Navigation – Plan du site

AccueilNuméros23Entre histoire et littérature : m...À la croisée de l’histoire et de ...Histoire et littérature médiévale...

Entre histoire et littérature : mémoires du passé dans l’Espagne médiévale et classique
À la croisée de l’histoire et de la littérature : l’écriture au Moyen Âge

Histoire et littérature médiévales : l’impossible séparation. La mémoire des villes castillanes

Charles Garcia

Résumés

Histoire ou littérature ? Pour les auteurs médiévaux, les faits plus ou moins fantastiques – romancés – sur l’origine des villes qui émaillaient les chroniques étaient de l’histoire dès lors qu’ils étaient mis par écrit. En effet, une fois le temps figé par le récit, scandé en séquences qui racontaient la succession des générations, les narrations imaginaires devenaient de l’histoire. Au XIIIe siècle, le projet de transformer l’histoire pour la mettre au service d’un programme politique fit oublier les aspects fictionnels des narrations à visée chronologique, tout en ayant le souci de conserver le style, une belle écriture qui a pu laisser croire à une confusion des récits qui sont aujourd’hui tranchés – histoire et littérature –, mais qui ne l’étaient pas au Moyen Âge. Autrement dit, la fonction de la littérature est d’exprimer des mythes qui, eux, renvoient invariablement à l’histoire comme le montre la chronique d’Ávila ici utilisée comme support de notre réflexion.

Haut de page

Texte intégral

  • 1 Bernard GUENÉE, Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, Paris : Aubier, 1980, p. 1 (...)
  • 2 Paul RICOEUR, Temps et récit III. Le temps raconté, Paris : Le Seuil, 1985, p. 147-183.

1Les faits que rapportent les chroniques médiévales sur les origines des villes ne sont pas « historiques » au sens moderne du terme, mais ils le sont pour l’historiographie du Moyen Âge dès lors que les événements étaient fixés dans le temps1. Pour les auteurs médiévaux, l’histoire telle qu’on la racontait se trouvait dans un entre-deux situé entre le temps cosmique et le temps vécu2. L’important pour les scribes de l’époque était de rapporter la suite des générations, la succession des rois et des gouvernants à la manière biblique, voire romaine. Dans cette démarche, le vide et l’absence étaient proscrits entre le moment de la fondation de la cité et celui où était censé écrire le rédacteur. Mais alors que le temps de l’Antiquité classique et biblique était bien connu, les auteurs ne pouvaient laisser dans la brume le cours de l’histoire urbaine qu’ils devaient relier par nécessité à une chaîne chronologique clairement identifiée. En la matière, et dans le cas concret de l’Espagne médiévale, la périodisation mise au point par Isidore de Séville était la référence obligée, d’où l’impossibilité pour les clercs autochtones de laisser voguer leur imagination en dehors de ce cadre théorique contraint.

Histoire(s) de(s) villes

  • 3 Luc de TUY, Chronicon mundi, Emma Falque (éd.), Corpus christianorum. Continuatio Mediaeualis, LXXI (...)
  • 4 Pour l’Espagne, Adeline Rucquoi signale l’absence de récits d’histoires des villes en comparaison d (...)

2 Dans un monde où les sources sur lesquelles fonder un récit étaient rares, les historiens médiévaux prirent l’habitude de recourir à l’étymologie pour reconstituer le passé des communautés citadines, et plus particulièrement à la toponymie. Saint Isidore avait ouvert le chemin en la matière. Il allait être abondamment emprunté par ses épigones en quête de jalons pour expliquer les changements historiques. Ainsi, pour Luc de Tuy, de nombreuses cités péninsulaires avaient changé de nom pour s’adapter aux circonstances politiques ou militaires3, mais l’étymologie était là pour réparer leur mémoire4. Comme le signale Dominique de Courcelles :

  • 5 Dominique DE COURCELLES, Écrire l’histoire, écrire des histoires dans le monde hispanique, Paris : (...)

Dans la péninsule Ibérique où les sociétés et les individus se sont trouvés en nécessaire élaboration de leur identité les uns par rapport aux autres, d’abord affrontés les uns aux autres, puis découvrant des mondes et des hommes nouveaux, l’œuvre d’histoire s’est constituée aussi et peut-être surtout par la transformation incessante des références et de leurs représentations. La « pratique » de l’écriture de l’histoire ressortit à la quête toujours recommencée d’une possible interprétation du présent5.

  • 6 Georges MARTIN, « Dans l’atelier des faussaires, Luc de Tuy, Rodrigue de Tolède, Alphonse X, Sanche (...)
  • 7 Également connue sous le nom de Primera crónica general.
  • 8 Diego CATALÁN, « Entre Alfonso el Sabio y el canciller Ayala : poesía, novela y sentido artístico e (...)
  • 9 De toute évidence, la question de la séparation entre histoire et littérature taraude davantage les (...)
  • 10 Michel ZINK, Littérature française du Moyen Âge, Paris : PUF, 1992, p. 331-332 : « L’écriture roman (...)

3 Raconter l’histoire ou des histoires, récit historique ou littérature ? Pour tenter de répondre à la question nodale de la présente rencontre et distinguer l’histoire de la fiction, on observe que le Tudense, dans son Chronicon mundi, établit un mélange novateur du point de vue du style dans lequel l’histoire hispanique se fond dans l’histoire universelle6. À sa suite, Alphonse X tenta d’inscrire la Estoria general de España7 dans la General Estoria, le ton était ainsi donné au XIIIe siècle pour laisser un plus grand libre cours à la création littéraire ; ce n’est donc pas le fait du hasard si on rédigea également à cette époque la Crónica de la población de Ávila et si l’on incorpora le Cantar de mio Cid aux chroniques palatines. Contrairement à ce qu’a écrit Diego Catalán8, les estoriadores d’Alphonse X ne pouvaient perdre alors une quelconque « scientificité », pour la simple raison qu’ils en étaient dépourvus9. Discrédités à tort parce qu’ils auraient eu – prétendument – une approche littéraire de l’histoire, les chroniqueurs médiévaux étaient en réalité conscients de leur manière d’agir. Dans les opérations d’assemblage et de compilation produites par les ateliers alphonsins, les sources sont souvent dissimulées car ce qui importait c’était de transformer l’histoire pour la mettre au service d’un programme politique : celui qui était voulu par le monarque, mais tous ces procédés sont aujourd’hui connus. Au cours des siècles postérieurs, les érudits ne se privèrent pas d’intégrer les traditions orales à leurs narrations, mais en veillant à leur donner un style littéraire impeccable10 ; c’est donc à partir de cette lente évolution que s’opéra progressivement la distinction entre histoire et littérature, mais ceci est une affaire qui ne concerne pas le Moyen Âge, du moins celui de la période antérieure à l’avènement de la dynastie Trastamare.

4Les clercs médiévaux avaient une conception linéaire du temps héritée du judaïsme et, de même que la terre avait été créée et qu’elle aurait une fin, les villes avaient, elles aussi, des origines plus ou moins lointaines qu’il fallait connaître. C’est par conséquent dans cette volonté de fabriquer d’abord un récit pour l’inscrire, ensuite, dans le temps historique que se noue la fusion de l’histoire avec la fiction. Le fait que les œuvres fussent récentes par rapport à un temps historique connu et ancien ne troublait pas outre mesure les lecteurs de ces narrations héroïques, exemplaires et divertissantes. À partir de la deuxième moitié du XIIIe siècle, en complément des récits historiques se rapportant aux temps lointains, on inventa de plus en plus de textes liés aux événements proches dans lesquels les auteurs étaient acteurs ou témoins, comme c’est par exemple le cas de don Juan Manuel. C’est donc dans la tension entre ce vécu par les auteurs et les vieilles grilles de lecture plaquées depuis des siècles que se glissent les récits entre histoire et littérature, aux frontières du roman et de l’Histoire, entre historia et fabula.

  • 11 Véronique LAMAZOU-DUPLAN (éd.), Ab urbe condita… Fonder et refonder la ville : récits et représenta (...)

5À partir du XIIIe siècle, l’histoire ne s’écrivit plus qu’en prose car, pour les hommes de l’époque, c’est ce genre qui disait le vrai. L’obligation professionnelle de l’historien reposait sur un pacte de véridicité d’autant plus facile à respecter que les narrations avaient un caractère contemporain de plus en plus marqué. Quant aux récits dits de fiction écrits à la même période, on remarque que beaucoup d’entre eux multiplient les emprunts  à la structure ou au lexique des procédés de l’écriture de l’histoire, d’où le sentiment pour le lecteur que tout est romancé11.

  • 12 William HAMMER, « The Concept of the New or Second Rome in the Middle Ages », Speculum, 19, 1944, p (...)
  • 13 Charles GARCIA, « Territorialidad y construcción política de la identidad concejil en la Zamora med (...)
  • 14 Juan Miguel VALERO MORENO, « Rex, conditor : hacia una poética del espacio urbano », Mianda CIOBA, (...)
  • 15 Ramón MENÉNDEZ-PIDAL (éd.), Primera crónica general, Madrid : Gredos, 1977, p. 5-7, p. 6 : « la una (...)
  • 16 Adeline RUCQUOI, « Le héros avant le saint : Hercule en Espagne », Ab urbe condita… Fonder et refon (...)
  • 17 PGC, p. 7-11, p. 10 : « poblo una cibdat, al pie del Moncayo, dunas yentes que uinieran con el de G (...)
  • 18 PGC, p. 11 : « E la una dellas es la cibdat a que agora llaman Segouia, e pusol este nombre por que (...)
  • 19 PGC, p. 9 : « fasta que llego a un logar o es agora poblada Lixbona, e fue depues poblada que Troya (...)
  • 20 PCG, p. 8-9.

6Durant le Moyen Âge, Rome fut le modèle de toute ville digne de ce nom12. L’élément initial de ce patron, souvent lié au toponyme.13, était celui du fondateur, le conditor, qui devait être de préférence un personnage illustre14. Comme le précise Adeline Rucquoi, c’est Tubal, le petit-fils de Noé, selon les dires de l’Estoria de España, qui avait fondé bon nombre de cités hispaniques situées aux abords de l’Èbre comme : Oca, Calahorra, Tarazona et Saragosse15 ; les héros fondateurs de l’Antiquité classique complétant ensuite la liste initiée par les personnages bibliques. On apprend ainsi qu’Hercule16 avait traversé la péninsule du sud au nord et qu’il avait fondé au cours de ses périples : Cadix, La Corogne, Urgel et Barcelone17. Son neveu, prénommé Espán, l’imita dans sa geste en érigeant Ségovie, quant à son gendre, Pyrrus, il créa Osuna et Grenade18. À côté de ces personnages illustres, un petit-fils d’Ulysse fonda Lisbonne et la reine Didon en fit autant lorsqu’elle instaura Carthagène19. Quant à Séville, liée à Hercule dans certaines légendes, la chronique alphonsine conclut qu’elle avait été en fait fondée par Jules César20.

  • 21 PGC, p. 7.
  • 22 PCG, p. 12 : « Toledo, que era estonce muy grand montanna ; pero auie y dos torres : ell una o es a (...)
  • 23 Georges MARTIN, Les juges de Castille. Mentalités et discours historique dans l’Espagne médiévale, (...)

7 Dans cette énumération entre histoire et littérature, Tolède, l’ancienne capitale wisigothique, référence et fondement de l’Espagne, reçut un traitement particulier. D’après les chroniqueurs médiévaux, elle avait été créée par les consuls romains Tholemon et Brutus, des chefs de guerre qui lui avaient donné leur nom21, bien avant que Scipion n’entreprît ses campagnes militaires. Pourtant, aussitôt après sa fondation elle était passée sous l’emprise d’un roi originaire d’Orient prénommé Rocas22. Bien qu’elle n’ait pas été toujours l’unique référence, force est de constater que l’Antiquité joua la plupart du temps un rôle de premier plan dans la légitimité des villes ; c’est la raison pour laquelle il était important de préserver leur « mémoire ». À Burgos par exemple, les figures historiques retravaillées par la littérature, comme le comte Fernán González, les juges de Castille ou le Cid, façonnèrent dans une large mesure l’identité de la cité de l’Arlanzón, en plus de celle de la Castille23.

  • 24 Marta LACOMBA, « Enjeux discursifs de l’historiographie castillane à la fin du XIIIe siècle : aux l (...)

8 Au Moyen Âge, l’écrit était affecté d’un sens fort. Certes, les répétitions excessives, les excursus, les longueurs et les stéréotypes peuvent faire naître aujourd’hui un sentiment de lassitude, voire d’agacement. Or cette lecture contemporaine est réductrice car ces formes pour nous curieuses faisaient sens à cette époque, elles avaient une signification et elles étaient communes à l’histoire et à la littérature. Les thèmes qu’il est convenu d’appeler par commodité « merveilleux » structuraient les discours et passaient d’un genre à un autre car l’écriture médiévale puisait dans un fond commun. Les laïcs et les ecclésiastiques utilisaient le merveilleux comme base de sujets sérieux de réflexion. C’était une démarche intellectuelle qui forçait à l’abstraction des concepts et à leur déchiffrement. Et puisque les œuvres se nourrissaient auprès d’un même champ idéologique, on voit mal selon quels critères on pourrait distinguer la production pour la classer, et encore moins la séparer. Rodrigue Jiménez de Rada, dans son De rebus Hispaniae, insère par exemple de nombreux récits de fiction et, en sa qualité de rejeton d’une grande famille noble, œuvre pour que l’aristocratie seconde le monarque dans les fonctions de gouvernance du royaume. L’archevêque agrémente sa chronique d’épisodes littéraires pour exalter les valeurs nobiliaires et pour disqualifier les autres catégories. Ainsi, les auteurs médiévaux construisaient-ils un discours à partir d’un matériau commun qu’ils exprimaient, à leur guise, au moyen de la littérature ou de l’histoire, l’essentiel pour eux étant de faire connaître leur point de vue sur les questions qui leur semblaient les plus importantes24.

  • 25 Selon la célèbre formule consacrée par Marcel Détienne.
  • 26 Régis BOYER, « Existe-t-il un mythe qui ne soit pas littéraire? », in : Pierre BRUNEL (éd.), Mythes (...)
  • 27 Michel ZINK, « La littérature médiévale et l’invitation au conte », in :Michel ZINK et Xavier RAVIE (...)

9Dans les récits sur l’origine des villes, les auteurs médiévaux mettent généralement en scène les mythes fondateurs, ce qui aboutit à les historiciser. Or dans cette démarche d’écriture, les mythes sont à la fois « message » et « médium ». On sait que l’histoire des origines est toujours sacrée – la pégomanie25 –, c’est le moment où des événements surnaturels font irruption dans la vie contrainte des hommes. Dans notre culture, le conte est la narration littéraire traditionnelle du mythe. L’articulation entre ces deux éléments passe, comme Régis Boyer l’a signalé, par la narration d’une « image » symboliquement forte, une « histoire » exemplaire qui fournit le cadre où se déploie l’image et, enfin, un « esprit » qui permet à l’homme d’accepter la mort26. Autrement dit, la fonction de la littérature est d’exprimer des mythes qui, eux, renvoient invariablement à l’histoire27.

Ávila des Chevaliers

  • 28 José María MONSALVO ANTÓN, « La imagen de las ciudades y regiones altomedievales de León y de Casti (...)
  • 29 Amparo HERNÁNDEZ SEGURA (éd.), Crónica de la población de Ávila, Valencia : Anubar, 1966 (= CPA).
  • 30 José María MONSALVO ANTÓN, « Ávila del rey y de los Caballeros : acerca del ideario social y políti (...)

10 Dans la longue liste des louanges écrites pour exalter les villes28, les cités épiscopales et leur passé, Ávila fait figure d’exception dans le royaume de Castille. Fondée à une époque relativement tardive, à la fin du XIe siècle, et ne disposant d’aucun ancêtre illustre pour la légitimer, Ávila compta pour défendre ses intérêts avec une chronique29 qui relatait l’attitude exemplaire de ses habitants entre le moment de leur installation et le milieu du XIIIe siècle, date probable de la rédaction du texte30. Que nous dit cette chronique de la mémoire urbaine ?

  • 31 Charles GARCIA, « La invención de la identidad de la ciudad de Zamora por el franciscano Juan Gil ( (...)
  • 32 CPA, p. 17 : « E aquellos que sabían catar de agüeros entendieron que eran buenos para poblar allí, (...)
  • 33 María Margarita VILA DA VILA, « Repoblación y estructura urbana de Ávila en la Edad Media », in : R (...)
  • 34 CPA, p. 17 : « Quando el conde don Remondo, por mandado del rey don Alfonso que ganó a Toledo (que (...)
  • 35 CPA, p. 17 : « E los de Covaleda e de Lara venían delante, e ovieron sus aves a entrante la villa »
  • 36 CPA, p. 18 : « E entre tanto vinieron otros muchos a poblar a Ávila, e señaladamente infançones e b (...)
  • 37 CPA, p. 19-20 : « E después desto vino a tiempo que fincó don Alfonso, fijo del conde don Remondo, (...)

11 À défaut de héros antiques, si fréquents dans ce genre de légendes, la création de la civitas fut mise au compte du collectif humain qui la porta31. L’histoire raconte en effet la fondation de la ville par le comte Raymond de Bourgogne et la façon dont le gendre d’Alphonse VI, guidé par le présage favorable des oiseaux annonciateurs, décida du lieu d’implantation de la cité32. Le texte rapporte aussi des renseignements précis sur l’origine géographique des premiers habitants, « pobladores », du bourg33. Certains d’entre eux, les plus nombreux, procédaient de la zone des Cinco Villas, une contrée de la Rioja orientale ; d’autres avaient accouru depuis Lara, une ville située un peu plus au nord, sur les rives de l’Arlanza, et, enfin, de Covaleda, une bourgade enclavée dans l’une des vallées des Pics d’Urbión34. D’après ce que dit le récit, tout porte à croire que ces premiers arrivants n’étaient pas nobles, même si l’auteur accorde une certaine prééminence aux hommes de Covaleda et de Lara35. Curieusement, et dans une optique très éloignée des récits de fiction si courants à l’époque – entre histoire et littérature –, l’auteur s’attache à justifier les différences sociales de son temps, le milieu du XIIIe siècle, à partir des mérites propres des individus, très caractéristiques de la société de frontière, et non pas en fonction de l’origine lignagère des uns et des autres. Selon le chroniqueur, tous les hommes étaient arrivés sur les bords de l’Adaja à égalité de condition et si par la suite certains avaient fini par constituer une élite, ils le devaient à leurs propres mérites. Ainsi, le fait que des membres de la noblesse inférieure – infanzones – aient suivi les premières vagues d’installation ne changeait rien à l’affaire36, tant leur poids social semble négligeable au début de l’aventure humaine commune. On sait bien que dans la société hispanique médiévale, « organisée pour la guerre », tout un chacun pouvait prendre l’ascenseur social, à condition d’assumer certains risques comme ceux de participer aux combats car l’activité guerrière n’était pas réservée aux nobles dans l’Estrémadure historique dont Ávila faisait partie. Le fait d’aider le roi à agrandir le territoire de la Chrétienté méritait récompense et, en la matière, les « abulenses » furent, comme le rappelle la chronique, les plus assidus et fidèles serviteurs des monarques au cours du temps37.

  • 38 María CÁTEDRA et Serafín DE TAPIA, « Imágenes mitológicas e históricas del tiempo y del espacio : l (...)
  • 39 Jean GAUTIER-DALCHÉ, « Fiction, réalité et idéologie dans la Crónica de la población de Ávila », Ra (...)
  • 40 Michel PASTOUREAU, Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental, Paris : Seuil, 2004, p. 11-25.

12 Dans son bel article sur le sens de la chronique, Jean Gautier-Dalché regrette l’absence de description physique d’Ávila dans la narration. Alors que la ville est célèbre pour ses murailles38, il déplore que l’auteur se soit borné à ne citer qu’une seule porte, celle de San Pedro, quelques églises : San Juan, Santiago, San Silvestre et un couvent, San Clemente. Amateur de récits bien troussés, l’historien a du mal à comprendre que le narrateur soit resté « insensible aux aspects matériels d’Ávila » et qu’il ait été indifférent, du point de vue « esthétique ou moral », aux maisons et aux magnifiques monuments de la cité39. Faute de recherche de style et d’images dans la chronique, l’illustre médiéviste conclut que l’auteur était sans doute un écrivain sans vocation à cause de la pauvreté de son vocabulaire et que, au bout du compte, les villes n’enflammaient pas l’imagination, raison pour laquelle elles n’étaient pas au Moyen Âge des objets littéraires. Depuis cet article, la recherche dans la médiévistique a beaucoup progressé40. De nos jours, on sait par exemple que les écrivains médiévaux n’étaient pas férus de « réalisme » et que la description des formes sensibles que les auteurs observaient ne les préoccupait pas outre mesure, tout cela étant à leurs yeux très secondaire. Il faut dire que la logique de ces scribes n’était pas la nôtre et il est tout aussi vain de chercher des descriptions visuelles précises dans la production médiévale que de vouloir distinguer la littérature de l’histoire. Au regard de que montrent les documents, il va de soi que la pensée symbolique primait alors sur l’apparence des choses et des êtres.

13 Certes l’auteur de la chronique est un laïc, un chevalier plus exactement, lequel, malgré son intention de promouvoir l’ordre social auquel il appartenait, n’en est pas moins contraint par les représentations de son temps. Contrairement à la nature voulue par Dieu, la ville relevait de la création humaine. Ceci étant, il ne faudrait pas croire qu’il n’y avait pas de hiérarchie dans les œuvres des hommes. Ainsi, selon les schémas de pensée médiévaux, une cité, aussi magnifique fût-elle, était toujours inférieure à une église en ce qu’elle renvoyait invariablement aux images négatives de la Babylone livrée aux vices et à la domination de l’argent, voire à Caïn, le fondateur de la première ville ayant jamais été bâtie. Au milieu du XIIIe siècle, Ávila possédait des reliques qui auraient pu servir d’appui à l’élaboration d’un récit laudatif sur la cité, mais on sait que tel ne fut pas le but qui présida à la rédaction de la CPA.

  • 41 José Ignacio RUIZ DE LA PEÑA SOLAR, « Ciudades y sociedades urbanas en la España Medieval, siglos X (...)
  • 42 Elizabeth CROUZET-PAVAN, « Les élites urbaines. Aperçus problématiques (France, Angleterre, Italie) (...)
  • 43 CPA, p. 19 : « E entretanto sópolo el conde don Remondo, que estava en Segovia, e trasnochó e vínos (...)
  • 44 José María MONSALVO ANTÓN, « Transformaciones sociales y relaciones de poder en los concejos de fro (...)
  • 45 CPA, p. 23 : « E los que la Ciudad [Rodrigo] poblaron vinieron al Fenar e levaron ende robado quant (...)

14 Au moment de la mise par écrit des origines d’Ávila, l’univers citadin était relativement nouveau dans la société castillane41 et sa représentation imprégnait moins les esprits que l’œuvre de la création divine. Nonobstant, lors de l’écriture du document, et non pas à la période des faits relatés – début du XIIe siècle –, nous savons que la cité de l’Adaja était gouvernée par une magistrature collective dont les membres42 appartenaient aux familles des « serranos »43 qui avaient accaparé le pouvoir44. C’est cette donnée qui explique la raison pour laquelle l’environnement naturel et humain est moins important dans l’ouvrage que l’image proclamant les valeurs sur lesquelles l’oligarchie prétendait fonder son pouvoir. Pour l’écrivain-chevalier anonyme, le gouvernement local, soucieux du bien général, était capable de faire régner la paix, la justice et la concorde au sein de la communauté, contrairement à la gouvernance des « autres gents » qui avait provoqué les guerres et les destructions45. Histoire ou littérature ? À travers cet indice, on voit que l’allégorie du bon gouvernement qui structure le récit relève davantage de la fiction que du rappel de certains faits historiques, même si ceux-ci émaillent la chronique dans un but, comme c’est souvent le cas, d’authentification scripturaire. Dans la CPA, le chroniqueur recourt à la fiction, qui pour lui était distincte du mensonge en cela qu’elle ne s’opposait pas à la vérité de l’écriture historique. Au reste, c’est la fiction qui donnait une cohérence à la causalité des événements, elle créait de la vraisemblance et elle était plus proche de la vérité absolue que ce que disaient les sens ou la transmission orale.

  • 46 CPA, p. 20 : « E este Çorraquín Sancho yaze en san Silvestre en la más onrada sepultura que ỷ a. E (...)
  • 47 CPA, p. 18 : « E los que eran llamados serranos (que eran ydos en cabalgada) legaron ese día por ve (...)

15 Dans la chronique, une seule porte suffit à comprendre que la ville était délimitée par ses murailles, quant aux églises, elles sont uniquement évoquées comme lieux d’enterrement des membres les plus illustres de l’oligarchie, une façon supplémentaire de rehausser leur prestige46. Concernant les nombreuses expéditions des « serranos » à cheval à l’intérieur de l’alfoz, elles servaient à rappeler le rattachement de ce vaste espace à la « comunidad de villa y tierra » de la cité et à souligner que les activités dans les campagnes participaient de la même dynamique que celle de la ville, leur complémentarité stimulant l’une et l’autre47.

Analogies et dualités médiévales à Ávila

  • 48 Dans la CPA, l’épisode de Nalvillos-Enalviello, que nous avons choisi de ne pas traiter ici, est tr (...)

16 L’écriture symbolique des histoires était familière aux auteurs du Moyen Âge, cette pratique était si commune qu’ils n’éprouvaient pas le besoin de l’expliquer. Dans cette production codée qu’on ne peut lire directement, ce qui décuple son intérêt pour le chercheur, il faut guetter les écarts, les comparaisons et les analogies qui sont le gage d’une interprétation jamais achevée. La riche ambiguïté du lexique, sa subtilité, sa souplesse et son ambivalence autorisent de ce fait une analyse qui n’épuise pas les approches48.

  • 49 CPA, p. 20 : « E por esso el rey de Aragón ensañosse; e fizo cozer, de los que teníe en arrehenes, (...)

17 L’étymologie médiévale est, à ce titre, un registre de l’histoire culturelle que l’on trouve, comme il se doit, dans la CPA. À l’extérieur d’Ávila, non loin des murailles, en direction du nord-est, il existe un lieu-dit connu de tous appelé « Las Hervencias ». Ce toponyme, véritable « lieu de mémoire » collectif, rappelle un événement hautement symbolique qui se produisit en ces parages en 1111. Cette année-là, tandis que la guerre civile faisait rage en Castille entre Alphonse Ier le Batailleur et son épouse, la reine Urraque de León-Castille, le roi d’Aragon se présenta au pied des murailles d’Ávila pour solliciter l’appui de la cité. Les défenseurs lui refusèrent leur soutien arguant que la ville vouait une fidélité indéfectible à l’infant Alphonse, le futur Alphonse VII. Contrarié par la mauvaise tournure prise par sa tentative, le Batailleur ordonna l’exécution des soixante chevaliers otages qu’il détenait en garantie, lesquels étaient tous des habitants importants de la ville. La mise à mort fut spectaculaire car, après le décès des malheureux « serranos », le roi demanda que l’on fît bouillir quelques têtes dans l’huile pour les exposer dans les villes qui n’accepteraient pas son autorité. C’est donc à partir du verbe « hervir », issu du latin « fervere », que l’on fabriqua localement un substantif, transformé en toponyme pour la plus grande gloire d’Ávila et de son oligarchie49. Dans ce contexte, et dans l’imaginaire collectif de la bourgade, le nom du lieu disait la vérité de la geste des sacrifiés, leur histoire et l’avenir de la cité qui était dirigée de manière optimale, au moment de la rédaction du document, par l’élite « serrana ». Histoire ou littérature ?

18 Mieux encore que l’étymologie, l’analogie est la pratique intellectuelle qui résume au plus près la façon de penser des médiévaux. En réalité, la CPA, comme la plupart des chroniques médiévales, est constellée de ressemblances entre les mots et les notions ; elle est traversée de correspondances entre un élément tangible et une idée, mais aussi par les oppositions physiques ou figurées. C’est donc par le biais de l’analogie que les hommes du Moyen Âge accédaient au sens réel des choses, plus ou moins apparent, c’est-à-dire à la vérité du monde. Appliquée à l’histoire, l’analogie était porteuse d’un sens théologique servant à découvrir le plan divin.

  • 50 CPA, p. 17 : « E aquellos que sabían catar de agüeros entendieron que eran buenos para poblar allí, (...)
  • 51 CPA, p. 17 : « E los de Cinco Villas, que venían en pos dellos, ovieron esas aves mesmas. E Muño Ec (...)
  • 52 José María MONSALVO ANTÓN, « Espacios y poderes en la ciudad medieval. Impresiones a partir de cuat (...)
  • 53 CPA, p. 18 : « E porque los que vinieron de Cinco Villas eran más que los otros, la otra gente que (...)
  • 54 Juan Salvador PAREDES NÚÑEZ, « Ficción histórica y realidad literaria en los nobiliarios peninsular (...)

19 Dans son exposé sur les vagues migratoires, le chroniqueur nous apprend que les premiers arrivants s’étaient installés dans un creux de la vallée de la rivière Adaja, « près de l’eau »50, tandis que les derniers accourus, qui seraient ensuite les premiers comme le rappelle l’Évangile, choisirent d’aller se fixer dans la partie haute, là où seraient bâtis plus tard la cathédrale et les principaux monuments de la cité51. Le contraste entre le haut et le bas se suffit à lui-même, il n’a pas besoin d’explications complémentaires puisque tous dans l’agglomération comprenaient que le lieu de résidence reflétait la position sociale. Le destin des « populatores » avait ainsi été fixé d’emblée entre les « serranos », voués au service des armes et vivant dans l’acropole, tandis que les « autres gents », ceux qui allaient s’adonner au commerce et aux activités marchandes, se retrouvaient doublement en bas52 : matériellement et socialement53. En dehors des manipulations historiques, la croyance en un passé commun était une donnée fondamentale pour créer une identité, pour forger un sentiment d’appartenance54. Pour le groupe, la conscience de partager une même origine donnait un sens au passé, mais aussi à l’avenir qu’on entendait vivre ensemble.

  • 55 Adeline RUCQUOI, « Mancilla y limpieza : la obsesión por el pecado en Castilla a fines del siglo XV (...)
  • 56 « Un haruspice ne peut voir un haruspice sans rire », ironisait Cicéron au 1er siècle avant J.-C., (...)
  • 57 Gerd ALTHOFF, « Geschichtsschreibung in einer oralen Gesellschaft. Das Beispiel des 10. Jahrhundetr (...)

20 Dans l’Espagne médiévale, on acceptait en règle générale la distinction sociale car on estimait qu’elle était voulue par Dieu. Si les nobles étaient en haut de l’échelle, c’est parce qu’ils étaient moralement plus purs que les vilains55, or cette dimension divine si commune est absente de la CPA. Dans ce texte, la différence d’état est curieusement justifiée par les augures, qui étaient en effet couramment employés à l’époque, malgré l’importance sociale du dogme chrétien sur la question du futur et sur la maîtrise du temps à venir56. Mais au-delà de la fiabilité des sources médiévales, l’important est de se demander quelles sont leurs intentions et leurs fonctions57.

21 À Ávila, l’image désirée de la cité harmonieuse pointait en direction d’un idéal d’unité, celui du rassemblement de la communauté urbaine ou universitas. Pourtant, la réalité sociale était loin de correspondre à cette utopie, d’où l’élaboration de la CPA pour combler un hiatus pouvant être susceptible d’introduire le désordre et la décomposition du collectif citadin. Une nouvelle fois, c’est par les analogies et les dualités que l’auteur justifie les différences sociales trop perceptibles entre les humbles et les privilégiés. Initialement, les « serranos » avaient pour devoir de défendre la ville, avec l’aide supplétive consentie par « l’autre gent ». Tel était le pacte tacite qui devait en principe profiter à tous, mais qui, à un moment donné, au gré du hasard, fut mis à mal par la providence, les événements se chargeant de mettre en évidence les flagrantes contradictions, en même temps que la solution dialectique définitive aux oppositions si manifestes entre les groupes.

  • 58 CPA, p. 18 : « E así acaeçió que una vez fueron [les “serranos”] en cabalgada, e vinieron gran pode (...)
  • 59 CPA, p. 18-19 : « E dixeron los que eran llamados serranos a la otra gente, que fuesen con ellos, e (...)
  • 60 Charles GARCIA, « ‘Et ut pacem et concordiam inter eos reformaremus’ : pacto y consenso en el entor (...)
  • 61 CPA, p. 19 : « E fueron ferir los moros, e vençiéronlos e mataron dellos muchos, e ganaron gran ave (...)

22 L’élément déclencheur et clarificateur du nouvel ordre fut la razzia que les Sarrasins entreprirent un jour contre Ávila58. Pour faire face à l’attaque des musulmans, les « serranos » sollicitèrent naturellement l’appui des « autres gents ». Ceux-ci, après avoir initialement donné leur accord, se rétractèrent, ce qui obligea les chevaliers à poursuivre les Maures sans aucune autre aide59. À partir de cette date, le pacte qui avait fait consensus60 jusque-là était rompu et la faute irréparable en incombait aux roturiers. Comme on peut s’en douter, la désaffection des fantassins ne troubla pas du point de vue militaire les cavaliers lesquels, après avoir découvert le bivouac des infidèles qui était installé au pied de la butte dite de Barba Azedo, mirent en déroute et tuèrent un grand nombre de musulmans et s’emparèrent à cette occasion d’un important butin61. Dans le récit, le contraste entre les guerriers et les bourgeois est rehaussé par l’analogie morale qui caractérisait les deux groupes, laquelle aboutissait à la dualité irréconciliable : miles-honnêtes / vilains-individus sans honneur.

  • 62 Luis Miguel VILLAR GARCÍA, La Extremadura castellano-leonesa: guerreros, clérigos y campesinos (711 (...)
  • 63 CPA, p. 19 : « E otro día embiaron los de la villa a dezirles que les diesen su parte de la gananci (...)

23 En effet, tandis que les preux cavaliers s’en revenaient à Ávila avec le butin, les « autres gents » leur fermèrent l’accès à la cité, motif pour lequel les « serranos » se retirèrent sans rien exiger au lieu-dit Castaño qui se trouvait à proximité de la ville. L’ignominie des marchands ne s’arrêta pourtant pas là ; le chroniqueur s’attachant à démontrer au lecteur qu’elle était sans limite, comme dans un exercice de diabolisation définitive de la catégorie inférieure. Non contents d’avoir exclu l’élite guerrière de l’agglomération, les commerçants envoyèrent une délégation à Castaño pour exiger, selon le for62, la part de butin qui leur revenait après la bataille. Et tandis que le lecteur s’attend à une fin de non-recevoir de la part des chevaliers, ceux-ci, magnanimes et grands seigneurs, consentirent à rendre aux renégats les enfants, les épouses et les biens que les Maures avaient emportés avec eux. En dépit de cette bienveillance, et toujours mécontents du sort qui leur était réservé, les vilains déclarèrent que les choses n’en resteraient pas en l’état63.

  • 64 Le chroniqueur n’omet pas de rappeler que la mesure initiale fut par la suite confirmée par Alphons (...)
  • 65 CPA, p. 19 : « E mandó [le comte] que les non diesen nada de quanto ganaron a los que se tornaron, (...)
  • 66 J. GAUTIER-DALCHÉ, « Fiction, réalité et idéologie… », op. cit., p. 25 : « Il y a transposition dan (...)

24 La solution définitive au conflit fut apportée par le comte Raymond de Bourgogne, véritable substitut du roi dans le document. Guidé par une forme de sagesse aux allures salomoniques, le gendre d’Alphonse VI, après avoir découvert la vérité de la querelle, trancha le différend en faveur des « serranos ». Il décida que ces hommes garderaient le butin pour eux, hormis le « quinto » du roi qui s’élevait à un total de cinq-cents chevaux, et qu’ils seraient à partir de cette date les seuls et uniques dirigeants d’Ávila : « alcaldes e todos los otros portillos »64. Qui plus est, pour bien signaler l’infamie des vilains et mettre un terme à toute velléité de revendication future, le comte décida que les « autres gents » habiteraient le faubourg, c’est-à-dire à l’extérieur de la cité. Une fois encore, le lieu physique de résidence étant employé par l’auteur comme marqueur de l’écart social et de l’exclusion des magistratures publiques65. C’est parce que les ancêtres des marchands avaient failli au XIe siècle, et parce qu’ils n’avaient pas respecté le serment donné, que leurs rejetons du XIIIe siècle subissaient l’abaissement qu’ils connaissaient, la chronique étant là pour le rappeler et l’attester66.

25 Dans l’Estrémadure historique, on appelait communément « serranos » les hommes des classes dirigeantes et « ruanos » les non-privilégiés, l’étymologie des premiers renvoyant à l’élévation et à la pureté de la montagne, tandis que celle des seconds rappelait avec force le dédale tortueux urbain et sa saleté. Dans la chronique, les indices historiques sont si mêlés aux éléments de fiction qu’il est impossible de les séparer ou de savoir lesquels disent le vrai ou non. Pour étayer sa vision de l’organisation sociale, l’auteur isole d’abord des faits historiques, puis il les intègre à son discours pour le rendre vraisemblable. Ainsi, s’il est vrai que certains éléments relèvent de l’histoire, dans les faits, ils sont dénaturés par la narration, de sorte que celle-ci tient davantage du roman, au sens actuel du genre, que de l’histoire. Selon cette optique, il est par exemple facile de voir que Ciudad Rodrigo est dans le récit l’antithèse d’Ávila, comme une sorte de ville en négatif. Ainsi, tandis que la cité de l’Adaja est parée de toutes les vertus dans la narration, la bourgade sise sur les bords de l’Águeda apparaît comme un anti-modèle.

  • 67 L. M. VILLAR GARCÍA, La Extremadura castellano-leonesa…, op. cit., p. 260-263 ; p. 267-270.
  • 68 CPA, p. 23.

26 Au milieu du XIIe siècle, le roi Ferdinand II de León « peupla » Ciudad Rodrigo et la dota d’un diocèse dans le but de protéger la fragile frontière méridionale de son royaume face à ses trois grands adversaires : la Castille, le Portugal et les Almohades67. Un passage de la CPA évoque ces événements, pour en fait rehausser Ávila. Grâce à l’auteur anonyme, on apprend que certains habitants d’Ávila : « los más e los mejores desta gente [les marchands] » s’en allèrent peupler Ciudad Rodrigo ; tandis que sur les bords de l’Adaja : « non fincaron sinon los tenderos e los más refezes omes »68. Les meilleurs des « autres gents » étaient donc partis pour ne rester que les individus de basse condition à côté des « serranos ».

  • 69 Ibid.
  • 70 Ibid.

27 Un extrait de la chronique rapporte, qu’un jour, ceux qui étaient partis pour rejoindre les Léonais retournèrent dans l’alfoz « abulense » pour voler le bétail des « serranos ». Or ces derniers, qui veillaient au grain, poursuivirent et tuèrent les voleurs après avoir récupéré leurs bêtes. Ils coupèrent les têtes des brigands, ils les ramenèrent avec eux à Ávila et ils obligèrent les familles des victimes à les racheter pour pouvoir les enterrer69. Cet incident démultiplia la méfiance déjà latente entre les deux « états », à telle enseigne que les conflits devinrent par la suite incessants dans la bourgade ne restant en elle, outre l’oligarchie, que : « aquellos que eran bueltos con los fijos e con los nietos de los dichos que eran llamados mercaderes. E estos son los que se llaman agora castellanos… »70.

  • 71 José María MÍNGUEZ FERNÁNDEZ, « La repoblación de los territorios salmantinos », in : José-Luis MAR (...)

28 Que peut-on retenir de ce passage ? Outre la participation, attestée, des habitants d’Ávila au « repeuplement » de Ciudad Rodrigo71 et les pillages qui avaient lieu couramment en Estrémadure, le texte met en avant la loyauté « serrana » et, par opposition, la nature félonne de l’élite « marchande ». Une fois encore, les hommes issus de ce groupe avaient manqué à leur parole et s’étaient retournés contre la communauté qui les avait accueillis. Ils avaient abandonné leur cité d’origine et s’en étaient allés pour appuyer une ville rivale, raison pour laquelle ils avaient mérité d’être exterminés sans pitié. Leur châtiment était un avertissement adressé aux strates inférieures de « l’autre gent » qui étaient restées sur place et qui, après l’épisode tragique de Val de Corneja, se firent appeler « castellanos » pour se différencier des « serranos ». L’usurpation par les vilains de l’adjectif « castillan » étant corrigée par le chroniqueur en ces termes :

  • 72 CPA, p. 23.

Ca los llamados serranos tienen que ellos son castellanos derechos, e de tales nunca sopieron menestrales ningnos, fueras todos cavalleros e escuderos; e guaresçieron siempre por caballería e non por al; e nunca se mezclaron en casamientos con menestrales, nin con ruanos, nin otros omes ningunos, fueras con cavalleros fijos dalgo, nin lo faríen por cossa del mundo72.

29 Dans cette sentence, l’exclusion de la honnie Ciudad Rodrigo, figure en négatif d’Ávila, rejaillissait sur l’exclusion sociale des familles qui s’étaient compromises dans la forfaiture. Ils ne pouvaient se dire nobles et, par voie de conséquence, accéder aux offices publics dorénavant réservés à ceux qui avaient la chevalerie comme métier. En dehors du manifeste besoin de légitimation des « serranos », la CPA exprime également les besoins et les aspirations d’un groupe, la perception de soi et du monde.


***

  • 73 C’est également le programme que proposent dernièrement certains avec, comme but, de replacer le pl (...)
  • 74 Ma. M. LÓPEZ VALERO, « Las expresiones del ideal… », Medioevo y literatura…, op. cit., p. 95 : « No (...)
  • 75 Ludmilla EVDOKIMOVA et Victoria SMIRNOVA (éd.), L’œuvre littéraire au Moyen Âge : aux yeux de l’his (...)

30 Au Moyen Âge, le registre narratif est sans conteste le plus perméable de tous73. L’hagiographie comme les chroniques empruntent à cette époque des motifs à la culture orale, qui s’en alimente en retour. Ces emprunts fréquents avaient pour but de rendre les histoires plus familières aux lecteurs, de sorte que les structures des narrations sur les villes sont souvent calquées sur les romans, leur empruntant des développements dramatiques et merveilleux similaires74. À l’inverse, beaucoup des légendes sur les origines urbaines se caractérisent par la tonalité morale propre aux romans, comme si la cité anthropomorphisée devait posséder les vertus des preux chevaliers ou des saints exemplaires. Il y avait donc, entre « historiens » et « littérateurs », une forme de mimétisme qui supposait une évidente proximité75. En réalité, on peut conclure qu’on ne passait pas d’un genre à l’autre puisque l’on était toujours dans la même narration.

Haut de page

Notes

1 Bernard GUENÉE, Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, Paris : Aubier, 1980, p. 147-148.

2 Paul RICOEUR, Temps et récit III. Le temps raconté, Paris : Le Seuil, 1985, p. 147-183.

3 Luc de TUY, Chronicon mundi, Emma Falque (éd.), Corpus christianorum. Continuatio Mediaeualis, LXXIV, Turnhout : Brepols, 2003, p. 37 : « Orfeo tradidit. Hic fertur in Yspaniam uenisse et ciuitatem Florem condidisse » ; p. 104-105 : « Ex quibus due uenerunt in Ispaniam, et ciuitates Sublantiam et Florem destruentes non longe ab ipsa Flore urbem condiderunt, quam Legionem uocauerunt ».

4 Pour l’Espagne, Adeline Rucquoi signale l’absence de récits d’histoires des villes en comparaison de l’abondante production effectuée en d’autres endroits, cf. Adeline RUCQUOI, « Les villes d’Espagne : de l’histoire à la généalogie », in : Hanno BRAND, Pierre MONNET et Martial STAUB (dir.) Memoria, communitas, civitas. Mémoire et conscience urbaines en Occident à la fin du Moyen Âge, Stuttgart : Thorbeke, 2003, p. 145-166.  

5 Dominique DE COURCELLES, Écrire l’histoire, écrire des histoires dans le monde hispanique, Paris : Librairie Vrin, 2008, p. 8.

6 Georges MARTIN, « Dans l’atelier des faussaires, Luc de Tuy, Rodrigue de Tolède, Alphonse X, Sanche IV : trois exemples de manipulations historiques (León-Castille, XIIIe siècle) », Cahiers de linguistique et de civilisation hispaniques médiévales, 24, 2001, p. 279-309.

7 Également connue sous le nom de Primera crónica general.

8 Diego CATALÁN, « Entre Alfonso el Sabio y el canciller Ayala : poesía, novela y sentido artístico en las crónicas castellanas », Historia y crítica de la literatura española, Francisco Rico (éd.), t. 1, Edad Media, Alan Deyermond (coord..), Barcelone : Crítica, 1980, p. 207-212, p. 208 : « La nueva generación de cronistas refundidores de la Crónica general llegará al extremo de preferir las invenciones novelescas de la épica decadente, al testimonio de la historiografía en latín. Con la incorporación de estas fábulas poéticas a la historia nacional, el oficio de “estoriador” perdió, en seguida, toda seriedad científica: los cronistas de los últimos años del siglo XIII y primeros del XIV abandonaron la tradicional fidelidad a las fuentes, a lo escrito, y se creyeron autorizados a refundir la historia cronística con la misma libertad con que los juglares innovaban la historia versificada ».

9 De toute évidence, la question de la séparation entre histoire et littérature taraude davantage les esprits actuels que ceux des médiévaux comme le prouve le numéro monographie que la revue Le débat a consacré récemment à ce sujet, n° 165, mai-août 2011 ; Patrick BOUCHERON, « On nomme littérature la fragilité de l’histoire », Le débat, 165, p. 41-56, p. 41 : « La littérature en impose à l’histoire […] Quant aux historiens, ils seront invités à livrer leur expertise sur la vraisemblance des faits, dès lors qu’un roman plantant sa prose dans le petit lopin où se cultive leur réputation de compétence rencontre quelque succès. Dans tous les cas, la discipline historique est ramenée au rang auxiliaire de l’invention romanesque ».

10 Michel ZINK, Littérature française du Moyen Âge, Paris : PUF, 1992, p. 331-332 : « L’écriture romanesque se modèle sur celle de l’histoire, et le roman retrouve les prétentions historiques qui avaient été les siennes à ses débuts […] la vision du monde propre à chacun de ces genres perd dès lors de sa spécificité aux yeux du lecteur et se fond dans une sorte de syncrétisme idéologique commun à toute la littérature narrative ».

11 Véronique LAMAZOU-DUPLAN (éd.), Ab urbe condita… Fonder et refonder la ville : récits et représentations (second Moyen Âge–premier XVIe s.), Pau : Presses universitaires de Pau et des Pays de l’Adour, 2011.  

12 William HAMMER, « The Concept of the New or Second Rome in the Middle Ages », Speculum, 19, 1944, p. 50-62 ; Emilio MITRE FERNÁNDEZ, « Roma, caput mundi o mater Ecclesiae. ¿Un Sísifo político-religioso medieval? », in : Martín ALVIRA CABRER et Jorge DÍAZ (coord.), Medievo utópico. Sueños, ideales y utopías en el imaginario medieval, Madrid : Sílex, 2011, p. 221-238.

13 Charles GARCIA, « Territorialidad y construcción política de la identidad concejil en la Zamora medieval », in : José Antonio JARA FUENTE, Georges MARTIN et Isabel ALFONSO ANTÓN (éd.), Construir la identidad en la Edad Media. Poder y memoria en la Castilla de los siglos VII a XV, Cuenca : Universidad de Castilla–La Mancha, 2010, p. 83-103.

14 Juan Miguel VALERO MORENO, « Rex, conditor : hacia una poética del espacio urbano », Mianda CIOBA, Catalina GIRBEA, Ioana GOGEANU et Mihaela VOICU (éd.), Espaces et mondes au Moyen Âge. Actes du colloque international tenu à Bucarest les 17-18 octobre 2008, Bucarest : Université de Bucarest, 2009, p. 439-454.

15 Ramón MENÉNDEZ-PIDAL (éd.), Primera crónica general, Madrid : Gredos, 1977, p. 5-7, p. 6 : « la una a nombre Oca que es suso en la montanna que llaman Monte d’Oca, la otra poblaron cabo Ebro, a que pusieron nombre Taraçona, e desi poblaron la quarta cabo ese rio mismo mas adelant e llamaron la Auripa; mas despues, ell emperador Cezar Augusto, quand la gano por fuerça, camiol el nombre e llamol Cezar Augusta, a la que agora dizen Çaragoça » (= PGC).

16 Adeline RUCQUOI, « Le héros avant le saint : Hercule en Espagne », Ab urbe condita… Fonder et refonder la ville…, op. cit., p. 55-75.

17 PGC, p. 7-11, p. 10 : « poblo una cibdat, al pie del Moncayo, dunas yentes que uinieran con el de Grecia : los unos eran duna tierra que dizien Tiro, los otros dotra que dizien Ausona, e por esso pusso nombre a la uilla Tirasona, e oy en dia le llaman Taraçona […] e fizo y una fortaleza e pusol nombre Urgel […] e mando fazer y una uilla, e pusol nombre Barca nona, que quier dezir tanto cuemo la nouena barca; e agora llaman le Barcilona ».

18 PGC, p. 11 : « E la una dellas es la cibdat a que agora llaman Segouia, e pusol este nombre por que fue poblada cab una penna que dizien Gouia, e allí fizo muy marauillosa obra pora adozir ell agua a la cibdat, assi cuemo oy dia parece »; p. 12 : « e fallo en una montanna muchos ossos e mato y muchos dellos e fizo grand caça, e puso nombre a aquel logar el campo Ursino; e desi poblo y una cibdat al pie de la sierra, e pusol nombre Ursina, por la caça de los ossos; y esta es la que agora llaman Ossuna […] dizien la sierra del Sol, por que auie y siempre nief; y el, por que uio que auie y buenas uegas e grandes e muchas aguas, semeiol que serie buena tierra pora pan, e poblo y una cibdat, e por amor de su mugier, pusol nombre Libira, e assi a nombre oy dia ».

19 PGC, p. 9 : « fasta que llego a un logar o es agora poblada Lixbona, e fue depues poblada que Troya fue destroida la segunda uez; e començara la a poblar un nieto d’Ulixes que auie aquel mismo nombre, e por que el no la uuio acabar ante de su muert, mando a una su fija, que auie nombre Buena, que la acabasse, y ella fizo lo assi, e ayunto el nombre de so padre y el suyo, e pusol nombre Lixbona »; p. 37 : « E porque en latin dizen ingenuo por ell omne libre, e a el dizien Carthon, puso ella nombre a aquella cibdat Carthagena ».

20 PCG, p. 8-9.

21 PGC, p. 7.

22 PCG, p. 12 : « Toledo, que era estonce muy grand montanna ; pero auie y dos torres : ell una o es agora ell alcaçar, ell otra a San Roman. Y estas fizieron dos hermanos, fijos dun rey que auie nombre Rocas, y era de tierra doriente a la parte que llaman Eden, allí o dizen las estorias que es el paraíso o fue fecho Adam ».

23 Georges MARTIN, Les juges de Castille. Mentalités et discours historique dans l’Espagne médiévale, Paris : Klincksieck, 1992 ; Francisco Javier PEÑA PÉREZ, « Nuño Rasura y Laín Calvo. Los orígenes del pensamiento mítico sobre Castilla », in : José Antonio MUNITA LOINAZ (éd.), Mitificadores del pasado, falsarios de la historia. Historia Medieval, Moderna y de América, Vitoria : Universidad del País Vasco, 2011, p. 33-65.

24 Marta LACOMBA, « Enjeux discursifs de l’historiographie castillane à la fin du XIIIe siècle : aux limites de la chronique ? », in : Amaia ARIZALETA (éd.), Poétique de la chronique. L’écriture des textes historiographiques au Moyen Âge (Péninsule Ibérique et France), Toulouse : Méridiennes, 2008, p. 229-239.

25 Selon la célèbre formule consacrée par Marcel Détienne.

26 Régis BOYER, « Existe-t-il un mythe qui ne soit pas littéraire? », in : Pierre BRUNEL (éd.), Mythes et littérature, Paris : Presses de la Sorbonne, 1994, p. 153-164. 

27 Michel ZINK, « La littérature médiévale et l’invitation au conte », in :Michel ZINK et Xavier RAVIER (éd.), Réception et identification du conte depuis le Moyen Âge, Toulouse : Université de Toulouse, 1987, p. 1-9.

28 José María MONSALVO ANTÓN, « La imagen de las ciudades y regiones altomedievales de León y de Castilla en las crónicas generales (de Sampiro a la Estoria de España) », Studia historica. Historia medieval, 28, 2010, p. 83-123.

29 Amparo HERNÁNDEZ SEGURA (éd.), Crónica de la población de Ávila, Valencia : Anubar, 1966 (= CPA).

30 José María MONSALVO ANTÓN, « Ávila del rey y de los Caballeros : acerca del ideario social y político de la crónica de la población », in : Jon Andoni FERNÁNDEZ DE LARREA Y ROJAS et José Ramón DÍAZ DE DURANA ORTIZ DE URBINA (coord.), Memoria e Historia: utilización política en la Corona de Castilla al final de la Edad Media, Madrid : Sílex, 2010, p. 163-200, avec une riche et complète bibliographie.

31 Charles GARCIA, « La invención de la identidad de la ciudad de Zamora por el franciscano Juan Gil (siglo XIII) », in : José Antonio JARA FUENTE (coord.), Ante su identidad. La ciudad hispánica en la Baja Edad Media, Cuenca : Universidad de Castilla–La Mancha, 2013, p. 243-262, p. 252 : « Las invenciones de los orígenes de las ciudades suelen tener varios puntos comunes. Se sitúan a menudo en la confluencia de la tradición oral y de la elaboración intelectual ».

32 CPA, p. 17 : « E aquellos que sabían catar de agüeros entendieron que eran buenos para poblar allí, e fueron poblar en la villa lo más cerca del agua ».

33 María Margarita VILA DA VILA, « Repoblación y estructura urbana de Ávila en la Edad Media », in : Ramón VILLARES PAZ (coord.), La ciudad y el mundo urbano en la historia de Galicia, Saint-Jacques de Compostelle : Tórculo, 1988, p. 137-153.

34 CPA, p. 17 : « Quando el conde don Remondo, por mandado del rey don Alfonso que ganó a Toledo (que era su suegro) ovo de poblar a Ávila, en la primera puebla vinieron gran compaña de buenos omes de Cinco Villas e de Lara e algunos de Covaleda ».

35 CPA, p. 17 : « E los de Covaleda e de Lara venían delante, e ovieron sus aves a entrante la villa ».

36 CPA, p. 18 : « E entre tanto vinieron otros muchos a poblar a Ávila, e señaladamente infançones e buenos omes de Estrada e de los Brabezos e otros buenos omes de Castilla. E estos ayuntaron con los sobredichos en casamientos e en todas las otras cosas que acaesçieron »; J. M. MONSALVO ANTÓN, « Ávila del rey y de los Caballeros… », op. cit., p. 174.

37 CPA, p. 19-20 : « E después desto vino a tiempo que fincó don Alfonso, fijo del conde don Remondo,  niño, e este fue después emperador. E en su niñés vino el rey de Aragón, que avie por mujer a su madre, a Ávila con muy grand hueste que le reçibiessen por señor. E dixeron los de Ávila ca lo non faríen, ca don Alfonso avíen rresçevido por señor, e él viviendo nunca abríen otro señor ».

38 María CÁTEDRA et Serafín DE TAPIA, « Imágenes mitológicas e históricas del tiempo y del espacio : las murallas de Ávila », Política y Sociedad, 25, 1997, p. 151-183, p. 165 : « Aunque todas las ciudades castellanas tenían su cerca, la de Ávila siempre fue considerada como excepcional. La abundancia de sus cubos y la altura de sus lienzos, así como su emplazamiento, llamaban la atención de sus visitantes ». 

39 Jean GAUTIER-DALCHÉ, « Fiction, réalité et idéologie dans la Crónica de la población de Ávila », Razo, 1, 1979, p. 24-32, p. 25.

40 Michel PASTOUREAU, Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental, Paris : Seuil, 2004, p. 11-25.

41 José Ignacio RUIZ DE LA PEÑA SOLAR, « Ciudades y sociedades urbanas en la España Medieval, siglos XIII-XV », Las sociedades urbanas en la España medieval, XXIX Semana de estudios medievales, Estella, 2002, Pampelune : Gobierno de Navarra, 2003, p. 17-49.

42 Elizabeth CROUZET-PAVAN, « Les élites urbaines. Aperçus problématiques (France, Angleterre, Italie) », Les Élites urbaines au Moyen Âge, XXVIIe Congrès de la SHMES, Rome, 1996, Paris : Publications de la Sorbonne, 1997, p. 9-28.

43 CPA, p. 19 : « E entretanto sópolo el conde don Remondo, que estava en Segovia, e trasnochó e vínosse para Ávila, e falló toda la verdad de cómo fue el fecho; e mandó que les non diesen nada de quanto ganaron a los que se tornaron, e sacolos fuera de la villa al arraval, e apoderólos en la villa aquellos que llamavan serranos que fueron adelante, e odernólo anssí : que alcaldes e todos los otros portillos que los oviessen estos, e non otros ningunos ».

44 José María MONSALVO ANTÓN, « Transformaciones sociales y relaciones de poder en los concejos de frontera, siglos XI-XIII. Aldeanos, vecinos y caballeros ante las instituciones municipales», in : Reyna PASTOR (coord.), Relaciones de poder, de producción y parentesco en la Edad Media y moderna. Aproximación a su estudio, Madrid : CSIC, 1990, p. 107-170, p. 127-128.

45 CPA, p. 23 : « E los que la Ciudad [Rodrigo] poblaron vinieron al Fenar e levaron ende robado quanto ganado fallaron de los llamados serranos. E sopiéronlo ellos, e fueron en pos ellos, e alcançáronlos a Val de Corneja. E mataron ende todos los más, e tomaron sus ganados, ansí que aduxeron las babezas a Ávila, e oviéronlas de comprar los sus parientes que fincaron en Ávila, e ansí fueron soterrados. E de aquí coxieron gran malquerencia unos con otros. E por este lugar movieron muchas vegadas revueltas e boliçios en que ovieron mal acaesçer, en tal guissa que non fincó dellos sino aquellos que eran bueltos con los fijos e con los nietos de los dichos que eran llamados mercaderes. E estos son los que se llaman agora castellanos en Ávila ».

46 CPA, p. 20 : « E este Çorraquín Sancho yaze en san Silvestre en la más onrada sepultura que ỷ a. E Sancho Ximeno e Gómez Ximeno, los adalides, yazen soterrados en la iglesia de Santiago » ; p. 37 : « E troxieron a Ávila la seña de don Ferrán Fernández, e está ỷ en la yglesia de Sanct Juan ».

47 CPA, p. 18 : « E los que eran llamados serranos (que eran ydos en cabalgada) legaron ese día por ventura, e, quando fallaron toda la tierra corrida, preguntaron a la gente de la villa qué compaña podía ser de moros aquéllos que los corrieron; e como quier que eran muchos, dixeron ellos que más ».

48 Dans la CPA, l’épisode de Nalvillos-Enalviello, que nous avons choisi de ne pas traiter ici, est très significatif de l’insertion romanesque dans la chronique ou, pour reprendre l’expression de Pierre Courroux : « la polygénéricité du système chronico-romanesque », cf. Pierre COURROUX, L’écriture de l’histoire dans les chroniques de langue française (XIIe-XVe siècles). Les critères de l’historicité médiévale, thèse inédite, Université de Poitiers, 2013. L’épisode de Nalvillos, qui relève en effet du genre des romans de chevalerie est construit avec les ingrédients inhérents à ce style : la vengeance, l’amour sur la frontière… Il reprend même l’exemplum de la « femme traitresse » pour pimenter le récit ; CPA, p. 27 : « vino el señor de Talavera con muy grand compaña de moros e corrió Ávila. E fallólos seguros, e levaron quanto fallaron de fuera, e señaladamente levó la mujer de Enalviello, e casóse el moro con ella », cf. María del Mar LÓPEZ VALERO, « Las expresiones del ideal caballeresco en la Crónica de la población de Ávila y su vinculación a la narrativa medieval », in : Juan Salvador PAREDES NÚÑEZ (coord.), Medioevo y literatura. Actas del V congreso de la asociación hispánica de literatura medieval, Grenade : Université de Grenade, 1995, t. 3, p. 89-109 ; Fernando GÓMEZ REDONDO, Historia de la prosa medieval castellana. I. La creación del discurso prosístico: el entramado cortesano, Madrid : Cátedra, 1998, p. 170-180 ; p. 175-178 ; p. 180 : « la CPA aparece como un relato híbrido que da testimonio de los registros literarios con que Castilla construye su identidad […] contiene, por ello, formas de la lírica tradicional, ecos de cantares de gesta, “fazañas” de esfuerzo militar, “estorias” de concepción caballeresca […]. Nuevamente, la primera historiografía y el discurso jurídico encuentran ocasión de integrarse en una misma textualidad ».

49 CPA, p. 20 : « E por esso el rey de Aragón ensañosse; e fizo cozer, de los que teníe en arrehenes, en calderas una gran pieza, en un lugar que es llamado agora la Fervençia por esto ».

50 CPA, p. 17 : « E aquellos que sabían catar de agüeros entendieron que eran buenos para poblar allí, e fueron poblar en la villa lo más cerca del agua ».

51 CPA, p. 17 : « E los de Cinco Villas, que venían en pos dellos, ovieron esas aves mesmas. E Muño Echaminzuide, que veníe con ellos, era más acabado agorador e dixo, por los que primero llegaron, que ovieron buenas aves, más que herraron en possar en lo baxo çerca del agua, e que serían bien andantes siempre en fecho de armas, más en la villa que no seríen tan poderosos nin tan honrrados como los que poblasen de la media villa arriba ».

52 José María MONSALVO ANTÓN, « Espacios y poderes en la ciudad medieval. Impresiones a partir de cuatro casos: León, Burgos, Ávila y Salamanca », in : José Ignacio DE LA IGLESIA DUARTE (coord.), Los espacios de poder en la España medieval. XII semana de estudios medievales, Nájera, 2001, Logroño : Instituto de estudios riojanos, 2002, p. 97-147, n. 41, p. 115.

53 CPA, p. 18 : « E porque los que vinieron de Cinco Villas eran más que los otros, la otra gente que era mucha que vino poblar en Ávila llamáronlos serranos; pero dio Dios a todos grande e buena andança en aquella poblaçión. E la mucha gente que nombramos, después metiéronse a comprar e a vender e a fazer otras baratas, e ganaron grandes algos; e todos los que fueron llamados serranos trabajáronse en pleyto de armas e en defender a todos los otros ».

54 Juan Salvador PAREDES NÚÑEZ, « Ficción histórica y realidad literaria en los nobiliarios peninsulares: la historización mitológica », in : Fernando CARMONA FERNÁNDEZ et José Miguel GARCÍA CANO (éd.), La Literatura en la Historia y la Historia en la Literatura: in honorem Francisco Flores Arroyuelo, Murcie : Université de Murcie, 2009, p. 283-290.

55 Adeline RUCQUOI, « Mancilla y limpieza : la obsesión por el pecado en Castilla a fines del siglo XV », Rex, sapientia, nobilitas. Estudios sobre la Península Ibérica medieval, Grenade : Université de Grenade, 2006 (rééd., 1e éd. 1997), p. 249-283.

56 « Un haruspice ne peut voir un haruspice sans rire », ironisait Cicéron au 1er siècle avant J.-C., signifiant ainsi que la religion romaine traditionnelle ne convainquait même plus ses propres officiants ; mais lui-même n’y croyait pas et ne la défendait que comme élément fondateur et fédérateur de sa société. Or cette question ne semble pas avoir troublé l’auteur du récit d’Ávila.

57 Gerd ALTHOFF, « Geschichtsschreibung in einer oralen Gesellschaft. Das Beispiel des 10. Jahrhundetrts », Gerd ALTHOFF, Inszenierte Herrschaft  Geschichtsschreibung und politisches Handeln in Mittelalter, Darmstadt : Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2003, p. 105-125.

58 CPA, p. 18 : « E así acaeçió que una vez fueron [les “serranos”] en cabalgada, e vinieron gran poder de moros a la villa, e corriéronla fasta las puertas e levaron omes e bestias e ganados e cuanto fuera fallaron ».

59 CPA, p. 18-19 : « E dixeron los que eran llamados serranos a la otra gente, que fuesen con ellos, e se aventurasen, ca fiaban en Dios que los vençerían [les Maures]. E pusieron pleito que yrían con ellos. E llegaron fasta un lugar que dizen el Rostro de la Coliella, e desde allí tornosse toda la otra gente, salvo ende aquellos que llamavan serranos, que fueron adelante ».

60 Charles GARCIA, « ‘Et ut pacem et concordiam inter eos reformaremus’ : pacto y consenso en el entorno del monasterio de Sahagún (siglos XI-XIII) », in : Óscar VILLARROEL GONZÁLEZ et Juan Manuel NIETO SORIA (coord.), Pacto y consenso en la cultura política peninsular (siglos XI al XV), Madrid : Sílex, 2013, p. 263-282.

61 CPA, p. 19 : « E fueron ferir los moros, e vençiéronlos e mataron dellos muchos, e ganaron gran aver, e tomaron quanto les avían levado ».

62 Luis Miguel VILLAR GARCÍA, La Extremadura castellano-leonesa: guerreros, clérigos y campesinos (711-1252), Valladolid : Junta de Castilla y León, 1986, p. 186-203.

63 CPA, p. 19 : « E otro día embiaron los de la villa a dezirles que les diesen su parte de la ganancia, e los serranos dixeron que lo non farían, ca se tornaron e non fueron con ellos así como pusieron, más les daríen sus fijos e sus mujeres e todo aquello que los moros los avían levado, e ellos non se pagaron con esto, e fizieron muestra que yrían lidiar con ellos e sobrellos ».

64 Le chroniqueur n’omet pas de rappeler que la mesure initiale fut par la suite confirmée par Alphonse VII et par Sanche III, deux monarques qui avaient bien compris la fidélité des “abulenses” à la monarchie ; CPA, p. 22 : « E confirmó [Alphonse VII] la ordenación que el conde don Remondo fizo en razón de las alcaldías e de los otros officios. […] E esta gente (que es dicha que fue echada de la villa) pussiéronse con nuestro señor el rey don Sancho. E pidiéronle que les diesen parte en las alcaldías e en los otros offiçios. E él dixo que lo non faríe, ca tan noble ome como el emperador, su padre, non daríe a los que se llamaban serranos tan gran mejoría, si no entendiese que la devíen de aver por derecho ».

65 CPA, p. 19 : « E mandó [le comte] que les non diesen nada de quanto ganaron a los que se tornaron, e sacólos fuera de la villa al arraval, e apoderólos en la villa aquellos que llamavan serranos que fueron adelante, e ordenólo anssí: que alcaldes e otros portillos que los oviessen estos, e non otros ningunos ».

66 J. GAUTIER-DALCHÉ, « Fiction, réalité et idéologie… », op. cit., p. 25 : « Il y a transposition dans le passé lointain d’une situation – celle du milieu du XIIIe siècle – que l’on entend légitimer en lui conférant le poids de l’ancienneté, du bon droit et de la sanction royale ».

67 L. M. VILLAR GARCÍA, La Extremadura castellano-leonesa…, op. cit., p. 260-263 ; p. 267-270.

68 CPA, p. 23.

69 Ibid.

70 Ibid.

71 José María MÍNGUEZ FERNÁNDEZ, « La repoblación de los territorios salmantinos », in : José-Luis MARTÍN (dir.), Historia de Salamanca. II. Edad Media, Salamanque : Centro de estudios salmantinos, 1997, p. 13-74, p. 59-66, p. 73.

72 CPA, p. 23.

73 C’est également le programme que proposent dernièrement certains avec, comme but, de replacer le plaisant récit littéraire au cœur de la démarche historiographique, cf. Ivan JABLONKA, L’histoire est une littérature contemporaine. Manifeste pour les sciences sociales, Paris : Le Seuil, 2014.

74 Ma. M. LÓPEZ VALERO, « Las expresiones del ideal… », Medioevo y literatura…, op. cit., p. 95 : « No debemos olvidar que las crónicas no separan lo histórico de lo literario, ya que recogen relatos no acaecidos, pertenecientes al campo de la tradición oral, de la épica, etc.; describen multitud de facetas y tipos e idealizan la figura del caballero ».

75 Ludmilla EVDOKIMOVA et Victoria SMIRNOVA (éd.), L’œuvre littéraire au Moyen Âge : aux yeux de l’historien et du philologue, Paris : Classiques Garnier, 2014.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Charles Garcia, « Histoire et littérature médiévales : l’impossible séparation. La mémoire des villes castillanes »e-Spania [En ligne], 23 | février 2016, mis en ligne le 01 février 2016, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/e-spania/25219 ; DOI : https://doi.org/10.4000/e-spania.25219

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search