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Itō Chūta et son Étude architecturale du Hōryūji (1893) : comment et pourquoi intégrer l’architecture japonaise dans une histoire mondiale

伊東忠太とその「法隆寺建築論」(1893): いかに、そしてなぜ日本建築を世界史のなかに組み込むのか
Itō Chūta and his Architectural Study of Hōryūji (1893): Integrating Japanese Architecture into a World History
Benoît Jacquet
p. 89-115

Résumés

L’Étude architecturale du Hōryūji d’Itō Chūta est le premier doctorat en architecture au Japon. Itō présente ce monastère comme le prototype d’une architecture bouddhique japonaise, importée du continent asiatique et influencée par l’art gréco-bouddhique de l’Asie occidentale. Il s’appuie sur une étude du style architectural fondée sur l’analyse des détails constructifs et des proportions de trois bâtiments : la porte centrale, le pavillon d’or et la pagode. Le présent article propose une traduction de l’introduction et de la conclusion de cette étude ainsi qu’une interprétation des intentions de son auteur : conserver le patrimoine de l’architecture japonaise, définir le premier style architectural japonais et l’inscrire dans une histoire mondiale.

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Texte intégral

  • 1 Inoue Shōichi 井上章一 a consacré une étude à l’« histoire des idées sur le Hōryūji » (Inoue 1994) et S (...)

1Une des premières études qui abordent la question des origines de l’architecture japonaise est celle que consacre Itō Chūta 伊東忠太 (1867-1954) au monastère Hōryūji de Nara. Elle répond aux questions soulevées par les historiens de l’art qui, comme Okakura Tenshin 岡倉天心 (1862-1913) ou Ernest Fenollosa (1853-1908), voient dans le Hōryūji des origines indo-européennes que la seule influence de l’Asie orientale, des charpentiers coréens ou de l’art chinois, ne suffit à expliquer. Nous n’entrerons pas ici dans le débat, largement commenté, sur la véracité de ces propos1. En revanche, il est important de resituer et de présenter le travail d’Itō Chūta dans le contexte de son époque. Cela nous permettra, dans un premier temps, de mieux comprendre son rôle dans la formation des études architecturales au Japon et, dans un second temps, d’interpréter les motivations qui le poussèrent à étudier les origines de l’architecture japonaise.

  • 2 La thèse, publiée en l’état, est composée de trois parties qui sont autant d’articles, le premier é (...)
  • 3 Sur le rapport entre le Hōryūji et l’histoire de l’architecture mondiale, on se réfèrera à Aoi (200 (...)

2Nous proposons de revenir aux origines du discours de ce chercheur et à sa première publication scientifique, « Hōryūji kenchikuron » 法隆寺建築論 (Une étude architecturale du Hōryūji), publiée en 1893 dans Kenchiku zasshi 建築雑誌, la revue de l’Académie d’architecture (Kenchiku gakkai 建築学会). Il s’agit d’un texte relativement long, qui formera la première partie de sa thèse de doctorat soutenue en 1898 à l’université impériale de Tokyo2. Nous n’en présenterons ici que quelques passages, ceux qui illustrent le mieux les intentions et le parti de son auteur, c’est-à-dire sa volonté de définir les caractéristiques et le style de l’architecture du Hōryūji, et de présenter cet ensemble comme la quintessence de l’architecture japonaise, le fruit de l’évolution d’un style asiatique qui puise son origine dans l’art gréco-bouddhique. Itō Chūta considère que cette architecture participe d’une histoire mondiale, que c’est un monument majeur qu’il convient de conserver et de restaurer dans les meilleurs délais3. Avant d’entrer dans l’analyse de ce texte et afin de mieux en comprendre l’originalité, nous commencerons par retracer les grandes lignes du contexte historique et de l’émergence des études sur l’architecture japonaise à l’ère Meiji.

Itō Chūta, l’architecte de l’ère Meiji

  • 4 Sur les sanctuaires shintō impériaux (kanpei taisha 官幣大社) construits par Itō Chūta à Taipei et à Sé (...)

3La carrière d’Itō Chūta coïncide avec les grands évènements qui ont marqué la formation du Japon de l’ère Meiji. Une de ses premières réalisations est inaugurée pendant la quatrième Exposition industrielle nationale – considérée comme la première exposition coloniale japonaise (Nanta 2007 : 5) – dans le quartier d’Okazaki à Kyoto, en 1895. Il s’agit du sanctuaire de Heian (Heian jingū 平安神宮), l’un des grands sanctuaires qui seront construits au Japon et dans ses colonies d’Asie orientale sous l’impulsion du shintō d’État. C’est une reproduction à une échelle réduite (5/8) du Daigokuden 大極殿 (pavillon du faîte suprême) du Palais impérial de Heiankyō 平安京 (794), l’ancienne Kyoto. Itō est le premier architecte à recevoir un doctorat de l’université impériale de Tokyo, en 1898, où il fera carrière jusqu’à son départ en retraite en 1928 – année où il devient professeur à l’université de Waseda. Jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, il participe à tous les débats sur l’architecture nationale japonaise ou sur l’architecture impériale, et construit de nombreux sanctuaires au Japon et dans ses colonies asiatiques. Signalons, par exemple, qu’il est l’architecte du sanctuaire de Taiwan (Taiwan jingū 台湾神宮, 1901, Meiji 34), du sanctuaire de Meiji à Tokyo (Meiji jingū 明治神宮, 1920, Taishō 9), du sanctuaire de la Corée coloniale, le Chōsen jingū 朝鮮神宮 à Séoul (Keijō 京城 en 1925, Taishō 14)4, de la reconstruction du sanctuaire de Yasukuni en 1924, et qu’il a également conçu un mémorial aux victimes du grand tremblement de terre du Kantō de 1923 (shinsai kinendō 震災記念堂), le Mémorial de la métropole de Tokyo (Tōkyōto ireidō 東京都慰霊堂, 1930) et qu’il a reconstruit des temples bouddhiques comme le Tsukiji Honganji 築地本願寺 (1934).

  • 5 On citera néanmoins les travaux de Toshio Watanabe (2006) et de Stefan Tanaka (2001, 2004).
  • 6 La dernière exposition, « Kenchikuka Itō Chūta no sekai » 建築家・伊東忠太の世界 (Le monde de l’architecte Itō (...)
  • 7 Depuis l’étude que lui consacre Kishida Hideto 岸田日出刀 en 1945, les historiens de l’architecture, pou (...)

4Itō Chūta est le défenseur d’un style « historiciste » (rekishi shugi 歴史主義) qui plaît à certaines élites des ères Meiji, Taishō et Shōwa autant qu’il peut déplaire aux architectes modernistes. Au-delà de ce débat, son œuvre est caractéristique de l’émergence d’une conscience nationale et de la construction d’une nouvelle architecture japonaise « orientale ». Itō a participé à la reconstruction autant qu’à la réinvention d’une architecture japonaise, en créant de nouveaux styles qui assurent la promotion du pouvoir impérial. Le Japon part alors à la conquête de l’Asie et se dote de monuments et d’une imagerie qui ont vocation de symboles nationaux. Si Itō Chūta est peu connu en dehors du Japon5, son œuvre a fait l’objet de plusieurs expositions6 et études depuis les années 1940 et il est considéré comme l’un des fondateurs des études sur l’histoire de l’architecture japonaise7. En tant qu’architecte, il a réalisé des édifices de style éclectique, démontrant sa connaissance des styles « occidentaux » autant qu’« orientaux », ainsi que sa volonté d’innovation.

L’« orientalisation » de l’architecture japonaise

  • 8 On se réfère ici à la classification des styles donnée dans Fujimori (1993, vol. 1).

5L’architecture du Japon de l’ère Meiji subit le même sort que toutes les productions artistiques, intellectuelles, littéraires et scientifiques de cette époque, qui s’ouvrent et s’adaptent aux critères occidentaux. À ce titre, le paysage de la ville japonaise de la fin du xixe siècle, et surtout celui de Tokyo, porte les stigmates de l’urbanisme et de l’architecture dite coloniale. Les nouveaux styles sont d’abord ceux des concessions étrangères (de style « colonial »), avant d’adopter les styles occidentaux européens (dits anglais, français, allemand)8. À Tokyo, ce sont ces derniers que l’on apprend à concevoir à l’École supérieure d’ingénierie (Kōbu daigakkō 工部大学校), qui sera intégrée dans l’université impériale (Teikoku daigaku 帝国大学) en 1886. Dès la création de cette école en 1877, des conseillers étrangers (oyatoi gaikokujin 御雇い外国人), recrutés par l’État japonais, y assurent l’enseignement.

6Parmi ces personnes employées pour permettre de moderniser le pays grâce aux savoirs et techniques venus d’Occident, nombreux sont ceux qui s’intéressent à l’Orient, attirés par les charmes de la culture japonaise ou suivant simplement l’intérêt grandissant de l’Occident pour le Japon. Parmi eux, des personnalités comme Ernest Fenollosa et Edward Morse (1838-1925), tous deux enseignants à l’université de Tokyo, vont participer à de nouvelles études sur le patrimoine japonais, en compagnie d’orientalistes locaux (Marquet 2002 : 270-275). Au Japon, les débuts de l’enseignement de l’architecture ne sont pas différents, par exemple, de ceux de l’archéologie, les premiers professeurs ayant été des « conseillers étrangers » (Nespoulous 2004 : 6-7), et l’on doit d’ailleurs à l’un d’entre eux, le zoologue Edward Morse, une première étude sur la maison japonaise en 1885 (Morse 1961).

7À l’École supérieure d’ingénierie, le jeune architecte anglais Josiah Conder (1852-1920) forme toute une génération à l’architecture de style occidental, tout en publiant, en anglais, des ouvrages sur les jardins japonais (Fiévé 2013 : 20-45). Les savoirs et techniques japonais ne seront pas enseignés à l’université impériale de Tokyo avant la fin des années 1880.

8Dans le texte d’une conférence présentée le 15 avril 1936 à l’université impériale de Tokyo, « Mes motivations pour l’étude du Hōryūji », Itō Chūta explique comment il a été amené à étudier l’architecture japonaise, en revenant sur sa formation (Itō 1940). En 1889, lorsqu’il intègre le département d’architecture – qui porte alors le nom de Zōka gakka 造家学科 (Département de construction des maisons) –, il se passionne pour l’histoire de l’architecture. À cette époque, on y enseigne principalement l’histoire de l’architecture occidentale, sous la direction du professeur Kojima Noriyuki 小島憲之 (1855-1918). Les cours d’histoire sont également assurés par Tatsuno Kingo 辰野金吾 (1854-1919), par Nakamura Tatsutarō 中村達太郎 (1860-1942) et par l’Anglais Josiah Conder. Il n’y a pas de chaire d’enseignement de l’histoire de l’architecture japonaise, mais, à partir de 1889, un cours sur l’architecture japonaise (Nihon kenchikugaku 日本建築学) est dispensé par le maître charpentier (tōryō 棟梁) Kiko Kiyoyoshi 木子清敬 (1845-1907).

9La famille Kiko était en charge de la restauration des bâtiments pour la cour impériale. Kiko, maître charpentier au service du ministère de la Maison impériale (Kunaishō 宮内省), enseigne pendant deux années (1889-1891) les techniques japonaises à l’école d’architecture de l’université impériale. Il est également consulté pour la restauration des sanctuaires du Tōshōgū 東照宮 de Nikkō et du monastère Tōdaiji 東大寺 de Nara. Le cours de Kiko est principalement technique – il traite des caractéristiques formelles et stylistiques ainsi que des systèmes de proportion (kiwarihō 木割法) du sanctuaire shintō (jinja 神社), du temple bouddhique (butsuji 仏寺), de l’architecture palatiale (kyūshitsu 宮室) – ce n’est pas un cours d’histoire (Itō 1940).

10Selon Itō Chūta, il semblerait que ce soit Tatsuno Kingo, un des premiers architectes formés à l’architecture occidentale par Josiah Conder, qui ait insisté pour que l’architecture japonaise soit également enseignée à l’université. En 1879, Tatsuno, suivant les pas de son maître, Conder, part travailler à Londres dans l’atelier de William Burges (1827-1881). Il restera quatre années en Europe. Burges était un amateur d’art oriental. C’est lui-même qui avait proposé à Conder de partir pour le Japon en 1877. Espérant trouver en Tatsuno des réponses à ses nombreuses questions sur les « choses japonaises », Burges se rend compte que ce Japonais ne connaît pratiquement rien de ses propres traditions. Selon Itō, Burges aurait alors dit à Tatsuno qu’avant d’étudier l’architecture occidentale, il lui faudrait d’abord connaître l’architecture de son pays (Itō 1940). De retour au Japon, dès qu’il a la possibilité d’orienter l’enseignement de l’histoire de l’architecture, Tatsuno recrute Kiko Kiyoyoshi.

  • 9 Sur cet auteur, on citera Wilhelm Lübke (1855).
  • 10 L’ouvrage étudié est : James Fergusson, History of Architecture, 3 vol., 1874-1875 (Kishida 1945 : (...)

11La génération d’Itō est donc la première à être initiée à l’architecture japonaise. La formation théorique, en histoire de l’art et en esthétique, est néanmoins fondée sur les doctrines d’auteurs occidentaux. En architecture, le seul livre alors disponible est l’ouvrage illustré de Christopher Dresser (1834-1904), Japan: its Architecture, Art, and Manufactures (Dresser 1882). Pendant ses premières années d’étude, Itō, qui a appris l’allemand au lycée, lit notamment les ouvrages sur l’histoire « mondiale » de l’architecture de Wilhelm Lübke (1826-1893)9. Il étudie l’Esthétique (1878) d’Eugène Véron (1825-1889), dans sa traduction par Nakae Chōmin 中江兆民 (1847-1901), I-shi bigaku 維氏美学 (Nakae 1883-1884). On sait par ailleurs que le cours d’histoire de l’architecture à l’université impériale s’appuie sur l’histoire de l’architecture de James Fergusson (1808-1886)10, spécialiste de l’Inde ; certains des termes employés par Itō pour désigner l’architecture orientale proviennent de là.

  • 11 Itō se réfère à Owen Jones, Grammar of Ornaments, Londres, Bernard Quaritch, 1856. Voir Fujimori (1 (...)

12Le mémoire de fin d’études d’Itō, Kenchiku tetsugaku 建築哲学 (La philosophie de l’architecture, 1892), est le premier essai de théorie architecturale écrit au Japon. À une époque où l’architecture est souvent réduite à ses plus simples aspects constructifs et où la notion même d’architecture reste encore à définir, le point de vue d’Itō vise à intégrer sa dimension artistique par l’emploi du néologisme « architecture artistique » (bijustu kenchiku 美術建築). Dans son mémoire, il aborde cette question en usant consciemment des termes issus de l’esthétique occidentale, comme « proportions », « harmonie », « inconscient », « esprit », empruntés à l’architecte et critique d’art anglais Owen Jones (1809-1874)11 et qu’il retranscrit en katakana :

  • 12 『美術建築ノ本旨ハ即チ建築ノ「プロポーション」及「ハルモニー」ヲ求ムルニ在リ、美ノ真相ヲ看破シ之ヲ線条ト色彩トニ現ハスニ在リ、所謂自然界ノ「アンコンシァス、スピリット」ヲ看破シ、無機性ノ材料ヲ以テ能 (...)

Le fondement de l’architecture artistique est la recherche des « proportions » et de l’« harmonie » de l’architecture. Cela consiste à saisir la beauté et à la représenter par des lignes et des couleurs. Cela revient à saisir ce qu’on appelle l’« esprit inconscient » du monde naturel afin d’en développer la vitalité organique, à partir de matériaux inorganiques. (Itō 1892)12

13Dès ses premiers écrits, l’intention d’Itō Chūta est de considérer l’architecture non pas seulement comme une discipline technique permettant de « construire », mais également comme une discipline artistique. Il considère que, en apportant des qualités artistiques et esthétiques et en dépassant le simple aspect matériel (ou « inorganique ») de ses constituants, l’architecture va pouvoir révéler de réelles valeurs spirituelles. L’architecture religieuse serait alors la plus à même d’illustrer ce propos.

L’étude de l’architecture ancienne

14Itō commence son doctorat en 1892. Son thème d’étude est l’architecture japonaise et il est même le premier étudiant à s’engager dans cette « nouvelle » voie. Cette vocation est donc le premier aboutissement d’une nouvelle orientation apportée par Tatsuno Kingo, qui avait justement recruté Kiko Kiyoyoshi pour initier les jeunes architectes japonais aux techniques de l’architecture ancienne. Dans la conférence de 1936, il écrit que son engagement avait aussi une dimension « patriotique » : redécouvrir l’architecture japonaise (Itō 1940). Pendant ses études doctorales, Itō est chargé de cours à l’École des beaux-arts (Tōkyō Bijutsu gakkō 東京美術学校) dirigée par Okakura Tenshin. Il enseigne l’histoire de l’architecture occidentale et l’ornementation (comme le faisait Conder), mais, à la demande d’Okakura, il commence à donner des cours sur le Japon. Okakura est l’un des membres de la commission en charge de l’inventaire des trésors nationaux et il introduit Itō dans le réseau des spécialistes de l’Orient.

15À l’université, les recherches d’Itō portent principalement sur les vestiges (ikō 遺構) de l’architecture ancienne, mais également sur des documents écrits (bunken 文献). Il choisit d’étudier le Hōryūji de Nara qu’il a découvert pour la première fois en 1891 (Meiji 24) lors d’un voyage d’étude à Kyoto et à Nara, sous la direction de Kiko. Dans son journal Ukiyo no tabi 浮き世の旅 (Voyage dans le monde flottant), il décrit sa première impression du Hōryūji :

  • 13 « 本堂ノ内ニ入リ見レバ柱ニハ「エンタシス」アリ「カピタル」様ノ斗アリ頗ル西洋風アリ即チ知ルコレ印度ノ建築法ヲ直寫セシモノニシテ西洋モ元来印度ヨリ建築ヲ輸入セシコトヲ須弥壇ノ繪様モ亦タ希臘、アッシリ (...)

Lorsque l’on pénètre à l’intérieur du bâtiment principal, le Hondō 本堂 [c.à-d. le Kondō], on peut voir que les colonnes ont une « entasis » [elles sont galbées] et que les consoles d’encorbellement sont en forme de « chapiteaux », ce qui est très occidental. C’est une copie directe des méthodes indiennes, elles-mêmes originellement importées de l’Occident. Les motifs décoratifs de l’autel du Vénéré principal [sumidan 須弥壇] ressemblent vraiment à des motifs grecs ou assyriens. (Nara, 23 juillet 1891)13

16Dans son premier article en tant qu’étudiant de doctorat, « Hōryūji kenchikuron » (Une étude architecturale du Hōryūji), Itō développe certaines des théories qui émergent à cette époque, et qui sont toujours sujettes à controverse aujourd’hui. Il considère que certaines formes artistiques de l’architecture (kenchiku bijutsu 建築美術) se sont transmises, en même temps que la culture bouddhique, le long de la route de la soie, par la Chine et la Corée, en partant des frontières occidentales de l’Asie, jusqu’au Japon de l’époque Nara. La trace de cette origine, trouvée dans l’architecture et l’art du Hōryūji, est d’abord annoncée par les historiens qui font l’inventaire des trésors nationaux à partir de 1888 dans la région du Kansai. Parmi eux, Kuki Ryūichi 九鬼隆一 (1852-1931) – le père du philosophe Kuki Shūzō 九鬼周造 (1888-1941) –, responsable de l’inventaire, Okakura Tenshin, Ernest Fenollosa, William Bigelow (1850-1926) et Edward Morse.

  • 14 Le terme employé par Itō (gurīku injian グリークインヂアン ou girisha indoha 希臘印度派) se réfère à la classific (...)
  • 15 « これが[エンタシス]漢式の感じを現わしているのでないことは確かなように思う。 » (Watsuji  979 : 230).

17Itō Chūta s’appuie en partie sur les recherches de James Fergusson (Itō 1893 : 320) concernant l’art bouddhique « gréco-indien14 » de la région du Gandḥārā (nord-ouest du Pakistan), une région qui a été, à partir de l’expédition menée par Alexandre le Grand (ive siècle av. J.-C.) en Asie centrale, un lieu de confluence des civilisations indienne, perse et hellénistique. Le Hōryūji est l’un des premiers exemples d’architecture bouddhique japonaise et, par extension, l’un des principaux monuments représentatifs de l’architecture japonaise elle-même ; le fait qu’il puisse être le résultat d’un contact avec la civilisation indo-européenne semble avoir été un argument particulièrement apprécié à cette époque, et même plus tard. Claude Eugène Maitre (1876-1925) exprime néanmoins un avis assez différent sur cette question, lui qui reconnaît que le Hōryūji peut « être considéré non seulement comme le prototype des temples disparus du Yamato […], mais encore comme une reproduction fidèle des temples coréens et chinois du vie siècle » (Maitre 1901 : 6). En 1919, dans son Pèlerinage aux temples anciens (Koji junrei 古寺巡礼), le philosophe Watsuji Tetsurō 和辻哲郎 (1889-1969) estime quant à lui que l’architecture du Hōryūji est davantage influencée par l’esthétique grecque (et occidentale, seihō 西方) que chinoise. Cette influence n’apparaît pas seulement à travers l’entasis de ses colonnes – qui ne représenteraient certainement « pas le sentiment d’un style chinois15 » –, mais également dans sa structure générale et ses dispositions (kibun 気分, Watsuji 1979 : 230). Il estime même que, sous certains aspects – notamment son « esprit artistique » (geijustuteki seishin 芸術的精神) – cette architecture exprime une tendance « non chinoise » (hishinateki 非シナ的, Watsuji 1979 : 231). Le fait de chercher à définir les caractéristiques de l’architecture japonaise à partir de ce qui la distingue de la Chine est d’ailleurs, comme le remarque Doi Yoshitake, une logique assez répandue dans l’histoire de l’architecture japonaise (Doi 2014 : 193-195).

Fig. 1. Dessin d’Itō Chūta, comparaison entre les proportions d’un temple étrusque (à gauche) et de la porte centrale du Hōryūji (à droite).

Fig. 1. Dessin d’Itō Chūta, comparaison entre les proportions d’un temple étrusque (à gauche) et de la porte centrale du Hōryūji (à droite).

D’après Itō (1893 : 328).

18Le dessin le plus célèbre d’Itō Chūta est probablement celui dans lequel il compare les proportions de la porte centrale du Hōryūji avec celles d’un temple étrusque (fig. 1, Itō 1893 : 328), dont l’architecture serait semblable à celle des temples construits dans l’ancien royaume du Gandḥārā. Cette hypothèse n’est pas une invention d’Itō, elle était déjà en vogue à l’époque. Ernest Fenollosa évoque également les fresques « gréco-bouddhiques » peintes à l’intérieur du Kondō 金堂, le Pavillon d’or du Hōryūji, comme étant « dérivées du Gandḥārā » ainsi qu’une « réelle, bien qu’éloignée, relation génétique (...) avec les fresques classiques retrouvées à Pompéi » (Fenollosa 2007, vol. 1 : 127). Claude Eugène Maitre ne va pas si loin dans sa description des fresques du Kondō, mais il y voit des détails qui sont « une influence directe de l’art hindou ». Il pense que ces représentations sont, malgré certaines réserves, « de la même famille que les célèbres fresques d’Ajantâ », et qu’un courant d’influence hindoue, « postérieur au premier art bouddhique chinois (…), s’est propagé avec une rapidité assez grande pour arriver au Japon presque dans sa pureté originelle » (Maitre 1901 : 18-19). Quant à l’influence grecque, Maitre explique qu’elle vient effectivement de la transmission du bouddhisme qui, en passant par la Corée, « arrivait directement [au Japon] de cette partie septentrionale de l’Inde, où une dynastie indo-scythe, héritière de la dynastie gréco-bactrienne avait fondé (…) le royaume du Gandhâra ». Davantage que pour l’architecture, Maitre estime que l’influence de l’art gréco-bouddhique est surtout visible dans la sculpture car, au Gandḥārā, « des artistes grecs furent employés à sculpter des divinités bouddhiques : ils furent même les premiers, sans doute par indifférence religieuse, à oser représenter le Bouddha lui-même, dont l’image gardera toujours quelques traces de cette origine hellénique » (Maitre 1901 : 24). Et il conclut ce paragraphe par cette question :

N’est-il pas étrange de songer que cette Grèce, foyer commun des arts de toutes les nations européennes, a fait sentir le rayonnement de sa chaleur et de sa lumière jusqu’aux confins extrêmes de l’Asie, jusque dans cette île lointaine que sa situation et son isolement paraissaient devoir soustraire à toute influence des civilisations de l’Occident ? (Maitre 1901 : 25)

  • 16 Inoue Shōichi a consacré une étude à cette fascination pour le Hōryūji. Il fait d’ailleurs remarque (...)

19Sur l’art du Hōryūji, le prédécesseur de Maitre au poste de directeur de l’École française d’Extrême-Orient, l’indianiste Alfred Foucher (1865-1952), reconnaît également que l’« on puisse retrouver çà et là des traces appréciables, parfois mêmes frappantes, de l’influence classique » (Foucher 1905-1951, t. 2, fasc. 2 : 668). Itō Chūta essaie d’apporter un argument tangible, mesuré et calculé, à cette hypothèse. Le galbe esthétique de l’architecture classique gréco-romaine, l’entasis qui apparaît dans les colonnes de la porte centrale du Hōryūji, serait donc la preuve de cette relation qui lie l’architecture japonaise à la civilisation grecque, le berceau de la culture européenne. Aujourd’hui encore, les dictionnaires usuels (comme le Kōjien) et les manuels d’histoire japonais reconnaissent que les colonnes du Hōryūji possèdent cet entasis et, souvent, on considère que cette forme provient d’une lointaine influence grecque16.

Le Hōryūji : quintessence de l’architecture japonaise ?

20Maintenant que nous avons dressé, en quelques traits, le contexte dans lequel Itō Chūta étudia l’architecture du Hōryūji, essayons d’entrer plus en détail dans la lecture et l’interprétation de son essai « Hōryūji kenchikuron ». Dans l’introduction de cette étude (voir texte ci-dessous), on peut voir comment l’auteur justifie sa recherche et expose son point de vue. Itō insiste sur le fait que le Hōryūji, un des bâtiments en bois les plus anciens au monde qui ont été conservés, si ce n’est le plus ancien, représente la quintessence de l’art oriental et l’origine de l’architecture japonaise. Il appuie sa démonstration, d’une part, sur le point de vue des « historiens de l’art occidentaux », et d’autre part, sur les études architecturales, dorénavant considérées comme faisant partie des beaux-arts. Il se positionne dans la lignée de ces études récentes, qui donnent une certaine légitimité à son travail, témoignant à la fois de l’intérêt qu’y porte l’université impériale, mais également de sa reconnaissance comme patrimoine « universel ». Son texte débute de la manière suivante :

L’architecture japonaise atteint son apogée à l’époque de Nara. Le savoir-faire architectural [kenchiku jutsu 建築術] de cette époque apparaît pendant le règne de l’impératrice Suiko [r. 593-628, époque d’Asuka, c. 538-710] et nous pouvons considérer que le Hōryūji en représente l’exemple le plus abouti. Ainsi, il n’est pas illégitime de rechercher l’origine de l’architecture japonaise dans le Hōryūji. De plus, de par ses dimensions et ses procédés techniques, cet édifice représente la quintessence de l’art oriental et l’aboutissement formel d’une école architecturale. Le Hōryūji est donc une architecture hors du commun qui mérite toute notre attention.

Le nom du Hōryūji nous est connu depuis que les historiens de l’art occidentaux, comme MM. Bigelow et Fenollosa, ont estimé que les sculptures et les fresques découvertes à l’intérieur de ce temple sont des œuvres d’art d’une qualité exceptionnelle. La renommée du Hōryūji tient, d’une part, à leur curiosité, laquelle a donné lieu à des spéculations contradictoires, mais également au fruit de leurs minutieuses observations. Depuis l’établissement du Bureau pour l’inventaire des trésors nationaux [Zenkoku hōmotsu torishirabe-kyoku 全国宝物取調局], la région de Nara est devenue le centre de l’art antique japonais et le Hōryūji, avec le Tōdaiji 東大寺, le siège même de cet art. C’est ainsi que le nom du Hōryūji a enfin pu devenir universellement reconnu.

Le Hōryūji doit sa renommée à ses sculptures et à ses fresques, car elles font partie de la catégorie des beaux-arts, et l’on reconnaît à son architecture le mérite d’abriter ces œuvres. Mais, pendant longtemps, on ne s’est guère intéressé à cette architecture en soi ; pour la plupart des gens, si la peinture et la sculpture font évidemment partie des beaux-arts, ce n’est pas le cas de l’architecture.

Néanmoins, il a récemment été admis que l’architecture entre dans la catégorie des beaux-arts et, aujourd’hui, les expressions « art architectural » [kenchiku bijutsu] ou « architecture artistique » [bijustu kenchiku] sont même employées sans modération. Nous devons désormais nous appliquer à révéler les raisons pour lesquelles l’architecture est véritablement un art. Les personnes qui se dévouent aux études d’architecture doivent de toute urgence s’efforcer d’éduquer à la fois les personnes qui admettent l’architecture au rang des arts, sans vraiment en comprendre les raisons, et ceux qui défendent l’idée que l’architecture n’en est pas un : c’est cette voie que doivent prendre les études d’architecture.

L’université impériale, de par l’intérêt particulier qu’elle porte à cette question, a choisi de s’occuper du Hōryūji, en demandant d’en faire le relevé et d’en dresser les plans et élévations, afin de pouvoir révéler ses qualités esthétiques et de permettre ainsi que sa forme puisse être éternellement transmise, avant que l’édifice ne tombe en ruine. Malgré nos modestes compétences, nous avons eu l’honneur d’être missionné par l’université impériale pour réaliser le relevé du Hōryūji et de pouvoir présenter ici l’architecture du Hōryūji à partir de ces résultats. Nous nous excusons au préalable auprès de nos prédécesseurs pour les éventuelles erreurs que nous aurions pu commettre et nous les remercions par avance d’en corriger les défauts.

Les ouvrages de référence que nous avons pu consulter sont peu nombreux et nous n’avons trouvé aucun document présentant un caractère exhaustif. Néanmoins, nous pouvons citer les deux titres suivants : les Extraits des inventaires anciens et modernes [Kokon mokurokushō 古今目録抄] et l’Inventaire officiel des biens du Hōryūji [Hōryūji shiki ryūzaichō 法隆寺資記流財帳 (sic) ou Hōryūji ruki shizaichō 法隆寺流記資材帳, abréviation pour Hōryūji garan engi narabi ni ruki shizaichō 法隆寺伽藍縁起并流記資財帳]. À part cela, on ne peut se référer qu’à l’Étude sur l’architecture du Hōryūji [Hōryūji kenchiku-setsu 法隆寺建築説, Kurokawa 1890] de M. Kurokawa Mayori 黒川眞賴 et aux archives des temples [jiin kiroku 寺院記録] inventoriées lors des études de terrain réalisées dans le département de Nara. Quant aux documents historiques transmis dans les monastères [jiden 寺伝] et aux récits oraux [kōhi 口碑] des personnes âgées du village, ils ne constituent pas des documents fiables sur lesquels on puisse fonder une recherche.

On peut considérer qu’il n’existe plus aucun dessin [zuga 図画] d’architecture original du Hōryūji auquel on puisse se référer. Ayant entendu dire qu’une personne possédait les plans du pavillon d’or [kondō 金堂] et de la pagode [ou « tour », tōba 塔婆], nous lui avons demandé l’autorisation de les consulter. En comparant ces plans à ceux des bâtiments existants nous avons pu constater qu’ils étaient très éloignés de la réalité et qu’ils étaient, en fait, d’une nature complètement différente. Nous pensons qu’ils ont pu être jadis esquissés par un charpentier [kōshō 工匠], à partir d’une observation superficielle de l’architecture du Hōryūji. En dehors de ces deux documents, on peut estimer qu’il n’existe aucun autre dessin, bon ou mauvais. Bien qu’il nous manque des sources documentaires pour réaliser cette étude, nous pouvons néanmoins être sûr d’arriver à quelque résultat.

Le Hōryūji se compose de plusieurs bâtiments. Nous n’avons dressé le relevé que de trois d’entre eux : la porte centrale [chūmon 中門], la pagode [tōba] et le pavillon d’or [kondō]. Ces trois constructions semblent avoir été érigées à la même époque, leurs formes et leurs procédés techniques sont similaires : elles appartiennent à une école dite de « style Hōryūji » [Hōryūji shiki 法隆寺式]. Les autres constructions seront examinées à l’occasion d’une prochaine étude, avec le soutien de l’université impériale. (Itō 1893 : 318-319)

  • 17 La découverte, en 1938, des vestiges du Wakagusa garan 若草伽藍, atteste du fait que le monastère const (...)
  • 18 Itō précise par ailleurs que, « le terme garan 伽藍 vient du sanscrit sangharama (temple). Les Chinoi (...)

21Déjà, dans les années 1890, les archéologues se disputent sur les dates de construction et de reconstruction du monastère. Dans leur « Étude sur l’architecture du Hōryūji » (Hōryūji kenchiku-setsu), les philologues Kurokawa Mayori (1829-1906) et Kosugi Sugimura 小杉榲邨 (1835-1910) considèrent que le monastère a été entièrement détruit par le feu, puis reconstruit au viiie siècle, pendant l’ère Wadō 和銅 (708-715). D’autres historiens, comme Claude Eugène Maitre, estimeront que le Hōryūji est le seul monastère a avoir été préservé dans son état originel depuis la fin du vie siècle (Maitre 1901 : 6). C’est plutôt cette thèse qu’épouse Itō Chūta. Considérant qu’il n’existe aucun document historique fiable, que les différentes sources relatent des événements incohérents, il décide de s’en tenir à une méthode d’analyse architecturale – laquelle a pour objectif de démontrer que, même si le bâtiment a dû être reconstruit au viiie siècle, il aurait alors été reconstruit selon le style originel de l’époque précédente (Itō 1893 : 322). Les conclusions d’Itō seront plus tard étayées par l’étude de l’historien de l’architecture Sekino Tadashi 関野貞 (1868-1935) sur la « non-reconstruction » (Sekino 1905) du Hōryūji, mais les historiens estiment aujourd’hui que le monastère a vraisemblablement été détruit et reconstruit entre la fin du viie et le début du viiie siècle17. La méthode d’Itō est fondée sur l’interprétation du style, il s’appuie sur l’analyse des plans, des élévations et des proportions des bâtiments, ainsi que sur certaines méthodes, règles techniques et détails constructifs, comme la question de la courbure des toitures et du galbe des colonnes (entasis). La première partie de son travail consiste d’abord à dresser un relevé des dimensions des trois édifices principaux du monastère (garan 伽藍)18 : la porte centrale (chūmon), la pagode (tōba) et le pavillon d’or (kondō) (voir fig. 2.1).

Fig. 2. 1 & 2. 2. Plans du Hōryūji garan.

Fig. 2. 1 & 2. 2. Plans du Hōryūji garan.

Sur le plan masse (fig. 2. 2), les pointillés indiquent la position du premier monastère achevé au début du viie siècle, le Ikaruga-dera 斑鳩寺 (ou Wakakusa-dera 若草寺).

Dessins adaptés de Nihon kenchiku gakkai, dir. (2002 : 9).

Fig. 3. Photographie du monastère Hōryūji (Hōryūji garan 法隆寺伽藍). De gauche à droite, le pavillon d’or (kondō 金堂), la porte centrale (chūmon 中門) et la pagode (tōba 塔婆).

Fig. 3. Photographie du monastère Hōryūji (Hōryūji garan 法隆寺伽藍). De gauche à droite, le pavillon d’or (kondō 金堂), la porte centrale (chūmon 中門) et la pagode (tōba 塔婆).

D’après Itō (1940b).

22Dans le chapitre suivant, sur « la place du Hōryūji dans le monde de l’architecture » (kenchikukai ni okeru Hōryūji no ichi 建築界に於る法隆寺の位置), Itō aborde la question de la transmission du style gréco-indien en suivant la propagation du bouddhisme indien et, sous son influence, de la construction de temples et de pagodes. Il estime que les origines de l’art japonais sont dérivées de ce style venu d’Inde qui aurait été transmis selon deux itinéraires différents : par la Corée, puis directement par la Chine. Il écrit :

Nous pensons que ce style a suivi deux itinéraires : le premier itinéraire est celui du style Suiko [Suiko shiki 推古式] qui a été transmis par le peuple de Paekche [jap. Kudara 百済] à travers le territoire des trois confédérations coréennes, Samhan 三韓 [ier s. av. J.-C. - ive s.] ; le deuxième itinéraire est celui du style Tenji [de l’empereur Tenji 天智, r. 668-682], directement importé de la Chine, suivi par le style Tenpyō [729-749]. Nous nommerons le premier style Samhan [jap. Sankan shiki 三韓式] et le second style Tang [jap. Tō shiki 唐式]. (Itō 1893 : 327)

23Selon Itō Chūta, le style Suiko aurait donc donné naissance à l’architecture du Hōryūji, importée de Corée en même temps que la civilisation bouddhique « gréco-indienne » – laquelle serait arrivée au Japon par ce que Maitre appelait la « route du nord », la Chine du Nord étant en contact avec l’Inde et l’Afghanistan actuel. Le Hōryūji serait donc le dernier monument représentant le style Suiko :

Où pouvons-nous encore, aujourd’hui, voir un exemple du style Suiko ? Quand on tente de remonter à l’origine de ce style, on se tourne vers l’Asie Centrale, qui est maintenant déserte à l’exception des ruines des anciennes cités [kojō 古城], et l’on remarque que le style originel de l’Inde n’a laissé aucune trace, que les styles des trois confédérations coréennes [Samhan] et de Mongolie sont ensevelis sous des milliers de sédiments et que seul le style classique occidental erre encore en Asie entre des moments de présence et d’absence. Cependant, par un heureux hasard, l’architecture Suiko, en tant que quintessence des styles précédents, a atteint les sommets de l’architecture de style magusa [construction soutenue par un linteau, magusa 楣] et elle se dresse encore aujourd’hui, solitaire et archaïque, aux environs de l’ancienne capitale Nara : sous la forme du Hōryūji. Là est bien la valeur essentielle de ce temple dans le monde de l’architecture et c’est pour cela que nous devons reconnaître que le Hōryūji occupe une des places les plus importantes dans l’histoire et dans l’histoire de l’art. Cette architecture est d’autant plus intéressante que ses formes conservent manifestement des dimensions de style chinois, quelques traces de style indien et, de surcroît, un héritage du style grec.

24Itō présente ensuite les documents qu’il a étudiés, notamment les archives des temples du département de Nara, l’Étude sur l’architecture du Hōryūji (Kurokawa 1890), qui se fonde notamment sur les Annales du Japon (Nihon shoki 日本書記, 720) – ainsi que sur de nombreuses chroniques anciennes compilées dans l’Histoire nationale méthodologiquement classée (Ruijū kokushi 類聚国史, 892) – et la Chronologie des sept grands temples (Shichidaiji nenpyō 七大寺年表, 1165). La démonstration savante d’Itō a principalement comme objectif de montrer la relative incohérence de ces documents quant aux dates de construction, de destruction et de reconstruction du Hōryūji et, tout en considérant qu’il s’agit d’un débat de spécialistes, il aborde ensuite son analyse architecturale proprement dite.

25L’objectif de l’analyse d’Itō Chūta est de définir les caractéristiques d’une « école » (ryūha 流派) architecturale dite de style Suiko. Nous n’entrerons pas ici dans les détails techniques de cette longue analyse. La première partie de la conclusion résume, en 24 points, les caractéristiques communes aux trois bâtiments étudiés (kondō, tōba et chūmon). Itō compare notamment le plan de ce monastère avec celui d’autres monastères formés de plusieurs édifices, appelés garan, parmi lesquels les sept temples – le Shitennōji 四天王寺 (Osaka), le Saidaiji 西大寺, le Tōshōdaiji 唐招提寺, le Yakushiji 薬師寺, le Kōfukuji 興福寺 (Nara), le Kōryūji 広隆寺 et le Tōji 東寺 (Kyoto) – créés à la même époque par le prince Shōtoku (Shōtoku taishi 聖徳太子, 574-622), neveu de l’impératrice Suiko.

26Dans la seconde partie de sa conclusion, Itō évoque le sort de ces temples, qui sont alors dans un bien triste état :

Avec sagesse, Shōtoku taishi a interprété les principes fondamentaux [hongi 本義] du bouddhisme et a finalement fondé sept temples. Après plus d’un millier d’années, ces temples sont néanmoins proches d’un état de décomposition ; les pagodes sont inclinées, les pavillons sont en ruine, les toits sont recouverts d’herbes folles, les colonnes sont putréfiées et dégagent une odeur fort désagréable.

27Par contraste, Itō suggère que le Hōryūji semble avoir mieux survécu à l’épreuve du temps :

Le Hōryūji est le seul temple a avoir conservé son apparence ancienne et la mémoire d’un passé datant d’un millier d’années. Sa teinte archaïque, sa forme singulière, ses techniques curieuses forment un tout et se répondent pour prendre une splendide apparence. Ce n’est pas par hasard que nous pouvons considérer le Hōryūji comme un temple unique au monde. En Occident, la haute tour gothique, qui s’élève au-dessus des nuages, se distingue par son extrême beauté. Les palais Renaissance, augustes et gracieux, se distinguent également par leur beauté. De par ses dimensions, l’architecture occidentale l’emporte sur l’architecture orientale. De par son ornementation, elle la surpasse également. De par sa diversité, elle lui est également bien supérieure. Pourtant, il faut remarquer que la beauté de l’architecture orientale ouvre de nouvelles voies et déploie de nouvelles formes dans le domaine de l’architecture. Cette beauté ne vient pas de l’envergure de ses dimensions, ni de la somptuosité de son ornementation, ni même de sa profonde délicatesse. Elle vient du fait que sa forme et ses techniques conservent un juste équilibre. Le juste équilibre est souvent considéré à tort comme de la médiocrité. Mais il faudrait essayer de rechercher les qualités esthétiques correspondant à ce point de vue. Cela semble d’une grande complexité. On se plaît à comparer les arts orientaux aux arts occidentaux, mais les milieux naturels [fūdo 風土] et les goûts orientaux sont différents de ceux de l’Occident. Par quels moyens peut-on donc comparer leurs beautés respectives ? L’architecture du Hōryūji est un bon exemple du style magusa. Alors pourquoi ne pas affirmer qu’à ce titre le Hōryūji est lié d’une manière latente à l’architecture de style grec.

En conclusion : l’invention d’une architecture japonaise « mondiale »

28À la lecture de l’étude d’Itō Chūta, il apparaît assez clairement que ce qu’il définit comme étant des caractéristiques spécifiques au Hōryūji, ce qui en fait à la fois « un temple unique au monde », mais également un exemple particulier au sein de l’architecture japonaise, lui permet de démontrer que cette architecture « est liée d’une manière latente à l’architecture de style grec ». Itō entend également montrer que si son apparence générale, ses dimensions, sa forme et ses procédés techniques sont peu comparables à ceux de l’architecture occidentale – gothique ou renaissance – cette filiation doit donc être d’un ordre différent. L’étude d’Itō cherche à prouver, à partir d’une analyse précise des détails architecturaux, ce que les documents historiques ne peuvent attester, c’est-à-dire l’origine exacte des techniques architecturales mises en œuvre dans le Hōryūji. Il est néanmoins aujourd’hui admis que les bâtiments qui forment le monastère (garan) du Hōryūji sont probablement différents (voir fig. 2. 2) de ceux originellement construits entre la fin du vie et le début du viie siècle.

29À maintes reprises dans son texte, Itō Chūta précise qu’il ne peut pas prétendre, par sa seule étude architecturale, démontrer un fait historique, et que son travail demande à être soumis à l’avis « des plus érudits ». Son étude participe d’un processus d’invention – consciente ou non – d’une tradition (Hobsbawm & Ranger 2006), à une époque où la continuité historique avec le passé n’est plus assurée. Ses propos se font l’écho de diverses recherches sur les origines de l’art japonais et sur l’identité de l’architecture japonaise. Il poursuit, dans le domaine des études architecturales, les travaux d’orientalistes japonais et occidentaux, et cherche également à se distinguer, dans la forme et la démarche scientifique, des travaux d’historiens de l’art. L’invention d’une architecture japonaise « orientale » est liée à la représentation du Japon en tant que grande puissance impériale en Asie. Itō participe donc, en tant qu’architecte, aux mesures politiques instituées par l’État japonais, pour lequel l’institution d’un shintō d’État, puis la construction de nouveaux sanctuaires shintō dans les grandes villes japonaises et dans ses colonies en Asie, à Taiwan, en Corée, en Mandchourie, est liée à la volonté de se démarquer des puissances occidentales pour créer un empire colonial d’origine orientale.

30On sait par ailleurs, d’après sa conférence de 1936 (Itō 1940), qu’Itō s’était fixé comme objectif d’achever son étude architecturale du Hōryūji – notamment le travail sur le terrain – en une année, car il est déjà engagé dans d’autres tâches : le projet de construction du Heian jingū, en collaboration avec Kiko Kiyoyoshi, pour l’Exposition industrielle nationale à Kyoto, et des activités au sein du Bureau pour l’inventaire des trésors nationaux puis dans la commission qui aboutira en 1897 à la rédaction de la loi de Conservation des anciens sanctuaires et temples (Koshaji hozon-hō 古社寺保存法). Pour Itō Chūta, l’étude du Hōryūji, et de l’architecture japonaise en général, est une première étape dans sa carrière d’architecte et de chercheur, à un moment charnière de l’évolution de l’architecture moderne au Japon. Au début de l’ère Meiji, ses prises de position sur l’architecture « nationale », sur un mouvement d’architecture « historiciste » ont, d’une certaine manière, réorienté le débat sur le patrimoine architectural japonais et, dans son Étude architecturale du Hōryūji, il en appelle à « prendre des mesures concrètes » pour la protection de ce monument (Itō 1893 : 346).

31La question de la restauration de l’architecture japonaise ancienne est une des motivations principales d’Itō Chūta, mais les enjeux d’un tel programme vont dépasser cet objectif. En définissant une architecture « japonaise » dont la généalogie est en phase avec les grandes lignes d’une histoire mondiale de l’architecture, Itō démontre qu’il existe une architecture japonaise capable de « rivaliser » avec les grands monuments de l’architecture mondiale. Alors que les Européens ont adopté une architecture « néo-classique » gréco-romaine comme symbole de leur monumentalité, que cette architecture est devenue une référence universelle pour la construction de bâtiments institutionnels dans le monde entier, l’empire colonial japonais entend également se doter d’une architecture qui reflète son passé. L’architecture japonaise décrite par Itō Chūta est à la fois liée à une histoire de l’architecture mondiale (supposée d’origine indo-européenne) et le fruit d’une évolution asiatique.

32L’historien de l’architecture Aoi Akihito, considère que « l’étude architecturale du Hōryūji » d’Itō Chūta tient à la fois d’une philosophie des Lumières, dont le but est de révéler l’esthétique du Hōryūji à partir des méthodes de l’histoire de l’art occidental – notamment l’étude des proportions et des ornementations –, et d’une approche de l’histoire qui dérive du romantisme et dont l’objectif est de positionner le Hōryūji dans l’histoire mondiale (Aoi 2001 : 17-18). Suite à son travail sur le Hōryūji, les recherches d’Itō s’orientent vers l’architecture du continent asiatique, notamment chinoise, mais son dessein principal, tel qu’il l’exprime lors des débats sur l’architecture nationale, reste toujours de définir, voire de créer, un style japonais. Dans les années 1930 et jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, Itō Chūta sera le défenseur, notamment dans les concours d’architecture nationaux où il siègera souvent comme président du jury, d’un style dit de la « coiffe impériale » (teikan yōshiki 諦冠様式). Entre la fin des années 1920 et le début des années 1940, ce style est celui qui sera appliqué à de nombreux bâtiments institutionnels (hôtels de ville, de préfecture et de région, musées nationaux) construits au Japon et dans ses colonies, à Taiwan, en Corée et en Mandchourie.

33En 1940, dans son dernier ouvrage sur le Hōryūji, Itō Chūta revient sur la définition d’un style japonais à partir des caractéristiques du Hōryūji en précisant les points qu’il considère comme essentiels :

    • 19 Kudarayō shichidō garan 百済様七堂伽藍.

    premièrement, le plan du monastère du Hōryūji est du type des monastères à sept pavillons du royaume de Paekche19, mais il n’est pas la copie d’une conception architecturale d’origine étrangère, c’est une œuvre qui a été nouvellement créée au Japon ;

  • deuxièmement, parmi l’architecture qui existe encore de nos jours, l’enceinte formée par le Kondō, la pagode, la porte centrale et la galerie périphérique possède la particularité du style fondé à cette époque, mais l’on peut y reconnaître d’importants éléments latents d’un goût originellement japonais ;

  • troisièmement, même si la structure et les principes constructifs de cette architecture ont, de par l’influence du continent asiatique, un style chinois et coréen, dans l’esprit de cette conception, il y a un élément qui se fonde sur une tradition propre au Japon ;

  • quatrièmement, même si l’on entrevoit des influences de l’Asie occidentale ou de l’Inde dans les détails et l’ornementation de l’architecture, on peut également y reconnaître la présence latente d’un goût japonais (Itō 1940b, Aoi 2001 : 30).

  • 20 Sur ce sujet, voir Lucken (2010) et Jacquet (2014 : 172).
  • 21 On se réfère ici aux catégories et aux valeurs de mémoire définies par Aloïs Riegl dans Le culte mo (...)

34Itō Chūta publie cette dernière étude sur le Hōryūji au moment où, au sein de l’Académie d’architecture du Japon, les débats s’orientent vers la définition d’une architecture représentant une monumentalité « japonaise », notamment depuis le lancement de concours nationaux pour la réalisation de monuments funéraires au Japon et dans ses colonies en Asie orientale20. Itō présente alors l’architecture du Hōryūji comme originellement japonaise, et cela avec des arguments qui sont moins objectifs et matériels que ceux qu’il employait dans son premier article, en 1893. C’est par exemple le cas lorsqu’il se réfère à un « esprit » (seishin 精神) ou à un « goût » (shumi 趣味) japonais ; et l’on peut remarquer que ce sont les mêmes arguments que ceux qui seront avancés par Watsuji en 1919. Néanmoins, malgré ce propos ambigu sur le caractère essentialiste et originel de cette architecture, une des intentions d’Itō est de montrer qu’elle peut encore être un modèle pour la conception d’une nouvelle architecture japonaise. Au-delà de sa valeur historique, au-delà du fait que ce monument puisse conserver sa forme originelle, il possède une valeur de contemporanéité, dans la mesure où il pourrait encore servir de modèle aux architectes contemporains21. Si ce discours peut paraître relativement abstrait et théorique, il convient de remarquer, comme l’a fait l’historien Fujimori Terunobu 藤森照信, que ce modèle architectural a effectivement été réinterprété, par des architectes modernistes, pour la conception d’une architecture moderne de style japonais. Itō a insisté sur les éléments qui possèdent, selon lui, d’une manière latente, une forme propre à l’espace japonais et c’est justement l’ensemble composé du Kondō, de la pagode, de la porte centrale et de la galerie, que l’architecte Tange Kenzō 丹下健三 (1913-2005) a réinterprété dans des projets urbains conçus après la seconde guerre mondiale, comme pour le concours de la Cathédrale de la Paix à Hiroshima en 1946 (Fujimori & Tange 2002 : 143).

35Si le choix du Hōryūji comme symbole de la première architecture japonaise est probablement dû à son ancienneté et, comme l’a souligné Itō Chūta, au caractère original de sa conception, on constate qu’à d’autres époques ce sont d’autres bâtiments, comme les grands sanctuaires d’Ise (Ise jingū 伊勢神宮, viiie s.) ou la villa Katsura (Katsura rikyū 桂離宮, xviie s.) qui ont servi le discours des architectes japonais. Dans l’après-guerre, ces deux bâtiments ont également été consacrés comme des œuvres comparables aux grandes figures de l’architecture mondiale. Dans le cas d’Ise, sa forme a été reproduite pour de nombreux sanctuaires construits à l’étranger, jusqu’au pavillon du Japon à l’exposition internationale de New York en 1939 (construit par Kishida Hideto). Dans le cas de Katsura, l’architecture de ses shoin 書院, a été célébrée, par de nombreux architectes – Bruno Taut, Tange Kenzō, Walter Gropius, Horiguchi Sutemi 堀口捨己, Isozaki Arata 磯崎新 – pour son essence moderne : sa transparence (entre intérieur et extérieur), la modularité de sa façade, la finesse de sa structure, c’est-à-dire des qualités qui répondent toujours aux impératifs de la création architecturale contemporaine (Jacquet 2013 : 99-139). Finalement, si l’un des objectifs de l’étude qu’Itō Chūta a consacrée au Hōryūji était de démontrer qu’une architecture japonaise – fruit de l’évolution d’un modèle architectural d’origine indo-européenne, ayant évolué au contact de la Chine et de la Corée avant d’être reconstruit au Japon – a une valeur esthétique et historique aussi importante que celle des plus grands monuments de l’architecture mondiale, et d’en justifier ainsi la restauration, son étude démontre également que le patrimoine architectural oriental est toujours une référence essentielle pour la construction de l’architecture contemporaine japonaise.

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Notes

1 Inoue Shōichi 井上章一 a consacré une étude à l’« histoire des idées sur le Hōryūji » (Inoue 1994) et Stefan Tanaka a retracé les différents discours sur la « découverte » du Hōryūji (Tanaka 2001, 2004 : 170-179). Voir également l’« histoire des études sur le Hōryūji » (Murata 1987 [1949]) de l’historien de l’architecture Murata Jirō 村田次郎 (1895-1985).

2 La thèse, publiée en l’état, est composée de trois parties qui sont autant d’articles, le premier étant « Hōryūji kenchikuron » précédé d’un erratum, voir Itō (1898 : 1-176).

3 Sur le rapport entre le Hōryūji et l’histoire de l’architecture mondiale, on se réfèrera à Aoi (2001 : 16-33).

4 Sur les sanctuaires shintō impériaux (kanpei taisha 官幣大社) construits par Itō Chūta à Taipei et à Séoul, on se réfèrera à la thèse d’Aoi Akihito 青井哲人. Pendant la période coloniale, un total de 68 et 82 sanctuaires – de tous rangs confondus, qu’ils soient administrés par l’État (kansha 官社) ou par les communautés locales (shosha 諸社) – ont été construits à Taiwan et en Corée, voir Aoi (2005 : 70-74). Du même auteur, voir également « Transplanting State Shinto » (Aoi 2014 : 97-121).

5 On citera néanmoins les travaux de Toshio Watanabe (2006) et de Stefan Tanaka (2001, 2004).

6 La dernière exposition, « Kenchikuka Itō Chūta no sekai » 建築家・伊東忠太の世界 (Le monde de l’architecte Itō Chūta), a eu lieu au musée Watarium (ワタリウム美術館) à Tokyo en 2003. Voir la publication issue des recherches et conférences données par le comité d’organisation (Suzuki 2003).

7 Depuis l’étude que lui consacre Kishida Hideto 岸田日出刀 en 1945, les historiens de l’architecture, pour la plupart diplômés de l’université de Tokyo, abordent l’œuvre d’Itō Chūta comme celle d’un pionnier de l’histoire de l’architecture japonaise. Voir Ōta (1983 : 9-19) ; Inagaki Eizō 稲垣栄三, « Kenchikushi kenkyū no hottan : Itō Chūta to Sekino Tadashi » 建築史研究の発端――伊東忠太と関野貞 (L’origine des études en histoire de l’architecture : Itō Chūta et Sekino Tadashi), dans Nihon kenchiku gakkai (1972 : 1687-1692).

8 On se réfère ici à la classification des styles donnée dans Fujimori (1993, vol. 1).

9 Sur cet auteur, on citera Wilhelm Lübke (1855).

10 L’ouvrage étudié est : James Fergusson, History of Architecture, 3 vol., 1874-1875 (Kishida 1945 : 28).

11 Itō se réfère à Owen Jones, Grammar of Ornaments, Londres, Bernard Quaritch, 1856. Voir Fujimori (1990 : 343).

12 『美術建築ノ本旨ハ即チ建築ノ「プロポーション」及「ハルモニー」ヲ求ムルニ在リ、美ノ真相ヲ看破シ之ヲ線条ト色彩トニ現ハスニ在リ、所謂自然界ノ「アンコンシァス、スピリット」ヲ看破シ、無機性ノ材料ヲ以テ能ク彼ノ有機性ノ精気ヲ発揮スルニ在リ。』 dans Kenchiku tetsugaku 建築哲学, 1892, « préface de l’auteur » (jijō 自序), Sotsugyō ronbun 卒業論文 (Mémoire de fin d’études), Tōkyō teikoku daigaku (université impériale de Tokyo), aujourd’hui conservé à la bibliothèque du département d’architecture, faculté d’ingénierie, université de Tokyo. Une version abrégée du texte est reproduite dans Fujimori (1990 : 339-399 ; citation : 342-343).

13 « 本堂ノ内ニ入リ見レバ柱ニハ「エンタシス」アリ「カピタル」様ノ斗アリ頗ル西洋風アリ即チ知ルコレ印度ノ建築法ヲ直寫セシモノニシテ西洋モ元来印度ヨリ建築ヲ輸入セシコトヲ須弥壇ノ繪様モ亦タ希臘、アッシリア等ニアル繪様トヤゝ似タリ ». Le manuscrit du journal d’Itō Chūta, Ukiyo no tabi (17 volumes), a été légué à la Nihon kenchiku gakkai et il est consultable à la bibliothèque de cet institut à Tokyo. Des extraits du journal sont cités dans Maruyama (1996 : 47) ; en langue anglaise, voir également Watanabe (2006 : 249). Nous avons cité ce passage dans Fiévé & Jacquet (2013 : 11).

14 Le terme employé par Itō (gurīku injian グリークインヂアン ou girisha indoha 希臘印度派) se réfère à la classification de Fergusson : « Greek Indian », dans History of Indian and Eastern Architecture, Fergusson 1874-1875, vol. 3.

15 « これが[エンタシス]漢式の感じを現わしているのでないことは確かなように思う。 » (Watsuji  979 : 230).

16 Inoue Shōichi a consacré une étude à cette fascination pour le Hōryūji. Il fait d’ailleurs remarquer que l’influence hellénistique sur le Hōryūji est enseignée de manière large et générale, dès le plus jeune âge, jusque dans les livres d’histoire illustrés. Voir Inoue (1994 : 6).

17 La découverte, en 1938, des vestiges du Wakagusa garan 若草伽藍, atteste du fait que le monastère construit au début du viie siècle a brûlé en 670 puis a été reconstruit pour être achevé en 711.

18 Itō précise par ailleurs que, « le terme garan 伽藍 vient du sanscrit sangharama (temple). Les Chinois l’ont traduit par sengyuan 僧園 (jap. sōen, « le jardin des moines ») et ont créé le mot sengjialanma 僧伽藍摩 (jap., sōgaranma), qui a été transmis au Japon sous le terme générique de garan » (Itō 1893 : 323). En fait, sangharama désigne le lieu où pratique la communauté des moines (sangha) ; il s’agissait, à l’origine, d’un parc, ce qui explique la traduction chinoise. Garan, en chinois comme en japonais, désigne l’ensemble des bâtiments d’un monastère.

19 Kudarayō shichidō garan 百済様七堂伽藍.

20 Sur ce sujet, voir Lucken (2010) et Jacquet (2014 : 172).

21 On se réfère ici aux catégories et aux valeurs de mémoire définies par Aloïs Riegl dans Le culte moderne des monuments (1903), (Riegl 1984).

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Table des illustrations

Titre Fig. 1. Dessin d’Itō Chūta, comparaison entre les proportions d’un temple étrusque (à gauche) et de la porte centrale du Hōryūji (à droite).
Crédits D’après Itō (1893 : 328).
URL http://journals.openedition.org/ebisu/docannexe/image/1615/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 272k
Titre Fig. 2. 1 & 2. 2. Plans du Hōryūji garan.
URL http://journals.openedition.org/ebisu/docannexe/image/1615/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 148k
Légende Sur le plan masse (fig. 2. 2), les pointillés indiquent la position du premier monastère achevé au début du viie siècle, le Ikaruga-dera 斑鳩寺 (ou Wakakusa-dera 若草寺).
Crédits Dessins adaptés de Nihon kenchiku gakkai, dir. (2002 : 9).
URL http://journals.openedition.org/ebisu/docannexe/image/1615/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 92k
Titre Fig. 3. Photographie du monastère Hōryūji (Hōryūji garan 法隆寺伽藍). De gauche à droite, le pavillon d’or (kondō 金堂), la porte centrale (chūmon 中門) et la pagode (tōba 塔婆).
Crédits D’après Itō (1940b).
URL http://journals.openedition.org/ebisu/docannexe/image/1615/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 409k
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Pour citer cet article

Référence papier

Benoît Jacquet, « Itō Chūta et son Étude architecturale du Hōryūji (1893) : comment et pourquoi intégrer l’architecture japonaise dans une histoire mondiale »Ebisu, 52 | -1, 89-115.

Référence électronique

Benoît Jacquet, « Itō Chūta et son Étude architecturale du Hōryūji (1893) : comment et pourquoi intégrer l’architecture japonaise dans une histoire mondiale »Ebisu [En ligne], 52 | 2015, mis en ligne le 20 septembre 2015, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/ebisu/1615 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ebisu.1615

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Auteur

Benoît Jacquet

ブノア・ジャケ

Benoît Jacquet, architecte et historien, est maître de conférences à l’EFEO, responsable de son centre à Kyoto, chercheur invité à l’université de Kyoto. Il s’est spécialisé dans l’histoire de l’architecture moderne japonaise à l’université de Kyoto et à l’université de Tokyo.

ブノア・ジャケはフランス国立極東学院(EFEO)准教授。工学博士(京都大学)、
建築博士(パリ第8大学)、EFEO京都支部所長、京都大学客員准教授。 日本の近代建築史を専攻。

Benoît Jacquet, an architect and historian, is a lecturer at the French School for Asian Studies (EFEO), head of the EFEO Centre in Kyoto, and a visiting associate professor at Kyoto University. He specialized in the history of modern Japanese architecture at Kyoto University and the University of Tokyo.

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