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AccueilNuméros3Comment traduire les noms d’émotion 

Comment traduire les noms d’émotion 

Etude contrastive entre le grec moderne et le français
Argyro Moustaki, Mavina Pantazara, Aggeliki Fotopoulou et Marianna Mini

Résumés

Cet article porte sur l’expression des sentiments dans deux langues mises en contraste : le grec moderne et le français. Nous étudions les noms prédicatifs qui expriment une « émotion », tels que joie, angoisse, peur, colère, enthousiasme, etc. Dans l’objectif d’établir des équivalences entre les deux langues, nous examinons les propriétés et les particularités d’ordre syntaxique et lexicale des constructions des noms étudiés en prenant en compte les modalités aspectuelles et stylistiques ainsi que les spécifications des registres de langue par rapport aux éléments lexicaux (verbes supports et déterminants nominaux) qui y interviennent.

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Texte intégral

Introduction

1Suite aux travaux réalisés ces dernières années sur l’expression des sentiments, la présente étude se focalise sur un fragment du lexique des noms prédicatifs de sentiments (notés Nsent), et plus concrètement ceux qui expriment une « émotion », tels que angoisse, peur, colère, joie, enthousiasme, etc. Il sera question ici des particularités d’ordre lexical et syntaxique du lexique des émotions, dans deux langues mises en contraste : le grec moderne et le français. La grande variété des expressions de ce lexique dans l’une et l’autre langue suscite souvent des problèmes de traduction. Dans l’objectif d’établir des équivalences entre les deux langues, nous étudions les propriétés syntaxiques et lexicales des constructions des noms étudiés en prenant en compte les modalités aspectuelles et stylistiques ainsi que les spécifications des registres de langue par rapport aux éléments lexicaux (verbes supports et déterminants nominaux) qui y interviennent.

1. Cadre théorique et méthodologique

2Notre travail s’inscrit dans le cadre théorique du lexique-grammaire (Gross 1975, 1981). Nous étudions les phrases simples d’une langue et décrivons les propriétés distributionnelles et transformationnelles de leur noyau prédicatif (verbe, nom ou adjectif). Ici, nous nous intéressons aux prédicats désignant des sentiments, par exemple :

[1a] Cela suscitait un élan d’enthousiasme.

[1b] Tout le monde s’est enthousiasmé.

[1c] Le public est enthousiasmé par ces nouvelles.

[1d] Le spectacle a enthousiasmé les enfants.

[1e] Je trouve notre littérature absolument enthousiasmante!

3Ces mots, malgré les constructions différentes dans lesquelles ils entrent, correspondent tous à un même sentiment (enthousiasme). Ici, nous nous limitons à l’étude des noms prédicatifs de sentiment (et non pas les verbes ou les adjectifs). Plusieurs analyses des noms de sentiment (encore appelés noms d’affect ou noms psychologiques) ont été effectuées pour le français (Ruwet 1994 ; Picoche 1995 ; Anscombre 1992, 1995, 1996, 2004 ; Leeman 1991, 1995 ; Balibar 1995 ; Gross 1995 ; Vivès 1997 ; Mathieu 1999 ; Flaux et Van de Velde 2000 ; Buvet et al. 2005 ; Vaguer 2005; Tutin et al. 2006 ; Blanco et al. à paraître). Les études sont moins nombreuses pour le grec (Lamprou 2000 ; Gavriilidou 2001, 2002 ; Valetopoulos 2005, 2007, à paraître ; Pantazara et al. 2008 ; Fotopoulou et al. à paraître).

4Dans la perspective de la mise en contraste des constructions nominales grecques et françaises, nous entreprenons, ici, une étude détaillée d’un sous-ensemble de ce lexique : les noms d’émotion.

  • 1 Sur les avantages de l’utilisation du web dans les recherches linguistiques, nous renvoyons à Kilga (...)
  • 2 A côté des exemples utilisés, seules les sources Frantext ou HNC seront indiquées.

5Mis à part quelques exemples construits pour illustrer les constructions syntaxiques étudiées, nous avons relevé nos données dans le web1. Nous avons élaboré notre corpus à partir des phrases attestées dans google.gr et google.fr, tout en tenant compte de leur fréquence et en les soumettant au jugement des locuteurs natifs. Nous avons également utilisé, mais, dans une moindre mesure, la banque textuelle Frantext pour le français, ainsi que le Hellenic National Corpus (HNC) élaboré par l’ILSP (Institute of Language and Speech Processing) pour le grec2.

2. Qu’est-ce qu’un nom d’émotion ?

6Voici des phrases simples qui expriment des émotions en grec :

[2a] Η Λένα νιώθει αγανάκτηση.
la Léna éprouve indignation
‘Léna éprouve de l’indignation.’

[2b] Η Λένα έχει λίγη αγωνία για την αυριανή μέρα.
la Léna a peu angoisse pour le lendemain
‘Léna a une certaine angoisse pour le lendemain.’

7Les noms d’émotion appartiennent à la classe de noms dits de sentiments. Il se trouve que les noms de sentiments constituent une classe, avant tout, intuitive. En essayant d’asseoir la caractérisation intuitive de cette classe sur des propriétés formelles, nous avons adopté trois critères définitoires, bien connus dans la littérature :

  • ils requièrent obligatoirement un sujet humain

  • ils sélectionnent les verbes supports : έχω (avoir), νιώθω (ressentir), αισθάνομαι (éprouver)

  • ils entrent dans la phrase classificatrice : Nsent είναι ένα συναίσθημα (Nsent est un sentiment)

8En français, les Nsent semblent se caractériser par un ensemble de propriétés (Leeman 1995 ; Anscombre 1996) que nous récapitulons ci-dessous :

  • ils sélectionnent les verbes supports : avoir, ressentir, éprouver

    • 3 Les notations utilisées sont empruntées à Gross (1975). Le signe + a une valeur disjonctive, E renv (...)

    ils admettent le partitif (sans modifieur associé) : Max éprouve de l’agacement (E + *souverain)3

  • ils admettent le déterminant quantitatif : Max éprouve (un certain + un peu d’) agacement

  • ils entrent dans la construction : Max a un sentiment d’agacement

  • ils entrent dans la construction : Max est dans un état d’agacement (*E + pas possible)

9La mise en parallèle des constructions grecques et françaises montre qu’elles partagent généralement les mêmes propriétés, à deux remarques près :

10i) A la place du partitif français, en grec le déterminant (Dét) zéro est la détermination standard (i.e. non marquée) pour ce type de constructions (Gavriilidou 2002) :

[3a] Η Λένα νιώθει (χαρά + οργή + φόβο).
la Léna éprouve (joie + colère + peur)
‘Léna éprouve (de la joie + de la colère + de la peur).’

[3b] Max éprouve de la (joie + colère + peur).

11Signalons, d’ailleurs, qu’en grec il n’existe pas de forme morphologiquement distincte pour l’article partitif et que le grec utilise soit le Dét zéro soit le Dét indéfini selon les cas.

12ii) La construction française un sentiment de Nsent peut être rendue en grec par les deux formes : ένα (αίσθημα + συναίσθημα) avec un Nsent au génitif (les deux noms αίσθημα, συναίσθημα étant proposés comme synonymes dans les grands dictionnaires de la langue grecque), par exemple :

  • 4 Parmi les cas morphologiques du grec moderne, seul le génitif est noté d’une marque grammaticale (G (...)

[4] Mε πλημμυρίζει ένα (αίσθημα + συναίσθημα) χαράς.
me inonde un (sentiment1 + sentiment2) joie-GÉN4
‘Je suis inondé d’un sentiment de joie.’

13Cependant, les deux noms αίσθημα et συναίσθημα ne sont pas sémantiquement et syntaxiquement équivalents, dans la mesure où le nom αίσθημα n’entre pas dans la construction classificatrice pour un Nsent :

[5] Η χαρά είναι ένα (*αίσθημα + συναίσθημα).
la joie est un (*sentiment1 + sentiment2)
‘La joie est un sentiment.’

14Comme déjà mentionné dans Valetopoulos 2005, il s’avère que le nom grec αίσθημα ne se limite pas au champ sémantique des sentiments, mais sert de classifieur aussi bien des noms de « perception » (goût, toucher, ouïe, vue, odorat) que des noms de « sensation » (faim, soif, froid, chaleur, douleur). En revanche, seul le nom συναίσθημα s’applique aux noms désignant des « émotions ».

15Les noms d’émotion constituent une des trois classes des noms dits de sentiments, proposées dans les travaux déjà mentionnés, tant en grec qu’en français. Pour nous, cette classe est définie par la structure syntaxique N0 Vsup Nsent (E + Prép N1), par exemple:

[6] Οι Έλληνες ποιητές νιώθουν βαθιά θλίψη για το θάνατο του Οδυσσέα Ελύτη.
Les grecs poètes ressentent profonde tristesse pour la mort le Odysseas Elytis-GÉN
‘Les poètes grecs ressentent une profonde tristesse pour la mort d’Odysseas Elytis.’

16Pour le grec, nous avons recensé 44 noms d’émotion, tels que χαρά/joie, φόβος/peur, θυμός/colère, etc. ; la liste complète des noms est donnée dans l’annexe 1. Les noms d’émotion acceptent un complément prépositionnel non obligatoire causatif, désignant le stimulus externe qui déclenche l’émotion ressentie par le sujet humain. C’est la nature de ce complément qui différencie les noms d’émotion des autres noms de sentiment de type amour, humeur, etc. De plus, dans les constructions de la classe des émotions, la « cause » peut prendre différentes formes (voir la section 3.4 sur les opérateurs causatifs).

3. Constructions et paradigmes appropriés des noms d’émotion

  • 5 Sur la notion de mot approprié, cf. Gross (1994).

17Outre la construction canonique N0 Vsup Nsent (E + Prép N1) qui caractérise la classe des noms d’émotion, nous avons repéré un éventail d’autres propriétés de construction et de distribution, établies à partir de leur combinatoire lexicale. Les noms d’émotion apparaissent en cooccurrence avec les différentes catégories d’éléments lexicaux qui leur sont appropriés5 : les verbes (supports, opérateurs causatifs, verbes distributionnels), les noms (prédicatifs ou non), les adjectifs (en tant que modifieurs). De plus, dans les exemples suivants, nous observons que les noms d’émotion peuvent apparaître dans différentes positions syntaxiques. Par exemple :

[7a] Η Λένα (νιώθει + αισθάνεται) χαρά.
la Léna (éprouve + ressent) joie
‘Léna éprouve de la joie.’

[7b] Η Λένα (λάμπει + πετάει) από (χαρά + τη χαρά της).
la na (éclate + rayonne) de (joie + la joie POSS)
‘Léna (éclate + rayonne) de joie.’

[7c] Τα μάτια της Λένας αστράφτουν από χαρά.
les yeux la Léna-GÉN brillent de joie
‘Les yeux de Léna brillent de joie.’

[7d] Η χαρά (σπινθηρίζει + λάμπει) στα μάτια της Λένας.
la joie (luit + pétille) à-les yeux la Léna-GÉN
‘La joie (luit + pétille) dans les yeux de Léna.’

[7e] Υπάρχει (μία σπίθα + μία λάμψη) χαράς στα μάτια της Λένας.
existe (une lueur + un pétillement) joie-GÉN à-les yeux la Léna-GÉN
‘Il y a (une lueur + un pétillement) de joie dans les yeux de Léna.’

[7f] Αυτά τα λόγια γέμισαν με χαρά την καρδιά της Λένας.
ces les paroles ont rempli avec joie le cœur la Léna-GÉN
‘Ces paroles ont rempli de joie le cœur de Léna.’

18Ces exemples montrent bien la diversité syntaxique des phrases simples exprimant les émotions d’une personne, ne différant entre eux que par des modalités aspectuelles et/ou stylistiques. Ces différentes constructions constituent le paradigme syntaxique pour un même Nsent (ici χαρά / joie).

19De même, en français, nous relevons les formes suivantes (Gross 1995 : 74, 82):

[8a] Luc (éprouve + ressent) de la joie.

[8b] Luc (éclate + rayonne) de joie.

[8c] Les yeux de Luc brillent de joie.

[8d] La joie (luit + pétille) dans les yeux de Luc.

[8e] Il y a (une lueur + un pétillement) de joie dans les yeux de Luc.

20Dans un premier temps, nous regroupons les différentes formes autour d’un même nom, afin de mettre en évidence les valeurs sémantiques spécifiques (valeurs aspectuelles, marqueurs intensifs) qui sont sous-jacentes aux différents éléments constitutifs des phrases. Puis, nous relevons les différentes réalisations lexicales en grec et en français, afin de pouvoir établir des équivalences entre les deux langues.

21Pour ce faire, nous prenons en compte quatre traits sémantiques (l’aspect, l’intensité, la causativité et la manifestation) tels qu’ils sont véhiculés par les supports verbaux et les déterminants nominaux sélectionnés par les noms d’émotion étudiés.

3.1. L’aspect

22Au niveau de l’aspect, notre description des noms d’émotion est basée sur les travaux de G. Gross 1996 ; Tutin et al. 2006 ; Blanco et al. à paraître, concernant la compatibilité aspectuelle entre le nom et le verbe qui l’accompagne. L’aspect d’un nom d’émotion peut être phasique (phase inchoative, phase terminative), ponctuel ou duratif.

3.1.1. Aspect inchoatif

23Parmi les phases notées pour les noms d’émotion, l’inchoatif est le plus productif dans les deux langues. En grec, il est signalé à travers des Vsup tels que πιάνει (prendre), κυριεύει (saisir), καταλαμβάνει (emporter) (avec Nsent en position sujet), par exemple :

[9] Με πιάνει (απελπισία + αγωνία + εκνευρισμός + στενοχώρια).
me prend (désespoir + angoisse + énervement + tristesse)
‘(Le désespoir + L’angoisse + L’énervement + La tristesse) me prend.’

24En français, l’inchoatif met en jeu des Vsup tels que se mettre en, être pris de (avec Nhum en position sujet) ou prendre, surgir, saisir (avec Nsent en position sujet), comme par exemple :

[10a] Il a été pris d’une crise violente de désespoir.

[10b] Il se met en colère.

[10c] La (colère + peur) le (prend+ saisit).

[11d] L’angoisse surgit.

3.1.2. Aspect terminatif

25D’autres verbes désignent le terminatif pour les noms d’émotion, tels que les Vsup grecs ξεπερνάω (dépasser), ξεφεύγω (échapper) (avec Nhum en position objet) et παίρνει τέλος (prendre fin), φεύγει (partir), περνάει (passer) (avec Nsent en position sujet) :

[11a] Ξεπέρασα τις ανασφάλειές μου.
j’ai dépassé les insécurités POSS
‘J’ai surmonté mon insécurité.’

[11b] Απαλλάχτηκα από το άγχος μου.
j’ai été délivré de la anxiété POSS
J’ai été délivré de mon anxiété.’

[11c] Η αγωνία του πήρε τέλος.
l'angoisse POSS a pris fin
Son angoisse a pris fin.’

26et les Vsup français quitter, libérer, surmonter, prendre fin, s’envoler, se dissiper, etc. :

[12a] J’ai été libéré de mon angoisse.

[12b] L’angoisse m’a quitté.

3.1.3. Aspect ponctuel

27La majorité des noms d’émotion sont ponctuels et sont caractérisés par la combinaison fréquente entre l’aspect inchoatif et l’aspect ponctuel, comme le montrent les constructions binominales suivantes du type Npréd + Nsent. Nous entreprenons d’établir un parallélisme des constructions attestées dans chacune des deux langues. Ainsi, nous observons pour le grec :

[13a] Ένας εκ των κατηγορουμένων είχε ένα ξέσπασμα αγανάκτησης.
un parmi les accusés-GÉN a eu un débordement indignation-GÉN
‘Un des accusés a eu un débordement d’indignation.’

[13b] Το κίτρινο μουστάκι του να τρέμει από την έξαψη χαράς.
la jaune moustache POSS SUBJ tremble de l’ élan joie-GÉN
‘Sa moustache jaune tremble de cet élan de joie.’

[13c] Ακολούθησε μια έκρηξη χαράς.
a suivi une explosion joie-GÉN
‘Après, il y a eu une explosion de joie.’

28et pour le français :

[14a] Il y aura un débordement de colère.

[14b] J'ai eu un (élan + éclair) de joie.

[14c] A leur vue, c’est l’explosion de joie.

3.1.4. Aspect duratif

29Certains noms d’émotion admettent aussi bien le duratif, par exemple :

[15a] H χώρα θα βυθιστεί σε μια περίοδο αβεβαιότητας.
le pays FUT plonger à une période incertitude-GÉN
‘Le pays va plonger dans une période d’incertitude.’

[15b] Ώρες αγωνίας έζησαν χθες οι 32 επιβάτες του πλοίου «Εξπρές».
heures angoisse-GÉN ont vécu hier les 32 passagers le bateau-GÉN Express
‘Les 32 passagers du bateau Express ont vécu hier des heures d’angoisse.’

30Il en va de même pour le français :

[16a] La Guinée traverse une période d’incertitude.

[16b] Des centaines de vacanciers ont vécu de longues heures d’angoisse dans la nuit de lundi à mardi.

31Cependant, il existe parfois des restrictions lexicales, qui interviennent dans ce type de combinaisons, que nous devons examiner en détail pour chaque nom d’émotion recensé.

3.2. L’intensité

32Plusieurs types de constructions expriment l’intensité de l’émotion éprouvée par une personne. La plupart de ces constructions mettent en jeu des emplois métaphoriques de verbes distributionnels. Il s’agit de verbes exprimant une manifestation physique (frissonner) ou l’aspect extérieur de l’individu (rougir). Nous distinguons deux types de structures syntaxiques :

33a) Nhum V Prép Nsent. Dans ce premier type de structure, le sujet est humain et le nom d’émotion figure en position Prép N1 ayant une interprétation de cause (Leeman 1991). Les phrases grecques suivantes entrent dans ce type de structure :

[17a] O συνεργάτης του νεκρού πατέρα της πέθανε από το φόβο του στο άκουσμα αυτών των λέξεων.
le collaborateur le mort père-GÉN POSS mourut de la peur POSS en entendant ces les mots-GÉN
‘Le collaborateur de feu son père mourut de peur en entendant ces mots.’

[17b] Ο Ιμπραήμ φρενιάζει από λύσσα, φρυάζει, αφρίζει από θυμό.
l’Ibrahim devient fou de rage, frémit, écume de colère
‘Ibrahim devient fou de rage, frémit de colère.’

[17c] Ο Mάλκοβιτς θυμάται τον Παναθηναϊκό του πρώτου αγώνα και ανατριχιάζει από αποστροφή.
le Malcovic se souvient le Panathinaïkos le premier match-GÉN et frissonne d’ aversion
‘Malcovic se souvient de Panathinaïkos lors du premier match et frissonne d’aversion.’

34Il en va de même pour les phrases françaises suivantes :

[18a] L’histoire d’un lecteur qui meurt de peur en lisant un récit fantastique.

[18b] Devant cette résistance imprévue, la fermière écume de colère.

[18c] Hôji, qui voit cela avec stupéfaction, frissonne de peur.

35Mathieu (1999) a répertorié 85 verbes français entrant dans cette structure, tels que bondir, brûler, céder, éclater, étouffer, exploser, trembler, etc. Pour le grec, nous avons recensé dans d’autres travaux (Fotopoulou et al. à paraître) environ 45 verbes de ce type, tels que βράζω (bouillir), λιώνω (fondre), λάμπω (briller), φουσκώνω (gonfler), etc., ainsi que des verbes de couleur, tels que κοκκινίζω (rougir), πρασινίζω (verdir), ασπρίζω (blanchir), etc.

36Une différence entre le grec et le français apparaît au niveau des déterminants. Le grec autorise deux formes pour le complément Prép N1, à savoir avec Dét zéro et avec Poss0 (combiné avec Dét défini obligatoire) :

[19a] Ο Ιμπραήμ αφρίζει από (θυμό + το θυμό του).
l’Ibrahim écume de (colère + la colère POSS)
‘Ibrahim écume de (colère + sa colère).’

[19b] Ο Ιμπραήμ πετάει από (χαρά + τη χαρά του).
l’Ibrahim vole de (joie + la joie POSS)
‘Ibrahim vole de (joie + sa joie).’

37En revanche, le français ne connaît que la forme à Dét zéro :

[20a] Ibrahim écume de (colère + *sa colère).

[20b] Ibrahim vole de (joie + *sa joie).

38Par ailleurs, il s’avère que la combinatoire entre verbe et Nsent est extrêmement complexe. Nous avons par exemple pour le grec :

[21a] Ο Ιμπραήμ βράζει από (θυμό + οργή + *φόβο + *ντροπή).
l’Ibrahim bout de (colère + fureur + *peur + *honte)
‘Ibrahim bout de (colère + fureur + peur + honte).’

[21b] Ο Ιμπραήμ λάμπει από (ικανοποίηση + χαρά + *ανακούφιση).
l’Ibrahim brille de (satisfaction + joie + *soulagement)
‘Ibrahim brille de (satisfaction + joie + soulagement).’

39Il nous faut, donc, marquer les restrictions lexicales détaillées pour chaque Nsent décrit dans le lexique élaboré ici.

40b) Nsent V Nhum. Dans le second type de structure, le Nsent apparaît en position de sujet. Nous avons recensé, ici, quelques verbes grecs, tels que κατακλύζει (inonder), πλημμυρίζει (inonder), παρασύρει (agiter), πνίγει (noyer), τρώει (manger), ρίχνει (jeter), βασανίζει (torturer), comme dans les phrases :

[22a] Τι προσπάθειες έπρεπε να κάνουν για να μην τις παρασύρει η λύπη... [HNC]
quels efforts devaient SUBJ faire pour que NÉG les emporte la tristesse …
‘Quels efforts devraient-elles faire pour que la tristesse ne les emporte pas…’

[22b] Μπροστά στον κίνδυνο ένιωσε να την πνίγει η οργή... [HNC]
devant à-le danger elle s’est sentie SUBJ l’ étouffer la colère…
‘Devant le danger elle s’est sentie étouffée par la colère…’

41En français, une centaine de verbes tels que accabler, bercer, dévorer, égarer, étouffer, inonder, oppresser, soulever, etc. entrent dans cette construction. Ils ont été étudiés en détail par Balibar (1995 : 91-92), d’où les exemples :

[23a] L’inquiétude dévore Max.

[23b] (Le chagrin + La douleur) accable Max.

[23c] (L’étonnement + La stupeur) frappe Max.

42Dans l’expression de l’intensité des sentiments interviennent des formes mettant en jeu des noms prédicatifs figurant en position de déterminant nominal. Nous observons, par exemple, en grec et en français la combinaison binominale Ndét= : κύμα (vague) et Nsent= : οργή (colère) dans des phrases comme :

[24a] Après Chirac et Jospin, la vague de colère va emporter Royal et Sarkozy.

[24b] ξαφνικά ένιωσα ένα κύμα οργής να με πλημμυρίζει …
soudain j’ai senti une vague colère-GÉN SUBJ m’ inonder
‘Soudain j’ai senti une vague de colère m’inonder…’

43ou la combinaison Ndét= : άνεμος (vent) et Nsent= : αισιοδοξία (optimisme) dans des phrases comme :

[25a] Un vent d’optimisme souffle sur le tourisme.

[25b] Την ίδια ώρα άνεμος αισιοδοξίας «φυσά» στο στρατόπεδο της ΑΕΚ.
la même heure vent optimisme-GÉN souffle à-le terrain la AEK-GÉN
‘Au même moment un vent d’optimisme souffle sur les terrains d’AEK.’

44Après avoir étudié les combinaisons binominales relevées dans les corpus, nous constatons une symétrie structurale et lexicale entre le grec et le français dans ce type d’expressions métaphoriques qui, dans certains cas, touchent aux frontières des collocations. Chaque langue manifeste cependant une idiosyncrasie dans la formation de ces combinaisons. Ainsi, on a, en français, les expressions :

[26a] L’oppression me précipitait dans un abîme d’angoisse. [Frantext]

[26b] Le judaïsme permet à la personne en deuil de sortir du gouffre du désespoir.

45Pourtant, en grec la combinaison Ndét= : άβυσσος (abîme) et Nsent= : αγωνία (angoisse) n’est pas attestée, alors que la combinaison Ndét= : βάραθρο (gouffre) et Nsent= : απελπισία (désespoir) n’apparaît qu’une seule fois dans notre corpus :

[27] Μια στραβοτιμονιά, ένας αδέξιος χειρισμός, ένα ποτηράκι παραπάνω αρκούν για [...] να σε γκρεμίσουν στο βάραθρο της απελπισίας.
un coup-volant-raté, une maladroite manœuvre, un pot plus suffisent pour [...] SUBJ te précipiter à-le gouffre le désespoir-GÉN
‘Un coup de volant raté, une manœuvre maladroite, un pot de plus suffisent pour [...] te précipiter dans un gouffre de désespoir.’

3.3. Manifestation

46De nombreux noms d’émotion sont décrits comme pouvant être manifestés ou exprimés verbalement (cf. la verbalisation du sentiment dans Tutin et al. 2006). Nous nous intéressons ici aux verbes de communication entrant dans la structure N0 V Poss0 Nsent. En grec, des verbes comme εκφράζω (exprimer), δηλώνω (déclarer), δείχνω (monter) entrent dans ce type de phrases :

N0 V Ddéf Nsent Poss0 (E + Prép N1) = :

[28a] Η ΕΕ εξέφρασε τη σοβαρή ανησυχία της για την κρίση στην Ουκρανία.
la CE a exprimé la sérieuse inquiétude POSS pour la crise à-l’ Ukraine
‘La CE a exprimé sa sérieuse inquiétude pour la crise en Ukraine.’

[28b] Δεν έλειψαν φωνές που δήλωσαν απογοήτευση για την έκβαση της ψηφοφορίας.
NÉG ont manqué voix qui ont exprimé désespoir pour le résultat l’opération-vote-GÉN
‘Des voix exprimant du désespoir pour le résultat de l’opération de vote n’ont pas manqué.’

47En français, des verbes tels que exprimer, déclarer, dire, hurler entrent dans la même structure :

N0 V Poss0 Nsent (E + Prép N1) = :

[29a] Léa (exprime + dit + déclare + manifeste + hurle) sa colère.

[29b] Le DG a déclaré son inquiétude face au traitement des journalistes.

[29c] Il n’a pas caché son optimisme face à l’avenir de l’équipe.

48La manifestation du sentiment peut prendre d’autres formes. Nous observons des déterminants nominaux dans les formes binominales Ndét de Nsent, dans les deux langues, tels que :

[30a] Oι εργαζόμενοι απεύθυναν κραυγή αγωνίας στην κυβέρνηση.
les travailleurs ont adressé cri angoisse-GÉN à-le gouvernement
‘Les travailleurs ont adressé leur cri d’angoisse envers le gouvernement.’

[30b] Το δημοψήφισμα είναι έκφραση αγωνίας για θέματα που έχουν να κάνουν με την ασφάλεια.
le plébiscite est expression angoisse-GÉN pour sujets qui ont SUBJ faire avec la sécurité
‘Le plébiscite est une expression d’angoisse pour des sujets qui ont affaire à la sécurité.’

[30c] Επιφωνήματα ανακούφισης βγήκαν απτα στόματα όλων των παιδιών.
exclamations soulagement-GÉN sont sorties de les bouches tous les enfants-GÉN
‘Des exclamations de soulagement sont sorties des bouches de tous les enfants.’

[31a] Il a poussé un cri d’enthousiasme. [Frantext]

[31b] Elle a fait s’éteindre les exclamations de stupeur et d’enthousiasme. [Frantext]

[31c] Le nouveau gardien nantais montre déjà des signes d’agacement.

49Dans un grand nombre de cas, ces déterminants nominaux sont obtenus par nominalisation d’un verbe de communication :

[32] Il a crié son enthousiasme.
[V = N] = Il a poussé un cri d’enthousiasme.

50En effet, le Ndét est, ici, un nom prédicatif. Dans ce type de phrase, le verbe (pousser) est un verbe support, sélectionné par le Ndét (cri) et non pas par le Nsent (enthousiasme). Il est donc important de bien mettre en évidence les combinaisons verbe + nom (comme pousser + cri) qui interviennent pour chaque Nsent.

51D’autres Ndét tels que le substantif français signes ou le substantif grec επιφωνήματα (exclamations), ne sont pas morphologiquement liés à un verbe, mais sont également des noms prédicatifs.

3.4. Les opérateurs causatifs

52Nous avons mentionné la possibilité d’apparition d’un stimulus extérieur (cause ou agent) dans les phrases exprimant des sentiments. Dans la structure canonique, la cause apparaît sous la forme d’un complément prépositionnel ou d’une circonstancielle de cause :

[33a] Τα παιδιά έχουν άγχος για τις εξετάσεις.
les enfants ont angoisse pour les examens
Les enfants ressentent de l’angoisse à cause des examens.’

[33b] Έχω άγχος γιατί έχω αργήσει.
j’ai angoisse parce que j’ai tardé
‘Je suis angoissé parce que je suis en retard.’

53D’autres formes syntaxiques de type causatif sont également observables. Ainsi, un opérateur causatif classique N0 V (= οι εξετάσεις κάνουν) peut s’appliquer à la forme de base Nhum Vsup Nsent (cf. Gross 1995) :

[33c] Οι εξετάσεις κάνουν τα παιδιά να έχουν άγχος.
les examens font les enfants SUBJ avoir angoisse
‘Les examens font les enfants ressentir de l’angoisse.’

54Nous avons relevé d’autres opérateurs causatifs pour le grec, tels que προκαλώ (provoquer, causer), φέρνω (apporter), οδηγώ (conduire, amener), etc., comme dans :

[34a] Μήπως η δουλειά σάς φέρνει άγχος;
est-ce que le travail vous apporte angoisse ?
‘Est-ce que votre travail vous cause de l’angoisse ?’

[34b] H ακρίβεια σπρώχνει τους εργαζομένους στην απελπισία.
la hausse des prix pousse les travailleurs au désespoir
‘La hausse des prix pousse les travailleurs au désespoir.’

[34c] Η κυβέρνηση οδήγησε σε απόγνωση τους αγρότες.
le gouvernement a conduit à désespoir les agriculteurs
‘Le gouvernement a amené les agriculteurs au désespoir.’

55Les verbes équivalents français causer, provoquer, susciter, créer, mettre, donner, etc. entrent dans le même type de construction, par exemple :

[35a] A Aceh, le tremblement provoque la grande angoisse des habitants après le Tsunami.

[35b] Toute avancée vers l’inconnu suscite de l’anxiété.

[35c] Cette situation crée une insécurité au sein du parti.

56Certains opérateurs causatifs expriment des valeurs aspectuelles (duratif) ou phasiques (inchoatif, terminatif) d’un sentiment. Ainsi, nous relevons, dans cette catégorie, les verbes grecs δημιουργώ (créer), γεννώ (faire naître), διώχνω (chasser), βάζω τέλος (mettre fin), παρατείνω (prolonger), etc. et les verbes français engendrer, déclencher, entretenir, chasser, dissiper, etc. Par exemple :

[36a] Μάχονταν να διώξει την αγωνία, τον τρόμο, την απελπισία του. (terminatif)
il se débattait SUBJ chasser l’angoisse, la terreur, le désespoir POSS
‘Il se débattait pour chasser son angoisse, sa terreur, son désespoir.’

[36b] O σκηνοθέτης προσπαθεί να παρατείνει την αγωνία του θεατή. (duratif)
le metteur en scène essaie SUBJ prolonger l’angoisse le spectateur-GÉN
‘Le metteur en scène essaie de prolonger l’angoisse du spectateur.’

[37a] L’écoute du titre en question dissipe l’angoisse. (terminatif)

[37b] Le cadavre maintient l’angoisse chez les gens. (duratif) 

57D’autres opérateurs causatifs ont des effets syntaxiques encore différents. Nous observons des opérateurs causatifs affectant le degré ou l’intensité du sentiment, tels que αυξάνω (augmenter), επιτείνω (renforcer), εντείνω (intensifier), μεγαλώνω (grandir, accroître), δυναμώνω (renforcer) ou inversement μειώνω (réduire), μετριάζω (atténuer), etc. :

[38a] Η παραίτηση του Σάα βύθισε τη χώρα ακόμη βαθύτερα στην αβεβαιότητα.
la démission le Saa-GÉN a plongé le pays plus profondément à-la incertitude
‘La démission de Saa a plongé le pays davantage dans l’incertitude.’

[38b] Η στάση των Άγγλων φούντωσε και μεγάλωσε την αγανάκτηση των κατοίκων της Κύπρου.
la position les Anglais-GÉN a attisé et a augmenté l’agacement les habitants-GÉN la Chypre-GÉN
‘La position des Anglais a attisé et augmenté l’agacement des habitants de Chypre.’

58Ces effets syntaxiques sont exprimés en français par des verbes comme accroître, attiser, augmenter, déchaîner, exciter, etc. ou inversement diminuer, effacer, réduire, atténuer, etc., par exemple :

[39a] Ses déclarations déchaînent l’enthousiasme des foules. [Frantext]

[39b] Cette séparation a diminué ma joie.

4. Registres de langue

59Nous avons déjà décrit les propriétés syntaxiques ainsi que les propriétés distributionnelles des noms d’émotion étudiés. Afin de pouvoir établir des équivalences entre les expressions dans les deux langues, nous avons également pris en considération les différences de registres de langue. Les registres (ou niveaux de langue) correspondent aux différents usages de la langue selon les contextes d’utilisation. Ce sont surtout les dictionnaires qui nous ont permis d’établir les niveaux de langue (familier, populaire, vulgaire, soutenu, littéraire, etc.), mais ces étiquettes ne font pas l’unanimité. Il est difficile de délimiter les critères qui font en sorte qu’un mot appartient à tel ou tel registre. Chaque registre se manifeste avant tout par certains choix lexicaux et syntaxiques. Pour notre étude, nous avons adopté une tripartition en registres soutenu, standard et familier (utilisée également dans d’autres travaux contrastifs : cf. Mogorrón Huerta 2001 ; Buvet 2006 ; Dziadkiewicz 2007). Voici des exemples des phrases construits avec le nom d’émotion αγωνία (angoisse) appartenant aux trois registres : (standard) νιώθω αγωνία (ressentir de l’angoisse), (familier) με τρώει η αγωνία (l’angoisse me bouffe), (soutenu) με κυριεύει η αγωνία (l’angoisse me saisit). Dans certains cas, le registre de la phrase est marqué (soutenu ou familier) d’après le choix d’un verbe marqué (p. ex. crever vs. mourir, bouffer vs. manger). Dans d’autres cas, cependant, bien que le verbe ne soit pas stylistiquement marqué dans un dictionnaire (bouillir, surmonter), le registre de la phrase peut être interprété comme marqué lors de l’expression d’une « émotion » (p. ex. familier : bouillir de colère, soutenu : surmonter son angoisse).

  • 6 Nous utilisons ici la valeur « neutre » pour désigner les structures syntaxiques de base (sans effe (...)

60Nous regroupons ci-dessous, à titre indicatif, les différentes constructions d’un nom d’émotion tel que θυμός (colère) exprimant des valeurs sémantiques diverses (inchoative, durative, intensive, terminative ou neutre6) en fonction du registre.

61a) registre standard :

[40a] δε νιώθει κανένα θυμό για αυτόν που παραλίγο να κόψει το νήμα… (valeur neutre) [HNC]
NÉG il ressent aucune colère pour celui qui a failli SUBJ couper le fil…
‘Il ne ressent aucune colère contre celui qui a failli couper le fil…’

[40b] Σε ένα ξέσπασμα θυμού ο Στάλιν τηλεφώνησε στη σύζυγο του Λένιν. (valeur inchoative)
à un débordement colère-GÉN le Staline téléphona à-la épouse le Lénine-GÉN
‘Dans un débordement de colère Staline téléphona à l’épouse de Lénine.’

[40c] Ο αδερφός του φούντωσε από το θυμό του (valeur intensive) [HNC]
le frère POSS bouillonna de la colère POSS
‘Son frère bouillonna de colère.’

[41a] Barbalo se met en colère (valeur inchoative)

[41b] Une sorte de frémissement de colère agitait Benito... (valeur inchoative)

[41c] Je suis parfois très agressive, je déborde de colère. (valeur intensive)

62b) registre familier :

[42a] Ο ειδικός ανακριτής βράζει από το θυμό του. (valeur intensive) [HNC]
le juge d’instruction bout de la colère POSS
‘Le juge d’instruction bout de colère.’

[42b] Βγήκε στο μπαλκόνι συνεχίζοντας να ουρλιάζει και ν’ αφρίζει από το θυμό. (valeur intensive)
il sortit à-le balcon en continuant SUBJ hurler et SUBJ écumer de la colère
‘Il est sorti au balcon tout en continuant à hurler et à crever de colère.’

[43a] Il crève de colère. (valeur intensive)

[43b] Quelquefois il me fout en colère mais c’est mon copain quand même. (valeur inchoative)

63c) registre soutenu (incluant aussi les expressions littéraires) :

[44] Να μάθουν να χαλιναγωγούν το θυμό τους. (valeur terminative) [HNC]
SUBJ ils apprennent SUBJ brider la colère POSS
‘Qu’ils apprennent à brider leur colère.’

[45a] L'homme qui est en proie à la colère n’a plus toute sa raison. (valeur neutre)

[45b] J’écume de colère ! (valeur intensive)

64Cette définition du registre de langue et des valeurs sémantiques pour chaque unité de traduction, dans chacune des langues (source et cible), permet au traducteur d’établir des équivalences et de bien traduire les « émotions ».

65Ainsi, les verbes grecs πιάνει et καταλαμβάνει sont des supports inchoatifs du nom d’émotion αγωνία qui se distinguent par le niveau de langue (standard vs. soutenu). Ces verbes, pour le nom d’émotion correspondant angoisse, doivent être rendus en français par prendre (standard) et saisir (soutenu) respectivement. Quant à la combinaison en français écumer de colère (registre soutenu), elle ne peut être rendue en grec par la combinaison αφρίζω από θυμό (registre familier), car les registres de langue ne sont pas respectés (cependant les verbes écumer et αφρίζω sont considérés comme équivalents exacts et les dictionnaires les présentent comme non marqués).

66A titre d’exemple, nous présentons, dans l’annexe 2, un lexique bilingue pour deux noms équivalents appartenant au grec et au français αγωνία et angoisse respectivement, en essayant de visualiser, ainsi, la mise en contraste des constructions possibles dans les deux langues.

Conclusion

67Cette étude contrastive entre le grec et le français s’est appuyée sur la description syntaxique, sémantique et lexicale des noms d’émotion dans les deux langues. Cette description a mis en évidence le grand éventail de constructions syntaxiques (verbes supports, verbes distributionnels, opérateurs causatifs), les paradigmes distributionnels appropriés (sélection des verbes et des déterminants nominaux), les valeurs sémantiques (neutre, inchoative, terminative, durative, intensive, etc.), ainsi que les spécifications des niveaux de langue (standard, familier, soutenu) pour tous les noms d’émotion étudiés en grec et en français. Par ailleurs, la description des spécificités et des restrictions lexicales existant dans chacune des deux langues a été jugée indispensable afin de faire des rapprochements et d’établir des équivalences interlinguistiques ; c’est cette mise en contraste qui permet de constater les symétries et les dissymétries entre langues. Cette étude peut alimenter l’élaboration d’un dictionnaire bilingue, voire multilingue, dans le domaine des sentiments et aider à la traduction tant manuelle qu’automatique.

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http://www.atilf.fr/ (date de dernière consultation : 10/03/2007)

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Documents annexes

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Notes

1 Sur les avantages de l’utilisation du web dans les recherches linguistiques, nous renvoyons à Kilgariff, Grefenstette (2003).

2 A côté des exemples utilisés, seules les sources Frantext ou HNC seront indiquées.

3 Les notations utilisées sont empruntées à Gross (1975). Le signe + a une valeur disjonctive, E renvoie à un élément facultatif (cette position peut être vide). Une série de symboles représentent des catégories grammaticales ou les positions syntaxiques des éléments lexicaux : V (verbe), Vsup (verbe support), N0 (nom en position sujet), N1 (premier complément), N2 (deuxième complément), Nhum (nom de type humain), Npréd (nom prédicatif), Dét (déterminant), Ddéf (déterminant défini), Ndét (déterminant nominal), Poss (possessif), Poss0 (possessif coréférent au sujet), Prép (préposition).

4 Parmi les cas morphologiques du grec moderne, seul le génitif est noté d’une marque grammaticale (GÉN) dans les gloses des exemples. Etant donné que la présence des autres cas est étroitement liée aux positions syntaxiques des actants de la phrase (nominatif pour la position de sujet, accusatif pour la position d’objet), leur marquage dans les gloses a été jugé redondant.

5 Sur la notion de mot approprié, cf. Gross (1994).

6 Nous utilisons ici la valeur « neutre » pour désigner les structures syntaxiques de base (sans effets aspectuels ou stylistiques).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Argyro Moustaki, Mavina Pantazara, Aggeliki Fotopoulou et Marianna Mini, « Comment traduire les noms d’émotion  »Discours [En ligne], 3 | 2008, mis en ligne le 11 octobre 2017, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/discours/3873 ; DOI : https://doi.org/10.4000/discours.3873

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