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Petits distributeurs indépendants : de l’évitement à l’indifférence concurrentielle ?

Fabien Eymas et Faouzi Bensebaa

Résumés

Cet article vise à répondre aux questions suivantes : quelles sont les stratégies d’évitement mises en œuvre par les petits distributeurs indépendants ? Comment s’articulent-elles entre elles et, éventuellement, avec les autres modalités relationnelles dont ces acteurs font preuve dans leur comportement concurrentiel ? L’interprétation des résultats issus de l’analyse des entretiens menés auprès de dirigeants du secteur de la petite distribution indépendante nous permet de montrer que ces dirigeants combinent les stratégies de distinction, d’exploitation de leurs compétences et de leurs ressources rares, de localisation isolée et/ou de niche. Il en ressort cinq configurations d’évitement originales. D’autre part, un comportement d’indifférence concurrentielle a aussi été relevé, nous permettant d’enrichir la réflexion sur les relations inter-entreprises.

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Texte intégral

1. Introduction

1« Il n’y avait pas de librairie spécialisée BD qui pouvait être concurrente, je ne m’installais pas sur le terrain de quelqu’un d’autre. » (PDI 13) Cet extrait d’entretien avec un petit distributeur indépendant (PDI) illustre la stratégie relationnelle d’évitement à la base de son implantation.

2La littérature relative aux stratégies concurrentielles des PDI a permis de mettre en évidence à la fois les grandes tendances comportementales des PDI et leurs facteurs de performance (Runyan et Droge, 2008). Pour faire face à la concurrence des chaînes et de la grande distribution, les PDI déploieraient des stratégies de niche (Watkin, 1986). En comparaison de leurs concurrents, ils proposeraient des produits et/ou services de qualité supérieure (Armstrong, 2012) dans une meilleure ambiance (Barber et Tietje, 2004). Ces orientations stratégiques varieraient tout de même selon l’ambition du dirigeant, sa capacité à différencier son offre, son degré d’appropriation du positionnement géographique ainsi que son niveau de compréhension du marché et de l’environnement (Ringwald et Parfitt, 2011), ou encore selon le type de magasin et son ancienneté (Kean et al., 1996).

3Parmi les facteurs de réussite des PDI, l’accent a été mis sur le choix d’une implantation à l’écart ou, au contraire, à proximité des concurrents (Liarte, 2006). Les bénéfices d’une stratégie clairement définie (Conant et al., 1993) et planifiée (Praharsi et al., 2014) ont également été soulignés. Orientation client (Tajeddini et al., 2013) et orientation marché (Megicks et Warnaby, 2008 ; Kajalo et Lindblom, 2015) apparaissent également comme des vecteurs de succès des PDI. Ces deux orientations, ainsi que le système d’information commerciale des PDI (Grimmer et al., 2018), leur permettent de mieux connaître leurs clients et leurs marchés. Aussi ces trois éléments nourrissent-ils la stratégie de distinction qui ressort comme l’élément-clé de la prospérité des PDI (Ellis et Kelley, 1992 ; McGuiness et Hutchinson, 2013 ; Merlo et al., 2006 ; Paige et Littrell, 2002 ; Praharsi et al., 2014).

4La distinction – mais aussi la localisation isolée et la stratégie de niche – apparaissent comme des types de stratégie d’évitement (Le Roy et Yami, 2009), laquelle constitue l’un des trois modes de relation inter-entreprises aux côtés de l’affrontement et de la coopération (Koenig, 1996). Tandis que la relation se situant aux confins de l’affrontement et de la coopération, la coopétition, est devenue un objet de recherche important en management stratégique (Klein et al., 2020), l’évitement concurrentiel a fait l’objet de peu de recherches (Roy, 2010). Cette étude vise à combler ce manque en mobilisant le contexte des PDI dont l’évitement constitue la modalité relationnelle privilégiée. Nous cherchons à approfondir nos connaissances en matière d’évitement en répondant aux questions suivantes : quelles sont les stratégies d’évitement mises en œuvre par les PDI ? Comment s’articulent-elles entre elles et, éventuellement, avec les autres modalités relationnelles dont ils font preuve dans leur comportement concurrentiel ?

5Pour répondre à ces questions, nous mobilisons les résultats d’une recherche empirique réalisée en 2018 auprès de 13 PDI. Pour mieux comprendre leurs stratégies relationnelles, nous les avons interrogés sur leurs manières d’appréhender la concurrence ainsi que d’y faire face au quotidien. En montrant que le répertoire stratégique des PDI apparaît plus large que la littérature ne le laissait présager, notre recherche améliore notre compréhension des stratégies concurrentielles et relationnelles des PDI. De surcroît, nous contribuons à la réflexion sur les stratégies relationnelles inter-entreprises en posant la question de l’existence d’un nouveau mode de relations inter-entreprises.

6Cet article restitue notre travail en quatre temps : nous présentons successivement le cadre théorique de notre travail (2), notre méthodologie de recherche (3), puis les résultats de notre recherche (4) qui sont enfin discutés (5).

2. Le besoin de se distinguer des PDI

7Après avoir présenté les différentes modalités relationnelles entre concurrents (2.1), nous abordons la question de la stratégie dans les très petites entreprises (TPE), dont les PDI sont un type particulier (2.2). Enfin, nous montrons que les travaux sur les stratégies concurrentielles des PDI témoignent de leur volonté d’éviter leurs rivaux en se distinguant (2.3).

2.1. Les trois modes relationnels classiques et leurs hybrides

8Les entreprises disposeraient de trois modalités d’actions vis-à-vis de leurs concurrents : soit elles décident de les affronter, soit elles choisissent de coopérer avec eux, soit elles prennent pour parti de les éviter (Koenig, 1996). Aborder les stratégies relationnelles des entreprises consiste à mettre l’accent sur les relations inter-entreprises qui sous-tendent leurs stratégies concurrentielles. Concrètement, cela revient à positionner leurs stratégies concurrentielles sur la figure 1 qui rappelle les trois modalités relationnelles principales ainsi que leurs versions hybrides.

Figure 1 – Les modalités relationnelles entre concurrents

Figure 1 – Les modalités relationnelles entre concurrents

Source : Koenig, 1996.

9Historiquement, les relations concurrentielles ont d’abord été envisagées comme des relations d’affrontement (Roy, 2010). L’affrontement concurrentiel réside en « une relation indirecte, médiatisée par différents marchés sur lesquels les firmes en concurrence s’opposent les unes aux autres pour améliorer leurs positions et leurs performances » (Le Roy, 2004, p. 188). La guerre des prix constitue l’exemple typique de l’affrontement (Sotgiu et Gielens, 2015). L’affrontement est médiatisé par différents marchés, dans la mesure où les entreprises peuvent être en concurrence sur au moins quatre d’entre eux : les marchés de l’approvisionnement, des capitaux, des clients et du travail (Le Roy, 2004). Dans le contexte des PDI, il nous semble que cette médiatisation provient essentiellement des consommateurs, leur petite taille empêchant une véritable concurrence sur les autres marchés. Pour les PDI, ce sont donc les réactions des consommateurs qui modifient les équilibres entre concurrents.

10Par coopération, nous entendons « un comportement concerté qui a pour motif d’améliorer la position relative de ses auteurs ou d’aménager le contexte de leur action » (Koenig, 1996, p. 264). En matière de relations concurrentielles, la coopération s’exprime au travers des alliances stratégiques et des stratégies collectives (Roy, 2010), les unes comme les autres pouvant concerner des entreprises concurrentes. Les premières consistent en des « associations entre plusieurs entreprises concurrentes, ou potentiellement concurrentes, qui choisissent de mener à bien un projet ou une activité spécifique en concordant les compétences, moyens et ressources nécessaires plutôt que de se faire concurrence les unes aux autres sur l’activité concernée » (Dussauge et Garrette, 1991, p. 5). Les secondes constituent les « réponse[s] systémique[s] d’un ensemble d’organisations qui coopèrent dans le but d’absorber la variation présentée par l’environnement interorganisationnel » (Yami, 2006, p. 96).

11L’évitement vise à soustraire l’entreprise aux interactions avec les concurrents (Roy, 2010). Il s’agit soit de restreindre l’intensité concurrentielle, soit de rompre avec les règles du jeu du secteur pour s’en dégager (Le Roy et Yami, 2009). Pour limiter l’intensité concurrentielle, les entreprises peuvent opter pour l’évitement géographique – ou localisation isolée – qui consiste à situer son activité sur un territoire sans concurrence (Roy, 2008) ou pour une stratégie de niche. Le Roy et Yami (2009) classent parmi les secondes les stratégies de distinction, les stratégies de rupture et les stratégies fondées sur l’exploitation de compétences et ressources rares. La ligne de démarcation entre différenciation et distinction ne semble pas aisée à tracer. L’une et l’autre résultent de la proposition aux consommateurs d’une offre unique. Lorsque le caractère unique de l’offre est marqué, les rivaux peuvent difficilement la concurrencer, il s’agit d’une stratégie de distinction. Lorsque le caractère unique de l’offre apparaît moins saillant et donc plus accessible aux concurrents, il s’agit d’une stratégie de différenciation (Roy, 2010). Les stratégies de rupture sont celles qui redéfinissent le mode de fonctionnement de leur secteur (Lehmann-Ortega et Roy, 2009). Elles recouvrent dans la littérature stratégique des appellations diverses (Lehmann-Ortega et Roy, 2009) telles que l’innovation stratégique (Markides, 1997) ou la stratégie « océan bleu » (Kim et Mauborgne, 2004).

12Deux modalités relationnelles hybrides coexistent avec les trois extrêmes que nous venons de présenter (Koenig, 1996). Il s’agit, d’une part, de la coopétition qui consiste en la coopération entre entreprises concurrentes (Hani et Cheriet, 2018) et, d’autre part, de l’entente qui est le fruit d’une coopération visant à réduire l’intensité concurrentielle entre les coopérants (Le Roy et Yami, 2009).

2.2. De la stratégie dans les TPE

13La planification stratégique dans les petites et moyennes entreprises (PME) en général et dans les TPE en particulier serait peu formalisée, faiblement structurée et de nature adaptative (Robinson et Pearce, 1984). La stratégie des PME serait intuitive et les actions portées sur le court plutôt que le moyen ou le long terme (Gallot, 2014), ce qui pourrait nous conduire à conclure à l’absence de stratégie (Inkpen et Choudhury, 1995) en leur sein.

14Cette conclusion, associée à la thèse de la spécificité de la PME qui met l’accent sur leurs points communs (Torrès, 1997), pourrait conduire à faire de l’absence de stratégie une caractéristique majeure de la PME. Pourtant, cette tendance à croire que les petites entreprises n’ont pas de stratégie a été vivement combattue. Elle viendrait de la confusion entre planification stratégique et stratégie (Marchesnay, 2014). Ainsi, l’approche de la stratégie par les processus serait mieux à même de faire ressortir la réalité stratégique des TPE (Marchesnay, 2014). Le développement des travaux sur les PME, puis sur les TPE, a montré qu’il pouvait être question de stratégie en leur sein. Même la planification stratégique n’en est pas totalement absente (Goy et Paturel, 2004). En définitive, en contexte TPE, la stratégie apparaît étroitement liée à son dirigeant (Marchesnay, 1982). Dès lors, par exemple, des différences en matière de genre, d’identité professionnelle, d’objectifs ou encore d’origine géographique du dirigeant de TPE entraînent des variations stratégiques (Buttner et Moore, 1997 ; Reyes, 2016 ; St-Pierre et Cadieux, 2011 ; Watts et al., 2006). De même, des dissemblances de nature cognitive entre les dirigeants peuvent conduire à des orientations stratégiques hétérogènes. Le concept de vision stratégique désigne « une projection ou une image d’un état futur désiré entretenu par un dirigeant à propos de la place qu’il veut voir occupée par ses produits/services sur le marché et de la configuration souhaitée pour son organisation afin d’y parvenir » (Filion et Lima, 2012, p. 8). Quand bien même cette vision serait flexible, floue ou rudimentaire, il n’en s’agit pas moins d’un cadre, d’un repère pour les actions quotidiennes du dirigeant de TPE (Carrière, 1990 ; Jaouen, 2010).

15Dans le même ordre d’idée, le capital social du dirigeant, entendu comme ses ressources en réseau (Kadushin, 2004 ; Trépanier et Aka, 2017), participe à la performance de l’entreprise (Nahapiet et Ghoshal, 1998) et joue un rôle important dans la trajectoire stratégique de la TPE (Jones et al., 2010). Les dirigeants de TPE créant leur entreprise où ils vivent, leurs réseaux sont très localisés (Grossetti, 2004). Cette proximité géographique favorise l’apparition de liens entre les dirigeants partageant les mêmes connaissances de base, représentations ou valeurs, appartenant ou ayant appartenu à une même association ou école, partageant les mêmes contraintes institutionnelles (Julien, 2005 ; Rallet et Torre, 2004).

16Enfin, Jaouen (2010) a observé que les stratégies des TPE pouvaient être délibérées, intuitives, émergentes, voire inexistantes. Cela l’amène à conclure que nous ne pouvons « parler de la TPE en tant qu’entité homogène, mais plutôt d’une variété de profils de dirigeants ayant chacun des comportements stratégiques différenciés » (Jaouen, 2010, p. 146). En fin de compte, en matière de stratégie des TPE, une approche contingente de la spécificité s’avère nécessaire (Torrès, 1997). La focalisation sur un type de TPE particulier, comme les PDI, s’inscrit dans cette perspective.

2.3. La distinction au cœur des stratégies concurrentielles des PDI

17Dans leur revue de littérature sur les PDI, Runyan et Droge (2008) n’identifient qu’un petit nombre de travaux portant sur leurs stratégies concurrentielles. Et peu de recherches ont abordé ce sujet depuis. À notre sens, qu’elles soient de nature positive ou normative, ces contributions montrent que les PDI cherchent prioritairement à éviter leurs concurrents à travers une stratégie de distinction.

18Au niveau de l’offre de biens et/ou services, cette politique de distinction se caractérise par la proposition de produits ou services uniques, de grande qualité (Armstrong, 2012), ainsi que d’un assortiment ciblé de produits différenciés (Paige et Littrell, 2002). Aussi la relation avec les fournisseurs permettant l’obtention de ces produits apparaît-elle essentielle (Praharsi et al., 2014). Plus spécifiquement, les PDI se distinguent par leurs connaissances qui leur permettent de s’approvisionner auprès de fournisseurs de qualité (McGuiness et Hutchinson, 2013).

19La capacité de distinction des PDI reposerait également sur le service fourni (Merlo et al., 2006). Celui-ci, pour assurer le succès de l’entreprise, devrait être de haut niveau (Armstrong, 2012 ; Ellis et Kelley, 1992) ou unique (Paige et Littrell, 2002). Dans le même ordre d’idée, les PDI offriraient à leurs clients une meilleure ambiance et de meilleurs services que les chaînes et grands distributeurs (Barber et Tietje, 2004). De plus, ils développeraient une stratégie marketing dite de « localisation » (Coca-Stefaniak et al., 2010) caractérisée par un ancrage local fort, l’attractivité des lieux, l’importance du bouche-à-oreille et des relations interpersonnelles entre le dirigeant et ses clients permettant un service client dépassant les simples conseils sur les produits. Qu’elle concerne l’offre ou le service qui l’accompagne, l’innovation apparaît également comme un moyen pour les PDI de se distinguer (Bhaskaran, 2006 ; Lin, 2016 ; Lin et al., 2013).

20En dehors de la stratégie de distinction, deux questions d’intérêt pour les stratégies relationnelles ont été abordées. D’une part, une recherche ancienne a montré que les stratégies de niche pourraient permettre aux PDI de faire face à la concurrence des chaînes et de la grande distribution en les évitant (Watkin, 1986). D’autre part, quelques rares travaux ont abordé des questions de localisation utiles aux PDI. En la matière, ces derniers disposeraient de deux options : l’isolement ou la proximité, la première traduirait une volonté d’évitement tandis que la seconde traduirait un choix d’affrontement et/ou de coopération (Liarte, 2006).

3. Une recherche qualitative

21Nous avons cherché à mieux comprendre les stratégies relationnelles développées par les PDI dans le cadre de leur activité. Aussi avons-nous échangé, avec les PDI rencontrés, sur leur manière d’aborder la concurrence et d’y faire face au quotidien. Nous avons adopté une démarche phénoménologique en ce sens que nous avons essayé de comprendre comment un phénomène – les relations concurrentielles des petits distributeurs indépendants – se présentait à la conscience des PDI interviewés (Giorgi, 2012). Nous nous sommes spécifiquement penchés sur des TPE en raison de leur forte personnalisation (Marchesnay, 1982) qui se traduit par le fait que le dirigeant est à la fois celui qui pense et celui qui met en œuvre la stratégie concurrentielle de l’entreprise. De cette manière, nous entendions réduire le possible écart entre le dire et le faire, plus prégnant dans les grandes organisations (Brunsson, 1989).

22Notre recherche s’appuie sur une analyse phénoménologique interprétative (API) (Smith et Osborn, 2003) qui permet d’explorer « l’expérience individuelle vécue, basée sur la formulation propre qu’en fait la personne » (Antoine et Smith, 2017, p. 373). Ainsi l’API permet-elle une construction du savoir à travers un double processus d’interprétation : le participant interprète son monde, puis le chercheur interprète le monde interprété par le participant (Smith et Osborn, 2003). Avant d’aborder l’analyse des données (3.2), nous explicitons nos choix en matière de ciblage des dirigeants et de collecte des données (3.1).

3.1. Les petits distributeurs indépendants en milieu urbain comme champ d’observation

23Comme c’est généralement le cas en matière de recherche qualitative et dans la logique de l’API (Smith et Osborn, 2003), les dirigeants que nous avons rencontrés n’ont pas été choisis au hasard, mais de manière raisonnée (Miles et al., 2019). Nous avons cherché à étudier un ensemble homogène de dirigeants, de manière à accroître la validité interne de notre travail (Royer et Zarlowski, 2014). L’interview d’un nombre restreint de participants se justifie par la dimension idiosyncrasique de l’API (Antoine et Smith, 2017). Cela permet « de dire quelque chose en détail des perceptions et compréhensions du groupe particulier » d’interviewés (Smith et Osborn, 2003, p. 54). Aussi nous sommes-nous entretenus avec des cavistes et des libraires indépendants de la région parisienne, une zone où l’intensité concurrentielle est en principe élevée pour ce type d’activité (Bessières et Trevien, 2016). Cependant, dans les faits, cette intensité apparaît variable selon le nombre d’acteurs et le lieu d’implantation du PDI. Outre le nombre d’acteurs, la différence principale entre les caves et les librairies est de nature juridique. Premièrement, l’existence d’un prix unique pour le livre rend impossible les stratégies de prix entre vendeurs de livres. Deuxièmement, l’interdiction de la publicité dans le secteur du livre empêche la compétition de se porter sur cet aspect. Troisièmement, les éditeurs sont tenus de récupérer les invendus des libraires, ce qui réduit – sans les annuler totalement – les risques liés aux erreurs de constitution du stock. Nous présentons, dans le tableau 1, les informations principales relatives aux 13 PDI rencontrés, à leur secteur d’activité et aux entretiens que nous avons menés.

Tableau 1 – Données empiriques générales

ENTRETIEN

DIRIGEANT / ENTREPRISE

SECTEUR

Date

Durée

Âge

Sexe

Date de création / reprise

Effectif salarié

Secteur d’activité

Intensité concurrentielle

1

24/01/2018

31min

56 ans

M

2012

1

Cave (vin)

élevée

2

25/01/2018

47min

52 ans

M

2017

0

Cave (bière)

faible

3

31/01/2018

34min

~ 50 ans

M

2008

5

Librairie

modérée

4

02/02/2018

34min

50 ans

M

2003

0

Librairie

élevée

5

23/02/2018

53min

~ 50 ans

F

2010

1

Cave (vin)

élevée

6

23/05/2018

53min

62 ans

M

2014

1 à 2

Cave (vin)

élevée

7

13/06/2018

26min

47 ans

M

2016

2

Cave (vin)

élevée

8

27/06/2018

38min

~ 55 ans

F

2000

1/2

Librairie

modérée

9

10/07/2018

51min

~ 40 ans

M

2016

2

Cave (vin)

élevée

10

10/07/2018

15min

35 ans

M

2014

2

Cave (bière)

faible

11

11/07/2018

19min

~ 45 ans

M

2017

2

Cave (vin)

faible

12

12/07/2018

32min

~ 55 ans

M

2016

0

Cave (vin)

faible

13

12/07/2018

27min

51 ans

M

2015

1

Librairie

faible

Source : auteurs.

24Nous avons collecté nos données via des entretiens ouverts menés à l’aide d’un guide d’entretien ayant pour thématique générale la concurrence, de manière à ce que les dirigeants nous parlent à la fois de leur vision de celle-ci et de leur comportement concurrentiel. Ainsi leurs stratégies relationnelles devaient apparaître sans que nous ayons besoin de les questionner directement sur le sujet. Nous avons laissé les interviewés aborder librement tout ce qu’ils estimaient pertinent de rattacher à la thématique de la concurrence.

3.2. Du codage des données à l’analyse des cartes cognitives des dirigeants

25Le caractère idiosyncrasique de l’API nous a logiquement entraînés vers un codage intra-entretien, plutôt qu’inter-entretiens. Des thèmes ont émergé de ce codage et, afin de pouvoir les relier les uns aux autres, nous avons construit des cartes cognitives. Une carte cognitive « montre la représentation mentale que se fait une personne des concepts ou des processus relatifs à un domaine particulier, en montrant les relations, les flux et la dynamique entre eux. » (Miles et al., 2019, p. 185). Nous avons eu recours à cet outil qui nous semble favoriser une représentation fidèle de la pensée des participants, à la fois parce qu’il permet de mettre en évidence les relations entre les catégories et les concepts (Allard-Poesi et al., 1999) évoqués et parce qu’il donne à voir la complexité de la pensée des participants (Miles et al., 2019). Les cartes cognitives nous semblent adaptées à l’objectif d’exploration de l’expérience individuelle vécue de l’API, dans la mesure où elles permettent de « représenter le monde subjectif de l’interviewé » (Eden, 2004, p. 673). Sur la carte du PDI 6 présentée sur la figure 2, les relations positives successives entre « associés », « travail » et « produit phare de qualité » signifient que le dirigeant 6 estime que le travail de ses associés lui permet de commercialiser un produit de qualité.

Figure 2 – Carte cognitive du PDI 6

Figure 2 – Carte cognitive du PDI 6

Source : auteurs.

26L’ensemble des 13 cartes cognitives a ensuite été analysé, de manière à faire émerger les concepts centraux de ces cartes, c’est-à-dire ceux qui totalisent le plus de flèches entrantes et sortantes (Eden, 2004). L’avantage de cette méthode d’analyse réside dans sa capacité à faire ressortir les concepts qui ont le plus d’importance aux yeux des interviewés. Son inconvénient principal vient de ce qu’elle éloigne ces concepts centraux de leur contexte. C’est pour remédier à cet écueil que nous avons recherché la nature des liens entre les concepts centraux tout en axant notre interprétation sur les stratégies relationnelles des dirigeants. Ainsi avons-nous créé le concept de « relations centrales » pour ne pas perdre les liens entre les concepts en vue de l’analyse des différences et des ressemblances entre les cartes. Le tableau 2 présente l’analyse des stratégies relationnelles PDI par PDI.

Tableau 2 – Stratégies relationnelles des PDI interviewés

PDI

Concepts centraux

Nombre de flèches

Relations centrales

1

Différenciation

Fidélisation de la clientèle

7

5

Le dirigeant 1 développe une stratégie de niche qui repose sur sa spécialisation en Champagne et une stratégie de distinction qui s’appuie sur l’originalité du lieu dans lequel il exploite son affaire. La focalisation sur les clients conduit à une certaine indifférence vis-à-vis des concurrents.

2

Concept

Concurrence indirecte

Décision de se lancer

9

6

5

Le dirigeant 2 déploie une stratégie d’évitement géographique et cherche à se différencier de la concurrence indirecte à travers le service.

3

Concurrence

Fidéliser

7

7

L’orientation client prononcée du dirigeant 3 lui permet d’affronter ses divers concurrents. Elle s’appuie notamment sur une stratégie de coopération avec ses confrères exploitant des marchés voisins.

4

Lutte

Concurrence importante

Difficultés

7

6

4

Le dirigeant 4 cherchait un certain évitement géographique lorsqu’il s’est installé. Cet évitement étant devenu impossible, il affronte difficilement ses nombreux concurrents en réagissant à leurs actions et en tentant de se différencier.

5

Compétence

Notoriété

6

4

Le dirigeant 5 développe une stratégie d’évitement s’appuyant sur l’exploitation de ses compétences et ses ressources. Une bonne connaissance des clients et de ce que font les concurrents renforce cette politique d’évitement.

6

Fidélisation

Plaisir

Produit de qualité

6

6

6

Le dirigeant 6 se distingue en distribuant un produit qualitatif très spécifique (stratégie de créneau) dans une ambiance très chaleureuse (politique de distinction).

7

Sélection des fournisseurs

Compétences

Segment en croissance

5

4

4

Le dirigeant 7 met en œuvre une stratégie d’évitement fondée à la fois sur l’exploitation de ses compétences et sur l’exploitation du créneau des produits naturels.

8

Clientèle

6

Une stratégie de concentration sur les clients et, plus modestement, de différenciation permet au dirigeant 8 de faire face à des concurrents relativement éloignés.

9

Difficultés de financement

Caviste moderne

Clients

Livraison à domicile

Vignerons

8

7

5

5

5

Le dirigeant 9 adopte une stratégie de créneau (produits bio ou en biodynamie). Il essaie de se différencier au travers de son concept de « caviste moderne » (entrepôt plutôt que boutique, livraison, taille plus importante).

10

Clientèle

Cave

Croissance

6

5

4

La stratégie d’évitement géographique déployée par le dirigeant 10 annihile la concurrence directe et favorise la coopération avec les confrères exploitant des marchés voisins. La distinction (ambiance, conseil, nombre de références) permet de lutter contre la concurrence indirecte perçue comme complémentaire.

11

Fidélisation

Concept

7

5

Stratégies de localisation isolée et de distinction (concept) assurent au dirigeant 11 l’évitement de concurrents directs. L’orientation client vise à fidéliser les clients vis-à-vis de la concurrence indirecte.

12

Produits naturels

Valeurs des dirigeants

5

4

L’évitement géographique déployé par le dirigeant 12 l’a été indépendamment de considérations concurrentielles. Il favorise la coopération avec ses confrères exploitant des marchés voisins. Sa stratégie de niche (produits naturels) lui permet de faire face à la concurrence indirecte tout en promouvant ses valeurs.

13

Fidéliser les clients

Attirer les clients

8

6

L’évitement géographique du dirigeant 13 annihile la concurrence directe et favorise la coopération avec ses confrères exploitant d’autres marchés. Néanmoins, une politique de distinction est menée pour attirer et fidéliser les clients, ainsi que se prémunir de nouveaux entrants potentiels. Cette politique de distinction s’appuie sur des innovations et une orientation client marquée (ambiance, écoute, etc.).

Source : auteurs.

27Ce travail de synthèse nous a permis de réduire de nouveau les données. Mais le tableau précédent affiche les résultats individuels PDI par PDI. Pour favoriser une interprétation plus globale de notre recherche, nous avons construit le tableau 3 qui donne à voir les principaux concepts qui ont émergé de notre étude et permet de comparer les dirigeants rencontrés en revenant à notre cadre théorique. La stratégie de distinction par le service est mise en avant par la totalité des PDI que nous avons interviewés. Cependant, lorsque le caractère unique dudit service ne nous est pas apparu particulièrement marqué, nous avons estimé qu’il s’agissait plutôt d’une différenciation. Nous avons considéré comme tangible la politique de distinction des PDI 1, 6, 11 et 13 qui reposent respectivement sur la mise en valeur d’un lieu atypique, la création d’une ambiance délurée, l’exploitation d’un concept permettant aux clients de venir « chez le caviste » et la possibilité de dîner avec les auteurs. L’exploitation de ressources et compétences distinctives, rares et difficilement imitables, nous semble être l’apanage des PDI 5 et 7 : le premier bénéficiant d’une reconnaissance dans son milieu dont très peu de concurrents peuvent se prévaloir, le second mobilisant une longue et riche expérience pour exploiter une opportunité d’affaires détectée dans le cadre de sa dernière expérience salariée.

Tableau 3 – Les concepts stratégiques issus de notre terrain de recherche

PDI

Stratégies d’évitement

Coopération avec des pairs éloignés

Affrontement

Distinction

Localisation isolée

Niche

Ressources / compétences rares

1

X

X

2

X

X

3

X

X

4

X

X

5

X

X

6

X

X

7

X

X

X

8

9

X

10

X

X

X

11

X

X

12

X

X

X

13

X

X

X

X

Source : auteurs.

28Le tableau 3 révèle l’existence de configurations stratégiques récurrentes. D’une part, la coopération avec les pairs éloignés se marie avec la localisation isolée. D’autre part, cinq configurations de stratégies d’évitement apparaissent. Deux d’entre elles semblent émerger dans des contextes de forte intensité concurrentielle : les combinaisons distinction / stratégie de niche et distinction / ressources et compétences. Les trois autres apparaissent au contraire exister dans les contextes de faible intensité concurrentielle résultant de la stratégie de localisation isolée. Elles combinent cette dernière à la distinction et/ou à la stratégie de niche.

4. Evitement, coopération et… indifférence ?

29Nous pouvons noter en préambule que deux PDI ont un profil qui tranche avec celui des autres, dans la mesure où ils ne semblent pas chercher à éviter leurs concurrents. Le PDI 4 est dans une logique d’affrontement suite à l’effondrement de sa stratégie de localisation isolée. Le PDI 8, quant à lui, ne semble pas avoir de vision stratégique qui guide son action à long terme. Pour le reste, nous proposons une interprétation de notre traitement des données dans deux directions. D’une part, nous constatons que la recherche généralisée de l’évitement concurrentiel par les PDI se traduit par une combinaison de diverses stratégies qui forment des configurations (4.1). D’autre part, au-delà de l’évitement, certains PDI nouent des relations de coopération avec des pairs éloignés, tandis que le comportement de l’un d’entre eux traduit une forme d’indifférence vis-à-vis des concurrents (4.2). Conformément aux canons de l’API, nous joignons à nos résultats des verbatims en les séparant clairement de notre analyse de manière à bien distinguer celle-ci de l’illustration (Antoine et Smith, 2017).

4.1. L’existence de configurations d’évitement

30C’est certainement la conclusion la plus marquante de l’analyse des données que nous avons menée. La volonté d’évitement des concurrents se traduit par la mise en œuvre de quatre stratégies d’évitement : distinction, localisation isolée, ressources/compétences et/ou stratégie de niche.

« J’organise des fêtes ici, pour n’importe quel prétexte : les vendanges, le 26 juillet, la sainte Anne, j’invente n’importe quoi. Pour la journée de la femme, j’ai installé des portraits, j’ai fait venir des photographes, on a fait une mini exposition ici. (...) J’organise, mais comme dans un village, des sortes de tombolas. » (PDI 6)

« Pourquoi [ici] ? Déjà il n’y avait pas de librairie jeunesse sur [la commune]. » (PDI 4)

« Moi, j’ai 90 % de champagnes, donc ça me permet de me démarquer, [tout comme le fait] d’avoir un lieu atypique dans lequel je peux privatiser et offrir plusieurs options à mes clients. » (PDI 1)

31Combinées entre elles, ces stratégies font apparaître des configurations qui renforcent la logique d’évitement. Le tableau 4 présente les cinq configurations d’évitement des PDI qui émergent de notre recherche.

Tableau 4 – Les configurations stratégiques d’évitement des PDI

Configurations

Stratégies d’évitement combinées

Descriptions

PDI concernés

Isolement prudent

Distinction

Isolement

La stratégie de distinction permet de fidéliser la clientèle en prévention de l’installation d’un concurrent à proximité.

11

Fuite prudente

Distinction

Isolement

Niche

La stratégie de niche renforce les bénéfices de l’isolement géographique, en même temps que la stratégie de distinction assure une protection au PDI au cas où les autres caractéristiques de la configuration seraient mises à mal par l’apparition à proximité d’un concurrent sur le même créneau.

13

Fuite

Isolement

Niche

La stratégie de créneau renforce la logique d’évitement géographique en rétrécissant le marché exploité par le PDI.

2, 10, 12

Focalisation prudente

Distinction

Niche

Le PDI limite la concurrence en adoptant une stratégie de créneau, tout en se démarquant des concurrents restants ou potentiels pour se prémunir d’une défaillance de la stratégie de niche.

1, 6

Distinction par les ressources et compétences

Ressources et compétences

Niche

La stratégie de distinction du PDI repose sur l’exploitation, éventuellement sur un marché de niche, de ressources et compétences supérieures à celles des concurrents.

7

Ressources et compétences

5

Source : auteurs.

32Nous développons successivement les configurations d’évitement émergeant de cette recherche : fuite, fuite prudente et isolement prudent (4.1.1), focalisation prudente (4.1.2) et distinction par l’exploitation de ressources et compétences rares (4.1.3).

4.1.1. De la fuite à l’isolement prudent

33La stratégie de fuite traduit une volonté d’évitement total de la concurrence. Il s’agit pour le PDI de réduire au maximum l’intensité concurrentielle sur son segment de marché. Isolement géographique et stratégie de niche sont les deux stratégies d’évitement qui, combinées, permettent cet amenuisement de la pression concurrentielle. En effet, pour un PDI, plus le créneau est étroit, plus l’isolement géographique apparaît facile à obtenir. Ainsi en va-t-il notamment de ces cavistes à bière.

« Qu’est-ce qui m’a décidé à monter ce truc-là ? C’est aussi le fait que la concurrence était quasi nulle sur ce secteur-là dans les Hauts-de-Seine. » (PDI 2)

« Je ne considère pas les cavistes comme étant des concurrents. L’implantation est tellement… Elle encore assez large. » (PDI 10)

34Pour autant, le PDI 13 ajoute la stratégie de distinction au couple localisation isolée / niche. Ce qui nous conduit à qualifier sa configuration de fuite prudente. Cette configuration, en plus d’assurer une intensité concurrentielle faible, permet de se prémunir contre des dangers potentiels. En cherchant aussi à se distinguer, le PDI fidélise sa clientèle. Cela l’aide à faire face à la concurrence indirecte et lui donne le sentiment d’être en capacité de lutter au cas où un concurrent direct apparaîtrait à proximité, mettant ainsi à mal sa stratégie de localisation isolée. En ce sens, la distinction se révèle pouvoir servir de barrière à l’entrée sur le marché captif du PDI isolé géographiquement.

« Moi, j’organise des dîners avec des auteurs, c’est beaucoup plus gratifiant, parce que là, pour le coup, l’auteur a le temps de discuter avec les lecteurs qui l’ont lu, a priori. Et qui aime. » (PDI 13)

35Cette protection offerte par la distinction peut être combinée à la seule localisation isolée lorsque la stratégie de créneau s’avère plus difficile à mettre en œuvre ou n’est pas désirée. Nous parlons alors d’isolement prudent. Le PDI s’est installé sur un territoire vierge de concurrents, mais travaille tout de même à la fidélisation de sa clientèle pour se prémunir de la concurrence indirecte et d’éventuels nouveaux entrants.

« Ici, il va y avoir 24000 habitations au final et mon premier concurrent est à 6 km, il s’appelle Nicolas. Donc, il n’y a pas de concurrence. (…) La meilleure façon de se parer de toute concurrence, c’est de toujours chercher mieux. (…) Ce n’est pas parce que je suis tout seul, qu’il faut que je me dise que c’est bon, [que] je suis tranquille, [que] je suis le nabab du coin, [qu’]il n’y a personne qui va venir. » (PDI 11)

4.1.2. La focalisation prudente

36La focalisation prudente traduit la recherche d’une limitation de l’intensité concurrentielle en deux temps. D’une part, le PDI cherche avant tout à réduire le nombre de concurrents directs en adoptant une stratégie de niche.

« Moi, je ne vends que des vins du Beaujolais. » (PDI 6)

37D’autre part, au moyen d’une stratégie de distinction, le PDI se démarque des quelques concurrents directs qui, éventuellement, subsistent sur le créneau et se prémunit contre d’éventuels nouveaux entrants dans la niche. À nouveau, la distinction – à travers la fidélisation de la clientèle qu’elle entend engendrer – sert de barrière à l’entrée.

« J’ai senti dans ce lieu une âme, j’ai voulu prendre le contre-pied à une boutique simple. [C’est] un lieu atypique que je peux privatiser et [qui me permet d’] offrir plusieurs options à mes clients autres que de juste venir acheter une bouteille. » (PDI 1)

38C’est cet ajout d’une stratégie de distinction qui différencie cette configuration d’une stratégie de focalisation plus classique, reposant uniquement sur la stratégie de créneau.

4.1.3. La distinction par l’exploitation de ressources et compétences rares

39Parmi les PDI mettant en œuvre une stratégie de distinction, deux se différencient de manière encore plus marquée. C’est pour traduire cette différence que nous créons une configuration dédiée aux PDI dont la stratégie d’évitement repose essentiellement sur une distinction fondée sur l’exploitation de ressources et compétences exceptionnelles. Ainsi le PDI 5 s’appuie-t-il en premier lieu sur ses connaissances, mais aussi son image et sa réputation d’ancien sommelier en restauration étoilée pour commercialiser des produits présentés comme de meilleure qualité que ceux de ses concurrents.

« On communique vraiment sur son image de marque, sur qui il est, sur ce que nous a apporté ses connaissances et son savoir, les prix qu’on a pu remporter, les articles dans les médias. (…) C’est ce qui fait souvent pousser pour la première fois la porte par les clients. » (PDI 5)

40L’exploitation de ressources et compétences rares peut également être associée à une stratégie de niche, comme c’est le cas pour le PDI 7. Cela réduit le nombre de concurrents desquels le PDI se distingue via sa stratégie d’exploitation de ressources et compétences rares. Alors que dans le cas de la focalisation prudente, la stratégie de niche constitue la stratégie principale, elle se révèle, pour le PDI 7, aussi importante que l’exploitation de ses ressources et compétences spécifiques.

« Nous, notre expertise, c’est la sélection des marques, leur commercialisation et le marketing. (…) Le deuxième point très important, pour lequel on a une position unique sur le marché, c’est qu’on ne propose que des marques 100 % naturelles. » (PDI 7)

4.2. Au-delà de l’évitement : coopération et indifférence

41Les PDI qui optent pour une stratégie de localisation isolée apparaissent nombreux à collaborer par ailleurs avec des pairs éloignés (4.2.1). Le PDI 1 adopte un comportement de focalisation prudente, mais sa manière d’évoquer la concurrence suggère une profonde indifférence vis-à-vis de ses concurrents plutôt qu’une volonté de les éviter (4.2.2.).

4.2.1. La coopération avec les pairs éloignés

42La stratégie de localisation isolée apparaît régulièrement combinée à une politique de coopération avec des concurrents qui n’en sont pas en raison de leur éloignement géographique. Le partage territorial des marchés à travers l’évitement géographique permet aux PDI de s’entendre pour favoriser l’exploitation par chacun d’entre eux de son marché local. L’extrait suivant est révélateur de l’importance de l’éloignement géographique pour que la coopération puisse s’installer.

« Je fais partie d’un réseau coopératif et alors là on n’a absolument pas le sentiment d’être en concurrence entre nous, au contraire. C’est vraiment un réseau de mise en commun de certaines choses. (…) Tant qu’on est disséminés un peu partout, qu’on ne se fait pas vraiment de l’ombre, [ça fonctionne]. S’il y a un mec qui ouvre à 1 km, je ne vais pas le sentir de la même façon. » (PDI 13)

43Dans le cas du PDI 4, la coopération avec un confrère et une consœur éloignés se poursuit même lorsque la stratégie d’isolement géographique devient caduque. Le tableau 5 présente les coopérations des PDI que nous avons rencontrés.

Tableau 5 – La coopération des PDI avec leurs pairs éloignés

PDI

Formes de coopération

Sources de coopération

Exemples de coopération

3

Association

Proximité géographique

Organisation d’événements

4

Informelle

Liens d’amitié et proximité géographique

Commandes groupées

10

Informelle

Proximité géographique

Commandes groupées

12

Association

Créneau de l’activité

Communication, organisation d’événements

13

Société anonyme coopérative

Créneau de l’activité

Site Internet vitrine et marchand

Source : auteurs.

44La coopération des PDI avec leurs pairs peut être formelle comme informelle. La coopération peut provenir de l’adhésion à un réseau national fédérant l’ensemble des acteurs de la niche qui souhaitent coopérer. C’est le cas des PDI 12 et 13 qui appartiennent respectivement à l’association des cavistes alternatifs et au groupement des libraires de bandes dessinées (Canal BD). Le PDI 3 appartient lui à une association regroupant 11 libraires généralistes géographiquement proches. Ainsi ces coopérations formelles opèrent-elles comme des stratégies collectives d’évitement, elles permettent aux PDI coopérants de se distinguer de ceux qui demeurent à l’extérieur du réseau. Paradoxalement, la stratégie de localisation isolée peut donc se doubler d’une coopération reposant sur la proximité géographique entre les coopérants. Dès lors, la coopération nécessite que les pairs se situent à bonne distance les uns des autres, ni trop près, ni trop loin. Le réseau informel de cavistes à bière auquel le PDI 10 appartient repose sur la même logique de proximité géographique mesurée. Enfin, la coopération peut aussi être la conséquence de liens d’amitié, comme c’est le cas pour le PDI 4. Néanmoins, sans proximité géographique, cette amitié n’aurait probablement pas pu déboucher sur la passation de commandes groupées.

« L’un des trucs qui nous permet encore de tenir le coup, c’est qu’on s’est plus ou moins, entre guillemets regroupés par affinités quelques fois avec certaines personnes. On a d’une part une collègue [à Paris] qui (…) a fait ses études en même temps que ma femme, enfin [la formation] de l’Institut National de Formation des Libraires, une semaine de petite formation qui apprend les rudiments du métier de libraire. » (PDI 4)

4.2.2. L’indifférence concurrentielle

45Une question émerge de notre travail. La recherche de l’évitement concurrentiel apparaît telle qu’elle nous semble parfois se confondre avec de l’indifférence concurrentielle. Si celle-ci n’est peut-être pas significative dans le cadre d’un évitement géographique, dans la mesure où l’absence de concurrence sur le marché local apparaît pouvoir justifier l’absence de préoccupation des concurrents, il en va différemment en dehors de tout évitement géographique. En l’occurrence, en dépit de sa stratégie de créneau, le PDI 1 fait face à la concurrence de six cavistes de chaînes et de deux indépendants sur un territoire réduit. Encerclé, il s’appuie sur son lieu unique qui lui permet non seulement de se distinguer, mais surtout de développer une orientation client forte. Celle-ci contraste avec son désintérêt pour ses concurrents.

« Demain soir, je fais venir [mes clients] pour déguster une maison de champagne. Peut-être que d’autres cavistes le font, je ne m’en occupe pas, très honnêtement, c’est vraiment le cadet de mes soucis. Par contre, je vais essayer moi de faire plein d’offres, variées, diverses, parce que j’ai une clientèle très récurrente et je ne veux pas qu’elle se lasse. » (PDI 1)

46L’autre PDI rencontré qui a fait état d’un nombre important de concurrents est le PDI 4, sa réaction vis-à-vis de cette situation apparaît radicalement différente, puisqu’il embrasse une stratégie d’affrontement.

5. Discussion et apports de la recherche

47Ce quatrième temps nous permet de présenter les implications de notre travail en situant les résultats de notre recherche dans la littérature académique. Notre réalisation nous semble offrir un panorama plus riche des stratégies relationnelles mobilisées par les PDI et nuancer l’accent mis sur la distinction comme stratégie d’évitement principale des PDI (5.1). Cette recherche offre également un éclairage sur les réseaux de PDI (5.2). De surcroît, l’émergence de l’indifférence comme modalité de relation concurrentielle nous mène à proposer un enrichissement de la typologie de Koenig (1996) (5.3).

5.1. Des stratégies d’évitement variées donnant à voir de multiples configurations

48Les résultats de notre recherche sont partiellement cohérents avec la littérature académique. Si trois des quatre stratégies d’évitement qui ressortent de notre étude ont bien été identifiées comme des options possibles, voire souhaitables, pour les PDI (Armstrong, 2012 ; Liarte, 2006 ; Watkin, 1986), un déséquilibre important au bénéfice de la politique de distinction ressort de l’analyse des recherches passées. Or, il ressort de notre travail que les stratégies de localisation isolée et de niche participent également à la stratégie d’évitement recherchée par les PDI. Surtout, la plupart des PDI que nous avons rencontrés combinent ces différentes stratégies de manière à obtenir la configuration qui leur paraît la plus adaptée à leur contexte. En offrant une typologie des configurations d’évitement des PDI, cette recherche offre une première contribution à la littérature stratégique.

49Si les stratégies d’évitement ambitionnent de réduire l’intensité concurrentielle vécue par le PDI, elles relèvent de logiques différentes. Lorsque le nombre d’acteurs est faible, soit parce que le marché émerge (cave à bière ou nouveau quartier), soit qu’il s’agisse d’un marché de niche (librairie BD), la concurrence est peu intense, ce qui facilite la mise en place d’une stratégie d’évitement géographique. Celle-ci peut être combinée à une stratégie de niche pour réduire encore le nombre d’acteurs en concurrence directe avec le PDI. C’est ce que nous nommons la stratégie de fuite. Cette fuite peut être prudente lorsque le PDI ajoute la distinction à la combinaison localisation isolée / stratégie de niche. C’est pour lui une manière de se prémunir autant que de dissuader d’éventuels nouveaux entrants, ainsi que de montrer sa singularité par rapport à ses concurrents indirect (Watkin, 1986). La distinction se révèle parfois simplement associée à l’évitement géographique, nous parlons alors d’isolement prudent.

50Parfois, le nombre d’acteurs est tel que l’isolement géographique devient difficile à obtenir. C’est souvent le cas pour les caves à vin. Si la fuite apparaît toutefois toujours possible au moyen d’une stratégie de créneau qui, en segmentant le marché (spécialisation dans la distribution de champagne ou de vins bio, en biodynamie et/ou naturels), rendrait à nouveau l’évitement géographique envisageable, d’autres configurations apparaissent également mobilisées. La focalisation prudente consiste en une stratégie de niche classique des PDI (Watkin, 1986) assortie à une stratégie de distinction permettant au PDI, d’une part, de dissuader comme de se protéger d’éventuels nouveaux entrants et, d’autre part, de se démarquer des chaînes et de la grande distribution (Watkin, 1986).

51Enfin, la stratégie de distinction semble bien se marier à un évitement par l’exploitation de ressources et compétences rares. De fait, des compétences et ressources supérieures à la moyenne permettent à un PDI d’offrir des produits ou services uniques, de grande qualité (Armstrong, 2012), notamment en raison d’une capacité à se fournir auprès de fournisseurs de qualité (McGuiness et Hutchinson, 2013 ; Praharsi et al., 2014). De même, la qualité et le caractère unique du service nous semblent devoir croître avec les compétences et les ressources du PDI (Armstrong, 2012 ; Ellis et Kelley, 1992 ; Merlo et al., 2006 ; Paige et Littrell, 2002).

5.2. La proximité des préoccupations entraîne la création de réseaux avec les pairs éloignés

52La littérature souligne l’importance du réseau du dirigeant dans la performance et la stratégie des TPE (Jones et al., 2010 ; Nahapiet et Ghoshal, 1998). Ce que notre recherche révèle, c’est l’émergence chez les PDI d’un réseau très particulier, fait de pairs éloignés mettant chacun en œuvre une stratégie de localisation isolée. Dans ce contexte, la ressemblance entre les membres du réseau est manifeste (Julien, 2005 ; Rallet et Torre, 2004). En revanche, la proximité géographique joue un rôle plus ambigu et les réseaux des PDI ne sont pas aussi localisés que nous aurions pu l’envisager (Grossetti, 2004). En effet, la stratégie de localisation isolée implique une distance minimale entre les membres du réseau. Le réseau peut néanmoins s’étendre sur un territoire relativement réduit, comme c’est le cas pour l’association qui regroupe une douzaine de libraires de communes limitrophes ou lorsqu’il a pour objet de grouper les commandes. Mais il peut aussi prendre une toute autre envergure dès lors qu’existe un acteur visant à fédérer, sur le territoire national, l’ensemble des acteurs d’un marché de niche.

53Aussi la proximité cognitive des PDI – c’est-à-dire le fait qu’ils doivent faire face aux mêmes défis et problématiques – apparaît-elle plus déterminante que la proximité géographique dans la constitution des réseaux de PDI. C’est d’abord parce qu’ils cherchent à résoudre des problèmes communs que les PDI coopèrent. Cette coopération peut effectivement s’appuyer sur une logique territoriale, mais pas seulement. Lorsque cette coopération prend un tour formel, la proximité entre PDI devient institutionnelle.

5.3. L’indifférence, une modalité relationnelle stratégique ?

54Que recouvre ce concept d’indifférence concurrentielle et que peut-il apporter à notre compréhension des relations concurrentielles ? Commençons par préciser ce qu’il n’est pas. Premièrement, l’indifférence concurrentielle ne traduit ni l’absence, ni la non-conscience de stratégie. En effet, le PDI 1 qui nous semble mener son affaire sans prêter attention à ses concurrents met en œuvre une stratégie centrée sur ses clients. Ses actions stratégiques (aménagement de sa cave, événements, etc.) sont guidées par sa relation avec ses clients. Deuxièmement, l’indifférence se distingue de l’évitement dans la mesure où ce dernier traduit la prise en compte par l’entreprise du concurrent qu’elle cherche à éviter. L’indifférence reflète au contraire une absence de considération des rivaux. Troisièmement, pour la même raison, l’indifférence concurrentielle ne trahit pas une situation d’affrontement qui ne dirait pas son nom. Comme l’évitement, l’affrontement désigne un rapport choisi ou de fait vis-à-vis des concurrents, l’indifférence dépeint une absence de rapport. Cela ne signifie pas que l’entreprise ignore l’existence de rivaux, mais elle ne s’intéresse pas à ce qu’ils font, elle ne cherche pas à les éviter, à répondre à leurs actions, à les anticiper, encore moins à agir de manière à les déstabiliser. L’entreprise se centre sur elle-même, éventuellement sur ses clients, mais n’a que faire de ses concurrents. Il n’est pas exclu que l’indifférence concurrentielle puisse se combiner avec une stratégie axée sur l’exploitation des compétences et des ressources de l’entreprise, ce qui pourrait remettre en cause la classification de cette dernière comme stratégie d’évitement (Le Roy et Yami, 2009).

55Une définition positive de l’indifférence concurrentielle semble pouvoir découler du contexte du PDI 1. En raison du nombre d’acteurs, le PDI 1 estime qu’il ne peut pas véritablement éviter ses concurrents et il n’a ni le temps ni le souhait d’anticiper et de répondre à leurs actions dans une logique d’affrontement. Ainsi s’appuie-t-il sur les forces qui lui permettent de se distinguer, en particulier sur l’originalité de sa cave, non pas pour éviter ses rivaux, mais dans une logique de développement et de fidélisation de sa clientèle. Aussi l’indifférence concurrentielle apparaît-elle comme une modalité relationnelle mise en œuvre lorsque l’affrontement et l’évitement ne sont ni faisables, ni souhaitables. Elle traduit un recentrage du PDI sur lui-même et sa relation à ses clients dans le développement de son affaire. Il nous semble que ce recentrage du PDI sur lui-même pourrait également découler d’une stratégie de distinction par les ressources et compétences. En effet, dans un contexte favorable, la confiance croissante du PDI en ses compétences pourrait le conduire à s’éloigner d’une logique d’évitement et le faire basculer dans une logique d’indifférence concurrentielle. Pourquoi devrait-il s’intéresser à ses concurrents dès lors que sa focalisation sur ses ressources et compétences assure le succès de son entreprise ?

56Le triptyque de Koenig (1996), repris par Le Roy et Yami (2009), puis Roy (2010), part du principe que les entreprises se positionnent, consciemment ou non, vis-à-vis de leurs concurrents. Or, il ressort de cette recherche que ce n’est pas toujours le cas. Le concept d’indifférence concurrentielle permet d’appréhender une situation concurrentielle bien réelle : celle d’une entreprise qui dispose de principes stratégiques guidant son comportement à long terme sans pour autant adopter de position vis-à-vis de ses concurrents, ou de manière marginale comme le PDI 1. Au moins deux contextes nous apparaissent favorables à l’émergence de l’indifférence concurrentielle : d’une part celui d’une surabondance de concurrence rendant affrontement et évitement difficilement praticables et, d’autre part, celui d’un haut niveau de confiance du dirigeant en ses compétences.

6. Conclusion

57Afin de mieux comprendre les stratégies concurrentielles des PDI, nous nous sommes demandé quelles étaient les stratégies relationnelles des PDI. En nous fondant sur un travail qualitatif exploitant des données collectées auprès de 13 PDI, nous avons dévoilé la complexité et la richesse du répertoire stratégique des PDI que la littérature réduisait jusqu’ici essentiellement à la distinction. Certes, l’évitement des concurrents se révèle bien être au cœur de la stratégie relationnelle des PDI, mais sa mise en œuvre concrète se traduit régulièrement par la combinaison de plusieurs stratégies d’évitement dont la distinction n’apparaît qu’une option parmi d’autres. Stratégies de distinction, d’exploitation de ressources et compétences rares, de localisation isolée et de niche sont diversement associées pour former des configurations d’évitement. Parallèlement, la proximité des préoccupations entre les PDI les conduit fréquemment à s’organiser en réseaux de pairs distants géographiquement. La formalisation de ces réseaux vient ajouter une dimension collective à la stratégie d’évitement des PDI. Enfin, une modalité relationnelle inter-entreprises émerge de notre étude : l’indifférence concurrentielle. Il semblerait que, parfois, les PDI – et peut-être d’autres types d’entreprises – ne se préoccupent pas de leurs concurrents, préférant consacrer leur énergie au développement de leur affaire en direction de leurs clients ou à l’exploitation de leurs ressources et compétences.

58Des implications managériales nous apparaissent découler de cette recherche. D’une part, notre travail nous semble susceptible d’éclairer les choix stratégiques des PDI. Il en résulte en effet une identification des différentes stratégies d’évitement mobilisées par les PDI et de leurs combinaisons. Cette mise en évidence des options possibles en matière d’évitement pourrait s’avérer utile à tous les PDI qui souhaiteraient s’intéresser aux stratégies concurrentielles. Plusieurs enseignements pratiques peuvent être tirés de cette recherche. Premièrement, l’évitement géographique n’apparaît logiquement possible que lorsque le nombre d’acteurs est réduit, soit parce que le secteur émerge, soit parce que le quartier se transforme ou sort de terre. Ainsi est-ce une stratégie que nous retrouvons dans le secteur des caves à bière et dans les nouveaux quartiers. Cependant, se contenter d’une stratégie de localisation isolée apparaît risqué. C’est le choix qu’avait fait le PDI 4, mais l’arrivée de concurrents l’a fait basculer dans une logique d’affrontement. Adjoindre à la localisation isolée une stratégie de distinction et/ou de niche se révèle ainsi salutaire pour poursuivre sur le long terme sur la voie de l’évitement. Dans des secteurs où le nombre d’acteurs est plus important – typiquement les caves à vin et les librairies –, les stratégies de distinction et/ou de niche prennent l’ascendant. La spécialisation apparaît comme un bon moyen d’éviter la concurrence (ex. cave à vin nature, librairie BD). Pour que la distinction soit perçue comme réelle aux yeux des consommateurs, elle doit être fondée sur un élément tangible ou, mieux encore, sur des ressources et compétences rares. Les PDI souhaitant mettre en œuvre une politique de distinction pourraient envisager de se former pour passer de la différenciation à la distinction, puis à la distinction par les ressources et compétences rares.

59D’autre part, dans un contexte marqué par une pression concurrentielle élevée, l’indifférence vis-à-vis des concurrents apparaît comme une manière de gérer l’impossibilité de répondre aux manœuvres des concurrents dans une logique d’affrontement ainsi que de les éviter complètement. La focalisation sur le développement de son entreprise dans une logique de satisfaction des clients ou d’exploitation de ses ressources et compétences apparaît susceptible d’apporter des résultats satisfaisants.

60Ce travail n’est cependant pas exempt de limites. D’une part, en dépit du soin pris pour sélectionner les PDI interviewés, ceux qui l’ont été demeurent ceux qui nous ont répondu positivement, ce qui constitue un biais de sélection. D’autre part, si nous avons remarqué que les PDI pouvaient mettre en œuvre des stratégies collectives d’évitement, leur contenu n’a pas été analysé.

61Enfin, divers prolongements à cette recherche sont envisageables. Premièrement, des recherches complémentaires sont nécessaires pour éventuellement étendre nos résultats à des entreprises issues d’autres secteurs ou de plus grande taille. Deuxièmement, il pourrait être intéressant de relier les différentes configurations de stratégies d’évitement des PDI à leur performance. Troisièmement, la conceptualisation de l’indifférence concurrentielle nécessite d’être débattue et approfondie. En particulier, ses contextes d’émergence et son positionnement théorique vis-à-vis des trois autres modalités relationnelles entre concurrents (affrontement, coopération, évitement) méritent d’être précisés. Quatrièmement, ce travail n’incluant pas la dimension processuelle des stratégies d’évitement, il serait intéressant de chercher à comprendre comment les configurations que nous avons mises au jour évoluent dans le temps, de manière notamment à mettre en lumière leurs points faibles.

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Table des illustrations

Titre Figure 1 – Les modalités relationnelles entre concurrents
Légende Source : Koenig, 1996.
URL http://journals.openedition.org/fcs/docannexe/image/8258/img-1.png
Fichier image/png, 18k
Titre Figure 2 – Carte cognitive du PDI 6
Légende Source : auteurs.
URL http://journals.openedition.org/fcs/docannexe/image/8258/img-2.png
Fichier image/png, 134k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Fabien Eymas et Faouzi Bensebaa, « Petits distributeurs indépendants : de l’évitement à l’indifférence concurrentielle ? »Finance Contrôle Stratégie [En ligne], 24-3 | 2021, mis en ligne le 15 septembre 2021, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/fcs/8258 ; DOI : https://doi.org/10.4000/fcs.8258

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Auteurs

Fabien Eymas

Maître de conférences en sciences de gestion
Professeur agrégé d’économie et de gestion
Université de Haute-Alsace
IUT de Colmar – CREGO
fabien.eymas@uha.fr

Faouzi Bensebaa

Professeur des universités en sciences de gestion
Université Paris VIII
faouzi.bensebaa@hotmail.fr

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Droits d’auteur

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