Navigation – Plan du site

AccueilDossiersDossier 4Quel équilibre entre urbanisation...

Quel équilibre entre urbanisation et préservation des espaces agricoles périurbains ? Le cas d’une agglomération moyenne

José Serrano

Résumés

Le développement durable d'une ville conduit à remettre en cause l’étalement urbain. Aujourd'hui, les élus se vantent d’appliquer les principes du développement durable. Ils cherchent à préserver le cadre de vie et à maîtriser l'urbanisation. Pourtant, ces mêmes élus inscrivent dans les documents d'urbanisme des projets de développement ambitieux forts consommateurs d'espace. À travers une analyse des projets des élus de la ceinture périurbaine de Tours, il s'agit de déterminer la place qui est faite à la préservation des espaces ouverts. Nous analyserons quelles sont les conditions pour une reconnaissance des espaces agricoles et naturels comme étant un prolongement de la ville (et non plus l'absence de celle-ci). L’hypothèse est que la reconnaissance des espaces agricoles et naturels repose sur une modification de la perception de ces espaces. Mais face à l'ampleur des remises en cause que suppose cette évolution l'intervention d'un médiateur est nécessaire.

Haut de page

Texte intégral

1La périurbanisation se caractérise par une déconcentration et une délocalisation de la population et des activités en provenance de la ville-centre. Ce mouvement conduit à une consommation importante d'espace et à une densification du réseau routier. En effet, les ménages utilisent leur automobile pour relier leur résidence et leur lieu de travail ou de consommation. En s'installant dans les communes périurbaines, les ménages recherchent un marché immobilier plus abordable mais aussi un cadre de vie et un contact avec la nature (Dezert, Metton, Steinberg, 91).

2Dans l'aire de péri-urbanisation, les communes sont en concurrence pour attirer les habitants et les activités. Cela leur permet d'améliorer leurs ressources fiscales et de rentabiliser leurs équipements. Pour se démarquer, les communes mettent en avant le cadre de vie de qualité en insistant sur la possibilité, pour les habitants, de bénéficier dans le même lieu des services liés à la ville et des aménités rurales (cf. slogan de Montlouis située à 10 kilomètres à l’Est de Tours : « Montlouis, une ville à la campagne »). Pourtant, lorsqu'on étudie de plus près les objectifs de développement, on se rend compte que ces mêmes communes peuvent avoir des projets de croissance ambitieux entraînant ainsi une consommation d'espace importante. Or, la poursuite de la consommation d'espace n'est pas durable car les sols agricoles ne sont pas une ressource renouvelable. Cet article se propose d'analyser les projets de développement des communes situées dans l’aire du schéma de cohérence territoriale de Tours. Il s'agit de comprendre où les communes placent l'équilibre entre la poursuite de l'urbanisation et la préservation de l’espace naturel.

3Le cas de l’agglomération de Tours est intéressant à double titre. Tours et sa première couronne sont confinées dans la vallée du Cher et de la Loire par des coteaux. L'urbanisation a d'abord occupé les vallées inondables épargnant relativement les plateaux. La mise en place des plans de prévention des risques naturels à la fin des années 90 a mis un coup d'arrêt à l'urbanisation des vallées. Le report de la pression urbaine sur les plateaux céréaliers, encore relativement bien conservés, est un moment privilégié pour les élus de réfléchir à de nouvelles modalités de l’urbanisation.

4La seconde raison pour laquelle l'étude des projets de développement des communes situées dans l'aire du schéma de cohérence territoriale de Tours est intéressante tient à la jeunesse des structures intercommunales. L'essor de l'intercommunalité date de 1995 après le changement d'équipe municipale. L'aire du schéma de cohérence territoriale recouvre quatre communautés communes et une communauté d'agglomération (cf. carte 1). La compétence développement économique et politique du logement a été transférée au niveau communautaire alors que la compétence aménagement d'espaces naturels est restée au niveau communal. L'aire du schéma de cohérence territoriale est arrêtée depuis 2001. Une réflexion sur le schéma de cohérence territoriale s'amorce à peine. D'autre part, le regroupement des communes avec le transfert de compétences oblige les élus à changer l'échelle de leur projet. Il est intéressant de voir si le contenu des projets a changé, si de nouveaux éléments tels que la préservation des espaces naturels sont mieux pris en compte.

Carte 1 : Les périmètres institutionnels de l’aire urbaine de Tours (Source : Portrait de l’aire urbaine de Tours, INSEE, 2001)

5Les résultats reposent sur des entretiens semi-directifs menés en mai 2003 auprès de 26 des 40 communes concernées par le schéma de cohérence territoriale de Tours. Compte-tenu de la répartition des compétences, les présidents des communautés de communes ainsi que des élus communaux (ou les responsables des services aménagement et urbanisme) ont été rencontrés. Les entretiens avaient pour objet l’exploration du projet de développement des communes (ou de la communauté). Il s'agissait de savoir quelle place occupaient les espaces naturels et agricoles dans ces projets. Sont-ils de simples réserves foncières ou sont-ils considérés comme une composante du développement urbain ? Nous commenterons les résultats à la lumière du projet de loi sur les périmètres d'aménagement des espaces naturels (Dassonville, 03).

6La prise en compte des espaces agricoles et naturels dans les projets de développement et donc l'équilibre entre urbanisation et préservation des sols dépend de la perception qu'ont les élus de l'activité agricole et de son rôle par rapport à l'entretien d'espaces naturels et patrimoniaux. Notre hypothèse est qu'il faut dissocier la fonction production alimentaire de la fonction entretien de l'espace. Le métissage entre préservation d’espaces naturels et développement agricole et économique ne s'opère pas de manière spontanée. L’intervention d'un médiateur entre les agriculteurs qui cherchent à dégager un revenu à travers des activités de production et de services et les élus soucieux de préserver un cadre de vie est nécessaire. Dans une première partie, nous rappellerons l'intérêt qu'ont les élus pour les espaces naturels et les contraintes que subit l'agriculture périurbaine. Nous présenterons ensuite une typologie des projets de développement des élus et nous verrons à quelles conditions l'agriculture peut-être reconnue comme un facteur de développement urbain. Dans la dernière partie, nous montrerons que la perception les agriculteurs est tellement dégradée qu'un médiateur est nécessaire pour rétablir un lien fonctionnel entre la ville et les espaces agricoles limitrophes.

I) Intérêt et contraintes des espaces périurbains

7Suite aux lois de décentralisation de 1983, les communes ont acquis la maîtrise de l'affectation des sols. Excepté dans le cas de projets d'intérêts généraux, les communes décident de la destination des sols. Elles retranscrivent leurs projets à travers un zonage dans des documents d'urbanisme. Les nouveaux plans locaux d'urbanisme ne remettent pas en cause cette possibilité, mais ils demandent aux communes de préciser leur projet de développement.

A) Des espaces agricoles et naturels appréciés pour le cadre de vie et l'identité rurale qu'ils véhiculent

8Pour les élus des communes périurbaines, le cadre rural est un élément identitaire et un atout de développement. Les communes mettent en avant leur caractère résidentiel et l'intérêt qu'ont les habitants à venir s'installer dans un lieu où l'on trouve des espaces ouverts. Cela permet de se distinguer des autres communes et de la commune centre en particulier. La diversité des paysages (grandes cultures, vignes, forêts) participent au cadre de vie recherché par les habitants. Les élus soulignent la richesse des chemins de randonnée qui permettent aux habitants de parcourir et de contempler la campagne. Pour certains élus, il y a une continuité entre la végétalisation et le fleurissement des centres-villes et l'espace agricole environnant. Certains avancent même le concept de « ville parc ». Les élus sont attachés à la préservation des paysages et s'inquiètent de l'apparition de friches ou du développement de peupleraies en bordure de fleuve ou de rivière. Pour les élus, l'enfrichement et la fermeture des paysages est due à la défaillance de l'agriculture qui n'est plus apte à occuper et à entretenir tout l'espace disponible.

9Le goût pour la campagne et la maison individuelle sont bien des motivations importantes pour les ménages dans leurs choix de localisation résidentielle. Mais, le marché effectue un tri en fonction des ressources disponibles. Les ménages arbitrent entre le coût du mètre-carré et la taille du logement et le budget consacré au déplacement. Ils avouent apprécier leur localisation à la campagne mais ils auraient préféré être plus près du centre (Orfeuil, 01). Ainsi, le caractère champêtre sert d’argument de différenciation pour les élus d’un même périmètre.

B) Le problème de l'instabilité foncière qui fragilise l'activité agricole

10Les élus sous-estiment les contraintes que l'étalement urbain, et la mutation du foncier qui est liée font peser sur l'activité agricole. Du fait de la multiplication des projets d'aménagement et de l'instabilité des documents d'urbanisme, les agriculteurs sont régulièrement confrontés à des expropriations. Bien qu'indemnisées, les pertes de parcelles perturbent l'activité des exploitations, l'exploitant pouvant mettre du temps à trouver de nouvelles parcelles. Le marché foncier agricole est plus tendu du fait de l'augmentation de la demande. Certains agriculteurs cherchent à anticiper le problème en se constituant des réserves foncières, mais ceci ne fait qu'accroître le déséquilibre du marché foncier agricole.

11Cependant, ne retenir que la consommation d'espace comme impact de la croissance urbaine c'est sous-estimer les perturbations induites. La forme de l'urbanisation est également très importante (Slak, 00). Aux abords des habitations, il devient de plus en plus difficile pour l'agriculteur de travailler (plainte des habitants pour les odeurs, pour le bruit, pour les poussières et les salissures). Une urbanisation en mitage ou linéaire augmente considérablement les parcelles de voisinage. D'autre part une urbanisation en dent creuse conduit à un enclavement de parcelles agricoles. Au total, les surfaces qui deviennent impropres à l'activité agricole sont considérables (Slak, 00).

12Enfin, l'urbanisation perturbe également l'accès au foncier agricole. De nombreux propriétaires urbains nourrissent l'espoir de réaliser une plus-value en vendant leur terrain agricole en terrain constructible. Bien que plus réticents, les propriétaires exploitant peuvent aussi partager cette stratégie. De fait, les propriétaires anticipent la mutation du foncier et refusent de se lier à un exploitant à travers un bail rural très contraignant. Ils peuvent néanmoins accepter des baux oraux reconduits annuellement.

13Ces stratégies spéculatives ont des conséquences pour le paysage. Bien que stigmatisées par les élus, les friches dues à la rétention foncière restent rares. Elles représentent environ 7 % de la surface agricole utile dans l'est tourangeau (DDAF 37, 02). Par contre, il devient très difficile pour les exploitants de développer des cultures pérennes lorsque le bail est annuel. Ce sont les grandes cultures qui se développent (au détriment des vignes). La généralisation de baux précaires fragilise les exploitations qui sont plus susceptibles de se délocaliser (Jarrige, Jouve, Napoleone, 03).

14La maîtrise foncière apparaît comme un enjeu pour les élus qui souhaitent préserver un cadre de vie et des espaces ouverts conformes aux attentes des habitants. Les élus de la zone périurbaine de Tours disent qu'ils souhaitaient limiter l'urbanisation et maintenir des ceintures vertes. Cependant, qualifier les espaces agricoles de ceinture verte pour contenir l'urbanisation ne suffit pas comme le montre l’échec des « zones naturelles d’équilibre » prévues dès 1976 dans le schéma directeur de la région île de France (Bouraoui, 00). Par contre, si on dote la ceinture verte d'un opérateur foncier capable d'exercer un droit de préemption lorsque le foncier menace de changer de destination, l'espace agricole est beaucoup plus stable (Bouraoui, 00). À ce titre, les périmètres d'aménagement d’espaces naturels prévus par la future loi rurale semblent prometteurs. Ils prévoient la création d'une agence régionale des espaces naturels capable de gérer des terrains acquis au titre de préservation des espaces naturels et capable de mandater la SAFER pour exercer un droit de préemption lorsque les propriétaires envisagent de modifier la destination du terrain.

15Bien qu'important, le contrôle des transactions foncières ne suffit pas à garantir la préservation des espaces naturels périurbains. Encore faut-il qu'il y ait une volonté politique de conserver des espaces ouverts. C'était le cas des élus d'Ile de France lorsqu'ils ont en 1983 institué la ceinture verte. Cela l'est beaucoup moins dans le cas de Tours.

II) Modalités des projets de développement urbain

16De par la population et les services qu'elle concentre, l'agglomération-centre polarise les voies majeures de communications. Les réseaux de routes, rocades, chemin de fer permettent de drainer des flux importants de personnes ou de marchandises qui sont ensuite redistribuées. Selon leur localisation, les communes périurbaines peuvent espérer bénéficier de ces flux et des facilités de circulation pour accueillir un nombre important de résidents ou d'entreprises. Avant le développement de l'intercommunalité, les communes étaient concurrentes pour attirer population et emplois et bénéficier des retombées fiscales. L'émergence de l'intercommunalité permet une réflexion à plus grande échelle et un partage des taxes perçues, mais il semble qu'elle ne fasse que déplacer le problème.

A) La croissance reste un enjeu prioritaire pour de nombreux élus

17Les communes situées dans le schéma de cohérence territoriale de Tours se sont regroupées en quatre communautés communes et une communauté d'agglomération. Les communautés de communes se sont constituées autour des futurs pôles de développement économique. En effet, l'agglomération de Tours est traversée par l'autoroute A10, et prochainement ce sont de nouvelles autoroutes qui vont desservir Tours (A28 et A85). De nouvelles sorties seront aussi aménagées sur l'A10. Les élus veulent profiter des carrefours d'autoroutes et des sorties pour implanter d'importantes zones d'activités (100 à 300 hectares, cf. carte 2). Compte tenu du transfert de la compétence développement économique et de la mise en place d'une taxe professionnelle unique, les communes mal situées par rapport aux accès autoroutiers ont renoncé au développement de leurs propres zones d'activités. Les enquêtes montrent que les projets de développement des communes peuvent être classés en trois types selon un gradient quantitatif :

  • développement de zones d'activités importantes. Il s'agit des communes situées à proximité des futurs échangeurs autoroutiers. La création de zones d'activités de 100 à 300 hectares représentera une manne grâce à laquelle « on va enfin pouvoir sortir du sous-développement » (un élu de la communauté de communes du Vourvrillon). Le développement de zones d'activités est hautement désiré car il va permettre de combler un retard par rapport à Tours : « maintenant c'est notre tour » (un élu de la communauté commune de la confluence). Pour ces élus, la préservation de l'espace agricole pèse peu, le progrès s'étant toujours accompagné d'une consommation d'espace et d'une délocalisation de l'activité agricole.

  • développement résidentiel important. Certains élus constatant qu'il y a une pression foncière importante envisagent l'ouverture de larges zones aux lotissements. La croissance urbaine est perçue comme un processus inéluctable auquel il faut répondre.

  • développement résidentiel faible. Selon ce type de développement, les élus envisagent une croissance limitée de la population de leur commune. Les espaces urbanisables sont très limités dans les documents d'urbanisme. Plus qu'une volonté ferme de préserver les espaces naturels, c'est le coût  induit par le développement et la faiblesse des ressources de la municipalité qui semblent être les raisons de ce faible développement.

18Le type de projet adopté par la commune est influencé par les potentialités de développement. Les communes importantes ou proches des accès ont des projets importants. Alors que les communes relativement enclavées et de petites tailles ont des projets très modestes. La préservation des espaces agricoles semble être un choix par défaut. Autrement dit, il n'est mis en avant que lorsque les possibilités de développement sont limitées.

19Pour les élus préserver les espaces agricoles au nom de la production alimentaire n'est plus un enjeu local. L'approvisionnement se fait par des marchés lointains et des terres sont gelées par l'Union Européenne pour limiter la production. L'intérêt des espaces agricoles est leur contribution à un cadre de vie mais ceci suppose une redéfinition de la vocation et du statut des espaces agricoles.

B) Un nouveau projet pour les espaces naturels et agricoles

20Tours possède encore sur son territoire communal des espaces non urbanisés. Il s’agit de la plaine de la Gloriette qui est inondable. Cette plaine était occupée par des grandes cultures. Suite à la mise en place du plan de prévention des risques naturels, Tours a dû abandonner les projets d’urbanisation sur cet espace et a imaginé la réalisation d’un parc paysager, ludique et scientifique sur plusieurs dizaines d’hectares (cf. carte 2). Les agriculteurs cultivant la plaine de la Gloriette ont été expropriés mais ils ont participé à l’aménagement paysager du parc. Les responsables du parc avaient besoin des savoir-faire techniques des agriculteurs pour maîtriser des peuplements végétaux sur de larges surfaces. La technicité des agriculteurs a été utilisée non pas à des fins productives mais ornementales. Au bout de quatre ans d’ouverture, le parc de la Gloriette est un échec commercial et la municipalité recherche un nouveau créneau.

21Malgré ses déboires, le parc de la Gloriette avait pour intérêt d’associer les agriculteurs à un projet urbain d’aménagement paysager. D’autres expériences comme à Vitry sur Seine montrent que cette voie peut être couronnée de succès.

22La ville de Vitry-sur-Seine veut mettre fin à l'occupation sauvage de 87 hectares de terrains agricoles entourés de logements. Elle aménage un parc avec une roseraie, un écomusée et des jardins familiaux. Trente-huit hectares du parc restent dédiés à l'agriculture qui assure ainsi une transition harmonieuse entre les quartiers et l'intérieur du parc. L'agriculture contribue à l'image du parc sur le plan esthétique (Bouraoui, 00).

23À Vitry-sur-Seine, l'espace agricole a été considéré comme un élément à part entière d'un projet d'aménagement urbain. C'est la fonction esthétique qui a servi à insérer l'activité agricole dans le projet d'aménagement urbain. L'agriculture a servi de médiateur entre la ville et la nature. Vitry-sur-Seine illustre le changement du rapport de la ville à la campagne. Désormais pour les citadins, le spectacle prime sur la production (Donadieu, 98). La campagne est devenue un territoire d'habitation et de loisirs. Les citadins sont à la recherche d'un contact avec l'agriculture, ce contact se fait dans le cadre de loisirs.

24La reconnaissance du rôle esthétique et de loisirs des espaces agricoles implique que ceux-ci ne soient plus désignés comme des espaces de production car nous avons vu que le motif de la production agricole pour la ville ne suffisait pas à préserver ces espaces dès qu'il existait des possibilités importantes de développement. Gérard Larcher (98) propose des labels de « terroirs urbains et paysagers » pour préserver les espaces périurbains de l'urbanisation. Il s'agit de faire reconnaître la valeur paysagère des espaces périurbains et de mettre en place une politique du « beau » à travers une charte. Le périmètre d'aménagement des espaces naturels est doté d'une charte qui vise à ce que la ville compense les surcoûts que subit l'agriculture dans les zones périurbaines et propose une finalité urbaine aux espaces agricoles. La charte est mise en oeuvre dans un périmètre délimité et propose un objectif d'aménagement, des moyens et un plan de gestion avec un comité de suivi. L'attribution d'une charte spécifique aux espaces périurbains est un pas important dans la reconnaissance de l'intérêt de la préservation des espaces ouverts en limite d'agglomération. Une charte aide les acteurs à se structurer en fonction d'objectifs précis et donne une visibilité au territoire par report aux territoires « ordinaires » (Weiss, 03). Forts d'un projet répondant aux attentes des élus, les espaces périurbaines ne sont plus des espaces considérés comme vides.

III) Conditions pour un métissage

25Les chartes sont des documents de référence qui fixent les objectifs, les moyens, les ressources. Elles sont adoptées après négociation par l'ensemble des acteurs impliqués dans le projet d'aménagement. La charte des périmètres d'aménagement des espaces naturels se propose de remplir ce rôle mais pour être adoptée, elle suppose que les acteurs aient la volonté de construire un projet en commun. Or les élus ont beaucoup de mal à percevoir les agriculteurs comme des partenaires.

A) Les difficultés des élus à percevoir les agriculteurs comme des partenaires

26Suite la mise en place des plans de prévention des risques, les vallées inondables du Cher et de la Loire sont devenues inconstructibles. Les élus se sont émus du développement des friches. Le classement de zones constructibles n'est pas le facteur responsable de l'apparition des friches, mais pour les élus la solution pour résorber les friches était la construction. Actuellement les élus se trouvent très démunis pour résoudre le problème. Le partenariat avec les agriculteurs est difficilement envisagé même lorsque la collectivité est propriétaire du terrain. De fait, l’agriculture apparaît comme disqualifiée aux yeux des élus lorsqu'il s'agit d'entretenir l'espace.

27Pour nombre d'élus, les agriculteurs sont des pollueurs. Les agriculteurs ont perdu le lien privilégié qu'ils entretenaient avec la nature. Certains élus reprochent même aux agriculteurs d’épandre des boues. Ils jugent cette pratique nuisible à l'environnement et contraire à l'image de l'agriculteur gestionnaire de la nature. De plus, les élus ont conscience de la chute du nombre d'exploitations agricoles. Pour eux, l'activité agricole est en déclin, ce n'est donc plus une activité sur laquelle ils peuvent s'appuyer pour des projets d'aménagement.

28Les élus sont également confrontés à une perte de repères pour dialoguer avec les agriculteurs. Ils ne savent pas comment faire adhérer les agriculteurs à leurs projets d'embellissement. Ils constatent que les agriculteurs mettent en avant leurs objectifs de production lorsqu'ils leur proposent de participer à des projets d'embellissement. Ils regrettent ces divergences et ne savent comment y remédier. Les élus se disent incompétents pour proposer aux agriculteurs une modification de leurs pratiques et renvoient le problème aux conseillers agricoles ou au niveau supérieur (Union Européenne). Pour les élus l'intervention dans les pratiques agricole ne relève pas d'une politique locale.

29Cependant, les élus ne considèrent pas toutes les formes d'agriculture sur le même plan. La grande culture est fortement dénigrée. Elle est jugée polluante et banale. Par opposition, la vigne est fortement valorisée car porteuse d'identité. Cette sélection des formes d'agriculture et donc des paysages, renvoie à la nature même du processus de réappropriation de la campagne par les citadins. Les politiques publiques urbaines agricoles sont structurées par la recherche de l'identité (Fleury, Serrano, 02). Les grandes cultures, à l'inverse du vignoble, ne portent pas d'éléments identitaires car elles sont semblables en tout point du territoire. Or, les grandes cultures occupent l'essentiel des plateaux et des vallées dans l'aire du schéma de cohérence territoriale de Tours. Le classement de la Loire au patrimoine mondial de l'Unesco a amené les élus à s'interroger sur le paysage et le tourisme. Ils souhaiteraient que l'agriculture participe davantage à la promotion du classement mais du fait de l'occultation des grandes cultures et de l'agriculture de production, les élus sont dans une position attentiste et renvoient aux agriculteurs le soin de prendre des initiatives.

B) La nécessité d'un médiateur

30La gestion d'espaces naturels, l'entretien de paysages relève des services non marchands. En tant qu'entrepreneurs les agriculteurs ne peuvent y répondre seuls ou de manière organisée. Les mesures agri-environnementales, les contrats territoriaux d'exploitation ont apporté une première réponse. Ces mesures contractuelles ont permis de faire entrer de nouveaux acteurs dans la gestion des espaces agricoles alors que ces derniers étaient devenus le monopole des agriculteurs.

31La multitude de projets dans les zones périurbaines et l'ampleur des zones concernées font que l'on ne peut se passer de politiques publiques pour gérer les espaces agricoles. Les élus n'ont pas les moyens financiers et techniques pour répondre seuls à la demande sociale de paysages. Les agriculteurs (même lorsqu'ils tirent parti de la ville) adoptent toujours une stratégie de délocalisation pour se soustraire aux contraintes liées à la proximité de la ville (Fleury, 03).

32La mise en place d'un projet d'aménagement des espaces périurbains impose de réunir tous les acteurs (agriculteurs, élus, associations de défense de la nature ou du cadre de vie, aménageurs). En Italie, la préservation des espaces périurbains de Bologne n'a pu aboutir que lorsque les urbanistes ont intégré de nouveaux acteurs (agriculteurs, industriels) au projet (Fleury, 03). La réunion des acteurs aux objectifs divergents impose une négociation pour dégager un compromis sur le projet d'aménagement. Or dans le cadre d'une politique publique territoriale, les acteurs construisent leur décision progressivement après un long processus de marchandage et de compréhension mutuelle (Peyrfitte, 98). C'est un processus itératif où chacun compose en fonction de la négociation et des informations dévoilées par l'autre partenaire. Les conditions de la négociation sont aussi importantes que le résultat final. L'intervention d'un agent organisationnel qui va être garant de l'implication financière et de la répartition des compétences est déterminante.

Conclusion

33La dissociation de la fonction de production économique de la fonction de production de territoire permet de clarifier la prise en compte des espaces agricoles par les élus. Elle répond au processus de réappropriation sélective de la campagne par les citadins. Cependant, les attentes des élus et des agriculteurs sont très antagonistes. Les élus évacuent la dimension productive et économique des espaces agricoles alors que les agriculteurs se focalisent sur elle. Cette incompréhension mutuelle aboutit à des stratégies attentistes ou d'exclusion. L'intervention d'un acteur tiers est nécessaire pour faire se rencontrer à nouveau les élus et les agriculteurs. Elle peut également être nécessaire pour amener les élus à faire une plus grande part à la préservation d’espaces naturels et agricoles. En effet, les élus sont juges et parties quant à l'équilibre à donner à la préservation des espaces agricoles par rapport à l'urbanisation. Renoncer à des zones d'activités ou à l'accueil de nouveaux habitants c'est se priver de ressources fiscales ou s'exposer à une sous-utilisation d'équipements. La mise en place d'une taxe professionnelle unique ne résout pas totalement le problème car ce sont les établissements publics de coopération intercommunaux qui sont désormais concurrents.

34Le périmètre d'aménagement des espaces naturels apparaît comme un outil très intéressant. Il prend en compte des contraintes subies par les agriculteurs en proposant l'intervention des SAFER. Il recrée le lien fonctionnel entre les espaces périphériques et les agglomérations en proposant que la gestion des espaces naturels réponde à des finalités urbaines. Il propose une charte qui permet par la négociation de fixer les objectifs, les moyens, d'impliquer un grand nombre de partenaires et de donner un projet à un territoire délimité. Armé de ce projet, l'espace périphérique cesse d'être un vide du point de vue urbain.

35Cependant deux remarques peuvent être faites. La création des périmètres d'aménagement des espaces naturels permet que des territoires ordinaires fassent l'objet d'une politique de préservation alors que jusqu'à maintenant les aménageurs ne disposaient d'outils que pour les espaces remarquables (parc naturel régional, ZNIEFF...). Pour autant, n'y a-t-il pas le risque d'une dissociation spatiale des politiques de développement de celles de préservation des espaces naturels ? Les espaces classés en périmètre d'aménagement des espaces naturels seraient bien hors d'atteinte de l'urbanisation mais la pression foncière peut se reporter sur les espaces agricoles au-delà du périmètre. On constate déjà l'opposition et la juxtaposition spatiale de politiques paysagères aux abords des villes, l'une privilégiant la monofonctionnalité agro-industrielle, l'autre la promotion d'une économie résidentielle et touristique (Donadieu, Bouraoui, Dumont-Fillon, Fleury, 01).

36Enfin la mise en place d'un périmètre d'aménagement des espaces naturels doit s'accompagner de contreparties (financières ou autres) pour les communes concernées. Autrement, accepter d'assurer la gestion d’espaces naturels utiles à la collectivité revient à se priver d’un potentiel de développement. C'est l'argument qui est avancé par les pays en voie de développement lorsqu'on leur reproche de déforester leur territoire pour cause de préservation des grands équilibres naturels.

Haut de page

Bibliographie

Attard, M., Delaitre, T., Hamelin, M., Joasson, V., Rault, J., Rodriguez, L. (2003) Le SCOT, comment concilier l’agriculture périurbaine et les effets de l’urbanisation ?, Mémoire de D.E.S.S. en maîtrise d’ouvrage et aménagement paysager, Tours, Polytech’Tours, 216 p

Bouraoui, M. (2000). L'agriculture nouvel instrument de construction urbaine. Étude de deux modèles agriurbains d'aménagement du territoire : le plateau de Saclay à Paris et la plaine de Sijourni à Tunis, Thèse de doctorat en sciences de l’environnement, Paris, E.N.G.R.E.F., E.N.S.P. 442 p.

D.D.A.F. 37 (2002). « Projet agriurbain de l'est tourangeau. » Dossiers départementaux de l'agriculture et de l'environnement d'Indre-et-Loire(4): 8 p.

Dassonville, A. (2003) Rapport de la mission interministérielle chargée de proposer des modalités de renforcement de l'intervention publique foncière dans les espaces périurbains, Paris, Ministère de l'agriculture. 22 p.

Dezert, B., A. Metton, et J Steinberg (1991). La périurbanisation en France, Paris, S.E.D.E.S. 221 p.

Donadieu, P. (1998). Campagnes urbaines, Paris, Actes Sud. 219 p.

Donadieu, P., M. Bouraoui, N. Dumont-Fillon et A. Fleury. (2001). Le rôle du paysage dans l'aménagement des territoires ruraux périurbains. Colloque dynamique rurale, environnement et stratégies spatiales, 13 et 14 septembre, Montpellier, C.N.R.S., Université Paul Valéry. pp. 179-187

Fleury, A. (2003). Politiques publiques européennes et françaises sur l'agriculture périurbaine. Seminario agricultura periurbana : multifuncionalidad social y reconstruccion territorial, 27 de febrero de 2003, Mexico, Direccion général de programas regionales y organizacion rural. 8 p.

Fleury, A. et J. Serrano (2002). L'agriculture banale a-t-elle une place dans le projet agriurbain ? Les entretiens du Pradel : agronomes et territoires, 12 et 13 septembre 2002, Le Pradel, Ministère de l’Agriculture. 8 p.

Jarrige, F., A. M. Jouve, et C. Napoléone. (2003). "Et si le capitalisme patrimonial foncier changeait nos paysages quotidiens ?" Le courrier de l'environnement de l'INRA(49): 13 p.

Larcher, G. (1998) La gestion des espaces périurbains, Paris, Sénat. 71 p.

Orfeuil, J. P. (2001). Accroissement de la mobilité et étalement des villes. La ville aux champs. ADEF. Paris.

Peyrefitte, M. (1998). "La prise en compte des logiques d'acteurs dans l'évaluation d'une politique publique territoriale." Revue d'Économie Régionale et Urbaine(3): pp. 421-448

Slak, M. F. (2000). "Vers une modélisation du mitage, périurbanisation et paysage." Études foncières(85) : pp. 33-38

Weiss, S. (2003). "Les chartes forestières du territoire, vers un nouveau contrat social au sujet des espaces forestiers ?" Le courrier de l'environnement de l'INRA(48): pp. 61-70

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

José Serrano, « Quel équilibre entre urbanisation et préservation des espaces agricoles périurbains ? Le cas d’une agglomération moyenne »Développement durable et territoires [En ligne], Dossier 4 | 2005, mis en ligne le 17 novembre 2005, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/developpementdurable/1605 ; DOI : https://doi.org/10.4000/developpementdurable.1605

Haut de page

Auteur

José Serrano

José Serrano, ingénieur agronome et maître de conférences en aménagement urbanisme au département aménagement de l’École Polytechnique Universitaire de Tours. Ses centres d’intérêts portent sur les relations ville-campagne, la multifonctionnalité de l’agriculture et le développement local

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search