1En Europe, l’ouverture des données est cadrée à partir de 2007 par la directive Inspire qui vise « à établir […] une infrastructure de données géographiques pour assurer l’interopérabilité entre bases de données et faciliter la diffusion, la disponibilité, l’utilisation et la réutilisation de l’information géographique en Europe1 ». Cet objectif suppose une mise à disposition et un partage des données géographiques publiques déjà produites par les collectivités territoriales, facilités par la fourniture d’une liste des thèmes concernés dans son annexe II. Ainsi la marche à suivre est-elle à la fois contrainte et ambitieuse car « l’ouverture des données est une obligation, mais c’est surtout une exigence démocratique. C’est l’opportunité d’améliorer la transparence des administrations, de faciliter le travail quotidien des agents et de favoriser l’innovation » pour l’élue en charge de l’ouverture des données à la ville de Grenoble. En effet, au-delà de la mise à disposition des données qu’elle liste, la Directive cherche à constituer tout un écosystème de fourniture, d’accès et de traitement des données publiques qui sera défini par les choix de la métropole.
2L’ouverture des données publiques s’envisage donc de manière contextualisée à travers trois dimensions : 1/ une dimension technique avec des portails comme dispositifs de fourniture de données ; 2/ une dimension sociale qui prend en compte la diversité des acteurs concernés par l’ouverture des données (collectivités territoriales, délégataires des services publics, acteurs économiques, citoyens) et 3/ une dimension communicationnelle portée par les discours d’accompagnements et de l’identité éditoriale des portails concernés. Centraux dans la démarche de l’ouverture des données, les portails métropolitains de l’open data (PMOD) constituent à la fois l’un des éléments clés des villes intelligentes qui centralisent et diffusent les données métropolitaines irriguant ces nouveaux services, l’un des outils de mise en place de la réforme territoriale et l’un des instruments du développement de la compétitivité du territoire.
3Les PMOD sont conçus comme des intermédiaires entre des producteurs de données et des ré-utilisateurs professionnels aux stratégies diverses et variées (Dymytrova, Paquienséguy, 2017) et participent au processus de métropolisation en créant « une représentation métropolitaine » afin de « percevoir et de gouverner la ville dans son ensemble » (Courmont, 2015). Souvent rattachés à des services de développement économique du territoire, les PMOD marquent la trace de changements profonds et récents dans les stratégies territoriales et accueillent les données des services internes, des communes, des services municipaux, des services délégués, des régies, etc. C’est parce que ces portails concrétisent les choix du consortium d’acteurs dans leurs interfaces et structuration que nous avons souhaité les analyser. Nous formulons donc ici l’hypothèse principale selon laquelle les PMOD matérialisent, par leur éditorialisation des données, les choix du consortium d’acteurs qui les a conçus, acteurs qui font le tissu urbain sur la base d’objectifs et d’intéressement particulièrement hétéroclites.
4Pour traiter l’hypothèse, après une brève revue de la littérature sur l’open data (contextualisation), nous introduirons notre ligne de réflexion (questions de recherche) et d’action (méthodologie). Ensuite nous présenterons nos résultats sous la forme de quatre idéaux-types. Enfin, la dernière partie mettra en perspective les modalités de diffusion et d’éditorialisation des données ouvertes avec les directives européennes, les injonctions économiques et politiques des acteurs locaux des collectivités territoriales que nous avons interviewés.
5L’open data est un processus qui renvoie à la fois à une politique consistant pour l’État à partager de données issues des registres de la statistique administrative ou collectées par les organismes publics et à leur mise en ligne à travers des outils nouveaux, portails et plates-formes dédiés. Toutefois, dans les textes de lois et les discours d’acteurs, les frontières entre l’open data et d’autres notions, comme par exemple « informations du secteur public », « documents administratifs », « documents publics » et « données publiques » restent floues (Boustany, 2013). En effet, extraits des systèmes d’information qui les hébergent, les informations et les documents identifiés comme des données sont transformés par des opérations de nettoyage et de formatage qui « leur assurent une double intelligibilité, humaine et technique » (Denis, Goëta, 2016). Les données portent toujours en elles les traces du réseau sociotechnique dont elles sont issues (Kitchin, 2014), elles ne peuvent être parfaitement brutes (Bowker, 2005 : 183-184), mais se distinguent par leur caractère relationnel et transactionnel, façonné dans les « coulisses de l’open data » (Denis, Goëta, 2016) par une série d’explorations et de négociations en vue de leur publication. De fait, les données ouvertes constituent des enjeux de gouvernement urbain impliquant de nouvelles répartitions des rôles entre public et privé (Larroche, Vila-Raimondi, 2015), puisque l’ouverture, la production et la diffusion sont devenues une obligation légale suite à la loi no 2016-1321 du 7 octobre 2016 sur la République numérique qui affirme le principe de l’ouverture des données publiques par défaut.
6Cependant, situées à la croisée du droit à l’information, de la modernisation des administrations publiques et du développement de services dans une approche de ville intelligente, les données ouvertes correspondent en fait aux données numériques disponibles gratuitement et dans des formats facilitant leur réutilisation. Ainsi le processus d’ouverture des données publiques est-il considéré à la fois comme condition de transparence des institutions en vue d’un pouvoir agir plus conséquent au bénéfice des citoyens, et comme vecteur d’innovation grâce aux valorisations socio-économiques des données mises à disposition pour la production de nouveaux services. C’est ce que confirme la plate-forme nationale data.gouv.fr qui relève « une volonté affichée de créer un environnement favorable à la mise en équivalence des enjeux citoyens et commerciaux » (Mabi, 2015).
7Ainsi, l’OD semble associer « une forme de délégation d’un pouvoir depuis une institution vers la société civile […] et des formes d’auto-organisation communautaire » (Badouard, 2017). Cependant, dans le contexte des PMOD, l’encadrement de la participation implique l’enrôlement des développeurs web alors valorisés pour leur expertise technique et leurs compétences avec le risque de favoriser l’exclusion du reste des habitants (Le Corf, 2016). Trois marqueurs de la mise à disposition des données pour les citoyens sont alors à retenir : les infrastructures qui facilitent l’usage des données par un public large dont les PMOD que nous analysons dans cet article constituent une face visible ; un cadre juridique fort, aujourd’hui posé avec la loi pour la République numérique et la formation à l’usage des données (Goëta, Mabi, 2014).
8Cet article cherche donc à cerner dans un même élan les stratégies des métropoles et des acteurs qu’elles fédèrent pour l’ouverture des données et la façon dont celles-ci se concrétisent dans la structuration et les interfaces de leurs portails OD. En effet, les stratégies et volontés des réseaux d’acteurs à l’œuvre portent des objectifs différenciés d’une part, et évolutifs, d’autre part. Pris entre ouverture des données, développement du territoire et smart city, leur contexte lourd et prégnant nous conduit à formuler deux questions de recherche principales à partir de notre hypothèse centrale. Que montrent les portails métropolitains des stratégies des métropoles au regard de l’obligation d’ouverture ?
9Ici, nous analyserons la structuration et l’éditorialisation des interfaces des PODM, puisqu’elles assurent la médiation entre les éléments techniques (plates-formes, portails, data, datavisualisation). L’analyse est complétée par les entretiens avec les acteurs qui les mobilisent et les contrôlent (Jeanneret, 2005). Autrement dit, nous cherchons à identifier la ou les tensions actives entre les choix ou objectifs des métropoles et ceux que matérialisent les portails OD qu’elles développent (Dymytrova, Hare, 2016). La complexité et l’ampleur de la réorganisation qui leur est demandée2 pèsent lourdement, et elle se fait parfois au détriment du citoyen, semble-t-il (Paquienséguy, Dymytrova, 2017). Quelles formes d’appropriation de l’injonction d’ouverture par les métropoles se dégagent-elles des types de structuration et d’éditorialisation des portails ?
10Si les PMOD constituent la pièce maîtresse de l’ouverture des données sur le territoire métropolitain, ils matérialisent également le réseau d’acteurs qui les font vivre sur la base de « l’intéressement » (Callon, 1986) de chacun. Ainsi pourrait-on dire que les PMOD agrègent et fédèrent une communauté d’intérêt particulièrement diversifiée dont les controverses et des forces d’intéressement se lisent au détriment d’une homogénéité, parfois malmenée. Pris dans des « réseaux hétérogènes » (Law, Callon, 1992), les PMOD concrétisent les choix de l’administration qui les a conçus (Labelle, Le Corf, 2012) et se présentent comme « outils de médiation idéologiquement perméables » (Rouquette, 2009 : 297). L’analyse des fonctionnalités et des modalités d’accès aux données permet de mieux dégager ces caractéristiques, mais leur compréhension repose principalement sur les entretiens conduits auprès des acteurs des écosystèmes open data métropolitains.
11Le travail de terrain s’appuie sur une analyse sémio-pragmatique d’un corpus de PMOD et sur une analyse stratégique des discours d’acteurs. La première s’inscrit dans les pas d’une sémiotique ouverte (Boutaud, Verón, 2007) qui place les dispositifs de communication dans un contexte socioculturel et sociopolitique. Plus précisément, nous avons mobilisé le modèle théorique de la sémio-pragmatique (Odin, 2011), la sémiotique des écrits d’écran (Jeanneret, Souchier, 2005) et celles des dispositifs numériques (Stockinger, 2005). L’analyse cherchait à saisir la façon dont les PMOD proposent de prendre en main les données tout en construisant une certaine relation des usagers à l’information.
12Les portails sont ici étudiés tels qu’ils se manifestent dans la matérialité de leurs interfaces. Inscrite dans le contexte exposé, l’analyse souligne la présence ou l’absence de tensions entre les objectifs visés, les modèles de gouvernance à l’œuvre et les « effets de sens » (Pignier, Drouillat, 2008), que produisent les choix en termes d’ergonomie, de design, de modes de navigation et de significations de l’interface. Notre grille d’analyse comprend aussi la caractérisation de l’énonciateur en fonction du dispositif techno-sémiotique des portails, des discours d’accompagnement et de l’iconographie des pages d’accueil. Les informations que les portails produisent et la structuration qu’ils rendent lisibles par les références, les choix sémantiques mais aussi les choix techniques et les logiques de déploiement offrent une autre lecture des représentations des différents types de PMOD.
13Afin de constituer le corpus analytique, nous avons étudié une cinquantaine de PMOD à l’échelle de l’Europe en nous intéressant aux métropoles de plus de 200 000 habitants. Celles-ci ont été identifiées via un recensement proposé par la Fondation Open Knowledge International et sélectionnées en fonction des avancées des collectivités territoriales en matière d’ouverture des données, notamment le nombre de données publiées et la fréquence des mises à jour des contenus. Au final, le corpus analytique comprend : Londres, Berlin, Turin, Bruxelles, Copenhague, Madrid, Dublin, Bordeaux, Montpellier, Rennes, Paris et Lyon.
- 3 Toutes les informations complémentaires sur les deux phases d’enquêtes sont fournies par les livrab (...)
14Dans un deuxième temps, l’analyse stratégique vient compléter l’analyse sémio-pragmatique sur la base d’entretiens conduits avec les porteurs de l’ouverture des données afin justement d’intégrer le contexte et de mieux comprendre les alliances et jeux d’acteurs en présence. Deux vagues d’entretiens semi-directifs ont été menées dans le cadre de l’ANR OpenSensingCity. Les guides d’entretien3 portaient sur les stratégies de production, diffusion et réutilisation des données, notamment type de données, chaîne du traitement, outils et technologies utilisés et modalités de valorisation des données (modèles économiques, scénario, cible).
15Synthétisés, nos résultats ont donné lieu à une typologie des portails à quatre idéaux-types.
16Les PODM T1 renvoient à la directive européenne Public Sector Information (SPI, 2003/98/CE du 17 novembre 2003) qui promeut la réutilisation des informations détenues par le secteur public et font également écho aux quatre points fondamentaux de la directive européenne Inspire : 1/ faciliter la prise de décision dans un cadre démocratique, avec un bon niveau d’information des autorités publiques, de tous les acteurs et du grand public ; 2/ permettre la mise en place de meilleurs services au citoyen ; 3/ décloisonner les informations entre les autorités publiques ; 4/ favoriser la croissance économique et la création d’emplois grâce à des services et applications. Ces portails matérialisent donc la volonté et les stratégies d’inscription de la métropole dans une logique de la modernisation du secteur public et de l’amélioration de la gouvernance. Ils portent les valeurs d’ouverture large et de transparence, confortées par des discours d’accompagnement forts sur l’amélioration de l’accessibilité aux données publiques.
- 4 « …Non si può dimenticare che uno dei cardini che muove il concetto di democrazia partecipata è che (...)
- 5 « Offene Daten lesbar fur Mensch und Maschines ».
17Dans notre corpus, les portails de Turin, de Paris et de Berlin illustrent ce premier type car ils portent les valeurs de l’ouverture de la donnée et de la transparence. Celui de Turin affiche que « la pierre angulaire du concept de démocratie participative est que les données doivent être utiles et utilisables4 ». D’ailleurs d’autres discours d’accompagnement confortent ces valeurs en faisant des données « un patrimoine immatériel qui peut être mis en valeur pour l’ensemble de la collectivité » (Paris). À son tour, la devise du portail berlinois « Données ouvertes lisibles par les hommes et les machines5 » se réfère à un critère important de la qualité de l’open data promu par le World Wide Web Consortium (lisibilité des données par la machine). L’inscription dans l’idéal des données ouvertes se manifeste également dans les choix sémantiques, comme dans le lexique du portail de Berlin : « Gouvernement 2.0 », « Critères de l’OD », « Données ouvertes publiques », « Gouvernement ouvert », « Données brutes », « Participation », « Transparence » ou « Outils web 2.0 ». D’ailleurs, ces portails privilégient les licences qui autorisent le partage, la création et l’adaptation principalement à condition de mentionner la paternité et de pérenniser l’ouverture.
18Les thématiques communes les plus fréquentes offrent les données statiques liées aux services publics : administration, environnement, démographie, élections, éducation, culture, santé et sécurité. Elles vérifient le principe de responsabilité (accountability) des administrations publiques devant les citoyens-électeurs.
19Enfin, ces portails rendent visibles les fournisseurs des données, souvent par une rubrique spécifique et en précisant la provenance des données. Cependant, les conditions de l’ouverture restent difficiles et manquent d’homogénéisation, comme le précise le responsable de la promotion de la mobilité durable d’une métropole : « Il n’y a pas de travail de la mise en cohérence des données entre les collectivités, chacun met à disposition des données qu’il possède ». Le registre de l’intention prévaut. La difficulté de l’ouverture est d’ailleurs confirmée par le chef du service mobilité d’un PODM de ce type : « D’un côté, il y a l’obligation, la loi sur la mise à disposition des données en temps réel et à la fois, il y a des ressources quand même derrière, ce sont les coûts pour la collectivité. On est obligé de se dire comment je fais ? ».
20Les destinataires des portails de ce type sont définis comme « utilisateurs » (Turin) mais renvoient également à une cible très diversifiée : fonctionnaires de l’administration, citoyens, développeurs, journalistes, entreprises et chercheurs (Paris et Berlin). L’accent est mis sur l’ouverture, la mise à disposition plus que sur une diffusion ciblée. Mais l’hétérogénéité des données constitue également un frein majeur à leur réutilisation pour la création d’applications. D’ailleurs, les portails de type 1 ne proposent qu’un faible nombre d’applications ou de visualisations, voire même aucune application pour le portail turinois malgré la présence d’une rubrique éponyme ; quant à la page d’accueil du PODM parisien, il n’offre qu’une seule cartographie « Ouverture des données du Plan local d’urbanisme ». Les responsables de l’ouverture ont une vision claire du paradoxe dans lequel ils agissent : « On a un très haut potentiel de la production des données et une très faible capacité d’analyse, c’est compliqué par le fait que les facteurs d’analyse sont extrêmement nombreux souvent complexes et que nous n’avons aucune idée de qui en aurait besoin ni de l’utilisation qu’il en ferait » (responsable du parc métropolitain de parkings publics).
21Les portails en question se démarquent enfin par un fort degré d’institutionnalisation souligné par la présence des logos des métropoles, les liens vers leurs sites officiels et les discours des officiels qui viennent marquer l’intention d’ouverture et l’attention aux citoyens. D’ailleurs, ce positionnement se manifeste également dans les références au mouvement OD. Par exemple, le PODM de Turin valorise les liens vers le portail national datagov.it et l’association Open Knowledge Fundation, qui milite pour l’ouverture des données. Il rappelle aussi les efforts de l’administration Obama pour un déploiement national de l’OD et précise le cadre législatif de l’ouverture dans l’Union européenne comme en Italie. À son tour, le PODM de Berlin référence plusieurs autres projets et portails OD des institutions et des métropoles à l’international s’inscrivant Ainsi dans une démarche collective d’ouverture des données.
Tableau 1. Caractéristiques des PODM vérifiant les idéaux-types de l’ouverture des données
Accès aux données
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Rubrique spécifique
Homogénéité de l’accès et indexation des données : présence d’un catalogue normé, de thématiques et de mots clés
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Licences
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Licence ODBL – principes simples d’utilisation et de partage à l’identique pour les données et les bases de données
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Thématiques dominantes
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administration, démographie, élections, environnement, éducation, Culture, santé, sécurité
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Profils ciblés
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Tout acteur territorial, sans nullement le caractériser ou le personnaliser
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Applications
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Nombre limité d’applications, principalement conçues par les partenaires publics
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Dispositif éditorial
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Peu de discours d’accompagnement
Forte institutionnalisation (logos, liens vers le site de la ville, présence des discours des maires ou des responsables de l’OD)
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Rhétorique
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Rhétorique de la transparence et de l’accessibilité de l’information
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PODM
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Turin, Paris, Berlin
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URL
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http://aperto.comune.torino.it/
https://opendata.paris.fr/
https://daten.berlin.de/
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22Les portails vérifiant les idéaux-types d’une smart city s’inscrivent bien dans la définition qu’en donne Rudolf Giffinger (2007) puisqu’ils satisfont, plus ou moins, aux six éléments qu’il propose pour cerner les « smart cities » : 1/ l’économie des transports, 2/ l’économie des technologies de l’information et de la communication, 3/ la qualité de vie, 4/ la participation des citoyens à la vie démocratique de la ville, 5/ les ressources naturelles et 6/ les capitaux humains et sociaux. En première instance, ces portails tendent donc à réunir et satisfaire des acteurs économiques territoriaux afin de proposer de nouveaux services aux citoyens.
23De ce type, les portails de Bordeaux, de Copenhague et de Montpellier s’inscrivent dans cette visée, comme le mentionne ce dernier : « L’objectif de cette démarche est de permettre au public de connaître, de comprendre, d’enrichir les données relatives au territoire, d’imaginer et de proposer des services permettant de rendre la cité plus efficace, plus conviviale, plus respectueuse de son environnement, plus dynamique et attractive ». Le PODM de Bordeaux confirme cette orientation en présentant l’OD comme une clé de l’innovation, promesse d’un « accès aux données publiques de Bordeaux métropole selon des modalités industrielles et pérennes ». Accès conforté par une médiation des données assurées par les développeurs puisque « la mise à disposition de données brutes a pour objectif final d’aider les programmeurs à innover et à créer de nouveaux services dans l’intérêt de tous ». Quant au portail de Copenhague, il se positionne comme partie prenante de la démarche ville intelligente de la métropole et s’intègre dans un dispositif plus large :
- 6 « Data.kk.dk har dog en naturlig kobling til en række øvrige aktiviteter i regionen, herunder Copen (...)
« Data.kk.dk a un lien naturel avec un certain nombre d’autres activités dans la région, notamment la plate-forme d’innovation de Copenhague Cleantech Cluster pour l’infrastructure numérique des villes intelligentes. Cette offre d’innovation doit inclure, créer un pont entre les données publiques et privées afin de relier les ensembles de données de nombreux acteurs dans des solutions nouvelles et intéressantes6 ».
- 7 API signifie Application Programming Interface, en français : une interface de programmation applic (...)
24Ces portails de type 2 mettent en avant les transports et la mobilité car « les données liées à la mobilité sont absolument stratégiques surtout quand elles sont mises à jour en temps réel mais il faut faire un travail en amont avec les services marketing et études de marché pour savoir quelles informations sont nécessaires pour les utilisateurs finaux » (responsable de service de cartographie). Ainsi, ces portails se présentent comme des intermédiaires entre les fournisseurs des données valorisées et les développeurs des services auxquels des rubriques spécifiques sont consacrées (« API7 » et « Développeurs »).
25Ils sont construits dans une logique d’autopromotion dont témoigne la fréquence élevée de publication de contenus. Mais ce sont surtout leurs discours d’escorte qui mettent l’accent sur l’avancée de l’OD avec des articles consacrés aux nouveaux jeux de données publiés. Cette rhétorique de la performance prend souvent la forme d’une argumentation par le chiffre, à l’instar de l’animation visuelle en haut de la page d’accueil du portail aquitain qui indique le nombre de thématiques, d’objets et de couches logicielles disponibles et affiche un compteur des téléchargements et d’appels de services web (API par exemple).
Tableau 2. Caractéristiques des PODM correspondant aux idéaux-types d’une smart city
Jeux de données
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À visée professionnelle, voire technique
Vision ésotérique des données qui les réservent aux professionnels - coordonnées de géolocalisation, références cadastrales, référentiels administratifs, formats professionnels (CSV, JSON, WMS, WFS, KML etc.)
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Licences
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Licences ODBL – respect du droit d’auteur, elles s’appliquent surtout aux applications plus qu’aux données, ici c’est la réutilisation qui est visée
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Thématiques privilégiées
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Les données stratégiques pour les acteurs professionnels du territoire (par ex., transports, temps réel)
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Profils
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Développeur
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Applications
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Directement proposées par le propriétaire des données
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Dispositif éditorial
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Accent sur de nouveaux jeux de données ou services disponibles
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Rhétorique
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Rhétorique de l’innovation et de la performance qui valorise la création de nouveaux services
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PODM
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Bordeaux, Montpellier, Copenhague
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URL
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http://opendata.bordeaux.fr/
http://data.montpellier3m.fr
https://data.kk.dk/
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26Les portails de ce type renvoient à la ville créative telle qu’elle est définie par Charles Landry et Franco Bianchini (1995), à savoir un lieu ouvert fondé sur l’interdépendance des dimensions économiques, sociales, environnementales et culturelles qui participent à la transformation d’un territoire. Ils véhiculent également une autre vision de la ville créative, construite par la classe créative (Florida, 2002), groupe social capable de créer des articulations entre différents domaines d’expertises. Si ces PODM sont attrayants et lisibles par les citoyens (stratégie du marketing territorial), ils restent particulièrement orientés vers cette population créative, capable de valoriser les données grâce à leur maîtrise des outils de traitement et de visualisation des données.
27Dans notre corpus, ce type 3 est illustré par les portails de Lyon et de Londres. Leurs discours d’accompagnement affirment ce positionnement faisant des données la « matière première d’une ville innovante » (Lyon), et transformant même le portail en
- 8 « We want London to have the most dynamic and productive City Data Market in the world. In our City (...)
« un marché de données le plus dynamique et le plus productif au monde. Dans notre marché des données urbaines, les compétences, les talents et les capacités de tous nos partenaires autour de données de la ville contribueront à résoudre nos énormes défis sociaux, économiques et ceux liés aux services… Les données de la ville seront reconnues comme partie de l’infrastructure de la capitale. Nous les utiliserons pour économiser de l’argent, incuber l’innovation et stimuler la croissance économique. Et Londres atteindra une renommée mondiale pour son impact sur les données8 ».
28Ce discours d’escorte porte de multiples références à une économie fondée sur l’exploitation des données et une attention portée aux ressources humaines hautement qualifiées, capables de valoriser des données urbaines (« compétences et talents »). En effet, par le lexique, les thématiques des jeux de données, les visuels et la rhétorique mobilisés, ces portails portent clairement une vision économique de la métropole et visent son développement. Par exemple, le PODM lyonnais sur-valorise le lien hypertextuel « Smart City » qui renvoie au site web compagnon consacré à l’économie de la métropole9. Le portail londonien recourt quant à lui abondamment au vocabulaire économique10 et utilise dès la page d’accueil une datavisualisation croisant celles de la statistique et des données économiques, notamment celles des marchés boursiers ; cette forme favorisant les domaines économiques portés par les rubriques « Emploi et Économie », « Londres, ville internationale » et « Performance du Grand Londres ».
29Les discours d’escorte de ce type de PODM se distinguent donc par un usage abondant des images (photos, maquettes des quartiers) et vidéos qui s’inscrivent dans la rhétorique de la créativité et de l’attractivité du territoire. Par exemple, le PODM lyonnais s’ouvre sur vidéo « Lyon se dévoile sans compromis », signée OnlyLyon, la marque et le programme de marketing international de la métropole. Ce court film promeut le patrimoine urbain (architecture, danse, art) en lien avec le dynamisme de sa population montrant l’épanouissement de jeunes performants et créatifs sur le territoire métropolitain, promesse d’une qualité de vie enviable. Elle est d’ailleurs synthétisée dans un manifeste urbain qui se termine par « Ne faites aucun compromis, tracez votre propre route, Choisissez de vivre pleinement vos vies, toutes vos vies. Choisissez Lyon, Only Lyon ».
30Dans ce type 3, les portails vérifient un lien fort à la ville créative, de façon contrastée selon qu’ils font, ou qu’ils ne font pas, converger leurs objectifs (le développement économique du territoire) et leurs interfaces en apparence (icônes thématiques ; vidéos pédagogiques) toujours destinées à ce grand public bénéficiaire de la transformation. Ce dédoublement des objectifs selon les publics visés s’exprime dans la structuration même des portails qui distinguent les espaces dédiés aux développeurs et ceux destinés aux amateurs. Si le grand public semble être la cible première, l’attention portée à la question des licences et la présence de rubriques à leur intention ciblent surtout les acteurs économiques et les professionnels des data (développeurs, data scientists et data analystes). Cette tension entre plusieurs objectifs difficilement conciliables se manifeste tout particulièrement au travers des figures de concession (« tout en assurant ») qui laissent penser que le double objectif est tenable : « Le Grand Lyon a construit une stratégie de diffusion permettant une appropriation large des données, tout en assurant des conditions d’innovation favorables à l’entrepreneuriat et à des projets de création de services aux bénéfices de nouveaux modes de vie dans notre agglomération ».
Tableau 3. Caractéristiques des PODM correspondant aux idéaux-types de la ville créative
Jeux de données
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Accessibles dès la page d’accueil, souvent représentées sous forme d’icônes thématiques
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Licences
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Licences spécifiques visant la réutilisation
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Thématiques privilégiées
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Diversité des thématiques, en fonction de l’actualité territoriale
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Profils
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Acteurs du territoire, diversité des profils professionnels
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Applications
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Attention portée aux valorisations des données par des visualisations
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Dispositif éditorial
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Abondants discours d’accompagnement appuyés par l’usage des images et des vidéos, dont une grande partie mettant en scène l’identité et le patrimoine territoriaux
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Rhétorique
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Rhétorique de la créativité et de l’attractivité du territoire
Registre marketing avec les slogans et les logos spécifiques
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PODM
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Lyon, Londres
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URL
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https://data.grandlyon.com/
https://data.london.gov.uk/
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31Les portails de type 4 se saisissent des idéaux de l’empowerment au sens de la capacité d’agir des citoyens selon le mode participatif ou celui de la prise d’initiative (Bacqué, Biewener, 2013). Ainsi, ceux de Rennes, Madrid, Bruxelles et Dublin cherchent-ils à impliquer les citoyens individuellement et collectivement dans la réutilisation des données ouvertes par le relais des groupes, associations, mouvements…, en leur facilitant l’accès aux données et en leur fournissant les moyens d’apprendre à les manipuler.
32Les PODM de Bruxelles, Dublin, Rennes et Madrid concrétisent une appropriation particulière de l’OD dans des objectifs d’évolution du territoire et de sa métropole vers la smart city, mais en insistant sur son caractère citoyen et responsable. Ils proposent justement une version inattendue de l’injonction d’ouverture qui en respecte les principes tout en ne dérogeant pas aux objectifs de développement citoyen déjà mis en place par la métropole, comme l’exprime un responsable de PMOD de ce type, « nous voulons consolider une forme de gouvernance claire qui offre une gestion elle-même claire sans pour autant nuire à la qualité des données afin d’apporter une vraie plus-value aux acteurs locaux et aux citoyens ».
- 11 « El Portal de Datos Abiertos es el espacio que el Ayuntamiento de Madrid ofrece para: facilitar el (...)
33Les données sont clairement destinées aux citoyens : « Ces jeux de données peuvent être examinés par chacun afin d’exercer son regard de citoyen » (Bruxelles). Le portail madrilène se veut un espace offert à un large public afin de « faciliter l’accès aux données publiques dans un format réutilisable lié à la gestion publique municipale et de promouvoir le développement d’outils créatifs pour attirer et servir la citoyenneté de Madrid11 ».
34Ces portails facilitent l’accès aux données publiques au travers de nombreux contenus éditoriaux et de réutilisations comme par exemple des datavisualisations et applications présentes dès la page d’accueil mais aussi par des rubriques spécifiques comme « Dernières réutilisations », « Applications », « Meilleures valorisations ». Dans cet esprit, le portail de Dublin propose « Smart Stories » une rubrique qui présente l’histoire de la création d’une application ou d’une visualisation en mettant l’accent sur les créateurs et les problèmes urbains auxquels de telles réutilisations peuvent remédier.
35Les thématiques des données et des réutilisations proposées dès la home concernent principalement les démarches quotidiennes des citadins et les installations communales, comme sur le portail rennais : données sur les déchets collectés, fréquentation des bibliothèques, disponibilité des vélos en libre-service ou budget de la ville.
- 12 « Where can you find information on noise levels in the city? Or locations to lock your bike? Learn (...)
- 13 « Tu ciudad más cerca. Gracias a nuestra plataforma de datos abiertos podrás encontrar todos los da (...)
- 14 « Get involved », « Colabora ».
36Les portails sélectionnés s’inscrivent dans la culture numérique de la mobilité urbaine par une mise en page de type smartphone privilégiant les applications et les icônes cliquables, accompagnées de quelques mots s’adressant directement à l’usager-habitant de la ville : « Où pouvez-vous trouver des informations sur les niveaux de bruit dans la ville ? Où pouvez-vous attacher votre vélo ? Découvrez où vous vivez, travaillez et jouez en utilisant les données ouvertes de Dublin12 ». La relation de proximité, quasi affective avec l’usager-habitant est une constante afin de l’impliquer dans l’action : « Ta ville plus proche. Grâce à notre plate-forme de données ouverte, tu peux trouver toutes les données de Madrid dont tu as besoin pour ton projet13 » ou « Ces données sont les vôtres » (Bruxelles). D’ailleurs, l’énonciation des portails de type 4 s’appuie souvent sur ces formes d’adresse impliquant l’usager par l’impératif : « Consultez librement », « modifiez et re-publiez librement » ou « découvrez l’un de nos 534 jeux de données ouvertes ! » (Bruxelles). Si les discours d’accompagnement de ces portails invitent à la participation et l’interaction, la rhétorique de la participation et de la co-création se manifeste aussi à travers le rubricage qui la valorise « Impliquez-vous » (Dublin) et « Collabore » (Madrid)14. Ces rubriques offrent différentes modalités de participation allant de l’exploration des données grâce à des outils mis à disposition jusqu’à la participation à des ateliers visant la réutilisation, car à la différence des autres types, ces portails de type 4 proposent des outils facilitant la réutilisation des données par les citoyens ou du moins par les non-professionnels. En effet, ils se révèlent co-construits (métropole, tissu local, citoyens) et formalisent quelques éléments concrets d’une smart city fondée sur les valeurs citoyennes. Ils favorisent les données « crowdsourcées », les actions citoyennes (co-voiturage, co-working, etc.) ou les partenariats avec les associations de makers et digital labs.
Tableau 4. Caractéristiques des PODM illustrant les idéaux-types d’empowerment
Visualisation des données ou jeux de données à télécharger
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Une visualisation pédagogique : les jeux de données sont représentés sous forme de visualisations graphiques, plus attractives et directement accessibles en cliquant dès la home
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Licences
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La licence CC BY autorise toute exploitation des données, y compris à des fins commerciales à condition d’indiquer leur producteur
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Thématiques
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Jeux de données, en lien avec le quotidien des habitants
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Profils
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Le citoyen au travers des associations, des communautés thématiques et actions qu’elles portent
Geeks (pour produire des applications)
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Applications
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Valorisation des applications et des réutilisations des données
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Dispositif éditorial
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Page d’accueil rappelant un « portail d’information » avec de multiples entrées thématiques et illustrations
Importance accordée à la dimension pédagogique (exemples ; guides ; tutoriels ; démos)
Différentes modalités d’interaction : forum, annonces d’événements, prolongements vers les réseaux socio-numériques
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Rhétorique
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Rhétorique de participation et de co-création
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PODM
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Rennes, Madrid, Bruxelles, Dublin
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URL
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https://data.rennesmetropole.fr/
https://datos.madrid.es/
https://opendata.bruxelles.be
https://data.smartdublin.ie/
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37Bien qu’elle soit nette, cette catégorisation ne doit pas se percevoir comme rigide. En effet, plus de dix ans ont passé maintenant depuis la directive PSI (Public Sector Information directive) et Inspire et la plupart des métropoles font évoluer leurs portails, et en proposent aujourd’hui une nouvelle génération. Le meilleur exemple est d’abord Rennes, une des premières métropoles à se mobiliser autour de l’OD dans le droit fil du type1 (OD), pour vérifier aujourd’hui le type 4 (empowerment), puis Lyon qui propose sa troisième version du portail en passant du type 2 (smart city) au type 3 (ville créative). De plus, le premier type, marqueur de la genèse de l’OD tend à disparaître au profit des trois autres car il avait un caractère promoteur et conjoncturel. Rennes, Montpellier et Lyon entrent dans ce mouvement qui transforme complètement les interfaces, les intitulés et le positionnement de leurs portails OD. D’où l’intérêt d’une étude longitudinale systématique qu’il faudrait envisager sur la base des éléments caractéristiques du positionnement de chaque type, synthétisés ci-après.
Tableau 5. Typologie des portails OD
Idéaux-types
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Open data
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Smart city
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Ville créative
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Empowerment
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Ligne de conduite
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Transparence
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Services/innovation
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Créativité
City branding
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Makers/DIY(Do it Yourself)
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Acteurs dominants et relation
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Métropole
Réseau homogène
Intéressement minimaliste
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Alliance
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Métropole
Réseau hétérogène d’acteurs économiques du territoire
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Plusieurs acteurs
Réseau hétérogène
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Données valorisées
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Données de terrain (localisation, heures d’ouvertures, événements, données administratives)
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Données des transports et de l’économie
(temps réel + formats variés)
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Diversité de thématique en fonction d’actualité
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Données du quotidien
Données « crowdsourcées »
Évolution des jeux de données
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Objectifs
déclarés
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Accessibilité de l’information publique
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Création des services innovants
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Développement économique
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Participation
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Public
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Large, non défini d’une manière spécifique
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Développeurs
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Classe créative/acteurs économiques
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Citoyens
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Exemple de portails
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Turin, Paris, Berlin
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Bordeaux, Montpellier, Copenhague
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Lyon, Londres
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Rennes, Madrid, Bruxelles, Dublin
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38En définitive, les PODM ressemblent de moins en moins à des catalogues de données ouvertes car ils ont aujourd’hui pour ambition de proposer une offre généraliste et de devenir familiers à tout citoyen à partir de contenus éditoriaux, d’interfaces ergonomiques, souvent en lien avec les grands réseaux sociaux. Ces repositionnements et les tensions qu’ils expriment entrent en résonnance avec l’évolution des discours sociopolitiques sur l’OD (Goëta, 2016) et sur les villes intelligentes (Courmont, 2016). En effet, au milieu des années 2000, ces discours soulignaient la valeur économique des données et leur capacité à stimuler l’innovation entrepreneuriale, territoriale de préférence. Les portails étaient alors un adjuvant fort à l’entrée dans une « économie numérique ». Aujourd’hui, ce sont les discours sur les villes intelligentes ou créatives qui se réfèrent le plus souvent aux actions urbaines des collectivités territoriales (Picon, 2016), elles-mêmes soutenues par l’usage des technologies intelligentes et des objets connectés (Caragliu, 2011). Si la présence de la composante informationnelle et technologique fait à peu près consensus, les objectifs sont diversement atteints par chaque métropole.
39L’existence de différents types de portails OD montre que seules certaines « qualités » sont retenues par la métropole en tenant compte des caractéristiques contextuelles, conjoncturelles et des ambitions de son territoire. Ces qualités résultent d’un choix ou d’une négociation plus ou moins équilibrée entre les communes de la métropole et la ville éponyme, les acteurs territoriaux et la métropole, la métropole et les résidents : in fine, les interfaces et fonctionnalités des portails les formalisent.
40Autrement dit, les portails ne se ressemblent pas et ne traduisent pas les mêmes compromis ou alliances : « Le critère essentiel de l’analyse devient l’intérêt des différents groupes d’acteurs » (Bardini, 1993 : 370). Comme notre enquête de terrain le confirme « le portail de données ouvertes fonctionne au sein d’un mouvement paradoxal » (Chief Data Officer métropolitaine) car il centralise toutes les données ouvertes des communes et des acteurs publics de la métropole, ce qui en fait un outil stratégique que « finalement personne ne maîtrise vraiment ». Il est le point de convergence d’un très grand nombre d’acteurs qui interviennent dans des registres différents, compartimentés et complémentaires. Le PODM relève donc de plusieurs objectifs, celui de la fourniture des données elles-mêmes ; celui de leur visualisation et celui de leur exploitation. Mais la plupart des directions et services administratifs ou communes de la métropole qui abondent au portail ne sont en fait concernés que par le premier : fournir des jeux et les actualiser. Pourtant, « la donnée, ce n’est pas suffisant, il faut aussi les moyens de l’interpréter […] et éventuellement des rapports sur l’utilité de ces données pour pouvoir vraiment les mettre en contexte » (chargé de mission mobilité et déplacement doux d’une métropole).
41L’OD relève bien des stratégies politiques des acteurs territoriaux et pas seulement d’un choix technique encadré par le pouvoir législatif. En effet, les PMOD montrent les voies empruntées par ces acteurs qui tentent de concilier les injonctions politiques, économiques et sociales. Leur structure, leurs interfaces et leurs contenus éditoriaux traduisent de nombreuses tensions, entre les usages professionnels ou des usages citoyens, entre les enjeux économiques et les enjeux sociopolitiques, entre la technicité de certains formats et la présence d’outils didactiques.
42Nos analyses montrent que les métropoles sont loin d’avoir trouvé un modèle dominant de diffusion et de valorisation de données mais qu’elles ont cependant défini leurs stratégies d’ouverture en déterminant les formats, les licences et les moyens de mise à disposition des données publiques en fonction des publics et des objectifs visés, mais aussi en lien avec leur propre vision stratégico-politique du développement.
43L’OD s’incarne ainsi tout autant dans l’amélioration des services aux citoyens et de la qualité de vie que dans l’accroissement de la productivité, la compétitivité et la croissance économiques ou encore dans une réponse aux enjeux de développement durable et de résilience urbaine. Comme le résume un Chief Data Officer : « Dans le mode de gouvernance auquel nous réfléchissons, la Métro qualifierait les données et serait un prestataire de services fédérateur et intermédiaire pour atteindre trois objectifs pérennes : développer de l’emploi sur le territoire, encourager et accompagner la croissance, et maintenir ou augmenter la qualité de vie. »
44Ainsi les PMOD se trouvent-ils au croisement de trois transformations en puissance : la numérisation et la virtualisation du territoire comme de ses flux ; la transformation de la ville en smart city voire l’accession au statut de ville créative. Mutations et actions qui les rendent incontournables tant pour la prise de décision que pour la production d’indicateurs.