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Le cheval à bascule, cheval de Troie ? La politique de la famille entre modèle américain et « social libéralisme »

Susan Finding
p. 133-155

Résumé

La nouvelle donne en matière de politique sociale au Royaume Uni se situe assurément dans le domaine de la politique familiale. Depuis son arrivée au pouvoir le New Labour a développé des mesures pour la garde d’enfant, introduit des aides financières nouvelles pour les familles, tenté de faciliter le retour à l’emploi de parents empêchés par leurs charges de famille, étendu le droit du travail pour inclure davantage les parents et lancé des comptes d’épargne pour chaque enfant né depuis 2002 auxquels l’Etat contribue.
Pour les besoins de la comparaison, on examinera les typologies de régime social établis par Esping-Andersen et Hutton. Un survol des politiques de la famille dans trois pays « modèles » : les Etats-Unis, la France et la Suède sera effectué.
Enfin, la politique familiale au Royaume Uni depuis 1990 sera étudiée à la lumière de la typologie comparatiste pour évaluer l’évolution cette politique sociale britannique et la place qu’occupe dorénavant le Royaume Uni sur l’échiquier social.

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Texte intégral

Les modèles de politique sociale et de politique de la famille outre-Atlantique et outre-Manche

1Interviewé à la radio française (Europe 1, le 2 mai 2005) au lendemain des élections législatives de 2005 au Royaume Uni, le député travailliste et ancien ministre pour l’Europe, Denis McShane, déclarait que la politique dite « Active work » était inspirée en grande partie par le modèle scandinave, et à un degré moindre, le Canada et l’Australie. En dernier lieu il citait les Etats-Unis. Lorsqu’en France on parle de modèle anglo-saxon ou américain, il s’agit en général d’un repoussoir et d’un système où l’économie prime sur le social, où le bien-être des citoyens relève de l’individu et non de l’Etat, où la protection sociale est minimale voire inexistante. Le Royaume-Uni est perçu soit comme un apôtre du libéralisme économique à intervention sociale réduite (Hantrais, 2004 : 209) soit comme un curieux mélange d’étatisme et de libéralisme, un hybride (Clarke, 2001 : 148) au sein de l’Europe qui menacerait les acquis sociaux européens. Pour certains le Royaume Uni serait la courroie de transmission d’un néo-libéralisme social qui se dessinait outre-Atlantique bien avant le retour au pouvoir des Républicains en 2000. (King, Wickham-Jones, 1999) Pour juger du bien-fondé de ces points de vue, nous nous proposons d’examiner la politique de la famille au Royaume-Uni à l’aune des mesures prises en faveur de la famille et de la politique sociale dans les autres pays érigés en modèle : les Etats-Unis, la Suède et la France en nous appuyant sur le cadrage théorique proposé par deux analystes, le sociologue Esping-Andersen et le politologue Hutton.

  • 1  Où l’ « on admet que la famille est le centre normal des responsabilités en ce qui concerne les be (...)

2La typologie des Etats-providence proposée par Esping-Andersen, établie à la fin des années 1980 comporte une analyse des droits sociaux, de la redistribution des revenus et de l’articulation Etat/famille (caractérisée par sa nature « familialiste » ou, néologisme comparable à la « démarchandisation » du même auteur, la « défamilialisation »1) (Tableau 1). Selon l’analyse d’Esping-Andersen, il existe deux pôles – l’un anglo-saxon, l’autre scandinave- avec entre les deux un compromis de type « corporatiste » représenté par le modèle « européen » (Esping-Andersen, 1999 : 41-43).

Tableau 1 :Typologie des régimes sociaux selon Esping-Andersen (1990)

Régime de provision social

Valeurs

Outils

Buts

Articulation Etat/famille

Classes sociales

Exemples 

Résiduel

libéral

Stigmates de l’éthique du travail

Assistance, conditions de ressources

Renforcer l’économie de marché

Faible

Familialiste

Classes moyennes se méfiant de l’état

USA, Canada Australie

Corporatiste

conservateur

Droits sociaux liés à la classe sociale et au statut

Assurance privée avec le soutien de l’état

Renforcer la société civile, infléchir le marché

Moyenne

Valeurs tradition-nelles

Classes sociales maintenues mais stabilisées

Autriche, France, Allemagne, Italie

Universaliste

social -démocrate

Egalité, universalisme et niveaux de qualité élevés

État = 1ere soutien ; niveau d’aide élevé

Fusion entre bien-être et travail, le plein emploi

Forte

Défamilialisation

Classes moyennes attirées par l’Etat et non le marché

Scandinavie

3Là où l’Etat prend fortement en charge des responsabilités pour la famille, dans les régimes sociaux-démocrates, on relève des niveaux de qualité et d’aide à la famille élevés et le lien entre provision pour la famille et le plein emploi. Dans ces pays les classes moyennes adhèrent, non sans surprise, à l’intervention de l’Etat dans le domaine de la famille. A l’inverse, dans les pays de culture anglo-saxonne, on récuse cette intervention étatiste au sein de l’entité privée qu’est la famille. Le régime social et la politique de la famille renforcent l’économie de marché. L’octroi d’une aide, minimale, est conditionné et souvent stigmatisé. Entre les deux se trouvent, les pays européens à régime social corporatiste, géré conjointement par l’Etat et les corporations (syndicats, patronat) tels que la France et l’Allemagne. Tout en maintenant à la fois une place pour les services privés et la stratification sociale, le régime corporatiste et sa politique familiale évitent les écueils de l’économie de marché, et renforcent la société civile. Plus le lien entre l’état et la famille est fort, plus le régime social est égalitaire et universaliste, plus le lien est faible, plus l’individualisme et les inégalités dans le régime social mais aussi dans la société en général sont acceptés.

4Il existe une autre analyse : le schéma de Hutton, établi au milieu des années 90. (Tableau 2) Il identifie quatre modèles de régime capitaliste : le capitalisme américain, le capitalisme japonais, le capitalisme britannique et le capitalisme européen auquel Hutton juge nécessaire d’ajouter l’épithète « social », le distinguant d’office des trois premiers. (Hutton, 1996 : 282) On n’en retiendra que les critères concernant le système de protection sociale : les allocations sans condition de ressources, les allocations à condition de ressources, la corrélation entre la classe sociale et l’enseignement et le niveau d’assurance privée. De nouveau on constate une polarisation entre le régime social américain, à principe libéral, et le régime « européen » à principe corporatiste. Comme Hutton ne cherche pas à analyser les régimes sociaux proprement dits, il n’examine pas le cas des pays scandinaves. Selon tous ces critères, les Etats-Unis possède le niveau le plus élevé d’allocations à condition de ressources, de régime d’assurance privé, et d’accès à l’enseignement lié à l’appartenance à une classe sociale. A l’opposé, les pays européens en ont le niveau le plus faible. Par contre ils enregistrent un niveau élevé d’allocations sans condition de ressources. La politique familiale en va de même.

Tableau 2 : Typologie des régimes sociaux selon Hutton (1996)

Capitalisme américain

Capitalisme japonais

Capitalisme social européen

Capitalisme britannique 

Principe de base

Libéralisme

Corporatiste

Corporatiste

Mixte

Allocations sans condition de ressources

Bas

Moyen

Élevé

Moyen,

se détériorant

Allocations à condition de ressources

Élevé

Moyen

Bas

Moyen,

 en augmentation

Corrélation entre classe sociale et enseignement

Élevé

Moyen

Moyen

Élevé

Niveau d’assurance privée

Élevé

Moyen

Bas

Moyen,

en augmentation

5Malgré leurs critères différents, les typologies d’Esping-Andersen et de Hutton se recoupent.

  • 2  Le Japon, cité par Hutton comme exemplaire d’une forme de capitalisme et non comme modèle social, (...)

6Ce dernier différencie le Royaume Uni des autres modèles mais son analyse est basée sur des critères autres que la politique sociale qui ne nous concernent pas ici. L’instantané que Hutton a proposé en 1996 montrait le portrait d’un système de protection sociale au Royaume Uni à la fin des dix-huit ans de gouvernement conservateur. Aujourd’hui après presque dix années de politique New Labour, quel(s) modèle(s) semble(nt) le(s) plus pertinent(s) ? Le Royaume-Uni lui-même est-il un modèle ? Afin de pouvoir examiner la place de la politique de la famille au Royaume Uni sur ces deux grilles d’évaluation, que les deux analystes mettent en sous-catégorie de l’exemple nord-américain, un examen des politiques de la famille dans des pays modèles cités – États-Unis, France et Suède- s’impose.2

7Le modèle américain de politique familiale et d’intervention sociale,contre modèle pour certains, repose sur une vision de la société profondément ancrée dans un libéralisme économique et un individualismenon dénué d’un sens de la communauté et de l’entraide, mais foncièrement anti-étatiste. Lorsqu’on évoque « le modèle américain », il s’agit en général du libéralisme débridé, d’un système prohibitif d’assurance privée ouvert qu’aux classes aisées. Cependant l’assurance sociale (Social Security Act) introduite en 1935 qui faisait partie des mesures du « New Deal », politique sociale interventionniste, assurait une protection contre la perte d’emploi, la maladie et le handicap. Aussi « le New Deal était aussi social-démocrate que l’est la social-démocratie suédoise contemporaine ». (Esping-Andersen, 1999 : 43) L’extension de l’aide aux familles du projet de Grande Société de Johnson dans les années 60, réduit les conditions de l’aide et double le nombre de familles assistées (Aid to Families with Dependent Children). (Clarke, 2001 : 122) Pendant les années 80 les gouvernements de droite visent à réduire l’intervention de l’Etat, baissent les aides et le nombre d’assistés, et mettent en place une assistance à condition de ressources nouvelle, le « Workfare » : pour recevoir des allocations les bénéficiaires devaient démontrer leurs ressources physiques ou morales, en participant à des travaux d’utilité publique ou à une formation à l’emploi. On assiste de fait à un retournement de situation, où la guerre à la pauvreté devient une guerre à l’assistance (War on Welfare). Mettant en avant l’économie, l’inflexion des politiques sociales et la rhétorique en matière de responsabilité de la famille pour les siens, et non celle de l’Etat, le discours américain trouve un écho favorable au Royaume Uni.

8Le « middle way » de l’administration démocrate de Clinton était censé se situer entre l’économie de marché et un système public d’intervention. Paradoxe résultant d’une politique sociale formulée dans le contexte d’un néo-libéralisme économique, cette voie médiane ressemblerait plus à un tour de vis. En 1996 la Personal Responsibility and Work Opportunity Act, dont le titre est tout un programme, couronne cette politique. L’aide aux familles devient temporaire (Temporary Assistance for Needy Families) plafonnée à deux années par personne. La loi est considérée comme un tournant qui entérine un retour au modèle patriarcal de la famille et l’abandon de la diversification des formes de ménages. La législation permet à beaucoup d’Etats d’être plus rigides que ne le demande le texte fédéral, ouvrant ainsi la voie à des restrictions encore plus sévères : un plancher sur lequel les Etats peuvent s’appuyer, non pas auquel ils doivent se conformer. Cette politique fut ainsi qualifiée de « point culminant des attaques successives des néo-conservateurs et des néo-libéraux contre le système social depuis les années 70. » (Clarke, 2001 : 143) La politique de Clinton est ainsi décrite comme « conservatrice du point de vue fiscal ». (Clarke, 2001 : 139-140)

  • 3  OCDE, cité par Caramel L., "Plus ou moins généreux l’État-providence reste dominant dans les pays (...)

9Ainsi « le modèle américain » n’est pas immuable. Il y a néanmoins deux facteurs constants : la vision économique de la politique sociale – calcul du coût des interventions – et souci moral et moralisateur qui prend en compte les conséquences des aides à la famille, et leur retombées en termes d’effet sur la structure de la société et sur l’éthique du travail. Les similitudes avec les années 1997-2001 au Royaume Uni sont frappantes. Les programmes ‘workfare’ furent donnés en exemple comme le type même d’un nouveau style de ‘welfare’ où la responsabilité personnelle est associée à la responsabilité collective. Si on examine les mesures spécifiques concernant la famille aux États-Unis (Tableaux 3 et 4), on remarque que la typologie établie par Esping-Andersen et Hutton en matière de provision sociale, -à savoir, niveau élevé de la provision privée, niveau minime de l’intervention de l’Etat- se vérifie. La pré scolarisation des enfants est limitée avant quatre ans, les établissements d’accueil sont en majorité privés. Les frais sont pris en charge en grande partie par les parents. L’aide aux familles en services et en aides financières est réduite et représente une part infime, environ 3 % de l’ensemble d’une aide sociale déjà limitée (15 % du P.I.B. en 20013). Le modèle américain, libéral et individualiste, est confirmé. Reste à savoir jusqu’à quel point le Royaume-Uni s’y conforme.

Tableau 3 : Typologie des aides à la famille – garde d’enfant, congés et allocations

États-Unis

Royaume-Uni

France

Suède 

Garderies collectives

Statut établissement

Privé (68 %)

Mixte (établissements publics et établissements privés)

Public (70 %)

Public (86 %)

Financement Public

3 %- 22 %

Pour les bas revenus : 70 % du coût (plafonné à £175 pour un enfant et £300 pour deux)

70 %

86 %

Financement Privé (parents)

78-97 %

83 % de l’ensemble

30 %

17 % (1998)

Public concerné

30 % 0-5 ans (enfants des mères actives)

59 % des 3-5 ans

99 % des 3-4 ans

(à temps partiel)

24 % 0-3 ans

100 % 3-6 ans

75 % 1-5 ans (2000)

Garde à domicile

- nourrice

22 % enfants moins de 5 ans de mères actives – 85 % non agréées, et en majorité non déclarées

99 % des 3-4 ans

(à temps partiel)

par les parents ou autres

33 % des 0 à 3 ans des mères actives

- indépendantes 90 % ou salarié des collectivités 10 %

18 % des enfants de 0 à 12 ans

- salariés des municipalités à 99 %)

Congé parental

Congé naissance/adoption :

Individuel non rémunéré 12 semaines (entreprises 50 salariés min)

Federal Family Medical Leave Act 1993

Congé maternité :

16 semaines à 90 % du salaire (porté à 9 mois en 2007), forfaitaire (£106 semaine) les 20 semaines suivantes + 26 semaines non rémunéré. Ouvert au père à partir de 2007 au bout des 6 mois de congé maternité.

Congé paternité :

15 jours

Congé maternité :

16 semaines à 85 % du salaire brut (26 pour le 3e enfant).

Congé jusqu’aux 3 ans de l’enfant : forfaitaire (PAJ) - mère ou au père.

Congé paternité : 15 jours.

Congé maternité : 

50 jours avant la naissance. 18 mois : 75 % du salaire pendant 11 mois, puis forfaitaire. 360 jours jusqu’aux 8 ans de l’enfant - mère ou père (30 jours chacun minimum)

Congé paternité : 10 jours à la naissance.

Congé parental pour enfant malade

Idem.

13 semaines par enfant

3 jours rémunérés par an et 4 mois sans solde

60 jours sans solde

 % PIB alloué aux aides à la famille 1998 (1980)

Services

Allocations

0.2 (0.5)

0.3 (0.3)

0.5 (0.5)

1.7 (1.8)

1.2 (1.3)

1.5 (2.2)

1.7 (2.2)

1.6 (1.8)

 % PIB dépenses sociales publiques brutes (2001)

14.8

21.8

28.5

28.9

(Sources : Sauviat, 1996 ; Ministry of Education and Science, Suède, 2000 ; DfES, 2005 ; OCDE, Indicateurs SS15.1 base de données éducation 2000, EQ3.2b 1998 (EQ3.2a 1980), Le Monde, 23 octobre 2005, http://www.dti.gov.uk/​er/​workandfamilies.htm consulté le 26 octobre 2005.)

Tableau 4 : Pourcentage des enfants âgés de 3 à 6 ans fréquentant des établissement scolaires et préscolaires, 2000 (Source : OCDE, 2000)

Age des enfants

3

4

5

Préscolaire

Primaire

Préscolaire

Primaire

Préscolaire

Primaire

Préscolaire

Primaire

É-Unis

36

-

63.6

-

74.2

6

10.6

88.3

R.Uni

53.9

-

100

-

99.1

-

-

France

100

-

100

-

100

-

-

100

Suède

68

-

72.8

-

75.8

-

96.4

4.3

10Le capitalisme social européen, pour reprendre la terminologie de Hutton, est loin d’être uniforme. On distingue au moins trois variables qui infléchissent à la fois les modèles de capitalisme et la place de la famille : les traditions éthiques et religieuses (pays catholiques ou protestants), le poids du corporatisme dans les structures de provision sociale (mutualité, organisations professionnelles), la tradition interventionniste et étatique, plus ou moins grande.

11En 2002 la France a consacré 43,8 milliards d’euros à la famille (dont 24,7 milliards d’euros en prestations familiales et réductions fiscales liées aux frais de garde ou à la présence d’enfants) soit 2.9 % du PIB. (Caussat, Le Minez, Pucci, 2003 : 70). Le système d’allocations est un des plus généreux en Europe. Depuis les années 80 on constate l’utilisation des politiques familiales pour influer sur l’emploi, en subventionnant la garde d’enfant à domicile, une garde effectuée soit par des personnes extérieures à la famille, soit par l’un des parents moyennant une allocation spécifique. Nous remarquerons que cette politique revêt aussi une caractéristique conforme aux racines historiques et conservatrices de l’intervention en matière de la petite enfance. En effet, dès le XIXe siècle, des suppléments de salaire pour charges de famille étaient adoptés par des employeurs. Plus tard les familles nombreuses reçurent des aides financières de l’état. Les allocations familiales furent créées dès l’entre-deux-guerres. Un congé maternité de quatorze semaines à 50 % du salaire date de 1945 (90 % en 1971). (Gauthier, 1996 : 42-46) La politique nataliste et la volonté de ne pas pénaliser les mères au foyer amenèrent d’autres avantages en faveur des familles nombreuses dans les années 1970. (Morgan, 2002 ; Gauthier, 1996 : 142-144)

12Avec l’Allocation pour Jeune Enfant (devenue Prestation d’accueil du jeune enfant en 2004), le versement forfaitaire de 157 euros vient soulager les frais de garde auquel s’ajoutent les allocations pour familles à revenus modestes (aide au logement, bourses d’étude pour les enfants) et une fiscalité directe qui tient compte de la composition de la famille (parts fiscales) et des dépenses de garde d’enfant (la réduction d’impôt s’élevant à 25 % des sommes versées plafonnées par enfant) dans le calcul de l’impôt sur le revenu. Un tiers des enfants de mères actives âgés de 0 à 3 ans sont accueillis dans des structures de nature mixte : 10 % sont gardés dans des crèches ou des garderies municipales, 90 % sont gardés par des nourrices privées (agréées par l’Etat). Si l’on considère les structures de garde pour l’ensemble des 0 à 6 ans (âge de la scolarité obligatoire), avant 3 ans un quart des enfants est pris en charge par l’Etat qui participe à hauteur de 70 % du financement de ces places. Après 3 ans, la France peut se targuer d’avoir la couverture la plus étendue au monde, avec 100 % des enfants pris en charge gratuitement dans les écoles maternelles publiques (70 % des établissements) ou privées conventionnées (30 %), auxquelles s’ajoutent les garderies payantes (subventionnées par les municipalités et les caisses d’allocations familiales) en dehors des heures de classes. La France consacre pas loin de 30 % de son P.I.B. aux dépenses sociales. Quant à la part des services et des aides à la famille elle s’élève à environ 10 % de celles-ci. (Tableaux 3 et 4) Le régime social français en matière de famille semble être un savant dosage du modèle corporatiste avec un degré d’intervention de l’Etat assez élevé.

13Si le modèle suédois paraît être le paradigme du système social réussi, d’un peuple acceptant une contribution fiscale lourde à la hauteur de sa conscience sociale, l’apparence cache certaines réalités moins glorieuses. A l’inverse de la majorité des pays développés, et sous la pression des mouvements sociaux sa réponse à la crise des années 70 fut non pas de se désengager du social, mais de renforcer ses politiques sociales, notamment la garde d’enfants. Expérimentant une « troisième voie » – à la pointe de l’innovation politique aussi bien que sociale, les contraintes du marché furent acceptées par le gouvernement social-démocrate dès les années 80. « La désindustrialisation suédoise, couplée à une croissance économique plutôt médiocre, aurait crée de sévères problèmes d’emplois n’eût été l’engagement de l’État-providence ». (Esping-Andersen, 1999 : 267) Mais une grave crise économique au début des années 90 contraignit le gouvernement, toujours social-démocrate, à abandonner des promesses d’extension des aides aux familles et de certains acquis, dont des droits à l’aide sociale qui furent limités. (Ginsburg, 2001 : 289-293)

14La Suède est unique en comptabilisant comme actives les femmes qui sont en congé parental (40 % des femmes au travail avec des enfants âgés de moins de 7 ans). Les femmes travaillant à l’extérieur, travaillent majoritairement à temps partiel, dans des emplois peu qualifiés ou dans les services sociaux très fortement féminisés. (Ginsburg, 2001 : 208) L’Etat suédois est donc à la fois l’employeur et le fournisseur de services destinés à aider la famille. Les mères célibataires suédoises sont peu touchées par la pauvreté, leurs salaires étant plus élevés et l’assistance plus généreuse. Généreux également sont les congés accordés aux parents (voir Tableau 3). Les garderies-écoles maternelles accueillent 73 % des enfants non scolarisés âgés de 1 an à 5 ans et la quasi-totalité des enfants de 6 ans (scolarité obligatoire à 7 ans) et les enfants jusqu’à 9 ans après l’école. (Ginsburg, 2001 : 215-218) On relèvera le lien fort entre garderie et emploi. Les besoins du marché du travail priment sur les besoins des parents et/ou des enfants, comme en témoigne l’exclusion des parents sans-emploi ou les enfants dont un parent reste à la maison s’occuper du plus jeune. Les finances publiques servent à aider à l’insertion (travail rémunéré) et non pas à soulager un travail non rémunéré de mère au foyer. C’est ainsi que « la logique de l’État-providence suédois est telle qu’elle produit l’explosion du travail féminin dans les services sociaux. » (Esping-Andersen, 1999 : 267) Pour cela les allocations de congé parental doivent suffire. Dans le peloton de tête pour la part du P.I.B. consacrée aux dépenses sociales avec le Danemark, la France et l’Allemagne, la Suède semble se détacher quant à la part des aides et services à la famille. (Tableau 3).

15Selon Gauthier, qui écrivait en 1995 il n’y avait jamais eu au Royaume Uni une politique familiale compréhensive de style européen. (Gauthier, 1998 : 160) Peut-on réévaluer ce jugement dix ans plus tard ? Les politiques familiales mises en œuvre depuis cette date se situent elles entre modèle américain et le social libéralisme, ou bien le modèle social du gouvernement New Labour s’est-il rapproché du continent en matière de politique de la famille ?

La politique familiale britannique depuis 1990

16Au Royaume Uni, la mise en place d’une politique dite « de la famille » date seulement de 1992 du gouvernement Major. Elle semble essentiellement avoir été motivée par la volonté d’améliorer le marché de l’emploi. L’expression de « politique familiale » a été employée pour la première fois au sein du gouvernement en 1994 par la ministre de la santé, Virginia Bottomley, chargée de la question. (Gauthier, 1998 : 160) Il s’agissait surtout d’une politique destinée à améliorer non pas la santé des enfants mais celle de l’économie. Pour répondre à la nécessité de garder une main d’œuvre féminine qualifiée qui démissionnait parce qu’elle ne trouvait pas de solution à la garde de leurs enfants (sans législation, pas de congé parental envisageable) les premières crèches d’entreprise ou privées furent ouvertes, financées par les employeurs. (Hantrais, 2004 : 147) Cette tendance fut accompagnée par le gouvernement Major qui mit des moyens financiers à la disposition des familles pour la garde d’enfant sous forme de ‘childcare vouchers’. Mais le gouvernement conservateur, bien que se démarquant de ses prédécesseurs en nommant un ministre responsable et en allouant des fonds, refusa de prendre des initiatives et préféra laisser le secteur associatif prendre les devants. (Gaulthier, 1998 : 161).

17Á son arrivée au pouvoir en 1997, le gouvernement Blair hérita d’un secteur de services variée composé majoritairement de structures privées qui avaient vu le jour en réponse à une demande et au soutien du marché effectué par son prédécesseur. Préférant garder ce qui avait été mis en place et construire sur ce qui existait. Dans sa préface du rapport interministériel sur le système de garde d’enfant Blair donne la priorité à l’emploi et à la cohésion sociale.

The measures detailed in this report represent good news for children, giving them a better start in early education and health so that they can achieve their potential, no matter where they live. It is also good news for parents : a commitment to support the provision of good quality childcare,giving parents the chance to work. And finally, these reforms are good news for communities : quality services for children and families delivered in response to local need, a reduction in crime, higher productivity, a stronger labour market and the building of civic society.(DfES, DWP, HM Treasury, et al., 2002 : 3) [c’est nous qui soulignons]

18Ainsi, les priorités politiques en faveur de la famille sont clairement énoncées : le bien être des enfants et celui de l’économie. L’importance d’une provision pour la petite enfance pour renforcer le marché de l’emploi, améliorer la productivité du pays et resserrer les liens sociaux justifierait cette politique aux yeux du premier ministre. Le gouvernement Blair a ainsi privilégié le retour à l’emploi de parents isolés afin de les sortir du piège de la charge d’enfants (child-care trap) qui empêche ceux-ci d’accepter un travail. En même temps les familles désavantagées reçurent une aide spécifique pour leurs enfants par le biais du programme Sure Start. Finalement, nécessité économique et avantages sociaux et éducatifs se croisèrent.

  • 4  Les statistiques sont difficilement comparables. Avant Septembre 2001, la responsabilité de la pet (...)
  • 5  Office of National Statistics, Population by single year of age and sex, 2002 ; Ofsted, Registered (...)
  • 6  Eurostat, Population et conditions sociales, L’éducation en Europe, Statistiques clés 2002-2003, 1 (...)
  • 7  National Statistics, Focus on London, Education. www.statistics.gov.uk./cci consulté le 5 avril 20 (...)

19La National Childcare Strategy de 1998 soulignait la nécessité de mettre en place des structures de qualité, à un prix abordable, disponibles pour tous (‘quality, affordability, availability’). Les statistiques officielles4 font état d’une augmentation sensible du nombre d’enfants âgés de trois et quatre ans accueillis dans des structures publiques organisées par les Local Education Authorities. Pour 2003, on estimait le nombre de places pour enfants de moins de 8 ans en Angleterre à 1 075 400 pour un total de 4 687 802 enfants.5 La moyenne nationale est passé de 50.4 % d’enfants de 3 ans fréquentant le secteur pré primaire au Royaume Uni en 2001-20026 à 62 % en 20057. Le nombre total de places à temps partiel s’élève à 1 669 900 pour l’Angleterre en 2001, une apparente augmentation de 50 %. Mais la création de places de garderie pendant les heures d’école, toutes catégories confondues, se solde par une augmentation nette de 34 350 places sur la période 1997 – 2001. (Cohen et al., 2004 : 73) Ce résultat est peu élevé. La conséquence de la mise en place d’un système national fut de diminuer la demande pour des solutions ad hoc de nature privée, en particulier la demande de places chez des nourrices. Le nombre d’enfants ainsi gardés, en plein essor dans les années 1990 est retombé en 2001, à 304 600 places, au niveau de 1993. (Cohen, et al., 2004 : 73) Dans le même temps, alors que le nombre de places dans les maternelles publiques diminuait, le nombre d’enfants placés dans des maternelles privées augmentait. Le financement public d’un système national de garde d’enfants qui ne prévoit pas de création de places dans des structures publiques, aurait fait basculer celui-ci vers un système mixte, où l’Etat finance le secteur privé. Au bout du compte, on constate une institutionnalisation des modes de gardes (écoles maternelles privées) où l’Etat contrôle les formes et la qualité de l’offre, aux dépens de solutions plus individuelles et personnelles (nourrices). Il semblerait que l’introduction progressive d’une provision publique ait néanmoins contribué à une couverture nationale de plus en plus élevée, avec 99 % des enfants de trois ans bénéficiant d’une pré scolarisation en 2002 dont 88 % des places sont financées par l’Etat. (Office of National Statistics, 2003) Le secteur privé est ainsi non seulement reconnu maisbénéficie de fonds publics.

20Ce modèle d’utilisation de fonds publics pour stimuler un service public fourni par le secteur privé ressemblerait à un keynésianisme d’un nouveau type. Le discours officiel fait écho à ce paradigme. Selon Harriet Harman, président du comité chargé d’enquêter sur les besoins en matière de garde d’enfants :

Parents should be in the driving seat. Government has a key role but it should be to enable and facilitate parents to make their own choices about how they bring up their children – not to make those choices for them. Public policy should not hand down a preference for how children should be brought up, but it does have a role in ensuring that the rhetoric of choice is matched by public policy which ensures that parents do have that choice in practice.(Childcare Commission, 2001 : 5)

21Le choix du gouvernement Blair fut de laisser le choix au public, de faciliter ces choix, non pas de prendre des décisions à leur place, écho de la réticence envers une « étatisation » des services pour la famille.

22En allongeant et en étendant les congés parentaux le gouvernement accepte une responsabilité accrue pour la protection de l’enfance, mais aussi pour le marché du travail. Introduit dès 1895, le congé maternel resta d’une durée limitée à 4 semaines jusqu’en 1946 quand il atteint 18 semaines à un taux forfaitaire. (Gauthier, 1996 : 50, 78) Sans doute préoccupé par le déficit du pays au regard du chapitre social du Traité de Maastricht, le gouvernement Blair procède à l’introduction de congés parentaux sans solde en 1999. En 2003 un congé paternité rémunéré est accordé, auquel s’ajoute en 2005 la possibilité de recevoir de son employeur un supplément de salaire non imposable (jusqu’à 300 euros par mois) pour les frais de garde d’enfant. Encore une fois, cette pratique permet au marché – les employeurs – de subventionner les services à la famille. En octobre 2005 un projet de loi (Parental Rights Bill) propose l’extension considérable des droits aux congés. (Voir Tableau 3) Cela semble répondre à la fois à une volonté de protéger la famille par la présence d’un parent pendant cette période importante, et ainsi de renforcer la société civile, de permettre aux mères de choisir entre carrière et enfants sans avoir à renoncer à l’un ou à l’autre, mais offre également une solution pour combler le manque de provision sociale publique en institutionnalisant la présence d’un parent au foyer.

23L’offre pour des enfants âgés de trois ans et plus est composite et varié : il existe une panoplie de structures d’accueil. Parmi celles-ci on dénombre des écoles maternelles publiques, des écoles maternelles privées, des ‘playgroups’ (centres d’accueil), des nourrices, des garderies (out-of-school care) et des centres de loisirs (holiday schemes). L’offre s’étoffe et s’étend. La garderie (play centre) de l’école primaire Sir John Lillie à Fulham accueille des enfants dès 8 heures, alors que l’école n’ouvre qu’à 9 heures, et les récupère après la fin des classes à 15 heures 30. La capacité maximale du centre, 70 enfants, est atteinte. Avec un coût de £2 pour le matin et £6 pour le soir l’utilisation du centre revient à £40 par semaine par enfant. L’aide publique au fonctionnement se monte à près de £300 000 (450 000 euros) par an venant du North Fulham New Deal for Communities.8 Comparé à la France, où ce genre de centre est largement présent dans la majorité des villes, ces efforts peuvent ne pas sembler extraordinaires. Mais pour les Britanniques ce sont de vraies innovations très appréciées.

24Devant la multitude de sources de financement, il est parfois difficile de déterminer quelle est la part de l’Etat, quelle est la part des familles. Il fallait trouver des moyens alternatifs et non supplémentaires pour les nouveaux programmes sociaux. L’intérêt public est servi par l’utilisation du marché et son contrôle par l’Etat. (Brown, 2003) 72 % des dépenses directes engagées entre 2001 et 2003 pour la petite enfance (8.2 milliards de livres sterling) vont à la pré scolarisation des 3 et 4 ans – une allocation par enfant payé directement aux fournisseurs de services-, 14.5 % au programme Sure Start et 13.5 % au New Opportunities Fund, l’information et autres services directs. (Cabinet Office Strategy Unit, 2002). Par le biais du crédit d’impôt les dépenses indirectes sont évaluées à 725 millions de livres.

Public funding in the UK, unlike most of Continental Europe mainly takes the form of demand subsidy through tax credits directly paid to low income parents using private services. Only a relatively few nurseries and other centres in the public or non-profit private sectors receive any direct funding.(Moss, 2001 : 7)

25L’effort gouvernemental ne doit pas pour autant faire illusion : le financement des places de garderie a essentiellement été le fait des parents à hauteur de 83 %. Seulement une faible partie des dépenses (7 %) fut remboursée par le biais du crédit d’impôt (chiffres de 2002). (Cohen, et al., 2004 : 61)

26Au Royaume Uni, la déduction pour charges de famille sont forfaitaires pour l’impôt sur le revenu (2,578 euros par enfant de moins de 16 ans, un peu plus jusqu’au 18 ans de l’enfant). (O’Neill, 2005, 30) Un impôt négatif pour frais de garde, Child Care Tax Credit (crédit d’impôt) institué en 1999, vient en aide aux familles modestes. Cette mesure est présentée comme l’une des innovations majeures de la nouvelle politique sociale. Le crédit d’impôt remplaçait le système de bons introduit par le gouvernement Major, abandonné aussitôt par le nouveau gouvernement Blair, probablement autant pour se démarquer que pour des raisons idéologiques. Le Child Care Tax Credit touchait près de 300.000 familles – dont près des deux tiers de familles monoparentales. Il fut à son tour remplacé à partir de 2003 par les Child Tax Credit. Le nouveau crédit d’impôt pour enfant(s) à charge n’est pas tributaire de contributions sociales. Il n’exige donc pas que le parent travaille. Les familles à bas revenus (moins de £13,910 annuel) recevront un crédit d’impôt de £1,690 par an par enfant (dégressif au dessous du seuil minimal), qui est ajouté aux £545 que chaque famille à revenus plus élevés plafonnés à £58 000 (chiffres pour l’année fiscale 2005-2006). Le crédit d’impôt lié au travail, le Working Tax Credit, n’est pas spécifique aux familles mais rembourse une partie du coût de la garde d’enfants pour les parents à bas revenus sur les impôts retirés à la base. Le Working Tax Credit rembourse les frais de garde à hauteur de 70 % de leur coût, plafonné à £175 pour un enfant et £300 pour deux ou plus. Les familles qui bénéficient des crédits d’impôt continuent de recevoir les allocations familiales payables pour tout enfant à hauteur de £17 par semaine pour le premier et £11.40 pour les suivants.

27Le principe et le fonctionnement des crédits d’impôts sont néanmoins critiqués. Ils constitueraient un nouveau « piège de pauvreté » qui condamnerait 83 % des familles avec enfants qui y ont droit à un avenir sans espoir, en les incitant à utiliser des stratégies malhonnêtes pour profiter du système. En effet, la part des allocations pour un salarié au salaire minimum quadruplerait son revenu. A quoi bon travailler et payer pour la garde d’enfant ? (Field, 2002, 52-59) On reproche également la priorité à l’emploi rémunéré, à la marchandisation du travail, pour employer la terminologie d’Esping-Andersen, pour distribuer des aides. Les crédits d’impôts ne peuvent, par définition, s’appliquer qu’à ceux qui paient des impôts sur le revenu. Les familles où un parent reste s’occuper des enfants par choix s’excluent de l’aide pour la garde des enfants. Les mesures annoncées en octobre 2005 en matière de congés parentaux (voir supra) sont en partie des réponses à ces critiques.

28De nombreuses sources de financement parallèles sont mises à contribution. On parle même de ‘puzzle’, un assemblage de supports financiers. Prenons par exemple ce centre en Écosse qui fournit des services comprenant une crèche, un centre de loisirs, une garderie, un centre maternel, et des formations pour les métiers de la petite enfance. Ses finances proviennent de pas moins de dix institutions différentes : le fonds social européen, le fonds de développement pour les régions (Single Regeneration Budget), la municipalité et ses services sociaux, le ministère de l’éducation, un fonds pour la qualité dans la petite enfance, une entreprise publique locale, la dotation nationale pour les places réservées aux enfants de trois et quatre ans, le fond spécifique New Opportunities financé en partie par la loterie nationale. (Department for Education and Skills, 2002) En tout, on recense vingt-quatre types d’aide allant des crédits d’impôts pour les familles jusqu’aux associations caritatives, en passant par les institutions d’enseignement supérieur ou le ministère de la santé, les associations de logement social, et les programmes nationaux pour l’emploi New Deal et pour les enfants défavorisés, Sure Start. Le New Opportunities Fund a alloué un total de 134 millions de livres pour l’année fiscale 2001-2002 pour financer des projets de soutien scolaire (out of school learning) et de garderie, autant d’argent frais qui ne sort pas des coffres publics, mais des poches des particuliers qui achètent des billets de loterie. (New Opportunities Fund, 2002) Les centres sont incités à chercher activement des moyens financiers alternatifs. Les projets les plus en vue, par exemple le club « Trojans » à Wandsworth, sont cités pour leur flair et leurs talents dans le marketing auprès de sponsors partenaires clients potentiels tels que la banque Barclays, la chaîne de distribution Sainsbury’s et le crédit mutuel Halifax. (Department for Education and Skills, 1999 : 11)

29 Summum du renversement dans les modèles sociaux, le gouvernement Blair semble avoir opté avec les Child Trust Fund pour une nouvelle forme de modèle sociale : l’investissement sans conditions de ressources. Ces ‘Baby Bonds’ sont des fonds d’investissement non imposables dans lequel le gouvernement placera une somme de deux cent cinquante livres (doublée pour les enfants dont les parents bénéficient du Child Tax Credit) et qui pourront être complétés à hauteur de mille deux cent livres par an (environ deux mille euros) jusqu’aux 18 ans de l’enfant et jusqu’à vingt-cinq mille livres à terme (les 21 ans de l’enfant). Ces sommes pourront alors être utilisées comme bon leur semble – mais sont particulièrement adaptées pour payer le coût de l’enseignement supérieur (frais de scolarité et coûts annexes). Le Child Trust Fund est qualifié de « small but potentially important break from the means-tested approach » par ceux qui y sont favorables, (Dixon, Reed, 2005 : 2) de nouvelle forme d’ « investissement social » qui épouse le marché financier. (Lewis, 2005) Forme de capitalisme populaire, il semblerait représenter à lui-seul l’ensemble des idées du New Labour en matière d’économie sociale. (Finlayson, 2005) Le taux d’ouverture des comptes reste cependant en deçà des attentes. Moins de 50 % des familles y ayant droit avait effectué les démarches six mois après sa mise en place. (Prospect, novembre 2005 : 11)

30La création de garderies a été laissé à l’initiative semi privée par le biais de consortiums mixtes, les partenariats pour la petite enfance (Early Years Development Partnerships) réunissant services publics locaux, entreprises de services du secteur privé, et utilisateurs. La politique de la famille semble donc être un programme national à but social et lucratif qui utiliserait un marché privé qui s’était développé pour palier les insuffisances des services publics dans ce domaine. Créer des services aux particuliers en évitant d’alourdir les services publics et les financer à moindre coût, tel semble avoir été le mot d’ordre. Préférant donner l’argent à l’utilisateur de services afin qu’il le dépense où bon lui semble, le gouvernement a refusé de s’engager dans le financement d’un service par le haut. Le plus d’Etat du parti travailliste d’autrefois renié, le gouvernement Blair refusa de créer de toutes pièces un service public pour la petite enfance. Il préfère stimuler un secteur mal développé par le biais des impôts. L’argent suit le consommateur de services. Le rôle de l’Etat, comme ailleurs dans les services publics gérés au niveau local, se limite à impulser et à infléchir la politique générale. Le sociologue Giddens justifie cette approche en faisant référence à la politique familiale en particulier :

Social policy for the family, as for the economy, has to be predominantly ‘supply side’. It should foster conditions in which individuals are able to form stable ties with others, especially where children are involved and accept the responsibilities that come along with contemporary freedoms. Many of the emphases of third way politics appear in a very direct way in family policy. In creating family-friendly work environments, making possible various forms of paid family leave, and in creating or sustaining high-quality child care, business and third sector groups can play key roles. (Giddens, 2001 : 47-48)

31Néanmoins l’ensemble des mesures prises en faveur des familles (New Deal, Sure Start, la National Childcare Strategy, les congés parentaux, les crédits d’impôt et le Child Trust Fund) sont au coeur de la « nouvelle » politique sociale, d’un nouveau modèle européen qualifié d’ « anglo-social ». Elles sont essentielles aux quatre changements fondamentaux dans la politique sociale identifiés par Dixon et Reed : les politiques de retour à l’emploi et la régulation du marché du travail, les crédits d’impôt, l’augmentation des dépenses dans les services publics, et l’éloignement d’un système d’aides sous condition de ressources (« means-testing »). (Dixon, Reed, 2005 : 2)

Le cheval à bascule, (autre) cheval de Troie ?

32Même avant ce qu’on s’accorde à parler d’une nouvelle ère (Daycare Trust, 2004b) en matière de garde d’enfants au Royaume-Uni, les études comparatives faisaient ressortir sa position intermédiaire en matière de politique familiale. Se situant entre l’Allemagne et les Etats-Unis, le Royaume Uni se rapprochait de la France et des pays scandinaves. (Hantrais, 1996 : 209)Une étude des allocations familiales allouées en 1990 dans vingt-et-un pays développés fait ressortir une catégorisation en quatre groupes. (Gauthier, 1996 : 189).

33 Le premier, le plus généreux, se compose des pays nordiques, du Benelux et de l’Autriche. Le dernier groupe, le moins généreux, comprend les Etats-Unis, la Nouvelle Zélande, l’Australie, pays anglo-saxons, le Japon (fortement influencé par le modèle américain) et la Grèce. Le Royaume-Uni se situe à cheval sur le deuxième groupe, composé de la France et de l’Allemagne, et les pays méditerranéens dans le troisième groupe (l’Italie, l’Espagne, le Portugal, auxquels il faut rajouter l’Irlande, le Canada et la Suisse). En services et allocations à la famille le Royaume-Uni ne se situait déjà plus dans le moule « anglo-saxon ». C’est ainsi que Moss rejette l’idée négative d’un Royaume Uni sans provision pour la petite enfance comparé à un service universel dans les pays d’Europe, idée fausse et sans nuances. (Moss, 2001)

  • 9  Margaret Hodge, House of Commons, Hansard, Written Answers for 8 February 2001, : Column 693W.

34Il ressort du tableau comparatif des politiques de la famille (Tableau 3) que le type de statut des établissements collectifs pour la garde d’enfants caractérise l’ensemble de la provision. Ainsi, aux États-Unis, les garderies sont majoritairement de type privé, le financement des places essentiellement supporté par la famille, les congés parentaux ne sont pas subventionnés, et les nourrices très peu suivies (agrément et déclaration très bas). Á l’opposé, la Suède a un système de garde publictrès développé, financé en grande partie par l’état. Les congés parentaux sont généreux et proportionnels au salaire, et le recours aux nourrices, elles aussi salariées du secteur public, limité. Entre les deux, se situe la France, exemple du modèle corporatiste d’Esping-Andersen et du capitalisme social européen. La majorité des établissements sont de type public, mais à moindre proportion qu’en Suède. La contribution parentale s’élève à environ un tiers du coût. Un congé parental de 3 ans rémunéré forfaitairement institué en 1974 s’ajoute aux congés maternité (16 semaines et plus) et paternité (15 jours) où le salaire est pris en charge par l’Etat. Au Royaume Uni, le congé maternel allongé progressivement depuis 2003 et étendu au père, semblerait indiquer que la société britanniquesoit en train de suivre le modèle français (parent au foyer subventionnée). De la même manière, la création massive d’emplois dans le secteur de la petite enfance, plus de 100 000 entre 1997 et 2000 selon la ministre9 et la politique du New Deal, où un travail public rémunéré qui remplace le travail privé non rémunéré des membres de la famille, semble rapprocher la pratique britannique du modèle suédois où la main d’œuvre féminin dépend de postes dans le services sociaux. (Trouvé, 2003)

  • 10  Les ouvrages cités sont Newman, Brazelton, Zigler et al., America’s Child Care Crisis : A Crime Pr (...)

35L’historique du développement de ces services au Royaume Uni montre qu’en premier lieu le modèle libéral fut infléchi sous Major par un gouvernement conservateur « social ». Son successeur continua dans la même voie libérale. De plus, les affinités qu’affichait le gouvernement Blair pour l’administration Clinton, semblent s’être reproduites dans le domaine social. Des études américaines sur les liens entre la composition de la famille et les programmes pour la petite enfance sont citées à la fois par Giddens et les publications officielles du gouvernement Blair. (DfES, DWP, HM Treasury, Women and Equality Unit, Strategy Unit, 2002 : 31 ; Giddens, 2001 : 47)10 Sure Start, la politique d’aide aux enfants démunis, est fortement inspirée par le programme américain Head Start – comme l’indique son nom. Mais ce fut le cas bien avant l’arrivée au pouvoir des Démocrates et du New Labour. Dans la rhétorique des néo-conservateurs et des néo-démocrates sur les deux rives de l’Atlantique la famille était un sujet de prédilection et les politiques mises en œuvre se reflétèrent. En matière de rhétorique le « modèle » anglais se rapprocherait en effet du « modèle américain ». (Trouvé, 2001). Et au niveau de la pratique ?

36Réexaminons la politique familiale du gouvernement Blair à la lumière des caractéristiques établis par Esping-Andersen (Tableau 1). La pratique mise sur l’égalité des chances, où l’universalisme est affiché et un niveau de qualité élevé exigé dans le secteur de la petite enfance. Les valeurs affichées sont celles des régimes sociaux démocrate de type scandinave, tout comme l’accent mis sur le plein emploi, la fusion de la provision sociale et du travail. Cependant, cette politique s’appuie sur un régime social qui historiquement visait à renforcer l’économie de marché – trait que l’on rencontre dans la rhétorique concernant les mesures introduites en faveur des familles, où les aides sont attribuées selon les ressources. Moss soulignait en 2001 le caractère minimaliste de la politique britannique depuis 1997 : congés parentaux limités, places de garde à temps partiel, placement dans des institutions en dehors du système scolaire national. Il remarque les ressemblances avec d’autres pays anglophones (Australie, Nouvelle Zélande, Canada et États-Unis) en ce qui concerne les droits parentaux faibles, l’importance du marché privé dans le secteur de la provision sociale, et un financement (allocation publique) qui suit la demande et non l’offre de services. (Moss, 2001). Les ressources des familles sont toujours prises en compte (crédit d’impôts et aides à la garde d’enfants). Mais les congés parentaux étendus semblent cependant donner le change à Moss.

37La politique recouvre l’un des objectifs du régime social corporatiste, renforcer la société civile, partie intégrante du discours du gouvernement Blair. Par contre, des mesures qui semblent « collectiviser le poids et les responsabilités de la charge familiale » vont dans le sens de la « défamilialisation » décrite par Esping-Andersen. Le Royaume Uni a-t-il glissé vers le modèle social européen ? Il semble que ce soit le cas pour la politique familiale que des observateurs placent au cœur de la création d’un nouveau modèle, qu’on qualifie de « anglo-social ». (Pearce, 2005; Dixon, Reed, 2005)

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Notes

1  Où l’ « on admet que la famille est le centre normal des responsabilités en ce qui concerne les besoins sociaux de ses membres ». La défamilialisation « signifie un engagement à collectiviser le poids et les responsabilités de la charge familiale ». (Esping-Andersen, 1999 : 278-9).

2  Le Japon, cité par Hutton comme exemplaire d’une forme de capitalisme et non comme modèle social, ne sera pas analysé.

3  OCDE, cité par Caramel L., "Plus ou moins généreux l’État-providence reste dominant dans les pays développés", Le Monde, 4 octobre 2005.

4  Les statistiques sont difficilement comparables. Avant Septembre 2001, la responsabilité de la petite enfance incombait aux Services sociaux des Local Education Authorities et les. Depuis OFSTED, l’organisme chargé de l’inspection s’en charge, sous la responsabilité du Ministère de l’Éducation. Ce transfert reflète un glissement dans la perception et la prise en compte de la petite enfance. (Cohen, Moss, Petrie et Wallace, 2004 : 57)

5  Office of National Statistics, Population by single year of age and sex, 2002 ; Ofsted, Registered Childcare Providers and Places in England, February 2004. (Daycare Trust, 2004)

6  Eurostat, Population et conditions sociales, L’éducation en Europe, Statistiques clés 2002-2003, 10/2005 : 3, 8-9.

7  National Statistics, Focus on London, Education. www.statistics.gov.uk./cci consulté le 5 avril 2005.

8  BBC News, ‘School extends into childcare’, http://news.bbc.co.uk/go/pr/fr/-/hi/education/4080210.stm 13 juin 2005.

9  Margaret Hodge, House of Commons, Hansard, Written Answers for 8 February 2001, : Column 693W.

10  Les ouvrages cités sont Newman, Brazelton, Zigler et al., America’s Child Care Crisis : A Crime Prevention Strategy, 2000 ; McLanahan, Sandefur, Growing Up With a Single Parent, Cambridge MA : Harvard University Press, 1994.

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Pour citer cet article

Référence papier

Susan Finding, « Le cheval à bascule, cheval de Troie ? La politique de la famille entre modèle américain et « social libéralisme » »Observatoire de la société britannique, 1 | 2006, 133-155.

Référence électronique

Susan Finding, « Le cheval à bascule, cheval de Troie ? La politique de la famille entre modèle américain et « social libéralisme » »Observatoire de la société britannique [En ligne], 1 | 2006, mis en ligne le 01 février 2011, consulté le 17 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/osb/528 ; DOI : https://doi.org/10.4000/osb.528

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Auteur

Susan Finding

Maître de Conférences à l'université de Poitiers

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