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Procéder par « tâtonnements »

Marcel Mauss et Henri Hubert, pour une approche compréhensive de la magie
Proceeding by “Traial and Errors”. Marcel Mauss and Henri Hubert, a Comprehensive Approach of Magic
Jean-François Bert
p. 169-179

Résumés

En 1904, Marcel Mauss et Henri Hubert publient dans L’Année sociologique leur second article coécrit, « L’esquisse d’une théorie générale de la magie ». À l’occasion de la nouvelle édition de ce texte, préfacé par Frédéric Keck, nous nous proposons de revenir sur les différents points qui font de cet article audacieux un « objet » désormais classique de la sociologie des religions.

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Texte intégral

La magie est un ensemble de rites et de croyances, que l’on confond souvent avec la religion.
On confond même la religion avec la magie : c’est le fait de Malinowski, de Frazer.
Marcel Mauss, Manuel d’ethnographie, Payot, 1967, p. 354.

1On l’oublie souvent mais, au gré de ses rééditions, un article scientifique, un livre, un essai ou, comme le cas qui va nous occuper ici, une esquisse peuvent subir de nombreuses transformations matérielles dont certaines ont parfois une influence directe sur le sens du texte.

2L’« Esquisse d’une théorie de la magie » (désormais l’« Esquisse »), parue en 1904 dans L’Année sociologique, était initialement précédée d’un appendice dans lequel Marcel Mauss et Henri Hubert, les deux coauteurs, attiraient l’attention de leurs lecteurs sur différents points. En premier lieu, ils rappelaient la spécificité de l’approche sociologique des phénomènes magiques, en particulier par rapport à d’autres phénomènes considérés comme spécifiquement « religieux » tels que les rituels sacrificiels, dont ils venaient d’analyser la nature et la fonction quelques années auparavant (Mauss et Hubert [1899] 2016). Deuxièmement, et cela a également de l’importance, ils annonçaient différer la publication des notes et des références bibliographiques utilisées pour rédiger l’« Esquisse » dans un prochain article qui, malheureusement, ne verra jamais le jour. Le lecteur de 1904 resta sur sa faim, n’ayant accès qu’à quelques références générales énoncées à la fin du premier chapitre. Lors de la première réédition de l’article en 1950 dans Sociologie et Anthropologie, un volume hommage introduit par Claude Lévi-Strauss, l’appendice fut déplacé à la fin de l’article, rendant immédiatement moins lisibles ces deux particularités pourtant longuement exposées en 1904. Dans sa nouvelle édition aux PUF pilotée par Frédéric Keck et Arnaud Morvan pour le dossier bibliographique, l’appendice a été de nouveau placé en introduction. Les « nouveaux » lecteurs de l’« Esquisse » peuvent à nouveau se familiariser avec cette approche différente de la magie. Tout en défendant les bienfaits de la démarche sociologique, Mauss et Hubert vont aussi essayer de montrer comment la grande complexité et hétérogénéité des pratiques magiques « primitives » rend impossible la réalisation d’une synthèse opératoire de ce genre de phénomène « total », comme Mauss les appellera par la suite (Mauss et Hubert [1904] 2019).

3Cette récente édition est un prétexte suffisant pour revenir sur la manière dont Mauss et Hubert ont cherché à concevoir la magie comme un phénomène social qui a justement la particularité de résister aux catégorisations habituellement utilisées par l’histoire ou la psychologie des religions, la théologie ou encore la philosophie. Une résistance qui obligea nos deux auteurs, venant d’horizons disciplinaires différents, à réaliser un important travail de décentrement pour envisager de nouvelles questions autour, par exemple, de l’aspect technique, verbal et symbolique des pratiques magiques ou pour exposer une nouvelle catégorisation des actes magico-religieux qui repose sur une distinction entre des rites dits manuels et des rites dits oraux qui, à son tour, permet d’envisager d’autres zones de questionnement sur la magie comme sur les pouvoirs du magicien : comment acquiert-il et perpétue-t-il sa puissance d’action ? Comment fait-il face aux contraintes qui entourent ses fonctions (sociales) ? Quels sont les gestes et les paroles qu’il fait, dit et répète régulièrement et qui participent à l’efficacité de sa pratique ?

4C’est dans l’« Esquisse », peut-être plus qu’ailleurs, que l’audacieux programme de recherche sur le religieux de Mauss et de Hubert prend forme. Un programme qui consiste à interroger, outre l’aspect social de ce phénomène, la manière dont les individus vivent l’expérience magico-religieuse de l’intérieur, en mobilisant divers états de conscience, diverses formes de croyances et de raisonnements mais également diverses manières de hiérarchiser et de catégoriser.

Le tout-puissant pouvoir explicatif des contextes

  • 1 Il suffit d’ouvrir l’ouvrage de P. Lassave pour s’en convaincre, en particulier le passage qui conc (...)

5L’« Esquisse » est un article de sociologie religieuse, cela ne fait aucun doute1. Il vient conforter la robustesse de l’approche durkheimienne du religieux et affirme un net désaccord avec d’autres disciplines, approches, méthodes, ou classifications concurrentes, en particulier celles reconnues et utilisées alors par l’histoire des religions, le folklore ou encore la philosophie, la psychologie et surtout la théologie. Mauss et Hubert ne sont pas les seuls à interroger les pratiques magiques. Nombreux sont ceux qui, dès la fin du xixe siècle, se focalisent dans la postérité des découvertes d’A. Maury sur la magie et l’astrologie dans l’Antiquité (1860) sur la question des cérémonies magiques en partant, par exemple, d’un commentaire plus ou moins bien avisé des nombreux textes mettant en scène des mages ou des sorciers, comme les papyrus de mantique ou les hymnes magiques. D’autres, au même moment, cherchent à expliquer, sur un mode plus essentialiste, certains rites d’envoûtements ou de mauvais œil en distinguant le procédé du similia similibus, ou en pensant percer le secret des mots/signes magiques (charaktêres) par le biais d’une explication étymologique, souvent incertaine. Du côté du folklore, La revue des traditions populaires, fondée par Paul Sébillot en 1886, mais aussi Mélusine ou La tradition vont, quant à elles, largement se concentrer sur le versant populaire des pratiques magiques, revenant principalement sur le cas de la magie médicale. D’autres, encore, vont plutôt tenter de définir la valeur magique de certains objets utilisés lors des cérémonies, comme les talismans, les amulettes, ou encore les tablettes. D’autres, enfin, vont s’intéresser aux accusations de sorcellerie et de démonologie qui sont multipliées durant l’époque moderne, profitant de l’occasion pour indiquer les récents progrès de la psychiatrie sur le sujet, ainsi que les dernières hypothèses psychologiques concernant l’hypnotisme ou encore l’automatisme psychique.

6Ce qui est certain, c’est que la concurrence des lexiques concernant la magie fait rage et la sociologie naissante a alors tout à gagner à se lancer dans une telle bataille.

7Frédéric Keck n’ignore pas ce contexte général particulièrement favorable aux développements des études sur la magie. Il décide cependant de faire un pas de côté et d’inscrire la rédaction de l’« Esquisse » dans son contexte politique qui lui semble alors largement marqué encore par l’affaire Dreyfus. L’accusation d’espionnage secoua vivement É. Durkheim qui écrivit un long article sur le sujet (Durkheim 1898). Elle eut aussi de profondes répercussions chez Mauss et Hubert qui discutèrent à plusieurs reprises de l’affaire alors qu’ils rédigeaient, en 1898, leur « Essai sur la nature et la fonction du sacrifice » (Mauss et Hubert 1899). Dans plusieurs lettres échangées en 1898, l’affaire est perçue par les deux jeunes auteurs comme un point de non-retour pour la Troisième République, à la fois par le fossé toujours plus important qui sépare les dreyfusards des antidreyfusards, que par les profondes divisions de la société française que l’accusation du capitaine a crûment révélées.

  • 2 C’est en effet ce qu’avait suggéré I. Strenski dans Contesting Sacrifice (2002), montrant comment l (...)
  • 3 C’est en 1904 que le bordereau falsifié par le colonel Esterhazi est soumis à un nouvel examen. Les (...)
  • 4 À en croire la correspondance de Hubert avec Saglio, celui-ci travailla au manuscrit de « Magia » a (...)

8Si l’idée de considérer l’affaire Dreyfus comme un terrain favorable de réflexion pour mieux comprendre ce qui sous-tend l’« Essai sur la nature et la fonction du sacrifice » a été plusieurs fois indiquée2, il est un peu plus difficile d’y souscrire pour l’« Esquisse d’une théorie de la magie » même si, comme le précise Keck, l’affaire a certainement aidé à mettre sur le devant de la scène politique et sociale française des traits propres à l’action magique classique, comme : « une distinction entre ce qui est caché et ce qui est public, entre l’officieux et l’officiel, entre l’individuel et le collectif » (Keck 2019 : 7). La révision du procès de Dreyfus et les tergiversations politiques et judiciaires des années 1903-1904 ne sont plus au cœur des échanges entre les deux savants qui, depuis 1901, ont surtout gagné d’importantes positions académiques qu’il s’agit de garantir et si possible de fortifier3. Tous les deux ont été nommés à l’École pratique des hautes études : Mauss à la chaire des « Religions des peuples non civilisés » et Hubert à celle des « Religions primitives de l’Europe ». Ils profitent alors de leurs séminaires respectifs pour engager une réflexion sur les pratiques et les pouvoirs magiques. Hubert fait le choix d’analyser la magie du Moyen Âge, celle plus particulièrement liée au droit germanique (séminaire de 1901-1902). L’historien s’attelle aussi, à partir de 1901, à la rédaction de la longue entrée « Magia » pour le Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines de Pottier et de Saglio4 (Hubert 1904a ; mais aussi Carastro 2006a et Benthien 2011). Un long texte qui paraîtra d’abord en tant que fascicule séparé avant d’être ajouté, en 1904, au tome VI du dictionnaire. De son côté, Mauss approche la magie en posant la question de ses rapports avec la religion institutionnelle, mettant à profit la démarche comparative pour produire une lecture critique des très nombreux documents ethnographiques qui portent alors sur les magies australiennes, mélanésiennes et sur celles des populations des Indiens de l’Amérique du Nord.

Ill. 1 : Fiche préparatoire d’Henri Hubert sur la pratique magique extraite du boîtier 14a. Henri Hubert, « La pratique magique », sans date.

© Muséum national d’histoire naturelle.

Un texte longuement préparé mais rapidement coécrit

9Contrairement à l’« Essai sur le sacrifice » (1899), l’« Esquisse » tient à l’envie propre des deux auteurs. La perspective a été minutieusement élaborée et n’a fait l’objet ni de tergiversations ni d’accommodements, en particulier avec Durkheim (Bert 2020). Tout porte à croire aussi que la rédaction de l’article a été engagée et finalisée au retour de Hubert d’un voyage autour du monde qui, durant l’année 1902-1903, lui donna l’occasion de participer au premier Congrès international des orientalistes à Hanoï et d’étudier in situ la préhistoire de l’Indochine et du Japon (Lorre 2015). C’est en tout cas ce que laissent entendre les nombreuses traces archivistiques de l’« Esquisse », qu’il s’agisse des manuscrits préparatoires et du tapuscrit corrigé par Hubert conservés au Musée d’archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye, des fiches de Hubert disponibles au Muséum national d’histoire naturelle ou encore des ouvrages annotés de Mauss touchant à la question de la magie conservés à la bibliothèque du Musée du quai Branly (Bert 2012, 2015).

10Une approche matérielle attentive à la manière dont la collaboration entre deux auteurs s’est concrètement passée permettrait dans le cas présent de souligner plusieurs « détails » importants.

  • 1 Pour une vue précise de la répartition du texte en fonction des deux auteurs voir <https://www2.uni (...)

11En premier lieu, le fait que Mauss et Hubert n’ont pas utilisé une correspondance soutenue afin d’évoquer l’avancée de leurs parties respectives – ce qui était pourtant le cas en 1898 pour la rédaction de l’« Essai sur le sacrifice ». Au lieu de cela, ils ont multiplié les versions manuscrites qu’ils ont corrigées et amendées à tour de rôle. L’articulation des deux graphies sur une même page peut nous laisser penser que c’est dans une grande proximité physique que les deux auteurs ont travaillé, l’un à côté de l’autre. Une analyse attentive des manuscrits préparatoires permettrait, également, de se faire une idée plus précise de l’implication réelle de chacun des auteurs dans la rédaction du texte final. C’est Hubert qui rédigea la presque totalité des chapitres « Historique et source » et « Observations générales ». Il est l’auteur, aussi, de plusieurs paragraphes contenus dans le chapitre « Les États collectifs et les forces collectives ». À cette première liste, on peut encore signaler plusieurs incursions, parfois importantes, contenues dans le chapitre « Le magicien ». Dans la conclusion, c’est l’historien qui a mis au point un unique long paragraphe portant sur la question des magiciens alchimistes et des astrologues1. Les chapitres consacrés à « La croyance », à l’« Analyse du phénomène magique » et au « mana » sont le fait de Mauss. Notons, au passage, que si Hubert corrige ou reprend très souvent les textes de Mauss, celui-ci n’est presque jamais intervenu sur les passages rédigés par Hubert.

  • 2 Citons par exemple ces trois tentatives : « Nous devons étudier parallèlement des magies de société (...)

12Ces quelques observations doivent, en tout cas, nous porter à revaloriser le rôle joué par le spécialiste d’archéologie préhistorique, d’études orientales et d’histoire des religions primitives de l’Europe qu’est H. Hubert. Il a fait bien plus que compléter ou « seulement » vérifier les informations de Mauss (ce qui est déjà beaucoup !). C’est lui qui décida de détailler l’action du magicien en accordant de l’importance aux objets mobilisés lors des rituels, ou aux « recettes » magiques dans lesquelles sont agités, mélangés mais aussi détruits amulettes, talismans, plantes et autres substances de la pharmacopée populaire. C’est au travers des manipulations que le magicien acquiert et perpétue sa force magique. La contribution méthodologique de Hubert est au moins aussi importante car c’est lui qui aménage un comparatisme restreint, spécifique, fondé sur un solide bagage philologique dont le but est de déborder les logiques de clôture disciplinaire qui encadrent alors l’analyse de l’activité magique. Une nouvelle analytique qui implique de croiser de manière opératoire histoire, philologie, et sociologie. Il y aurait d’ailleurs intérêt à se focaliser sur les nombreuses hypothèses comparatistes déployées dans l’« Esquisse ». Si certaines peuvent nous paraître aujourd’hui inopérantes ou difficiles à mettre en œuvre2, c’est sans doute parce que nous avons oublié qu’en 1904, elles ont été pensées d’abord comme un moyen de combattre les dérives d’autres approches anthropologiques concurrentes, en premier celle venant de l’école anglo-saxonne qui use et abuse du comparatisme pour constater des ressemblances qui se révèlent bien souvent être uniquement de surface. La préoccupation quasi exclusive des anthropologues et historiens des religions pour les concordances, comme l’indiquent Mauss et Hubert, a d’ailleurs fini par leur donner une fausse image des phénomènes observés, en premier des phénomènes magico-
religieux, les empêchant de comprendre ce que ces phénomènes ont de typique, d’essentiel, ou encore de permanent.

13C’est pour éviter cette faiblesse interprétative que la première opération dont se charge Hubert est de faire le tri entre les comparables possibles, les limitant finalement à quelques cas précis et documentés qui ont pour avantage de décrire des systèmes complets de magie :

C’est ce qui réduit singulièrement le champ de nos observations, pour peu que nous voulions ne nous attacher qu’à ceux qui appellent un minimum de critique. Nous nous sommes donc, restreints à n’observer et à ne comparer entre elles qu’un nombre limité de magies. (2019 : 54)

Ill. 2 : Fiche préparatoire d’Henri Hubert sur Tylor extraite du boîtier 14a. Henri Hubert, « Tylor », sans date.

© Muséum national d’histoire naturelle.

Combattre encore (et toujours) l’école anglo-saxonne d’anthropologie

14Frédéric Keck n’en est pas à sa première étude sur la magie et son traitement par l’anthropologie. Dans un article publié en 2002, comparant les traditions anglo-saxonnes et françaises d’analyses, il remarquait l’existence d’importantes différences, voire d’une opposition qui, notait-il alors, était moins « une opposition entre l’anthropologie de terrain et l’anthropologie de cabinet, ou entre la plasticité des pratiques et la totalisation théorique, qu’une opposition de problèmes théoriques posés à l’occasion de la magie, et qui viennent donc de plus loin que le problème spécifique de la magie. Ce que la tradition française a cherché dans le problème de la magie n’est pas une conciliation de l’ordinaire et du sacré, ou du scepticisme et du fonctionnalisme, mais plutôt une conciliation de l’individuel et du social, de l’affectif et du rationnel » (Keck 2002). Concernant le texte de l’« Esquisse », il précisait que Mauss (et ajoutons désormais Hubert) étaient partis « du fait que la magie est toujours effectuée par un individu isolé et marginal, mais que ce qui s’exprime en lui est la pression de la société qui croit en la magie. L’efficacité de la magie est donc morale et non physique, sociale et non individuelle, elle est le produit d’une croyance collective et non le fait d’une mauvaise association d’idées comme le voulait Frazer » (Keck 2002).

15Dans sa préface, Keck durcit son hypothèse en pointant du doigt le rôle joué par E. Tylor qui s’intéressa à la question de la magie en 1867 après avoir participé à une séance de spiritisme. Un auteur repoussoir pour trois raisons évidentes. En premier lieu, pour avoir fondé l’analyse de la magie des peuples dits « primitifs » sur une appréciation uniquement psychologique qui va lui permettre de rattacher la démonologie magique à l’animisme primitif. En deuxième lieu, pour avoir défendu une explication associationniste de la magie. Enfin, pour avoir introduit dans son livre phare, Civilisation primitive (1871), le concept de « survivance », qui n’est rien d’autre, comme l’indiquent Mauss et Hubert, qu’une vaine tentative visant à expliquer le maintien des pratiques magiques inefficaces.

  • 1 The Golden Bough. A Study in Magic and Religion est une vaste étude comparative de la mythologie et (...)
  • 2 Pour Frazer, si la magie est totalement rationnelle, elle résulte en fait d’une fausse application (...)

16Selon Keck, ces trois éléments ont suffi pour installer dans la perception anthropologique anglo-saxonne de la magie l’idée qu’il existerait un rapport de succession entre magie et religion, comme chez J. G. Frazer – second auteur repoussoir – qui développa ses propositions dans son Golden Bough, traduit en français pour la première fois en 1903 par Jules-François Toutain (Frazer 1903)1. Une traduction doublement importante puisqu’elle a permis de vulgariser auprès du lectorat français l’approche intellectualiste de l’anthropologue écossais, mais surtout de diffuser largement une définition de la magie comme fausse science, comme forme non rationnelle de la pensée humaine qui, suivant un mode d’action mécanique élémentaire, permettrait d’agir sur les forces de la nature2.

17Pour Mauss et Hubert, cette définition est à la fois trop simpliste et trop générale. Elle finit par uniformiser les pratiques magiques en les réduisant soit à une action imitative régie par un principe de similarité (« Le semblable agit sur le semblable ou l’effet ressemble à sa cause »), soit à une action par contagion qui repose sur un principe de contact. Le travail ethnographique et critique mené par les deux auteurs consistera, au contraire, à repérer l’existence des nombreuses ramifications de ce qu’ils appellent le « milieu » magique. Un milieu « spécial », « mystérieux », « séparé », qui concentre tout ce qui, dans la magie, met « les officiants et leurs clients dans un état spécial, non seulement moralement et psychologiquement, mais quelquefois physiologiquement différent de leur état normal » (2019 : 100).

Définir la magie pour mieux repenser ses rapports avec la religion

18Il est plus qu’indispensable d’explorer l’« Esquisse » en évoquant ces différents contextes, qu’il s’agisse du contexte politique (comme l’affaire Dreyfus) ou du contexte intellectuel auquel appartient la polémique qui oppose alors les sociologues français et les anthropologues anglo-saxons sur la nature et la fonction de la magie primitive. Cent seize ans plus tard, il s’agit là d’éléments qui permettent de mieux dégager les enjeux théoriques et méthodologiques d’un texte qui, depuis sa publication, a été régulièrement considéré comme l’une des démonstrations les plus évidentes des bienfaits de l’approche sociologique des phénomènes religieux.

19À y regarder de plus près, pourtant, l’« Esquisse » se révèle être un texte plus complexe que cela, tant le travail de Mauss et de Hubert entrelace trois questionnements de nature différente : trouver une juste définition du phénomène magique, reprendre la distinction magie/religion, et faire du « mana » mélanésien un concept opératoire pour essayer de penser l’ambiguïté du sacré.

20a– Les premiers commentateurs de l’œuvre de Mauss ont souvent lu l’« Esquisse » comme une continuation de l’« Essai sur le sacrifice ». Après avoir introduit en 1899 l’idée de force religieuse, les deux auteurs auraient cherché à voir comment cette force agit, aussi, chez le magicien qui la mobilise pour intervenir au moyen de ses rituels, de ses incantations ou de ses formules. Une interprétation qui s’appuie sur une citation on ne peut plus explicite de l’« Esquisse » :

De cette idée d’une force présente, nous avons un certain nombre de signes. Ce sont d’abord les sacrifices, qui paraissent n’avoir ici d’autre but que de créer des forces utilisables ; nous avons déjà vu que c’était là une des propriétés du sacrifice religieux. Il en est de même des prières, des invocations, des évocations, etc. ; de même encore des rites négatifs, tabous, jeûnes, etc., qui pèsent sur l’enchanteur ou sur son client, et quelquefois sur tous les deux ou même sur leur famille, rites et précautions rituelles qui marquent à la fois la présence et la fugacité de ces forces. Il faut tenir compte également de la puissance propre du magicien, des puissances qu’il amène avec lui dont l’intervention est toujours au moins possible. (2019 : 165-166)

21Les deux articles fonctionnent en fait de manière assez différente, et ce dès le moment crucial de la définition. Il s’agit là, on le sait, d’un développement important dans la méthodologie sociologique exposée par Durkheim. La définition n’est pas qu’un point de départ. Elle permet de savoir de quoi on parle. Elle permet surtout de limiter le champ de recherche futur. La différence est donc particulièrement flagrante entre l’« Essai », où la définition du phénomène sacrificiel est posée dès le début du texte, et l’« Esquisse », où toute définition de la magie semble impossible à élaborer a priori. L’objet magique est trop chaotique, hasardeux, mal référencé, mal décrit comme le rappelle Hubert dans une note préparatoire restée inédite :

  • 1 Fiche insérée par Henri Hubert dans le dossier intitulé « Chap. II. De l’existence d’un ordre de ch (...)

Nous avions commencé notre mémoire [l’« Essai sur le sacrifice »] par une définition provisoire du sacrifice, fondée sur ces caractères extérieurs, qui suffisait à limiter le groupe des faits soumis à l’analyse. Il ne nous est pas possible de donner dès le début une définition semblable de la magie. Nous pouvons tout au plus dire qu’elle existe et qu’il y a des magiciens1.

22Lieu du désordre et du chaos, des accommodements successifs, des mélanges et des hybridations sans cesse renouvelés, la magie ne se laisse pas arraisonner dans une définition (y compris sociologique), dont la fonction serait de rendre compte objectivement d’un état de confusion, et d’exprimer son essence sociale.

  • 2 Sur ce point, il serait utile de reprendre les interprétations que Jean-Claude Passeron développa d (...)

23La conclusion à laquelle arrivent les deux auteurs est on ne peut plus évidente : qu’il s’agisse des tentatives de définitions qui mettent l’accent sur l’aspect fortement individuel et antisocial de la magie, ou de celles qui insistent sur la prépondérance des rites au détriment des mythes, elles ne sont que la manifestation d’une série de préjugés concernant la magie et le magicien2. Il est dès lors essentiel d’élaborer une autre manière d’approcher les pratiques magiques, ce que Mauss et Hubert réalisent en se focalisant sur la question de son efficacité : « Les actes rituels […] sont, par essence, capables de produire autre chose que des conventions ; ils sont éminemment efficaces ; ils sont créateurs ; ils font » (2019 : 59). On peut lire, encore : « Tout acte symbolique est, par nature, efficace » (2019 : 102). Enfin, et dans une formule simplifiée : « Tout ce qui est magique est efficace » (2019 : 218). Cette réflexion sur l’efficacité des pratiques magiques émerge tout particulièrement dans la seconde partie de l’article. Elle oblige Mauss et Hubert de mettre en place une explication à chaque fois extrêmement détaillée de la manière dont fonctionnent les diverses magies « primitives » qu’ils vont convoquer, mais aussi de préciser sur quoi, de manière concrète, le magicien adosse son pouvoir. Les questions posées étonnent encore par cet aspect résolument matériel qui préfigure la grande logique interprétative que Mauss ne cessera de rappeler dans la suite de son œuvre : partir du concret pour aller vers l’abstrait, et non inversement (Mauss 1950).

  • 3 Sur la question du rapport de Mauss aux techniques, consulter : Schlanger 2012.

24C’est à un rythme soutenu que les questions se succèdent, finissant par former un véritable programme de recherche : « Comment, aux yeux de l’opinion et pour soi-même, devient-on magicien ? » ; « Que sont les esprits de la magie ? » ; « Quelle est la nature de cette croyance à la magie ? Ressemble-t-elle aux croyances scientifiques ? » ; « Ne serait-ce pas dans la magie que les hommes ont appris à induire ? »… Cette dernière interroposition, ô combien difficile, est au cœur des dernières pages de l’article qui met en scène une vaste comparaison entre la figure du magicien alchimiste et celle du savant. Deux figures, indiquent Mauss et Hubert, qui font appel à une tradition pour exercer leur art. Deux figures, aussi, qui sont détentrices d’une force intérieure par laquelle tant le savant que le magicien parviennent à vaincre les difficultés et à atteindre une forme de certitude sur l’existant. Deux figures, surtout, qui franchissent des limites, établissent des lois, forgent des méthodes et des règles, compliquent les explications, expérimentent et, souvent, critiquent. Deux figures, enfin, qui manipulent des matières, des instruments, et des mots ! Cette vaste fresque comparative ne peut pourtant pleinement se comprendre qu’en regard des conclusions du Rameau d’or de Frazer, pour qui, rappelons-le, la magie n’est au mieux qu’une supercherie, ou une fausse science. Mauss et Hubert veulent démontrer au contraire comment la technique serait finalement née de la magie mais en suivant un processus complexe à la fois d’affaiblissement de la catégorie de surnaturel et de transfert de l’une des clefs de compréhension de la magie dans les sociétés traditionnelles, à savoir qu’il est possible de commander la nature3.

25b– L’audace interprétative des deux auteurs s’aperçoit aussi dans leur manière de s’attaquer à la distinction pourtant classique entre magie et religion. Il s’agit là, sans conteste, de deux domaines que tout oppose. Comme le rappellent d’ailleurs Mauss et Hubert, la magie est du côté du faire, du secret, du mystère et de l’action individuelle, voire privée. La religion, elle, est abstraite, désintéressée, publique, officielle. À cela vient s’ajouter un argument sociologique de poids : la présence d’églises. La vie religieuse est impossible sans une telle institution, alors que la pratique magique, elle, ne requiert pas cette présence. Cette différence d’ordre organisationnel a permis aux durkheimiens d’expliquer pourquoi la magie, sans église, n’a pas le pouvoir de rassembler les gens, de les lier les uns aux autres. Il s’agit là, très spécifiquement, d’un pouvoir exclusif de la religion. Il existe encore une autre différence qui tient au fait que la magie est fondamentalement antireligieuse dans son essence. Elle est profanation, retournement, jeu de miroir avec l’activité religieuse proprement dite, en particulier dans son rapport au sacré.

  • 4 En 1909, l’argument est à nouveau martelé par les deux auteurs : « L’acte est social parce qu’il ti (...)

26Pour autant, ces deux registres ne s’opposent pas de manière exclusive sinon comment pourraient-elles coexister et cohabiter dans plusieurs sociétés ? Les phénomènes de la magie doivent donc s’expliquer comme ceux de la religion. Magie et religion, d’ailleurs, relèvent d’un système de croyances et de rites relatifs à des choses sacrées. Comme la religion, la magie comprend des croyances et des rites. Elle possède des mythes, des dogmes, des cérémonies, des sacrifices et use de prières… Magie et religion sont deux institutions qui possèdent une « position », remplissent une ou des « fonctions », sont affaire de « qualification sociale » et d’« opinion4 ».

  • 5 Les jugements a priori de la société sur le magicien, en se répétant et en se transmettant de maniè (...)

27C’est ce sur quoi vont longuement insister Mauss et Hubert en rappelant comment la personnalité singulière du magicien dépend de la société. C’est par elle qu’il obtient son pouvoir et sa légitimité à pratiquer sa magie5. Pour les deux auteurs, il n’y a aucun doute possible, la magie résulte d’une convention (sociale) qui trouve son fondement dans des représentations collectives qui permettent d’attribuer une « qualité » magique tant à une chose qu’à une personne :

Ce qui impose un jugement magique, c’est une quasi-convention qui établit, préjudiciellement, que le signe crée la chose, la partie, le tout, le mot l’événement, et ainsi de suite. En effet, l’essentiel est que les mêmes associations se reproduisent nécessairement dans l’esprit de plusieurs individus ou plutôt d’une masse d’individus. La généralité et l’apriorisme des jugements magiques nous paraissent être la marque de leur origine collective. (2019 : 200)

28c– Ces quelques arguments exposés au fil du texte ne vont pourtant pas suffire à dépasser l’idée qu’il existe une partition claire entre magie et religion. C’est par un autre travail que Mauss et Hubert vont donc chercher à rendre cette opposition inopérante. Il consiste à venir confirmer l’existence d’un socle magico-religieux commun à qui ils donneront le nom de « mana ». Longuement défini par le missionnaire Robert Henry Codrington dans The Melanesians (1891), le « mana » est un mot mélanésien qui permet à nos deux auteurs d’appuyer sur l’idée de force ou d’énergie (sacrée). Plus encore, le terme leur donne l’occasion de soutenir leur idée d’un déplacement de la compréhension de la magie vers la question de l’efficacité. Le mana n’est rien d’autre, en effet, que « l’efficacité véritable des choses, qui corrobore leur action mécanique sans l’annihiler : c’est ce qui fait que le filet prend, que la maison est solide, que le canot tient bien à la mer. Dans le champ, il est la fertilité ; dans les médecines, il est la vertu salutaire ou mortelle » (2019 : 181). Cette interprétation a fait l’objet de nombreux commentaires, souvent critiques. Citons celui, désormais incontournable, de Roger Keesing qui a relevé les erreurs interprétatives de nombreux anthropologues qui, à la suite des auteurs de l’« Esquisse », ont rapidement traduit le verbe mana comme s’il s’agissait d’un nom (Keesing 1984). On peut penser aussi à ceux, plus récents, de J. Z. Smith (2004) ou de N. Meylan (2017) qui permettent d’amorcer une critique des imaginations occidentales du mana, en particulier de celles qui émergent dans un contexte colonial et qui ont permis de nourrir le paradigme dynamiste en histoire des religions. Ce n’est pas le lieu d’y revenir ici. Notons, cependant, que Hubert et Mauss ont délibérément choisi, à l’encontre du sens initialement donné par Codrington, d’accentuer l’idée d’un mana impersonnel pour pouvoir plus facilement relier cette notion à l’idée de société que les deux durkheimiens conçoivent alors comme relevant d’une force collective supra individuelle (Gauthier 2010). C’est une même torsion de la notion que Durkheim élaborera en 1912 dans Les Formes élémentaires de la vie religieuse car, tout en se revendiquant du travail interprétatif de Mauss et de Hubert, il fait du « mana » une catégorie générale, expression possible – à l’image du wakan des Sioux ou de l’orenda iroquois – d’une force impersonnelle, indépendante des sujets particuliers, et qui agit en tant que force de cohésion sociale.

Ill. 3 : Page manuscrite extraite du dossier « définition » de l’Esquisse d’une théorie de la magie. Fonds Henri Hubert, 2016001/118.

© Saint-Germain-en-Laye, MAN, centre des archives.

Consommer la rupture avec une sociologie trop dogmatique

29L’« Esquisse » suit-elle indiscutablement le programme durkheimien d’une sociologie religieuse dont la fonction, comme l’a synthétisé Hubert en 1904 dans la préface qu’il rédige au Manuel d’histoire des religions de Chantepie de La Saussaye, est de considérer les faits religieux comme des faits sociaux qui se produisent dans des sociétés et où l’activité des individus est conditionnée par la vie en commun (Hubert 1904b) ? Sur ce point précis, les choses sont plus complexes qu’elles n’en ont l’air. Seule une lecture superficielle percevra en effet que le programme de Durkheim est pleinement concrétisé dans l’« Esquisse ». Pour le lecteur attentif, au contraire, le texte de Mauss et de Hubert ressemble plutôt à une mise à l’épreuve d’une approche qui, en particulier pour la question religieuse, risque d’être trop systématique et surtout exclusive, tout particulièrement lorsque Durkheim envisage le religieux à partir de strictes dichotomies comme celle entre sacré et profane, magie et religion, ou mythes et rites (Durkheim 1899).

  • 1 C’est tout un programme interdisciplinaire qui se dessine et qui en grande partie préfigure l’idée (...)

30L’« Esquisse » n’est donc pas seulement un texte audacieux, épistémologiquement ou méthodologiquement parlant, c’est aussi un article profondément subversif car il s’agit de questionner la possibilité même d’opérer sur la magie une saisie de type sociologique. Comme l’avait très justement indiqué Camille Tarot, cet article signe « un premier départ » des deux auteurs d’une sociologie qui aspire à réduire la conduite humaine à des rapports de cause à effet au moyen d’un strict rationalisme scientifique (Tarot 1999 : 553). Un départ qui se manifeste, en particulier, par le fait de dépasser l’approche morphologique en se proposant, de manière plus compréhensive, d’ouvrir la possibilité d’une jonction heuristique entre sociologie et psychologie sociale qui, au même moment, aborde elle aussi la question du surnaturel, des expériences mystiques, des personnages prophétiques ou encore de l’expression des émotions ou des sentiments comme un résultat de la régulation et de l’obligation sociale1.

31Une sociologie compréhensive qui engage deux nouveautés importantes.

  • 2 On peut rattacher l’intérêt de Mauss aux travaux pionniers du linguiste A. Meillet qui prépare la p (...)
  • 3 C’est ce qu’avait souligné H. Lavondès en introduction de son article sur la magie malgache (Lavond (...)
  • 4 Mauss puise l’idée du formalisme dans les travaux de C. Fossey concernant la magie assyrienne. Dans (...)

32En premier, et quelques années avant la publication de La Prière, la thèse avortée de Marcel Mauss en 1909. L’« Esquisse » développe une distinction opératoire entre rites manuels et rites oraux. En s’intéressant tout particulièrement au second genre, et donc en prenant au sérieux les mots utilisés par le magicien (mots parfois vides de sens ou qui servent uniquement à nommer les dieux ou des esprits), en donnant de l’importance aux contextes d’énonciation2 ou encore en essayant de saisir comment et pourquoi les formules magiques sont efficaces dès lors qu’elles sont répétées lors de certains rituels, les deux auteurs finissent par découvrir que derrière l’aspect apparemment chaotique des pratiques magiques et l’apparente liberté de l’usage des mots par le magicien dans ses incantations, c’est toujours la contrainte sociale qui est de mise3. La magie est un pur formalisme, que ce soit dans les recettes, les préparatifs, les rituels et surtout les incantations4. C’est ce formalisme qui permet d’expliquer une part importante de son efficacité (sociale) :

Le fait que toute incantation soit une formule et que tout rite manuel ait virtuellement une formule, démontre déjà le caractère formaliste de toute la magie. Pour les incantations, personne n’a jamais mis en doute qu’elles fussent des rites, étant traditionnelles, formelles et revêtues d’une efficacité sui generis ; on n’a jamais conçu que des mots aient produit physiquement les effets désirés. (2019 : 111)

33La seconde nouveauté qui marque aussi ce déplacement vers une sociologie plus compréhensive réside dans le fait de prendre au sérieux les nombreux états affectifs qui interviennent lors des pratiques magiques. La croyance en la magie est une question de besoins et de désirs des individus qui sont déterminés par les conditions de la vie sociale, qu’il s’agisse du désir de guérir, de posséder, ou encore de diriger… Ce « domaine du désir » (2019 : 202) comme l’indiquent les deux auteurs implique d’interroger certaines émotions humaines collectives, comme l’attente ou la crainte, qui appartiennent au vaste domaine du raisonnement inconscient collectif. Mauss poursuivra sur ce terrain en revenant, par exemple, sur les conclusions auxquelles arrive Alfred Lehmann dans son Aberglaube und Zauberei von den ältesten Zeiten an bis in die Gegenwart, livre publié quatre ans après l’« Esquisse ». Un ouvrage qui est pour lui : « l’un des meilleurs travaux que je connaisse, et sur la magie et sur la psychologie de l’Attente. Lehmann y démontre que les tours de magie et de prestidigitation, la duperie si fréquente en quoi ils consistent, supposent tous l’attente des spectateurs, l’illusion qu’elle cause et la distraction qu’elle produit. Il en déduit la cause de la croyance en l’efficacité d’au moins une partie des actes magiques » (Mauss 1924).

34Considérer la magie sous l’angle de ces états affectifs, c’est aussi pour Mauss et Hubert se donner la possibilité de réfléchir à ce qui est sans doute alors la grande question posée par la sociologie générale, à savoir comment le social se crée, se stabilise et se perpétue.

35Durkheim, dans ses Formes élémentaires de la vie religieuse (1912), se concentrera sur les Intichiumas et les Corroboris australiens afin d’étayer son hypothèse d’une création du social par certains moments d’effervescence. C’est lors de ces cérémonies collectives, lors de ces occasions de rencontre entre des individus qui partagent une même croyance, que se réactive – par le biais d’une intensité émotionnelle – le sentiment d’appartenance à la communauté. En 1904, c’est en prenant l’exemple des fêtes dayaks indonésiennes que Mauss et Hubert vont élaborer une hypothèse étonnement proche, huit ans avant Durkheim. Il s’agit là de fêtes où, indiquent-ils, par le biais de chants, de voix, de formules répétées, de corps dansants, chacun se sent emporté, sans résistance possible, dans la conviction de tous. Confondus dans le transport de leur danse, dans la fièvre de leur agitation, ils ne forment plus qu’un seul corps et qu’une seule âme.

36C’est alors seulement, insistent encore les deux auteurs,

que le corps social est véritablement réalisé. Car, à ce moment, ses cellules, les individus, sont aussi peu isolées peut-être que celles de l’organisme individuel. Dans de pareilles conditions (qui, dans nos sociétés, ne sont plus réalisées, même par nos foules les plus surexcitées, mais que l’on constate encore ailleurs), le consentement universel peut créer des réalités. (2019 : 210)

De l’« Esquisse » à la publication des Mélanges d’histoire des religions (1909)

37Frédéric Keck clôt sa préface en soulignant, très justement, comment cet article doit aussi se lire dans le temps long de sa réception, en particulier de la critique « structuraliste » développée par Claude Lévi-Strauss en 1950 dans sa préface du volume Sociologie et anthropologie. Un texte important dans lequel il reproche à Mauss d’en être resté, en particulier avec la notion de « mana », à une théorisation indigène de la magie, croyant faussement qu’il serait possible d’expliquer le fondement de la société en en passant – uniquement – par ces moments d’effervescences collectives qui auraient pour fonction de souder cycliquement le clan. Les commentaires de Keck rappellent bien comment Lévi-Strauss a cherché à dépasser la théorisation de Mauss par l’idée d’un inconscient structural.

  • 1 À ce sujet, voir la synthèse éclairante de Camille Tarot (1999).

38Sans conteste, iI s’agit là d’un dépassement qui a constitué un important point de basculement pour l’anthropologie contemporaine et qui permet d’expliquer, à lui seul, la nouveauté des regards portés à partir des années 1950 sur la question des phénomènes magiques1. On peut citer Michel Foucault qui composa tout de suite après la publication de Sociologie et anthropologie une leçon préparatoire à l’agrégation de philosophie intitulée « La magie – Le fait social total », dans laquelle il montre comment Mauss et Hubert ont constamment oscillé entre explications sociologiques et approches psychologiques du besoin des individus par les tendances de la nature humaine (Bert 2017). Keck s’arrête plus longuement sur le cas de Pierre Bourdieu qui aborda les formes de délégation de pouvoir dans les objets magiques et, plus près de nous, sur celui de l’anthropologue brésilien Eduardo Viveiros de Castro qui conçoit la magie comme une technologie qui permet de réguler l’économie du don mais aussi comme le mode premier de constitution des systèmes de parenté. D’autres échos de l’« Esquisse » sont cités à raison, comme les travaux de Bonhomme et de Bondaz sur l’offrande de la mort, ou ceux de Sperber sur la contagion des idées. On aurait par contre aimé voir cité les observations avisées de M. Carastro sur la manière dont les anciens Grecs ont pensé la magie et la figure repoussoir du mage (Carastro 2006), ou celles d’E. Dianteill sur le lien qui unit dans la pensée maussienne la magie et le don (Dianteill 2013). Plus regrettable, peut-être, est le fait que Keck ne dit presque rien de la « première » réception de l’« Esquisse », celle qui juste après la publication de l’article dans L’Année sociologique a fait parfois durement réagir historiens, anthropologues, philosophes et surtout théologiens. C’est le cas, par exemple, de l’historien H. Berr qui, en 1906, est revenu de manière critique sur les prétendus progrès de la sociologie religieuse en montrant comment cette approche, sous prétexte de retrouver les phénomènes sociaux à l’origine de la pensée magique ou religieuse, cherche en fait à « prouver que la pensée humaine commence par être un phénomène collectif » (Berr 1906 : 33). En voyant du « social partout », les durkheimiens auraient surtout produit d’étonnantes confusions comme celle entre l’« individuel » et l’« ethnique », ou celle entre l’« humain » et le « collectif » (ibid.). C’est le cas, aussi, des critiques d’A. Loisy, futur concurrent heureux de Mauss en 1909 à la chaire d’histoire des religions du Collège de France. Pour le théologien devenu historien, c’est l’idée même de la détermination des conduites religieuses par une force sociale inconsciente qui se révèle être de l’ordre d’une impossibilité logique car, si cela s’avérait être vrai, la religion ne serait que pure illusion ! Ces deux critiques importantes, associées aux commentaires de l’historien du droit P. Huvelin, pousseront Mauss et Hubert dans les Mélanges d’histoire des religions (1909) à préciser leur méthodologie mais surtout à rappeler la question qui était pour eux au point de départ de l’« Esquisse », cinq ans plus tôt : pourquoi la magie, alors qu’elle est constituée des mêmes éléments qui définissent une religion, n’arrive-t-elle pas à obtenir l’accord « unanime et nécessaire d’une société » ? (Mauss et Hubert 1909 : XVIII).

39Comme l’« Essai sur le sacrifice » publié en 1899, comme La Prière (1909), l’« Esquisse d’une théorie générale de la magie » participa à la fondation d’une nouvelle analytique anthropologique des phénomènes magico-religieux, centrée sur l’observation des techniques, la répétition des formules, la prise en compte du souffle et du rythme des respirations jusqu’aux sentiments et aux émotions partagés. Cette « anthropologie », à la différence des autres, ne cherche pas à définir, à classer ou à hiérarchiser les pratiques magiques face à la religion mais, et selon le terme de Mauss, à « doser » la présence dans une société du caractère magique (Mauss 1967 : 357).

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Notes

1 Il suffit d’ouvrir l’ouvrage de P. Lassave pour s’en convaincre, en particulier le passage qui concerne la théorie analytique du sacré que les durkheimiens soutiennent et qui s’écarte « résolument de toute perspective phénoménologique ou essentialiste alors en plein essor dans l’Europe de l’entre-deux-guerres » (Lassave 2019 : 91).

2 C’est en effet ce qu’avait suggéré I. Strenski dans Contesting Sacrifice (2002), montrant comment la spiritualité anéantissante ancrée dans le modèle catholique du sacrifice eucharistique avait fini par persuader les juges de l’affaire Dreyfus de minimiser l’éventuelle innocence de l'accusé. Un bouc émissaire était pleinement nécessaire pour expier les péchés de la France et sauver son armée de la disgrâce.

3 C’est en 1904 que le bordereau falsifié par le colonel Esterhazi est soumis à un nouvel examen. Les « experts » désignés sont les mathématiciens Paul Appell, Gaston Darbox et Henri Poincaré qui vont avoir recours à un macro-micromètre ordinairement employé dans l’examen des plaques photographiques astronomiques pour déterminer si le bordereau était ou non un faux.

4 À en croire la correspondance de Hubert avec Saglio, celui-ci travailla au manuscrit de « Magia » au cours du premier semestre de l’année 1901. Il arriva à une première version de la notice vers la fin de juillet, ce qui coïncide avec son entrée, le 18 juin 1901, à la Ve section de l’École pratique des hautes études.

1 Pour une vue précise de la répartition du texte en fonction des deux auteurs voir <https://www2.unil.ch/hubert-mauss-magie/>.

2 Citons par exemple ces trois tentatives : « Nous devons étudier parallèlement des magies de sociétés très primitives et des magies de sociétés très différenciées » ; « Le tindalo mélanésien est tout à fait comparable au héros grec » ; « La notion de force magique est d’ailleurs, de ce point de vue, tout à fait comparable à notre notion de force mécanique ».

1 The Golden Bough. A Study in Magic and Religion est une vaste étude comparative de la mythologie et de la religion publiée par J. G. Frazer. Parue en deux volumes en 1890, la seconde édition de 1900 a été publiée en trois volumes. C’est dans cette seconde édition que Frazer ajoute une longue réflexion sur la question du lien entre magie et religion, réaffirmant au passage l’existence des deux lois qui permettent de qualifier l’activité magique. Il s’agit de la loi d’analogie, dite homéopathique, selon laquelle « tout semblable appelle le semblable » et de la loi de contagion, qui veut que les choses qui ont été en contact continuent d’agir à distance.

2 Pour Frazer, si la magie est totalement rationnelle, elle résulte en fait d’une fausse application des lois qui président classiquement à l’association des idées. Le « primitif » croit pouvoir expliquer les phénomènes naturels en vertu d’une causalité rigoureuse. En s’imaginant pouvoir intervenir lui-même dans la série causale, il pense être en mesure de produire des effets correspondant à ses désirs. C’est aussi par l’emploi d’un esprit rationnel que l’homme primitif a pu comprendre que l’univers ne dépendait pas entièrement de lui, et qu’il devait y avoir des êtres supérieurs, des dieux, qui étaient dès lors responsables des choses.

1 Fiche insérée par Henri Hubert dans le dossier intitulé « Chap. II. De l’existence d’un ordre de choses auquel convient le nom de magie ». Boîte « Magie », non classée. Archives Musée d’archéologie nationale (MAN), Fonds Hubert.

2 Sur ce point, il serait utile de reprendre les interprétations que Jean-Claude Passeron développa dans Le Raisonnement sociologique (Passeron 1991 : 162-163).

3 Sur la question du rapport de Mauss aux techniques, consulter : Schlanger 2012.

4 En 1909, l’argument est à nouveau martelé par les deux auteurs : « L’acte est social parce qu’il tient sa forme de la société et qu’il n’a de raison d’être que par rapport à elle. » (Mauss et Hubert 1909 : XXIV).

5 Les jugements a priori de la société sur le magicien, en se répétant et en se transmettant de manière fixe de génération en génération, deviennent une tradition. C’est un point que Mauss va tout particulièrement démontrer dans son essai sur l’origine des pouvoirs magiques. Dans les clans australiens, rappelle-t-il, le magicien ne trouve pas en lui-même son pouvoir et sa légitimité sociale, mais dans des traditions et des représentations sociales (Mauss 2019).

1 C’est tout un programme interdisciplinaire qui se dessine et qui en grande partie préfigure l’idée d’« homme total » que Mauss présentera en 1924 devant la Société de psychologie en critiquant l’excès d’indépendance des diverses sciences et en cherchant à établir une nouvelle collaboration entre la physiologie, la psychologie et la sociologie (Mauss 1924). Voir aussi Karsenti 1997.

2 On peut rattacher l’intérêt de Mauss aux travaux pionniers du linguiste A. Meillet qui prépare la publication de l’article « Comment les mots changent de sens » dans L’Année sociologique en 1905. Sa théorie linguistique repose sur la conviction qu’il existe une relation spécifique entre le langage et la société et que celui-ci s’impose aux membres du groupe social comme une institution indépendante de la volonté propre de chacun des membres de ce groupe (Meillet 1905).

3 C’est ce qu’avait souligné H. Lavondès en introduction de son article sur la magie malgache (Lavondès 1963).

4 Mauss puise l’idée du formalisme dans les travaux de C. Fossey concernant la magie assyrienne. Dans son introduction, ce dernier indique en effet que « le formalisme le plus rigoureux est en effet une des marques caractéristiques de toute magie : la parole et le geste sont tout-puissants, mais à condition d’être exactement conformes au rite, et d’être convenablement choisis pour l’espèce dont il est question » (Fossey 1902 : 16).

1 À ce sujet, voir la synthèse éclairante de Camille Tarot (1999).

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-François Bert, « Procéder par « tâtonnements » »Revue des sciences sociales, 65 | 2021, 169-179.

Référence électronique

Jean-François Bert, « Procéder par « tâtonnements » »Revue des sciences sociales [En ligne], 65 | 2021, mis en ligne le 15 juin 2021, consulté le 19 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/revss/6938 ; DOI : https://doi.org/10.4000/revss.6938

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Auteur

Jean-François Bert

Institut d’histoire et d’anthropologie des religions
Université de Lausanne
jean-françois.bert[at]unil.ch

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