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Notes de lecture

Salmon Jean-Marc, 29 jours de révolution. Histoire du soulèvement tunisien, 17 décembre 2010-14 janvier 2011

Jordan Pinel
p. 346-348
Référence(s) :

Salmon Jean-Marc (2016) 29 jours de révolution. Histoire du soulèvement tunisien, 17 décembre 2010-14 janvier 2011, Paris, Les petits matins, 349 p., ISBN : 978-2-36383-198-9

Texte intégral

1S’attacher à décrire des faits contemporains maintes fois commentés par les médias et la sphère politique n’est pas chose aisée. C’est pourtant ce à quoi Jean-Marc Salmon s’est attelé dans cet ouvrage sur la révolution tunisienne de 2010-2011. L’ouvrage s’attache à la dimension historique des évènements et le sociologue commence d’ailleurs en introduisant par ces mots : « La première révolution du XXIe siècle s’est produite en Tunisie » (p. 11) mettant d’emblée le lecteur face à la portée historique des faits, en les situant dans le cours du temps. Seulement cinq ans après, peut-on avoir assez de recul sur ces évènements ? C’est la question que le lecteur peut se poser après la lecture de l’ouvrage. Cependant, c’est bien à partir d’une étude approfondie, constituée notamment d’entretiens avec près de quatre-vingt-dix acteurs de la révolution, que l’auteur montre à la fois la part d’improvisation du soulèvement tunisien, son caractère moderne et novateur par l’apport des nouvelles technologies et des réseaux sociaux, ainsi que sa rapidité. Le titre souligne bien ce dernier aspect : il aura fallu seulement vingt-neuf jours pour faire tomber un gouvernement installé depuis plus de vingt-trois ans.

2Si les conséquences de ces évènements sont bien connues par leur importante médiatisation, le détail de ces vingt-neuf jours et leurs causes dans la société tunisienne sont moins connus. À la fois chronologie commentée et bilan des évènements, la description faite par Jean-Marc Salmon, à travers de ces dix-neuf chapitres, donne une analyse plus poussée sur les origines et le déroulement de la révolution.

3Une première partie est consacrée à ce que l’auteur appelle « l’underground des révoltes » et s’attache à revenir sur les prémices de la révolution. Elle aborde notamment l’un des aspects novateurs des évènements tunisiens : l’influence des médias et des réseaux sociaux. L’importance de la « cyberdissidence » à partir de blogs est évoquée, puis celle de Facebook à partir de 2008, comme vecteur important de transmission de l’information et de critique du pouvoir. Dans le même ordre d’idée, les révélations de scandales et corruptions du pouvoir par Wikileaks ont contribué à désacraliser le pouvoir permettant un affrontement dans la rue. Puis, l’auteur s’attarde en première, puis en deuxième partie sur la ville de Sidi Bouzid et le déclenchement de la révolte le 17 décembre 2010 où l’immolation du marchand Mohamed Bouazizi a suscité la colère de la population envers les autorités locales abusant de leurs privilèges. « Le suicide du pauvre » selon les termes de l’auteur concerne près de 200 Tunisiens par an (car l’essence bon marché est facile à se procurer), mais là où l’acte est exceptionnel, c’est qu’il se déroule en public et devant le siège du pouvoir local, le désignant ainsi implicitement comme fautif et faisant le lien avec les abus de la police locale qui avait confisqué les denrées et la charrette du marchand. Sans succomber au registre dramaturgique, l’auteur met en avant l’émotion suscitée par l’acte suicidaire et qui a engendré un rassemblement spontané qui déclenchera une action organisée : la foule se donne de la force et on fait du marchand le martyr d’un système corrompu dont les plus pauvres sont exclus. Les canaux d’informations et de communication tels que Facebook, France 24 ou Al-Jazira font la suite en diffusant l’information.

  • 1 L’Union générale tunisienne du Travail, première force syndicale du pays.

4C’est ensuite avec minutie que l’auteur démontre l’effet « boule de neige » qui a permis, après la mort d’un second homme dont l’acte est également compris comme un suicide, l’extension du mouvement social aux villes voisines. Cyberactivistes, syndicalistes de gauche et avocats progressistes se mobilisent et le pari de manifester dans la capitale réussit. Les manifestations deviennent rapidement générales et ce sont les lycéens qui prennent rapidement le relais à la rentrée de janvier, notamment à Thala, petite ville de l’est du pays. La situation s’envenime vite jusqu’aux tirs de balles réelles par les forces de l’ordre et se propage alors au chef-lieu régional : Kasserine. Avec neuf morts, le bilan est lourd et n’apaise pas la situation. Au contraire, les insurgés en arrivent à l’« acceptation à mourir » (p. 216) qui explique en partie persévérance à manifester. De plus, la diffusion d’images et de vidéos dévoilant la violence des répressions fait monter la colère dans les milieux populaires de la côte et notamment de Tunis. On passe alors à une phase de nationalisation du « mouvement ». Sfax, deuxième agglomération du pays, soutient très rapidement le mouvement, notamment car la ville est peuplée de nombreuses populations originaires de Sidi Bouzid. Entre défilés en journée et manifestations plus violentes la nuit et avec l’UGTT1 qui appelle à la grève générale, les opposants politiques au régime commencent à croire possible une chute du régime de Ben Ali, notamment quand ce dernier adoucit son discours face aux manifestants.

5Au fur et à mesure des chapitres, on suit donc la révolution en train de s’organiser et à l’aide d’une analyse des réactions des médias et du pouvoir politique en place, Jean-Marc Salmon décrit la fin du régime de Ben Ali jusqu’à la fatidique journée du 14 janvier 2011 où le président démissionne. Là, c’est heure par heure qu’il nous livre le récit d’une journée qui a commencé par un nouvel appel à manifester de l’UGTT et qui abouti à la fuite du président et cette annonce de l’Agence France-Presse : « ALERTE (18 h 35). Le président Ben Ali a quitté la Tunisie (sources proches du gouvernement) ». Enfin, la dernière partie se consacre aux aspects « inédits du soulèvement tunisien ». Nous retenons notamment la tension dans l’usage des médias numérisés, entre une logique de contrôle du pouvoir face à un usage important des réseaux sociaux et médias dans ce soulèvement. De plus, le pouvoir s’est trouvé affaibli en perdant le monopole de l’image avec des chaînes arabophones transnationales et la perte de l’oral avec l’importance du langage dialectal (derja) sur les réseaux sociaux. L’image domine sur l’écrit dans cette révolution, alors même que l’écrit était un des fondamentaux du principe révolutionnaire comme le rappelle l’auteur. Cela montre la spontanéité du mouvement, sans texte fondateur, sans direction, sans porte-parole, mais qui en vingt-neuf jours a fait fuir le président.

6L’analyse détaillée des événements et les entretiens menés directement par l’auteur auprès des acteurs de cette révolution donnent ainsi une légitimité scientifique à la recherche entreprise par le sociologue. Les entretiens mettent par ailleurs en avant l’importance de la mémoire, encore vive aujourd’hui. Mais l’importance mémorielle laisse aussi place à la concurrence mémorielle et montre l’importance de croiser les données et de les diversifier. En effet, les évènements n’ont que cinq ans lorsque l’auteur entreprend son enquête, la compétition entre les acteurs face à la mémoire des évènements est déjà à l’œuvre. C’est là que le travail de complément d’analyse à partir de données socio-économiques trouve un sens et que la trame de la révolution et de ses prémices est suivie. On découvre ou redécouvre les fondements d’une contestation qui a beaucoup fait parler, beaucoup fait écrire, mais dont nous avons avec cet ouvrage une analyse solide, basée sur des faits concrets. L’auteur apporte les éléments permettant d’échapper à une lecture « héroïsée » des événements qui serait liée à une surenchère mémorielle face à des faits contemporains qui ont marqué les esprits.

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Notes

1 L’Union générale tunisienne du Travail, première force syndicale du pays.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jordan Pinel, « Salmon Jean-Marc, 29 jours de révolution. Histoire du soulèvement tunisien, 17 décembre 2010-14 janvier 2011 »Revue européenne des migrations internationales, vol. 34 - n°2 et 3 | 2018, 346-348.

Référence électronique

Jordan Pinel, « Salmon Jean-Marc, 29 jours de révolution. Histoire du soulèvement tunisien, 17 décembre 2010-14 janvier 2011 »Revue européenne des migrations internationales [En ligne], vol. 34 - n°2 et 3 | 2018, mis en ligne le 28 décembre 2018, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/remi/11142 ; DOI : https://doi.org/10.4000/remi.11142

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Auteur

Jordan Pinel

Géographe, Doctorant, Migrinter/Université de Poitiers

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