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Lectures

Philippe VIALLON et Marc TRESTINI (2019), Cultures numériques : cultures paradoxales ?

Paris, L’Harmattan
Bertrand Mocquet
Référence(s) :

Philippe VIALLON et Marc TRESTINI (2019), Cultures numériques : cultures paradoxales ? Paris, L’Harmattan

Texte intégral

1L’ouvrage est coécrit par deux chercheurs strasbourgeois, Philippe Viallon et Marc Trestini, alors respectivement professeur en sciences de l’information et de la communication et maître de conférences HDR en sciences de l’éducation. Leur association va au-delà de cet ouvrage puisqu’ils sont aujourd’hui tous les deux membres de la chaire UNESCO Pratiques journalistiques et médiatiques, de l’Université de Strasbourg.

2L’ouvrage propose en huit chapitres de faire un panorama, accessible à tous et à toutes, des questions de savoir, de désinformation, de circulation de l’information, etc., au regard de la généralisation de l’adoption des technologies numériques par chacun de nous, indispensable outil dont la valeur de l’usage nous apparaît pour ce que nous en faisons. Il propose aussi un regard sur les paradoxes que révèlent nos pratiques dans l’usage de la culture, la gratuité et la relation entre l’individu et la masse.

3Dans l’introduction de l’ouvrage, les auteurs rappellent que l’évolution des technologies numériques repose sur trois facteurs. Le premier est la dimension technique, le deuxième est économique et, enfin, le troisième est l’usage de ces technologies dans différents domaines de la vie économique, sociale et culturelle. Les deux auteurs prennent aussi le temps de nous expliquer ce qu’ils entendent par « cultures numériques » en excluant les « arts numériques, c’est-à-dire des activités et productions à finalité esthétique utilisant les nouvelles technologies » (p. 13) et en insistant sur une conception qui se rapproche de celle de Jean-Paul Lafrance (2016). Ils insistent sur l’importance du pluriel et « la variété des formes de culture sachant que la majorité des individus en possèdent plusieurs » (p. 13) et proposent quelques éléments pour la caractériser, comme prendre en compte la dimension mondiale de cette culture, accepter de participer personnellement à la création de cette culture , et reconnaître son mode de fonctionnement en réseau. Mais alors pourquoi sont-elles des cultures paradoxales, comme le rappellent les pluriels contenus dans le titre de cet ouvrage ? Il s’agit pour les auteurs d’un triple paradoxe : celui de la possibilité de faire avancer l’usager tant positivement que négativement, celui de la gratuité dans une économie mondiale juteuse et celui de la possibilité (extraordinaire ?) de passer de l’anonymat à la célébrité.

4Le premier chapitre, intitulé « Histoire du numérique », nous projette dans l’évolution des technologies numériques reposant sur l’automatisation des calculs, des réseaux de télécommunication et bien sûr les sciences de l’informatique. On y trouve aussi quelques grandes dates de l’évolution des technologies numériques portées par Internet, le développement des usages individuels portés par les PC (personal computer) et des usages en réseau. Dans cette lignée, les auteurs consacrent un paragraphe au numérique et aux institutions ainsi qu’à la façon dont les politiques publiques ont aussi évolué ou porté une part des motivations des évolutions, montrant ainsi que « [l]’humain [est] à la fois acteur et objet de la transformation numérique » (p. 39-40).

5Le deuxième chapitre concerne les « rapports humain-machine numérique », au sujet desquels les auteurs affirment que « [c]ette relation quasi permanente à la machine numérique modifie notre rapport au temps et à l’espace » (p. 45) et que cette étroite interdépendance s’appuie sur une série de nouveaux concepts, sujet de ce chapitre, comme l’interface humain-machine ou bien la naissance des interactivités, les interactions humain-machine au travers des interfaces et des ergonomies des solutions numériques. Ainsi médiation et médiatisation peuvent-elles ainsi se réaliser par les technologies numériques, pour lesquelles les auteurs trouvent une illustration dans les environnements numériques d’apprentissage. L’approche dispositionnelle selon Daniel Peraya (1999) est aussi proposée comme l’un des éléments constituants de la médiatisation, mêlant le besoin d’usage avec le souhait des concepteurs et provoquant des instrumentations de l’activité humaine (Rabardel, 1995). D’ailleurs, cette relation tendrait à ce que « l’activité humaine [dépende] du degré d’autonomie des dispositifs numériques » (p. 55). On retrouve ici les améliorations apportées par les technologies numériques dans les organisations soutenues par des systèmes d’information. Le concept d’identité numérique n’est bien sûr pas oublié, vu ici comme visible ou invisible dans les pratiques en réseau. Enfin, le chapitre se conclut sur la pertinence d’un outil pour son usager et la bien connue rencontre avec les utilisateurs satisfaits.

6« La technique numérique » est le sujet du troisième chapitre, dans lequel les auteurs abordent l’importance de « la nature des changements techniques apportés aux outils d’enregistrement et de traitement de l’information » (p. 67). Il s’agit ici de se familiariser avec le binaire, l’algèbre de Boole, mais aussi de maîtriser les concepts de dématérialisation et de convergence numérique. Il faut ainsi comprendre convergence des appareils, des supports, mais aussi des canaux de transmission, provoquée par les technologies numériques qui proposent des appareils multifonctionnels, multidimensionnels, par exemple nos téléphones intelligents, qui sont devenus après un long processus (Flichy, 2008) incorporés à nos routines quotidiennes. C’est bien cette convergence des données et des supports qui a aussi permis la mise à disposition pour chacun d’« une information foisonnante et dématérialisée » (p. 82), nécessitant la mise en place d’une veille informationnelle.

7Le quatrième chapitre traite de « l’économie du numérique », citée comme deuxième facteur de l’évolution des technologies numériques en introduction, « qui nécessiterait […] un ouvrage entier » (p. 93) tant l’étendue est vaste aujourd’hui, couvrant aussi bien le domaine de l’économie traditionnelle à l’ère du numérique que la financiarisation des échanges d’informations sur Internet. L’un des paragraphes montre comment l’économie est devenue une économie de services et de leurs usages que les auteurs illustrent au moyen de quelques secteurs : celui de l’e-commerce, du tourisme, des hightechs et des fournisseurs d’accès à Internet. La seconde partie de ce chapitre propose une analyse des modèles d’affaires associés au numérique : des biens communs à la diversité des modèles de gratuité (Farchy, Méadet et Sire, 2015), en passant par le modèle d’affaires basé sur la collecte des données, nouvel Eldorado de l’ère numérique largement exploité par les GAFAM.

8Le cinquième chapitre s’ouvre sur les « usages du numérique », troisième facteur d’évolution des technologies numériques. Il porte essentiellement sur l’influence de ces technologies dans la vie personnelle et la vie professionnelle et sur la façon dont elles sont transformées pour s’adapter au mieux au besoin des usagers. Les auteurs nous rappellent que « le déterminisme technologique est aujourd’hui fortement remis en cause par les avancées de la sociologie des techniques (Flichy, 2003) » (p. 137). Les métiers pris en exemple concernent ceux des bibliothèques, et notamment l’archivage et les banques de données, ainsi que ceux de la formation à distance, métiers pour lesquels le numérique interroge les pratiques de formation traditionnelles avec l’arrivée de nouveaux objets : MOOC, learning analytics, ouverture des ressources, big data… Le dernier paragraphe, « Usages et non usages », est particulièrement riche et complet en références en sciences humaines et sociales et apporte une vision synthétique très précise sur cette thématique.

9Le chapitre 6, intitulé « Les réseaux ou médias sociaux », s’ouvre sur le constat selon lequel la pratique de communication en réseau n’est pas arrivée par les technologies numériques, mais il reconnaît que cette technique crée de nouveaux réseaux de communication, les réseaux sociaux numériques (RSN) (Wolton, 2011) ou médias sociaux (Boyd-Ellison, 2007 ; Le Crosnier, 2014). Ce chapitre propose des pistes pour les chercheurs, par exemple sur les interactions possibles entre humain en action, en distinguant des objets différents comme « les outils de discussion » (p. 148), « les outils de publication » (p. 149), les réseaux sociaux numériques de contact ou de contenu. La partie médias sociaux ne doit pas être ignorée par la recherche, car elle met en valeur : l’annihilation des distances ; la perception et la gestion du temps provoquant à la fois le mélange des genres, « notamment celui des sphères privée et publique » (p. 155) et le manque de précaution derrière l’anonymat. Les auteurs recommandent d’ailleurs de l’observer dans toute sa complexité et parfois de manière critique, car « les avantages peuvent devenir des inconvénients » (p. 153), point qui est abordé de façon paradoxale concernant le lien social.

10« Le numérique et les images » est le titre du septième et avant-dernier chapitre de cet ouvrage. Il traite davantage de la technique liée aux images numériques fixes ou animées (définition, résolution, technique de numérisation, codage, compression, formats, colorimétries, etc.) que du sens de l’image à l’ère du numérique. Nous y retrouvons aussi les nouveaux dispositifs d’apprentissage numérique renforcés par des images numériques comme les serious-games et la réalité virtuelle.

11Le dernier chapitre, intitulé « Numérique et vie publique », met l’accent sur « les nouvelles formes que le numérique peut donner à notre vie politique et publique » (p. 193). De nouveau, il s’agit d’y voir plus clair tout en faisant la part des choses. Selon les auteurs, le numérique apporterait une meilleure participation au processus démocratique par : la pluralité de l’information ; la discussion autour des sujets ; la prise de décision que provoquent les réseaux sociaux numériques et les médias sociaux ; la possibilité de « contrôle de gestion » des démocraties mises en place a priori et/ou a posteriori. Ce chapitre se clôt par une dernière partie « Journalisme et numérique », dans lequel est abordée la façon dont le travail des journalistes est aujourd’hui remis en question par toutes les problématiques énoncées au cours de l’ouvrage.

12La conclusion de cet ouvrage passionnant, intitulée « Les réseaux au cœur du numérique et l’humain au cœur des réseaux » (p. 209), reconnaît le côté fascinant du numérique, en rappelant l’utopie des nouvelles technologies (Musso, 2003) tout en éveillant nos craintes. Les auteurs invitent d’ailleurs à construire une nouvelle utopie, car jamais nous n’avons eu autant d’occasions de participer, « surtout si l’école [nous] forme à devenir des citoyens numériques » (p. 217).

13Nous avons pris un réel plaisir professionnel à réaliser la recension de cet ouvrage, qui propose une véritable tour de force de réunir les principales problématiques du domaine de la recherche sur le numérique vu par les sciences de l’information et de la communication. Comme le rappelle un récent rapport sur la recherche en sciences de l’information et de la communication, « [e]n l’espace d’une quinzaine d’années, un déplacement général s’est opéré : de nouvel objet d’étude, le numérique est devenu le milieu de la plupart des nouveaux objets, à la fois écosystème et horizon de bien des questions de recherche » (Conférence permanente des directeurs·trices des unités de recherche en sciences de l’information et de la communication, 2018, p. 107). Ainsi, avoir les idées claires et faire la part des choses au sujet de ce nouvel objet d’étude est un enjeu pour les étudiants et chercheurs. Cet ouvrage s’adresse tout naturellement à ce large public, étudiant comme chercheur souhaitant s’investir dans des investigations numériques et participer à l’utopie de (faire) mieux comprendre les phénomènes associés.

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Bibliographie

boyd danah. m. et Nicole B. ELLISON (2007), « Social network sites: Definition, history, and scholarship », Journal of Computer‐Mediated Communication, 13(1), p. 210-230.

CPDirSIC (2018), Dynamiques des recherches en sciences de l’information et de la communication, Roubaix, Conférence permanente des directeurs/trices des unités de recherche en sciences de l’information et de la communication.

FARCHY Joëlle, Cécile MÉADEL et Guillaume SIRE (2015), La gratuité, à quel prix ?, Paris, Presses des Mines, coll. Les Cahiers de l’EMNS.

FLICHY Patrice (2003), L’innovation technique. Récents développements en sciences sociales, vers une nouvelle théorie de l’innovation, nouvelle édition, Paris, La Découverte.

FLICHY Patrice (2008), Understanding Technological Innovation: A Socio-Technical Approach, Cheltenham, Edward Elgar Publishing.

LAFRANCE Jean-Paul (2016), 100 notions sur la civilisation numérique, Paris, Éditions de l’immatériel.

LE CROSNIER Hervé (2014), « Internet et numérique », Hermès, La Revue, 3, p. 25-33.

MUSSO Pierre (2003), Critique des réseaux, Paris, Presses universitaires de France.

PERAYA Daniel (1999), « Médiation et médiatisation. Le campus virtuel », Hermès, 25(2), p. 153-167.

RABARDEL Pierre (1995), Les hommes et les technologies ; approche cognitive des instruments contemporains, Paris, Armand Colin.

WOLTON Dominique (2011), « Ces réseaux numériques dits sociaux », Lectures, Publications reçues, https://journals.openedition.org/lectures/1430?offset_7d92d=0, page consultée le 14 mars 2022.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Bertrand Mocquet, « Philippe VIALLON et Marc TRESTINI (2019), Cultures numériques : cultures paradoxales ? »Communication [En ligne], vol. 39/1 | 2022, mis en ligne le 06 juillet 2022, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/communication/15024 ; DOI : https://doi.org/10.4000/communication.15024

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Auteur

Bertrand Mocquet

Bertrand Mocquet est ingénieur Polytech en génie électrique, professeur certifié en technologie et docteur qualifié en sciences de l’information et communication (SIC). Ancien vice-président d’université, il est aujourd’hui expert numérique à l’Agence de mutualisation des universités et établissements (Amue) et chercheur au laboratoire MICA (Médiations, informations, communication, arts), Université Bordeaux-Montaigne. Courriel : bertrand.mocquet@amue.fr

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