, Musées de Marseille, Paris, AGEP, 1990, p. 212-219, en particulier p. 218-219). Émilie Roffidal a souligné pour sa part, dans sa contribution au catalogue de l’exposition de 2016, l’influence des motifs et des formules de Vernet sur l’œuvre des artistes de l’Académie de Marseille (professeurs et élèves) et sur les productions manufacturières locales. Émilie Roffidal, « L’union des arts et du commerce », Marseille au xviiie siècle. Les années de l’Académie de peinture et de sculpture, 1753-1793, Luc Georget (dir.), cat. exp., Marseille, Musées de Marseille, Paris, Somogy Editions d’art, 2016, p. 202.

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Table des illustrations

Titre Fig. 1 : Jacques Auguste Volaire. Joute au port de Toulon, organisée à l’occasion du couronnement de Louis XVI en juin 1775
Légende Huile sur toile. 92 x 138 cm
Crédits Collection particulière
URL http://journals.openedition.org/rives/docannexe/image/5395/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 336k
Titre Fig. 2 : Joseph Vernet. Marine au clair de lune
Légende Huile sur toile. 101 x 138 cm. Signé et daté en bas à droite, sur le baril : « Joseph Vernet f. / Massila / 1754 ».
Crédits Zurich, Koller Auktionen, 22 septembre 2017, nº 3063.
URL http://journals.openedition.org/rives/docannexe/image/5395/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 144k
Titre Fig. 3 : Joseph Vernet. Visite au port
Légende Huile sur toile. 87 x 136 cm. Signé et daté en bas à gauche : « Joseph Vernet 1755 f. »
Crédits Collection particulière. © Guillaume Benoit.
URL http://journals.openedition.org/rives/docannexe/image/5395/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 200k
Titre Fig. 4 : Henry d’Arles. Marine par temps calme
Légende Huile sur toile. 55 x 79,5 cm. Signé et daté en bas à gauche : « J. henry D’arles Elève de vernet f. 1768 »
Crédits Londres, Partridge, 1995.
URL http://journals.openedition.org/rives/docannexe/image/5395/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 199k
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Pour citer cet article

Référence papier

Émilie Beck Saiello, « Entre Paris et Marseille »Rives méditerranéennes, 56 | 2018, 99-109.

Référence électronique

Émilie Beck Saiello, « Entre Paris et Marseille »Rives méditerranéennes [En ligne], 56 | 2018, mis en ligne le 25 mai 2019, consulté le 19 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/rives/5395 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rives.5395

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Auteur

Émilie Beck Saiello

Maître de conférences en histoire de l’art, elle travaille principalement sur la peinture de paysage au xviiie s, sur la condition sociale et les stratégies professionnelles des artistes. Elle s’est intéressée au milieu des peintres provençaux dans plusieurs articles sur Joseph Vernet et dans sa monographie Pierre-Jacques Volaire (1729-1799), dit le chevalier Volaire ; mais également aux institutions académiques (codirection de l’ouvrage L’Académie de France à Rome. Le palais Mancini : un foyer artistique dans l’Europe des Lumières (1725-1792) ; article dans le catalogue d’exposition Marseille au xviiie siècle. Les années de l’Académie de peinture et de sculpture. 1753-1793. Elle prépare l’édition critique du « livre de raison » de Vernet et la publication d’actes de colloque sur l’Académie de France à Rome et la culture européenne du Grand Tour.

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Droits d’auteur

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