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Apports et freins de la localisation des équipes d’innovation au plus près des terrains de jeux des pratiquants
L’exemple du groupe Decathlon

Anne Berthinier-Poncet, Sandra Dubouloz et Catherine Thevenard-Puthod

Résumé

Si un questionnement clé en management de l’innovation porte sur les enjeux de la localisation géographique des équipes R&D, peu de travaux ont étudié en profondeur l’intérêt de la localisation des équipes d’innovation au plus près des clients utilisateurs. Cet article se propose donc, à travers l’étude du groupe Decathlon, de mieux cerner l’intérêt de ce choix de localisation et ce lors des différentes phases du processus d’innovation. Decathlon ayant très tôt fait le choix de localiser ses équipes d’innovation produits au plus près des différents « terrains de jeu » des pratiquants sportifs, il représente en effet un cas emblématique pour investiguer ces questions. L’objectif de cette recherche est double : (1) identifier en quoi le choix stratégique d’une localisation des équipes d’innovation au cœur des terrains de jeu des pratiques sportives facilite le déroulement du processus d’innovation, mais présente également des freins qui peuvent varier selon les phases du processus et (2) identifier les différents leviers, d’ordre tant cognitif qu’organisationnel, social, institutionnel ou électronique, que ces équipes peuvent mobiliser pour dépasser ces freins. Nos résultats montrent que ce choix de localisation a une influence positive sur le processus d’innovation, mais d’une intensité variable selon les étapes. Des facilitateurs d’ordre organisationnel, cognitif, social et électronique interviennent alors et, par le jeu de leur complémentarité, permettent de pallier et dépasser les handicaps liés à l’éclatement géographique de l’entreprise.

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Notes de l’auteur

Ce travail a été réalisé grâce au soutien financier du LABEX ITEM - Innovation et Territoires de Montagne- (ANR-10-LABX-50-01), dans le cadre du programme « Investissements d’Avenir » géré par l’Agence Nationale de la Recherche.

Texte intégral

Introduction

1Un questionnement clé en management de l’innovation porte sur les enjeux de la localisation géographique des équipes d’innovation. Ainsi, certaines recherches ont montré l’intérêt pour une entreprise d’être localisée dans un cluster, un district industriel ou un pôle de compétitivité, ces différents espaces jouant un rôle indéniable d'attracteur et de soutien pour l’innovation (Berthinier-Poncet 2013 ; Loilier 2010 ; Morgan 1997). D’autres chercheurs ont mis en exergue l’intérêt de la proximité géographique des membres d’une équipe d’innovation (Loilier, 2010), tout en soulignant les difficultés de fonctionnement des équipes multi-localisées, notamment dans le cas des firmes multinationales (Gassmann et von Zedtwitz, 1999 ; von Zedtwitz et Gassmann, 2002 ; Singh, 2008; Peréa et Von Zedtwitz, 2018). Pour autant, ces approches présentent plusieurs limites. En premier lieu, elles ne traitent pas spécifiquement de l’intérêt pour une entreprise de délocaliser ses équipes d’innovation au plus près des utilisateurs finaux. On reconnaît pourtant aujourd’hui l’importance d’associer certains types d’utilisateurs dans les processus d’innovation, en particulier les “lead users” ou utilisateurs pionniers (Von Hippel, 1986, 2005; Hillairet, 2012), dans la mesure où ils peuvent être sources de nombreuses innovations, tant radicales qu’incrémentales, et souvent plus commercialement attractives que celles générées par les entreprises seules (Von Hippel, 2005; Hienert et al. 2014; Franke et al., 2006; Lettl et al., 2006; Lühtje, 2004). Or, dans certains secteurs d’activité comme les sports outdoor, les lead users et une part importante des utilisateurs réguliers et/ou passionnés ont la particularité de se concentrer géographiquement sur quelques territoires de pratique jugés symboliques (Hyysalo, 2009 ; Hillairet, 2012 ; Hienerth et al., 2014, Franke et Shah, 2003 ; Lüthje, 2004 ; Lüthje et al., 2005). Dans cette optique, les équipes d’innovation peuvent être délocalisées sur des territoires de pratique nationaux (et non forcément à l’étranger), ce qui certes diminue un certain nombre de difficultés énoncées dans la littérature en management international (par exemple celles liées aux décalages horaires ou aux différences culturelles), mais engendre malgré tout un éloignement géographique des acteurs de l’innovation avec le reste de l’organisation. En second lieu, la plupart des études disponibles restent, dans une large mesure, statiques et traitent de l’influence des choix de localisation sur l’innovation d’un point de vue global, sans différencier les phases du processus d’innovation (Balland et al., 2015). Dans cette recherche, nous entendons donc dépasser ces deux limites. D’une part, nous focalisons notre analyse sur l’intérêt pour une entreprise de localiser ses équipes d’innovation au plus près des utilisateurs/pratiquants. D’autre part, en mobilisant une approche processuelle de l’innovation, à travers quatre principales phases - la reconnaissance d’un besoin, la recherche de solutions, le développement, et la commercialisation - nous introduisons un caractère dynamique dans l’analyse.

2Dans ce cadre, l’objectif de cette recherche est double : (1) identifier en quoi le choix stratégique de localiser les équipes d’innovation au plus près des utilisateurs facilite le déroulement du processus d’innovation, mais présente également des freins qui peuvent varier selon les phases du processus et (2) repérer les différents leviers (d’ordre tant cognitif que organisationnel, social, institutionnel ou électronique) que les équipes d’innovation peuvent mobiliser pour dépasser ces freins.

3Ce travail s’appuie sur une étude de cas unique : celle de l’entreprise Decathlon. Ce cas est emblématique car l’entreprise a décidé, dès 1997, de délocaliser plusieurs équipes d’innovation au plus près des sportifs et de leurs terrains de pratique, tout en conservant de nombreuses compétences et des services centraux au sein de son siège social situé à côté de Lille. Trente ans après cette décision, ces centres fonctionnent toujours de façon autonome et l’entreprise a même décidé de multiplier ce type d’implantations décentralisées. A travers une démarche qualitative exploratoire, nous montrons que : (1) la localisation des équipes d’innovation près des utilisateurs semble avoir une influence positive, mais d’intensité variable en fonction des étapes du processus d’innovation ; (2) des leviers d’ordre organisationnel, cognitif, social et électronique interviennent alors et, par le jeu de leur complémentarité, permettent de pallier et dépasser les freins de ce choix de localisation Cette localisation peut devenir une source d’avantages stratégiques dès lors que l’entreprise adopte un modèle organisationnel adéquat. Un équilibre est en effet à trouver entre centralisation et décentralisation des équipes d’innovation, pour maximiser les effets de la proximité avec les utilisateurs au cours du processus d’innovation.

4Après avoir présenté successivement notre cadre d’analyse, le cas Decathlon et notre méthodologie de recherche, nous détaillons les principaux résultats obtenus grâce à l’analyse de ce cas, puis nous les discutons.

1. Cadre théorique

5Le cadre d’analyse retenu s’articule autour des littératures sur les choix de localisation des activités R&D, sur les différents types de proximités et sur le processus d’innovation.

1.1. La localisation des activités R&D : centralisation versus multi-localisation

6Le choix d’implantation des activités R&D des entreprises est une question qui a été traitée par deux principaux pans de la recherche académique : d’une part, la littérature sur les clusters et autres formes agglomérées d’organisations, d’autre part, la littérature en management international. Dans le premier cas, nombreuses sont les études qui montrent l’intérêt pour une entreprise de se localiser à proximité de districts industriels ou de clusters dans lesquels on trouve une importante concentration géographique d’entreprises et d’institutions (universités, instituts de recherche publics ou privés). La mise en commun d’infrastructures, les externalités d’agglomération, qu’elles soient économiques (liées au dynamisme du marché local du travail, à la proximité des clients et des fournisseurs ou encore à l’accès à des ressources spécialisées) ou socio-économiques (la confiance entre les acteurs diminuant les coûts de transaction ; Torre et Tanguy, 2014), les échanges de connaissances explicites mais surtout tacites (Breschi et Lissoni, 2001) et les dynamiques d’apprentissage sont autant de conditions qui facilitent la construction de connaissances nouvelles et favorisent l’apparition et la diffusion plus rapide d’innovations (Baptista, 2000 ; Folta et al., 2006). Nombreux sont donc les chercheurs qui plaident pour une proximité géographique liant les différents acteurs de l’innovation, car un contact direct répété et l’usage d’équipements communs autorisent une meilleure transmission des connaissances et facilitent le déploiement de relations de confiance (Loilier, 2010).

7Toutefois, d’autres chercheurs ont également montré que la proximité géographique peut constituer un frein à l’innovation. L’enfermement autour d’une spécialisation territoriale ou mono-activité (« lock in » spatial), s’il n’est pas couplé à une ouverture sur l’extérieur, est un risque pour la capacité d’innovation des acteurs locaux qui peuvent ne plus être en mesure de répondre à de nouveaux développements, englués dans la routine et la banalisation des relations internes (Boschma, 2005; Torre, 2006). Comme le souligne Boschma (2005), la proximité géographique peut favoriser l’innovation, mais elle n’est une condition ni nécessaire ni suffisante. Le nombre croissant de collaborations R&D internationales a également fait prendre conscience que la co-localisation des membres d’une équipe d’innovation au sein d’un même lieu géographique n’est pas forcément nécessaire (Narula et Santangelo, 2009; Picci, 2010).

8Plusieurs auteurs en management international ont ainsi étudié les firmes multinationales (FMN) qui ont fait le choix d’implanter des centres de R&D dans différents pays, impliquant donc non seulement une distance géographique (et souvent également temporelle) entre le siège social et les entités R&D délocalisées, mais aussi entre ces dernières. En se fondant sur des méthodologies et des secteurs variés, ces chercheurs ont relevé deux principaux avantages que peut retirer une entreprise de ses multi-localisations internationales : 1) une implantation à l’étranger autorise une meilleure adaptation des produits aux conditions et attentes des clients locaux (Zeschky et al., 2014) ; 2) elle engendre également des possibilités d’accès à de nouvelles connaissances, savoir-faire ou technologies spécifiques, qui alimentent en retour le portefeuille de compétences du centre de R&D national (Brion et al., 2013; Gassmann et von Zedtwitz, 2003 ; Jacquier-Roux et Paraponaris, 2011). La littérature indique cependant, qu’à côté des avantages procurés par la délocalisation d’équipes R&D à l’étranger, avantages que Pearce (1999) qualifie de forces centrifuges, l’entreprise doit gérer des forces contraires, qualifiées de centripètes. En effet, le fait de disséminer les équipes d’innovation dans le monde entier ne permet pas de bénéficier d’économies d’échelle et des autres effets d’agglomération : les capacités des différents centres (les laboratoires, les savoir-faire individuels…) ne sont ainsi pas toujours pleinement utilisées et l’entreprise ne bénéficie pas de l’existence de communautés de chercheurs travaillant sur les mêmes centres d’intérêts (Gassmann et von Zedtwitz, 1999). Cela introduit en outre des coûts de contrôle, de coordination et de communication (Nobel et Birkinshaw, 1998; von Zedtwitz et Gassmann, 2002 ; Singh, 2008), et ce d’autant plus que l’éloignement géographique s’accompagne de différences de fuseaux horaires (Chudoba et al., 2005 ; Hinds et Bailey, 2003). Ces problèmes de coordination peuvent alors engendrer des difficultés à respecter les délais (O'Leary et Cummings, 2007). De plus, l’éloignement désincarne le travail d’équipe (Child et McGrath, 2001) et peut conduire à diminuer l’engagement des individus. Enfin, malgré les technologies de communication modernes, l’échange de connaissances tacites, la création de la confiance et une culture du travail commun nécessitent souvent de la communication en face à face. Or, des déplacements trop nombreux des membres de l’équipe innovation (en particulier du chef de projet chargé de coordonner l’ensemble des membres) peuvent générer du stress, voire de la démotivation.

9Si l’intérêt de se rapprocher géographiquement des utilisateurs est régulièrement cité par ces deux pans de littérature comme un des déterminants du choix de délocalisation des équipes R&D, très peu de chercheurs ont spécifiquement étudié cet aspect, notamment dans un contexte national. Dans ses travaux sur les “lead users”, Von Hippel (1986, 2005) met pourtant l’accent sur l’importance, pour les entreprises, non seulement d’identifier ces utilisateurs exigeants et à la pointe des tendances du marché sur lequel elles opèrent et d’évaluer les innovations qu’ils proposent, mais également de les intégrer dans un processus conjoint d’innovation. Von Hippel (2005) suggère même aux entreprises de repenser leur processus de développement de nouveaux produits, en impliquant les lead users dans la génération d’idées et la recherche de solutions. Si de nombreux travaux se sont alors intéressés à l’intégration des lead users dans le processus d’innovation au travers des forums en ligne (Füller et al. 2007; Dahlander et Frederiksen, 2011), d’autres plaident pour un rapprochement géographique des équipes d’innovation au plus près des utilisateurs, car les informations et solutions qu’ils détiennent sont souvent tacites et dépendantes de l’environnement et de l’usage local qu’ils en font (Von Hippel, 1994; Lüthje et al., 2005). Ce constat est encore plus prégnant dans le contexte des sports outdoor, où la configuration du “terrain de jeu” influence l’évolution des pratiques, plus ou moins exigeantes, du sport. Franke et Shah (2003) conseillent par exemple à un fabricant de ski de travailler avec une communauté de “fanatiques de ski” évoluant dans une région exigeante, autant au niveau technique qu’environnemental, qui les aura obligés à améliorer leur capacité à skier, plutôt qu’avec un groupe de champions de coupe du monde. Dans un autre contexte, la pratique du VTT en montagne, Lüthje et al. (2005) soulignent également le caractère extrêmement tacite et localement ancré des connaissances pointues détenues par les lead users, et par conséquent, difficilement transférables sans observation directe de la pratique du sport sur son terrain de jeu. Ils mettent néanmoins en garde contre les biais potentiels liés au développement de solutions répondant à une pratique sportive d’un niveau élevé, mais éloigné des pratiques plus “grand public” de la majorité des pratiquants. Ainsi, la question de localiser les équipes d’innovation produits au plus près des lead users (ou des pratiquants réguliers dans le contexte des sports outdoor) pour innover mieux et plus vite, conduisant ces équipes à s’éloigner du reste de l’organisation, reste encore largement ouverte.

1.2. L’existence d’autres types de proximités pouvant être utiles à l’innovation

10La littérature indique que d’autres leviers que la proximité géographique peuvent faciliter le management de l’innovation, et éventuellement compenser l’absence de cette dernière. Boschma (2005), prolongeant les apports de l’école française de la proximité (Rallet et Torre, 2007; Bouba-Olga et Grossetti, 2008), retient ainsi quatre autre types de proximités non spatiales – cognitive, organisationnelle, sociale et institutionnelle – qui constituent autant de leviers pour l’innovation.

11La proximité cognitive correspond à la capacité des acteurs à communiquer, comprendre, absorber et fabriquer de nouvelles connaissances entre eux. Des acteurs seront dits « proches cognitivement » s’ils partagent une même base de connaissances et parlent le même langage, scientifique ou non. Grâce à cette proximité, le partage de connaissance est plus fluide (Franke et Shah, 2003) et les interactions plus efficaces (Cohen et Levinthal, 1990).

12La proximité organisationnelle repose sur une logique d’appartenance qui facilite les interactions entre deux acteurs, dès lors qu’ils appartiennent à la même organisation (au sens large, une entreprise, un réseau d’acteurs ou une communauté) et en acceptent les règles ou routines de comportement, tacites et explicites (Torre et Tanguy 2014). Cette dimension met l’accent sur la nécessaire organisation de la coordination des acteurs, à la fois pour faciliter les échanges de connaissance et l’apprentissage, et pour réduire les incertitudes et risques d’opportunisme inhérents à la création de nouvelles connaissances. Une distance organisationnelle médiane est encouragée par Boschma (2005) qui montre qu’une gouvernance trop hiérarchique limite la flexibilité nécessaire à l’apprentissage collectif et à l’innovation (Lawson et Lorenz, 1999), tandis que trop peu de contrôle augmente les dangers de comportements opportunistes.

13La proximité sociale tire ses origines des travaux sur l’encastrement (Granovetter, 1985). Elle correspond aux relations socialement encastrées – amicales, familiales et culturelles – que les acteurs peuvent entretenir. La proximité sociale s’appuie sur la routinisation et la stabilisation des liens entre les membres, résultant d’une histoire commune d’échanges et de relations au sein d’un groupe ou d’une communauté (Granovetter, 1985; Gilsing et al. 2008). Pour innover, une organisation a besoin de proximité sociale, car cette proximité permet le déploiement plus aisé de relations de confiance qui facilitent les échanges de connaissances tacites (Inkpen et Tsang, 2005) et limitent les risques d’opportunisme. Des travaux en marketing portant sur le développement de nouveaux produits (NPD) montrent que cette proximité sociale ou familiarité des équipes de développement est propice à la performance d’innovation, notamment parce qu’elle favorise l’utilisation des informations technologiques tant sur les utilisateurs que sur les concurrents (Gotteland et al., 2007). Les travaux sur les lead users (Shah, 2000 ; Franke et Shah, 2003 ; Lüthje et al., 2005 ; Hillairet, 2012), dans le domaine du sport en particulier, soulignent eux-aussi l’importance des relations sociales et d’amitié qui sont à l’origine de nombreuses innovations dans ce secteur.

14La proximité institutionnelle s’apprécie quant à elle à un niveau beaucoup plus « macro » et s’appuie sur l’ensemble des habitudes culturelles et valeurs ainsi que sur les règles du jeu institutionnelles que partagent deux acteurs. Elle correspond à la fois à un cadre institutionnel fort - s’appuyant sur des lois et des règlements applicables et cohérents, et sur une gouvernance active - et à une structure culturelle claire, avec une langue et des habitudes communes (Loilier 2010). Pour Boschma (2005), la proximité institutionnelle est nécessaire à l’innovation, car elle procure des conditions stables pour faciliter les interactions et l’apprentissage.

15A ces quatre leviers, Loilier et Tellier (2004) ajoutent une cinquième dimension, la proximité électronique, qui donne la possibilité à des acteurs d’un même réseau de consulter, d’échanger et d’élaborer des données informatisées en temps réel ou différé. Cette proximité électronique facilite l’intégration de toutes les parties prenantes du projet distantes géographiquement, qu’elles soient internes à l’organisation ou externes, comme les clients ou les fournisseurs. Elle peut servir de socle à la constitution de communautés (Loilier, 2010). Brion et al. (2013) ont ainsi montré que plus l’éloignement géographique des membres des équipes d’innovation augmente, plus l’efficacité de leur coordination dépend de l’usage de médias technologiques.

16Ces cinq leviers paraissent par conséquent pouvoir être mobilisés pour compenser une éventuelle absence de proximité géographique entre les membres des équipes d’innovation lors d’un choix de délocalisation près des utilisateurs. On peut toutefois se demander si leur effet est toujours le même en fonction des phases du processus d’innovation. En effet, si une des principales avancées de la littérature en management de l’innovation a été la prise de conscience que l’innovation est avant tout et essentiellement un processus et qu’elle doit être étudiée en tant que telle, très peu de recherches intègrent cette nature processuelle (Crossan et Apaydin, 2010). Pourtant, la non prise en compte des phases des processus d’innovation peut être à l’origine des résultats souvent instables et contradictoires en matière de management de l’innovation (Damanpour et Wischnevsky, 2006; Dubouloz, 2013, 2014). Suire et Vicente (2008) distinguent par exemple la phase d’exploration des connaissances, c’est-à-dire la phase qui consiste à produire une expérimentation ou un prototype, de la phase d’exploitation qui s’attache à diffuser ces connaissances sur le marché, et appellent à utiliser de façon différenciée les proximités géographiques et cognitives selon la phase dans laquelle on se trouve. Ainsi, dans la phase d’exploration, il est important que la distance cognitive entre les acteurs soit forte, pour mobiliser des connaissances différentes, mais qu’elle soit couplée à une proximité géographique forte pour favoriser la compréhension mutuelle ; tandis que dans la phase d’exploitation, la distance cognitive est plus faible afin de créer un “dominant design” et la proximité géographique plus risquée. Von Zedtwitz et Gassmann (2002) montrent également qu’en termes de choix de localisation à l'étranger, les entreprises peuvent séparer les activités de recherche de celles liées au développement et ainsi adopter des configurations fort différentes.

17Dans ce contexte, et afin de mieux appréhender l’influence sur l’innovation de la localisation au plus près des utilisateurs des équipes qui sont en charge de l’innovation, il paraît pertinent d’adopter une approche processuelle.

1.3. L’innovation sous le prisme de son processus : une richesse peu exploitée

18La littérature en management de l’innovation considère l’innovation sous deux formes : comme un output ou comme un processus. Toutefois, que ce soit pour étudier les sources ou les antécédents de l'innovation ou pour apprécier le rôle des acteurs de l'innovation, les approches statiques sont dominantes, alors qu'il est reconnu que leurs effets peuvent varier selon les phases du processus d'innovation (Damanpour, 2017).

19Dans cette recherche, nous nous focalisons sur la génération d’innovations et plus précisément la génération de nouveaux produits, c’est-à-dire sur le processus créatif qui aboutit à la mise sur le marché de l’outcome innovation, qui peut être un produit, un service ou une technologie, mais qui doit au minimum être nouveau pour l’organisation (Damanpour et Wischnevsky, 2006). Le processus de génération d’innovations est entendu comme un ensemble d’évènements distincts - des décisions, des activités, des comportements - organisés par phases et réalisés dans le temps et l’espace, avec un début, une fin et des outputs clairement identifiés (Tornatzky et Fleischer, 1990). Il est assimilé au modèle de développement des nouveaux produits (NPD) (Perunovic et Christiansen, 2005), qui débute également par la génération d’idées, passe par un certain nombre d’étapes et mène finalement au lancement commercial de nouveaux produits (Hienerth et al., 2014).

  • 1 Malgré l’apparente linéarité de ce processus, un caractère non systématique et automatique de ces é (...)

20De nombreux modèles ont été proposés pour décrire ce processus de génération d’innovations, comme le montre le tableau 1. Des processus les plus synthétiques de Hansen et Birkinshaw (2007) ou Roper et al. (2008), aux processus beaucoup plus détaillés (jusqu’à 6 phases) de Rothwell et Robertson (1973), Damanpour et Wischnevsky (2006), ou Cooper et Kleinschmidt (1993) pour le NPD, nous retenons au final quatre phases clés : l’identification du besoin, la recherche de solutions, le développement et la commercialisation du nouveau produit1.

Tableau 1 – Modélisation du processus de génération d’une innovation

Auteurs

Phases

Rothwell et Robertson (1973)

Génération d’idées

Définition projet

Résolution de problèmes

Design et développement

Production

Marketing

Kanter (1988)

Génération d’idées

Construction d’une coalition

Réalisation de l’idée

Roberts (1988)

Identification d’une opportunité

Formulation l’idée

Résolution de problèmes

Prototype

Développement commercial

Tornatzky et Fleisher (1990)

Recherche

Développement

Déploiement

Cooper et Kleinschmidt (1993)

(NPD)

Génération d’idées

Évaluation préliminaire

Évaluation détaillée

Développement et Tests

Validation

Lancement

Rogers (1995)

Reconnais-sance d’un besoin

Recherche de base et appliquée

Développement

Commercia-lisation (production, packaging, marketing, distribution)

Adoption Diffusion

Klein et Sorra (1996)

Recherche

Développement et Tests

Industrialisa-tion

Packaging

Diffusion

Angle et Van de Ven (2000)

Initiation

Développement

Lilien et al (2002)

Définition de l’objectif et formation de l’équipe

Recherche des tendances et Mobilisation du réseau pyramidal des lead users

Workshop avec les lead users et amélioration des idées

Damanpour et Wischnevsky (2006)

Reconnais-sance d’un besoin

Recherche et développe-ment

Test

Production

Marketing

Distribution

Hansen et Birkinshaw (2007)

Génération d’idées

Conversion des idées en innovations

Diffusion

Roper, Du et Love (2008)

Sourcing - Recherche de connaissances et idées

Transformation des idées en innovation

Exploitation

Chen et Guan (2011)

Génération d’idées

Allocation des ressources

Recherche et Développement

Commercialisation

Jespersen (2012)

(NPD)

Génération d’idées

Évaluation - Concept

Design – Test prototype

Validation production/ marketing

Lancement

Synthèse : 4 phases clés

Identification d’un besoin

Recherche de solutions

Développement

Commercialisation

21Durant la phase d’identification ou de reconnaissance d’un besoin, les acteurs de l’innovation collectent des informations provenant de sources aussi bien internes qu’externes, accumulent des connaissances afin de trouver une idée motivante, et identifient l’opportunité de développer un nouveau produit (Chen et Guan, 2011; Roberts, 1988). Au cours de cette phase, de nombreuses sources de connaissances peuvent être mobilisées : les services R&D et marketing internes, les clients, les fournisseurs, des consultants externes, les concurrents, des universités ou encore des centres de R&D externes. La deuxième phase, la recherche de solutions, inclut aussi bien la recherche de base que la recherche appliquée. Si Rogers (1995) suggère ici que les innovations sont majoritairement issues de la recherche scientifique, il reconnaît également qu’elles résultent aussi souvent de l’interaction entre des méthodes scientifiques et des problèmes pratiques ou des relations entretenues avec les utilisateurs. La phase de développement consiste à mettre en forme la nouvelle idée dans le but qu’elle réponde aux besoins d’une audience de potentiels adoptants. Les activités associées à cette phase consistent à développer des prototypes, les tester, apprendre en faisant, capitaliser et évaluer les nouvelles idées (Chen et Guan, 2011; Tornatzky et Fleischer, 1990). Enfin, la phase de commercialisation comprend la production, le packaging, le marketing et la distribution du produit innovant (Chen et Guan, 2011; Rogers, 1995).

22En définitive, les différents enseignements de la littérature que nous venons de présenter permettent de développer un cadre d’analyse intégré pour évaluer en quoi la délocalisation des équipes d’innovation au plus près des utilisateurs peut constituer une opportunité ou un frein, en fonction des phases du processus d’innovation, et pour identifier les leviers qui peuvent être mobilisés pour pallier les obstacles perçus.

2. Méthodologie

23Pour analyser en quoi la localisation des équipes d’innovation au plus près des utilisateurs influence la performance du processus d’innovation à travers ses différentes phases, nous avons opté pour une démarche qualitative à travers une étude de cas emblématique réalisée au sein du groupe Decathlon. L’étude de cas unique paraît une méthodologie pertinente pour les raisons suivantes : 1) il s’agit d’une recherche exploratoire, 2) portant sur un processus complexe (Langley, 1999) et 3) impliquant de nombreux acteurs (Miles et Huberman, 2003).

2.1. Le choix du groupe Decathlon

  • 2 https://www.lesechos.fr/15/06/2018/LesEchosWeekEnd/00127-008-ECWE_decathlon-sur-les-sommets.htm

24Decathlon est le deuxième distributeur d’articles de sport dans le monde après Intersport. Groupe de 87.536 collaborateurs, il a réalisé en 2018 un chiffre d’affaires mondial de 11.3 milliards d’euros, soit une augmentation de 3.14% par rapport à 2017, et ce dans un parc de 1511 magasins répartis sur 51 pays, de l’Europe à l’Inde en passant par le Brésil et plus récemment en Amérique du Nord (Canada et USA). Cette enseigne a la particularité de concevoir une grande partie des produits qu’elle commercialise et est aujourd’hui considérée comme un acteur majeur en termes d’innovation. Selon les données de l’INPI, 29 brevets ont été déposés en 2015 par Decathlon, qui se situait en 46ème place au classement des déposants de brevets en France (44ème place en 2014), alors que Decathlon fait le choix de ne pas protéger toutes ses innovations pour répondre à des impératifs de rapidité de mise sur le marché. En effet, pas moins de 2800 nouveaux produits sont conçus en moyenne chaque année2 et le nombre moyen de brevets déposés reste sensiblement le même depuis 2014 (30 par an). Ainsi, la stratégie d’innovation de Decathlon se veut largement ambidextre, avec pour une part, des objectifs d’exploration pour lancer des innovations radicales qui lui permettront de se différencier et de développer son image de concepteur fortement innovant, et pour une autre, des impératifs d’exploitation afin de s’adresser à la plus large cible possible en tant que distributeur. Du point de vue des innovations radicales, il ne s’agit pas uniquement d’innovations produits, mais aussi d’innovations en termes de procédés et technologies émergentes (par exemple en soudure ou en technologies gonflables) qui entrent ensuite dans la conception des produits.

  • 3 Aujourd’hui, la stratégie du groupe en termes de marques est en train d’évoluer et à la place d’une (...)

25Un des choix stratégiques réalisé par Decathlon en matière d’innovation, à la fin des années 1990, a été de créer, pour ce que le groupe appelait au départ ses « marques-passions », aujourd’hui appelées « sports signés »3, des équipes d’innovation décentralisées, autonomes et localisées près des zones de pratiques sportives. A titre d’exemples, la marque Quechua, qui signe les produits de montagne, a été la première à installer ses équipes d’innovation au plus près des terrains de jeu des sports montagne, en Haute-Savoie, dans la région de Chamonix en 1997 ; Tribord, la marque dédiée aux sports nautiques, créée en 1996, a été localisée à Hendaye en 2004, dans l’ancienne criée du port de pêche où l’on trouve aujourd’hui le centre de R&D et le magasin, tous deux rassemblés au sein d’un même bâtiment; Solognac, pour les vêtements et le matériel de chasse et pêche, s’est établi près de Bordeaux, à Cestas. Chaque marque est ainsi organisée de façon relativement indépendante, comme une Business Unit, avec son responsable, son compte d’exploitation et son équipe d’innovation à travers la palette de métiers nécessaire à la conception (chefs de produits, ingénieurs produit, designers, prototypistes…), l’industrialisation (management de la supply-chain essentiellement) et la commercialisation des nouveaux produits (merchandising, communication…). L’innovation est au cœur des cahiers des charges des sports signés même s’il peut y avoir des tensions entre le fait d’innover en tant que concepteur et par ailleurs de s’adresser au plus grand nombre en tant que distributeur. Seules des compétences de conception transversales au groupe (par exemple des savoir-faire spécifiques sur des composants entrant dans la fabrication de produits de sports variés) restent centralisées au siège situé près de Lille : « Chaque marque définit sa propre stratégie d’innovation et reçoit, si nécessaire, l’appui de notre centre de recherche de Villeneuve–d’Ascq », explique le relais innovation du groupe. Le sport signé Quechua, localisé à Passy, a été le premier à être récompensé aux Decathlon Innovation Awards en 2005 pour le produit le plus innovant de l’année avec la tente deux secondes, puis plus récemment, en 2016, pour le matelas air seconds. En 2014, c'est le masque Easy breath, conçu par le sport signé Subéa localisé à Hendaye, qui remporte le premier prix et reçoit également l’étoile de l’Observeur du design en 2015.

  • 4 Les équipes de conception doivent ainsi traverser le magasin pour accéder à leurs espaces de travai (...)

26Notre projet de recherche s’étalant sur plusieurs années, nous avons tout d’abord centré notre analyse sur les deux premières entités délocalisées qui sont emblématiques de la politique de délocalisation des équipes d’innovation chez Decathlon. Le terrain principal a été le « Quechua Mountain Store », installé à Passy en Haute Savoie. Ce centre mondial de création réunit dans un même bâtiment de 10 000 m2, non seulement les équipes de conception de différents « sports signés » axés sur des produits dédiés à la montagne (Quechua pour la randonnée et première marque du groupe en termes de chiffre d’affaires, Wed’ze pour le ski, Simond pour l’escalade, Maskoon pour le canyoning), mais aussi un magasin, qui accueille quotidiennement des clients de toutes origines4. 400 personnes y travaillent actuellement (« En 1997, on était une poignée de personnes. Aujourd'hui on est 400 » MS3). La seconde entité délocalisée étudiée est le « Water Sport Center » à Hendaye qui réunit, depuis 2004, les équipes travaillant sur les sports nautiques tels que la voile (marque Tribord), la natation (marque Nabaiji), le surf (marque Olaian), la plongée (marque Subéa) et les sports de pagaie tels que le stand up paddle ou le kayak (marque Itiwit), soit près de 200 personnes.

2.2. La collecte et l’analyse des données recueillies

27Dans un souci de triangulation (Yin, 2009), cette étude de cas s’appuie sur trois types de données : des entretiens, de l’observation directe et de l’analyse de documents. En premier lieu, une revue de presse a été effectuée sur Decathlon afin de se familiariser avec le groupe et ses différentes marques, puis de repérer des innovations récentes susceptibles d’être étudiées. Treize entretiens semi-directifs, d’une durée moyenne d’1h30, ont ensuite été menés entre juillet 2017 et mai 2018 auprès des principaux protagonistes impliqués dans les processus d’innovation des deux sites. Les personnes interrogées (cf. tableau 2) sont représentatives des différents métiers composant les équipes d’innovation (ingénieurs produits, designers, chefs de produits) et des fonctions en charge d’animer l’innovation au sein du groupe (responsables innovations, leaders innovations…). Elles ont également été délibérément choisies parce qu’elles travaillent sur des produits différents.

Tableau 2 – 13 interviews

Entités

Decathlon

Interviews

Decathlon Mountain Store (Passy)

Données

8 interviews– Durée totale : 12h12 – Nombre de pages de retranscription : 106

Acteurs

Relais innovation site (MS1), Responsable Marketing (MS2), Responsable de site (MS3), Ingénieurs produit (MS 4 et 5), Leaders sport signé (MS 6 et 7), Chef de projet d’un nouveau sport signé (MS8),

Decathlon Watersport Centre (Hendaye)

Données

4 interviews– Durée totale : 4h01 – Nombre de pages de retranscription : 37

Acteurs

Responsable innovation site (WC1), Responsable fab lab (WC2), Ingénieurs produit WC3 et 4)

Siège social

Données

1 interview– Durée totale : 1h19 – Nombre de pages de retranscription : 25

Acteur

Relais innovation groupe (S1)

28Ces interviews ont été réalisées à l’aide d’un guide d’entretien structuré en quatre grands thèmes : (1) Le contexte de l’innovation, avec des sous-thèmes tels que la place de l’innovation dans la stratégie du groupe Decathlon, l’organisation de l’innovation (structures mises en place pour favoriser l’innovation au niveau du groupe et de l’entité localisée, relations d’innovation entretenues avec le siège et les autres entités délocalisées du groupe) et des exemples d’innovations récemment développées ; (2) L'intérêt de la localisation près des territoires de pratique pour le déroulement du processus d’innovation à travers les quatre phases retenues dans la littérature. Pour chacune de ces phases, nous avons cherché à ce que les personnes interviewées s’expriment sur les acteurs clés participant à l’innovation (internes et externes) et leurs rôles, la nature des liens entre ces acteurs. Dans ce cadre, les personnes interviewées étaient incitées à prendre appui sur des innovations clés, c’est-à-dire des innovations ayant été considérées comme des succès tant en interne (gain d’Innovation Award, trophée interne destiné à récompenser les innovations) qu’en externe (succès commerciaux) ; (3) Les limites liées à la localisation géographique des équipes d’innovation pour chacune des quatre étapes du processus et les leviers utilisés pour les contourner ; (4) Une évaluation de l’influence de la localisation géographique sur la performance globale du processus d’innovation. Tous ces récits d’évènements rétrospectifs (Langley, 1999) ont été enregistrés et intégralement retranscrits.

29Pour l’analyse de ce corpus, nous avons adopté le modèle cyclique et itératif proposé par Miles et Huberman (2003), composé de trois activités analytiques : la condensation des données par codage thématique, leur présentation notamment sous forme de matrices et la vérification des conclusions. Dans le cadre d’une approche déductive, les catégories, thèmes et sous-thèmes associés sont issus de la revue de littérature préalablement réalisée, tout en laissant l’opportunité de l’émergence de thèmes et sous-thèmes du terrain. Notre grille de codage était composée des catégories et thèmes retenus dans notre cadre d’analyse.

  • 5 Journée organisée chaque année autour d’une thématique relative à l’innovation (en 2017, il s’agiss (...)

30Enfin, pour compléter ce dispositif, une observation passive a été réalisée : visite commentée des deux sites délocalisés, participation à la journée Inn’Spire Day5 du 12/09/2017, interviews réalisées entièrement dans les locaux (sauf pour le relais innovation groupe localisé au siège social près de Lille), observation de l’organisation globale des entités délocalisées, des magasins et de leurs clients, pour mieux appréhender le contexte et la disposition physique des individus impliqués dans les processus d’innovation.

3. Résultats

31Nos résultats montrent que la délocalisation des équipes d’innovation près des lieux de pratique est porteuse de nombreux atouts. Ils mettent néanmoins également en relief que ce choix constitue une source de freins, plus ou moins puissants selon les phases du processus d’innovation. Aussi, nos résultats montrent-ils que le maintien d’un certain niveau d’innovation n'est possible que dans la mesure où des leviers de l’ordre des proximités cognitive, organisationnelle, institutionnelle, sociale et électronique jouent un rôle de contrepoids.

3.1. Localisation sur les lieux de pratique et identification des besoins

Le lieu de pratique : un atout essentiel pour observer et capter les retours des pratiquants, mais aussi pour expérimenter soi-même

  • 6 Au-delà des discours, cet objectif s’incarne dans la priorité donnée aux projets d’innovations cent (...)

32La démarche d’innovation chez Decathlon est toute entière centrée sur les utilisateurs, « user-centric » étant un terme qui revient dans la majorité des discours des répondants6. Selon les équipes rencontrées, l’intérêt d’installer les équipes d’innovation au plus près du terrain de jeu privilégié des utilisateurs est une évidence pour identifier leurs besoins. « Comment mieux observer les utilisateurs, repérer leurs besoins, voire savoir deviner les besoins qu’ils n’arrivent même pas à exprimer qu’en étant sur leur terrain de jeu privilégié ? » (MS4). « L'intérêt de délocaliser, vous l'avez compris, c'est de se rapprocher des utilisateurs qui pratiquent. Idéalement, c'est de se rapprocher des utilisateurs les plus exigeants. » (S1). « Pour moi, c'est le meilleur endroit du monde aujourd'hui (Chamonix et la vallée du Mont Blanc), accessible, internationalement connu, qui permet d'observer des utilisateurs de tout niveau, du monde entier, qui viennent pratiquer. » (MS3). “Le Pays Basque, c'est la Mecque du surf en Europe” (WC1). Les territoires choisis regroupent les utilisateurs, mais aussi les experts de ces sports signés – guides, accompagnateurs, dirigeants de clubs sportifs, moniteurs, partenaires techniques ou institutionnels - qui constituent un vivier privilégié dans cette première phase du processus d’innovation : ils font remonter les informations de leurs clients, mais sont aussi sources de propositions et, comme nous le verrons, testeurs des prototypes en phase de développement.

33Pour Decathlon, positionner les chefs de produits et leurs équipes au plus près des utilisateurs du « sport signé » pour lequel ils travaillent est ainsi une véritable exigence. « Plus on va réussir à le [chef de produit] libérer pour qu'il soit plus près de l'utilisateur, plus il sera pertinent et juste » (MS1). Car c’est non seulement à travers l’observation des utilisateurs, mais aussi à travers l’expérimentation par les salariés du sport signé eux-mêmes, que les chefs de produits parviennent à identifier les besoins les plus pointus, sources d’innovations. La passion pour le sport est un dénominateur commun à tous les salariés du groupe Decathlon et cette passion passe par une pratique quasi quotidienne, facilitée par l’implantation des bureaux au plus près des terrains de sports : « Pour écrire le cahier des charges du futur bâton de trek, on n'est pas restés assis à nos bureaux pour dire « moi, je vois ça, je vois ça ». On a fait un trek de trois jours autour du Mont Blanc. C'est seulement le dernier jour où on s'est assis dans une salle et on a écrit tous ensemble le cahier des charges du produit. » (MS4); « Je fais du canyoning seul, (…) je pars faire la Belle aux Bois à Megève, je rencontre un couple qui est en train de faire du canyon, je me mets à le faire avec eux. À partir de là, je pose des questions, je regarde. Les besoins, oui, il y a tout pour regarder les besoins ici » (MS8).

34La position particulière de Decathlon comme distributeur et concepteur de ses produits entraîne aussi la nécessaire prise en compte du rôle du magasin qui devient le lieu privilégié du dialogue entre, d’un côté, les utilisateurs - sportifs, clients, experts - et de l’autre, les chefs de produit du groupe. Decathlon a en effet fait de ses magasins (« Mountain Store » et “Watersport Center”) des lieux privilégiés d’inspiration : « Tout le monde passe dans ce cœur, que ce soit les sportifs, les clients qui viennent chercher une solution produit pour leur sport […] c’est un lieu de dialogue privilégié avec les gens qui achètent les produits pour les utiliser. C'est absolument fantastique comme source d'inspiration » (MS3).

Le principal frein de cette localisation : penser des solutions locales pour une demande plus globale

35En phase d’identification des besoins, la délocalisation près des utilisateurs représente davantage un levier puissant qu’un frein. Toutefois, cette hyperspécialisation autour d’un sport, par la pratique assidue, de très haut niveau, de la part des collaborateurs et des utilisateurs, peut empêcher l’identification de besoins plus basiques pour un plus large public qui constitue pourtant la cible de Decathlon au niveau mondial : « Un inconvénient qu’on a pu avoir, c’est qu’en fait, on est face à des utilisateurs très exigeants, nos équipes sur place deviennent très fortes. Elles ont du mal à se mettre au niveau du débutant. » (S1). « Le petit bémol, c'est qu'on est proches d'un usage, mais on n'est pas proches de tous les usages » (MS6). “Je pense que ce serait un gros risque de faire de l’observation utilisateur uniquement ici. Il ne faudrait pas qu’on fasse juste le meilleur produit du Pays Basque, ce serait dommage ! (WC1).

Les leviers utilisés pour compenser ce frein

36Cette limite est cependant dépassée par un levier d’ordre social et cognitif, qui correspond à l’existence de plusieurs communautés, internes et externes au groupe. Elles facilitent alors l’identification des besoins à tous les niveaux de pratique. En interne, les collaborateurs, tous passionnés par un ou plusieurs sports, peuvent être mobilisés à tout moment pour partager leur avis, leur expertise, mais aussi pour identifier des besoins auxquels l’offre Decathlon ne répond pas encore. “Des gens qui sont des nageurs, et qui sont dans les magasins Decathlon, nous remontent des infos du terrain de l’endroit où ils pratiquent. Ça c'est aujourd'hui, je pense, un des meilleurs trucs qu’on a pour remonter de l’information chez nous : d’utiliser la force des Decathloniens qui sont en magasin et qui pratiquent nos sports, et qui ont leur réseau local de sportifs” (WS1). C’est ainsi qu’a pu voir le jour un nouveau sport signé, Maskoon, autour du canyoning. L’initiateur de ce projet, basé au Mountain Store de Passy, constatant le manque d’offres ciblées pour le canyoning, sollicite alors le réseau Decathlon, pour l’aider à monter cette nouvelle offre. Il reçoit l’aide spontanée de plus de 300 vendeurs, directeurs, responsables de magasin, designers, ingénieurs, production leaders. « J’ai créé une communauté de passionnés en interne Decathlon avec un outil, un réseau social interne. J’ai d’un seul coup été en contact avec 300 personnes passionnées chez Decathlon qui ont différentes expertises et qui font différents métiers. Les 300 personnes m'ont dit « je vais m'impliquer comme ça, comme ça, comme ça » (MS8). Le déploiement de plateformes collaboratives de dépôts d’idées par les internautes, les réseaux sociaux et les communautés externes permettent également de faire remonter un grand nombre d’informations pour identifier des besoins. « Les utilisateurs ont pu poster des avis sur Internet, pour évaluer le produit, ça a permis d'identifier quelques points de progrès » (S1). Cette limite est également compensée par la mobilité des équipes innovation : “on voyage, on va faire l’observation ailleurs. On voit d’autres choses, d’autres pratiques. Les ingénieurs voyagent beaucoup” (WC1).

3.2. Localisation sur les territoires de pratique et recherche de solutions

37Si lors de cette deuxième phase, la délocalisation représente aussi un atout, les freins identifiés peuvent être beaucoup plus nombreux et impactants qu’en phase d’identification des besoins. Le déploiement combiné de divers leviers est alors nécessaire pour les déjouer.

La localisation près des pratiquants : un atout clé pour une recherche centrée sur les usages

38Face au cahier des charges d’usage élaboré par le chef de produit au terme de la phase d’identification des besoins, et qui correspond globalement à une liste de fonctions que le produit doit respecter et qui sont très spécifiquement caractérisées, les ingénieurs produits vont rechercher des solutions par itérations, en privilégiant souvent l’empirisme sur le terrain de jeu des usagers. « En tant qu’ingénieur produit, l’ancrage sur le territoire de pratique favorise l’empirisme » (MS5).

39La localisation sur les terrains de pratique permet également d’être à proximité des produits concurrents. En effet, Chamonix constitue une vitrine pour les sports de montagne (comme le Pays Basque l’est pour le surf également). De nombreux fabricants de produits dédiés aux sports en montagne ont implanté des magasins en marque propre pour promouvoir leurs produits derniers nés auprès d’une clientèle internationale : « Si je veux aller voir un peu des marques concurrentes, je n’ai pas non plus très long à faire, puisqu’il y a ici pléthore de magasins qui sont très bien pour ça. On baigne dans l’ambiance de nos sports. Pour ça, c’est très intéressant d’être ici » (MS4)

40Enfin, comme pour la phase d’identification des besoins, la localisation des équipes de recherche dans le magasin Decathlon est relevée comme un avantage pour parfois sonder les clients pratiquants sur des solutions en cours d’élaboration. « Moi, en tant qu’ingénieur, il y a deux ou trois fois où j’avais besoin d’une réponse, j’avais le choix entre deux concepts. Pour avoir une conviction, je vais en magasin pendant deux heures et j’interpelle les clients, je leur demande quel est celui qu’ils préfèrent et pourquoi. » (MS5)

41Toutefois cette localisation au plus près des terrains de jeu les plus emblématiques des pratiques sportives concernées occasionne également des difficultés en phase de recherche de solutions.

L’éloignement des ressources et expertises du reste du groupe : le frein majeur en phase de recherche

42La délocalisation des différentes marques du groupe Decathlon conduit à un éclatement géographique des entités, qui est aussi synonyme de dispersion des ressources, expertises et compétences. Or, dans la phase de recherche de solutions, des expertises diverses sont impératives. « L’inconvénient, c’est quand même la distance de certaines compétences. Par exemple, pour le produit sur lequel je travaille, les bâtons, la compétence en composite est sur Lille. Mais ce que je veux vous faire comprendre c’est que les compétences, elles ne sont pas qu’à Lille, mais à Hendaye ou à Bordeaux. » (MS4)

43Une autre difficulté concerne le fait que les équipes délocalisées développent, lors de leurs recherches, de nouvelles connaissances, de nouveaux concepts, de nouveaux procédés, de nouvelles technologies ou de nouveaux composants qui ne sont pas forcément identifiés et capitalisés en dehors de leurs entités, alors même qu’ils pourraient s’avérer cruciaux pour d’autres équipes de recherche travaillant pour d’autres marques du groupe. « Pour moi, le vrai sujet, c’est : si j’ai un génie de la mécanique ici, qui a inventé une astuce sur une machine à coudre, pour faire des baudriers, ce pourrait être intéressant que cette astuce soit utilisée peut-être pour des sacs à dos ou des choses comme ça. » (MS6). « On a assez de mal à capitaliser les informations chez Decathlon, comme on est nombreux et sur plusieurs sites, alors qu’il y a déjà des analyses des recherches qui ont été faites sur certains sujets, qu’on pourrait reprendre des marques qui n’ont rien à voir avec la nôtre, et qui pourraient nous éclairer et nous aider sur de l’amélioration de produits, ou carrément en innovation de rupture. Donc il faut aller à Lille rencontrer les gens, chercher de l’information, et voir les contacts, donc rencontrer les ingénieurs produits de Domyos, de Kalenji » (WC3).

44Les répercussions de l’éloignement et de l’éclatement des équipes en phase de recherche peuvent être importantes et de différents ordres : augmentation des budgets, notamment de déplacements, difficultés de coordination et pertes de temps. En revanche, on peut être surpris de ne relever que peu de freins quant à la collaboration avec des acteurs extérieurs au réseau Decathlon (laboratoires de recherche, experts externes…). Pour la phase de recherche, comme pour toutes les autres phases d’ailleurs, le processus de génération de l’innovation est très ouvert sur les clients et pratiquants, mais fonctionne, semble-t-il, en cercle relativement fermé à travers le réseau interne Decathlon.

45Face à ces freins clés liés à l’éclatement des équipes de recherche entre les différentes entités, des leviers de différents types sont relevés dans les discours des acteurs interviewés. Ces leviers, sont, pour une part, pensés par le groupe Decathlon, et pour une autre part, improvisés, bricolés par les acteurs eux-mêmes en fonction de leurs besoins.

L’activation conjointe de leviers d’ordre organisationnel, social, cognitif et électronique pour compenser les difficultés de l’éclatement géographique

46L’éclatement géographique des équipes de recherche des différentes marques impose à Decathlon de déployer de nombreux dispositifs d’ordre organisationnel. Ainsi, des personnes dites « relais de l’innovation » ont été missionnés au niveau local comme au niveau groupe pour « passer de 30 à 100 % de leur temps à faciliter la vie des gens qui innovent dans les sports signés » (S1). Un comité d’innovation Decathlon, composé du relais innovation groupe, de différents relais innovation sites, de responsables « process » (services transverses de recherche et développement), et de plusieurs leaders de sports signés a vu le jour depuis 2016. Il est chargé de constituer et animer le réseau d’innovation Decathlon. Une équipe nommée « Booster Innovation » est également chargée de soutenir les équipes multi-localisées. Enfin, les leaders des sports signés ont également la possibilité de se choisir des coachs en interne pour une aide à la réussite avec un accent fort sur l’innovation.

47Par ailleurs, toujours du point de vue organisationnel, l’éclatement géographique du groupe impose qu’une forte autonomie soit laissée aux équipes. « Moi, depuis que je suis arrivé chez Decathlon, en 2009, j'étais très surpris, je trouvais que c'était un peu l'armée, c'était très pyramidal […]. Et ça, ça a complètement explosé, en deux ans, avec l'arrivée de notre nouveau directeur général» (MS4). Cette liberté permet aux équipes de recherche d’activer le réseau Decathlon à tout moment, de manière plus ou moins formelle, sans l’aval d’une quelconque hiérarchie. « Pour la recherche de solutions, j’ai créé une communauté de passionnés en interne. On a utilisé des expertises présentes dans d’autres sports signés, des bases de produits réalisées par d’autres sports signés. Ça a été très bien. En plus, ce qui est bien aussi, c’est qu’il n’y a pas de hiérarchie, nulle part. » (MS8).

48Ce recours au réseau interne est bien-sûr possible grâce à un autre levier, d’ordre cognitif celui-ci. En effet, les acteurs centrés sur la recherche de solutions au sein des entités R&D multi-localisées, s’ils ne partagent pas totalement la même base de connaissances, partagent le même langage, la même passion pour le sport, ce qui facilite la recherche de solutions dans les domaines sportifs.

49Combiné aux leviers d’ordre organisationnel et cognitif, celui d’ordre social n’est pas moins clé. Les relations encastrées entre les acteurs Decathlon sont facilitées par la confiance fondée sur l’appartenance au même groupe, la même soif d’innovation, la passion du sport, voire les liens d’amitié qui se créent au fil du processus d’innovation. L’exemple le plus éclairant ici est certainement celui concernant le lancement d’une nouvelle marque, Maskoon, dédiée au Canyoning. Le recours au réseau interne Decathlon lui a permis de conforter l’identification du besoin mais aussi de co-concevoir les produits canyoning. Il permet aussi de déjouer les problèmes d’enfermement et de sur-focalisation sur le territoire. « Oui, je crois qu’il faut qu’on s’oblige à fonctionner d’abord en réseau Decathlon pour ne pas nous laisser enfermer sur notre territoire. » (MS8).

50Enfin, afin d’améliorer la capitalisation et la diffusion des connaissances à l’échelle du groupe, un levier d’ordre électronique complète le tout : « depuis un an, on a pour chaque projet innovant un site intranet complet, qui reprend toutes les différentes étapes. On y met du contenu, les films, des photos. C'est comme ça qu'on capitalise » (S1)

51Ces exemples montrent au final que pour bénéficier des expertises et compétences multi localisées, une combinaison de leviers est nécessaire.

3.3. Localisation près des pratiquants et phase de Développement

52Lors de la phase de développement, la localisation des équipes d’innovation sur les terrains de pratiques sportives parait clé.

Un choix de localisation qui accélère la mise au point du produit

53Il a tout d’abord été quasi-unanimement reconnu par les personnes interrogées que ce choix de localisation permet de faciliter la mise en œuvre des tests de prototypes, d’une part par les ingénieurs eux-mêmes, d’autre part par les utilisateurs. En effet, les ingénieurs produits sont des pratiquants locaux (ils vivent sur le terrain de jeu, le connaissent parfaitement et y pratiquent leur sport). Ils réalisent ainsi eux-mêmes les tests terrain sur les tout premiers prototypes. « Le savoir empirique est important. Si j’étais à Lille, je ne pourrais pas tester les produits. Ce weekend, je prends les bâtons et je vais les tester en montagne. Les salariés portent les produits, les testent en usage. C’est normal de tester les produits pour débugger avant même de réaliser des tests avec des personnes extérieures » (MS4). « Quand on a fait des combinaisons de nage, on a pu vraiment facilement les tester en mer, nager avec, dans des conditions nage en mer classiques, avec un peu de clapot, un peu de vagues, mais aussi des jours sans vague, des jours ensoleillés, toutes les conditions qu’on peut imaginer pour la nage en mer, et pour ça, ça a été une vraie facilitation, un vrai accélérateur ; comme on a la capacité à concevoir et prototyper ici et à tester au même endroit, pour le coup, il n’y a pas de temps mort » (WS1). « Avant, développer des body boards à Lille c'était pas simple ; on n’avait pas d’atelier donc tous les prototypes étaient fabriqués directement par notre fournisseur. Quand ils arrivaient sur mon bureau à Villeneuve d’Asq, ils repartaient chez le partenaire qui faisait son test et qui nous débriefait par téléphone. Donc on était un peu moins bon dans le produit à ce moment-là. Depuis qu’on est ici, on gagne en temps et en pertinence » (WS1). « Il y a du matériel qui est à l’essai, avec un repère sur le produit pour qu’on sache que quand on emprunte ce produit-là entre midi et deux, on a une petite fiche de test à remplir pour répondre aux questions du concepteur par rapport à son produit. » (WS1). « Si on est en train de réaliser un proto en cours de saison et qu’on peut aller surfer en maillot de bain, on sera les premiers à prendre le proto du maillot et à aller le tester. Ce qu’on fait régulièrement, pour tous les produits d’Olaian, les premiers à qui on demande c'est les gens en interne à la marque » (WC4).

54Puis, dans un second temps, les tests sont réalisés avec les utilisateurs. La présence d’ateliers de prototypage directement sur le territoire autorise des allers-retours rapides, entre les feedbacks de différents types de clients (professionnels experts et pratiquants de loisirs) et le travail des ingénieurs. Tout ceci accélère la mise au point du produit final. « L’important c’est qu'une fois qu'on a peut-être un premier proto, c'est de ne pas le garder dans son coin […] mais au contraire, c'est d’aller sur le terrain pour le montrer à des utilisateurs, à des clients et voir comment ils réagissent. » (MS4) ; « Ici, il y a des moniteurs de ski. A Combloux, C. (une monitrice) a fait 70 jours de test, pendant une saison de ski. » (MS3). « Il y a un club de plongée qu’on héberge dans notre bâtiment. Les moniteurs participent au développement, aux tests avant implantation. C'est un club qui est actif toute l’année, hiver comme été » (WC1).

55Les personnes interrogées ont enfin évoqué les possibilités de synergies entre les équipes d’innovation travaillant sur le même terrain de pratique. Les différents ingénieurs produits d’une entité délocalisée travaillent chacun sur des sports distincts mais qui se pratiquent sur le même terrain de jeu (montagne ou mer). Ils échangent régulièrement entre eux des connaissances tacites et de l’expertise. « Quand on a décidé de développer la natation en mer, ça a été un vrai avantage d’être installé à Hendaye. Parce qu'il y avait déjà ici toutes les compétences pour travailler le néoprène, parce qu’ils font les combinaisons Olaian et Subea etc. Le fait d’être entre sports d’eau ici, ça met des synergies entre les marques, des facilités » (WC1).

56La localisation sur un territoire de pratique présente cependant en parallèle un certain nombre de contraintes.

Des freins liés aux spécificités du terrain de jeu choisi et à l’éloignement des autres compétences du groupe

57Un territoire a par définition des caractéristiques géographiques spécifiques qui peuvent parfois s’avérer contraignantes. Ainsi, à certaines périodes de l’année, le climat (les saisons) et la météo peuvent empêcher la réalisation de tests localement. En outre, certaines pratiques sportives très spécifiques (des sous-segments des sports concernés) peuvent parfois être peu représentées sur place, pour des raisons topographiques ou culturelles. Ces deux contraintes peuvent obliger les ingénieurs produits à sortir du lieu d’implantation du centre R&D pour réaliser certains tests de prototypes. « Ça dépend de la météo. Est-ce qu'on est dans la bonne fenêtre météo pour développer le produit ? Parfois, les équipes vont partir un peu plus loin […] parce que les conditions dont on a besoin y sont. » (MS1). « Quand on travaille sur des produits pour nageurs de haut niveau, on travaille avec les clubs de Marseille ou de Nice, et du coup on pallie soit par du travail à distance, soit par du voyage, on se rend sur place pour voir. » (WC1)

58Tout comme en phase de recherche de solutions, le problème de l’éloignement de certaines ressources et compétences est également relevé en phase de développement. En effet, la plupart des compétences transversales ou process du groupe (les ingénieurs méthodes) ainsi que certains laboratoires de tests sont localisés au siège lillois. L’isolement des sites (montagne, bord de mer) et l’accès compliqué aux principales infrastructures de transport (aéroports, gares, autoroutes) renforcent la sensation d’éloignement. Cela a des conséquences négatives en termes de budget et de temps passé dans les transports. « Je dirais que le plus gros frein, c'est qu'on est ravitaillés par les corbeaux. Aujourd'hui, pour aller à Lille, c'est six ou sept heures porte à porte. » (MS6)

59Cette distance géographique réduit les possibilités d’échanges entre les différents types d’ingénieurs (produit et process) et restreint l’accès à certains équipements, ce qui semble être défavorable à la génération d’innovations de rupture. « L'inconvénient, c'est qu'on a peut-être moins accès à des technologies qui ne sont pas présentes sur place. Le côté rupture sur la technologie est peut-être plus compliqué. On n'a peut-être pas accès à des machines très pointues. » (MS1) ; « Si Decathlon Optics venait ici, ça nous permettrait d’aller beaucoup plus vite sur beaucoup de sujets » (MS2). « Tout notre univers industriel, toute notre gestion de production, recherche matière, elle se fait à Lille. Donc je suis obligée d’y aller plusieurs fois par mois » (WC3). Une possibilité de lock-in a également été mentionnée par plusieurs personnes interviewées. Une présence trop longue sur un terrain de jeu spécifique peut en effet créer des routines freinant le développement de produits plus innovants. « Quand on est enfermé dans un écosystème, il faut faire en sorte que cet écosystème soit suffisamment riche pour aller chercher des nouvelles technologies, etc. Sinon, c'est un risque » (S1)

Les leviers utilisés pour diminuer les contraintes de la multi-localisation

60Les obstacles évoqués parviennent à être en partie levés grâce à la présence de différents types de proximités. En premier lieu, de nombreux salariés des entités délocalisées étudiées ont auparavant travaillé dans d’autres sites du groupe, dans lesquels ils ont noué des relations d’amitié, relations notamment impulsées par le groupe grâce à la mise en place de nombreuses activités extra-professionnelles. Cette proximité sociale facilite aujourd’hui les échanges sur les projets d’innovation, malgré l’éloignement géographique. « Decat organise des activités, il y a une communauté Decat’, on a beaucoup d’échanges au niveau informel, j’ai un cercle d’amis Decat (qui sont basés à Lille, Hendaye, ici), un réseau social » (MS5).

61En second lieu, on peut mentionner le rôle de la proximité cognitive. La pratique d’un sport figure dans l’ADN du groupe Decathlon, puisqu’il s’agit d’un critère de recrutement des salariés du groupe. Au-delà de cette proximité cognitive initiale, les ingénieurs méthodes ou les autres membres des équipes d’innovation, qui ne sont pas localisés sur le territoire de pratique, y sont régulièrement invités pour pratiquer le sport pour lequel ils développent des produits. Ils peuvent ainsi mieux comprendre les attentes des utilisateurs. « C. est prototypiste et modéliste en Thaïlande, elle travaille avec nous pour les produits en néoprène. Elle n'avait jamais vu de montagne, pour moi, ce n'était pas normal […]. Donc on lui a dit « viens avec nous pour pratiquer ». Elle est venue dix jours avec nous. Elle a adoré. […] Ce qui est top, c’est qu’aujourd'hui, quand on lui dit de développer un produit, on a ses mains, mais on a aussi sa tête» (MS8).

62L’utilisation d’outils de type visioconférence (proximité électronique) diminue par ailleurs en partie les inconvénients provoqués par l’éloignement géographique. « Le contact physique est mieux, mais les visios font aussi le job, 80 % du temps. » (S1)

63Enfin, tout comme on a pu le relever en phase de recherche de solutions, la présence de nombreuses ressources dédiées à l’innovation est un levier clé : moyens financiers octroyés à tout porteur d’un projet d’innovation, personnel central chargé de promouvoir et d’animer l’innovation, fablab interne et autres équipements spécifiques dédiés à l’innovation... Ce slack organisationnel fluidifie les processus d’innovation et diminue les tensions liées à la décentralisation des équipes d’innovation. « N'importe qui, qui a une idée, a un budget pour essayer de convaincre en créant un premier prototype » (S1)

3.4. Lieu de pratique, diffusion et commercialisation

64La localisation sur le territoire de pratique facilite enfin le déroulement de la dernière phase du processus d’innovation, la phase de diffusion et commercialisation.

Une présence sur le territoire de pratique permettant d’affiner les choix marketing et renforcer l’image innovante

65Le fait que les équipes innovation soient installées à proximité immédiate d’un magasin permet de pré-tester directement la politique marketing du nouveau produit avec les clients : affiner son prix de vente, définir le merchandising adéquat permettant de le mettre en valeur en rayon et tester les outils de communication destinés à le promouvoir. Les chefs de produit bénéficient d’un double retour : celui des clients finals qui utilisent les produits, mais aussi celui des vendeurs en rayon, qui sont en contact avec ces clients au quotidien. « L'idée, c'est que les sites délocalisés peuvent aussi tester le « comment vendre » et l'offre globale. Il n'y a pas que la conception, il y a aussi le lien avec le client qui est important. Et le client plutôt exigeant, parce que le client montagnard va être plus exigeant sur les produits montagne que le client de Brest, par exemple. » (S1) ; « La tente 2 seconds, on l'a mise dans notre magasin. On a fait un test grandeur nature, on a vu la réaction des gens. On a adapté en marchant notre merchandising, on a adapté le prix, on a vu les quantités qu'on faisait. » (MS3)

66Le fait d’avoir des bureaux de R&D localisés sur le territoire de pratique renforce également l’image innovante du groupe et fait prendre conscience aux pratiquants locaux que leurs besoins spécifiques sont bien pris en compte. Cette image d’acteur innovant est aujourd’hui un réel avantage concurrentiel pour le groupe Decathlon, face à des acteurs puissants de la distribution en ligne comme Amazon. « Je pense que c'est important de dire aux futurs clients que les produits ont été développés ici, de communiquer dessus, et surtout de leur dire : n’hésitez pas à revenir vers nous avec vos commentaires. Donc le fait de concevoir les produits ici, ça se communique via la PLV en magasin, via les responsables de rayon, et ça se communique aussi sur internet. C’est aussi évoquer que 100% de nos maillots ont été testés dans des conditions réelles » (WC3). « Je sais que quand je passe par le magasin pour aller dans mon bureau, que je renseigne un client que je vois hésiter, et qu’ils voient sur mon badge « designer, responsable innovation », et que je les conseille sur des produits, c'est forcément un peu différent que quand c'est la vendeuse du rayon natation qui le fait. Du coup il y a une autre discussion qui s’instaure et ça leur plait. » (WC1).

Un frein : des clients locaux qui ne sont pas représentatifs de l’ensemble des clients du groupe

67Au niveau de la phase de commercialisation, une contrepartie du choix de la localisation vient du fait que les clients locaux auxquels on présente les produits sont, encore une fois, plus exigeants que la moyenne des clients du groupe. « Ils (les clients locaux) seront très exigeants, donc c'est très utile pour valider une offre. Sauf que ce n'est pas le modèle qu'on a dans tous nos magasins dans le monde. Ils vont peut-être surpondérer les produits très pointus, très techniques, un peu chers…alors qu'en fait, les produits d'entrée de gamme font le job dans 70 % des magasins dans le monde. Il faut bien avoir ça en tête. » (S1)

Le rôle du levier organisationnel

68La compétence des chefs de produits et leur bonne connaissance des différents types d’utilisateurs permet toutefois de limiter cet inconvénient. « C'est le travail d'un chef de produit, de dire : OK, j'ai une remontée très pertinente d'utilisateurs très exigeants, très pointus, il faut la pondérer, parce que nous, notre boulot, c'est surtout de rendre accessible au plus grand nombre, de faire découvrir des pratiques au sportif occasionnel. » (S1). Mais c’est aussi les remontées d’information très rapides des autres magasins qui favorisent cette adaptation.

Le tableau 3 propose une synthèse des principaux résultats.

Tableau 3 – Apports, obstacles et leviers de la localisation des équipes d’innovation sur les territoires de pratique en fonction des phases du processus

Phases

Identification du besoin

Recherche de solutions

Développement

Commercialisation/ diffusion

Apports

Intensité

Très forts

Modérés

Très Forts

Modérés

Spécifiques à la phase

Identification facilitée par :

*L’observation des pratiquants

*Expérimentation par les équipes d’innovation

*L’instauration d’un lieu de dialogue avec les clients

Empirisme favorisé par itérations

Benchmarking facilité

Sondage des clients/ pratiquants facilité

Accélération des itérations (prototypes/tests)

Meilleur échange de connaissances entre équipes

Test du marketing et retail marketing

Développement d’une image innovante

Communs

Légitimation des innovations

Obstacles

Intensité

Faibles

Forts

Modérés

Faibles

Spécifiques à la phase

Éloignement des ressources et expertises du reste du groupe

Difficultés à identifier et capitaliser les expertises

Éloignement des ressources et expertises du reste du groupe

Spécificités géographiques contraignantes

Communs

Tensions local/national/global

Lock-in

Leviers de l’ordre des proximités

Cognitives

Électroniques

Organisationnelles

Sociales

Cognitives

Électroniques

Organisationnelles

Sociales

Cognitives

Électroniques

Organisationnelles

Autres leviers

Slack organisationnel

Slack organisationnel

4. Discussion & conclusion

69L’objectif de cette recherche était double. Il s’agissait, dans un premier temps, d’identifier les apports et freins de la localisation des équipes d’innovation près des pratiquants dans une perspective dynamique - c’est à dire en différenciant leurs effets sur les différentes phases du processus d’innovation – pour, dans un deuxième temps, caractériser finement les leviers, d’ordre tant cognitif qu’organisationnel, social, institutionnel ou électronique, que les entreprises peuvent actionner pour dépasser les obstacles liés à l’éloignement des autres entités de l’organisation. Nous nous proposons de discuter nos résultats sous ces deux principaux angles.

4.1. La localisation des équipes d’innovation près des utilisateurs : un réel atout dans trois principales phases du processus d’innovation

70L’étude du cas de Decathlon montre tout d’abord que le choix de délocaliser les équipes d’innovation sur un territoire de pratique, du ou des sports pour lesquels on cherche à développer de nouveaux produits, a globalement une influence positive sur le processus d’innovation. Elle est déterminante pour deux des phases du processus (identification des besoins et développement), positive pour une phase (diffusion) et plus délicate pour une autre phase (recherche de solution).

71Cette localisation est ainsi primordiale dans la première phase, celle d’identification des besoins. Elle permet d’observer quasi quotidiennement les sportifs dans leur pratique. Elle permet également aux équipes en charge de l’innovation d’expérimenter elles-mêmes la pratique des sports sur lesquels elles travaillent. Elle joue aussi un rôle fondamental dans la troisième phase, celle du développement, puisqu’elle permet de faire tester les prototypes issus de la deuxième phase – la recherche de solutions –, soit par les développeurs eux-mêmes, soit par les clients et experts locaux (moniteurs, sportifs de haut niveau, guides de montagne…).

72Ces premiers résultats viennent confirmer les travaux sur les lead users, en particulier ceux réalisés dans le secteur du sport outdoor. Lüthje et al. (2005) montrent ainsi que, dans la pratique du VTT, les utilisateurs contribuant le plus à l’apport de nouvelles idées d’amélioration des produits sont les plus actifs au niveau de ce sport, passant de nombreuses heures sur différents types de terrain (montagne) et souvent dans d’extrêmes conditions climatiques. Ils recommandent alors aux entreprises d’observer ces expériences personnelles, directement sur le terrain de jeu. Notre recherche met en revanche en évidence un aspect rarement relevé par les études s’intéressant aux utilisateurs dans le domaine du sport. Il s’agit de la particularité des membres des équipes d’innovation délocalisées sur le terrain de jeu de leurs sports (la montagne ou la mer dans notre cas) qui sont « multi-casquettes » ou présente en quelques sortes « un don d’ubiquité ». Ils sont, en effet, à la fois pratiquants assidus, passionnés à titre individuel et concepteurs / testeurs à titre collectif, pour l’organisation. Certains d’entre eux - le leader du sport signé Maskoon pour le canyoning par exemple - se positionnent à la fois comme lead user et développeur pour l’organisation. S’ils ont été recrutés par l’entreprise, c’est à la fois pour leur passion du sport et leur connaissance pointue de la pratique. Parallèlement, c’est aussi la localisation de l’équipe d’innovation sur le terrain de leur pratique sportive qui les a motivés à intégrer l’entreprise.

73L’influence du territoire de pratique est ici double : d’une part, au travers de ses ressources physiques, et d’autre part par la proximité géographique des utilisateurs réguliers et passionnés, et notamment des lead users. Le massif du Mont Blanc, dans le cas de Quechua et des marques de montagne développées au sein du Mountain Store, ou la Côte Basque, pour les équipements aquatiques conçus par le Watersport Center, constituent une ressource territoriale spécifique et non transférable (Le Gall et al., 2013 ; Mendez et Mercier, 2006). La captation des connaissances tacites des utilisateurs nécessite une proximité géographique avec ces derniers, comme la littérature sur le management des centres R&D à l’international l’a déjà souligné (Von Zedwitz et Gassman, 2002 ; Zeschy et al. 2014) ou celle sur les lead users avec la notion de « sticky information » (Von Hippel, 1994; Lüthje et al. 2005). La localisation près des pratiquants ouvre un accès aux connaissances des pratiquants locaux, quant à leur mode de pratique sportive et leur utilisation des produits. Ces ressources locales sont attachées au territoire, car elles sont peu mobiles en aussi grand nombre (un nombre important d’utilisateurs, aux profils variés, est en effet sollicité tout au long du processus d’innovation) et parce qu’elles s’exercent sur ce terrain de jeu spécifique. La présence sur place accélère ainsi le processus d’innovation et permet de développer des produits plus pertinents pour le marché, et ce à une échelle internationale.

74Notons en effet que le choix a été fait de sélectionner des territoires d’implantation emblématiques, à forte notoriété internationale et qui accueillent de nombreux clients étrangers. Ceci facilite la confrontation aux exigences particulières que peuvent avoir certaines nationalités, sans avoir à implanter des centres de R&D dans chacun des pays concernés. Les équipes d’innovation sont donc à même de développer, dans une seule implantation locale, des produits destinés au monde entier. Le groupe semble ainsi avoir trouvé une alternative à l’internationalisation des centres de R&D, qui peut s’avérer intéressante en termes de coûts d’implantation et de coordination, même si elle n’échappe pas à certains inconvénients de la multi-localisation comme le partage des expertises.

75Le choix de localisation près des pratiquants est également plutôt positif pour la dernière phase du processus (la phase de diffusion), en particulier parce qu’il confère notamment une légitimité aux nouveaux produits développés. Le fait d’être installé sur des territoires de pratique emblématiques du sport, d’avoir sollicité des pratiquants avertis tout au long du processus d’innovation et que les équipes développent des produits qu’elles utilisent elles-mêmes dans leur pratique, renforce la crédibilité des nouveaux produits aux yeux des clients. Ces résultats confirment ceux de Franke et al. (2006) et Lilien et al. (2002) qui, au-delà du caractère souvent plus radical des innovations générées par les lead users sur le terrain, soulignent la probabilité plus forte que ces innovations rencontrent un succès commercial que celles générées par les seules équipes d’innovation.

76La localisation sur les territoires de pratique au détriment d’une centralisation de l’ensemble des équipes d’innovation au siège social semble néanmoins être plus problématique pour la deuxième phase : la recherche de solution. La littérature en management international a déjà relevé que la localisation des activités de recherche des groupes internationaux suivait une logique différente de la localisation de leur activité de développement (Von Zedwitz et Gassman, 2002). Ainsi selon les chercheurs, la localisation de la partie “recherche” est surtout motivée par l’accès à des savoir-faire et expertises scientifiques spécifiques que l’on trouverait uniquement localement (proximité d’universités, de centres de recherches) ou que l’on obtiendrait à moindres coûts, dans le contexte d’une course à l’innovation au niveau mondial (Jacquier-Roux et Paraponaris, 2011). Or dans le cas de Decathlon, le choix de se localiser au plus près des territoires de pratique ne permet pas forcément de bénéficier de ces connaissances scientifiques, d’une part parce qu’on ne trouve pas toujours sur ces territoires des centres de recherche sur lesquels s’appuyer (cas d’Hendaye par exemple), et d’autre part parce que Decathlon a un mode de fonctionnement qui privilégie l’interne au détriment des connaissances externes. Le fait qu’une grande partie des activités de recherche plus fondamentale (comme la localisation des ingénieurs process) soit centralisée à Lille est source de freins importants dans le processus d’innovation. Notons enfin que Decathlon est un cas d’entreprise que l’on peut qualifier de “market oriented” (à l’inverse des entreprises qu’on qualifie de “R&D oriented”). Cette caractéristique renforce l’intérêt de la proximité des équipes d’innovation près des clients, au détriment de la proximité de compétences plus scientifiques (Pearce, 1999).

4.2. La nécessité d’utiliser plusieurs leviers pour contourner les obstacles liés à la multi-localisation  

77Dans la lignée des travaux de Péréa et von Zedtwitz (2018), nos résultats confirment l’existence de freins non négligeables liés à la multi-localisation des équipes d’innovation. Mais face à ceux-ci, notre double regard sur les freins et leviers, nous a également permis d’identifier des leviers organisationnels, cognitifs, sociaux et électroniques, activés plus ou moins fortement selon la phase, qui permettent non seulement de pallier les limites de la localisation des équipes d’innovation au plus près des terrains de jeux des utilisateurs mais aussi, par le jeu de leurs complémentarités, de renforcer l’attractivité et le caractère stratégique de cette localisation.

78En premier lieu, la création de valeur générée par la localisation près des pratiquants n’est possible que parce que Decathlon a su organiser une proximité entre les différents acteurs du processus d’innovation : utilisateurs (du débutant au sportif de haut niveau), experts, testeurs, concepteurs et vendeurs. On retrouve ici le concept de « proximité organisée » au centre des travaux de Rallet et Torre (2007), qui la définissent comme la capacité qu’offre l’organisation de faire interagir ses membres, et qui vient compléter la simple proximité géographique. Au centre des interactions, les magasins pilotes / centres de R&D « Mountain Store » et « Watersport Center » jouent un rôle de catalyseur et d’attractivité des différentes parties prenantes. En cela repose une des particularités du système d’innovation Decathlon par rapport aux traditionnels modes d’organisation de la R&D multi-localisée, pour lesquels les membres d’une équipe multi-fonctionnelle d’innovation sont localisés en différents lieux et fonctionnent donc presque uniquement via les nouvelles technologies de l’information et de la communication (Péréa et von Zedtwitz, 2018). En effet, si les équipes d’innovation de Decathlon sont multi-localisées, chaque centre R&D regroupe en un même lieu la majorité des compétences et expertises clés nécessaires à l’innovation dans son domaine (chefs de produits, ingénieurs produits, prototypistes, designers, responsables de la supply chain, merchandisers). On peut ainsi assimiler l’organisation décentralisée de Decathlon à ce que Zeschky et al. (2014) désignent sous l’appellation « centres d’excellence produits » (Product Excellence Center). Seuls les ingénieurs process et quelques compétences technologiques spécifiques sont centralisés à Lille (lorsqu’elles sont transversales au groupe) ou dans un centre R&D délocalisé particulier (lorsqu'elles ont été développées historiquement pour un sport géré par cette entité délocalisée). Cette autonomie des équipes locales, qui réunissent en leur sein les compétences principales, limite donc une partie des inconvénients que la littérature évoque et leur permet de s’extraire du carcan des forces intégratives ou centripètes (Brion et Garel, 2017). Elle s’apparente à la proximité organisationnelle médiane préconisée par Boschma (2005) et dont l’efficacité a notamment été démontrée dans l’industrie des jeux vidéo (Chiambaretto et al. 2018).

79Par ailleurs, les difficultés liées au partage de l’expertise et aux déplacements nombreux relevées chez Decathlon peuvent également être contrebalancées par les proximités cognitives et sociales qui sont très prégnantes au sein de ce groupe. Cela rejoint en partie les résultats de Gotteland et al. (2007) qui montrent que la familiarité ou la proximité sociale des équipes R&D est un facteur de performance d’innovation. Dans notre cas, la proximité sociale est favorisée par la culture forte du groupe qui génère une confiance institutionnelle entre tous les membres. La proximité cognitive, quant à elle, est activée par la passion et la pratique communes d’un sport. Elle est également entretenue par la capitalisation récente des ressources cognitives du groupe, qui s’effectue par différents biais : la mise en place d’un intranet dédié aux projets d’innovation et accessible à tout le réseau, la création d’une cellule de liaison cognitive, “Promouvoir l’innovation”, basée au siège à Lille mais à la disposition de toutes les unités du groupe et jouant le rôle d’intermédiaire ou pivot de connaissances (Chiambarreto et al. 2018), et enfin la présence de relais d’innovation sur chaque territoire. L’existence de ces proximités facilite le recours aux expertises et collaborations internes sur les trois premières phases du processus d’innovation : l’identification des besoins, le développement mais surtout dans la recherche de solutions.

80En définitive, le choix d’implantation des équipes d’innovation est donc une décision stratégique, qui a pour objectif de combiner des forces opposées - centrifuges et centripètes (Pearce, 1999) ou intégratives et génératrices (Brion et Garel, 2017) - notamment en construisant un réseau entre les différents centres de R&D qui permette d’exploiter les connaissances et expertises à une échelle globale (Chen et al. 2012; Chiambaretto et al. 2018). Comme l’ont mis en évidence Brion et Garel (2017), notre recherche montre que Decathlon déploie des mécanismes de compensation face à certaines forces moins propices à l’innovation, notamment radicale. Pour autant, toutes les tensions ne sont pas résolues et l’entreprise doit parvenir à trouver des compromis entre ces différentes forces. C’est d’ailleurs l’un des chantiers actuels du groupe que de travailler à une meilleure identification de l’ensemble des compétences R&D disséminées sur le territoire, pour faciliter ensuite leur mise en réseau et leur accès par toutes les équipes innovations.

4.3. Limites et perspectives de recherche

81Au final, cette recherche souligne tout l’intérêt d’adopter une approche processuelle de l’innovation en général et des choix de localisation en particulier. Ce faisant, elle alimente conjointement les littératures sur les lead users et sur les choix de localisation des équipes d’innovation, en montrant la pertinence d’être localisé près des utilisateurs dans trois des quatre phases du processus d’innovation. Ce travail exploratoire n’est toutefois bien évidemment pas exempt de limites et nécessite des prolongements. Premièrement, l’étude de cas unique du groupe Decathlon, au travers de l’analyse de deux de ses centres de R&D délocalisés, le pôle montagne du Mountain Store à Passy et le pôle nautique Watersport Center à Hendaye, est suffisamment emblématique pour représenter un terrain d’étude très riche et symboliser la stratégie de localisation/délocalisation des équipes d’innovation du groupe. Toutefois, pour approfondir et affiner nos résultats, il serait indéniablement intéressant de pouvoir élargir notre champ d’investigation à d’autres équipes d’innovation délocalisées et à celles restées au plus près du siège lillois. Dans la lignée des chercheurs qui indiquent que les choix de localisation des équipes d’innovation dépendent en partie des secteurs d’activité (Midler et al. 2017 ; Carrincazeaux et al. 2001 ; Madeuf et al. 2005), il serait également pertinent de poursuivre cette analyse en la comparant à la gestion de la dé/localisation des équipes d’innovation dans d’autres secteurs industriels soumis à une semblable nécessité d’être au plus près des terrains d’utilisation ou de pratiques de leurs utilisateurs (on pense notamment au courant récent de l’innovation inversée présente dans l’automobile : Midler et al. 2017; Von Zedwitz et al. 2015). En élargissant notre recherche (autres équipes d’innovation délocalisées, autres entreprises du secteur de l’outdoor, autres secteurs industriels), notre objectif est d’arriver à mettre en évidence les leviers nécessaires au déploiement d’une stratégie de localisation sur le territoire de pratique et, plus largement, au sein d’un écosystème d’innovation. Ainsi, la structuration actuelle d’un écosystème d’innovation autour des métiers du sport outdoor dans la région Auvergne Rhône-Alpes (Outdoor Sport Vallée) peut constituer un terrain d’étude pertinent.

82Deuxièmement, l’analyse processuelle présente un réel intérêt pour affiner l’étude des apports, freins et leviers de l’ancrage territorial des équipes d’innovation dans une perspective dynamique rarement prise en compte, et ce encore moins dans le secteur du sport (Hoeber et al. 2015 ; Davids et Frenken, 2018). Toutefois, nous sommes conscients qu’elle peut également créer des approximations, les frontières entre les phases du processus supposément distincts pouvant présenter des ambiguïtés (Langley, 1999).

83Troisièmement, notre recherche met en évidence une nécessaire gestion des tensions ou logiques antagonistes au sein de Decathlon : logique du court terme et de la domination de la distribution face à une logique davantage orientée vers le long terme de l’innovation ; logique locale de l’innovation (innovation en réponse à des demandes, besoins d’une pratique sportive locale) versus logique globale de diffusion / distribution (distribution des produits dans les 1.526 magasins au niveau mondial) ; logique d’exploration face à une logique d’exploitation. Cela fait largement écho à la perspective paradoxale des organisations qui explore comment ces dernières gèrent des logiques antagonistes (Smith et Lewis, 2011). Cette littérature pourrait être mobilisée pour apporter un nouveau regard sur nos résultats.

84Enfin, nos résultats montrent qu’il existe une relation de complémentarité dans les effets des leviers issus de la littérature des proximités qui mériterait d’être approfondie.

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Notes

1 Malgré l’apparente linéarité de ce processus, un caractère non systématique et automatique de ces étapes et de leur succession est largement admis.

2 https://www.lesechos.fr/15/06/2018/LesEchosWeekEnd/00127-008-ECWE_decathlon-sur-les-sommets.htm

3 Aujourd’hui, la stratégie du groupe en termes de marques est en train d’évoluer et à la place d’une vingtaine de « marques passions », on va progressivement trouver une centaine de « sports signés ». La marque Decathlon sera ainsi la seule sur laquelle le groupe réalisera de véritables efforts de communication, les produits reprenant le devant de la scène.

4 Les équipes de conception doivent ainsi traverser le magasin pour accéder à leurs espaces de travail.

5 Journée organisée chaque année autour d’une thématique relative à l’innovation (en 2017, il s’agissait de « économie circulaire et innovation ») pour l’ensemble des collaborateurs du site, en présence des relais innovation Groupe, et ouverte à des partenaires locaux. Celle-ci a notamment permis de mieux comprendre la place de l’innovation dans la stratégie de Decathlon.

6 Au-delà des discours, cet objectif s’incarne dans la priorité donnée aux projets d’innovations centrés sur la réduction « de l'emmerdement de l'utilisateur » (MS3) et sur le caractère pratique des innovations développées (« On est nés très user-centrics, tout le temps. Tous les services de la boîte sont bien au service des magasins et du client en magasin. Donc on est évidemment concrets. On n'est pas sur des innovations technophiles du tout ». S1). Il s’incarne également par la localisation des équipes R&D au-dessus ou attenante aux magasins, obligeant chacun des membres des équipes R&D à traverser quotidiennement l’espace de vente pour rejoindre son bureau et à ainsi être au contact direct des clients. Lors de nos visites, il n’a pas été rare qu’un membre d’une équipe se fasse interpeller par un client et réponde à ses questions. Enfin, toute la stratégie d’innovation du groupe Décathlon, avec des services R&D localisés au plus près des utilisateurs et donc délocalisés du siège, est marquée par cette approche «user-centric ».

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Pour citer cet article

Référence électronique

Anne Berthinier-Poncet, Sandra Dubouloz et Catherine Thevenard-Puthod, « Apports et freins de la localisation des équipes d’innovation au plus près des terrains de jeux des pratiquants
L’exemple du groupe Decathlon »
Finance Contrôle Stratégie [En ligne], NS-9 | 2020, mis en ligne le 02 mai 2020, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/fcs/4924 ; DOI : https://doi.org/10.4000/fcs.4924

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Auteurs

Anne Berthinier-Poncet

CNAM

Sandra Dubouloz

Université Savoie Mont Blanc

Articles du même auteur

Catherine Thevenard-Puthod

IREGE - Université Savoie Mont Blanc

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Droits d’auteur

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