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Actes du colloque

Le baroque dépravé dans La Duchesse d’Amalfi de John Webster

Claire Gheeraert-Graffeuille

Résumés

L’art baroque apparaît dans La Duchesse d’Amalfi comme un art du mal et de la mort que Webster cherche à déconstruire. La théâtralité baroque utilisée pour torturer et mettre à mort l’héroïne éponyme est dépravée. La dissimulation et l’artifice se révèlent être les fondements d’une esthétique et d’une société mortifères. Il est d’autant plus pertinent d’appliquer la catégorie de baroque à cette pièce de Webster qu’elle permet de relier des formes esthétiques à la polémique contemporaine : loin d’être fermée sur elle-même, La Duchesse d’Amalfi participe de la propagande anticatholique qui fait rage dans l’Angleterre jacobéenne.

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Texte intégral

  • 1 T. S. Eliot, "Whispers of Immortality", c. 1920, Collected Poems, London, Faber and Faber, 1968, p. (...)
  • 2 Voir Ralph Berry, The Art of John Webster, Oxford, Clarendon Press, 1982. Ralph Berry insiste sur l (...)
  • 3 Voir John Webster, La Duchesse d’Amalfi, trad. et éd. Gisèle Venet, Paris, Les Belles Lettres, 1992 (...)
  • 4 Voir Dympna Callaghan, ed., The Duchess of Malfi: Contemporary Critical Essays, New Casebooks, Houn (...)
  • 5 Voir Alison Shell, Catholicism, Controversy and the Literary Imagination, 1558- 1660 (Cambridge: Ca (...)
  • 6 Sur le "préjugé anti-catholique", voir, par exemple, Peter Lake, "Anti-popery: The Structure of a P (...)
  • 7 Bertrand Gibert, "L’empreinte de la religion", Le Baroque littéraire français, Paris, Armand Colin, (...)

1L’art de Webster, c’est depuis T. S. Eliot celui du "crâne sous la peau"1. En Angleterre et en France on parle depuis longtemps déjà d’un "Webster baroque". Dès 1972, Ralph Berry rapproche de façon convaincante l’art de Webster des œuvres artistiques de la Contre- Réforme2. Dans l’introduction à la traduction française de la Duchesse d’Amalfi3, Gisèle Venet met en évidence une esthétique baroque de la déréliction, symptomatique d’une incertitude métaphysique dont les personnages de la pièce font l’amer constat. Pour Antonio, "[C]omme des enfants étourdis qui ne pensent qu’à jouer, / Nous courons après des bulles soufflées dans l’air" (5.4.81-82). Pour Bosola, "Au jeu de paume du destin, nous sommes de simples balles / Que les étoiles se renvoient à leur gré" (5.4.68-69). De telles approches, qui inscrivent l’œuvre de Webster dans le baroque littéraire européen, restent isolées, voire oubliées, surtout par la critique anglophone. Ainsi, dans les travaux les plus récents sur la pièce, on lit fréquemment — et à juste titre — que le théâtre de Webster sonne le glas de l’aristocratie féodale, qu’il célèbre le triomphe des valeurs bourgeoises, qu’il met en avant les vertus de la sphère privée, et qu’il donne à réfléchir sur la position des femmes dans la société patriarcale4. Dans tous les cas, la question du "baroque" demeure en marge du débat : rares sont les lecteurs de Webster qui s’intéressent à cette question, ou même qui songent à "tonner contre le baroque", comme si, en vérité, le "baroque" avait déjà été enterré5. Il est pourtant un aspect de l’œuvre du dramaturge anglais que cette catégorie européenne de "baroque" permet de saisir dans toute sa complexité – je veux parler ici de sa dimension polémique et religieuse. Bien loin d’effacer l’ "anglicité" de l’œuvre de Webster, comme le craignent ses détracteurs, cette notion — dont une définition possible renvoie à l’art utilisé pour reconquérir les âmes au moment de la Contre-Réforme —permet de mieux cerner l’anti-catholicisme du dramaturge, qui est aussi celui d’une époque et d’un pays6. C’est un outil heuristique de premier ordre pour saisir la portée idéologique de l’œuvre de Webster et, plus généralement, pour mesurer la suspicion dans laquelle l’Angleterre tient la civilisation catholique à une époque où Rome, "point de mire de toute l’Europe [...] est aussi capitale artistique"7.

  • 8 Voir, Gisèle Venet, ed, La Duchesse d’Amalfi, pp. xi-xxx et Jean Rousset, Circé et le Paon, Paris, (...)
  • 9 Voir Victor-L. Tapie, Baroque et classicisme, 1re édition 1957, "Préface de la présente édition", P (...)
  • 10 V.-L. Tapié, Baroque et Classicisme, op. cit, 65.
  • 11 Voir V.-L. Tapié, Le Baroque p. 23-24. L’auteur met néanmoins en garde contre une identification si (...)

2Cette enquête ne cherche donc pas à redéfinir le baroque, ni à démontrer comment l’œuvre de Webster s’inscrit dans l’esthétique baroque — Gisèle Venet et Jean Rousset l’ont très bien fait8. Elle s’interroge plutôt sur les raisons pour lesquelles Webster recourt à cette esthétique. Loin de souscrire à l’idéologie catholique véhiculée par l’art baroque, le dramaturge ne la met en scène que pour mieux la dénoncer. C’est à ce titre que la Duchesse d’Amalfi, dont l’action se situe dans les cours italiennes catholiques au début du XVIe siècle, met à distance la culture baroque, en tant que produit de la Contre- Réforme, et à propos de laquelle Victor Lucien Tapie, n’hésite pas à parler de civilisation "baroque" : "Le baroque, écrit-il, est venu d’Italie, il continue la Renaissance, mais dans un climat sociologique tout à fait différent, celui de la grande secousse religieuse de la Réforme, du triomphe de l’Église et des monarchies"9. Inséparable de son contexte social et mental, le baroque est "lié à une certaine étape historique de la sensibilité et de la pensée"10. Entendu dans ce sens, l’art baroque est inspiré de la religion "post-tridentine", c’est-à-dire d’après le Concile de Trente (1545-1563)11. C’est une esthétique qui cherche, par toutes sortes de procédés expressifs, à toucher les sens, à émouvoir le spectateur et à le persuader. De ce point de vue, la méfiance de l’Angleterre à l’égard du baroque n’est pas étonnante. Critiquer l’art baroque est une autre façon d’exprimer son hostilité à l’égard d’une culture prônée par le pape, celui qu’en terre protestante on appelle l’Antéchrist.

  • 12 Voir V.-L. Tapié, Baroque et classicisme, op. cit., p. 50.
  • 13 Une version anglaise est fournie par William Painter dans The Palace of Pleasure (Londres, 1567). L (...)
  • 14 Ce genre d’approche est suggéré par Alison Shell qui regrette que la dénonciation du vice dans les (...)
  • 15 Pour une étude approfondie de la pièce, qui n’utilise à aucun moment la notion de baroque, voir Cha (...)

3Dans La Duchesse d’Amalfi, Webster transpose au théâtre les techniques d’expressivité, d’illusion ainsi que le goût de la mise en scène, utilisés par les artistes baroques pour persuader et émouvoir. Il déconstruit ces procédés afin de fustiger le caractère morbide et diabolique de la "société baroque", au sens où l’entend Tapié12. Sa dissection des mœurs dépravées du duc de Calabre et de son frère Cardinal, personnages historiques dont le destin est raconté par Bandella dans l’une de ses nouvelles13, est avant tout polémique et vise à stigmatiser le catholicisme comme religion de l’Antéchrist14. Cependant, l’anatomie de la société baroque à laquelle se livre Webster n’a pas seulement une visée polémique : par le biais de plusieurs spectacles enchâssés, le dramaturge représente l’art baroque comme art du mal et de la mort. Il montre que le trompe-l’œil n’est pas seulement le symptôme d’une civilisation malade, mais que c’est une arme dangereuse au service d’une Église et d’un pouvoir corrompus. Le théâtre du Duc Ferdinand et de Bosola n’est pas l’art enchanteur de Prospero dans la Tempête (1611) ou l’art cathartique du médecin Corax dans The Lover’s Melancholy (1629) de John Ford. Le procédé de mise en abyme utilisé par Webster révèle, au contraire, un art baroque délétère et diabolique15.

  • 16 Les critiques sont divisés sur la question des rapports de la cour d’Amalfi avec la cour jacobéenne (...)
  • 17 Sur l’habit de mélancolie, voir Karin S. Coddon, "The Duchess of Malfi: Tyranny and Spectacle in Ja (...)

4À travers la cour d’Amalfi, Webster met en scène la culture baroque, italienne et catholique comme un monde d’apparences, un théâtre dangereux, dans lequel le seul mode d’être possible est celui de la dissimulation16. Tous ses personnages portent des masques : ce sont des acteurs, des hyprocrites, pour reprendre le terme grec à l’étymologie si éloquente. Être courtisan signifie forcément jouer un rôle, avoir le "visage de l’emploi" (2.1.3), savoir "entortiller sa cravate d’un air affable" (2.1.7), C’est en tout cas ce qu’enseigne le plus doué des intrigants, le malcontent Bosola17, qui choisit de porter un "vieux costume de mélancolie" (1.2.236), pour servir d’espion au puissant Duc Ferdinand, puis à son frère, le Cardinal. N’apparaissant jamais tel qu’en lui-même, Bosola porte aussi de véritables masques. À l’acte 4, tel Protée, il ne cesse de changer d’identité, se présentant successivement comme un vieil homme (4.2.133), comme un fossoyeur (4.2.136) et comme un sonneur public (4.2.200). Les autres personnages de la pièce considèrent aussi la cour comme une vaste scène de théâtre et, par conséquent, trouvent naturel de devoir y porter un masque. Ainsi, lorsqu’il découvre le secret de la duchesse, le même Ferdinand est résolu de continuer à feindre l’ignorance ("So I will only study to seem / The thing that I am not", 2.5.82-83). Par la suite, il fait de la dissimulation la pièce maîtresse de sa stratégie de vengeance, mettant ses semblables au défi de le percer à jour : " He that can compass me, and know my drifts, / May say he hath put a girdle ’bout the world, / And sounded all her quicksands" (3.1.106- 08). Quant au Cardinal, une réputation brillante lui sert à "donner le change" ("some such flashes superficially hang on him, for form", 1.2.81-82). Personne ne doit avoir vent de son ancienne alliance avec Bosola (1.2.165-66).

  • 18 Cf. les apartés d’Antonio et de Delio dans l’acte 1, scène 2.
  • 19 Par exemple, 1.1.23-29 (Bosola), 1.2.81-93 (le Cardinal) ; 1.2.96-107 (Ferdinand), etc.
  • 20 Voir aussi 1.2.274-80.
  • 21 Il déclare aussi que c’est le diable qui enrobe les forfaits de sucre : "Thus the devil / Candies a (...)

5Il ne fait aucun doute qu’une telle mise en scène de la duplicité vise à montrer la dépravation sur laquelle la société baroque est fondée. Webster est "baroque anti-baroque" : tout en jouant sur les faux-semblants, il veille à orienter le regard du spectateur en l’invitant à se méfier des apparences trompeuses18. Ainsi, dès la première scène, avant que les autres personnages n’apparaissent, la flatterie et les mœurs dissolues des cours italiennes sont fustigées par Antonio, qui oppose l’opacité et la corruption qui y règnent, à la transparence et à la vertu de la cour de France, comparée à une fontaine d’où s’écoulent une eau de pur cristal —"pure silver drops" (1.1.13). De même, dans les deux premières scènes, de nombreux portraits révèlent la vilenie des personnages19. Le spectateur comprend aussi d’emblée qu’il n’est pas besoin d’être honnête pour prêcher la vertu. Malgré son passé d’assassin au service du Cardinal, Bosola est le "censeur attitré de la cour" (1.1.24). À ce titre, il rappelle très tôt qu’il ne faut à aucun prix se fier aux apparences : "There’s no more credit to be given to th’face / Than to a sickman’s urine" (1.2.182). Il ne manque pas non plus une occasion de dénoncer la perfidie du Cardinal, rappelant que "c’est la voix du diable qui parle par sa bouche" (1.2.118). De la même façon, Ferdinand, le futur assassin de la duchesse, avertit sa sœur des dangers de la fête et des masques : "A visor and a mask are whispering rooms / That were never built for goodness" (1.2.309-10)20. Le comble du paradoxe est que ces personnages ne manquent pas d’appliquer ces raisonnements à eux-mêmes. Avec clairvoyance, Bosola se définit comme "l’enclume du diable, ouatée à souhait", sur lequel ce dernier forge ses péchés en silence (3.2.390)21. De fait, la satire de Webster est d’autant plus cinglante qu’elle est prononcée par ceux-là mêmes qui font le mal et qui jouent avec les apparences. En démontant les mécanismes de l’art de la dissimulation, le dramaturge rend manifeste la contradiction même d’une société dans laquelle tout le monde, sans exception, porte un masque ; c’est là une façon éloquente de suggérer que l’esthétique baroque contient en elle-même le principe de sa propre destruction.

  • 22 Voir, par exemple, 4.2.8-9 : "Sit down, / Discourse to me some dismal tragedy".

6Sur le plan dramatique, cette logique baroque de la dissimulation est le principe même de la tragédie : lorsqu’on évolue dans la cour d’Amalfi, il n’y a pas moyen d’échapper à sa spirale destructrice. À aucun moment, les deux frères, Ferdinand et le Cardinal, ne cherchent à sortir du monde d’apparences trompeuses, dont ils sont les ordonnateurs. Le cas de Bosola diffère légèrement. Après la mort de la duchesse, effrayé par le meurtre qu’il vient d’organiser, il promet, si c’était à refaire, de ne plus échanger la paix de sa conscience contre tout l’or de l’Europe ; il semble sur le point de tomber le masque ("off my painted honour", 4.2.414), mais dès qu’il rencontre le Cardinal à l’acte 5, il se coule à nouveau dans le rôle d’intrigant et feint de ne rien savoir sur la mort de la Duchesse (5.2.163-65). Jusqu’à la fin, malgré quelques virevoltes, il se considère engagé dans une pièce de théâtre et, à ses yeux, la mort d’Antonio n’est rien d’autre que l’une de ces méprises qu’il a souvent vues sur scène (5.5.132). Le cas de la duchesse est différent. Elle ne choisit la dissimulation et accepte les "règles" de cette société baroque que par nécessité. Pour elle, la cour est un "théâtre ennuyeux" dans lequel elle joue un rôle tragique à contrecœur (4.1.108-09)22. Accepter de vivre sur le mode de l’énigme et du secret, et même prendre modèle sur les tyrans, voilà la seule conduite possible dans une société où la vertu et la transparence sont devenues impossibles :

And as a tyrant doubles with his words,
And fearfully equivocates, so we
Are forc’d to express our violent passions
In riddles and in dreams, and leave the path
Of simple virtue, which was never made
To seem the thing it is not.
(1.2.449-54)

7La duchesse donne ici le ton de toute l’action qui va suivre : les époux ne pourront vivre que dans la clandestinité et seront obligés d’inventer des mensonges pour tenter d’échapper à la menace du duc Ferdinand et du Cardinal. À l’acte 3, par exemple, alors que son secret commence à être éventé, la duchesse allègue qu’Antonio a été congédié pour avoir mal géré la fortune de la duchesse (3.2.210-14). C’est ce qu’elle appelle "un noble mensonge" pour protéger l’honneur (3.2.227). Plus le danger se précise, plus sentiment de révolte devant cette nécessité de feindre se renforce. Pour la duchesse, il est insupportable que le vice règne en maître sur scène alors que la vertu doit se cacher derrière des masques et des tentures : "methinks unjust actions / Should wear these masks and curtains, and not we" (3.2.199- 200). Quant à Antonio, au terme de la tragédie, il souhaite mourir pour échapper à ce qu’il appelle un simulacre de la vie : "to live thus, is not indeed to live : / It is a mockery and abuse of life" (5.3.60-61). Il remercie son assassin Bosola de lui permettre de devenir enfin lui- même dans la mort. Lorsque celui-ci lui demande qui il est, il répond : "A most wretched thing, / That only have thy benefit in death, / To appear myself" (5.4.59-61).

  • 23 La duchesse n’est pas dupe de la comédie que lui joue Bosola et reprend l’image des sépulcres blanc (...)
  • 24 Voir A. Shell, Catholicism, Controversy and the Literary Imagination, op. cit., p. 27.
  • 25 Voir, sur ce point, les remarques pertinentes de William Empson, "My Eyes Dazzle", Essays in Critic (...)
  • 26 Voir Robert Burton, Anatomie de la mélancolie, trad. Bernard Hoepffner, Paris, Corti, 2000, 3.4.2.3 (...)

8Ce refus final du miroitement baroque des apparences n’a pas comme seule signification le rejet d’un mal universel. Les images de dissimulation, les allusions aux tombeaux blanchis de la Bible23, la référence au théâtre sont des lieux communs de la propagande anti- catholique24, et il faut donc lire la tragédie de la duchesse comme la critique d’une religion baroque fondée sur la tyrannie des apparences. Une telle interprétation est confirmée par la caractérisation d’Antonio, présenté tout au long de la pièce comme un "crypto protestant", voir même comme un puritain, si l’on en croit les mots de Bosola qui le qualifie de "precise fellow" (2.4.84) – l’adjective "precise" étant au début du XVIIe siècle synonyme de "puritanical" (OED)25. En outre, l’intendant vertueux nie le purgatoire (1.2.388), chante les louanges du mariage (1.2.376-379) tout en rejetant le célibat (3.2.33), ne va à la messe que pour suivre la mode (5.2.147-48), et exalte la patience dans la souffrance, ce qui rappelle le discours des protestants persécutés par Marie Tudor ("O be of comfort, / Make patience a noble fortitude / And think not how unkindly we are us’d", 3.5.88-90). On entend aussi, dès le début de la pièce, Antonio brosser un portrait au vitriol du Cardinal. Non seulement cet ecclésiastique est un "grand courtisan" (1.2.3) qui cède aux plaisirs du monde — c’est un homme à femmes (1.2.80), un joueur (1.2.79), un bon danseur (1.2.79) et un homme habile à l’épée (1.2.80) – mais il est surtout l’agent de l’Antéchrist (le pape dans la polémique anti-catholique), voire l’Antéchrist lui-même. C’est un "prélat mélancolique" (1.2.82) — maladie diabolique que Burton considère comme le "bain du diable"26 — mais aussi un homme politique infâme, jugé trop corrompu pour devenir un jour pape (1.2.89), "qui sème sur sa route flagorneurs, entremetteurs, espions, mécréants et mille autres monstres politiques" (1.2.86-88). Son pouvoir politique dangereux est souligné à plusieurs reprises : il persuade par exemple le pape de saisir l’État d’Ancône (3.4.45-48) avant de procurer ce bien confisqué à Julia (5.1.34-47).

  • 27 La notion de théâtralité est une notion souvent utilisée par les historiens de l’art. Voir R. Berry (...)
  • 28 "They showed a Cardinal in all his grandeur, in the formal robes appropriate to his station, splend (...)
  • 29 Une telle attitude aurait été impensable si la pièce avait eu pour cadre l’Angleterre où toute repr (...)
  • 30 Sur l’idée que la religion catholique est une "anti-religion", voir P. Lake, "Anti- Popery : The St (...)
  • 31 Sur la question de la théâtralité, voir Andrea Henderson, "Death on Stage, Death of the Stage: The (...)

9Mais c’est lorsqu’en grand maître du baroque, le cardinal manipule les apparences que la satire anti-catholique de Webster se fait la plus mordante. La cérémonie de Notre-Dame de Lorette, dans laquelle l’ecclésiastique revêt en grande pompe les attributs militaires et bannit la duchesse (3.4), en constitue l’exemple le plus éclatant. Dans cette scène, en effet, le dramaturge travestit les excès de la théâtralité baroque27, au point que religion et représentation se confondent dans un intermède sans nul doute blasphématoire pour un catholique. En son temps, l’attaque n’avait d’ailleurs pas échappé au voyageur italien qu’était Orazio Busino, collaborateur de l’ambassadeur de Venise en Angleterre28. Ce dernier n’avait rien vu d’autre dans ce spectacle qu’une mise en cause de la papauté et une marque de mépris supplémentaire de la part de la nation anglaise : "And all this was acted in condemnation of the grandeur of the Church, which they despise and which in this kingdom they hate to the death" (7 February 1618). Sa réaction scandalisée vient du traitement blasphématoire que Webster réserve à la religion catholique29 : la parodie n’en est possible que parce la tragédie se déroule en Italie et qu’une majorité d’Anglais refusent d’accorder au catholicisme le statut de religion30. De fait, la "cérémonie" religieuse (3.4) est décrite comme un mime ("a form of banishment in dumb show", 3.4.14-15) ; les objets du culte, la croix, la mitre, l’aube, l’anneau de cardinal (3.4.11) ont le statut de simples accessoires de théâtre, au même titre que l’épée, le heaume, le bouclier et les éperons (3.4.12). Le cérémonial, résumé dans une indication scénique, est un spectacle comme un autre qui anticipe les représentations orchestrées par Ferdinand et Bosola à l’acte 4. Les ecclésiastiques sont de simples acteurs qui jouent le rôle du chœur antique (3.4.16-19) ; ils sont les chantres du vice dissimulé derrière les oripeaux de la vertu (3.4.20- 36). Quant aux pèlerins, ils deviennent de simples spectateurs, pris en otage par des prêtres corrompus et pervers. Leur point de vue introduit cependant des détails intéressants en soulignant, d’une part, la cruauté et la force d’un tel spectacle baroque (3.4.37-41) et, d’autre part, le rôle de la papauté dans cette annulation brutale du mariage de la duchesse (3.4.45-48). Nul doute donc qu’à travers ce genre de mise en scène parodique, c’est toute la société de cour, italienne et catholique, que Webster stigmatise. Mais ce spectacle laisse aussi à penser que la critique ne porte pas seulement sur la "société baroque", mais aussi sur le médium, c’est-à-dire sur l’art baroque lui même31.

10Dans la Duchesse d’Amalfi, la vengeance par le théâtre à laquelle se livre Ferdinand à l’acte 4 montre le pouvoir et le danger que représente l’art baroque. Par le procédé de mise en abyme, Webster met à jour les fondements dépravés de cette esthétique : au lieu de faire l’éloge du théâtre comme la plupart de ses contemporains, le dramaturge dénonce au contraire son caractère morbide et délétère. Pourtant, en théorie le théâtre a une vertu thérapeutique ; c’est ce que rappelle un domestique à la duchesse avant que les fous ne fassent leur entrée à l’acte 4, scène 2 :

A great physician, when the Pope was sick
Of a deep melancholy, presented him
With several sorts of madmen, which wild object
Being full of change and sport, forc’d him to laugh,
And so th’imposthume broke: the selfsame cure
The duke intends on you.
(4.2.49-54)

  • 32 Sur les représentations médicales dans la Duchesse d’Amalfi, on peut se reporter à William Kerwin, (...)

11Ferdinand reprend le lieu commun de la guérison par le théâtre exposé par le serviteur, tout en le subvertissant. En choisissant de recourir à une "médecine radicale" ("desperate physic", 2.5.33)32, il transforme la purgation aristotélicienne des passions en un sacrifice sanglant :

We must not now use balsamum, but fire,
The smarting cupping-glass, for that’s the mean
To purge infected blood, such blood as hers.
(2.5.34-36)

  • 33 "Oh, fie! Despair? remember / You are a Christian", 4.1.96-97.

12En effet, faire couler le sang vicié ne vise pas la guérison de la duchesse mais sa mort. D’ailleurs, Ferdinand a tôt fait d’avertir son frère le Cardinal que sa vengeance sera fatale puisque qu’il veut "mettre en pièces la duchesse" (2.5.42). Ce faisant, il fait subir un second détournement à la catharsis théâtrale, puisque c’est lui, concepteur de ce spectacle morbide, qui recherche la guérison. À sa sœur, il réserve le statut de victime sacrificielle dont le sang versé pourra apaiser sa fureur : "Tis not [her] whore’s milk that shall quench my wild fire / But [her] whore’s blood" (2.5.64-65), dit-il au Cardinal, terrifié par cette rage démesurée (2.5.74-81). Dans cette perspective de vengeance barbare, la fonction des figures de cire et de la main coupée devient claire : amener la duchesse au désespoir, ou pour reprendre les mots de Ferdinand : "To bring her to despair" (4.1.152). Le désespoir est ici à entendre dans son sens théologique, comme péché irrémissible condamnant à l’enfer33 — acception par ailleurs confirmée par la malédiction de Ferdinand ("Damn her !", 4.1.158). Ainsi, le duc pervertit l’art baroque au point d’inverser sa vocation d’encouragement à la piété. Le théâtre, loin d’élever l’âme, est un art du désespoir et un instrument de torture — et c’est bien comme cela que le considère la duchesse, lorsqu’elle déclare, avant de subir le supplice de la ronde des fous : "let them loose when you please, / For I am chain’d to endure all your tyranny" (4.2.70-71).

  • 34 "Here is discovered, behind a traverse, the artificial figures of Antonio and his children; appeari (...)
  • 35 "These presentations are but fram’d in wax / By the curious master in that quality, / Vincentio Lau (...)

13Logique avec lui-même, Ferdinand utilise tous les procédés expressifs de l’art baroque pour conduire la duchesse au désespoir puis à la mort. Aidé de Bosola, son metteur en scène, il devient maître de l’illusionnisme macabre. Lorsque, dans l’obscurité, il lui tend une main coupée (4.1.55), la duchesse croit serrer la main d’Antonio : " here is a hand / To which you have vow’d much love : the ring upon’t / You gave" (4.2.55-57). Elle embrasse le cadavre avant de découvrir avec horreur la réalité : "You are very cold. / I fear you are not very well after your travel. / Ha ! lights : Oh, horrible !" (4.1.66-68). Cet illusionnisme de l’horreur est délibéré ; c’est le résultat d’une mise en scène soignée, des rideaux et des voiles transparents34 ayant été disposés pour dissimuler les figures de cire. Le leurre est tel que certaines mises en scène vont jusqu’à accentuer l’effet de trompe-l’œil suggéré par le texte35 : comme la duchesse, le spectateur croit véridiques les mots de Bosola et pense qu’Antonio et ses enfants sont morts – "[Ferdinand] doth present you this sad spectacle / That now you know directly they are dead" (4.1.77-78). Ce n’est qu’à la scène suivante, au moment où la duchesse va rendre son dernier souffle que l’illusion se donne pour ce qu’elle est et que Bosola en virtuose de l’illusion baroque avoue finalement : "The dead bodies you saw were but ‘feign’d statues" (4.2.429).

  • 36 Le "deuxième fou" donne une description de l’enfer qui fait songer aux tableaux de Jérôme Bosh: "H (...)
  • 37 Sur la rhétorique du poison, voir Mariangela Tempera, "The Rhetoric of Poison in John Webster’s Ita (...)

14Le deuxième spectacle offert par Ferdinand à sa sœur est une ronde de fous, censés la rendre folle (4.1.163) et lui donner un avant- goût de l’enfer36. La torture par le théâtre est agression du cœur, du corps et des sens : "We’ll bell, and bawl our parts, / Till irksome noise have cloy’d your ears ; / And corrosiv’d your hearts" (4.2.79-81). Avec l’entrée de Bosola, déguisé en vieillard et jouant le rôle de fossoyeur, commence la mise à mort de la duchesse. Dans un style typiquement baroque, il prononce un sermon sur la vanité, afin de préparer sa victime à la bonne mort ou, pour reprendre les mots de Bosola, "to mortification" (4.2.206) ; se suivent des images de décomposition propres à émouvoir l’auditeur (par exemple celle du corps rongé par les "vers" [4.2.151], qui est aussi un "coffret à poudre de momies" [4.2.148]) , le rappel du temps qui passe (4.2.157-59) et le constat de la misère de l’homme. Bosola invite ensuite la duchesse à se préparer rituellement à la mort (4.2.205-24). Le spectacle se termine sur l’étranglement de l’héroïnequi passe du statut de spectatrice à celui de victime. Les cordes qu’on a apportées en même temps que le cercueil, d’abord présentées comme de simples accessoires de théâtre, deviennent des instruments d’une torture qui a lieu sur scène. Lorsque le Cardinal utilise une Bible empoisonnée pour assassiner Julia (5.2.331-34), la religion est mise au service du meurtre37. Enfin, dans l’étrange cérémonie baroque que Ferdinand a préparée à sa soeur, le crucifix devient un vulgaire objet de superstition : "And (the foul fiend more to check) / A crucifix let bless your neck" (4.2.221-212), un élément de plus dans la satire anti- catholique que Webster a choisi de mettre en scène.

  • 38 Voir aussi 4.2.245-47: "Who would be afraid on [death] / Knowing to meet such excellent company / I (...)
  • 39 Sur l’attitude tragique singulière de la Duchesse, voir l’analyse de Gisèle Venet (La Duchesse d’Am (...)

15Dans un premier temps la réussite de cet art baroque semble totale ; l’art du désespoir savamment étudié par Ferdinand est suivi d’effet puisque la duchesse, prenant l’exemple de Portia, est tentée par le suicide (4.1.93-95) ; désespérée, elle s’imagine endurer les tortures de l’enfer ("That’s the greatest torture souls feel in hell ; / In hell : that they must live, and cannot die", 4.1.91-92). Elle maudit le monde entier et rêve d’un retour au chaos primitif (4.1.128-29). Mais cette attitude se renverse et l’art de Bosola est mis en échec : pendant la ronde des fous, la duchesse demeure imperturbable et conserve son identité, affirmant malgré les circonstances : "I am the Duchess of Malfy still" (4.2.165). En dépit de toutes les intimidations théâtrales dont elle fait l’objet, elle n’a pas peur de la mort —"Peace it affrights not me" (4.2.199) — persuadée que les "portes du ciel" lui sont ouvertes (4.2.271)38. Sa résistance et sa grandeur héroïques constituent une critique en actes de l’ars moriendi que Bosola et Ferdinand utilisent à des fins meurtrières39. L’ironie ici est que l’art baroque du désespoir finit par ravager ceux qui ont voulu s’en servir comme d’une arme. À l’acte IV, Ferdinand, lycanthrope, est frappé par la folie désespérée (5.2.43-49) tandis que le cardinal souffre de mélancolie. Les deux personnages sont tous les deux persuadés de leur damnation, comme si leur art délétère avait fini par se retourner contre eux (5.2.232 et 5.5.1-8) et par les contaminer.

  • 40 Sur le comportement paradoxal de la duchesse devant les cérémonies, voir James L. Calderwoord, "The (...)

16La critique du baroque italien est d’autant plus radicale qu’elle s’attaque à sa nature même en le considérant comme un art immoral qui cultive à dessein l’artifice. Cette définition est justement celle de Bosola, du Cardinal et du Duc, pour qui la beauté existe indépendamment de la morale. Ainsi Bosola élève son habileté à tromper la duchesse au rang d’œuvre d’art et justifie ainsi sa perfidie par des raisons esthétiques. Ses actions en trompe-l’œil sont parfaites et méritent tous les éloges : "And men that paint weeds to the life are prais’d" (3.2.398) ; avant même que ne commence la scène de torture, il esthétise le malheur de la duchesse en lui trouvant plus de grâce dans ses larmes que dans son sourire (4.1.8-9). De la même façon, Ferdinand, dans un désir pervers, veut transformer sa sœur en œuvre d’art et se réjouit de son succès : "Excellent ; as I would wish : she’s plagu’d in art" (4.1.146). Mais la réussite dans le mal est telle que même le diable en personne, Ferdinand, éprouvant finalement quelque dégoût devant la mort cruelle de la duchesse, reproche à Bosola d’avoir trop bien joué les traîtres — ou pour reprendre ses mots "And, for my sake, thou hast done much ill well" (4.2.354). Le Cardinal n’est pas en reste : Silvio le présente comme un artiste du mal qui aurait "tordu plus de visages en grimaces par sa cruauté que Michel-Ange n’a peint de sourires" (3.3.61-63). À l’inverse de ses frères, la duchesse, dès le début de la pièce, se méfie de l’artifice. D’emblée, elle critique la facticité des cérémonies de mariage et déclare devant Antonio : "I do here put off all vain ceremony" (1.2.462)40. Il en va de même de l’art en général, qu’elle considère comme artificiel et œuvre de mort. Au moment de se marier, elle refuse d’être comparée à la statue agenouillée au pied de la tombe de son mari : "This is flesh and blood, sir ; / ’tis not the figure cut in alabaster / Kneels at my husband’s tomb" (1.2.459-61). Elle est aussi horrifiée par les mots de Cariola qui lui apprend qu’elle se met à ressembler à son propre portrait accroché dans la galerie de son palais, suggérant ainsi que l’art du trompe-l’œil est nécessairement porteur de mort :

Duch. [...] Who do I look like now?
Cari. Like to your picture in the gallery,
A deal of life in show, but none in practice.
(4.2.37-39).

  • 41 La tyrannie de la religion catholique est un des lieux communs de la satire anti- catholique. P. La (...)

17Dans cette cour baroque, étouffante et morbide, la seule échappatoire41 reste la nature, évoquée par la duchesse sur le mode pastoral, comme synonyme de liberté et de vie :

  • 42 Voir aussi 4.2.16-17: "The robin-redbreast and the nightingale / Never live long in cages". Sur le (...)

The birds that live i’ th’ field
On the wild benefit of nature live
Happier than we; for they may choose their mates,
And carol their sweet pleasures to the spring.
(3.5.25-28)42

18Au terme de ce cheminement, l’art baroque apparaît dans la Duchesse d’Amalfi comme un art dépravé que Webster cherche à tout prix à mettre distance. La théâtralité baroque sur laquelle repose tout le processus d’enfermement et la mise à mort de l’héroïne éponyme est dévoyée. La dissimulation et l’artifice, fondements d’une esthétique et d’une société mortifères, sont les vecteurs d’une satire anti-catholique féroce, similaire à celle qui s’exprime dans la propagande anti-papiste contemporaine. Vue sous cet angle, la notion de baroque est opératoire et utile : elle permet de relier des formes esthétiques à une critique idéologique — lien qui n’est pas fait par la plupart des commentateurs, plus enclins à déterminer la moralité ou le degré de décadence de la pièce qu’à étudier ses enjeux esthético- politiques.

19Enfin, et pour suggérer peut-être une des limites de cette satire websterienne du baroque, on peut se demander dans quelle mesure une telle critique de la théâtralité baroque, comme art du désespoir et de la folie, ne se retourne pas contre l’art du dramaturge lui-même : en plus d’une satire anti-catholique, le dramaturge développe, sur un mode paradoxal, des arguments anti-théâtraux. En ce sens, la mise en abyme d’un baroque dépravé dans la Duchesse d’Amalfi constituerait une attaque implicite contre le théâtre et aurait ainsi sa place dans la lutte sans merci que se livrent, à la même époque, les défenseurs et les ennemis du théâtre.

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Notes

1 T. S. Eliot, "Whispers of Immortality", c. 1920, Collected Poems, London, Faber and Faber, 1968, p. 55.

2 Voir Ralph Berry, The Art of John Webster, Oxford, Clarendon Press, 1982. Ralph Berry insiste sur la dimension européenne du baroque, sur son origine italienne et catholique et sur la nécessité de l’appliquer à l’œuvre de Webster.

3 Voir John Webster, La Duchesse d’Amalfi, trad. et éd. Gisèle Venet, Paris, Les Belles Lettres, 1992, pp. xi-xxx. C’est à cette édition de la pièce et à cette traduction que nous nous référons.

4 Voir Dympna Callaghan, ed., The Duchess of Malfi: Contemporary Critical Essays, New Casebooks, Houndmills and London, Macmillan, 2000, pp. 1-24.

5 Voir Alison Shell, Catholicism, Controversy and the Literary Imagination, 1558- 1660 (Cambridge: Cambridge UP, 1999). Le critique pose la question suivante, centrale pour notre propre enquête: "Why it is that literary critics have been largely unconscious of the anti-Catholic prejudice which structures a Websterian or Middletonian vision of evil, and so have performed the illiberal act of perpetuating it" (56). Voir l’analyse qu’Alison Shell donne de la Duchesse d’Amalfi pp. 53-55 dans ce même ouvrage.

6 Sur le "préjugé anti-catholique", voir, par exemple, Peter Lake, "Anti-popery: The Structure of a Prejudice", in Richard Cust and Anne Hughes, eds., Conflict in Early Stuart England, London and New York, Longman, 1988, pp. 72-106 et Anthony Milton, "A Qualified Intolerance: The Limits and Ambiguities of Early Stuart Anti- Catholicism", in Catholicism and Anti-Catholicism in Early English Texts, ed. Arthur Marotti, Houndmills and New York, Palgrave, 1999, pp. 85-115.

7 Bertrand Gibert, "L’empreinte de la religion", Le Baroque littéraire français, Paris, Armand Colin, 1997, p. 49. Pour A. Shell (Catholicism, Controversy and the English Literary Imagination, op. cit., p. 103), ce préjugé perdure jusqu’à nos jours et explique pourquoi il existe une telle méfiance autour de la catégorie de baroque: "neither selective blindness nor the Protestantised aesthetic will be solved until [...] the English Baroque, with all its attendant Catholic implications, becomes as unproblematic a term for literary critics as it is for architectural historians".

8 Voir, Gisèle Venet, ed, La Duchesse d’Amalfi, pp. xi-xxx et Jean Rousset, Circé et le Paon, Paris, Corti, 1954, p. 85 et 137.

9 Voir Victor-L. Tapie, Baroque et classicisme, 1re édition 1957, "Préface de la présente édition", Paris, Hachette, "Collection Pluriel", 1980, p. 47. Voir aussi V.-L. Le Baroque, Paris, PUF, [1961]1988, pp. 45-61 et Bernard Chédozeau, Le Baroque, Paris, Nathan 1989, p. 16.

10 V.-L. Tapié, Baroque et Classicisme, op. cit, 65.

11 Voir V.-L. Tapié, Le Baroque p. 23-24. L’auteur met néanmoins en garde contre une identification simpliste de la Contre-Réforme au style baroque. Voir aussi B. Chédozeau, Le Baroque, op. cit., p. 14 : "cet art paraît étroitement lié, après la période austère des années 1560-1600, à une autre conception de la mise en application des décrets du Concile de Trente".

12 Voir V.-L. Tapié, Baroque et classicisme, op. cit., p. 50.

13 Une version anglaise est fournie par William Painter dans The Palace of Pleasure (Londres, 1567). La novella est traduite en français par Belleforest dans ses Histoires tragiques (1565). Voir Brian Gibbons, ed., The Duchess of Malfi ̧ London, Fourth Mermaid Edition, 2001, pp. xi-xv. Sur le regard paradoxal que les Anglais jettent sur l’Italie, on peut se reporter par exemple à A. J. Hoenselaars, "Italy Staged in English Renaissance Drama", Shakespeare’s Italy : Functions of Italian Locations in Renaissance Drama, ed. Michele Marropodi et als., Manchester, Manchester UP, 1993, pp. 30-48.

14 Ce genre d’approche est suggéré par Alison Shell qui regrette que la dénonciation du vice dans les revenge tragedies ne soit pas toujours perçue comme une marque d’anti-catholicisme (Catholicism, Controversy and the Literary Imagination, op. cit., p. 23).

15 Pour une étude approfondie de la pièce, qui n’utilise à aucun moment la notion de baroque, voir Charles R. Forker, The Skull Beneath the Skin : The Achievement of John Webster, Carbondale and Edwardsville, Southern Illinois UP, 1986, pp. 296-369.

16 Les critiques sont divisés sur la question des rapports de la cour d’Amalfi avec la cour jacobéenne d’une part, et les cours italiennes d’autre part. Nous nous rangeons à l’avis d’A. Shell qui voit dans la pièce de Webster une critique du catholicisme, et non de la cour d’Angleterre. Voir Catholicism, Controversy and the English Literary Imagination, op. cit., p. 55.

17 Sur l’habit de mélancolie, voir Karin S. Coddon, "The Duchess of Malfi: Tyranny and Spectacle in Jacobean Drama", The Duchess of Malfi, ed. D. Callaghan, op. cit.

pp. 26-28.

18 Cf. les apartés d’Antonio et de Delio dans l’acte 1, scène 2.

19 Par exemple, 1.1.23-29 (Bosola), 1.2.81-93 (le Cardinal) ; 1.2.96-107 (Ferdinand), etc.

20 Voir aussi 1.2.274-80.

21 Il déclare aussi que c’est le diable qui enrobe les forfaits de sucre : "Thus the devil / Candies all sins o’er ; and what heaven terms vile, / That names he complimental" (2.1.232-34).

22 Voir, par exemple, 4.2.8-9 : "Sit down, / Discourse to me some dismal tragedy".

23 La duchesse n’est pas dupe de la comédie que lui joue Bosola et reprend l’image des sépulcres blanchis (Matthieu 23.27) pour souligner sa duplicité : "Thou dost blanch mischief, / Wouldst make it white" (3.5.34-35). C’est déjà l’image qu’avait utilisée Ferdinand pour parler de la Duchesse: "Methinks her fault and beauty, / Blended together, show like leprosy, / The whiter, the fouler" (3.3.75-77).

24 Voir A. Shell, Catholicism, Controversy and the Literary Imagination, op. cit., p. 27.

25 Voir, sur ce point, les remarques pertinentes de William Empson, "My Eyes Dazzle", Essays in Criticism, 14 (1964) reproduit dans G. K. et S. K. Hunter, eds., John Webster, op. cit, pp. 296-98.

26 Voir Robert Burton, Anatomie de la mélancolie, trad. Bernard Hoepffner, Paris, Corti, 2000, 3.4.2.3, pp. 1786-87 : "Le démon est l’agent principal responsable de cette maladie, car Dieu autorise le démon à s’emparer de ceux que lui-même a abandonnés [...] L’instrument habituel qui lui permet de produire cet effet est l’humeur mélancolique elle-même, cad Balneum Diaboli, le bain du diable".

27 La notion de théâtralité est une notion souvent utilisée par les historiens de l’art. Voir R. Berry, The Art of John Webster, op. cit., p. 14-15. Cette théâtralité est frappante dans les édifices religieux, comme à Saint Pierre de Rome, ou encore dans les sermons qui se font théâtre de la parole

28 "They showed a Cardinal in all his grandeur, in the formal robes appropriate to his station, splendid and rich, with his train in attendance, having an altar erected on the stage, where he pretended to make a prayer, organising a procession; and then they produced him with a harlot on his knee. [...] Moreover he goes to war, first laying down his Cardinal’s habit on the altar, with the help of his chaplains, with great ceremoniousness; finally he has his sword bound on and dons the soldier’s sash with so much panache you could not imagine it better done" (Anglophorida, 1618, reproduit dans G. K. and S. K. Hunter, eds., John Webster: A Critical Anthology, Harmondsworth, Penguin, 1969, pp. 31-32).

29 Une telle attitude aurait été impensable si la pièce avait eu pour cadre l’Angleterre où toute représentation de sujet religieux était interdite Voir J. Barish, The Antitheatrical Prejudice, op.cit., pp. 158-210.

30 Sur l’idée que la religion catholique est une "anti-religion", voir P. Lake, "Anti- Popery : The Structure of a Prejudice", op. cit., pp. 75-76.

31 Sur la question de la théâtralité, voir Andrea Henderson, "Death on Stage, Death of the Stage: The Antitheatricality of The Duchess of Malfi", The Duchess of Malfi, éd. D. Callghan, op. cit., pp. 61-79.

32 Sur les représentations médicales dans la Duchesse d’Amalfi, on peut se reporter à William Kerwin, "‘Physicians are like Kings’: Medical Politics and The Duchess of Malfi", English Literary Renaissance, 28.1 (1998), pp. 95-117.

33 "Oh, fie! Despair? remember / You are a Christian", 4.1.96-97.

34 "Here is discovered, behind a traverse, the artificial figures of Antonio and his children; appearing as if they were dead" (4.1.73-75).

35 "These presentations are but fram’d in wax / By the curious master in that quality, / Vincentio Lauriola, and she takes them / For true substantial bodies" (4.1.146-50).

36 Le "deuxième fou" donne une description de l’enfer qui fait songer aux tableaux de Jérôme Bosh: "Hell is a mere glass-house, where the devils are continually blowing up womens’s souls on hollow irons, and the fire never goes out" (4.2.91-93).

37 Sur la rhétorique du poison, voir Mariangela Tempera, "The Rhetoric of Poison in John Webster’s Italianate Plays", Shakespeare’s Italy: Functions of Italian Locations in Renaissance Drama, ed. Michele Marropodi et als., Manchester, Manchester UP, 1993, pp. 229-50.

38 Voir aussi 4.2.245-47: "Who would be afraid on [death] / Knowing to meet such excellent company / In the other world?"

39 Sur l’attitude tragique singulière de la Duchesse, voir l’analyse de Gisèle Venet (La Duchesse d’Amalfi, p. xxvi).

40 Sur le comportement paradoxal de la duchesse devant les cérémonies, voir James L. Calderwoord, "The Duchess of Malfi : Styles of Ceremony", Webster : The White Devil and the Duchess of Malfi, Casebook Series, ed. R. V. Holdsworth, Houndsmill and London, Macmillan, 1975, pp. 107-09.

41 La tyrannie de la religion catholique est un des lieux communs de la satire anti- catholique. P. Lake, "Anti-popery: The Structure of a Prejudice", op. cit., p. 77. Toute la thématique de l’espionnage et de l’enfermement qui traverse la pièce renvoie donc encore au "préjugé" anti-papiste décrit par Lake.

42 Voir aussi 4.2.16-17: "The robin-redbreast and the nightingale / Never live long in cages". Sur le refus de l’artifice, voir Catherine Belsey, "Emblem and Antithesis in The Duchess of Malfi", Renaissance Drama, 11 (1980), pp. 122-23.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Claire Gheeraert-Graffeuille, « Le baroque dépravé dans La Duchesse d’Amalfi de John Webster »Études Épistémè [En ligne], 9 | 2006, mis en ligne le 01 avril 2006, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/episteme/2609 ; DOI : https://doi.org/10.4000/episteme.2609

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Auteur

Claire Gheeraert-Graffeuille

Claire Gheeraert-Graffeuille est Maître de conférences à l’Université de Rouen. Elle est l’auteur de La Cuisine et le forum : L’émergence des femmes sur la scène publique pendant la Révolution anglaise (Paris : L’Harmattan, « Des idées et des femmes », 2005). Elle a co-édité un recueil d’articles avec Nathalie Vienne-Guerrin, Autour du Songe d’une nuit d’été (Rouen : Publications de l’Université de Rouen, 2003).

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