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Fraude, sexe, alcool et drogue : langue et discours de spécialité face aux transgressions professionnelles et sociales dans la bande dessinée financière franco-belge

Fraud, Sex, Alcohol and Drugs in Franco-Belgian Financial Graphic Novels: The Specialized Language and Discourse of Social and Professional Transgression
Sylvie Martin-Mercier

Résumés

À partir d’un corpus composé de trois séries de bande dessinée économico-financière franco-belge publiées dans les années 1990 et 2000 (Dantès, IR$ et Largo Winch) seront étudiées les expressions linguistiques des pratiques et transgressions professionnelles et sociales des spécialistes de la finance, expressions relevant de la langue usuelle ou de la langue de spécialité. Cette analyse vise à déterminer le niveau de connaissance et le seuil d’acceptabilité langagière imposé au lecteur tant en ce qui concerne la langue de spécialité et le discours spécialisé que les alternances codiques ou l’expression par le discours des transgressions sociales classiques (addiction à la drogue, à l’alcool et aux pratiques sexuelles transgressives).

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Texte intégral

  • 1 Nous renvoyons notre lecteur à Inside Job, excellent documentaire réalisé en 2010 par Charles H. Fe (...)
  • 2 Publié en France sous le titre Cityboy : confessions explosives d’un trader repenti chez Balland en (...)

1Longtemps entourée d’une aura de mystère, l’image du financier, du banquier et de celui que l’on nomme génériquement le trader fait irruption sur la scène publique et dans les médias au milieu des années 1990, à la faveur de divers scandales et crises, dont la chute de la banque Barings provoquée en 1995 par Nick Leeson, les cinq milliards de pertes de la Société générale attribuées en 2008 à Jérôme Kerviel, l’accusation de fraude boursière pour Fabrice Tourre de Goldman Sachs ou encore la pyramide de Ponzi de Bernard Madoff, ne constituent que quelques exemples. Ces professionnels, responsables réels ou boucs-émissaires et victimes expiatoires des crises économiques et boursières, déchaînent les passions et sont rapidement accusés de tous les maux et des pires travers. Dans la presse, les articles se multiplient, notamment entre 2012 et 2013, dévoilant non seulement les erreurs et malversations liées à l’exercice de la profession mais aussi des habitudes de vie et des comportements sociaux qui sentent le soufre, sur fond de consommation d’alcool, de drogue, de fréquentation d’escort girls et d’excès en tous genres1. Ces scandales retentissants et leur traitement médiatique ont provoqué une puissante et durable dégradation de l’image de ces spécialistes de la finance, les faisant chuter de l’adulation à la déchéance, alors que les Rogue traders (traders pourris) ne représenteraient qu’un à deux pour cent de la profession. Tandis que ces épisodes révèlent la face cachée des affaires, les récits des protagonistes désireux de fournir leur version des faits dévoilent la face obscure des hommes. Ces transgressions professionnelles et sociales sont avouées dans une littérature de témoignage, dont n’est pas exempte une part de fiction, sous la plume de traders « repentis » tels les Anglo-Saxons Jordan Belfort, qui publie The Wolf of Wall Street (2007) puis Catching the Wolf of Wall Street (2009) et Geraint Anderson, auteur de Cityboy: Beer and Loathing in the Square Mile (2008)2, Fifty Ways to Survive the Crunch (2008), ou les Français Crésus avec Confessions d’un banquier pourri (2009) et Jérôme Kerviel avec L’engrenage, mémoire d’un trader (2010). Ainsi émerge une nouvelle représentation sociale du trader et du financier, proche souvent de celle qu’en donne le thriller financier. Par la même occasion, une partie de la langue de spécialité relevant du domaine de la finance, associée plus spécifiquement aux délits liés à ce champ professionnel, se diffuse auprès du grand public.

  • 3 En 1981, dans Mille milliards de dollars, Henri Verneuil avait déjà abordé ces thématiques.

2Les professionnels de la finance vont donc connaître un nouveau succès comme personnages de fiction. Longtemps méconnu, mystérieux, inquiétant et séduisant, évoluant dans un milieu opaque et souvent incompréhensible pour le grand public, le financier était déjà apparu en tant que protagoniste de récits de fiction, dans le thriller ou western financier des années 1970, littérature centrée sur les fraudes, malversations, manipulations et machinations dans les milieux financiers, de préférence américains ou internationaux. L’auteur belge Jean Van Hamme publie Largo Winch à partir de 1977, série de six romans qui ne connaît qu’un succès d’estime. Au début des années 1980 s’affirme Paul-Loup Sulitzer, qui enchaîne les best-sellers avant que ne se multiplient les publications à partir des années 1990, tel Un trader ne meurt jamais (2009) de Marc Fiorentino. Le cinéma emboîte le pas à la littérature et adapte plusieurs de ces textes : Oliver Stone réalise Wall Street (1987) et Wall Street : l’argent ne dort jamais (2010), tandis que Le loup de Wall Street dirigé par Scorsese sort sur les écrans en décembre 20133.

  • 4 Nous pouvons notamment citer : Diamants, de J.-C. Bartoll et B. Köllé publié en 4 tomes chez Glénat (...)

3Ce type de protagoniste ne pouvait que séduire les auteurs et lecteurs de la bande dessinée tant sur le plan graphique que narratif : le plus souvent bel homme, élégant, séduisant, travailleur acharné, maniant des sommes invraisemblables, percevant des revenus extrêmement élevés, menant une vie sociale intense dans des lieux chics et huppés, consommant alcool, drogue, s’adonnant à des pratiques sexuelles transgressives, il use aussi volontiers d’un langage relâché qui contribue à la construction d’une image virile et sulfureuse que le public excuse volontiers au regard de sa réussite. Dans les années 1990 paraissent les premières bandes dessinées financières en langue française et, en quelques années, titres et séries aux approches diverses et succès inégaux se multiplient4. Il est indéniable que ces textes relèvent de la FASP telle que définie en 1999 par Michel Petit, à savoir des thrillers rédigés par des « professionnels auteurs avant de devenir auteurs professionnels », relevant d’un genre qui connaît un succès international et devenant eux-mêmes des best-sellers. Et, ce qui touchera plus précisément notre propos, se caractérisant par un « substrat professionnel de l’intrigue » ainsi que par un « substrat professionnel dans la langue et le discours » (Petit, 1999).

4Partant de là, il nous intéressait d’explorer la langue et le discours spécialisés liés à la finance présents dans la bande dessinée et l’expression des transgressions professionnelles et sociales des professionnels de la finance dans ce genre particulier qu’est la bande dessinée, « [f]orme complexe, capable de tresser d’une manière qui n’appartient qu’à elle le mouvement et la fixité, la planche et la vignette, le texte et les images » (Peeters, 1991, p. 5).

5Parmi une production riche, nous avons sélectionné, pour constituer notre corpus, trois séries phare, considérées comme des succès incontestables (Destraz, 2011) et relevant des « fonctions de média de masse » (Maigret, 2012a, p. 11). Pour des questions d’équilibre du corpus, l’analyse portera sur les six premiers tomes de chacune des séries.

  • 5 Largo Winch est depuis devenu le protagoniste d’une série télévisée, comptant 49 épisodes sur deux (...)

6Souvent présentée comme la première bande dessinée financière, Largo Winch est aussi la première série financière qui ait connu un immense succès : neuf millions d’exemplaires ont été vendus à ce jour, un tirage de 500 000 exemplaires est prévu pour chaque nouvel album (Gaumer, Moliterni, 1993, p. 384). Depuis le lancement en 1990, dix-huit tomes ont été publiés, dessinés par Philippe Francq (Gaumer, Moliterni, 1993, p. 256) sur des scénarios de Jean Van Hamme. Une première version dessinée fut envisagée dès 1973, une dizaine de planches sans suite créées par John Prentice et précédant les romans éponymes parus au Mercure de France (Gaumer, 2004, p. 468)5. Cette bande dessinée qui relève, comme les deux suivantes, de la catégorie ado-adultes (plus de 16 ans) présente sous un format classique de 46 planches les aventures d’un jeune homme d’origine yougoslave, Largo Winch, fils adoptif et héritier de l’immense empire financier du richissime homme d’affaires Nerio Winch. Séduisant, honnête mais doté d’un sens aigu des affaires, fidèle en amitié, bagarreur s’il le faut, Largo ne cesse de combattre toutes sortes de tentatives criminelles ou frauduleuses visant à déstabiliser son empire, lors d’aventures souvent rocambolesques. Le groupe W qu’il dirige étant une multinationale, chaque tome emmène ses lecteurs sur un continent ou dans un État différent, sachant que de nombreux passages se déroulent néanmoins aux États-Unis, siège du groupe.

  • 6 Voici ce que l’on peut lire sur le site de l’IRS pour attirer de nouveaux agents : « A Career In Ac (...)
  • 7 Des mêmes Desberg et Vrancken nous pouvons citer IR$ - All Watcher, série terminée proposant des sp (...)

7Sous un format classique de 48 planches, la seconde série, intitulée IR$, met en scène Larry B. Max, agent spécial de l’IRS, Internal Revenue Service, agence du gouvernement américain responsable de la collecte des impôts sur le revenu et des taxes. Chargé des affaires les plus délicates, il relève de la Criminal Investigation Division qui, forte de 2 800 agents réellement armés comme lui de Sig Sauer P229, enquête sur le trafic de drogue et le blanchiment d’argent6. L’essentiel des aventures se déroule aux États-Unis, mais les investigations conduites hors de ce cadre ne sont pas rares. Dessinés par Bernard Vrancken sur des scénarios de Stephen Desberg (Gaumer, Moliterni, 1993, p. 187), quatorze tomes structurés en dyptiques ont paru entre 1999 et 2012, aux éditions du Lombard7.

  • 8 À propos de cette série, voir la page de présentation sur le site des éditions Dargaud (<www.dargau (...)

8La dernière série, Dantès8 est née de la collaboration de Philippe Guillaume, Pierre Boisserie et Erik Juszezak : six tomes constituant le premier cycle ont été publiés de 2007 à 2012 chez Dargaud (Gaumer, Moliterni, 1993, p. 362). Dans un format en 54 planches, cette série narre les aventures d’Alexandre, jeune trader prometteur, manipulé par une hiérarchie bien peu scrupuleuse engagée dans une incroyable fraude boursière, impliquant les milieux parisiens de la finance et des politiciens véreux. En 1988, Alexandre est poussé à prendre de gros risques sur le marché émergent du Matif, sachant que ses supérieurs lui confient, en contradiction avec les règles déontologiques, des missions de front et back office. Cette série, que les auteurs situent sous le sceau de Dumas et du Comte de Monte-Cristo, s’inspire largement de l’affaire Leeson, jeune trader aussi sciemment placé sur des fonctions de front et back office qui s’exposa de manière inconsidérée sur les marchés émergents.

9Il s’agit de voir si la langue « parlée » par les personnages de notre corpus est le reflet de pratiques et transgressions professionnelles et sociales liées à la finance et d’évaluer le seuil d’acceptabilité ou de tolérance du lecteur de BD financière.

10Notre analyse sera déclinée selon trois axes : la présence de la langue de spécialité ou du discours spécialisé dans notre corpus ; l’alternance codique entre langue française et langues étrangères, entre langage soutenu et trivialités et enfin l’expression linguistique des transgressions sociales, qu’il s’agisse de pratiques sexuelles transgressives, de la consommation de drogue ou d’alcool.

1. BD financière et langue de spécialité

1.1. Langue et bande dessinée

11Les avis des critiques divergent quant à l’histoire de l’analyse du texte et de la langue dans la bande dessinée, générant parfois d’âpres querelles. Nombreux sont ceux qui considèrent qu’elle a été relativement peu étudiée jusqu’à une période très récente, les critiques et chercheurs portant essentiellement leur attention sur l’histoire de ce genre, sa défense, l’analyse de son système et l’articulation texte-image souvent dénommée « langage » de la bande dessinée. Harry Morgan considère qu’il est erroné de penser d’envisager « l’évolution de la théorie de la BD comme penchant successivement vers l’étude du texte puis de l’image » et souligne que :

Si l’évolution de la théorie stripologique ne fait donc pas apparaître de choix tranché des théoriciens en faveur du texte ou de l’image, il est très clair par contre que nombre d’auteurs écrivant sur la BD au titre d’une science humaine quelconque souffrent d’une problématique incapacité à aborder l’image dans les récits en images. […] Il en va de même dans beaucoup d’ouvrages d’éducateurs. (Morgan, 2003, p. 23)

Et Harry Morgan de poursuivre : « ces auteurs considèrent la bande dessinée comme une hypothétique pièce de théâtre, dont il convient d’étudier le texte, le dessin n’étant qu’une sorte de mise en scène », avant de souligner que les positions d’un même auteur, Umberto Eco par exemple, peuvent être interprétées de manière divergente (Morgan, 2003, p. 28). Matteo Stefanelli inscrit — comme d’autres — les études des structuralistes dans une perspective linguistique, et rappelle que

[l]a question de la langue est aussi au cœur des études des éducateurs et des humanistes qui souhaitent décrire ses spécificités lexicales, sémantiques et syntaxiques ou considérer ses liens avec les langues naturelles (2012, p. 30).

  • 9 Silvia Morgana, « La lingua del fumetto », dans I. Bonomi, A. Masini et S. Morgana, La lingua itali (...)
  • 10 Une autre approche, moins diffuse, consiste à étudier la langue dans sa dimension morphosyntaxique (...)

12Il poursuit sur la richesse des conclusions de Silvia Morgana, qui débouchent sur la mise en lumière d’une langue proche de celle du théâtre9. Thierry Groensteen considère quant à lui que le dialogue remplit une fonction proche de celle des dialogues cinématographiques (Groensteen, 1997, p. 45). Il est révélateur enfin que l’un des plus éminents spécialistes de la bande dessinée, par ailleurs scénariste, écrive que « [d]es lectures naïve ou savante, politique, sociologique, philosophique ou psychanalytique, aucune, a priori, ne peut être interdite » avant de concéder que « le trait, la couleur ou le dialogue méritent parfaitement d’être analysés » (Peeters, 1991, p. 6-7). Souvent les études s’inscrivant dans le domaine linguistique se sont intéressées aux jurons, en établissant des listes dont le but est aussi probablement de divertir, ou ont été menées, parfois avec brio, avec des objectifs autres que l’analyse de la bande dessinée, tel l’enseignement du FLE ou d’une langue vivante étrangère à travers la bande dessinée (Rouvière, 2012)10.

13La langue utilisée dans la bande dessinée est une langue parlée par des personnages de fiction mais transmise par l’écrit, la dimension diamésique, c’est-à-dire la variation existant entre écrit et oral, ne peut donc être appréhendée selon les critères habituels, l’écrit devant simuler un langage oral nettoyé de tout ce qui ralentit la profération du discours. Le discours est inscrit à l’intérieur de bulles qui structurent le dialogue, dans l’espace de la vignette et dans le temps, désignant les interlocuteurs et l’ordre de prise de parole. Les bulles contiennent le discours avec son sens mais aussi ses caractères suprasegmentaux : si, dans les trois séries, le contour de la bulle reste immuable, les cris et les intonations passent de manière classique par le lettrage, caractères gras et majuscules grossies notamment. Ainsi que nous le verrons, quelques éléments textuels seront présents directement dans les vignettes. La bande dessinée se fonde sur le dialogue, d’où la nécessité d’une vraisemblance de l’échange tout en sachant qu’un personnage de BD ne s’exprime pas comme une personne réelle. Les auteurs sont souvent confrontés à la nécessité d’une économie de moyens, de paroles, d’une recherche d’efficacité et de condensation, imposées par l’espace limité offert par la bulle et la vignette (Giaufret, 2013). Ce qui nous intéresse ici c’est donc la langue telle qu’elle est parlée et entendue par les personnages, avec ses termes techniques et le discours spécialisé (Petit, 2010).

1.2. La langue de la finance

14Le premier point concerne l’intégration de la langue de spécialité dans les œuvres qui constituent notre corpus. Ainsi que le déclare Michel Petit :

Il n’est sans doute pas étonnant que la manifestation la plus immédiatement visible du substrat professionnel dans les textes de la FASP soit terminologique. Ceci correspond en effet au préjugé commun qu’une langue de spécialité est une langue dont seuls les spécialistes connaissent et comprennent les termes. (Petit, 1999)

15La formation des scénaristes garantit la fiabilité de la langue de spécialité utilisée par les personnages : Jean Van Hamme, scénariste de Largo Winch, était ingénieur commercial de formation ; spécialisé en finance et droit administratif, il travailla dans plusieurs entreprises comme directeur administratif ou consultant, avant de se consacrer exclusivement à l’écriture (Gaumer, Moliterni, 1993, p. 650). Sa spécialisation est reconnue comme un atout indéniable : « Par sa formation en sciences commerciales et économiques, Jean Van Hamme est très à l’aise pour entraîner le lecteur dans cet univers secret de l’argent » nous disent Moliterni et Mellot (1996, p. 239). Philippe Guillaume, co-auteur des scénarios de Dantès, a travaillé comme journaliste spécialiste de la bourse à la Côte Desfossés, avant de participer à la fondation de La Tribune, en 1985, journal qu’il quitte cinq ans plus tard pour rejoindre les Échos, où il devient responsable du service Marchés (Picaud, 2008). Ainsi qu’il l’exprime dans une interview, son passage à l’écriture de scénarios de BD financières naît d’une frustration : « En tant que journaliste financier, j’ai vu beaucoup de choses mais j’ai été parfois frustré de ne pas pouvoir tout écrire. » (Picaud, 2008) Ces compétences sont celles des auteurs de FASP, acquises par la formation universitaire ou l’expérience professionnelle et mises en évidence par Michel Petit qui souligne que le thriller relevant de la FASP « décrit les mécanismes de ces forces de subversion d’un point de vue technique, que permettent à la fois les compétences professionnelles du personnage principal et celles de l’auteur » (Petit, 1999).

16La question de la compréhension de ces publications par des lecteurs qui, pour la plupart, n’appartiennent pas à la même catégorie socioprofessionnelle que les personnages se pose d’emblée. Cette question est d’autant plus importante que ces bandes dessinées ont peu recours aux récitatifs, textes encadrés où le narrateur peut commenter l’action ou fournir des indications au lecteur. Le discours spécialisé entre les personnages qui appartiennent à un groupe professionnel doit tout à la fois être cohérent du point de vue fictionnel et transparent ou suffisamment clair pour que le lecteur ne soit pas rebuté. La langue de spécialité doit donc apparaître de manière limitée et ciblée et les scénarios doivent rester compréhensibles au non-initié tout en restant attrayants pour les spécialistes du domaine : Dantès a été pré-publiée dans Les Échos pendant l’été 2007 et, même si elle ne leur est pas exclusivement adressée, elle a été au départ lue par des lecteurs du journal, qui s’intéressent au monde des affaires et de la finance et l’ont accueillie avec enthousiasme ainsi que nous pouvons le lire dans une interview de Philippe Guillaume :

Toujours est-il que cette bande dessinée qui se déroule entre la bourse et la banque séduit illico « les professionnels, les cadres de la finance. Petit à petit, nous avons des lecteurs qui viennent d’autres milieux, sinon nous n’aurions pas ces chiffres de vente ». (Destraz, 2011)

Narcocratie, quatrième tome d’IR$, fut pré-publié dans Les Échos pendant l’été 2002 grâce à Philippe Guillaume (Gaumer, 2004, p. 406), un Largo Winch le fut en 2005 dans Capital. Intéressante à cet égard est la remarque de Stefanelli lorsqu’il précise que

[a]nticipant la télévision à péage, la bande dessinée a répondu aux attentes complexes de nouveaux publics, habitués à sa fréquentation dès l’enfance mais ne la rejetant pas à l’âge adulte dans un contexte de légitimité culturelle relativisée (Stefanelli, p. 11).

17Par ailleurs, ces bandes dessinées servent les intérêts de ces journaux pendant la période estivale :

[Philippe Guillaume] a sans doute aidé à cette publication en avant-première sous forme de feuilleton quotidien dans le journal, mais aussi sur la version payante des echos.fr. Il faut aussi dire que la presse économique vit au ralenti à cette saison et la BD permet non seulement de fidéliser des lecteurs mais aussi de compenser une perte éditoriale. Pour l’éditeur Dargaud, c’est une occasion de promouvoir l’album auprès d’une cible toute trouvée avant sa sortie chez les libraires le 14 septembre. (Picaud, 2008)

Il est donc évident que pour Dantès le lecteur spécialisé a été pensé comme lecteur premier mais non comme lecteur exclusif. Cela est certainement moins évident pour les deux autres séries de notre corpus.

18Les personnages passent très naturellement de la langue usuelle à la langue de spécialité et l’utilisation de la langue de spécialité rend crédibles leur discours et leurs actions. Dantès introduit essentiellement les termes relevant de la bourse et des nouveautés des marchés tels « le MATIF », les indices boursiers (« l’indice CAC 40 »), les opérations boursières (« chambre de compensation ») mais aussi la bourse en tant que lieu physique d’échange, « le palais Brongniart » avec sa « salle des marchés », son « parquet » et enfin les activités des traders tel « le back-office » (voir annexe). Plus intéressant pour le lecteur est toutefois le discours qui explique les mécanismes et surtout les transgressions. À la question d’Alexandre « Vous voulez dire que je serai à la fois responsable à la corbeille et au back-office ? » renchérit son supérieur « il n’est pas raisonnable de confier à la même personne les opérations de la corbeille et leur règlement ». Les auteurs supposent que certains lecteurs puissent ne pas connaître ces nouveaux marchés, aussi font-ils dire à Alexandre : « Je m’occupe du marché à terme, le Matif, je ne sais pas si tu vois de quoi il s’agit… » La jeune femme à qui il s’adressait lui rétorque immédiatement qu’elle suit les changements du secteur bancaire. Tout ce lexique est essentiellement concentré dans le tome 1, où se met en place le mécanisme implacable de la manipulation. Un « Petit lexique boursier à l’usage des néophytes », placé en fin de volume, présente treize termes techniques. Avec le tome 3, le vocabulaire de la bourse s’ouvre sur le cadre américain : « Une de mes filiales doit faire son entrée sur le NYSE demain » tandis qu’un astérisque introduit l’explication : « NYSE : New York Stock Exchange, la bourse de New York ». Fréquemment les auteurs recourent à ce type de stratégie : l’un des personnages explique aux autres, dont il suppose qu’ils ne connaissent pas suffisamment le domaine dont il est question, les mécanismes financiers injectant ainsi le discours et le lexique spécialisés. Dans cet exemple toutefois, Alexandre / Christopher Dantès ne peut pas recourir à l’explication car la journaliste, spécialiste de la bourse, sait forcément ce qu’est le NYSE, d’où la nécessité d’intégrer cette explicitation, équivalent d’une note de bas de page.

19Parallèlement, le lexique lié aux opérations boursières s’enrichit avec les termes relatifs à la mise sur le marché des sociétés comme « première cotation », « actionnaire » et « plus-value » ou aux opérations liées à une « OPA », à savoir « les éléments techniques » ou « certificat de la Cob ». Dantès est, sans conteste, la série la plus intéressante de ce point de vue. Le lexique présent dans le discours est complété par les mots apparaissant directement dans les vignettes, construisant le décor et permettant d’inscrire nettement les personnages dans leur contexte de pratiques professionnelles. Le lecteur de La chute d’un trader découvre, par exemple, le son de la cloche de clôture qui retentit en un « Dong » en alignement horizontal hors de la vignette en capitales de plus de deux centimètres de hauteur puis en alignement vertical, avec des lettres étirées en hauteur, constituant une véritable clôture après trois vignettes étroites et étirées présentant le visage d’Alexandre en plans de plus en plus rapprochés, signes d’une agitation frénétique (p. 36). Sont aussi représentés les tableaux d’affichage du palais Brongniart, indiquant les « points » de l’indice CAC 40 et les pourcentages des « variations de séance » (p. 12 et 42).

20Dans IR$, le lexique spécialisé est bien moins riche : « société d’investissement à Wall Street », « stabilité des marchés », « bénéfice d’impôt » sont les rares expressions rencontrées dans les premiers volumes. Ici les personnages parlent beaucoup d’argent tout en recourant rarement à des termes techniques : les auditeurs d’une radio s’expriment à propos de l’IRS en utilisant simplement la langue usuelle.

21La série Largo Winch se distingue par une présence importante du discours spécialisé dans les dialogues, ce qui rapproche ces bandes dessinées des romans à substrat professionnel analysés par Michel Petit (1999) où prédomine le dialogue. Le lexique est varié avec des termes et expressions concernant les sociétés comme « filiales » ou « législations anti-trust » et leurs actionnaires avec, par exemple, « paiement des dividendes » (voir annexe).

22Certaines bulles ou planches offrent de véritables leçons d’économie ou de finance et les longs passages explicatifs sont privilégiés. Il y a dans Largo, une mise en scène beaucoup plus forte de la langue de spécialité. Ici la langue de spécialité ne se réduit pas à son aspect lexical mais est mise en fonction dans son aspect discursif. Le lecteur apprend, par exemple, que « la tendance généralisée à la hausse des taux d’escompte européens, parallèlement à l’érosion des valeurs boursières sur les principales places financières, peut nous permettre d’augurer d’une excellente conjoncture pour nos banques de dépôt à l’aube du grand marché de 1993 » (Le groupe W, p. 13), ou qu’« en vieux droit germanique, comme certains d’entre vous le savent, une Anstalt était une société à patente. C’est-à-dire l’autorisation d’exercer une activité quelconque contre le paiement d’une dîme annuelle fixe au souverain de l’État » (Le Groupe W, p. 17). L’astérisque de rigueur introduit un commentaire de l’auteur, « c’est barbant, d’accord, mais c’est comme ça », après qu’il a infligé cette longue explication :

Comme vous ne l’ignorez pas, la procédure des offres publiques d’achat est régie chez nous par le Williams-Act de 1968. Cette procédure a cependant été modifiée par le fameux Hart-Scott Rodino Antitrust Improvement Act de 1976, qui amende considérablement la section 7 du Clayton Act de 1914 (O.P.A., p. 42),

suivie par : « Ces nouvelles dispositions exigent, trente jours avant le début de toute O.P.A. la notification du projet auprès de la Federal Trade Commission et de la Division Anti-Trust du Département de la Justice », permettant d’introduire d’autres modes de fonctionnement : « Il y a d’autres moyens de contrer une O.P.A., Largo. Dont le plus classique consiste à faire une augmentation de capital en émettant de nouveaux titres. » Alors que dans Dantès une OPA frauduleuse a été montée en quelques vignettes, plus de trois planches y seront consacrées dans Largo Winch. Ces passages permettent notamment l’introduction des sigles. Un personnage explique enfin que le Grey Act est « une vieille loi de 1951 qui interdit à toute personne ou société étrangère de racheter plus de 50 % d’une entreprise américaine sans l’accord du Congrès » (Business blues, p. 34). Le clin d’œil au lecteur, rarissime dans ces séries, permet aux auteurs d’expliquer à celui-ci que ce domaine peut être ardu et qu’ils lui en donne une image « réelle », car le risque ici était bien de tomber dans ce que Peeters écrivait à propos des dialogue du Prince Valiant de Foster : « Rapporté et entouré de guillemets, le dialogue lui-même s’immobilise, induisant un rythme distancé […] » (Peeters, 1991, p. 84) Avec Largo Winch, le lecteur est davantage confronté au discours construit et argumenté ainsi qu’à la phraséologie. Ces bandes dessinées exigent de leurs lecteurs non pas tant des compétences en langue de spécialité et une connaissance du domaine abordé qu’un intérêt pour ce domaine et une disponibilité pour accepter d’entendre un discours qui n’est pas forcément d’emblée totalement transparent. Par ailleurs, ce lecteur est systématiquement aidé dans son travail de compréhension par les dialogues souvent très didactiques. Nous rencontrons ici deux niveaux d’acceptabilité requise : le lecteur spécialisé doit accepter les explications qui parfois pourraient lui sembler bien simples, tandis que le lecteur moins compétent doit accepter la présence de quelques termes ou mécanismes qui pourraient se montrer résistants.

1.3. Transgressions professionnelles et langues de spécialité

23Nos séries relèvent du thriller financier, genre qui exige une transgression, sans laquelle il n’y aurait point d’histoire haletante, point d’aventure enthousiasmante, point de héros. Le lecteur attend donc dès les premières planches les délits qui déclenchent l’aventure, les écarts vis-à-vis des règles qui codifient la profession et son exercice. Qu’elles soient autobiographiques comme L’affaire des affaires, partiellement vraisemblables comme Dantès ou de pure fiction comme Largo Winch, toutes ces bandes dessinées ont comme moteur une transgression professionnelle initiale : fraude fiscale, délit d’initié, manipulations boursières, OPA frauduleuse. Ces histoires comportent toutes une part de fiction pure, la composante la plus transgressive : le recours au crime et au délit, de l’enlèvement au meurtre ; elles se distinguent néanmoins par la vraisemblance des malversations financières, dont le montage est fondé sur des recherches approfondies menées par des scénaristes ou coscénaristes spécialistes des domaines abordés.

24Cela implique l’entrée, dans notre corpus, du lexique lié aux fraudes. Pour IR$, il s’agit en prévalence de fraudes fiscales, exprimées essentiellement à travers des locutions évoquant « circuits d’évasion et de blanchiment d’argent », « comptes dormants », « sociétés écran », « blanchiment », « loi du libre-échange » mais aussi de « […] collaborateurs […] intégrés et payés par des sociétés écrans pour des travaux fictifs mais tout à fait légaux » (Blue ice, p. 36). Larry Max ose même un jeu de mot, parlant d’« un purgatoire fiscal […] où on blanchit son âme et son argent en attendant de pouvoir en profiter » (Silicia, p. 23). La série Dantès dévoile progressivement la langue spécialisée du délit financier : Alexandre est accusé de « malversations, détournements de fonds, délit d’initié […] à des fins d’enrichissement personnel ». La question des « comptes off-shore » et de la « délinquance financière » est abordée et les mécanismes de rachat d’entreprises sont explicités sommairement : « Il s’agit en gros de racheter une filiale saine d’un gros groupe, ce qui vous donne une plus-value immédiate et vous permet de fusionner avec une autre grosse boîte qui absorbe vos dettes. » (Le visage de la vengeance, p. 38) Dantès souhaite « lancer une OPA sur une coquille vide, pour en faire le véhicule côté de [s]on groupe » mais ensuite « Il y aura les actifs pourris à transférer », et entrera en jeu le « pôle financier du parquet de Paris ». Et Largo reste fidèle à son approche didactique : « Vous ne serez pas le premier banquier suisse à transgresser l’article 47 de la de 1934 sur le secret bancaire », peut-on lire dans O.P.A. (p. 5). Les personnages doivent être mis dans une situation qui les amène à construire un discours crédible avec double destinataire, autres personnages et lecteurs.

2. Les transgressions linguistiques

2.1. Les langues étrangères et les emprunts linguistiques

25L’alternance codique s’incarne en premier lieu dans le recours aux langues étrangères et aux emprunts. En effet, des auteurs doivent réussir à créer un effet de réel de la nation étrangère tout en restant absolument compréhensibles pour les différents lecteurs. Voici ce qu’écrivait à ce propos Pierre Fresnault-Deruelle :

Cette nationalité une fois reconnue et définie […] n’est plus marquée que par certaines locutions, et par le tracé. Si la langue originale du pays est conservée, c’est pour indiquer qu’elle n’est pas comprise par les héros, auxquels nous nous identifions puisque, comme eux, nous ne « saisissons » pas. (Fresnault-Deruelle, 1970, p. 150)

Cette déclaration est probablement à nuancer pour nos BD, car souvent le lecteur comprend.

26Seule la série IR$ abonde en emprunts pour situer la série aux États-Unis : « Thank you, Sir. Bonne fin de soirée » ; « Mister Secretary » ou « Secretary of Treasury », « Sir » toujours accompagnés d’une traduction en note « Secrétaire d’État aux finances » ou « Ministre des Finances », « Attorney général » ; un « Menu » en français est proposé au restaurant The Square Garden. À l’aéroport, les personnages s’expriment en anglais : « Good afternoon, Sir » ; « Welcome home, Mister … Wayne? », « Have a nice stay in L.A., Mister Wayne » tandis qu’une annonce est faite en français. Une chanson en anglais est écoutée au début de la Voie fiscale (Ironic d’Alanis Morissette). Dans Narcocratie, plusieurs personnages s’expriment en espagnol : « Buenas noches, señor », « Por aqui, señores. Vos chambres sont par ici ». Dantès, qui se déroule pour l’essentiel à Paris, ne présente qu’un cas d’alternance, dans le tome 3, lorsque Christopher Dantès invite la journaliste Lucie Mondran au NYSE, celle-ci sera accueillie à l’hôtel par un membre du staff : « and here’s your room, Miss Mondran. A chauffeur will wait for you down the hall in twenty minutes to take you to Wall Street », et plus loin « Here we are, miss ». Aux deux interventions, elle répondra d’un simple « Thank you ». Le lecteur décode à chaque fois ces quelques mots comme signe d’une utilisation continue d’une autre langue que la sienne, ce qui est dit est relativement transparent et ne pose a priori pas de problème particulier d’acceptabilité, sachant par ailleurs que ces intrusions de langues étrangères sont assez peu fréquentes et ne constituent en rien une entrave à la compréhension. Ces alternances entre langues ne touchent jamais la langue de spécialité proprement dite, leur rôle étant essentiellement destiné à bâtir le cadre géographique et linguistique dans lequel évoluent les personnages.

2.2. Les variations de registre

27Les personnages — tout comme les hommes — adaptent leur conduite langagière au contexte d’énonciation, à leurs interlocuteurs et à leurs motivations. Les origines sociales peuvent induire des variations de registre, entre la langue châtié d’un Saint-Hubert et celle du collègue d’Alexandre qui accumule les : « Hé, réveille-toi, man ! Y a Saint-Hubert qui veut te voir dans son bureau » ; « Adesso » ; « Cool man, y va pas te manger » dans les premières planches de La chute d’un trader. Bonnefond et Saint-Hubert n’ont pas la même classe sociale d’origine ni la même position professionnelle qu’Alexandre, issu de famille modeste, ayant grandi dans un immeuble en banlieue. Les personnages peuvent changer de registre afin d’atténuer ces différences de position et d’instaurer une complicité trompeuse et de pure apparence, comme dans ce dialogue entre le jeune Alexandre et son supérieur hiérarchique :

Saint-Hubert : Ah ! Entrez, entrez donc ! Asseyez-vous ! Allez, mon petit Alexandre, ne restez pas planté là. — Alexandre : Monsieur le directeur… — Saint-Hubert : Allons donc, pas de ça entre nous. Vous n’êtes pas sans savoir, mon petit Alexandre, que de nouveaux marchés s’ouvrent à nous aujourd’hui… » (La chute d’un trader)

28Le registre soutenu est assez vite éliminé au profit non seulement d’un registre standard, mais fréquemment d’un registre familier, chez Thierry Minez par exemple. Les alternances codiques sont davantage marquées et fréquentes chez les personnages négatifs, adversaires du héros, en particulier chez les hommes politiques et les personnages qui trempent dans les différents complots et manipulations, tel Thierry Minez et ses « Garçon, vous me mettez un double whisky, por favor », « on se fait des Golden balls », « sinon on l’aura dans l’os ». Alexandre, d’origine modeste mais bien élevé, se contente de crier « Yes !! », les caractères gras exprimant sa joie, quand il obtient son nouveau poste et d’ajouter : « Quand je vais te dire ça au père Titi, il va avaler son cachou direct. »

29Les variations de registre ne posent a priori aucun problème quant à leur acceptation de la part du lecteur qui les connaît peut-être pour les voir pratiquées ou qui s’en amuse.

2.3. Jurons et mots orduriers

  • 11 Nous pouvons, par exemple, citer le célèbre recueil sur les jurons du Capitaine Haddock, publié par (...)

30Certains personnages passent aisément du registre standard au registre vulgaire11. Alexandre reste souvent poli se contentant souvent d’un « Purée », les plus expressifs et grossiers de ses jurons étant « Merde, quel con » quand, devenu Christopher Dantès, il comprend que son complice Isaac va tuer Bonnefond, responsable de la mort de son père, ou « Chiottes ». La série Dantès est très riche de ce point de vue, affichant une amplification progressive du recours aux mots orduriers chez les politiciens et spécialistes de la finance. Thierry Minez est probablement l’un des personnages qui commet le plus d’écarts, son langage devenant de plus en plus violent et grossier au fil des épisodes : « C’est qu’elle commence à me faire sérieusement chier, celle-là » dit-il à propos de sa femme, ou « Putain, vise un peu la baraque » ; et à Marion qui lui demande : « Tu es vraiment obligé de dire putain à chaque début de phrase ? », il rétorque : « Tu sais quoi, Marion, je t’emm… » Mais les personnages haut placés tombent aussi fréquemment dans la vulgarité : Saint-Hubert s’exclamera « Ah, le saligaud… » dans une des rares bulles de pensée présentes dans le corpus, lorsque Christopher Dantès part sans régler la note du restaurant ; plus tard ce sera « LE SALOPARD » en caractères gras et majuscules augmentées, stratégie graphique permettant d’exprimer un cri ou une forte exclamation. Ce personnage, qui affirme être « très vieille France » et que son épouse vouvoie, lance à cette dernière qui s’inquiète pour lui un « Oh ça va lâchez-moi » avant d’enchaîner plusieurs « Alors, elle l’a fait, la salope » et « nom de Dieu ». Bonnefond lance à Alexandre qui l’a piégé « vous êtes une ordure », tandis que de Salers, chef de file du parti d’extrême-droite, profère probablement les expressions les plus vulgaires depuis « Toi, la pute, tu vas y passer la première. Mais m… ! Qu’est-ce que c’est que ce bordel ! » et « Ça ne m’étonne pas de cette petite pute ! », jusqu’à « Sale petit enculé », « Votre petit copain a voulu jouer au con » ou « Foutez-moi la paix ». Ces jurons jouent le rôle de marqueurs de virilité, et le manque de contrôle du personnage haut placé au langage d’habitude si châtié se traduit dans son langage. Ces jurons et insultes permettent de communiquer instantanément l’état d’âme du personnage et sont une marque de l’intensité du discours, particulièrement importante dans le cas de la BD où le lecteur doit créer ce que Pierre Fresnault-Deruelle a appelé « fantasme sonore ». Pour traduire l’intensité de la voix, les auteurs utilisent, de manière traditionnelle, les caractères gras suivis de points d’exclamation. Dans IR$, les jurons sont presque exclusivement proférés par les délinquants, Larry B. Max se contentant de lâcher quelques « Holy sh… » ou « Nom de… » (voir annexe). Ici les jurons sont matérialisés non pas par les caractères, gras, italiques ou majuscules, mais par le recours à la langue étrangère. Cet emploi de la langue étrangère pour exprimer les insultes et jurons a été analysé par P. Fresnault-Deruelle qui précise que :

La conservation des caractères propres à certains idiomes peut également jouer un autre rôle : elle sert de censure au dessinateur, ou plus exactement de paravent. Par souci de réalisme, il fallait faire comprendre que les hommes, dans leur colère, ne tiennent pas toujours de chastes propos. […] le scénariste code alors son message, qui apparaît de ce fait comme une traduction non opérée. (Fresnault-Deruelle, 1970, p. 150-151)

31Dans Dantès, alors que la langue est relativement policée au départ, les personnages négatifs sont de plus en plus marqués par les écarts verbaux, tel le « vous n’êtes qu’un petit con, Winch, un petit con » prononcé par Cochrane. Les écarts restent acceptables et souvent inventifs, qu’il s’agisse du « Par saint down-jones » de Cochrane ou des « saintes culottes de Dieu » de Fenimore. Largo s’en tient à un classique « Nomdedieudenomdedieudenomdedieu » et la promesse de flanquer le « procès du siècle aux fesses de cette vieille salope » lorsqu’il apprend son soi-disant mariage par la presse. Nous pouvons ainsi souscrire à l’avis d’Anna Giaufret lorsqu’elle affirme que « […] l’emprise de l’autocensure, […] impose souvent des restrictions à la bande dessinée : la vulgarité écrite est bien plus choquante […] » (Giaufret, 2013).

32Les jurons et insultes présents dans nos publications restent relativement classiques, assez rares et justifiés par les situations que vivent les personnages pour être acceptés facilement des lecteurs, et d’un public majoritairement masculin.

3. L’expression sociale des transgressions

33Marion synthétise les transgressions sociales des hommes du monde de la finance, dans une phrase à l’intention de Thierry Minez, son mari, évoquant « ta came, tes putes et tes soirées avec Sylvie Fontaine », écarts que ne manquent pas de souligner aussi les hommes qui ont ourdi la machination dans laquelle il est impliqué : « Il faut dire que la vie qu’il mène doit lui coûter cher ! Les boîtes de nuit, les cercles de jeu, où il ne brille pas par sa réussite, les parties fines, le tout largement saupoudré de coke », avant d’évoquer ses « soirées sm ».

3.1. La drogue

34Depuis quelques années, les articles sur les conduites à risque des professionnels de la finance se multiplient (Leclerc, 2010 ; Shaeffer, 2013). Selon une étude de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie rendue publique au second semestre 2010, 10 % des salariés de ce secteur seraient concernés. Dans leurs récits autobiographiques, les traders révèlent les consommations de drogue, la fréquentation des prostituées, les cadeaux en tout genre reçus des clients. En 2011, la Suisse envisageait de mettre en place des tests de dépistage pour traders, suivant une idée proposée en Italie par Giovanardi, ancien sous-secrétaire d’État du gouvernement Berlusconi, qui imputait la crise financière aux traders et à leurs addictions. Il est maintenant de notoriété publique que le bureau de Madoff était surnommé le Pôle Nord (Anderson, 2013). En avril 2013, dans un article publié dans le Sunday Times, David Nutt, psychiatre à l’Imperial College de Londres a affirmé que la crise financière et la chute de la Barings viendraient d’une consommation excessive de drogue, mais ses déclarations ont trouvé peu de crédibilité outre-Manche. Thierry Minez est fréquemment représenté alors qu’il achète de la drogue (La chute d’un trader, p. 10) ou qu’il sniffe de la coke. Devant le tribunal qui lui rappelle qu’il a été arrêté pour détention de drogue, il se justifie ainsi : « Disons qu’à cette même époque, pour combattre la pression que je subissais au boulot, j’ai été amené à chercher des compensations… » Il avait proposé à Alexandre d’essayer : « De toute façon, j’ai ce qu’il faut pour tenir, si tu vois ce que je veux dire… Tu ferais bien de t’y mettre toi aussi, d’ailleurs ! » (La chute d’un trader, p. 11) ; et celui-ci avait dû intervenir pour qu’il laisse tranquille une jeune femme : « Mais purée ! Tu peux pas lui foutre la paix ! Ça fait trois plombes qu’elle te dit qu’elle n’en veut pas de ta merde ! » (La chute d’un trader, p. 14) La consommation, production ou vente de drogue sont mentionnées à plusieurs reprises dans les dialogues des trois séries, mais cette transgression est essentiellement exploitée dans les images, lorsque l’on voit par exemple Thierry Minez acheter une dose. Ses addictions à la drogue et à l’alcool transparaîtront rapidement sur son corps, en particulier sur le teint de son visage qui deviendra de plus en plus gris et sur sa mise, de moins en moins élégante, la cravate le plus souvent dénouée et la cigarette placée négligemment entre les lèvres, y compris lors des séances à la bourse (La chute d’un trader, p. 20 et 21).

3.2. L’alcool

35Dans ces bandes dessinées, les personnages sont souvent représentés un verre à la main, en société notamment, dans les soirées, boîtes de nuit et bars, mais l’ivresse dérangeante n’est représentée que de manière exceptionnelle, dans la scène où Thierry Minez, probablement ivre mais aussi blessé à l’abdomen, vomit sur le tapis de Marion (La chute d’un trader, p. 28-29) ou celle où Marion est visiblement ivre lors de la soirée de gala qui ouvre la série. Boire fait partie des marqueurs d’intégration dans cette société, mais boire de manière excessive fait commettre des erreurs et va souvent de pair avec un changement de langage. L’éthylisme mondain de Marion est exprimé à travers les images mais aussi par le discours : en ouverture du deuxième tome, elle se présente elle-même à Alexandre devenu Christopher Dantès comme celle « qui ne fait rien d’autre que boire ! », elle que l’on a vue systématiquement un verre de champagne et une cigarette à la main, dans les premières et dernières planches encadrant le flash-back du premier volume. Cette déclaration est aggravée par la remarque de Bonnefond qui introduit la dépendance aux médicaments, que le lecteur ne peut voir ici : « Excusez-la… Les antidépresseurs et l’alcool n’ont jamais fait bon ménage. » La jeune femme poursuit décochant un « Bienvenue dans le monde de la finance » comme si, avec ses addictions, elle représentait métaphoriquement ce monde. Le lecteur comprend rapidement que cette dépendance a été déclenchée par l’emprisonnement d’Alexandre, la conviction qu’il l’avait trompée et le mariage calamiteux avec Minez. En ce qui concerne le contexte de consommation, ici l’image est plus signifiante que le discours. Différents types de consommation d’alcool sont représentés : de la consommation modérée lors de différentes occasions de socialisation des séries Largo Winch et Dantès, avec des personnages qui prennent parfois le temps de commenter les qualités d’un vin, et correspondant à ce que Laurent Bègue définit comme « un remarquable lubrifiant social » (Bègue, 2008), à la consommation excessive tant chez les hommes, comme Thierry Minez, excès qu’il impute à une prétendue pression professionnelle, ou chez les femmes, avec une situation relevant de l’éthylisme mondain chez Marion, qui cessera progressivement. Largo Winch boit du Perrier tandis que son ami Simon déguste du champagne en compagnie d’une secrétaire, mais acceptera de prendre un verre de champagne à 10 heures du matin pour fêter un investissement réussi. Larry B. Max quant à lui semble s’adonner à une consommation plutôt solitaire, quand il ne travaille pas, probablement parce que son métier et le port d’arme lui imposent de garder ses réflexes intacts. Si la consommation d’alcool est fréquemment montrée par les vignettes, le discours sur la consommation reste très discret, probablement parce que celle-ci sert uniquement à construire le personnage et que ses publications ne visent en aucun cas un aspect didactique sur ce domaine.

3.3. Le sexe

36Les pratiques sexuelles de certains personnages constituent le dernier type de transgression. Dans IR$, le protagoniste n’a pas de relation stable : s’il appelle régulièrement une call-girl qui travaille sous le nom de Gloria Paradise, ce n’est visiblement que pour trouver une oreille attentive qui ne porte pas de jugement sur ses réflexions, sans jamais aborder, pendant plusieurs épisodes, le moindre aspect concernant le sexe. Elle seule semble pouvoir combler un vide affectif extrêmement profond chez cet homme, marqué par la solitude. Toutefois, il n’hésite pas à coucher avec une escort-girl tueuse à gage à ses heures pour faire avancer son enquête.

37Largo Winch multiplie les conquêtes, parfois bien malgré lui, car beaucoup de femmes se jettent à ses pieds, ses amis quant à eux accumulent les aventures sur tous les continents. Dans cette série surgissent quelques phrases osées, qui émaillent les lettres envoyées chaque jour à Largo : « Largo Chéri, je m’appelle Jeanne et j’ai vu ta photo dans le journal. Tu es si beau que j’ai follement envie de te su… », la lecture faite par une jeune et aguichante secrétaire est fort à propos interrompue par la redoutable Miss Apfelmond. Plus tard, son ami Simon poursuivra ces lectures de missives citant : « […] une respectable mère de famille du Nebraska qui te propose le pucelage de ses filles jumelles pour dix mille tickets. Une affaire, paraît-il. » Les parties fines à trois sont souvent évoquées, notamment dans Largo Winch, mais ces thèmes restent essentiellement exploités par l’image. Dans O.P.A., Gus Fenimore « vieux renard de l’acrobatie de la finance » est surnommé « Monkey Balls », car « Un bruit court… Fenimore a plus de soixante-douze ans et a toujours été un grand amateur de femmes. On prétend que pour conserver sa vigueur, il s’est fait greffer des testicules de chimpanzé. […] ». Et, pour confirmer l’attrait de ce roublard pour le sexe, tandis que Largo fouille ses documents à la recherche d’irrégularités dans la conduite de l’OPA, son ami et complice Simon trouve et feuillette une superbe édition reliée du Kamasutra. Dans Dutch Connection, Scarpa — responsable de la branche hôtellerie — boit seul et en grande quantité ainsi que le révèlent dans la vignette les multiples bouteilles d’alcools forts placées sur la table. Il ne fait preuve d’aucune retenue caressant sa soubrette court vêtue en présence de Largo, et encore une fois l’image sera bien plus explicite que le discours. Ses écarts sont bien plus graves et il fera l’objet d’un chantage après une soirée passée en compagnie de jeunes filles mineures, dont l’une sera retrouvée morte à la suite « d’un jeu qui a mal tourné ». Le langage sert à exprimer ce qui ne l’est pas par l’image. Dans Dantès, Minez et Fontaine s’adonnent à des pratiques hors norme lors de soirées sado-maso, provoquent des dérapages sexuels pour faire tomber Alexandre, et à Sylvie Fontaine impose des relations sexuelles qui seront photographiées par ses complices. Le registre de Minez pour parler des jeunes femmes rencontrées en boîte de nuit est pour le moins explicite et vulgaire : « Les filles étaient chaudes mon vieux. » Il est probable que le lectorat essentiellement masculin de ces bandes dessinées, et des bandes dessinées en général, favorise ce genre de remarque (Ciment, 2012, p. 124).

38Destinées à un public de plus de 16 ans, ces bandes dessinées ne tombent pas sous le coup de la loi no 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, loi à laquelle sont assujetties « toutes les publications périodiques ou non qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinées aux enfants et adolescents », lesquelles ne doivent pas « inciter […] à l’usage, à la détention ou au trafic de stupéfiants ou de substances psychotropes, à la violence ou à tous actes qualifiés de crimes ou de délits ou de nature à nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral de l’enfance ou la jeunesse » (loi n° 49-956 du 16 juillet 1949). Cependant, ces bandes dessinées qui sont destinées à un large public ne sauraient aller trop loin. La représentation de ces différentes transgressions sociales reste relativement maîtrisée et discrète, y compris dans les scènes représentant des relations sexuelles et ne nous semble pas être de nature à être refusée par les lecteurs, d’autant plus que ces écarts sont discrètement mais clairement présentés comme des transgressions difficiles à accepter et sources d’ennuis.

Conclusion

39Nous pouvons conclure avec les approches culturelles qui ont vu « la bande dessinée comme un lieu d’expression, de circulation et de renforcement des connaissances, valeurs symboliques, attitudes, normes d’une société ou de certains groupes sociaux » (Stefanelli, 2012, p. 37). La bande dessinée joue ainsi — selon Stefanelli — un rôle de miroir ou de filtre, peut-être déformant de la réalité sociale.

40Les bandes dessinées qui constituent notre corpus proposent un éventail large et varié d’exemples d’exploitation de la langue de spécialité dans la fiction. La langue de spécialité et le discours spécialisé, maniés par des auteurs experts des domaines explorés, permettent de construire des cadres efficaces et crédibles dans lesquels s’inscrivent de véritables thrillers financiers, parvenant même à donner une assise vraisemblable à des histoires pour le moins rocambolesques. Ces bandes dessinées requièrent une certaine tolérance linguistique de la part des lecteurs qui doivent accepter la présence du lexique et du discours spécialisés, mais aussi des alternances codiques nombreuses, entre langues différentes et registres différents. Néanmoins, les forts tirages montrent que le succès de ces bandes dessinées va bien au-delà d’un cercle restreint de spécialistes du domaine, et que cette exigence linguistique et cognitive ne constitue en aucun cas une entrave à la compréhension et au plaisir de la lecture. Le lecteur n’attend pas de ces bandes dessinées des histoires de la finance, mais bien des histoires captivantes ; aussi serait-il « […] dommage de ne reconnaître à la BD qu’une fonction transitive, de l’utiliser comme simple adjuvant pour enseigner autre chose […] » (Groensteen, 2007, p. 9).

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Bibliographie

Corpus

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— L’Héritier (1990)
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— O.P.A. (1992)
— Business Blues (1993)
— H (1994)
— Dutch Connection (1995)

Boisserie Pierre, Guillaume Philippe et Juszezak Erik, Dantès, Dargaud :
— La chute d’un trader (2007)
— Six années en enfer (2008)
— Le visage de la vengeance (2009)
— Pour solde de tout compte (2010)
— [Le] complot politique (2011)
— L’affrontement final (2012)

Desberg Stephen et Vrancken Bernard, IR$, Éditions du Lombard :
— La Voie fiscale (1999)
— La Stratégie Hagen (2000)
— Blue Ice (2001)
— Narcocratie (2002)
— Silicia Inc. (2003)
— Le corrupteur (2004)


Bibliographie

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Ségas Sébastien, « La diplomatie en images. Discours politique et mythe technocratique dans la bande dessinée Quai d’Orsay (tome I) », Mots. Les langages du politique, n° 99, 2012, p. 61-78, <www.cairn.info/revue-mots-2012-2-page-61.htm> (consulté le 28 mars 2014).

Sekkai Mahina, « Le triangle amoureux de Bernard Madoff », Paris Match, 12 août 2013. <www.parismatch.com/Actu/International/Le-triangle-amoureux-de-Bernard-Madoff-524440> (consulté le 23 mars 2014).

Shaeffer Yves, « Sexe, drogue et… tuyaux financiers à New-York », La Presse, 22 juin 2013, <http://affaires.lapresse.ca/economie/international/201306/21/01-4663961-sexe-drogue-et-tuyaux-financiers-a-new-york.php> (consulté le 28 mars 2014).

Stefanelli Matteo, « Un siècle de recherches sur la bande dessinée », dans Éric Maigret, et Matteo Stefanelli (dir.), La bande dessinée : une médiaculture, Paris, Armand Colin, 2012, p. 17-49.

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Annexe

1. Liste des termes et locutions relevant de la langue de spécialité

Bourse et opérations boursières

Largo Winch
« nouveaux marchés », « marchés émergents », « MATIF », « marché à terme », « salle des marchés », « back-office », « marché obligataire », « opérations de la corbeille », « règlement », « Le palais Brongniart siège de la Bourse et du Matif », « contrats CAC 40 », « indice CAC 40 », « variation », « descendre sur le parquet », « régler la chambre de compensation », « appel de fonds », « couvrir [une] position », « compte d’erreur », « appels de la chambre de compensation », « krach à Wall Street », « montage financier ».

Dantès
« première cotation », « OPA », « éléments techniques », « certificat de la Cob », « conseil des marchés financiers », « fraction de capital » « actionnaire », « plus-value », « holding », « parts », « cérémonie de la cloche », « portefeuille d’actions ».

IR$
« stabilité des marchés ».


Impôts

Largo Winch
« sociétés », « filiales », « chiffre d’affaires consolidé », « holding », « participations croisées », « parts d’actifs », « bilan », « paiement des dividendes », « formule légalisée d’endossement […] », « actionnaire majoritaire », « système d’actionnariat primaire ».

IR$
« bénéfice d’impôt ».


Sociétés

IR$
« société d’investissement à Wall Street ».


Fraude fiscale

Largo Winch
« législations anti-trust ».

IR$
« intérêts de retard et amendes pour fraude à la législation sur les déclarations fiscales », « circuits d’évasion et de blanchiment d’argent », « comptes dormants », « comptes en dormance », « opérations en joint venture », « sociétés écran », « blanchiment », « loi du libre-échange ».

Dantès
« malversations », « détournements de fonds », « délit d’initié », « enrichissement personnel », « comptes off-shore » « délinquance financière », « actifs pourris », « pôle financier du parquet de Paris ».


2. Insultes, jurons et mots grossiers

IR$
« sucker », « Bloody hell », « Holy shit », « Cette sale pute de… », « Lâche ta saloperie de revolver ! », « Ce n’était qu’un moins que rien ! Un fouille merde », « Nom de Dieu », « Verdammt » (foutu, putain de…), « schweinehund » (salopard), « pisse-vinaigre », « Le fils de p… », « Hijos de puercos!?! », « fucking bastard », « Puerco de gringo », « fucking gringo IR$ ».

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Notes

1 Nous renvoyons notre lecteur à Inside Job, excellent documentaire réalisé en 2010 par Charles H. Ferguson et distingué en 2011 par l’Oscar du meilleur film documentaire.

2 Publié en France sous le titre Cityboy : confessions explosives d’un trader repenti chez Balland en 2009.

3 En 1981, dans Mille milliards de dollars, Henri Verneuil avait déjà abordé ces thématiques.

4 Nous pouvons notamment citer : Diamants, de J.-C. Bartoll et B. Köllé publié en 4 tomes chez Glénat, coll. « Investigations », à partir de 2007 ; de S. Desberg et D. Hé, Secrets bancaires, avec 8 tomes publiés de 2006 à 2009 chez Glénat et Secrets bancaires USA, 4 tomes publiés depuis 2011 chez le même éditeur ; sous la plume de R. Malka et A. Mutti, Section financière, 4 tomes parus entre 2006 et 2009 chez Vents d’Ouest ; de P. Renard et A. Osi, Horizon blanc, une série en 4 tomes parue au Lombard, à partir de 1993 ; Milan K, de S. Timel et Corentin, Les Humanoïdes Associés, série en cours avec 3 tomes parus depuis 2009 ; pour J.-P. Verelst et W. Taborda, Think Tank, Paquet, 2008, 2 t. ; de T. Smolderen et D. Bertail, Ghost Money, Dargaud et Hedge fund lancé en janvier 2014. Certaines séries ont été rapidement abandonnées tel Trust de Fleuriet et Salvatori chez Casterman, 2007. L’Affaire des Affaires de D. Robert et L. Astier en 4 tomes chez Dargaud raconte avec grand brio l’affaire Clearstream. Enfin, depuis janvier 2014, L’Express publie sur son site Lakaf affole le CAC, aventures d’un trader qui désorganise le système financier en spéculant dans le radis (scénario de N. Rouvière, dessins de Skoda) : <www.lexpress.fr/culture/livre/feuilleton-bd-lakaf-affole-le-cac_1311911.html> (consulté le 23 mars 2014).

5 Largo Winch est depuis devenu le protagoniste d’une série télévisée, comptant 49 épisodes sur deux saisons, coproduite par Dupuis Films, M6, RTL-TV1 et Paramount, diffusée en France en 2001 (Gaumer, 2004, p. 469).

6 Voici ce que l’on peut lire sur le site de l’IRS pour attirer de nouveaux agents : « A Career In Action! As an IRS Criminal Investigation (CI) Special Agent, you will pull together your accounting and law enforcement skills. CI special agents are duly sworn law enforcement officers who investigate complex financial crimes associated with tax evasion, money laundering, narcotics, public corruption, and much more. Are You Ready For The Challenge? », page Criminal Investigation Special Agent Careers sur <www.irs.gov/uac/Criminal-Enforcement-1> (consulté le 15 mars 2014).

7 Des mêmes Desberg et Vrancken nous pouvons citer IR$ - All Watcher, série terminée proposant des spin-off sur personnages secondaires et, toujours scénarisée par Desberg, la nouvelle série IR$ - Team qui nous emmène dans les coulisses financières du football international.

8 À propos de cette série, voir la page de présentation sur le site des éditions Dargaud (<www.dargaud.com/series/univers-dantes>, consultée le 15 mars 2014) ainsi que l’interview d’Erik Juszezak, intitulée « Vengeance ! » (<www.dargaud.com/auteurs-bd/juszezak-erik,133.html>). Une seconde saison a été lancée en septembre 2013 avec un septième tome, Poison d’ébène.

9 Silvia Morgana, « La lingua del fumetto », dans I. Bonomi, A. Masini et S. Morgana, La lingua italiana e i mass media, Rome, Carocci, 2003, p. 165-198.

10 Une autre approche, moins diffuse, consiste à étudier la langue dans sa dimension morphosyntaxique par exemple.

11 Nous pouvons, par exemple, citer le célèbre recueil sur les jurons du Capitaine Haddock, publié par Albert Algoud, Le Haddock illustré : l’intégrale des jurons du capitaine, Tournai, Casterman, coll. « Bibliothèque de Moulinsart », 1991, 96 p.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Sylvie Martin-Mercier, « Fraude, sexe, alcool et drogue : langue et discours de spécialité face aux transgressions professionnelles et sociales dans la bande dessinée financière franco-belge »ILCEA [En ligne], 19 | 2014, mis en ligne le 27 juin 2014, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/ilcea/2428 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ilcea.2428

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Auteur

Sylvie Martin-Mercier

Université Grenoble Alpes (France), ILCEA

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Droits d’auteur

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