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Écologisation des pratiques et territorialisation des activités

Écologisation des pratiques agricoles et ancrages familiaux au territoire. Une comparaison de l’utilisation des produits phytosanitaires entre Camargue et Beaujolais

Ecologisation of agricultural practices and family links with the territory. A comparison of the use of pesticides between Camargue and Beaujolais
Carole Barthélémy, Aurélien Allouche, Gilles Armani, Gaïa Bonnet, Christelle Gramaglia et Laurence Nicolas

Résumés

La réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires constitue un terrain pertinent pour analyser les interactions entre l’écologisation des pratiques agricoles et leur territorialisation. Des enquêtes sociologiques menées en Camargue et dans le Beaujolais permettent de comparer ces interactions à travers deux critères d’analyse. Le premier réside dans l’histoire agricole de ces deux territoires et de leurs rapports différemment constitués avec les enjeux environnementaux. Le second propose d’interroger plus spécifiquement les familles d’agriculteurs comme un espace social qui, en puisant sa légitimité dans l’inscription territoriale, peut susciter des changements dans l’utilisation des produits phytosanitaires.

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Texte intégral

1En 2008, le plan Écophyto, initié à la suite du Grenelle de l’environnement, s’est donné pour objectif de réduire l’utilisation des produits phytosanitaires en France (réduction de 25 % d’ici 2020 et de 50 % d’ici 2025 d’après le plan Écophyto 2). Cependant, les premiers bilans montrent une augmentation de l’utilisation plutôt qu’une diminution, suscitant un ensemble de critiques quant à la conduite de ce plan (Guichard et al., 2017) et s’inscrivant dans un contexte social controversé au sujet d’une agriculture jugée encore trop polluante (Roulet et Valiorgue, 2019). Les limites du plan Écophyto témoignent des difficultés pour tendre vers des actions plus vertueuses sur le plan environnemental, rendant compte de la complexité de l’écologisation des pratiques agricoles. Ce concept qui peut être initialement défini, comme « l’intégration croissante d’objectifs environnementaux dans les politiques agricoles […] » (Deverre et de Sainte-Marie, 2009 : 1) a donné lieu à de nombreuses analyses quant à ses interactions avec les dynamiques territoriales. Tout d’abord, en remettant en cause la mono-fonctionnalité de l’agriculture productiviste, les engagements environnementaux des politiques agricoles ont conduit à une plurifonctionnalité de l’espace rural, concourant à une remise en cause des prérogatives foncières des agriculteurs. Celle-ci tendrait vers deux orientations opposées entre, d’un côté la recherche d’un espace commun notamment autour des biens environnementaux (l’eau, le sol, la biodiversité…), et de l’autre la privatisation et la marchandisation de l’espace agricole (Deverre, 2004). Ces deux orientations supposent un élargissement des acteurs concernés situant les agriculteurs dans de nouveaux rapports sociaux et spatiaux (Cardona, 2012). La mise en place des mesures agri-environnementales a été particulièrement éclairante sur ces nouvelles configurations qui ont coproduit de « nouveaux » territoires (Billaud, 2009) tout en traduisant des rapports sociaux conflictuels (Picon, 1996). Les négociations à l’œuvre dans les dispositifs agri-environnementaux aboutiraient à amoindrir les objectifs initiaux, faisant dire à Didier Salles et Didier Busca que « les territoires font la loi » (2001) ; les orientations territoriales en matière de tourisme et de cadre de vie jouant un rôle plus important dans le changement des pratiques agricoles que les seules injonctions environnementales.

2Le plan Écophyto pensé dans un cadre national s’est peu interrogé sur les relations entre les injonctions de changement et l’échelle de leur réalisation. Or, les travaux réalisés sur d’autres dynamiques d’écologisation, notamment le passage à l’agriculture biologique (Lamine et al., 2009) ou la réduction d’intrants dans les milieux aquatiques (Hellec et al., 2013 ; Roussary et al., 2013) convergent vers la nécessité de penser le changement ou son accompagnement à l’échelle des territoires agricoles circonscrits par des cultures et des filières agricoles communes et maillés par des réseaux sociaux et professionnels structurants. C’est dans ce rapport au territoire que la question de l’utilisation des produits phytosanitaires peut être posée : en quoi la qualification environnementale d’un territoire agricole impacte-t-elle l’utilisation des pesticides et génère-t-elle ou pas des modifications de pratiques ? Inversement, en quoi des changements quant à cette utilisation peuvent-ils jouer sur les dynamiques territoriales ?

3Pour répondre à ce questionnement, deux éléments d’analyse sociologique sont proposés. Le premier repose sur une comparaison entre deux territoires agricoles représentatifs de deux « destins » environnementaux afin de comprendre comment les processus d’écologisation agissent et s’expriment différemment. Tout d’abord, la Camargue qui se présente comme un haut-lieu de nature dans le cadre duquel l’agriculture a été et reste constitutive de cette qualification (Picon, 1988). Le Beaujolais représente, quant à lui, un territoire marqué par une forte période de productivité suivie d’une période de crise, et dont les orientations écologiques récentes peuvent s’expliquer, en partie, comme une réponse à cette histoire. Cette comparaison permet de réfléchir aux effets temporels de l’écologisation des territoires agricoles et repose sur une analyse socio-historique combinant de multiples facteurs, économiques, agronomiques, agricoles et sociopolitiques. Le second élément sociologique étudié est le rôle de la famille, « historiquement » constitué comme un lien fondamental entre les territoires et les pratiques agricoles (Hervieu et Purseigle, 2013), mais encore peu étudié en ce qui concerne l’utilisation des produits phytosanitaires. Il semble cependant intéressant de s’intéresser à la famille comme un espace social d’observation privilégiée des interactions entre l’inscription territoriale et le changement de pratiques, dans la perspective ainsi proposée par Gasselin et al. : « En regardant la famille, l’agriculture prend la forme d’un tissu social qui s’ancre dans les territoires ruraux ou dans des réseaux qui ouvrent la vie de l’exploitation sur d’autres ressources et d’autres possibles. Toutefois, la famille créatrice de solidarités et terreau de transmission est parfois un lieu de rapports de force et de rupture ; elle articule du prévisible dans l’inertie des liens, et de l’imprévisible quand il s’agit de s’en détacher pour vivre une autre histoire que l’histoire familiale » (2014 : 378).

  • 1 Ces enquêtes ont été réalisées dans le cadre du projet « Trajectoires » (Trajectoires familiales et (...)
  • 2 La différence dans le nombre d’entretiens réalisés réside dans le fait que l’enquête dans le Beaujo (...)

4Des enquêtes sociologiques ont été menées auprès de familles d’agriculteurs1 : entre 2016 et 2018, 18 riziculteurs camarguais et 38 viticulteurs du Beaujolais ont été rencontrés2. Les entretiens ont, le plus souvent, concerné un ou une exploitant-e agricole, parfois un couple, un père et un enfant, un frère et une sœur. Certaines personnes ont été rencontrées plusieurs fois. Des acteurs du monde agricole (représentants de réseaux commerciaux et techniques en riziculture et viticulture ; chambres d’agriculture ; institutions liées à l’environnement…) ont aussi été interviewés (9 en Camargue et 4 dans le Beaujolais) pour inscrire les histoires familiales dans celles des territoires. Différentes manifestations en lien avec les deux terrains ont également été suivies comme lieux d’observation (fête de la Science, manifestation agricole…). Une analyse classique de contenu a été réalisée sur le corpus d’entretiens permettant de resituer les changements ou les réticences à modifier l’utilisation des produits phytosanitaires dans l’histoire conjuguée des territoires et des familles d’agriculteurs au prisme des injonctions environnementales.

1. Des territoires aux processus d’écologisation différents : entre les temps long et court de l’intégration et de la crise

5Comparer les dynamiques d’écologisation de la Camargue et du Beaujolais repose sur l’analyse de deux temporalités distinctes. Concernant la Camargue, l’agriculture a été partie prenante de la constitution d’un espace naturel reconnu comme haut-lieu de nature. Cette intégration inscrite dans un temps long génère des rapports sociaux spécifiques entre les agriculteurs et les autres acteurs du territoire, notamment des institutions de gestion et de protection de la nature. L’avènement de pratiques moins consommatrices ne résulte pas, dans le Beaujolais, d’une histoire aussi longue, mais semble plutôt répondre à une période de crise économique qui a, en partie, déstabilisée l’organisation agricole locale.

1.1. La Camargue et la riziculture : un destin écologique précoce

6Plus grande zone humide de France, le delta du Rhône s’étend sur 145 500 hectares, comprenant la Camargue gardoise, l’Île de Camargue (ou Grande Camargue, partie comprise entre les deux bras du Rhône) et le Plan du Bourg (à l’est du Grand Rhône) (Figure1). Le périmètre du Parc naturel régional de Camargue (PNRC) couvre quant à lui environ 100 000 hectares principalement situés en Grande Camargue. L’agriculture représente un tiers de l’occupation du sol du delta, et la culture du riz y prédomine avec 11 348 hectares en 2017. Ce territoire, constitué de grandes propriétés latifundiaires et doté d’un important réseau hydraulique d’irrigation et d’assainissement, se prêtait particulièrement au développement de la culture du riz connue de longue date pour son rôle dans l’amélioration agricole des sols salés, contrainte majeure à la mise en culture des terres du delta. Pratique d’agriculture irriguée par submersion, la riziculture succède en Camargue à la viticulture au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et prend place dans un système de rotation des cultures alternant avec des cultures sèches (blé, luzerne, colza, tournesol…). La riziculture assure ainsi un rôle pivot dans les cultures camarguaises par son apport en eaux douces entrant dans le fonctionnement de l’écosystème camarguais. Ce dernier est depuis le début du xxe siècle, l’objet de l’attention particulière des naturalistes. Dès 1927, la Réserve nationale de Camargue (RNC) est créée, puis le PNRC en 1970. L’origine même de la création de la RNC provient de l’interaction grandissante entre eaux douces pourvoyant aux besoins de l’agriculture et se déversant pour partie dans le grand étang central du Vaccarès, domaine de la RNC, et les eaux salées nécessaires à l’industrie salicole installée dans le sud-est du delta, aboutissant à l’établissement d’une zone tampon saumâtre d’un remarquable intérêt écologique (Picon, 2008).

Figure 1. Carte de l’occupation du sol en Camargue en 2017

Figure 1. Carte de l’occupation du sol en Camargue en 2017

Registre parcellaire 2017

Source : Géoportail.fr

  • 3 Jusqu’en 2001, la gestion du Parc a été assurée par une fondation, dont statutairement huit des vi (...)

7C’est dans ce cadre que l’écologisation des pratiques agricoles trouve une forme historique spécifique sur ce territoire. En Camargue, les grandes exploitations rizicoles connaissent de fréquents changements de propriétaire, et ce, depuis les tout premiers développements de la culture rizicole qui la consacrent comme une culture d’investissement financier, au profit de gros capitaux extérieurs (Allard, 1992). Aussi, le voisinage de vieilles familles de riziculteurs avec les structures de protection de l’environnement constitue-t-il dans cette instabilité un vecteur appréciable d’institutionnalisation des rapports hommes-nature au sein de ce turnover. Les conflits historiques et quasi mythiques entre ces deux catégories d’acteurs forment des repères mémoriels importants en même temps qu’une forme de socialisation certaine (notamment, le fameux jugement de la cour d’Aix-en-Provence, du 23 avril 1909, interdisant les déversements d’eau du Rhône dans le Vaccarès, et dont la plus grande singularité est de n’avoir jamais été appliqué, mais toujours évoqué sous l’aspect de la menace ; Picon, op. cit.). Ces rapports conflictuels dialoguent à leur tour avec des compromis, des rapprochements, voire des collaborations et des amitiés personnelles liant ces deux catégories d’acteurs. La constitution du PNRC s’est d’abord faite autour d’un comité de propriétaires fonciers, fondé en 1969, dont un des membres a été président du Parc, de 1973 à 1979, et où l’intérêt des riziculteurs dialoguait directement avec les porteurs d’enjeux environnementaux. Se sont mises en place, sous cette forme, des pratiques d’écologisation dans plusieurs domaines d’action, telle que la gestion collective de l’eau avec la création de règles consensuelles d’arbitrage des usages autour des rejets des eaux de colature dans l’étang central (Allouche et Nicolas, 2011) ou la gestion de la population de flamants roses dont les excursions dans les rizières créent des dommages financiers importants. Progressivement, l’administration du PNRC évolue vers une forme plus normée3 en détachant son fonctionnement du Comité des propriétaires camarguais, qui a accompagné la naissance du PNRC, et en adoptant des principes de gouvernance plus formalisés. Les rapports entre riziculteurs et acteurs de l’environnement continuent de supporter un subtil mélange de défiance et de collaboration dont le plus sûr garant est l’intérêt bien compris des riziculteurs à assumer le discours porté par l’écologisation du territoire.

8En effet, avant tout, prétendre contribuer à l’équilibre écologique de la Camargue est un excellent argument commercial, dont le succès n’est à ce jour pas démenti, comme l’illustre l’exemple ci-dessous issu d’une communication du Centre français du riz : « Depuis son introduction en Camargue, la riziculture permet d’adoucir les sols de ce terroir d’exception. En effet, aujourd’hui, la culture du riz nécessite l’apport de 500 millions de m3 d’eau douce chaque année, ce qui confère à la Camargue toute sa richesse et une biodiversité incomparable en faisant baisser la salinité des sols cultivés du delta. En Camargue, et c’est une vraie particularité, le riz est cultivé sur de petites parcelles qui s’intègrent tout en douceur dans un environnement remarquable, où se côtoient milieux naturels, agriculture et élevage, formant une mosaïque de paysages où l’équilibre environnemental est roi » (dossier de presse de CFR, juin 2014, p. 4).

9D’autre part, prétendre produire quasiment à soi seul l’écosystème camarguais est un formidable renversement rhétorique permettant de répondre à l’accusation de pollution ou d’atteinte massive à l’environnement que l’emploi de pesticides et d’herbicides ne manque pas de susciter auprès des gestionnaires de l’environnement et des associations de protection de la nature. C’est également une façon symbolique de s’approprier ce territoire, vu souvent comme en proie à une volonté séquestratice des institutions de protection de l’environnement.

  • 4 « Le Vaccarès a diminué peu à peu jusqu'à ne contenir plus qu'un peu d'eau dans le fond, dont la d (...)

10L’argument est vieux et s’est forgé dans un contexte cognitif bien différent de la situation actuelle. On le voit très tôt apparaître dans les suivis de milieu exercés par la RNC, notamment durant la période de sécheresse s’étendant entre 1938 et 19494, où de facto l’absence des effluents agricoles (à l’époque, il était surtout question de la submersion des vignes) produit un assèchement drastique du milieu avec des conséquences visibles sur la faune et la flore. L’argument selon lequel la biodiversité de la Camargue résulte d’un savant équilibre entre les flux marins entrant dans la lagune et les effluents rizicoles est popularisé par des travaux universitaires (Bethemont, 1962 ; Picon, 1988) et les acteurs concernés se le sont largement appropriés.

  • 5 Charte du PNRC, objectif 2022, vol.1, p. 58, PNRC, 2009.
  • 6 Article 6.1. Promouvoir des pratiques culturales plus favorables à l’environnement en s’inscrivant (...)
  • 7 Ces expériences ont principalement été menées par une société privée de distribution de produits a (...)

11Cependant, si la riziculture pourvoit conséquemment en eau douce le territoire camarguais (500 millions de m3 par an), le calendrier de ces introductions massives, à partir de la fin du printemps, aboutit quant à lui à l’inversion du cycle hydrologique propre aux écosystèmes méditerranéens. Cette artificialisation de l’hydrologie du delta a pour principal effet une banalisation des milieux et de la biodiversité présents sur le territoire et, corollaire non négligeable, « par la fertilisation et les traitements phytosanitaires, l’agriculture constitue la principale source d’azote, de phosphore et surtout de pesticides et de leurs produits de dégradation. L’impact des concentrations de ces polluants sur les organismes vivants reste inconnu dans les écosystèmes camarguais. […] Environ 90 % des molécules retrouvées sont issues de la riziculture. Les produits les plus retrouvés dans les canaux sont des herbicides provenant principalement de la riziculture mais également, dans une proportion beaucoup plus faible, du Rhône5 ». L’amélioration de la qualité des eaux de la Camargue devient ainsi un des thèmes majeurs de la charte du PNRC. Elle est également au centre des préoccupations de la RNC, principal réceptacle des eaux agricoles dans sa partie sud-est (bassin de Fumemorte). L’objectif consiste alors à accompagner les agriculteurs dans la recherche de solutions, tant dans la gestion hydraulique que dans la conduite des itinéraires culturaux du riz6. Les expériences culturales de semis de riz enterré à sec (ou semis-à-sec) menées depuis le début des années 19907 réunissent précisément les deux dimensions à corriger. Cette pratique, qui consiste à ne plus cultiver le riz, de manière continue, dans une parcelle inondée aboutit à une consommation moins gourmande en eau et une utilisation moindre des herbicides. Les adventices, inféodées à la culture du riz, sont combattues par l’absence d’eau à certaines périodes. D’autres exemples d’écologisation des pratiques sont développés dans la conduite agronomique du riz, au premier rang desquels la riziculture biologique (1 876 hectares en 2016, soit un peu plus de 15 % des rizières cultivées), mais aussi les intercultures (pour renforcer l’apport naturel d’azote dans le sol) ou encore la recherche variétale.

12Suite à une importante mortalité de poissons constatée au sortir d’un canal en 2009, en pleine saison agricole, une démarche réunissant riziculteurs et gestionnaires de nature (RNC, PNRC) est conduite auprès des ministères de tutelle afin de trouver les moyens d’action à un plan de reconquête du Vaccarès dans sa partie sud-est. Celui-ci prévoit, côté agriculteurs, d’obtenir des dérogations à l’utilisation de molécules récemment interdites dans les produits phytosanitaires en France, alors même qu’elles ne le sont, ni en Italie ni en Espagne, principaux pays européens producteurs de riz. Il prévoit également la poursuite et le développement du semis-à-sec. Côté protection de la nature, le plan de reconquête de la qualité des eaux préconise la poldérisation du bassin sud-est du Vaccarès et une adduction d’eau depuis le Rhône indépendante du réseau hydraulique agricole. Depuis 2013, l’ensemble des actions préconisées ont été reprises au sein d’un contrat de delta piloté par le PNRC.

13Dans le cadre de la Camargue, l’écologisation peut être interprétée comme un processus conjoint de déterritorialisation et reterritorialisation. Selon Jean-Paul Billaud, « la dynamique de l’agriculture est tout à la fois reterritorialisation (l’acte technique tend à prendre de plus en plus en compte, grâce à de nombreuses innovations, les conditions écosystémiques locales) et globalisation (cette dernière étant alimentée tant par les marchés que par l’environnement) » (2009 : 125). En effet, la riziculture camarguaise s’inscrit dans des marchés internationaux dominés par la Chine et l’Italie, en même temps que les riziculteurs camarguais réadaptent sans cesse les techniques culturales aux contraintes agronomiques du delta du Rhône, plus lourdes que celles de l’Espagne ou de l’Italie, et aux contraintes réglementaires françaises de l’utilisation de produits phytosanitaires, également plus favorables à ces deux leaders européens de la production rizicole. L’ancienneté des structures camarguaises de protection de la nature a doublé ce mouvement d’un autre vecteur de territorialisation. Par les services écosystémiques générés par son irrigation, l’activité de l’agriculteur dépasse largement les objectifs agricoles et ses critères agronomiques. En même temps, la pratique culturale doit se faire l’alliée de la conservation de la biodiversité dont les logiques d’érosion imposent de penser à l’échelle de la répartition mondiale de telle ou telle espèce. Dans ce contexte, l’écologisation des pratiques rizicoles globalise, déterritorialise l’activité agricole. L’utilité de la production camarguaise porte au-delà du delta, multipliant d’autant les interlocuteurs possibles, voire légitimes, et les cadres réglementaires. En revendiquant le rôle de producteur de l’équilibre naturel en Camargue, les riziculteurs réagissent à la perte de contrôle liée à la globalisation-déterritorialisation qu’implique l’écologisation des pratiques.

1.2. Le Beaujolais et la viticulture : l’écologisation, une réponse à la crise économique

14Situé au nord de l’agglomération lyonnaise, le vignoble beaujolais s’étend sur environ 18 000 hectares (Figure 2). Ce vignoble regroupe 12 appellations (beaujolais, beaujolais villages et 10 crus) tous produits à partir d’un cépage unique, le gamay. Ils représentent 90 % de la production. Aujourd’hui des viticulteurs produisent du vin blanc à partir d’un cépage chardonnay, des rosés, des effervescents, des vins de Bourgogne et des vins de pays sont élaborés avec du pinot, le tout représentant les 10 % de la production restante.

Figure 2. Le territoire viticole du Beaujolais

Figure 2. Le territoire viticole du Beaujolais

Source : InterBeaujolais

15Le Beaujolais doit sa notoriété à son vin nouveau largement diffusé au niveau international. Il a connu une expansion exceptionnelle à partir des années 1970 jusqu’aux années 1990. De nombreux vignerons agrandissent alors leur exploitation, le territoire autrefois caractérisé par de petites plantations polyculturelles achève sa transition vers un territoire tourné exclusivement vers la viticulture. Pour répondre à la demande, le Beaujolais étend son territoire vers le sud et toute terre disponible est accaparée pour implanter de nouvelles vignes. Des négociants achètent le raisin et la production de vin augmente rapidement. L’advenue des produits phytosanitaires facilite grandement cette accélération et rend possible l’extension des domaines, évitant aux viticulteurs un ensemble de tâches chronophages et exténuantes. Pendant 20 ans, le beaujolais se vend en grande quantité et à l’échelle internationale. Les années 1990 marquent la fin de cette période faste. Dans un contexte où les modalités de consommation de vin changent progressivement, de virulentes critiques sont adressées à l’encontre du beaujolais, sa qualité, sa vinification. Le « goût banane » attribué à des levures restera longtemps dans les esprits. Le beaujolais primeur se vend mal, des négociants disparaissent et les vins des crus sont peu connus. La crise demeure très profonde jusqu’en 2010 et le vignoble passe de 22 500 à 18 000 hectares aujourd’hui, sans tenir compte qu’autrefois la production était spécifiquement consacrée au vin rouge à partir d’un cépage unique, le gamay, et qu’elle s’est ouverte à d’autres vins, introduisant d’autres cépages pour élargir la gamme en réaction à la crise. Ce sont donc plus de 4 500 hectares de terres qui ne sont plus dédiés à la viticulture, générant également un problème de cohérence paysagère. De cet état de crise résulte une difficulté encore bien vive à vendre le vin et un travail de restauration d’une image positive du beaujolais est en cours.

16En effet, le vignoble du Beaujolais est caractérisé par une grande diversité d’exploitations en termes de surface, de modes de faire-valoir, de conduite, de commercialisation suivant les secteurs et des difficultés, différentes en fonction de critères variés comme le type d’AOP, le type de parcelle mécanisable ou non et leur implantation dans le nord ou le sud du Beaujolais (FranceAgriMer, 2013). Par ailleurs le vignoble présente une configuration spécifique. Presque la moitié du territoire arbore des pentes supérieures à 20 %, et 38 % des pentes sont supérieures à 30 %(Gibert, 2012). Ces caractéristiques procurent souvent de bonnes conditions d’ensoleillement, mais exposent le sol au ruissellement qui lessive et entraîne les matières fertiles qu’il contient. Les conditions de fortes pentes, de densités importantes et d’une taille des ceps en gobelet rendent tout travail mécanisé très compliqué. En surcroît, les sols légers et érosifs expliquent la grande difficulté à les gérer autrement que par le désherbage chimique. Le gamay est, quant à lui, un cépage réputé sensible aux maladies de la vigne (mildiou, oïdium, black rot et botrytis) qui mérite toute l’attention du viticulteur. Enfin une bonne part du vignoble, essentiellement dans le secteur nord réservé à la production des crus, est vieillissante. La moyenne d’âge s’élève à 45 ans et 15 % des vignes ont plus de 60 ans. Seulement 1 % des vignes ont moins de dix ans. Des viticulteurs prétendent que certaines de leurs plantes ont plus de 100 ans. Il découle de l’ensemble de ses caractéristiques un coût de production très élevé pour des rendements relativement faibles (42 hectolitres/hectare). De plus, les prix de vente demeurent particulièrement bas par rapport aux autres vins français, ceci d’autant plus qu’environ 85 % de la production est vendue à des négociants.

  • 8 La taille en gobelet est courte, laissant trois à cinq cornes sur chaque cep en forme de couronne (...)
  • 9 La Société d’intérêt collectif agricole de recherche expérimentale est un institut de recherche app (...)

17En réponse à cette crise économique, l’Interprofession a fait une demande auprès de l’Inao (Institut national de l’origine et de la qualité) pour modifier les décrets dans le cahier des charges de l’AOP (Appellation d’origine protégée) afin de « moderniser » la vigne. Cette démarche a abouti en 2006 à l’autorisation de la baisse des densités de plantation de 10 000 à 6 000 ou 5 000 pieds/hectare (arrachage de rangs, plantation de vignes larges) et à une adaptation de la taille avec notamment le passage du gobelet au cordon8. En 2013, l’Union des vignerons du Beaujolais (UVB) lance un premier plan collectif de restructuration du vignoble dans le cadre du programme national de l’Organisation commune du marché (qui relève du droit européen fixant les dispositifs de la politique agricole commune (PAC) applicables à l’exploitation de la vigne dans les pays membres de l’Union européenne). Le plan proposé s’appuie sur les études de la Sicarex9 et de la chambre d’agriculture menées depuis dix ans, qui ont conduit à préconiser des orientations techniques validées. Des aides européennes via FranceAgriMer peuvent être accordées aux viticulteurs soit dans un cadre individuel, soit dans un cadre collectif (Plan collectif de restructuration). Le dispositif est prévu pour favoriser le renouvellement du vignoble en respectant des densités moins importantes et en élargissant les rangs de vignes.

Figure 3. Parcelle restructurée avec enherbement inter-rang

Figure 3. Parcelle restructurée avec enherbement inter-rang

18L’objectif est de faciliter la mécanisation, de limiter l’utilisation de produits phytosanitaires, de favoriser une meilleure aération de la vigne afin qu’elle soit moins sujette à la pourriture (limiter l’utilisation de fongicides). Faciliter l’enherbement permet d’utiliser moins d’herbicides, voire de les supprimer en cas de travail de la terre sous le cep (Figure 3). L’idée générale du projet est de faire baisser les coûts de production pour relancer l’économie et faciliter de nouveaux investissements, notamment pour répondre aux enjeux environnementaux. Aussi, depuis le changement de décrets des AOP en 2006, on assiste progressivement à une nouvelle caractérisation du vignoble, entre autres par le mode de conduite des vignes, avec au sud des plantes majoritairement palissées, avec des inter-rangs larges sur lesquels un couvert enherbé a été mis en place, et au nord et sur les zones de coteaux des vignes pour la plupart encore taillées « en gobelet », non palissées et avec une haute densité de plantation. Le réaménagement des vignes a été plus rapide au sud, car c’est le secteur le plus concerné par la mévente du vin primeur mais, dans la zone des crus, de plus en plus de viticulteurs adaptent également leurs parcelles en diminuant progressivement la densité et en adoptant l’enherbement, évitant de fait une part conséquente des traitements chimiques. On remarque cependant une grande diversité de ces pratiques en relation avec les conditions économiques variables des viticulteurs. Ceux qui réussissent le mieux investissent dans du matériel de pulvérisation adapté, plus précis et économe en produits phytosanitaires. D’autres procèdent parfois à du bricolage pour affiner les méthodes de traitement à moindre coût. Nombre de viticulteurs abandonnent le traitement systématique et cadencé autrefois préconisé par les agro-fournisseurs pour passer à une approche davantage raisonnée basée sur l’observation fine des cèpes. La technique biologique de confusion sexuelle employée pour lutter contre les ravageurs de la vigne consiste en la diffusion de phéromones de synthèse, perturbateurs de l’activité sexuelle des insectes. Pour être efficace, cette technique s’applique sur des zones de plus de 5 hectares. Il est donc conseillé aux viticulteurs de se regrouper pour installer des diffuseurs sur leurs parcelles voisines de façon homogène dans le temps et l’espace. Cette approche biologique incite donc à la gestion partagée de micro-territoires dans une démarche qui tend à la suppression des insecticides. Elle participe de la construction d’une vision commune d’une pratique viticole moins consommatrice en pesticides. Il convient de noter également l’augmentation progressive des producteurs biologiques qui, par leur simple présence, imposent une réflexion sur la pratique dans le Beaujolais. Ainsi l’ensemble du territoire est-il soumis à de nouvelles pratiques qui s’inscrivent conjointement dans des problématiques économiques et écologiques.

19L’ensemble de ces initiatives contribue à de nouvelles formes d’appropriation et de construction du territoire. Comme mentionné plus haut, ce dernier a été, au cours du temps, soumis aux fluctuations des enjeux économiques. Les spécificités des différentes appellations sont alors mises en exergue. Le terroir, le savoir-faire, la tradition familiale, la qualité paysagère sont convoqués dans un discours de requalification d’un produit ancré sur le territoire. Certains viticulteurs se lancent dans l’œnotourisme, une manière de valoriser leurs produits et les paysages de leur région. L’Inter-profession des viticulteurs du Beaujolais accompagne et active cette dynamique. En 2009, elle finance une étude géo-pédologique des terroirs du Beaujolais afin de mieux identifier les caractéristiques des sols dans la perspective de mettre en avant la notion de terroir et de faire émerger des grands crus. Par ailleurs, l’Association des producteurs des crus brouilly et côte de brouilly ainsi que plusieurs communes ont adhéré à la Charte internationale de Fontevraud qui consiste en la valorisation et la préservation des paysages viticoles. Il s’agit ici de maintenir une cohérence paysagère de qualité à l’échelle de deux appellations en comptant sur l’engagement des viticulteurs concernés. Même si l’extension de la charte à l’ensemble du Beaujolais semble peu probable au regard de son étendue, cet espace a une valeur d’exemplarité qui s’étend au-delà de ses limites.

20Cette histoire récente du vignoble en Beaujolais montre une extension territoriale liée au boom économique du vin primeur, puis à un recentrement qualitatif sur la terre, le terroir, le paysage et le produit de qualité. Dans le premier mouvement, le territoire est appréhendé pour sa valeur utilitaire, comme moyen de production dans une démarche quantitative. La culture est à la fois extensive spatialement, intensive (la très forte densité allant jusqu’à 12 000 pieds par hectare) et tournée vers le marché extérieur dans une dynamique de déterritorialisation. Certains viticulteurs affirment d’ailleurs que le phénomène a été trop loin, la qualité oubliée, les traitements chimiques nombreux et peu réfléchis dans une perspective essentiellement économique. En revanche, dans le second mouvement de reterritorialisation, le territoire est chargé de sens, il distingue un produit qui se veut original, originaire de cette terre-là, et c’est en partie ce qui fait sa qualité. Écologie et économie se rejoignent dans une dynamique de reconquête d’un marché et d’une identité agricole relocalisée.

21L’approche analytique proposée par Jean-Paul Billaud entre déterritorialisation et reterritorialisation sied aux deux territoires agricoles étudiés. L’écologisation territoriale peut ainsi être interprétée comme un cadrage socialement construit pour résoudre la tension entre les injonctions d’ordre économique et écologique régies à l’échelle internationale et l’inscription locale de l’agriculture puisant dans ses ressources naturelles et sociales.

2. L’innovation dans l’utilisation des produits phytosanitaires à la croisée de l’histoire familiale

22Dans cette tension, le rôle de la famille a été investigué, étant à la fois synonyme d’innovation et de changement, de permanence et de « tradition », et pouvant donner à voir des rapports différents au territoire.

2.1. Ethos de l’agriculture héritée et identité camarguaise

23En Camargue, les incitations institutionnelles à la réduction de pesticides se confrontent à une difficulté majeure : elles sont vues par nombre de riziculteurs comme des tentatives de désappropriation symbolique du territoire.

24En effet, le rapport des riziculteurs camarguais à la protection de l’environnement est complexe. À côté des grands propriétaires à la logique de productivisme agricole, extérieurs au territoire et qui voient celui-ci comme une source d’investissement à haute rentabilité, existe tout un panel de riziculteurs, grands ou petits, dont l’ancrage dans l’identité camarguaise est plus important (Demmer, 2013). Même lorsqu’ils sont sensibles à la protection de la nature, ceux-ci entretiennent le plus souvent un rapport de défiance avec les dispositifs d’écologisation du territoire et les acteurs s’y rapportant. Ce constat, auquel arrive également Christine Demmer (op. cit.) semble s’expliquer par la socio-histoire des institutions locales de protection de la nature. Dans les deux dernières décennies, celles-ci ont évolué dans le sens d’une perte d’influence de la profession rizicole, selon les modalités présentées dans la section précédente. Le ressentiment quant à cette perte d’influence est renforcé par la conviction des riziculteurs de « faire » la nature camarguaise, idée largement cultivée par leur syndicat professionnel. La Camargue résulterait de l’activité rizicole selon un équilibre préservé de génération en génération.

25Ainsi, les processus institutionnels d’écologisation des pratiques sont-ils régulièrement vus comme des outils de désappropriation symbolique d’un territoire pourtant façonné par la riziculture : « Ça fait quatre générations que nous sommes sur le domaine. Et auparavant nous étions déjà dans le coin, et ça va faire la cinquième génération. On a une famille qui a toujours fait avancer les choses. Depuis 1 700. Et si vous voulez, c’est quand même incroyable que ce soit toujours les mêmes qui trouvent les solutions ! Et on a été énormément embêté vis-à-vis de Natura 2000 […] On va très loin dans le système écolo, c’est l’inverse de ce qu’il faut faire. Ils n’écoutent pas, ils veulent détruire l’agriculture. Ils veulent annexer la Camargue, et surtout la petite Camargue » (Riziculteur, 54 ans, 300 hectares).

26Si, dans cette vision, l’équilibre écologique de la Camargue est affaire d’une transmission générationnelle entre riziculteurs, plutôt que d’une régulation institutionnelle, dans quelle mesure la diffusion d’innovations culturales plus « écologiques » est-elle conditionnée par le rôle de la famille ?

27Le cas du semis-à-sec est éclairant. En premier lieu, le facteur familial conditionne (positivement comme négativement) l’effet d’entraînement des premiers utilisateurs de cette innovation sur leurs confrères.

28Qu’une famille ancienne et sérieuse adopte une pratique culturale alternative peut suffire parfois à faire le sérieux de celle-ci aux yeux des autres riziculteurs, ou tout du moins rend plus difficile la disqualification de cette technique sous l’anathème de « dernière trouvaille de quelques hurluberlus ». Inversement, que tel grand riziculteur, dont les choix passés témoignent d’une sagacité pluri-générationnelle dans la conduite des affaires, se refuse à adopter une nouvelle technique plaidera pour la non-rentabilité de celle-ci.

29L’implantation de la pratique du semis-à-sec illustre un second aspect des interactions qui concourent à un changement de pratiques agricoles puisant sa légitimité hors des institutions de protection de la nature. En effet, cette nouvelle pratique culturale est parvenue à séduire un noyau de riziculteurs avant tout à partir de critères proprement ancrés dans les conditions concrètes de leur activité. C’est en premier lieu la viabilité économique qui est recherchée par cette technique à travers l’économie importante d’eau, de produits de traitement et surtout de semence. Protégée par l’abri rhétorique du sérieux économique et comptable, la technique du semis-à-sec se diffuse entre agriculteurs et « fidélise » un panel de riziculteurs suivant d’autres logiques. À nouveau, celles-ci n’empruntent que très peu au discours environnementaliste de l’écologisation. C’est bien davantage en s’appuyant sur les logiques et les arguments qui ont fait le territoire que le semis-à-sec se diffuse. Outre les considérations essentielles liées aux rendements, celui-ci ne se répand pas tant grâce à ses vertus écologiques que pour les qualités professionnelles qu’il nécessite, l’exigence d’une technique maîtrisée, suivie, laborieuse, pensée et anticipée qui distingue le riziculteur sérieux des autres. En effet, sa diffusion passe par sa capacité à exemplifier des attitudes professionnelles hautement valorisées professionnellement. Le semis-à-sec distingue celui qui témoigne du vrai ethos, celui qui travaille avec presque autant d’abnégation et de sueur que les générations pionnières de riziculteurs. L’ethos ici rassemble et réactualise dans la pratique le récit intergénérationnel du façonnement de la Camargue par la figure du riziculteur bâtisseur de terres riches à partir d’une culture exigeante et pour cette raison passionnante :

30« [Le riz] c’est une culture de passion, parce que vous faites du blé, vous semez, vous mettez trois fois d’azote et basta ! Vous faites du riz, du moment où vous mettez votre graine sur le sol, il faut y passer tous les jours. C’est une plante capricieuse, faut voir ! Si elle n’a pas envie de s’enraciner, il faut la faire souffrir un peu. C’est pour ça qu’on fait des assecs. On la fait souffrir au soleil et elle, pour sa sauvegarde, elle plante sa racine[…] C’est une passion, une passion qui fait râler, parce que c’est du souci ! Mais c’est une culture vivante […] Le riz à sec, c’est plus pointu, il faut le surveiller de plus près encore. La gestion de l’eau, on tâtonne, on voit, c’est notre métier. Maintenant, on nous dit les drones, mais oh ! les gars, le métier ! À l’œil ! Ça, ça ne plaît pas aux Camarguais. La majorité des Camarguais disent non […] Le riz à sec, c’est beaucoup de travail au départ, et beaucoup ne veulent pas le faire pour cette raison. [Enquêteur : c’est une culture pour les passionnés ?] Oui ! C’est vrai qu’il faut le suivre de plus près et qu’il y a quelques brebis galeuses qui préfèrent mettre beaucoup de produits » (riziculteur, 66 ans, exploitation cogérée avec son frère, 220 hectares, dont 90 hectares cultivés en riz).

31Si une pratique plus viable écologiquement s’est développée, c’est parce qu’elle sert à prolonger et à actualiser des récits de distinction sociale forgés au cours de la valorisation agricole du territoire. L’inventivité et l’ingéniosité qu’ont développées les anciens riziculteurs pour cultiver des céréales sur ces terres sont au fond retrouvées dans l’innovation du semis-à-sec. Et par cette technique, le riziculteur s’inscrit dans un long récit, au côté de la figure du « vrai » riziculteur, endurant et bâtisseur de la Camargue, par opposition aux jeunes riziculteurs ou aux riziculteurs « de maintenant » qui n’accepteraient plus un travail aussi fin et minutieux de la terre.

32On comprend au regard de ces motifs la difficulté des institutions de protection de l’environnement à prétendre peser sur les pratiques agricoles. Le lien si fortement tissé entre ces valeurs et les pratiques agricoles s’oppose parfois à des mutations culturales telles que le multi-usage des terres ou l’adoption d’autres cultures moins polluantes et plus rentables. C’est ainsi qu’un riziculteur préfère ne tirer qu’un rendement médiocre de terres trop « basses » cultivées en riz, plutôt que de passer à d’autres cultures, pour la raison que son père et son oncle s’étaient épuisés, jour après jour, à transformer ces terres incultes en rizières.

33Ainsi, l’écologisation des pratiques peut jouer, dans certains de ces cas, le rôle d’un instrument de distinction à l’intérieur du territoire, qu’il s’agisse d’une distinction économique – par exemple, la permaculture permet d’occuper un segment de marché très restreint et de se démarquer commercialement – ou qu’il s’agisse d’une distinction sociale –par exemple, apparaître comme un outsider éclairé et créatif, et en réponse à la valorisation de grandes unités de productions agricoles au chiffre d’affaires important.

2.2. Lignées familiales et innovations dans le Beaujolais

34Dans les vignobles du Beaujolais, nombre de viticulteurs, comme en Camargue, s’inscrivent dans une lignée familiale de plusieurs générations. La famille est donc le lieu de transmission d’un métier, de terres à cultiver (quel que soit le statut, propriétaire, fermier, métayer, les enfants reprennent souvent les parcelles des parents), de savoirs et savoir-faire et de valeurs. En outre, les bases de l’apprentissage se font en général au contact du père, pendant les vacances scolaires et lors des moments libres : « Mon père était viticulteur. Alors, tout petiot, on était dedans, quoi. On savait tout faire, tout puis rien, parce qu’on avait les bases, mais faire juste comme il faut » (viticulteur en double activité). Cet apprentissage de base apparaît dans la plupart des cas comme un acquis difficile à remettre en cause, bien qu’aujourd’hui la formation spécialisée comme le bac professionnel ou les BTS permettent aux enfants d’agriculteurs de prendre une certaine distance et de s’émanciper de cette formation initiale.

  • 10 Un vin naturel est travaillé en vinification avec le moins de produits chimique possible. On évite (...)

35Dans le Beaujolais, des figures d’agriculteurs innovateurs sont à la base de nombreux récits, notamment dans l’adoption de démarches agro-environnementales. Marcel L. (1950-2010) est une figure importante du mouvement des vins naturels du territoire. Alors que son père refusait d’intégrer les produits chimiques dans son procès de travail, Marcel, quand il prend la suite, souhaite au contraire profiter des avantages de ces innovations. Pourtant, en 1978, il prend conscience qu’il ne parvient pas à produire un vin aussi bon que celui de son père et envisage de revenir aux méthodes traditionnelles de celui-ci, excluant à son tour les intrants chimiques. Sa rencontre avec Jules C. en 1980, négociant et dégustateur de renom (Goy J.-C., 2002) qui deviendra son ami, va l’inciter à adopter les techniques de la biodynamie dans la vigne et l’élaboration de vin à partir de levures indigènes dans la cave. Il acquiert progressivement une certaine renommée, devient une référence pour le vin « naturel10 », des grandes tables affichent ses bouteilles, des médias s’intéressent à sa démarche et il fait quelques émules parmi ses collègues vignerons à qui il promulgue des conseils. Son fils Mathieu reprend les rênes du domaine et promeut les valeurs transmises par son père. L’histoire familiale l’inscrit dans un le récit plus vaste de celui du Beaujolais : « Dans cette partie de France il y a quelques autres vignerons à cette époque qui se posaient déjà les mêmes questions, après je parlais de Jules Chauvet donc qui était quelqu’un, un aïeul on va dire, par rapport à Marcel qui lui a plutôt donné les clés, donc ça se faisait, donc les questions étaient déjà posées, mais Marcel est un des premiers on va dire, vigneron qui a vraiment appliqué cette mentalité, ayant réussi des cuvées, qui était reconnu par rapport à ce travail » (viticulteur, 37 ans, 13 hectares en bio). Il convient de rappeler ici que les vignerons inscrits dans une démarche biologique au cours des années 1980 vont à l’encontre d’une logique mercantile liée au boom du beaujolais nouveau et à l’augmentation substantielle de la production pour répondre à une demande en forte progression. De ce point de vue, les produits de synthèse sont considérés comme» miraculeux » et la démarche bio relève alors d’une technique passéiste.

36Un viticulteur raconte ainsi comment la période d’apprentissage de la viticulture avec ses parents, celle de son enfance, représente pour lui l’époque où l’on cultivait « bio ». Le travail de la vigne était manuel, les produits chimiques inconnus, seule la bouillie bordelaise était appliquée. Piocher, dégraver et exécuter les travaux comme la taille faisait partie du quotidien des vignerons. Les femmes œuvraient amplement dans la vigne avec leur mari. Dans l’esprit des viticulteurs, ce sont des années très difficiles : le vin se vendait mal, les productions, petites et aléatoires, étaient soumises aux intempéries et aux parasites. Le Beaujolais ne connaissait pas encore la monoculture, en plus de la vigne le labeur ne manquait pas avec les vaches, les foins et le jardin pour vivre. Aussi observe-t-il la démarche bio actuelle avec circonspection : « Moi je dis, c’est comme si Renault un jour va dire “Écoutez, les Renault maintenant on va revenir en arrière, on prend une clé de 10, un marteau, une tenaille et on va faire les voitures comme autrefois.” Ça, moi je regarde le bio… Mais j’admire le bio, moi je ne suis pas contre. Mais il faut être honnête jusqu’au bout. Bio, c’est retravailler comme mes parents ont travaillé et comme j’ai travaillé moi. (il siffle) Donc c’est-à-dire OK, valorisation et tout. Parce que moi, j’ai travaillé avec le cheval encore ! Je fais partie de la génération, j’ai travaillé avec un cheval » (viticulteur à la retraite, 65 ans).

37Il faudra donc attendre la constitution du front écologique (Afeissa, 2009) des années 2000 pour changer le regard des professionnels : « Avant, mon père, quand il labourait quand j’étais gamin, ça faisait rigoler un paquet de vignerons. Maintenant beaucoup moins. Parce qu’il faut dire qu’il y a pas mal de domaines qui revendiquent, ou pas, le bio, mais en tout cas qui travaillent de cette manière »(viticulteur, 37 ans, 13 hectares en bio).Il convient de préciser qu’à l’époque la majorité des vignerons utilisaient les herbicides, labourer, représentait dans ce contexte une forme de pratique dépassée, peu productive et non moderne. En revanche, aujourd’hui, le labour entre dans une démarche plus respectueuse de l’environnement alors que l’usage des produits phytosanitaires est largement critiqué. Le Beaujolais connaît donc ce renversement de perspective et il compte en effet 90 exploitations en viticulture biologique ou en cours de reconversion sur 550 hectares (données de la chambre d’agriculture du Rhône) et l’agro-écologie intéresse de nombreux exploitants. Héritier de cette histoire et porteur de sa propre expérience, Mathieu L. reprend le flambeau du vin naturel en Beaujolais. Aussi, en 2006, avec un ami, il crée l’association la Beaujoloise qui regroupe une dizaine de vignerons liés par une même approche de production de vin nature et organise un salon. En 2011, une autre association est créée par des viticulteurs bio : la biojolaise. Les deux associations se rassemblent pour organiser « Bien boire en Beaujolais », une dégustation pour les professionnels. Ensuite, est arrivée la Beaujol’Art, puis la Beauj’All’Wines, et enfin, en 2016, les Gamay Chics. Si au début l’association regroupait une dizaine de producteurs de vins naturels, 175 vignerons participent aujourd’hui au salon qui favorise la rencontre avec des professionnels. Par-delà les différences d’approches bio ou conventionnelle, ce réseau se retrouve sur l’idée de produire un vin de qualité, de reconstruire l’image du Beaujolais (son vin et son territoire) et d’une prise en compte des questions environnementales et sanitaires. Une histoire familiale permet ainsi d’expérimenter une approche innovante, puis de la diffuser à travers la constitution de réseaux locaux.

38Un autre exemple montre comment la filiation et des alliances matrimoniales peuvent renforcer une démarche orientée vers le respect de l’environnement. Sur un domaine, deux générations de viticulteurs travaillent ensemble, le père héritier, représentant la cinquième génération et son fils marié avec la fille d’un viticulteur suisse. Comme son père, le fils a suivi des études à Beaune, puis a intégré l’école de Changins à Vion en Suisse. Cette continuité va aider les deux hommes à passer le pas de la restructuration de leur vignoble, car certains enseignants du fils étaient connus du père, dont un professeur qui a beaucoup étudié le cépage gamay, à des densités différentes. La filiation oblige en quelque sorte moralement à se projeter dans l’avenir pour préparer un vignoble adapté aux enjeux du futur : « L’idée, c’est de refaire tout le vignoble, et puis c’est de pérenniser notre vignoble, que mes petits-enfants aient envie de devenir vignerons. Et ne pas leur laisser un vignoble vieillissant, mal adapté. Et vous savez comme moi qu’on parle beaucoup d’environnement, et donc l’idée c’est aussi d’aller plus vers l’environnemental, de laisser de l’herbe, de faire des labours qu’au niveau des pieds ou au milieu, d’ébourgeonner, faire un travail viticole qu’on ne faisait pas toujours jusqu’à présent, donc d’ébourgeonnage, d’effeuillage, couper des raisins si c’est nécessaire. Tout faire au niveau viticole sur un plan palissé. »

39Par ailleurs, la femme du jeune homme rencontrée à l’école suisse apporte sa part d’innovation. Comme son père, elle s’intéresse à l’hybridation des cépages pour tenter de diminuer l’usage des pesticides : « Voilà, justement donc, mon père était déjà très passionné pour ces cépages-là, d’ailleurs toujours, il plante tous les ans encore des nouveaux cépages pour voir s’il y a encore quelque chose de plus intéressant, et, et il est vraiment… euh… ouais, convaincu par ces cépages pour l’avenir, parce que c’est… Quand on voit combien de fois il faut traiter un cépage traditionnel par rapport à ces cépages-là, même dans les conditions, on va dire, comme, comme l’année, comme là, cette année, il y avait quand même pas mal d’humidité, c’était assez… assez impressionnant, tout le monde avait peur, mais les cépages, moi j’en ai planté d’ailleurs, je les ai jamais traités, il y a pas une tache. »Elle expérimente également des bandes inter-rangs fleuries et avec des plantes aromatiques. Sur certaines parcelles, elle essaie aussi le désherbage avec un petit troupeau de chèvres. La filiation et l’alliance matrimoniale viennent donc dynamiser une activité viticole dans une démarche agro-environnementale.

40On notera toutefois que l’innovation demande des investissements souvent importants et surtout beaucoup de temps. De ce point de vue, le domaine familial permet de se projeter dans une temporalité plus conséquente, inscrivant ainsi l’action sur plusieurs générations.

Conclusion

41L’étude des relations entre territoire et écologisation des pratiques agricoles étudiées par l’entrée familiale, en Camargue et dans le Beaujolais, ouvre deux pistes d’interprétation. Une première interroge fortement l’inscription temporelle des individus et de leurs pratiques : « passer » au bio, est-ce un « retour » à un passé familial révolu ou au contraire, cela ouvre-t-il à de nouvelles perspectives de marché et de positionnement social ? Le maintien des pratiques rizicoles « traditionnelles » est-il le garant d’une qualité professionnelle revalorisée dans l’air du temps « local » ? À la dichotomie entre « déterritorialisation et reterritorialisation », mise en évidence dans la comparaison sociohistorique des deux territoires, peut être articulée une seconde dichotomie relative à la temporalité, quand l’échelle de la famille est réintroduite dans le système cognitif, symbolique et social des agriculteurs. L’écologisation des pratiques agricoles ainsi que l’utilisation des produits phytosanitaires résultent de cette articulation complexe situant spatialement, socialement et temporellement les agriculteurs.

42La seconde piste d’interprétation interroge, plus particulièrement, l’hypothèse initiale attribuant à la famille le rôle d’un espace social à l’interface du territoire et des pratiques agricoles. Notre analyse conduit à confirmer, en partie, cette hypothèse puisque, pour certains agriculteurs rencontrés, l’héritage de leur propriété et l’appartenance familiale depuis plusieurs générations légitiment une appropriation du territoire agricole susceptible de faciliter ou de s’opposer aux injonctions environnementales ; ceci étant particulièrement souligné en Camargue. Mais, la famille ne se résume pas à une forme symbolique d’appropriation du lieu, elle peut être également le lieu même du changement. Elle permet de sécuriser une transition écologique (quand il s’agit de moins utiliser de produits phytosanitaires) entre plusieurs générations qui, chacune à sa manière, recompose son lien au territoire agricole et aux injonctions environnementales qui s’y déploient. Dans ces recompositions, on a pu déceler deux éléments constitutifs de l’identité professionnelle ou de l’ethos agricole (Lamine, 2017), et dont le rapport au territoire joue un rôle majeur. Le premier réside dans l’importance des savoirs et de l’inventivité technique que les agriculteurs mettent en avant pour justifier d’un changement de pratiques ; savoirs dont certains relèvent d’un héritage familial et que seul l’attachement à la « terre » permettrait d’acquérir (Darré, 1991). Le second élément repose sur la capacité de mettre en réseau son expérience ou de se mettre en réseau pour la partager, et dont la famille constitue un rouage important. Notre analyse met ainsi en évidence la faible capacité de changement générée par les seules injonctions environnementales appliquées à une échelle territoriale. Pour que de nouvelles pratiques soient effectives, elles doivent faire sens au sein d’un « ethos » agricole qui mérite d’être réinterrogé, voire mieux valorisé dans les dynamiques actuelles d’écologisation des pratiques agricoles.

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Notes

1 Ces enquêtes ont été réalisées dans le cadre du projet « Trajectoires » (Trajectoires familiales et utilisation des pesticides dans des territoires agricoles à enjeux), action pilotée par le ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et le ministère de la Transition écologique et solidaire, avec l’appui financier de l’Agence française de la biodiversité dans le cadre de l’APR « Résistances et pesticides », grâce aux crédits issus de la redevance pour pollutions diffuses attribués au financement du plan Écophyto.

2 La différence dans le nombre d’entretiens réalisés réside dans le fait que l’enquête dans le Beaujolais a pris le relais d’un projet de recherche antérieur et a bénéficié d’un réseau de chercheurs inscrits de longue date dans le territoire (site atelier Ardières-Morcille, zone atelier bassin du Rhône), facilitant l’accès au terrain.

3 Jusqu’en 2001, la gestion du Parc a été assurée par une fondation, dont statutairement huit des vingt-quatre membres du conseil d’administration étaient membres du Comité des propriétaires camarguais. Il fallut attendre 2007 et la menace de la perte de la labélisation de la Camargue en Parc naturel régional pour que la médiation menée par le ministère en charge de l’Environnement aboutisse à une loi confiant, conformément aux dispositions du code de l’environnement, la pleine gestion du parc à un syndicat mixte.

4 « Le Vaccarès a diminué peu à peu jusqu'à ne contenir plus qu'un peu d'eau dans le fond, dont la densité était de 24° […] L'état pitoyable de la végétation de l'ensemble de la Camargue contrastait avec celui tout à fait normal des parties où par les canaux, les fossés, on avait introduit artificiellement de l'eau même en très petite quantité », Actes de la Réserve zoologique et botanique de Camargue, n° 22, 1938.

5 Charte du PNRC, objectif 2022, vol.1, p. 58, PNRC, 2009.

6 Article 6.1. Promouvoir des pratiques culturales plus favorables à l’environnement en s’inscrivant dans les recommandations des sites Natura 2000, p. 107, charte du PNRC, op. cit.

7 Ces expériences ont principalement été menées par une société privée de distribution de produits agricoles implantée dans la région dès le début des années 1970, aujourd’hui c’est un organisme public de recherche (Cirad) qui poursuit les expérimentations de semis-à-sec du riz.

8 La taille en gobelet est courte, laissant trois à cinq cornes sur chaque cep en forme de couronne et un maximum de dixbourgeons. Le cordon est formé d'un ou deux bras horizontaux sur lesquels poussent de petits bras porteurs chacun d'une branche de deux bourgeons.

9 La Société d’intérêt collectif agricole de recherche expérimentale est un institut de recherche appliquée sur la vigne et le vin au service de la filière régionale.

10 Un vin naturel est travaillé en vinification avec le moins de produits chimique possible. On évite en particulier l’usage du soufre et ici notre vigneron insiste sur l’utilisation de levures « naturelles », donc non chimiques.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Carte de l’occupation du sol en Camargue en 2017
Légende Registre parcellaire 2017
Crédits Source : Géoportail.fr
URL http://journals.openedition.org/developpementdurable/docannexe/image/16822/img-1.png
Fichier image/png, 1,8M
Titre Figure 2. Le territoire viticole du Beaujolais
Crédits Source : InterBeaujolais
URL http://journals.openedition.org/developpementdurable/docannexe/image/16822/img-2.png
Fichier image/png, 263k
Titre Figure 3. Parcelle restructurée avec enherbement inter-rang
URL http://journals.openedition.org/developpementdurable/docannexe/image/16822/img-3.png
Fichier image/png, 11M
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Pour citer cet article

Référence électronique

Carole Barthélémy, Aurélien Allouche, Gilles Armani, Gaïa Bonnet, Christelle Gramaglia et Laurence Nicolas, « Écologisation des pratiques agricoles et ancrages familiaux au territoire. Une comparaison de l’utilisation des produits phytosanitaires entre Camargue et Beaujolais »Développement durable et territoires [En ligne], Vol. 11, n°1 | Avril 2020, mis en ligne le 20 avril 2020, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/developpementdurable/16822 ; DOI : https://doi.org/10.4000/developpementdurable.16822

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Auteurs

Carole Barthélémy

Carole Barthélémy est maître de conférences en sociologie de l’environnement. Elle s’intéresse aux interactions entre la société et la nature. Ses travaux portent sur les processus d’écologisation à l’œuvre dans divers domaines tels que l’agriculture, la ville et la gestion des espaces naturels. Elle coordonne le projet « Trajectoires » (Trajectoires familiales et utilisation des pesticides dans des territoires agricoles à enjeux) (Action pilotée par le ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation, et le ministère de la Transition écologique et solidaire, avec l’appui financier de l’Agence française de la biodiversité dans le cadre de l’APR « Résistances et pesticides », grâce aux crédits issus de la redevance pour pollutions diffuses attribués au financement du plan Écophyto).Laboratoire Population Environnement Développement, UMR 151 Aix-Marseille Université, IRD, Institut Pytheas.
Carole.barthelemy@univ-amu.fr

Articles du même auteur

Aurélien Allouche

Aurélien Allouche est sociologue, chargé de recherche à Ressource, et chercheur associé au Laboratoire méditerranéen de sociologie (Lames) – UMR 7305. Ses travaux portent sur les mobilisations environnementales et les processus d’engagement collectif et leurs liens avec l’évolution des systèmes socio-écologiques.
aurelien.allouche@orange.fr

Gilles Armani

Gilles Armani est anthropologue. Il travaille sur la construction sociale et la perception des objets de nature, les pratiques agricoles, la gestion de l’eau et de l’environnement, la pollution et la gouvernance.Irstea Lyon-Villeurbanne, UR RiverLy, Équipe EMA.
gilles.armani@irstea.fr

Gaïa Bonnet

Gaia Bonnet est titulaire du master 2 Politiques environnementales et pratiques sociales de l’université de Toulouse. Elle a contribué au projet Trajectoires.Irstea, UMR G-EAU.
gaia.bonnet@gmail.com

Christelle Gramaglia

Christelle Gramaglia est chargée de recherche et sociologue de l’environnement. Elle travaille sur la production des savoirs sur les pollutions en situation de controverse et sur l’habitabilité des territoires soumis à de fortes pressions anthropiques industrielles ou agricoles.Irstea, UMR G-EAU, Montpellier UMR G-EAU Irstea.
christelle.gramaglia@irstea.fr

Laurence Nicolas

Laurence Nicolas est ethnologue. Elle est l’auteur de travaux de terrain et d’analyse sur les rapports homme-nature dans les domaines suivants : gestion hydraulique, gestion du risque inondation, fluvial et marin, gouvernance des espaces naturels et concertations liées aux politiques publiques et à l’aménagement du territoire.Ethnologue indépendante à Ressource.
laurence.b.nicolas@wanadoo.fr

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