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AccueilNuméros185« Qu’est-ce qu’un muséographe ? »...

« Qu’est-ce qu’un muséographe ? » : dix ans après…

Serge Chaumier et Agnès Levillain
p. 55-57

Résumé

Le muséographe a notamment pour mission essentielle de coordonner et de concilier les exigences des différents protagonistes de l’exposition. Dix ans après avoir précisé les particularités d’un métier en le distinguant de ceux de chercheur et de scénographe, Serge Chaumier et Agnès Levillain apportent de nouveaux éléments sur une problématique toujours d’actualité.

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Texte intégral

  • 1 Chaumier, S. et Levillain, A. Qu’est-ce qu’un muséographe ? La Lettre de l’Ocim, n°107, 2007, pp. 1 (...)

1Il y a dix ans paraissait notre article « Qu’est-ce qu’un mu­séographe ? »1, la volonté était alors d’éclaircir un terme trop souvent confus dans son usage et dans ses conséquences en matière de compétences, de professions et de découpage des missions que chacun se doit d’assumer dans les projets d’exposition, que celles-ci fussent permanentes ou temporaires. L’article venait à point nommé alors qu’une partie de la profession s’interrogeait et que des initiatives allaient bientôt survenir pour tenter d’y voir plus clair et de mieux structurer le champ. Nombre de professionnels ont compris les différences entre les termes de muséographe et de scénographe, il n’en demeure pas moins que des appels d’offre continuent de mélanger les deux acceptions. Cette confusion a des conséquences négatives dans les processus de conception des projets, mais aussi sur les professionnels eux-mêmes. En un sens, on peut dire que beaucoup de choses ont changé et que rien n’a changé. Petit retour critique sur cette histoire et sur le paysage actuel.

  • 2 Gorgus, N. Le Magicien des vitrines. Éditions de la Maison des sciences de l’Homme, 2003.
  • 3 Voir à ce sujet l’article « Profession et Muséographie » dans le Dictionnaire encyclopédique de mus (...)

2Rappelons quelques éléments préliminaires, sans être trop longs. La situation actuelle est l’héritage d’une histoire générale de la muséographie. Durant longtemps, en France notamment, mais pas seulement, les expositions ont été réalisées par un petit nombre de personnes qui assumaient à peu près tout. Rappelons que Georges Henri Rivière conçoit le programme muséographique du Musée national des Arts et Traditions populaires et de bien des musées qu’il conseille de par le monde, mais qu’il dessine bien souvent la scénographie, car ce « magicien des vitrines », comme il sera joliment baptisé par Nina Gorgus, recourt à une disposition élégante par les objets suspendus dans l’espace, ce qui en fera sa signature2. De même, son équivalent en Suisse, Jean Gabus dessine un modèle de vitrine universelle auquel il aura recours pour matérialiser l’exposition et ses discours. Nous pourrions multiplier les exemples, des années 1950 à 1980, muséographe et scénographe ne font qu’un, le plus souvent dans la personne du conservateur qui contrôle aussi bien le processus de recherche que la conservation préventive, la régie et ce que l’on n’appelle pas encore les médiations. Sans reve­nir sur une histoire longue et complexe, c’est la transformation même des missions du musée qui aboutit à la montée en puissance de la professionnalisation et à la spécialisation. Aussi, ce que l’on a nommé durant longtemps la muséographie regroupait l’ensemble des procédures3.

3Deux facteurs vont conduire au changement : premièrement le développement de la scénographie comme compétence spécifique incarnée par un professionnel dédié d’un côté, et l’apparition de nouveaux lieux qui n’ont pas nécessaire­ment de conservateur dans les années 1980 (centres d’interprétation, lieux de commémoration, mise en valeur de divers patrimoines (naturels, industriels, immatériels… ainsi que le développement de petits musées et d’expositions sur les territoire). Ces deux phénomènes sont bien évidemment induits par l’évolution des expositions. Il demeure que l’autonomisation s’accompagne de la définition de nouveaux métiers. À tel point que les génériques des expositions sont aujourd’hui proches des génériques de films, avec une liste éclectique de métiers et d’intervenants. À de nouvelles professions, et de nouvelles fonctions doivent répondre de nouvelles définitions des nomenclatures. Or, la confusion persiste trop souvent. La loi musée de 2002 ne s’intéresse guère aux professions, encore moins aux prestataires, toujours laissés pour compte dans les réflexions. C’est en ce sens que l’article paru en 2007 tentait d’apporter une clarification. Nous avons proposé d’utiliser le terme de scénographe pour celui qui conçoit le dessin et la mise en scène de l’exposition et celui de muséographe pour le professionnel qui en définit les contenus. Parfois celui-ci est incarné par le conservateur mais pas toujours, le terme de muséographe étant plus générique et réclamant des compétences dont le conservateur est loin de toujours disposer. Nous proposions alors de conserver l’usage du terme de muséologue à celui qui étudie les musées, plutôt qu’à celui qui les fait, selon la logique étymologique, et contrairement à l’usage courant en Belgique et en Suisse.

4À la suite de l’article paru dans La Lettre de l’Ocim, la polémique fut rude et nous avons souvenir de débats houleux. Il fût acté par les professionnels eux-mêmes après vives controverses, par les scénographes réunis dans une toute nouvelle association4 que le vocable de muséographe serait laissé à celles et ceux qui s’occupent de définir les contenus et administrer le projet (le plus souvent du côté de la maîtrise d’ouvrage). Cependant, tous les scénographes n’acceptèrent pas d’en abandonner l’usage. Rapidement après, se créait l’association des Muséographes5. Ainsi les deux associations avaient vocation à travailler de concert, et s’apprêtent aujourd’hui à créer une Fédération des métiers de l’exposition rejoints par l’association des graphistes, celle des iconographes, des éclairagistes, des designers, ou encore celle des jeunes commissaires d’exposition associés. À l’heure où nous écrivons ces lignes, l’association des conservateurs prend la décision d’ouvrir aussi les portes à d’autres professions, et une restructuration du champ des professions de musée est donc en cours.

5L’affaire est-elle réglée pour autant ? La confusion est persistante du côté de la maîtrise d’ouvrage et des institutions trop souvent étrangères à des évolutions portées par des professionnels, le plus souvent prestataires et indépendants. Les appels d’offre et les lettres de commande continuent le plus souvent à entretenir le trouble. Ce fut une des motivations du groupe de travail qui se constitua sous la coordination de François Lejort avec l’association des scénographes et plusieurs partenaires dont le master MEM de l’université d’Artois pour codiriger un guide de conception des expositions6. Une première partie revient précisément sur les définitions et les contours des métiers. Bien que le guide soit préfacé par la ministre, le ministère de la Culture continue pour autant à entretenir bien souvent les confusions. Les musées de beaux-arts notamment restent hermétiques à intégrer des vocables précis, bien souvent parce que la fonction de muséographe demeure portée par le conservateur commissaire d’exposition. Toutefois les choses changent et la nécessité de s’adjoindre les compétences de muséographes se fait jour ici ou là, à l’instar par exemple de Paris-Musées qui porte cette volonté au sein des structures municipales de la ville de Paris.

6Les choses sont encore souvent confuses, et lorsque les appels d’offre réclament un muséographe alors qu’il s’agit du recrutement d’un scénographe, ceux-ci répondent sous ce terme, puisque c’est la demande, ce qui n’aide pas à faire évoluer les pratiques langagières… Sortirons-nous un jour de l’ornière ? Il est à craindre que tant que ce problème ne sera pas pris à bras le corps, ce que n’a fait ni le groupe des professions dans le cadre de la mission sur les musées du XXIe siècle, ni le ministère lors des Assises sur les métiers, nous continuerons à entendre quasi-quotidiennement lors des rencontres professionnelles les énoncés les plus absurdes dans les définitions (ici on attribuera au scénographe de ne travailler que sur le temporaire, alors qu’un autre soutient mordicus qu’il travaille sur des expositions sans collection !). Le plus souvent on va de l’un à l’autre terme en mélangeant allègrement les compétences dans un beau « gloubiboulga ».

  • 7 Voir les contributions, notamment de Dominique Botbol et de Pierre Duconseille dans Commissariat d’ (...)
  • 8 Mollard, C. et Le Bon, L. L’Art de concevoir et gérer un musée. Éditions Le Moniteur, 2016.
  • 9 Davallon, J. L’écriture de l’exposition : expographie, muséographie, scénographie, et Payeur, P. La (...)

7Pourtant la méthodologie de projet a été définie, les institutions scientifiques ont souvent été à la pointe pour bien clarifier les compétences et missions, élaborer des protocoles, déterminer des rationalisations dans les processus de production et l’attribution des rôles. À cet égard Univer­science a montré l’exemple et les principes méthodologiques ont essaimé désormais dans bien d’autres lieux7. Il n’en demeure pas moins que des publications nouvelles n’aident pas, c’est le moins que l’on puisse dire, à la clarification8. Si les musées de société, d’ethnographie, et même d’histoire se sont mis souvent au diapason, et bien que des voix portent ici ou là des mises en question9, les musées d’art demeurent le plus souvent hermétiques à toute réflexion sur des points que la muséologie a pourtant largement explorés. Il est intéressant à ce titre de constater que les musées d’art contemporain adoptent aisément le terme de scénographe à l’inverse de bien des musées de beaux-arts.

8Au terme de dix ans, où nous avons cherché à œuvrer pour clarifier les choses, par des publications, des actions de formation, des prises de parole lors des comités scientifiques, des alertes faites aux comités de rédaction, il faut bien admettre que le travail est sans cesse à remettre sur le métier. Sans doute, le pari fait il y a une dizaine d’années dans cet article était présomptueux, et l’ambiguïté risque de demeurer encore longtemps. Il aurait mieux fallu sans doute forger un nouveau mot, le mot d’expographe pour lequel plaidait André Desvallées, ou celui de commissaire, trop longtemps attaché aux arts et qui s’élargit aujourd’hui à d’autres secteurs… Encore faut-il distinguer commissariat scientifique, commissariat général et commissariat exécutif. Le terme de commissaire est porteur également de bien des ambiguïtés, et très souvent c’est le comité scientifique qui le capte à son profit. Le muséographe demeure dans l’ambivalence.

9Il faudrait enfin s’attarder sur le statut et les conditions d’exercice des professionnels qui se sont largement dégradées depuis dix ans. Avec une accélération du temps qui pousse à des calendriers toujours plus courts, des délais à rallonge lorsque les décisions à prendre sont du côté des collectivités territoriales et des temps de production raccourcis pour les prestataires, des rémunérations tirées toujours davantage vers le bas et des projets qui se raréfient. Il est permis de s’interroger sur l’avenir de professions pourtant extrêmement jeunes, qui ont fait preuve de leur utilité pour faire évoluer et faire monter en qualité la production des expositions, mais qui sont souvent au bord de l’asphyxie.

10Rendez-vous dans dix ans, pour un acte 3 ?

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Notes

1 Chaumier, S. et Levillain, A. Qu’est-ce qu’un muséographe ? La Lettre de l’Ocim, n°107, 2007, pp. 13-18.

2 Gorgus, N. Le Magicien des vitrines. Éditions de la Maison des sciences de l’Homme, 2003.

3 Voir à ce sujet l’article « Profession et Muséographie » dans le Dictionnaire encyclopédique de muséologie, sous la direction d’André Desvallées et François Mairesse, Armand Colin, 2011.

4 www.scenographes.fr

5 www.les-museographes.org

6 www.scenographes.fr/scenographes.fr/index.php#

7 Voir les contributions, notamment de Dominique Botbol et de Pierre Duconseille dans Commissariat d’exposition, sous la direction de Serge Chaumier et Isabelle Roussel-Gillet, Éditions Complicités/Ocim, 2017.

8 Mollard, C. et Le Bon, L. L’Art de concevoir et gérer un musée. Éditions Le Moniteur, 2016.

9 Davallon, J. L’écriture de l’exposition : expographie, muséographie, scénographie, et Payeur, P. La scénographie et la muséographie de l’exposition Repères : retour sur la création d’une scénographie ou les enjeux de la pluridisciplinarité, Culture et Musées, n° 16, 2010.

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Pour citer cet article

Référence papier

Serge Chaumier et Agnès Levillain, « « Qu’est-ce qu’un muséographe ? » : dix ans après… »La Lettre de l’OCIM, 185 | 2019, 55-57.

Référence électronique

Serge Chaumier et Agnès Levillain, « « Qu’est-ce qu’un muséographe ? » : dix ans après… »La Lettre de l’OCIM [En ligne], 185 | 2019, mis en ligne le 01 septembre 2020, consulté le 19 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/ocim/3290 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ocim.3290

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Auteurs

Serge Chaumier

Muséologue, professeur, responsable du Master Expographie Muséographie à l’université d’Artois

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Agnès Levillain

Muséographe indépendante, présidente de l’association Les Muséographes

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Droits d’auteur

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