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Les changements dans la gestion publique en France

25 ans de réformes comptables au service du management public

25 years of accounting reforms at the service of public management
Evelyne Lande et Sébastien Rocher
p. 149-160

Résumés

Cet article propose une synthèse des évolutions de la comptabilité publique depuis 25 ans en France, de la refonte du plan comptable général en 1982 à la réforme de la comptabilité publique locale dans les années 1990 et à l’introduction de la Loi organique relative aux lois de finances (Lolf) en 2001 au niveau de l’Etat. L’application de la Lolf marque le passage d'un système comptable basé sur la comptabilité de caisse et centré sur les autorisations budgétaires à un système qui s’appuie sur la comptabilité financière, le concept d’image fidèle et la certification des comptes. Un tel changement implique nécessairement des modifications profondes au niveau du management public. L’exemple de l’application de la Lolf au Ministère de la Justice et, plus précisément, les incidences sur la chaîne de la dépense, illustrent ce phénomène.

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Texte intégral

Introduction

  • 1  Les établissements publics en 1983, l’Etat en 1988, les établissements publics locaux du secteur h (...)

1Dans le respect des dispositions de l’article 52 de la loi du 29 décembre 1962 qui dispose que la comptabilité des organismes publics s’inspire du Plan Comptable Général (PCG), la refonte du PCG en avril 1982 a été à l’origine d’un vaste mouvement de réforme des cadres comptables des entités publiques au cours des années 1980, qu’il s’agisse de l’Etat ou des collectivités territoriales1.

  • 2  Instruction budgétaire instituée par la loi n° 94-504 du 22 juin 1994 et appliquée depuis le 1er j (...)

2Toutefois, il faut attendre le milieu des années 1990 pour voir apparaître une réforme en profondeur de la comptabilité publique, avec l’application de l’instruction budgétaire et comptable M142 pour les communes, puis le début des années 2000 et l’adoption de la Loi organique relative aux lois de finances (Lolf) par l’Etat, qui va asseoir le passage d'un système comptable basé sur la comptabilité de caisse et centré sur les autorisations budgétaires, à un système intégrant une gestion du patrimoine public et basé sur les concepts d’engagement et de rattachement des charges et des produits aux exercices auxquels ils se rapportent.

3Ces transformations progressives de la comptabilité publique en France répondent à des besoins forts d’évolution de l’information financière des organisations publiques au service du management des organisations publiques.

  • 3  Comme le souligne Watine (1995, p. 502), « on fait souvent l’amalgame entre les techniques comptab (...)

4Cet article propose, dans une première partie, une synthèse des évolutions de la comptabilité publique3 depuis 25 ans en France, de la refonte du plan comptable général en 1982 à la réforme de la comptabilité publique locale dans les années 1990 et à l’introduction de la Lolf en 2001 au niveau de l’Etat. La deuxième partie de l’article présente la métamorphose du management public qui est issue de l’application de la Lolf, au travers des évolutions de la chaîne comptable et de la rationalisation des dépenses au sein du Ministère de la Justice.

L’évolution de la comptabilité publique en France

5Bien que les réformes successives de la comptabilité publique locale et nationale répondent à deux logiques différentes et à deux époques différentes, elles n’en restent pas moins fortement liées (Adans, 2006).

La réforme de la comptabilité publique locale dans les années 1990

  • 4  Auparavant, seuls les Caisses d’épargne, le Crédit agricole, le Crédit local de France et la Caiss (...)

6Au-delà de l’adoption d’un nouveau plan comptable au début des années 1980, deux raisons justifient la réforme du cadre comptable des collectivités territoriales. D’une part, les lois de décentralisation de 1982-1983 ont entraîné de nouvelles responsabilités pour les collectivités locales et une autonomie politique des échelons territoriaux. Celle-ci est encadrée financièrement jusqu’à la loi Chevènement en 1985 qui marque la libération du crédit dans le secteur public et, en 1987, la suppression des taux bonifiés qui a ouvert le marché des collectivités locales aux banques commerciales4. Sous l’action combinée de l’accroissement des compétences confiées aux collectivités territoriales et de la libéralisation des moyens de financement, l’utilisation d’outils comptables plus élaborés est apparue incontournable (Mariel et Moraud, 1994). D’autre part, l’émergence de scandales financiers de collectivités locales à la fin des années 1980, dont les cas des villes d’Angoulême et de Briançon constituent les exemples les plus emblématiques, a contribué à accélérer les mouvements de réforme des comptabilités publiques.

7Ces deux éléments ont conduit, dans un premier temps, à l’adoption de la loi d’orientation du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République qui étoffe notamment l’information financière présentée par les collectivités locales puis, dans un deuxième temps, à la rénovation des instructions budgétaires M11 et M12, remplacées par l’instruction comptable M14 en 1994. Au-delà du rapprochement des nomenclatures entre comptabilité privée et comptabilité publique, les principaux apports de cette nouvelle instruction comptable résident dans l’introduction :

  • - du concept de patrimoine, la M14 rendant obligatoires, pour les communes de plus de 3 500 habitants, les dotations aux amortissements (auparavant facultatives en M12) ;

  • - du concept d’engagement, avec l’obligation pour les communes de comptabiliser les opérations dès leur engagement et non plus lors du mouvement de caisse correspondant à l’opération. Ce mécanisme entraîne notamment le rattachement à l’exercice concerné des charges et produits comptabilisés d’avance, des charges et produits à recevoir et des intérêts courus non échus ;

  • - le concept de résultat comptable.

8L’adoption de la M14 constitue ainsi un tournant majeur pour la comptabilité publique, qui est passée d’un système de comptabilité de caisse modifiée à un système de comptabilité d’exercice qui a permis, d’une part, l’établissement d’états financiers intégrant des éléments de gestion patrimoniale et, d’autre part, de dépasser une gestion budgétaire uniquement fondée sur les encaissements et les décaissements.

9La réforme de la comptabilité publique s’est poursuivie en 2003 par le remplacement de l’instruction budgétaire et comptable M51, appliquée alors par les départements et les régions, par l’instruction M52 applicable aux départements et par l’instruction M71 applicable aux régions. Comme avec l’adoption de la M14, l’objectif du passage de la M51 à la M52 et à la M71 était d’améliorer la vision patrimoniale des comptes des départements et des régions. Certains dispositifs comptables, tels le provisionnement, l’amortissement et le rattachement des charges et des produits, ont ainsi été introduits.

10Il faut toutefois préciser que la réforme de la comptabilité publique locale est fondée sur un système « moniste » caractérisé par l’imbrication des principes comptables et des principes budgétaires et par la primauté donnée à ces derniers au détriment de la recherche de l’exhaustivité et de la sincérité comptable. Ce mécanisme, s’il présente de nombreux avantages, comme en témoignent les bonnes situations financières des collectivités locales françaises dans leur grande majorité, conduit le management public à être ancré dans une approche budgétaire annuelle et soulève de nombreux problèmes techniques liés par exemple aux limites de l’application des règles comptables internationales pour la comptabilisation des partenariats public-privé par exemple (Manoukian, 2008 ; Deck, 2008).

La réforme de la comptabilité de l’Etat dans les années 2000

11La comptabilité de l'Etat a largement été déterminée par des facteurs historiques et culturels forts. La tradition de centralisation ou bien encore la lutte contre la fraude sont notamment à l’origine d’une comptabilité encadrée par des principes budgétaires. Certes, cette référence au budget est un gage quant au respect des autorisations accordées par le Parlement. Toutefois, avec le développement d’opérations financières complexes, l’accroissement de la dette de l'Etat, la participation de la France à l’Union économique et monétaire ou encore l’adhésion à l’euro, et la nécessité de publier des comptes de la nation (notion plus large que la comptabilité de l'Etat) qui soient homogènes par rapport à ceux des autres pays membres, la comptabilité de l'Etat ne doit plus seulement servir de contrôle à l’exécution budgétaire.

12Certes, depuis 1988, la comptabilité de l'Etat français permet de publier un résultat patrimonial et non plus seulement un solde de l’exécution budgétaire. En effet, jusqu’à la réforme réalisée en 1987, dans le cadre du plan comptable de l’Etat tel que défini en 1970, la description du patrimoine de l’Etat en comptabilité générale ne portait que sur les éléments financiers de celui-ci, à l’exclusion de tout élément physique (Berthier, 1990 ; Saïdj, 1993). Par ailleurs, depuis cette date, le plan de compte de l'Etat a été rapproché de la nomenclature du PCG.

13Cependant, à la fin des années 1990, le système comptable de l’Etat français apparaît dépassé, ne répondant plus aux exigences d’informations comptables et financières des décideurs et ne satisfaisant plus aux critères d’efficacité de la gestion de la dépense publique. Ce constat est notamment dressé par les sénateurs A. Lambert et P. Marini (2000, p. 150) :

« L’Etat, à la différence d’une entreprise privée mais aussi d’une collectivité territoriale, ne dispose pas d’une comptabilité qui lui permette de connaître sa réalité financière de façon précise, ce qui démontre un certain archaïsme. La comptabilité de l’Etat, en effet, est une comptabilité de caisse, qui privilégie le suivi des opérations budgétaires, c'est-à-dire que seuls sont appréhendés les décaissements et les encaissements. Ce cadre comptable permet de connaître avec précision l’exécution de la dépense au niveau des chapitres budgétaires, et fournit ainsi une information indispensable au Parlement. Toutefois, il rend très délicate la description du patrimoine de l’Etat. En effet, faute d’une comptabilité en droits constatés, l’ensemble des opérations du trésor ne figure pas au budget de l’Etat, qui n’a ni compte de bilan, ni raisonnement en termes d’actif et de passif. L’Etat ne dispose ni d’une comptabilité patrimoniale, ni d’une comptabilité d’engagement, ni d’une comptabilité analytique : ses prévisions ignorent ainsi, par exemple, les notions de provision et d’amortissement, ce qui a de graves conséquences. Lorsque des investissements sont réalisés, le fonctionnement n’est pas prévu, le renouvellement n’est pas envisagé et l’amortissement n’est pas pris en compte. »

  • 5  Comme le souligne Lamiot (2006, p. 7), « alors que l’ordonnance du 2 janvier 1959 ne contenait que (...)

14En 2001, la Loi organique relative aux lois de finances (Lolf), qui remplace l’ordonnance de 1959, constitue une métamorphose radicale du cadre comptable de l’Etat5. La Lolf prévoit ainsi, dans son article 27, que « les comptes doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle de son patrimoine et de sa situation financière ». L’article 30 prévoit la constatation des droits et obligations, c'est-à-dire la prise en compte des opérations à l’engagement qui permet le rattachement des charges à l’exercice lors duquel elles sont nées, en dehors de considérations des encaissements et des décaissements. En outre, l’introduction de la Lolf a profondément modifié le cadre comptable et le système d’information de l’Etat au travers de l’introduction de la comptabilité d’exercice, distincte de la comptabilité budgétaire et d’une comptabilité de gestion fondée sur l’analyse des coûts et l’évaluation de la performance.

15Dès lors, ce nouveau cadre comptable offre la transparence d’une situation patrimoniale enrichie avec l’identification et la valorisation des immobilisations, la prise en compte des stocks, la comptabilisation des risques potentiels et la vision des charges futures. Cette transparence favorise une meilleure connaissance de la situation financière de l’Etat et constitue également un outil de pilotage grâce à une meilleure connaissance des coûts.

  • 6  Sans tenir compte des facteurs politiques, culturels et organisationnels qui ont entouré le dévelo (...)
  • 7  En gras dans le texte original.

16Deux éléments majeurs ont favorisé et conditionné cette réforme6. Le premier est la transformation de la comptabilité publique locale. Comme le souligne Lambert (2000, p. 50) : « La France a procédé, au cours des dernières années, à la réforme de la comptabilité des établissements publics et des collectivités locales. La comptabilité de l’Etat apparaît désormais comme la plus « frustre » de toutescelles appliquées par les administrations publiques françaises7. La réforme de l’Etat tant attendue implique donc que celui-ci sorte de « l’ornière comptable » dans laquelle il se trouve depuis près de 40 ans ».

17Le second est la prise en compte des évolutions de la normalisation comptable internationale faisant suite aux scandales financiers qui ont agité la sphère privée (Enron, Worldcom, Parmalat…). En effet, ces scandales comptables ont remis en cause les normes comptables nationales et la pratique de « shopping » comptable consistant à prendre des normes appartenant à des référentiels comptables différents. En réaction à ces scandales et ces pratiques comptables, il est apparu nécessaire de promouvoir un référentiel normatif commun, ce qui a assuré la légitimité des normes comptables internationales de l’IASB (elles existaient depuis les années 1970 mais n’avaient jamais réussi à s’imposer jusqu’alors comme un référentiel crédible par rapport aux référentiels nationaux). C’est ainsi que le PCG a ainsi profondément été réformé pour intégrer une partie des normes internationales et que les grands groupes cotés ont eu l’obligation d’utiliser les normes comptables internationales à compter de 2005.

18Or, la comptabilité publique doit faire référence au PCG donc intégrer les mutations affectant le PCG. En conséquence, lors de l’adoption de la Lolf visant à réformer la comptabilité de l’Etat, la conjonction était tout particulièrement favorable pour que l’Etat français se dote d’un système normatif faisant référence au PCG mais aussi aux normes comptables internationales. Ainsi, le Comité des normes de comptabilité publique en charge de la définition du référentiel normatif pour l’Etat français a publié un « Recueil des normes comptables de l’Etat », approuvé par arrêté du 21 mai 2004, qui vise à parvenir à une comptabilité en droits constatés et assurer une description du patrimoine de l’Etat.

19L’introduction de la Lolf et les transformations comptables qu’elle véhicule ont eu un impact important sur le management des organisations publiques auxquelles elles s’appliquent. En effet, l’introduction de la Lolf a profondément modifié l’information à la disposition des gestionnaires de crédit et donc à influencé leur stratégie d’action. La partie suivante en propose un exemple dans le cadre de la maîtrise des frais de justice et la transformation de la chaîne comptable du Ministère de la Justice.

Les conséquences de l’introduction de la Lolf : l’exemple de la chaîne comptable de la dépense du Ministère de la Justice8

  • 8  Pour une présentation synthétique des incidences de la Lolf dans l’institution judiciaire, notamme (...)

20L’implantation de la Lolf au sein du ministère de la Justice a suscité de nombreuses interrogations, voire de franches réactions d’hostilités, de la part des magistrats qui ont vu dans la mise en place de la comptabilité d’exercice un risque quant à leur liberté de prescription (du Luart, 2005). Pour comprendre les enjeux sous-jacents à l’introduction de la Lolf, il est nécessaire au préalable de décrire le système tel que défini par l’ordonnance de 1959 et les risques que la chaîne de la dépense faisait supporter, pour ensuite mettre en avant les enjeux de la réforme et présenter le retour de l’expérience vécue au sein du ministère de la Justice.

La chaîne de la dépense avant la réforme de la Lolf

21Avant la réforme de l’ordonnance de 1959, la chaîne de la dépense soulevait deux types de difficultés majeures.

22Premièrement, il existait trois niveaux de crédits au sein du ministère de la Justice, définis par les articles 9, 10 et 11 de l’ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances.

  • - Les crédits limitatifs, qui correspondent aux dépenses parfaitement définies dans leur objet et leur montant, par exemple le coût des dépenses d’entretien des locaux d’un tribunal.

  • - Les crédits provisionnels, permettant de couvrir les dépenses incertaines. Par exemple, il n’est pas possible de prévoir à l’avance le nombre de détenus dans les établissements pénitentiaires car cela dépend des décisions de justice qui sont prises au cours de l’année. Ces crédits provisionnels pour le ministère étaient abondés en cours d’année en cas de dépassements.

  • - Les crédits évaluatifs qui permettaient le paiement des dépenses sans limitation des crédits car ils couvraient des dépenses non prévisibles telles que l’aide juridictionnelle accordée de droit à tout citoyen en faisant la demande et n’ayant pas les ressources financières pour faire face au coût d’un procès. Autre exemple, on ne peut pas déterminer à l’avance combien il y aura d’autopsies demandées au cours d’une année ou le nombre de journées d’écoutes téléphoniques… A l’inverse, des crédits provisionnels qui ne pouvaient être ordonnancés que dans la limite des crédits ouverts au budget (avec toutefois des possibilités d’octroi de crédits supplémentaires si, en cours d’année, ils se révélaient insuffisants), les chiffres inscrits au budget n’étaient qu'une indication qui pouvaient être dépassée sans autorisation préalable du législateur.

23Ainsi, en fonction de la nature de la dépense, les règles budgétaires applicables différaient et aucun pilotage ne semblait envisageable quant à la gestion des enveloppes budgétaires du fait de la présence de dépenses incertaines liées aux décisions de justice des magistrats. La Cour des comptes relevait ainsi dans son rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l’Etat pour l’année 2006 que les frais de justice étaient en forte croissance de 1999 (231,2 M€) à 2005 (495,4 M€).

24La deuxième difficulté était liée au contrôle et au suivi de la chaîne de la dépense car, dans le cas du ministère de la Justice, ce n’est pas l’ordonnateur qui prend la décision d’engager la dépense mais le magistrat. Par ailleurs, c’étaient les magistrats qui validaient le service fait. Comme l’ordonnateur n’intervenait que postérieurement à la validation du service fait, il n’était pas possible de procéder à un contrôle financier ou comptable de la dépense ni d’en mesurer les risques induits à la clôture de l’exercice du fait d’une absence de visibilité sur le montant des engagements pris et sur les charges à payer, la validation des services faits n’étant pas de la responsabilité de l’ordonnateur.

25Or, l’importante dérive haussière constatée en matière de frais de justice et la mise en place annoncée de la Lolf nécessitaient une réflexion en profondeur sur la maîtrise des frais de justice (sur ce sujet, voir notamment du Luart, 2005 ; Marshall, 2006, 2008). D’un point de vue comptable et managérial, le système en place présentait de nombreuses limites, notamment en l’absence de tout pilotage de la dépense (dépassement des crédits) et en matière d’identification des montants en cause puisqu'aucune évaluation en fin d’exercice des charges à payer ou des engagements n’était réalisée, ces dépenses étant essentiellement générées au niveau des services déconcentrés (les tribunaux), ce qui complexifiait l’identification des engagements pris et le suivi de leurs incidences comptables.

L’introduction de la Lolf ou le « choc de la limitativité »

26L’introduction de la Lolf au sein du ministère de la Justice s’est traduite par la suppression des crédits provisionnels et évaluatifs : désormais, le ministère doit gérer l’ensemble de ses dépenses en crédits budgétaires limitatifs. Est-ce à dire que la nature des dépenses du ministère de la Justice doit évoluer et que les magistrats n’ont plus leur liberté de décision dans le choix des sanctions pénales ou des moyens d’un procès, ou, en d’autres termes, leurs décisions doivent-elles être conditionnées par les crédits disponibles ? C’était la crainte majeure que les magistrats ont relayée auprès du Garde des sceaux, demandant même une exception dans l’application de la Lolf, cette dernière ne pouvant pas s’appliquer à la justice du fait de la particularité de ses missions, de l’indépendance de la magistrature et de la liberté de prescription des magistrats (du Luart, 2005).

27Il a donc fallu au contrôleur budgétaire et comptable ministériel et au secrétaire général du ministre de laJjustice, démontrer, d’une part, que les spécificités du ministère de la justice étaient conciliables avec l’introduction de la Lolf et notamment l’extension du principe de crédits limitatifs à l’ensemble des dépenses et, d’autre part, qu’il est nécessaire de maîtriser la chaîne de la dépense. Cet effort pédagogique s’est fait à deux niveaux.

28Premièrement, la démonstration a porté sur les avantages d’une rationalisation de la dépense. Ainsi, lorsqu’une expertise était demandée en matière d’empreinte génétique, le magistrat ne se préoccupait pas du coût de l’expertise qui pouvait dans certains cas varier entre 30 et 300 euros. Avec l’extension de la limitativité des crédits, les magistrats ont dû se préoccuper du coût des actes demandés, non pas pour limiter le nombre de prescriptions, mais pour respecter l’enveloppe budgétaire attribuée. L’« évaluation » de l’expertise demandée en terme de coûts induits et d’avantages retirés s’est ainsi progressivement imposée : est-ce que l’avantage ou le complément d’information obtenu justifie le coût de la dépense ? En parallèle, des procédures de maîtrise des dépenses ont également été mises en place au travers d’appels d’offres et de marchés publics sur plusieurs prestations avant de diminuer le coût de celles-ci puisque, pour une prestation de même qualité, le coût pouvait varier de manière significative suivant le prestataire.

29La liberté de prescription du magistrat reste donc pleine et entière mais la rationalisation de la dépense et de la demande a permis de réduire de 22 % les dépenses en 2006 par rapport à 2005.

Source : Lottin et Hordé, 2008

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Conclusion

30L’information comptable n’est pas neutre quant aux stratégies d’actions des acteurs. C’est un élément essentiel de prise de décision et c’est en même temps un moyen de structuration des stratégies. Or, il est symptomatique de remarquer qu’au niveau local, les outils d’information se situent principalement à l’échelon communal alors que de plus en plus de décisions doivent être prises à l’échelon intercommunal. Ainsi, en l’absence d’outils d’information, les stratégies ont du mal à émerger, ne favorisant pas un management public efficient et efficace. Si, dans les années 1990, le secteur public local avait pris de l’avance avec la M14 par rapport à l’Etat, il accuse maintenant un retard.

31C’est en cela que l’étude de l’évolution de la comptabilité publique en France depuis le début des années 1980 est intéressante car, à l’instar de nombreux pays, les évolutions comptables sont d’abord survenues au niveau local puis au niveau étatique. L’étude comparative des systèmes comptables européens et des réformes comptables menée par Jones et Lüder (2003) met en évidence que ce phénomène se retrouve au niveau européen, les échelons territoriaux étant plus sensibles aux changements, qui interviennent sur des délais plus courts.

32Toutefois, dans le cas français, si la comptabilité publique locale a été la première à être réformée, il n’en reste pas moins que la mise en place de la Lolf au niveau de l’Etat a constitué un véritable tournant en matière de comptabilité publique et de management public, au point où l’on s’interroge actuellement sur la transformation de la comptabilité publique locale et la possible création d’une « Lolf » pour les échelons territoriaux.

33En outre, au-delà des modifications comptables, cet article met en évidence que si les apports de la Lolf résident dans l’évolution du cadre comptable de l’Etat, ce dernier implique une modification de la culture, de l’organisation et de la philosophie de la gestion publique.

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Bibliographie

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Notes

1  Les établissements publics en 1983, l’Etat en 1988, les établissements publics locaux du secteur hospitalier en 1988, les organismes du secteur HLM en 1989 et, à partir de 1990, les services publics locaux à caractère industriel et commercial ainsi que les communes et leurs groupements en 1994.

2  Instruction budgétaire instituée par la loi n° 94-504 du 22 juin 1994 et appliquée depuis le 1er janvier 1997 par les communes et leurs groupements.

3  Comme le souligne Watine (1995, p. 502), « on fait souvent l’amalgame entre les techniques comptables elles-mêmes et les réglementations diverses et variées qui sont édictées par les différentes autorités administratives et au respect desquelles le comptable a pour mission de veiller. […] Quand on parle de la modernisation de la comptabilité publique, on parle en vrac, […] à la fois d’évolution de règles budgétaires, de règles concernant la Fonction publique, de règles concernant la commande publique par exemple, et pas seulement de règles concernant les techniques comptables elles-mêmes. […] L’une des conditions d’un débat sain, correct et riche sur la modernisation des techniques de gestion de l’Etat suppose que l’on puisse segmenter les problèmes ». Dans le cadre de cet article, seuls les aspects comptables sont abordés dans la première partie de cet article, abstraction faite de toutes évolutions budgétaires et organisationnelles qui les ont accompagnées.

4  Auparavant, seuls les Caisses d’épargne, le Crédit agricole, le Crédit local de France et la Caisse des dépôts et consignations pouvaient prêter aux collectivités locales.

5  Comme le souligne Lamiot (2006, p. 7), « alors que l’ordonnance du 2 janvier 1959 ne contenait que très peu de dispositions d’ordre comptable renvoyant, selon les termes de son article 45, à des décrets le soin de préciser « la présentation comptable du budget général… et le plan de compte de l’Etat », la loi organique comporte en revanche de nombreux articles qui, totalement ou partiellement, font ressortir l’importance de sa dimension comptable ».

6  Sans tenir compte des facteurs politiques, culturels et organisationnels qui ont entouré le développement de cette réforme. Sur ce point, voir notamment Potier et Tomarchio, 2008.

7  En gras dans le texte original.

8  Pour une présentation synthétique des incidences de la Lolf dans l’institution judiciaire, notamment sur les aspects budgétaires et administratifs non abordés ici, voir notamment Vaillant, 2006 ; Fontana, 2006.

9  « Des actions engagées en 2006 pour réaliser des économies sur certains types de frais ont permis de faire en sorte que les dépenses engagées à ce titre en 2006 (379,4 M€) dépassent à peine la dotation initiale (370,1 M€) » ; Cour des comptes, Rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l’Etat pour l’année 2006, p. 128.

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Table des illustrations

Légende Source : Lottin et Hordé, 2008
URL http://journals.openedition.org/pmp/docannexe/image/1065/img-1.png
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Pour citer cet article

Référence papier

Evelyne Lande et Sébastien Rocher, « 25 ans de réformes comptables au service du management public »Politiques et management public, Vol. 26/3 | 2008, 149-160.

Référence électronique

Evelyne Lande et Sébastien Rocher, « 25 ans de réformes comptables au service du management public »Politiques et management public [En ligne], Vol. 26/3 | 2008, mis en ligne le 13 mai 2011, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/pmp/1065 ; DOI : https://doi.org/10.4000/pmp.1065

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Auteurs

Evelyne Lande

Professeur des Universités - IAE-Université de Poitiers

Sébastien Rocher

Maître de conférences - IAE-Université de Poitiers

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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