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« Tendance naturelle au rythme » et « observation instinctive de la mesure » : l’inscription du rythme dans le domaine du spontané chez Johann Georg Sulzer et August Wilhelm Schlegel

Clémence Couturier-Heinrich
p. 53-70

Résumés

Johann Georg Sulzer dans l’article « Rythme » de sa Théorie générale des beaux-arts et August Wilhelm Schlegel dans ses Lettres sur la poésie, le mètre et la langue affirment tous deux que la rythmisation par l’homme de ses émissions vocales et de ses gestes procède de l’instinct. Sulzer s’appuie sur le constat que « tout homme » compte en rythme et introduit un rythme dans des coups réguliers entendus ou produits. L’idée que l’homme est doté d’une « tendance naturelle au rythme » est au fondement de son explication des « effets merveilleux du rythme » sur le psychisme. Schlegel s’intéresse quant à lui à l’époque, quasi originelle, de la naissance des arts diachroniques. Selon lui, l’homme a été conduit par son instinct à rythmer son expression vocale et gestuelle pour pouvoir extérioriser ses passions sans s’épuiser. En affirmant le caractère naturel du rythme, Schlegel cherche à en renouveler le statut dans la poétique.

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Texte intégral

  • 1  Johann Georg Sulzer, Allgemeine Theorie der Schönen Künste, éd. par Friedrich von Blankenburg (abr (...)
  • 2  August Wilhelm Schlegel, Sprache und Poetik, éd. par Edgar Lohner, Stuttgart, Kohlkammer, 1962 (ab (...)

1L’idée que le rythme est naturel, que son statut de procédé artistique ne doit pas le faire considérer comme un artifice conventionnel, apparaît comme celle qu’ont en commun le plus grand nombre de textes des dernières décennies du xviiie siècle consacrés au rythme. L’article « Rythme » de la Théorie générale des beaux-arts [Allgemeine Theorie der Schönen Künste] de Johann Georg Sulzer, paru pour la première fois en 1774, et les Lettres sur la poésie, le mètre et la langue [Briefe über Poesie, Silbenmass und Sprache], publiées par August Wilhelm Schlegel en 1795 et 1796, ne font pas exception et affirment l’un et l’autre le caractère naturel du rythme. Cette démarche s’appuie dans les deux cas sur une intégration du rythme au domaine du spontané. Ainsi, pour énoncer que le rythme est naturel, Sulzer se fonde sur l’observation d’une « tendance naturelle au rythme » (« natürlicher Hang zum Rhythmus ») chez l’être humain1, tandis qu’A. W. Schlegel établit le caractère naturel du rythme en montrant que son introduction dans l’expression sonore et gestuelle a été à l’origine « instinctive » (« instinktmässig »)2.

  • 3  « ... nous prenons ici [le mot rythme]seulement comme désignant l’ordre dans le son et le mouvemen (...)
  • 4  « A son origine, la poésie compose avec la musique et la danse un tout indivisible » (SP, p. 145)  (...)

2L’article « Rythme » de Sulzer et les Lettres de l’aîné des frères Schlegel ont en outre en commun de ne pas aborder le rythme dans la perspective technique particulière d’un seul art (poésie, musique ou danse). Sulzer explique dans la partie introductive de son article qu’il entend le faire porter au premier chef sur la musique et la danse, mais aussi sur la poésie, et qu’il n’en excluera que l’éloquence3. A. W. Schlegel, quant à lui, se transporte par la pensée à l’époque, quasi originelle, de la naissance des arts du déroulement dans le temps, à laquelle ils n’existaient qu’associés4. Ce parti pris exclut donc lui aussi toute spécialisation.

3Au-delà des similitudes repérables d’emblée entre les deux textes, il importe de mettre au jour le rôle spécifique que l’inscription du rythme dans la sphère de la tendance ou de l’instinct joue dans le propos d’ensemble de chaque auteur.

L’observation par J. G. Sulzer d’une « tendance naturelle au rythme » chez l’homme

  • 5  Les informations qui suivent sont empruntées à deux articles : Wolfgang Riedel, « Erkennen und Emp (...)
  • 6  W. Riedel, 1994, p. 411.

4Johann Georg Sulzer est né en 1720 à Winterthur, en Suisse5. Il fréquenta le lycée de Zurich où il eut pour professeurs, entre autres, le théoricien et auteur littéraire Johann Jakob Bodmer et le naturaliste Johann Gessner. Après avoir réussi ses examens de théologie, il devint pasteur. En 1743, il quitta la Suisse pour venir s’installer en Prusse, à Magdebourg, où il fut pendant quelques années précepteur dans une famille de notables. En 1747, il fut nommé professeur de mathématiques au Joachimthalsches Gymnasium de Berlin, poste qu’il occupa jusqu’en 1763. Il entra en 1750 dans la section de philosophie de l’Académie des sciences, où il donna par la suite régulièrement des conférences, et devint président de la « classe » de philosophie de l’Académie en 1775. Frédéric II le chargea parallèlement de mener à bien plusieurs projets pédagogiques de grande envergure. Il fit entre 1750 et 1775 plusieurs voyages dans sa patrie suisse, mais c’est à Berlin qu’il mourut en 1779. Wolfgang Riedel cerne de manière éclairante la position historique de Sulzer lorsqu’il le qualifie de « figure de transition entre la phase précoce et la phase tardive des Lumières allemandes »6, et souligne à juste titre le tournant qui a marqué sa production : les écrits de jeunesse de Sulzer (jusqu’en 1750 environ) sont consacrés à la science de la nature (physique et physico-théologie), tandis que les ouvrages ultérieurs sont centrés sur la science de l’homme (psychologie et esthétique).

  • 7  J. G. Sulzer, Allgemeine Theorie der Schönen Künste in einzeln, nach alphabetischer Ordnung der Ku (...)
  • 8  W. Riedel, 1994, p. 425.
  • 9  J. G. Sulzer, Allgemeine Theorie der Schönen Künste, éd. par Friedrich von Blankenburg, 4 vol. , L (...)
  • 10  É. Décultot, 1998, p. 141.

5La Théorie générale des beaux-arts a été publiée par Sulzer en deux volumes, parus respectivement en 1771 et 17747. Il s’agit d’une encyclopédie alphabétique des notions esthétiques générales et des termes spécialisés de tous les arts, qui se veut à la fois un « manuel des techniques artistiques » et « une philosophie du beau et de l’art » exposée en « une série d’articles clés »8. L’ouvrage connut jusqu’à la fin du xviiie siècle plusieurs rééditions, dont la principale est la « nouvelle édition augmentée » réalisée par Friedrich von Blankenburg et parue en quatre volumes, à Leipzig, en 1786 et 1787, qui s’est imposée comme l’édition canonique de l’ouvrage9. Blankenburg n’a pas modifié les articles de Sulzer, il y a simplement ajouté des remarques et des compléments bibliographiques distinctement séparés du texte original. La Théorie générale a été très largement utilisée jusqu’au premières années du xixe siècle. Comme l’écrit Elisabeth Décultot, « de Herder à Friedrich Schlegel, de Schiller à Jean Paul, pas un écrivain qui n’ait consulté, explicitement cité ou tacitement utilisé ce dictionnaire »10. S’il n’est pas avéré qu’A. W. Schlegel ait connu dans son détail l’article « Rythme », il est plus que vraisemblable qu’il a eu entre les mains l’encyclopédie des arts de Sulzer.

  • 11  Friedrich Wilhelm Joseph von Schelling, Sämmtliche Werke, Iesection, vol. 5, Stuttgart et Augsburg (...)
  • 12  Voir tout le passage de la Philosophie der Kunst compris entre « Denn, um mich jetzt zum Behuf des (...)

6La réception de la Théorie générale par Schelling constitue un cas particulièrement intéressant par son ambivalence. Au début de son cours sur la Philosophie de l’art (prononcé pour la première fois à Iéna en 1802-1803), Schelling constate l’absence d’une « théorie scientifique et philosophique de l’art » dans les réflexions de ses prédécesseurs sur ce thème. Il se livre ensuite à un bref survol de l’histoire de la théorie de l’art en Allemagne, au cours duquel il porte en particulier le jugement suivant : « Dans la période immédiatement antérieure à Kant, où la maladie de la popularité [Schelling vise ici la « philosophie populaire »] et l’empirisme étaient ce qui dominait en philosophie, furent édifiées les fameuses théories des beaux-arts et des belles sciences, dont les postulats étaient les principes psychologiques des Anglais et des Français. On cherchait à expliquer le beau à partir de la psychologie empirique, et traitait en général les effets merveilleux de l’art à peu près comme à la même époque les histoires de fantômes et autre superstition, en les éclairant et les éliminant par l’explication. »11 Il est facile de reconnaître, parmi les « théories » critiquées ici, celle de Sulzer, bien que Schelling ne donne aucun nom. Et pourtant, se sentant sans doute dépourvu des connaissances techniques requises, Schelling a directement emprunté à Sulzer des passages de son article « Rythme » pour nourrir ses propres développements sur le rythme musical12.

7Pour rédiger les articles sur la musique, dont l’article « Rythme », Sulzer s’est assuré la collaboration de deux spécialistes, le compositeur et théoricien de la musique Johann Philipp Kirnberger (1721-1783), membre, comme Carl Philipp Emmanuel Bach, du cercle de compositeurs rassemblé à Berlin par Frédéric II et auteur d’un Art de la composition pure [Die Kunst des reinen Satzes] (deux volumes parus respectivement en 1771 et 1779), et son élève Johann Abraham Peter Schulz (1747-1800), qui avait également étudié auprès de C. P. E. Bach et allait devenir le compositeur de lieder le plus important de son époque. Dans la préface du second volume de la Théorie générale, Sulzer signale explicitement le travail accompli par Schulz : « M. Schultze [sic] de Lüneburg est donc, du début de la lettre S à la fin de l’ouvrage, l’auteur de tous les articles sur des matières musicales, à l’exception d’un petit nombre que j’avais déjà ébauchés auparavant. » L’article « Rythme » semble quant à lui pouvoir être attribué pour sa plus grande partie à Sulzer lui-même.

  • 13  Wilhelm Seidel, Über Rhythmustheorien der Neuzeit, Bern, Munich, Francke, 1975.
  • 14  « Dans la dernière [partie], sorte d’appendice, [Sulzer] donne quelques remarques fondamentales su (...)

8Il se compose d’une introduction, consacrée à la délimitation du champ couvert par l’article, et de quatre parties. Dans la première, Sulzer traite de la nature du rythme, avant de s’intéresser, dans la deuxième, à son origine et à son effet. Dans la troisième partie, il étudie la manière dont le rythme peut prendre un caractère, une signification. La dernière partie, enfin, constitue en quelque sorte la conversion du contenu de la précédente en instructions techniques destinées aux compositeurs de musique vocale. Le musicologue Wilhelm Seidel, auteur d’une thèse d’habilitation sur Les théories du rythme de l’époque moderne13, ne voit dans les troisième et quatrième parties distinguées ici qu’une seule et même partie, qu’il qualifie d’«  appendice » et tend à attribuer à Kirnberger14. Si le haut degré de technicité de la quatrième partie rend de fait très vraisemblable qu’elle ait été rédigée par l’homme de l’art Kirnberger, il n’en va pas de même de la troisième, qui fait beaucoup moins appel à des connaissances spécialisées et peut parfaitement avoir été écrite par Sulzer.

  • 15  W. Seidel, 1975, p. 6

9Après avoir, dans l’introduction, donné une définition provisoire très générale du rythme et indiqué lesquels des domaines où il joue un rôle il entendait traiter et dans quelle mesure, Sulzer examine dans la première partie du développement la nature au rythme. L’analyse à laquelle il s’y livre constitue — du moins en tant que théorie du rythme musical — une innovation radicale. W. Seidel écrit de Sulzer et de ses collaborateurs qu’ils « prennent, dans la seconde moitié du xviiie siècle, totalement congé de la théorie plus ancienne et édifient un nouveau système »15. Contrairement à ses prédécesseurs, Sulzer ne présente pas le déroulement de l’œuvre musicale dans le temps comme résultant de la combinaison d’unités élémentaires conçues selon le modèle des pieds de la métrique grecque et latine, mais comme produit par la complexification plus ou moins poussée d’un continuum primitif de pulsations se produisant à intervalles réguliers.

  • 16 AT, vol. 4, p. 84.
  • 17 Ibid., p. 85.
  • 18 Ibid., p. 84.
  • 19 Ibid., p. 85-86.
  • 20 Ibid., p. 85.
  • 21 Ibid., p. 86.
  • 22 AT, vol. 4, p. 85.

10Sulzer part d’une « suite de coups égaux se suivant à des intervalles de temps égaux » et la qualifie d’«  ordre le plus simple dans la suite des choses », de « degré le plus bas et le plus faible du rythme »16. Mais dans la suite de l’article, ce phénomène est présenté comme se situant encore en deçà du rythme, Sulzer n’y voit plus que « de la simple régularité sans (...) rythme »17. Il considère désormais que le rythme commence lorsque « les coups ne [sont] pas également forts » et qu’au contraire « les coups plus forts et plus faibles [alternent] selon une règle fixe »18, c’est-à-dire quand l’accentuation d’un « coup » sur deux, trois, quatre ou davantage regroupe les pulsations en cellules identiques (les mesures de la musique). C’est à cet accent fondateur du rythme que Sulzer fait allusion lorsqu’il affirme qu’il n’y a « régularité et rythme » que quand « on [sent] dans les coups eux-mêmes quelque chose qui [permet] cette division en membres de deux, trois parties ou davantage », quand « cette division en membres a un fondement véritable dans le sentiment »19. La même idée est présente dans la définition donnée par Sulzer du « rythme dans une suite de sons » : « la division de cette suite en membres de même longueur de telle sorte que deux, trois, quatre coups ou davantage constituent un membre de cette série qui soit distingué des autres non par le seul arbitraire mais par quelque chose que l’on ressent vraiment »20. Elle se retrouve également à propos du « rythme composé », qui résulte de la formation de « membres plus grands », « de telle sorte que deux, trois ou quatre mesures fassent toujours une section perceptible par le sentiment dans la série des sons ou des mouvements »21. Dès la première partie de son article, Sulzer fait donc du « sentiment » le critère discriminant entre une série périodique véritablement rythmique et une suite elle aussi divisée en membres identiques mais n’ayant du rythme que l’« apparence »22. Il anticipe ainsi sur l’affirmation du caractère naturel du rythme qui occupe le début de la deuxième partie.

  • 23  Voir l’annonce faite par Sulzer en guise de transition (les adjectifs possessifs renvoient au ryth (...)
  • 24 AT, vol. 4, p. 89.
  • 25 Ibid., p. 89. Hang est le terme que Kant utilisera dans les années 1790 pour traduire le latin prop (...)
  • 26 AT, vol. 4, p. 88.
  • 27 Ibid., p. 88.
  • 28 Ibid., p. 88.
  • 29 Ibid., p. 88.
  • 30 Ibid., p. 88.
  • 31 AT, vol. 4, p. 89.
  • 32 Ibid., p. 90-91 et p. 92.

11Celle-ci est consacrée à l’exploration de l’« origine » et des « effets » du rythme23, le traitement des deux volets présentant un net déséquilibre quantitatif au profit du second. Sulzer répond à la question de l’origine du rythme en énonçant que « les divisions rythmiques » décrites dans la première partie « sont naturelles et résident dans le sentiment »24. Cette affirmation s’appuie sur l’observation chez l’être humain d’une « tendance naturelle au rythme » (« natürlicher Hang zum Rhythmus »25) se manifestant chez les « peuples à demi sauvages » qui « l’observent dans leurs danses » et chez « tous les hommes », qui, « sans savoir pourquoi, introduisent dans certaines actions quelque chose de rythmique »26. Si Sulzer ne s’attarde pas sur les danses rythmées des peuples primitifs, il s’étend en revanche assez longuement sur les phénomènes de rythmisation spontanée observables chez « tous les hommes ». Il constate ainsi que « tout homme » compte en rythme, quelle que soit la vitesse à laquelle il effectue cette opération. S’il « a à compter quelque chose avec une certaine rapidité », il « en vient bien vite à diviser les nombres en membres, deux, trois nombres ou davantage formant un membre »27. Quand le décompte se fait lentement, c’est la prononciation de chaque nombre qui se fait en deux temps égaux (« Eines ; Zweye ; dreye »28, etc.). Sulzer ne se contente pas de cette observation et ajoute d’autres exemples de situations dans lesquelles la « tendance naturelle » de l’homme au rythme est à l’œuvre. Lorsque l’on entend des coups égaux frappés à intervalle régulier, on « ne peut s’empêcher », observe-t-il, « de les compter mentalement, et par conséquent de les diviser de la manière décrite précédemment »29. Et quand nous produisons nous-mêmes des coups réguliers, nous « les agençons déjà de manière à faciliter le décompte rythmique par la variété des coups eux-mêmes »30. C’est ce que font le tonnelier qui cercle un tonneau et le forgeron qui martèle un chaudron en cuivre. Dans la suite de l’article, Sulzer donne d’autres exemples de travaux accomplis en rythme, évoquant l’ouvrier qui « ponce quelque chose », les « maîtres de bain » peignant et frictionnant leurs clients31 et, à plusieurs reprises, les « batteurs de grain »32.

  • 33  « Der Fassbinder (...), der einen Reifen antreibt, der Kupferschmied, der einen Kessel hämmert, fä (...)

12On peut noter dans toute la deuxième partie du texte un emploi fréquent de l’expression auf etwas fallen, à propos de la rythmisation spontanée des travaux monotones éprouvants33. L’expression a habituellement le sens de « avoir l’idée de », et suggère souvent que cette idée est saugrenue. Sulzer fait de cette locution un emploi qui la rapproche de fallen à son sens premier (« tomber ») et s’en sert pour désigner le mouvement de celui qui est entraîné par sa « tendance naturelle ». Il n’est pas exclu qu’il puisse s’agir là d’un idiomatisme propre à l’allemand parlé en Suisse.

  • 34  François-Jean de Chastellux, Essai sur l’union de la poésie et de la musique, La Haye, 1765, p. 12
  • 35  Michel Paul Gui de Chabanon, De la musique considérée en elle-même et dans ses rapports avec la pa (...)
  • 36  Johann Nicolaus Forkel, Allgemeine Geschichte der Musik, vol. 1, Leipzig, 1788, p. 4. Forkel, évoq (...)

13L’argumentation développée par Sulzer au début de la deuxième partie de sa notice n’est rien moins qu’originale. Aussi bien les observations qu’il énumère et subsume sous le constat d’une tendance naturelle de l’homme au rythme que l’exploitation qu’il en fait en les interprétant comme preuves du caractère naturel du rythme se retrouvent ailleurs, historiquement et géographiquement. Ainsi, le constat que les « sauvages » observent le rythme dans leur musique est présent chez plusieurs contemporains allemands mais aussi français de Sulzer, souvent avec une nuance d’exclusivité. François-Jean de Chastellux, auteur d’un Essai sur l’union de la poésie et de la musique paru en 1765, y affirme, par exemple, que « ce qui fait le plus de plaisir aux (...) sauvages, c’est le rythme », avant d’ajouter que « les chants de guerre des Sauvages n’ont presque point d’inflexions & ne font sentir que le rythme »34. Michel Paul Gui de Chabanon relève quant à lui, dans son livre intitulé De la musique considérée en elle-même et dans ses rapports avec la parole, les langues, la poésie, et le théâtre (1785), que « les Sauvages du Canada, rangés sur deux files auprès de celui qui chante, marquent tous avec des sons renfermés dans la poitrine les tems de l’air qu’ils écoutent. »35 Du côté allemand, Johann Nicolaus Forkel, qui publie le premier volume de son Histoire générale de la musique quelques années après la parution de la Théorie générale de Sulzer, note pour sa part, à propos du rythme, que « tous les peuples mi-sauvages mi-cultivés n’ont rendu leur première musique (...) variée et divertissante que par lui »36.

  • 37  « Illi inter sese magna vi brachia tollunt / in numerum versantque tenaci forcipe ferrum » (vers 1 (...)
  • 38  « Hoc est cur cantet vinctus quoque compede fossor, / Indocili numero cum grave mollit opus. / (.. (...)
  • 39  Hans-Heinrich Hellmuth et Joachim Schröder, éditeurs d’une précieuse anthologie sur la théorie de (...)
  • 40  « Haec ipsa [ = membrorum frictio et pectinatio capillorum] multo magis juvant si balnea-rii et to (...)
  • 41  « ... l’espace de temps que l’on met entre le premier et le second mouvement se continue naturelle (...)
  • 42  J.-P. Rameau, 1986, p. 150.
  • 43  M. P. G. de Chabanon, 1785, p. 131.

14Quant à l’observation que les hommes rythmisent spontanément les gestes monotones, en particulier lorsqu’ils sont physiquement éprouvants, elle constitue un véritable topos, attesté depuis l’Antiquité. Virgile évoque au livre IV des Géorgiques les cyclopes forgerons frappant l’enclume « en cadence »37, tandis qu’Ovide illustre, dans les Tristes, également au livre IV, les effets bienfaisants du rythme par les exemples du bêcheur et du rameur38. Ce motif se retrouve à l’époque moderne dans l’ouvrage d’Isaac Vossius De poematum cantu et viribus rythmi, paru à Oxford en 1673. Ce traité, énergique plaidoyer en faveur d’une restauration du rythme antique, était encore très consulté au xviiie siècle39. C’est à lui que Sulzer emprunte explicitement l’exemple des maîtres de bain, que Vossius utilisait pour mettre en évidence non le caractère naturel du rythme mais le plaisir qu’il provoque40. Jean-Philippe Rameau mentionne lui aussi, dans le chapitre de son Traité de l’harmonie réduite à ses principes naturels (1722) consacré à la mesure, que de nombreux gestes quotidiens et machinaux, tels que marcher, frapper une surface de la main à coups répétés, ou bouger la tête plusieurs fois se font d’eux-mêmes en mesure41. La déduction faisant passer de ces diverses observations à l’affirmation du caractère naturel du rythme est elle aussi largement répandue. Le même Rameau s’y livre, énonçant que « [la mesure] est naturelle à chacun » et qu’« elle nous entraîne, comme malgré nous, à suivre son mouvement »42. Un exemple plus proche de l’article de Sulzer dans le temps est fourni par Chabanon, pour qui « le rythme est d’institution naturelle »43.

  • 44 AT, vol. 4, p. 92.
  • 45 Ibid., p. 91 et p. 92.

15L’examen de l’effet du rythme, qui occupe le reste de la deuxième partie de l’article, en constitue le centre. Il est suivi de « remarques fondamentales » sur la manière dont le rythme peut « prendre le caractère d’un discours moral ou passionné »44, c’est-à-dire exprimer, Sulzer va même jusqu’à dire signifier un état psychologique et son évolution. C’est la troisième partie, dans laquelle Sulzer s’efforce de montrer comment le rythme peut « avoir quelque chose de caractéristique », voire « quelque chose de significatif »45. En dernier lieu, ces considérations sont appliquées – sans doute par Kirnberger – à la composition de musique vocale, considérée alors comme supérieure à la musique instrumentale, jugée gratuite puisque dépourvue du sens donné par un texte. Kirnberger indique comment traiter le rythme en fonction des sentiments à exprimer et accompagne dans certains cas ses recommandations d’exemples précis tirés de l’œuvre – aujourd’hui totalement oublié – de Karl Heinrich Graun (1704-1759), livrant ainsi à ses confrères un certain nombre de procédés éprouvés.

  • 46 Ibid., p. 90.
  • 47 Ibid., p. 92.

16Il n’est pas indifférent que la sous-partie consacrée à l’effet du rythme occupe le centre de l’article. En effet, l’intention dont procède l’ensemble du texte est d’expliquer « l’effet merveilleux du rythme », d’éclaircir « le secret de sa force »46. Selon Sulzer, le rythme produit trois effets, énoncés de manière récapitulative à la fin de la deuxième partie : le « soulagement des travaux monotones prolongés », l’« entretien » et le « renforcement progressif des sentiments »47. Il en démonte méticuleusement le mécanisme psychologique. Pour expliquer comment le rythme rend moins pénibles des gestes monotones répétés, Sulzer prend l’exemple du battage collectif du grain au fléau. Chaque batteur doit frapper son coup à un moment précis du relais rythmique qui l’associe à ses camarades, c’est-à-dire « après un certain nombre d’autres coups ». Il est ainsi maintenu « dans une attention constante au moment où il doit intervenir, dans un décompte constant ». Or ce décompte non seulement ne lui demande aucun effort supplémentaire, mais au contraire le distrait de sa fatigue. En effet, il est facilité par le fait que l’ouvrier « perçoit les coups intermédiaires des autres à intervalle régulier » et que les membres du rythme suivi par le battage sont courts, c’est-à-dire composés de peu de coups. Le décompte peut ainsi être assuré par le seul « sentiment », sans même être verbalisé.

  • 48 AT, vol. 4, p. 90-91.

17D’autre part, l’attention, si minime soit-elle, que le batteur lui porte l’empêche de remarquer sa fatigue. De plus, l’ouvrier intervient avec plaisir lorsque son tour vient, car cet ordre lui procure de l’agrément48.

  • 49 Ibid., p. 91.
  • 50 Ibid., p. 90.
  • 51 Ibid., p. 90.
  • 52  Ibid., p. 91.
  • 53  Ibid., p. 91.

18Les deux autres effets ne sont pas du même ordre. Ils se produisent lorsque le rythme « a quelque chose de caractéristique »49, c’est-à-dire un contenu expressif d’ordre psychologique. L’explication qu’en donne Sulzer repose sur l’idée que le sentiment, mouvement du psychisme (Gemüt), est soumis aux lois qui régissent le mouvement des corps, autrement dit au principe d’inertie50. Ainsi, de même qu’un corps mis en mouvement par une impulsion extérieure retourne rapidement à l’immobilité si l’impulsion n’est pas renouvelée, « toute impression agréable ou désagréable que nous recevons disparaît bien vite si la cause qui l’a produite n’est pas répétée »51. Lorsqu’un rythme expressif est perçu, « l’impression du même sentiment est répétée à chaque retour périodique du même membre », et « par là, le même sentiment (...) est entretenu de manière prolongée »52. Le rythme tel que Sulzer le conçoit a donc pour effet d’entretenir des sentiments sans qu’ils changent de nature. Mais il peut aussi les renforcer progressivement. Selon Sulzer, un effet supplémentaire se combine à l’entretien du sentiment. L’exécutant et l’auditeur ou le spectateur actif d’un rythme caractéristique sont constamment attentifs à « rendre, par une observation exacte des accents, le rythme plus sensible ». Ils s’efforcent à chaque temps fort de la mesure comme au début de chaque nouvelle section de bien indiquer le poids de l’accent, recevant une nouvelle impression avant même que la précédente soit épuisée. Se produit ainsi « une addition, une accumulation du sentiment et de l’efficacité [du rythme], par laquelle le psychisme est de plus en plus enflammé et conforté dans le sentiment »53.

19Les développements des troisième et quatrième parties sur la manière dont le rythme peut exprimer des sentiments s’inscrivent parfaitement dans la démarche générale d’élucidation de 1’« effet merveilleux » du rythme. Après avoir décrit et analysé les effets produits par le rythme affecté d’un caractère, porteur d’un sens, chargé d’un contenu expressif, Sulzer est en effet nécessairement conduit à expliquer comment le rythme peut être caractéristique, significatif, expressif. De même, les considérations sur le caractère naturel du rythme qui occupent le début de la deuxième partie et s’appuient sur l’observation d’une tendance naturelle de l’homme au rythme sont partie prenante de la démarche de mise au jour des ressorts du rythme musical, chorégraphique et poétique, mais d’une manière plus fondamentale. L’action exercée par le rythme de la musique, de la danse et de la poésie sur le psychisme humain telle que l’explique Sulzer n’est possible que si l’homme est sensible au rythme. Or, en constatant l’existence d’un penchant spontané de l’homme pour le rythme, l’auteur de la Théorie générale établit précisément que l’être humain est doté d’une réceptivité naturelle au rythme. Si la sensibilité de la nature humaine au rythme constitue la condition de possibilité de tout effet produit par le rythme d’une œuvre d’art sur le psychisme de l’homme, alors les développements consacrés par Sulzer à la rythmisation spontanée forment la base sur laquelle se fonde toute sa démarche d’explication de la « force » du rythme. Ainsi, ce n’est pas un hasard si, dans le déroulement de l’article, le constat que l’homme présente une tendance naturelle au rythme précède immédiatement l’étude des effets du rythme sur les sentiments. Cet enchaînement repose sur le présupposé sous-entendu qu’un rythme extérieur, perçu par l’homme dans un morceau de musique, un ballet ou un poème, n’agit sur son psychisme que parce qu’il y rencontre un sentiment intérieur du rythme, qu’il met pour ainsi dire en résonance par sympathie.

L’affirmation par A. W. Schlegel que « l’observation de la mesure » dans l’expression sonore et gestuelle a été à l’origine « instinctive »

  • 54  Les informations qui suivent sont empruntées à l’ouvrage d’Ernst Behler sur Le premier romantisme (...)

20August Wilhelm Schlegel (1767-1845)54 est le frère aîné de Friedrich Schlegel, né, lui, en 1772, et considéré comme l’un des théoriciens les plus audacieux du premier romantisme allemand, ce qui lui vaut une notoriété nettement supérieure à celle d’August Wilhelm. Leur père, Johann Adolf Schlegel, et leur oncle, Johann Elias Schlegel, avaient tous les deux joué un rôle important dans la vie littéraire allemande au xviiie siècle. A. W. Schlegel reçut une formation de très grande qualité, en particulier en littérature grecque et en littérature latine. Il fréquenta de 1786 à 1791 l’Université de Göttingen où il eut pour professeur l’éminent helléniste Christian Gottlob Heyne, qui dirigea ses premiers travaux philologiques. Après ses études, A. W. Schlegel devint le précepteur des enfants d’un riche banquier d’Amsterdam. En 1794, il accepta de collaborer depuis les Pays-Bas aux Heures [Die Horen] et à l’Almanach des Muses [Musenalmanach], deux revues éditées par Schiller. Il y publia des traductions de Dante et de Shakespeare, ainsi que des essais théoriques, dont les Lettres sur la poésie, le mètre et la langue. De retour en Allemagne en juillet 1795, il s’installa l’année suivante à Iéna, où il venait d’être nommé, grâce à l’entremise de Schiller, professeur à l’Université. À Iéna, où se rassemblèrent, pour une courte période, les autres représentants du premier romantisme, A. W. Schlegel traduisit Shakespeare, prépara et prononça ses Leçons sur la théorie philosophique de l’art [Vorlesungen über philosophische Kunstlehre], et rédigea de très nombreuses critiques pour la Allgemeine Literaturzeitung. En 1798, il fonda avec son frère Friedrich l’Athenäum, la principale (et éphémère) revue du premier romantisme. En 1801, A. W. Schlegel s’installa à Berlin, où il donna, entre l’automne 1801 et le printemps 1804, trois cycles de conférences sur la littérature et l’art. Mme de Staël, qui assista aux dernières séances, parvint à le convaincre de s’installer chez elle, à Coppet, près du lac Léman, où il vécut de 1804 à 1817, travaillant entre autres à ses Leçons sur la littérature et l’art dramatiques [Vorlesungen über dramatische Kunst und Literatur], qui connurent une large diffusion dans toute l’Europe. Après la mort de Mme de Staël, en juillet 1817, A. W. Schlegel s’installa à Bonn, dont l’université lui avait offert un poste de professeur à des conditions très avantageuses. Jusqu’à sa mort, à l’âge de 78 ans, il se livra à l’étude du sanscrit, entretint des contacts avec de nombreux écrivains et savants et poursuivit son activité de critique littéraire.

  • 55  SP, p. 162.

21A. W. Schlegel avait moins de 30 ans lorsqu’il écrivit, à partir d’un manuscrit plus ancien, intitulé Observations sur la métrique [Betrachtungen über Metrik], qu’il avait rédigé à l’intention de son frère Friedrich, les Lettres sur la poésie, le mètre et la langue. Ce texte fut publié en deux parties par Schiller dans sa revue Les Heures. Les trois premières lettres parurent en bloc dans le numéro 11 de l’année 1795, la quatrième seule dans le premier numéro de l’année suivante. Dans la troisième lettre, Schlegel se propose d’expliquer « l’origine de la mesure dans la danse et dans le chant » (« [der] Ursprung des Zeitmasses im Tanz und Gesange »)55, c’est-à-dire l’introduction par l’homme de la mesure dans les sons de sa voix (verbaux et non verbaux) et dans les mouvements de son corps. Cette lettre se déroule en trois temps. Après quelques remarques préliminaires, Schlegel réfute point par point la thèse sur l’origine du rythme défendue par Karl Philipp Moritz dans son Essai de prosodie allemande [Versuch einer deutschen Prosodie] de 1786, avant d’exposer sa propre théorie sur cette question.

  • 56  F. Hemsterhuis, Lettre sur l’homme et ses rapports avec le commentaire inédit de Diderot. Texte ét (...)
  • 57  SP, p. 166.
  • 58  Ibid., p 157.
  • 59  Ibid., p 161.
  • 60  Ibid., p 161.
  • 61  Ibid., p 169 et p. 174.

22La traduction de Zeitmass par « mesure » est proposée dans le sens inverse par Schlegel lui-même. Dans le cours de la troisième lettre, en effet, il cite en le traduisant en allemand un passage de la Lettre sur l’homme et ses rapports, rédigée et publiée par le philosophe hollandais Hemsterhuis en français. Il s’agit de la phrase suivante : « L’idée de mesure est peut-être la première de toutes nos idées, et antérieure même à la naissance, puisqu’il paraît que nous la devons uniquement à la sensation des ondulations successives du sang dans le voisinage de l’oreille. »56 Confronté à l’expression « l’idée de mesure », Schlegel la rend par « die Vorstellung des Zeitmasses »57. L’emploi qu’il fait des termes Zeitmass et Rhythmus n’est du reste pas cohérent dans l’ensemble des Lettres. À la fin de la deuxième, l’étude de l’apparition de la mesure, objet de la troisième, est introduite par la question suivante, posée à propos de l’homme : « comment un mouvement uniforme, une mesure, sont-ils entrés dans son chant, autrement dit (car les deux choses n’en étaient à l’origine qu’une), comment un rythme, si informe qu’il ait été, est-il entré dans ses paroles ? »58 S’il semble clair que les deux choses qui n’en faisaient originellement qu’une sont le chant et les paroles, cette double interrogation se prête pour le reste à deux interprétations. Soit « mesure » et « rythme » sont synonymes et la substitution de l’un à l’autre n’a pour but que d’éviter une répétition disgracieuse, soit « rythme » désigne une catégorie plus vaste qui contient la mesure, qualifiée indirectement de rythme « informe », c’est-à-dire de forme rudimentaire de rythme. Dans les remarques préliminaires qui ouvrent la troisième lettre, le « rythme » est au contraire rigoureusement distingué de la « mesure ». On y lit en effet qu’« une série de sons de durée égale ou se suivant à intervalles réguliers »59 a de la mesure mais pas de rythme, celui-ci n’apparaissant que quand « de la variété est apportée dans la durée des différentes impressions et [que] des longues sont mêlées à des brèves »60. Dans les développements qui suivent, aussi bien ceux qui sont consacrés à la thèse de Moritz que ceux au cours desquels Schlegel expose sa propre conception, il emploie, dans la logique des définitions précédentes, uniquement le terme « mesure »..., avant de revenir, dans la conclusion de la troisième lettre et le courant de la quatrième, à l’indistinction initiale, nommant « rythme ordonné », puis « rythme mesuré »61, ce qu’il appelait quelques pages auparavant « mesure ». Ce qu’A. W. Schlegel entend par « mesure » ne varie donc pas. Il s’agit toujours de la présence d’une pulsation régulière, phénomène élémentaire qu’il hésite à faire entrer dans le champ du rythme.

  • 62  Ibid., p 149.
  • 63  Voir n. 2, p. 54.
  • 64  SP, p. 157.
  • 65  Ibid., p. 148.

23Schlegel situe l’introduction de la mesure dans les paroles, les sons non verbaux et les gestes à l’époque de la naissance conjointe des arts du déroulement dans le temps (poésie, musique et danse), qui est selon lui légèrement postérieure à l’origine absolue de l’histoire humaine. Pour lui, l’origine du langage est bien à rechercher dans « cette histoire qui précède toute histoire au sens propre », dans le « monde originel inconnu et pour cette raison sacré » des « premiers hommes »62, mais la poésie, la musique et la danse, nées dans l’indissociation63, ne sont apparues, à proprement parler, qu’un peu plus tard, quand les paroles, les autres sons et les gestes ont été soumis à une « loi de la forme extérieure »64, à savoir la mesure. Cependant, la distinction de ces deux phases n’apparaît que dans la deuxième lettre, et elles peuvent être considérées comme faisant toutes deux partie de « l’origine de [la nature humaine] » évoquée par Schlegel dans la première lettre et dont il dit que l’« intention et le calcul » y « interviennent le moins dans les jeux de l’instinct qui dirige avec sûreté »65.

  • 66 Ibid., p. 165.
  • 67 Ibid., p. 165.
  • 68 Ibid., p. 164.
  • 69 Ibid., p. 164.
  • 70 Ibid., p. 164.
  • 71 Ibid., p. 164.

24Pour mettre au jour l’origine du rythme, Schlegel part d’un double constat négatif : la mesure n’a pas été introduite dans le chant et la danse par 1’« esprit facteur d’ordre »66, et les sentiments n’ont, dans leur extrême instabilité, en soi rien de mesuré67. La seconde de ces affirmations n’est pas développée plus longuement. Quant à la première, l’auteur des Lettres y parvient au terme de l’examen de l’hypothèse suivante. La mesure n’était pas présente dans les chants et les danses à l’époque où ils exprimaient une passion à laquelle leur exécutant était réellement, c’est-à-dire personnellement et à cet instant, en proie ; elle ne s’y est rencontrée qu’à partir du moment où il s’est agi pour le chanteur-danseur d’imiter dans leurs expressions les passions d’autrui ou ses propres passions révolues, à des fins de divertissement. Si l’on admet cette apparition tardive de la mesure, on peut y voir une « invention »68 de l’« esprit facteur d’ordre ». Mais selon Schlegel, cette hypothèse est infirmée « historiquement »69 – c’est-à-dire par des faits (et non des idées, des raisonnements) — par « l’admirable exactitude dans l’observation de la mesure » avec laquelle les « peuples sauvages » exécutent leurs chants et leurs danses70 On retrouve ici l’incontournable topos que constituent – encore dans les années 1790 –pour qui entend traiter du rythme les chants et les danses rythmés des peuples primitifs. Schlegel emprunte ce passage obligé non sans céder quelque peu à la tentation du pittoresque, voire du sensationnel : « Même les chants de bataille cannibales des Néo-Zélandais, lors de l’exécution desquels la rage la plus terrible leur révulse les yeux et leur déforme tous les traits du visage, sont chantés parfaitement en mesure. »71

  • 72  « Vorstellung vom Zeitmasse » dans la citation de Hemsterhuis déjà mentionnée (SP, p. 166) ; « Vor (...)
  • 73  Ibid., p. 166 et p. 167.
  • 74  Ibid., p. 165.
  • 75 Ibid., p. 165-166.
  • 76 Ibid., p. 165.
  • 77 Ibid., p. 165.
  • 78 Ibid., p. 166.
  • 79  J.-P. Rameau, 1986, p. 150.
  • 80  M. P. G. de Chabanon, 1785, p. 125.

25La première étape de la démarche suivie par Schlegel pour élucider l’origine du rythme consiste à rechercher l’origine de F « idée de mesure »72. Pour lui, nous la devons au corps et non à l’âme, c’est notre organisme (« Organisation »)73 qui nous rend capables de mesurer le temps. Il en apporte plusieurs preuves. D’abord, l’opération consistant à mesurer les uns par rapport aux autres des intervalles de temps serait extrêmement difficile si elle était réalisée par l’âme, puisque, les intervalles de temps à comparer n’étant pas perçus simultanément, il faudrait garder en mémoire la durée de celui qui servirait d’étalon à la mesure des autres. Or, constate Schlegel, c’est au contraire avec une facilité sensible que nous effectuons des mouvements en mesure. C’est donc le corps qui est à l’œuvre lorsque nous cadençons régulièrement nos gestes. Schlegel rappelle, en second lieu, que les mouvements corporels indépendants de notre volonté, tels la circulation sanguine et la respiration, se font en mesure, si bien que notre corps peut apparaître comme une « horloge vivante »74. Poursuivant cette accumulation de constats qui se veulent autant de preuves de ce que l’idée de mesure est d’origine corporelle, l’auteur des Lettres note qu’un individu qui harmonise les vitesses auxquelles il accomplit plusieurs actions simultanées comme parler et marcher, ou qui, effectuant seul un travail pénible, observe une mesure, le fait « sans attention particulière »75. Il fait remarquer que les rameurs, batteurs de grain et faucheurs travaillant en équipe qui adoptent un « mouvement mesuré également » le font « sans en avoir l’intention ni se mettre d’accord »76. Bref, c’est « de lui-même et sans le savoir » que l’homme « tomb[e] dans une certaine mesure »77. Schlegel fait donc lui aussi intervenir le phénomène de rythmisation spontanée des mouvements volontaires dans son raisonnement, reprenant jusqu’aux exemples transmis par la tradition. Observant que la rythmisation des mouvements volontaires est « bienfaisante »78 pour le corps puisqu’elle diminue sa fatigue, il en déduit que la mesure présente dans les gestes délibérés de l’homme ne peut être imputée qu’à ce même corps. L’auteur des Lettres allègue ensuite le fait que plusieurs espèces d’animaux peuvent être accoutumées à l’observation de la mesure dans leurs mouvements et dans leurs chants. Cet argument – absent chez Sulzer — est néanmoins un « classique » chez les tenants du caractère naturel du rythme. Rameau en fait déjà usage, citant un passage de Descartes où celui-ci affirme que « des bêtes pourraient danser avec mesure, si on les y instruisait, ou si on les y accoutumait de longue main »79. Chabanon recourt pour sa part à l’exemple pittoresque de « cet éléphant qui, au son des instruments, agite en cadence sa masse énorme »80. En dernier lieu, Schlegel fait observer que l’homme ne peut percevoir des mesures du temps de manière exacte et sûre que si elles sont dans un rapport de proximité avec la mesure sensible des mouvements qui ont lieu dans son corps. Cette énumération d’arguments débouche sur la citation qu’A. W. Schlegel emprunte à Hemsterhuis pour montrer que le « Platon hollandais », comme le surnommaient ses admirateurs, partage son avis.

  • 81 SP, p. 167.
  • 82 Ibid., p. 174.
  • 83 Ibid., p. 167.
  • 84 Ibid., p. 163-164.
  • 85 Ibid., p. 168.

26Dans un second temps, l’auteur des Lettres analyse ce qui a conduit l’homme à « appliquer à l’expression par les gestes et les sons l’idée de mesure qui lui était étrangère »81. Pour lui, « l’observation de la mesure dans les mouvements et les sons expressifs » a été « à ses débuts (...) instinctive »82. Il explique qu’au stade quasi originel où se situe l’introduction de la mesure dans le chant et la danse, l’homme est agité de passions si violentes et si puissantes qu’il est contraint de les exprimer par tous les moyens dont il dispose. En effet, s’il ne les extériorisait pas, elles le mineraient de l’intérieur jusqu’à risquer de le détruire physiquement : « Que ce soit la joie ou la tristesse qui s’empare [du sauvage libre et plein de force], les esprits animaux agités dirigeraient leur force vers l’intérieur et ébranleraient toute sa constitution s’il ne leur laissait pas libre cours en s’exprimant avec la plus grande énergie par des paroles, des exclamations et des gestes. »83 L’homme à peine sorti de la primitivité absolue, tel que Schlegel se le représente, évacue, décharge la passion à laquelle il est en proie par des manifestations prolongées : « c’est pourquoi [il] demeure instinctivement des heures, voire des jours entiers à émettre des cris joyeux ou des plaintes, jusqu’à ce que son agitation intérieure se soit peu à peu calmée »84. Mais qu’il s’agisse de joie ou au contraire de tristesse, leur expression, quand elle prend de telles proportions, risque d’épuiser totalement l’organisme. Pour Schlegel, c’est « l’instinct, ou si l’on préfère une perception indistincte » qui a livré à l’homme le moyen de s’abandonner aux effets bénéfiques de l’extériorisation des passions « longtemps et de manière ininterrompue sans effort épuisant ». Il explicite la nature de ce moyen en développant l’exemple de la joie : « Les pieds s’accoutumèrent insensiblement à bondir en suivant la mesure que leur donnaient, par exemple, la circulation rapide du sang, les battements du cœur bondissant ; une loi naturelle de l’organisme obligea les autres gestes, ainsi que les mouvements de la voix, à respecter cette pulsation dans leur déroulement. »85 Au terme de cette démonstration, il apparaît que l’idée de mesure dans l’absolu est d’origine corporelle, et que son application à l’expression par la parole, les sons non verbaux et les gestes a été dictée par 1’« instinct », dans lequel on reconnaît ce que l’on a appelé plus tard l’instinct de survie.

  • 86 SP, p. 172.
  • 87  Schülers Werke. Nationalausgabe, vol. 28, éd. par Norbert Œllers, Weimar, Böhlaus Nachfolger, 1969 (...)
  • 88  R. Haym, Die romantische Schule. Ein Beitrag zur Geschichte des deutschen Geistes, 3e éd. par Oska (...)
  • 89  W. Kayser, Geschichte des deutschen Verses. Zehn Vorlesungen für Hörer aller Fakultäten, Bern, etc (...)
  • 90  E. Behler, 1992, p. 54.

27Cette lecture des Lettres sur la poésie, le mètre et la langue peut être l’occasion d-’interroger une idée déjà exprimée par Rudolf Haym à la fin du xixe siècle et partagée par Wolfgang Kayser et Ernst Behler, qui sont sans doute les plus éminents commentateurs que ce texte a trouvés depuis 1945. Selon eux, on observe entre la troisième et la quatrième lettre un retournement de la position de Schlegel sur l’origine du rythme, palinodie provoquée par la réaction désapprobatrice de Schiller aux trois premières lettres. De fait, après avoir, dans la troisième lettre, attribué l’adoption de la mesure à la conduite exercée par 1’« instinct », grâce auquel le corps est préservé d’un épuisement potentiellement mortel, Schlegel affirme dans la quatrième que « le besoin qui a d’une manière générale conduit l’homme à l’invention de la mesure (...) provient nécessairement de la nature spirituelle (« geistige Beschaffenheit ») qui lui est propre »86. Il semble parfaitement plausible que la cause de cette contradiction soit la lettre adressée le 10 décembre 1795 à Schlegel par Schiller, qui y déplore que l’auteur des Lettres « [préfère] partout faire d’une nécessité physique plutôt que d’un acte de la liberté et de l’entendement la source du rythme »87. Aussi R. Haym écrivait-il déjà, dans son étude sur L’école romantique, que « Schlegel cherche (...) dans la (...) quatrième lettre à prendre acte de cette objection de Schiller », avant de s’exclamer : « Tant est grande l’absence d’autonomie et de sûreté de cet homme dans les questions philosophiques ! »88. Pour W. Kayser aussi, « Schlegel se soumet » aux reproches de son éditeur et « écrit (...) une quatrième lettre, dans laquelle il reprend pour l’essentiel les idées développées par Schiller », faisant ainsi preuve de « soumission », de « faiblesse dans la pensée » et d’« incohérence »89. E. Behler se montre moins virulent que Kayser mais le suit dans son interprétation : « Schlegel céda à l’objection de Schiller et, dans la quatrième lettre, il infléchit sa position pour la mettre en accord avec la définition schillérienne du rythme. »90

  • 91  « L’âme (...) exigeait la liberté dans sa manifestation extérieure ; le corps avait besoin, pour n (...)
  • 92  « ... L’auteur lui-même trouve unilatéral le cours suivi par l’examen mené dans ces lettres, dans (...)
  • 93  « Dans les Lettres sur la langue, la poésie et le mètre, j’ai posé une hypothèse sur la manière do (...)

28Cependant, c’est dès la fin de la troisième lettre que Schlegel attribue soudain à la « nature spirituelle » de l’homme une part dans la naissance du rythme, qu’il présente ici comme résultant synthétiquement de l’exigence de liberté de l’âme et du besoin du corps91. Dans la préface des Caractérisations et critiques [Charakteristiken und Kritiken], recueil de 1801 qui comprend les Lettres sur la poésie, le mètre et la langue92, et dans la première partie des leçons de Berlin, prononcée en 1801-180293, Schlegel qualifie lui-même la théorie développée dans les Lettres d’«  unilatérale », par quoi il entend trop exclusivement fondée sur des données physiologiques. La conclusion de la troisième lettre montre que ce reproche n’a pas été d’abord celui de Schiller, mais qu’au contraire Schlegel se l’est très précocement, avant même que son mentor et employeur ait pris connaissance du texte, adressé à lui-même. Il semble donc plus juste de parler, plutôt que d’une palinodie provoquée par les réserves de Schiller, de contradictions présentes d’emblée dans les premières réflexions de Schlegel sur le rythme, et qu’il a surmontées par la suite en en clarifiant la définition même.

  • 94  W. Riedel, 1994, p. 410.
  • 95 SP, p. 147.

29En inscrivant le rythme dans le domaine du spontané, qu’ils appellent « tendance » (« Hang ») ou « instinct » (« Instinkt », « Trieb »), Sulzer et A. W. Schlegel, que séparent quasiment deux générations, puisent à une même tradition, très ancienne et largement répandue, faite d’arguments et d’exemples devenus des lieux communs. Chez Sulzer, l’observation d’une tendance naturelle de l’homme au rythme fonde un propos — l’analyse de l’effet du rythme sur le psychisme – qui illustre parfaitement la double orientation prise par sa pensée à partir d’environ 1750, à savoir l’intérêt conjoint porté à la psychologie empirique, cette « science de l’homme comme être de la nature et de l’instinct »94, et à l’esthétique. A. W. Schlegel apparaît comme un héritier direct de cette approche, lui pour qui ce qu’il se propose d’expliquer dépend pour la plus large part de « notre organisation interne et externe si merveilleusement agencée, qui constitue un fait et qu’en tant que tel nous n’apprenons à connaître qu’à partir d’observations particulières »95. Cependant, la thèse que l’idée d’une instinctivité originelle du rythme lui permet d’établir ouvre quelque chose de tout à fait nouveau : elle contribue à fonder la théorie littéraire du premier romantisme en opposition à la poétique traditionnelle.

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Notes

1  Johann Georg Sulzer, Allgemeine Theorie der Schönen Künste, éd. par Friedrich von Blankenburg (abréviation: AT), vol. 4, Leipzig, 1787, p. 89.

2  August Wilhelm Schlegel, Sprache und Poetik, éd. par Edgar Lohner, Stuttgart, Kohlkammer, 1962 (abréviation : SP), p. 174.

3  « ... nous prenons ici [le mot rythme]seulement comme désignant l’ordre dans le son et le mouvement, et ce principalement dans la mesure où il est présent dans la musique et dans la danse. Nous pourrons ensuite facilement faire l’application à la poésie. Quant au rythme du discours prosaïque, nous en avons déjà parlé sous son nom latin « nombre » » (AT, vol. 4, p. 82-83)

4  « A son origine, la poésie compose avec la musique et la danse un tout indivisible » (SP, p. 145) ; « La poésie est née en communauté avec la musique et la danse » (SP, p. 148).

5  Les informations qui suivent sont empruntées à deux articles : Wolfgang Riedel, « Erkennen und Empfinden. Anthropologische Achsendrehung und Wende zur Ästhetik bei Johann Georg Sulzer », in Der ganze Mensch. Anthropologie und Literatur im 18. Jahrhundert, éd. par Hans-Jürgen Schings, Stuttgart, etc., Metzler, 1994, p. 410-439, et Elisabeth Décultot, « Éléments d’une histoire interculturelle de l’esthétique. L’exemple de la Théorie générale des beaux-arts de Johann Georg Sulzer », in Revue germanique internationale, 10 (1998), p. 141-160.

6  W. Riedel, 1994, p. 411.

7  J. G. Sulzer, Allgemeine Theorie der Schönen Künste in einzeln, nach alphabetischer Ordnung der Kunstwörter aufeinander folgenden Artikeln abgehandelt, Leipzig, 1771 (vol. 1, lettres A à J), 1774 (vol. 2, lettres K à Z).

8  W. Riedel, 1994, p. 425.

9  J. G. Sulzer, Allgemeine Theorie der Schönen Künste, éd. par Friedrich von Blankenburg, 4 vol. , Leipzig 1786-1787 (lettres A à D, vol. 1, 1786 ; lettres E à I, vol. 2, 1786 ; lettres K à Q, vol. 3, 1787 ; lettres R à Z, vol. 4, 1787). Nous citons l’article « Rythme » de Sulzer dans cette édition.

10  É. Décultot, 1998, p. 141.

11  Friedrich Wilhelm Joseph von Schelling, Sämmtliche Werke, Iesection, vol. 5, Stuttgart et Augsburg, 1859, p. 361-362.

12  Voir tout le passage de la Philosophie der Kunst compris entre « Denn, um mich jetzt zum Behuf des Beweises nur des allgemeinen Begriffs des Rhythmus zu bedienen... » et « wo diese ganze Ordnung und Zusammensetzung für den inneren Sinn noch übersehbar bleibt » (F. W. J. von Schelling, 1859, p. 492-494).

13  Wilhelm Seidel, Über Rhythmustheorien der Neuzeit, Bern, Munich, Francke, 1975.

14  « Dans la dernière [partie], sorte d’appendice, [Sulzer] donne quelques remarques fondamentales sur la théorie du rythme musical et les règles les plus importantes pour sa pratique » (W. Seidel, 1975, p. 85) ; « L’appendice sur le rythme musical est peut-être de Kirnberger » (ibid., n. 1 de la p. 85, p. 252) ; « L’article de Sulzer sur le rythme a un appendice sur le rythme musical qui est probablement de Kirnberger » (ibid., p. 101).

15  W. Seidel, 1975, p. 6

16 AT, vol. 4, p. 84.

17 Ibid., p. 85.

18 Ibid., p. 84.

19 Ibid., p. 85-86.

20 Ibid., p. 85.

21 Ibid., p. 86.

22 AT, vol. 4, p. 85.

23  Voir l’annonce faite par Sulzer en guise de transition (les adjectifs possessifs renvoient au rythme) : « Cela vaut la peine de rechercher son origine et ses effets » (AT, vol. 4, p. 88)

24 AT, vol. 4, p. 89.

25 Ibid., p. 89. Hang est le terme que Kant utilisera dans les années 1790 pour traduire le latin propensio. Les traducteurs de la bibliothèque de la Pléiade le rendent par « penchant ».

26 AT, vol. 4, p. 88.

27 Ibid., p. 88.

28 Ibid., p. 88.

29 Ibid., p. 88.

30 Ibid., p. 88.

31 AT, vol. 4, p. 89.

32 Ibid., p. 90-91 et p. 92.

33  « Der Fassbinder (...), der einen Reifen antreibt, der Kupferschmied, der einen Kessel hämmert, fällt gar bald darauf, seine Schläge nicht einzeln in völliger Gleichheit (...) zu tun » (Ibid., p. 88) ; « wer (...) irgend eine Arbeit zu verrichten hat, deren Einerley durch nichts Neues gewürzt wird, fällt gar bald auf rhythmische Bewegungen » (Ibid., p. 89).

34  François-Jean de Chastellux, Essai sur l’union de la poésie et de la musique, La Haye, 1765, p. 12.

35  Michel Paul Gui de Chabanon, De la musique considérée en elle-même et dans ses rapports avec la parole, les langues, la poésie, et le théâtre, Paris, 1785, p. 125-126.

36  Johann Nicolaus Forkel, Allgemeine Geschichte der Musik, vol. 1, Leipzig, 1788, p. 4. Forkel, évoquant lui aussi les effets du rythme, renvoie ses lecteurs à l’article de Sulzer : « Sur les causes de cet effet du rythme, on trouve dans le dictionnaire de Sulzer, à l’article "Rythme", une très bonne étude, à laquelle, pour éviter ici des longueurs, je renvoie le lecteur » (ibid.).

37  « Illi inter sese magna vi brachia tollunt / in numerum versantque tenaci forcipe ferrum » (vers 174-175).

38  « Hoc est cur cantet vinctus quoque compede fossor, / Indocili numero cum grave mollit opus. / (...) Quique refert pariter lentos ad pectora remos, / In numerum puisa brachia jactat aqua. » (vers 5-6 et 7-8)

39  Hans-Heinrich Hellmuth et Joachim Schröder, éditeurs d’une précieuse anthologie sur la théorie de l’imitation des mètres antiques en allemand (Die Lehre von der Nachahmung der antiken Versmasse im Deutschen, Munich, 1976), y affirment que le traité d’I. Vossius était « encore pour le XVIIIe siècle un texte métrique de base important et très cité » (p. 550). Le De poematum cantu a également servi de source à Rousseau, qui, dans l’article « Rythme » de son Dictionnaire de musique, rend compte des opinions soutenues par Vossius, auxquelles il adhère lui-même largement (J.-J. Rousseau, Œuvres complètes, vol. V, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1995, p. 1025-1026). W. Seidel affirme que le livre d’I. Vossius a été traduit en allemand par Sulzer en 1751, puis, partiellement, par Forkel à la fin du XVIIIe siècle (« Mattheson se réfère à [l’ouvrage d’Isaac Vossius De poematum cantu et viribus rhythmi], Sulzer le traduira en 1751 et Forkel à la fin du siècle. » W. Seidel, 1975, p. 49). Il donne dans sa bibliographie deux traductions : « Vom Singen der Gedichte und von der Kraft des Rhythmus », in Sammlung zur Beförderung der schönen Wissenschaften und der freien Künste, vol. 1, Berlin, 1758, p. 1 et s. ; et J. N. Forkel, Musikalisch-kritische Bibliothek, vol. 3, 1779, p. 1 et s. (trad. fragmentaire), suggérant ainsi, mais sans le confirmer explicitement, que la première, anonyme, est de Sulzer. Cette attribution est corroborée par le fait que la Sammlung zur Beförderung... est parue chez l’éditeur berlinois Friedrich Nicolai, également co-initiateur, co-rédacteur et éditeur des Briefe die neueste Literatur betreffend, revue dans laquelle Sulzer a publié au moins deux articles, les lettres n° 78 et 265 (voir la notice jointe par Nicolai à sa lettre à Herder du 24 décembre 1768, reproduite dans Gotthold Ephraim Lessing, Briefe, die neueste Literatur betreffend, éd. et commenté par Wolfgang Bender, Stuttgart, Reclam, 1972, p. 368).

40  « Haec ipsa [ = membrorum frictio et pectinatio capillorum] multo magis juvant si balnea-rii et tonsores adea in arte sua fuerint periti, ut quosvis etiam numeros suis possint explicare digiüs » (Isaac Vossius, De poematum cantu et viribus rythmi, Oxford, 1673, p. 62).

41  « ... l’espace de temps que l’on met entre le premier et le second mouvement se continue naturellement avec égalité : Vérité d’expérience dont nous pouvons faire la preuve dans tous les mouvements qui nous sont naturels, comme en marchant, en frappant de la main plusieurs fois, ou en remuant la tête de même ; étant certain que nos mouvemens seront égaux aux deux premiers, si nous ne les altérons pas exprès, par une volonté contre nature. » Jean-Philippe Rameau, Traité de l’harmonie réduite à ses principes naturels, Genève (Slatkine Reprints), 1986, p. 150.)

42  J.-P. Rameau, 1986, p. 150.

43  M. P. G. de Chabanon, 1785, p. 131.

44 AT, vol. 4, p. 92.

45 Ibid., p. 91 et p. 92.

46 Ibid., p. 90.

47 Ibid., p. 92.

48 AT, vol. 4, p. 90-91.

49 Ibid., p. 91.

50 Ibid., p. 90.

51 Ibid., p. 90.

52  Ibid., p. 91.

53  Ibid., p. 91.

54  Les informations qui suivent sont empruntées à l’ouvrage d’Ernst Behler sur Le premier romantisme allemand (trad, de l’allemand par Elisabeth Décultot et Christian Helmreich, Paris, PUF, 1992, p. 47-51).

55  SP, p. 162.

56  F. Hemsterhuis, Lettre sur l’homme et ses rapports avec le commentaire inédit de Diderot. Texte établi, présenté et annoté par Georges May, New Haven, Yale University Press, Paris, PUF, 1964, p. 450, p. 207 de l’édition originale, Paris, 1772.

57  SP, p. 166.

58  Ibid., p 157.

59  Ibid., p 161.

60  Ibid., p 161.

61  Ibid., p 169 et p. 174.

62  Ibid., p 149.

63  Voir n. 2, p. 54.

64  SP, p. 157.

65  Ibid., p. 148.

66 Ibid., p. 165.

67 Ibid., p. 165.

68 Ibid., p. 164.

69 Ibid., p. 164.

70 Ibid., p. 164.

71 Ibid., p. 164.

72  « Vorstellung vom Zeitmasse » dans la citation de Hemsterhuis déjà mentionnée (SP, p. 166) ; « Vorstellung vom Takt », p. 167, où A. W. Schlegel emploie le terme technique musical.

73  Ibid., p. 166 et p. 167.

74  Ibid., p. 165.

75 Ibid., p. 165-166.

76 Ibid., p. 165.

77 Ibid., p. 165.

78 Ibid., p. 166.

79  J.-P. Rameau, 1986, p. 150.

80  M. P. G. de Chabanon, 1785, p. 125.

81 SP, p. 167.

82 Ibid., p. 174.

83 Ibid., p. 167.

84 Ibid., p. 163-164.

85 Ibid., p. 168.

86 SP, p. 172.

87  Schülers Werke. Nationalausgabe, vol. 28, éd. par Norbert Œllers, Weimar, Böhlaus Nachfolger, 1969, p. 128.

88  R. Haym, Die romantische Schule. Ein Beitrag zur Geschichte des deutschen Geistes, 3e éd. par Oskar Walzel, Berlin, Weidmann, 1914, p. 161.

89  W. Kayser, Geschichte des deutschen Verses. Zehn Vorlesungen für Hörer aller Fakultäten, Bern, etc., Francke, 1960, p. 113.

90  E. Behler, 1992, p. 54.

91  « L’âme (...) exigeait la liberté dans sa manifestation extérieure ; le corps avait besoin, pour ne pas succomber à la violence persistante de celle-ci, d’une mesure (...). Un rythme ordonné réunissait les deux » (SP, p. 169).

92  « ... L’auteur lui-même trouve unilatéral le cours suivi par l’examen mené dans ces lettres, dans la mesure où l’explication psychologique de la naissance du rythme aurait du être liée à l’explication physiologique. » (cité d’après Schillers Werke. Nationalausgabe, vol. 28, p. 472).

93  « Dans les Lettres sur la langue, la poésie et le mètre, j’ai posé une hypothèse sur la manière dont le rythme est vraisemblablement né qui est trop unilatérale. Le type physiologique d’explication aurait dû être lié immédiatement au type psychologique, le besoin corporel à l’exigence spirituelle. » (A. W. Schlegel, Vorlesungen über Ästhetik I, éd. par E. Behler, Paderborn, etc., F. Schöningh, 1989, p. 371).

94  W. Riedel, 1994, p. 410.

95 SP, p. 147.

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Pour citer cet article

Référence papier

Clémence Couturier-Heinrich, « « Tendance naturelle au rythme » et « observation instinctive de la mesure » : l’inscription du rythme dans le domaine du spontané chez Johann Georg Sulzer et August Wilhelm Schlegel »Revue germanique internationale, 18 | 2002, 53-70.

Référence électronique

Clémence Couturier-Heinrich, « « Tendance naturelle au rythme » et « observation instinctive de la mesure » : l’inscription du rythme dans le domaine du spontané chez Johann Georg Sulzer et August Wilhelm Schlegel »Revue germanique internationale [En ligne], 18 | 2002, mis en ligne le 29 juillet 2011, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/rgi/907 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rgi.907

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Auteur

Clémence Couturier-Heinrich

Allocatrice monitrice normalienne à l’Université François-Rabelais de Tours

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