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Le tourisme aux Suds : vers une double émergence ?

Anthony Goreau-Ponceaud
p. 291-314

Texte intégral

  • 1 Pour Dehoorne et al., il semble que malgré l’extension de l’espace touristique, symbolisée par l’ou (...)

1Les déplacements touristiques, toujours plus massifs, n’ont cessé de s’étendre à travers le monde. Réservées hier à quelques élites, ces mobilités internationales concernent aujourd’hui des populations restées historiquement à l’écart de la mondialisation touristique. En effet, les sociétés européennes et nord-américaines ont longtemps été les seules à pratiquer le tourisme ayant pour corollaire la compréhension de la mondialisation touristique à partir de ce cœur historique, considéré comme un centre, un ici absolu. Il est vrai que nous tenons désormais pour acquis que le tourisme est né en Europe occidentale au moment de la révolution industrielle dans la filiation du Grand Tour et de la villégiature. De ce fait, dans l’analyse du tourisme international, les pays récepteurs restent seulement envisagés comme des périphéries. Dans ce schéma de pensée, la mondialisation du tourisme se résume à l’émission de flux internationaux des centres européens et nord-américains vers des pays qui seraient dépendants d’eux, soit dans un rapport complémentaire, le tourisme étant alors envisagé, dans le prolongement du courant néolibéral, comme un effet de levier ; soit dans un rapport inégalitaire, exprimant dans la lignée des théories marxistes une domination, une asymétrie de pouvoir1. Ce rapport centre-périphérie, structurant de façon clivante l’étude de la mondialisation touristique, a abouti à un aveuglement. Dans ces conditions, il apparaissait difficile de concevoir que des sociétés non occidentales, les sociétés dites « des Suds », soient capables de développer par elles-mêmes des pratiques touristiques, hormis une frange minoritaire de privilégiés qui ne feraient qu’imiter les pratiques des touristes occidentaux.

D’où parle-t-on ?

  • 2 Selon Béatrice Collignon, « on peut parler de paradigme colonial car il s’agit bien d’une forme glo (...)
  • 3 Ce regard (qui est aussi un point de vue, un discours et qui véhicule un ensemble de valeurs et de (...)

2Le Sud ne constitue pas dans notre propos un référent géographique renvoyant à une quelconque forme « d’exotisme ou à une altérité confortablement confinée spatialement » (Hancock, 2007 : 1). Bien que représentant une catégorie contestable, les Suds, pour reprendre les propos de Bautès et Marie Dit Chirot (2012), sont envisagés comme une catégorie d’analyse encore féconde aujourd’hui pour penser un certain nombre d’asymétries et d’inégalités à l’échelle du monde, leur construction à l’échelle du temps long, mais aussi leur traduction à des échelles d’analyse plus fine. À travers cette réflexion, dont les contours se dessinent progressivement, il s’agit de sortir d’un rapport de pouvoir fondé sur la domination du monde « occidental » (Europe, Amérique du Nord, Australie et Nouvelle-Zélande) sur le reste du monde produisant régimes d’altérité et exotisme. Rappelons que les catégories « pays du tiers-monde », « tropicaux », « en voie de développement » et « du/des Suds » témoignent de cet enfermement dans un paradigme colonial2 qui relève d’un regard3 porté historiquement par les colons sur ses possessions. Plus que cela, ces catégories qui ont été construites et émises par des acteurs qui ne sont pas scientifiques, mais politiques et économiques plutôt qu’institutionnels (et situés dans d’anciennes métropoles coloniales), obligent le chercheur à faire des contorsions, à obscurcir son objet de recherche, et à mettre des guillemets, des pluriels et des « dit » (du Sud, en développement…).

  • 4 Dans ces sociétés émergentes, au-delà du poids considérable de la grande pauvreté et de la captatio (...)

3Élaborée et diffusée dans les années 1980 à partir des milieux financiers et institutionnels, la notion d’émergence semble à l’heure actuelle constituer le dernier stade en date de ce glissement paradigmatique pluridécennal – de « pays sous-développé » à « Tiers-Monde » puis à « Sud(s) » (Varrel, 2009). Cette notion appelle à son tour à identifier un ou plusieurs tournants décisifs. Le premier pourrait être l’engagement dans la voie de la libéralisation et l’ouverture de l’économie de ces pays, jusque-là largement repliée sur elle-même et protégée par l’État. Le second correspond à l’affirmation des classes moyennes urbaines4, la new middle class (ou NMC), qui induit des transformations économiques et spatiales (Fernandes, 2006) de grande ampleur faisant coexister l’extrême pauvreté et l’opulence définissant in fine les pays émergents, et au premier rang desquels figurent les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), comme des « pays-iceberg » (Landy et Varrel, 2015 : 6). Cette montée en puissance des classes moyennes est assurée, dans un mouvement de réciprocité, par l’urbanisation, la montée du salariat associée à la mise en place progressive d’une législation du travail et des congés dans un certain nombre de pays et l’amélioration des revenus. Comme le mentionnent Sacareau et al., cette émergence « permet à un nombre d’individus croissant de goûter à leur tour au temps libre, aux loisirs, aux voyages et séjours d’agrément, et de découvrir également d’autres manières de pratiquer les lieux et d’y exercer leur sociabilité » (2015 : 11). Il y aurait donc un lien entre émergence économique, émergence de pratiques récréatives et mutations sociales contemporaines de la société.

De quoi parle-t-on ?

  • 5 Nous empruntons cette définition à l’équipe MIT. Constituée en 1993 autour du projet fondateur d’ap (...)

4Ainsi, à l’instar de Peyvel (2009, 2016 et 2017) et Sacareau et al. (2015), il est pertinent de s’interroger sur l’existence d’autres types de filiations mobilitaires dans d’autres parties du monde, témoignant d’un processus de mondialisation touristique à plusieurs voix. Si la conquête touristique du Monde s’achève progressivement – contribuant à faire coïncider la Terre et le Monde (Knafou, 2011) – chaque année des catégories nouvelles de populations des pays dits « émergents » accèdent aux loisirs et au tourisme. Il faut dire que ces pratiques remettent en cause un des privilèges majeurs des élites : la maîtrise de l’espace, qui est longtemps passée par l’accès exclusif à un certain nombre de lieux – dont les lieux touristiques. Le tourisme aurait ainsi des vertus émancipatrices. Dans cette perspective, le tourisme, qui sera entendu ici comme « un système d’acteurs, de lieux et de pratiques visant à la recréation de l’individu par l’habiter dans des lieux du hors quotidien » (équipe MIT, 2011)5, ne peut plus être considéré comme une pratique exclusivement occidentale. D’ailleurs la désignation de ces pratiques – par la négative – comme non occidentales est problématique. Comme le mentionne Emmanuelle Peyvel, « ce discours situé, produit depuis une Europe se concevant centre de la mondialisation touristique […] comporte des angles morts, des oublis empreints de mépris » (Peyvel, 2017 : 292). Nous pouvons également ajouter que le tourisme peut être considéré comme une conséquence de l’émergence tout autant qu’une mesure de celle-ci (Taunay et Violier, 2012). Dans ces sociétés, le tourisme deviendrait progressivement un élément constitutif des « conditions géographiques de l’individu contemporain » (Ceriani et al., 2008) : les individus seraient de plus en plus mobiles et cette mobilité géographique permet, même partiellement, de caractériser l’habiter temporaire de ces sociétés dites « émergentes ». Il faut dire que nous assistons à ce que Mathis Stock (2007) nomme le recreational turn (ou tournant sociétal récréatif), c’est-à-dire à une généralisation et une diversification des pratiques, des lieux et des temps de recréation dans les sociétés contemporaines. Ce recreationnal turn, associé au cultural turn, doit nous interpeller et nous sommer de prendre en considération le changement des formes de relations entre toutes les parties du monde, elles-mêmes éventuellement à redéfinir.

5Cependant, la contribution des sociétés émergentes à la mondialisation touristique demeure mal connue, tant dans leurs flux que dans leurs pratiques et dans les lieux qu’elles fréquentent et qu’elles façonnent. De quelles hybridations relèvent aujourd’hui les pratiques, lieux et imaginaires en contexte mondialisé ? En quoi la mondialisation touristique nous renseigne-t-elle sur la création, la répartition, la circulation et l’utilisation des richesses ? De quelles manières, dans ces sociétés émergentes, le tourisme participe-t-il à la construction d’un nouveau regard sur les lieux et leurs qualités ? Les questionnements portant sur cette double émergence sont vastes. Notre parti-pris sera d’apporter un éclairage sur « l’élargissement des frontières d’une pratique » (Sacareau et al., 2015).

I - Les pratiques du dedans : le tourisme domestique ou intérieur, un angle mort des études touristiques ?

6Pensant, à l’instar de Georges Cazes en 1989, que les pays en développement ne pouvaient abriter un tourisme intérieur, ou que ces mobilités étaient très faibles (Cazes, 1989), la grande majorité des chercheurs occidentaux n’a longtemps pas pris en compte le tourisme international dans les pays du Sud. Comme a pu l’écrire Peyvel, « cette minoration est en fait double : non seulement peu d’études portent sur cette activité, souvent considérée comme économiquement secondaire et scientifiquement futile mais, en outre, l’écrasante majorité d’entre elles s’intéresse aux touristes étrangers, partant du principe discutable qu’ils sont plus rentables » (2010). Si avant les années 1970, le tourisme pouvait apparaître comme une question hors de propos dans les pays qualifiés de pauvres et appréhendés uniquement à partir de variables économiques et financières, force est de constater l’existence en leur sein de pratiques touristiques qui peuvent concerner des populations aux revenus très modestes, ce qui nous force à interroger le lien trop systématiquement fait entre richesse et tourisme. Il faut dire, comme le mentionne Emmanuelle Peyvel, qu’« admettre que l’ancien indigène puisse être touriste dans son propre pays relève d’un dépassement de la pensée coloniale, car cela revient à reconnaître qu’il est sujet et acteur de ses mobilités, et non pas seulement objet de curiosités exotiques. Si le tourisme relève d’un accès privilégié au monde, force est de constater que les anciennes métropoles n’en détiennent pas le seul monopole » (2017 : 302). Ce sont les travaux de chercheurs américains qui les premiers vont ouvrir la voie à l’institutionnalisation de cette thématique de recherche. Plus spécifiquement, l’appel se fait au début des années 1980 par Dennison Nash (« Tourism as an anthropological subject », Current Anthropology, 1981, vol. 22, no 5, p. 461-481) et Nelson Graburn (« Anthropology of tourism », Annals of Tourism Research, vol. 10, no 1, 1983, p. 9-33). Le tout premier papier à dimension monographique porte sans surprise sur la Chine (Wang Tie-Sheng et Ge Li-Cheng « Domestic Tourism development in China : a regression analysis », Journal of Travel Research, vol. 24, no 2, 1985, p. 13-16) et le premier article universitaire à la fois spécifique et généraliste est celui de Jafar Jafari (« On domestic tourism », Journal of Travel Research, vol. 25, no 3, 1987, p. 36-38). Les monographies de terrain révèlent des tactiques multiples déployées par des touristes de classes sociales variées. Ces dernières ne doivent pas être disqualifiées au motif que le tourisme des pauvres serait un pauvre tourisme (Pattieu, 2009). En France, seuls quelques pionniers comme Mohamed Berriane sur le tourisme national marocain (Berriane, 1992) ou les travaux de Nathalie Raymond sur l’Amérique latine (Raymond, 1999, 2002), et de Christine Cabasset sur l’Indonésie (Cabasset, 2000) se sont élevés pour souligner que ces flux étaient plus importants que le tourisme international dans ces pays. En effet, que ce soit en Inde, Chine, Vietnam ou encore en Indonésie, ces pays abritent des millions de touristes intérieurs dont le nombre est largement supérieur à celui des touristes internationaux dans chacun de ces pays rendant caduque cette relative incapacité, du côté des recherches en langue française, à voir l’émergence de pratiques touristiques de la part essentiellement des classes moyennes urbaines. Pour Cabasset et al. (2010), « ces quatre pays constituent en effet un panel non exhaustif, mais signifiant, des tendances à l’œuvre : le tourisme intérieur y occupe une place importante dans des contextes politiques, économiques, démographiques et culturels variés » et y est souvent plus important numériquement, mieux réparti spatialement et plus stable dans le temps, car moins sensible aux crises mondiales qu’elles soient financières ou sanitaires (songeons à l’épisode du SRAS). Le tourisme domestique serait, d’une certaine façon, vecteur de résilience rendant ainsi discutable le lien de cause à effet entre tourisme international et réduction de la pauvreté.

7L’accès au tourisme de ces sociétés dites « émergentes » ou « en développement » constitue un indicateur de la « troisième révolution touristique » (équipe MIT, 2011), celle du tourisme de masse mondialisé. Le tourisme serait ainsi devenu en quelques décennies une « signature de la mondialité » (Lussault, 2017 : 115). Au sein de cette troisième révolution touristique, la circulation des pratiques et des modèles de lieux touristiques s’accompagne de leur réinterprétation et de leur hybridation avec les pratiques autochtones, selon les contextes locaux et les référents culturels propres à chaque société donnant lieu pour certains auteurs à un modèle d’interprétation : celui de la « transition touristique » (Cabasset et al., 2010 ; Clergeau, 2016). Ces déplacements au sein de leurs frontières nationales, bien que difficilement quantifiables, apparaissent ainsi en pleine expansion. Les mobilités déployées dans le cadre du tourisme et des loisirs à l’échelle des territoires nationaux (tourisme « domestique » ou tourisme interne) comme à l’échelle régionale (avec la structuration de nouveaux bassins touristiques à l’instar de l’Amérique du Sud et de l’Asie-Pacifique) constituent une réalité que l’on ne peut plus ignorer, surtout s’agissant de pays très peuplés comme la Chine, l’Inde ou encore le Brésil. Or ces déplacements touristiques internes sont largement ignorés des statistiques officielles qui ne dénombrent de façon systématique que les franchissements de frontières. C’est pourquoi plusieurs auteurs préfèrent employer l’expression « tourisme domestique » (Raymond, 1999 ; Cabasset, 2000 ; Peyvel 2016), plutôt que « tourisme national ». D’abord pour plus de clarté par rapport aux définitions de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), qui considère le tourisme national comme la somme du tourisme émetteur et du tourisme interne (soit les résidents d’un pays qui visitent leur pays ainsi que les flux de résidents de ce pays qui en visitent un autre), et le tourisme intérieur est la somme du tourisme interne et du tourisme récepteur. Puis parce que cette expression peut témoigner d’un processus d’appropriation de nouvelles compétences afin de construire, pour les sociétés en question, leurs propres mobilités récréatives. D’une certaine façon il s’agit d’une manière de domestiquer de nouvelles pratiques permettant la construction d’un projet touristique (Cabasset et al., 2010). Domestication mais également distanciation par rapport à des pratiques et des modèles touristiques qui viennent d’Europe. Selon Emmanuelle Peyvel, la colonisation constitue un moment important de l’histoire touristique de ces pays, « non seulement parce que, pour la première fois, le tourisme, entendu sous sa forme moderne, y a fait son apparition, mais aussi parce que, plus globalement, ces pays (le Vietnam) ont été arrimés au système monde touristique, dont ils ne se sont plus, dès lors, détachés » (Peyvel, 2010). En effet, les pays d’Asie, d’Afrique (Zytnicki, 2016) et d’Amérique colonisés par les Européens ont connu dès le xixe siècle une première confrontation avec le tourisme, à travers les pratiques de villégiature que ces derniers ont déployées au sein de leurs empires respectifs. Que l’on songe aux stations de montagne indienne, ou hill station, (à l’instar d’Ooty ou de Kodaikanal situées au sud de l’Inde dans la chaîne des Ghâts occidentaux), vietnamienne (telles que Dalat ou Tam Dao), ou encore aux stations balnéaires (Nha Trang au Vietnam, celles de la côte du Konkan et de Goa en Inde à l’instar de Ratnagiri) : elles ont ainsi assuré une certaine continuité dans la fréquentation des stations coloniales après le départ des anciennes tutelles (Peyvel, 2009 ; Sacareau, 2013). L’habitude de faire du tourisme s’est ensuite poursuivie chez les élites des pays devenus indépendants (Sacareau, 2006 ; Peyvel, 2009). Durant la colonisation, logique ségrégative oblige, seule une fraction infime de la population indigène y avait accès.

  • 6 On pourrait également évoquer le processus de métropolisation et l’éventuelle capture du « droit à (...)
  • 7 En Inde, le « secteur inorganisé » (unorganised, unregistered) est très hétérogène et concerne tout (...)
  • 8 Ce processus de structuration du temps libre par rapport au temps de travail se diffuse bien entend (...)

8L’accès progressif au tourisme de ces populations est également à lire comme le reflet de l’ensemble des transformations sociales, spatiales et mentales que connaissent ces pays, notamment l’urbanisation6, l’éducation, l’individualisation et l’individuation. Ces quatre processus, en lien avec l’augmentation des revenus et le développement économique, permettent l’affirmation de choix nouveaux et donc la progression du nombre de touristes domestiques. En s’extirpant de l’inertie domiciliaire d’antan rattachée à la figure du territoire (en tant que périmètre pour l’action publique), ces pratiques mobilitaires seraient également source d’émancipation. Dans l’Asie socialiste, notamment en Chine et au Vietnam, une autre variable a freiné un temps la diffusion du tourisme : le strict contrôle des migrations imposées par l’État, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Les anciennes classes moyennes (par rapport à la NMC) en Inde étaient également freinées dans leur consommation et leur désir d’émancipation par le socialisme de Nehru ou les idéaux d’austérité de Gandhi (Fernandes, 2006 ; Ponceaud-Goreau, 2017). Comme le note si justement Emmanuelle Peyvel à propos de la société vietnamienne, prendre du « bon temps » est en effet plutôt chose nouvelle où, socialisme oblige, la place accordée à l’individu et à la satisfaction de ses désirs a longtemps été dénigrée (Peyvel, 2009). Le constat est similaire dans la Chine marquée par le confucianisme. Une telle temporalité s’explique non seulement par les jours fériés octroyés par les gouvernements de ces divers pays, mais aussi par la généralisation des congés payés liée à la montée en puissance d’un salariat dans les secteurs de l’industrie et des services. En Chine, par exemple, le gouvernement encourage le développement du tourisme intérieur depuis 1989. Comme le précise Benjamin Taunay (2010), le véritable tournant se situe en 1999, avec l’attribution de congés payés (ou « semaines d’or ») pour tous les salariés, mesure qui fait suite à la réduction du temps de travail hebdomadaire de 44 à 40 heures (1995). Elles ont été refondues en 2007 : de trois, leur nombre est passé à deux avec une redistribution des jours de la dernière semaine sur des fêtes traditionnelles. En Inde, c’est finalement moins le niveau de revenus que l’accès aux congés qu’autorise le travail salarié7 qui compte, spécialement dans la fonction publique et dans les grandes entreprises du secteur privé8. Il y a donc là une différence fondamentale avec le travail journalier existant dans les campagnes, où le calendrier de travail est aléatoire, rendant difficile le fait d’envisager un projet de recréation (Cabasset et al., 2010). En Inde, le secteur agricole est caractérisé par un excédent de main-d’œuvre, et la productivité marginale du travail y est nulle ou inférieure au seuil de subsistance – les personnes en surplus survivent grâce aux solidarités. Selon le recensement de 2011, les quatre cinquièmes des exploitations ne seraient pas viables sans revenu supplémentaire et, à l’inverse, 9 % des exploitants détiennent toujours 57 % de la surface agricole.

9Dans ces pays émergents, ouvertures économiques forcées et réformes de l’État rendent plus légitimes et banales les idées de loisirs et de plaisir à une classe moyenne hétéroclite qui aspire à produire ses propres valeurs récréatives et ses propres couples lieux-pratiques. Dans tous ces pays, le tourisme concerne aujourd’hui une diversité croissante de lieux : les bords de mer, les franges montagneuses, certaines campagnes et les principales villes du pays, où il s’imbrique de plus en plus avec des logiques de patrimonialisation.

  • 9 La ECR est un important couloir de métropolisation. Le long de cet axe se bâtit un espace de loisir (...)

10Les pratiques de loisirs et ludiques accompagnent également le processus de métropolisation. Citons par exemple la création de parcs à thème comme en Chine ou en Inde où les savoir-faire traditionnels constituent autant d’animations, tandis que certaines habitations accueillent des restaurants et d’autres des boutiques de souvenirs. Le cas de Dakshinachitra (ou « image du Sud » dans une traduction littérale), situé à 25 km au sud de Chennai (ancienne Madras) sur la East Coast Road9, est à ce titre édifiant. Sur une surface de 4 hectares, rassemblant dix-huit maisons, le parc a vocation à montrer les traditions (édifiées en patrimoine), l’artisanat et le folklore des quatre États du Sud de l’Inde. D’une certaine manière, ce parc à thème informe la société indienne sur les transformations à l’œuvre dans la société : aller au sein de ce parc revient à prendre la mesure des changements en cours et à s’intégrer à la société moderne en portant sur la société ancienne encore majoritairement rurale (à plus de 68 % lors du recensement de 2011) un regard distancié. Il en est de même des corps de ferme récemment transformés en gîtes ruraux en périphérie de Chennai ou dans la chaîne des Ghâts occidentaux (dans les Nilgiris plus précisément). C’est donc une géographie des espaces relationnels que se dessine, prenant soin d’analyser de quelles manières ces pratiques récréatives participent à la fabrique de la ville et à un surplus d’urbanité, qualité qui a longtemps été refusée aux villes indiennes (Lévy, 2011 ; Louiset, 2011).

11Certaines localités, dans ce monde émergent, passent progressivement d’une fonction de production principalement rizicole à un village touristique, marqué par le développement de services – des hôtels, des restaurants, des commerces – induits par le séjour. Tout cela souligne le renversement des rapports entre la ville et la campagne qui caractérise le processus d’émergence. La campagne n’est plus seulement le siège de la production agricole et la base économique de la société ; elle acquiert aux yeux des citadins des valeurs récréatives nouvelles à travers des pratiques sociales dont le sens a profondément changé. C’est pour partie ce que montre Aristide Yemmafouo à propos de l’intensification des mobilités hebdomadaires de citadins vers les campagnes au Cameroun : l’expérience du lieu motive le déplacement et en retour ce déplacement charge les espaces ruraux de fonctions patrimoniales, récréatives, résidentielles (Yemmafouo, 2016). Il y a là de nouvelles interdépendances à prendre en compte. Il faut dire que les évolutions contemporaines de la mondialisation brouillent progressivement les frontières entre les différentes formes de mobilité, en les insérant progressivement dans un système global de mobilités. Une telle dynamique pose la question centrale de la pertinence d’isoler une pratique de mobilité (le tourisme) pourtant en interaction systémique avec d’autres.

12Le tourisme intérieur est souvent ainsi le reflet de disparités qui secouent ces pays. La majorité des touristes domestiques est constituée de citadins : le développement dans les années 2000 (en lien avec les politiques de dérégulation) des compagnies aériennes (notamment asiatiques) low cost illustre l’ampleur des mobilités touristiques internes et engendre un effet cumulatif d’urbanisation-métropolisation. En Chine, en Russie et au Vietnam, le tourisme domestique interroge les recompositions caractéristiques du post-socialisme où l’ouverture économique se traduit à la fois par l’introduction de modèles a priori exogènes, comme le tourisme de croisière en Chine par exemple, activité d’ailleurs dominée par les sociétés nord-américaines, et la réinterprétation de lieux et de pratiques (Mondou et Taunay, 2011).

Photos 1 et 2 - Touristes indiens aux Andaman

L’archipel des Andaman-et-Nicobar est situé à plus de 1 200 km à l’est des côtes indiennes dans le golfe du Bengale, mais bien plus proche de la Birmanie et de la Thaïlande. Composé de 556 îles – dont 517 sont désertes – déployées sur plus de 700 km, l’archipel n’est accessible qu’en avion ou bateau depuis Chennai et Kolkata. Les touristes indiens, majoritairement originaires des États du Tamil Nadu et du Bengale-Occidental, viennent y découvrir les récifs coralliens et les pratiques de la plage. Ici, cette découverte s’effectue à Rangat Bay Jetty durant une demi-journée, alternant entre baignades et balades en bateau à fond de verre. Cette excursion fait partie d’un « package » de trois jours réservé à l’avance et proposé par l’office de tourisme gouvernemental des îles Andaman-et-Nicobar.

Clichés : Anthony Goreau-Ponceaud, février 2007

  • 10 Comme l’indique Jennifer Bidet : « Contre une vision diffusionniste qui verrait la norme du bronzag (...)

13À ce titre l’espace de la plage est instructif. Que cela soit en Chine, en Inde ou encore au Vietnam, la côte est aujourd’hui redécouverte par une fraction de touristes intérieurs et la culture de la plage y est encore balbutiante à l’inverse, des pratiques récréatives apparues sur les littoraux européens et nord-américains au moins depuis le xixe siècle. En ce sens, les pratiques récréatives sur le littoral, pour ces populations, ne vont pas de soi. Dans le même ordre d’idée, le corps n’est que peu dévoilé sur la plage : la préoccupation du bronzage10 est une considération en partie étrangère à l’espace de la société chinoise, indienne et vietnamienne.

Photo 3 - Une culture balbutiante de la plage, Mahabaliburam, Tamil Nadu, Inde

Photo 3 - Une culture balbutiante de la plage, Mahabaliburam, Tamil Nadu, Inde

Cliché : A. Goreau-Ponceaud, janvier 2018

14Inventée hors de ces sociétés, à Hawaii (Coëffé, 2005), puis diffusée en France via les États-Unis (Équipe MIT, 2005), la pratique du bronzage ne s’est que très partiellement diffusée au sein de celles-ci. Il en résulte ainsi une organisation spatiale singulière de la plage, où le sable devient répulsif, les touristes intérieurs s’abritant sous de grands auvents lorsqu’ils ne se baignent pas et portent des combinaisons ou des vêtements lorsqu’ils se rendent à l’eau. Néanmoins, la mondialisation expliquant également l’arrivée toujours croissante de touristes étrangers au sein de ces sociétés, des interactions spatiales y ont lieu, propices à l’échange de regards et de pratiques. Plusieurs auteurs (Peyvel, 2009 ; Taunay et Violier, 2015) ont essayé de construire une typologie pour tenter de rendre compte des configurations sociales créées par le tourisme, définies comme les coprésences temporaires des différentes sociétés dans des lieux touristiques. Emmanuelle Peyvel, à partir de l’exemple vietnamien, distingue ainsi cinq grands types : l’ignorance, l’évitement, la juxtaposition, le chevauchement et l’intégration (Peyvel, 2009). L’ignorance s’applique aux lieux, le plus souvent ruraux, seulement fréquentés par les Vietnamiens mais inconnus des touristes internationaux ; l’évitement concerne des espaces connus par les touristes étrangers mais qu’ils évitent soigneusement, car ils ne correspondent pas à leur habiter. Ces deux types correspondent peu ou prou aux « lieux régionaux » de la typologie élaborée par Benjamin Taunay et Philippe Violier, fréquentés uniquement par les touristes domestiques. Toutefois, le conflit entre touristes n’est pas une fatalité. Ils peuvent cohabiter sous la forme de la juxtaposition spatiale (où, sur un même espace, se construisent deux territoires distincts) et du chevauchement (où les territoires s’imbriquent sans être tout à fait les mêmes) renvoyant aux « lieux du monde » (où les différentes sociétés se côtoient sans partager les mêmes usages) de la typologie de Taunay et Violier. La forme d’interaction la plus aboutie est l’intégration, où les pratiques et territoires sont les mêmes, comme le montrent les sites classés Unesco. Pour Taunay et Violier, il s’agit des lieux touristiques du monde, renvoyant d’une certaine façon à la description faite par Michel Lussault des « hyper-lieux » (2017). Ces deux auteurs mobilisent une quatrième catégorie non identifiée par Peyvel : les lieux de niveau mondial pour les Occidentaux. Ces derniers sont pratiqués par les Occidentaux mais pas par la société locale qui les habite uniquement de façon sédentaire, sans changer de place.

15Loin de fixer chaque touriste dans sa « culture », ces types ont plutôt été conçus comme des outils permettant de saisir le dynamisme des lieux touristiques, ainsi que l’acquisition et la circulation de compétences mobilitaires à des fins récréatives au sein d’une population.

16Il reste malaisé de distinguer les touristes domestiques des émigrés qui reviennent en vacances dans leur pays d’origine (Bidet, 2017). Benjamin Taunay notait qu’en Chine, 56,7 % (22,4 millions) des 46,8 millions de touristes internationaux enregistrés en 2005 sont ressortissants de Hong Kong et de Macao (Taunay, 2009). Au Vietnam, les Vietnamiens de l’étranger sont encouragés à recouvrer leur nationalité d’origine en plus de celle de leur pays d’accueil, afin de faciliter leurs déplacements et leurs séjours, ce qui entraîne une confusion notable dans l’étude du tourisme domestique (Peyvel, 2009). Il en est de même pour le cas de l’Inde.

17Enfin, le tourisme intérieur, même lorsqu’il se fait « dark » (soit le tourisme sombre ou noir selon la traduction qui en est faite dans la littérature francophone) peut servir au récit et à la construction nationale, dans des pays où l’économique et le politique sont intimement liés pour l’écriture – ou la réécriture – d’un grand récit national porteur d’espoir (Folio, 2015). En effet, la valorisation et la scénarisation de sites relatifs à la mort, à la souffrance et au macabre, peuvent être liées à des enjeux identitaires et politiques. Il en est ainsi par exemple de la prise de possession, depuis mai 2009 – date de la fin du conflit armé à Sri Lanka – de tous les anciens lieux (bunker, installations militaires, zones de retranchement, QG de leader des séparatistes, anciens camps de prisonniers) détenus par les LTTE (Tigres de libération de l’Eelam Tamoul) dans la partie nord de l’île. Les visites, extrêmement bien scénarisées, s’adressant à la fois à des publics de scolaires et des touristes nationaux, visent à inscrire ces lieux dans une narration ou un grand récit, source à la fois d’intérêts socio-économiques – le développement économique par le tourisme – et d’enjeux identitaires et politiques – l’affirmation de la fierté et de l’estime par rapport à un passé assumé. À Sri Lanka, ces pratiques s’accompagnent par la création de lieux de mémoire (musée de la guerre et autres mémoriaux particulièrement entre les villes de Mullaitivu et Kilinochchi). Dans la même veine, on peut évoquer le cas du « tourisme rouge » qui fait référence à la visite des lieux primordiaux et typiques de la Révolution de Mao Zedong et des batailles conduites par le Parti communiste chinois (PCC) avant son accession au pouvoir le 1er octobre 1949. La promotion de ces sites a pour ambition de renforcer la légitimité du PCC, de galvaniser l’orgueil national des foules et de redorer le blason du PCC qui semble perdre de son prestige auprès du peuple chinois surtout auprès des jeunes classes moyennes urbaines éduquées.

II - Entre dedans et dehors, le tourisme des racines, généalogique et de diaspora. Des pratiques émergentes assurant l’émergence ?

18« En 1990, le géographe australien Richard T. Jackson lançait un appel dans le Journal of Tourism Studies en faveur de la prise en compte d’un type particulier de déplacement touristique international désigné par les catégories de l’OMT comme “Visiting Friend and Relatives Tourism” » (Bidet, 2015 : 43), afin de prendre en considération l’importance des flux guidés par les relations affinitaires entretenues par-delà des frontières. Ces travaux qui portaient davantage sur le tourisme que sur le phénomène diasporique ont tenté de jeter des ponts entre les deux faits sociaux et ont permis de discuter la catégorie institutionnelle de « tourisme VFR » pour la remplacer. Mais c’est en 2004 que l’ouvrage de Tim Coles et David Timothy, Tourism, Diasporas and Space a définitivement entériné cette relation et pointé les premières convergences. Les deux auteurs établissent quatre types de liens entre le tourisme et la diaspora : 1/ le voyage vers la terre d’origine des diasporas, le tourisme identitaire, généalogique, ou plus banalement culturel ; 2/ la visite symétrique des membres du pays d’origine aux lieux de vie de la diaspora ; 3/ la visite des espaces de transit, devenus des mémoriaux des différentes diasporas (Ellis Island, l’île de Gorée, l’Apravasi Ghât à Port-Louis) ; 4/ enfin les espaces de vacances spécifiquement destinés à des diasporas (Catskill Mountain pour les juifs américains de la côte Est par exemple).

19Dans l’univers foisonnant des études consacrées aux mobilités contemporaines, l’émergence du tourisme de diaspora, ou « tourisme ethnique » ou encore « tourisme des racines » ont enrichi depuis quelques années la nomenclature des pratiques circulatoires. Cependant, même si nous ne faisons pas nôtre cette catégorie de voyage des racines – car justement le paradigme circulatoire nous invite à abandonner une lecture linéaire et téléologique des migrations – il est néanmoins important de rappeler que les travaux consacrés aux diasporas et aux migrations (Gmelsh, 1980 ; Basu, 1996 ; Bidet, 2015) envisagent ces voyages comme participant d’une logique de « retour » révélatrice de recompositions politiques, économiques, sociales et culturelles plus larges. Un des enjeux de ces travaux a été de se demander dans quelle mesure ces déplacements correspondaient à des pratiques touristiques puisqu’elles semblaient d’abord motivées par des obligations familiales. Par ailleurs, au vu des découpages traditionnels entre tourisme international et tourisme domestique, le statut du tourisme dans le pays d’origine de personnes issues de l’émigration est incertain, à tel point, par exemple, qu’en Algérie, en l’absence de touristes internationaux, touristes « immigrés » et touristes « algériens » se retrouvent face à face (Bidet, 2015). En effet, contrairement à ses voisins du Maghreb, l’Algérie a vite abandonné sa stratégie de développement du tourisme international au profit du tourisme domestique à destination donc des Algériens « non résidents » dont les pratiques varient selon les positions sociales qu’ils occupent au sein de la société (Bidet, 2015).

20Ainsi, « ces mobilités sont particulièrement intéressantes, car elles transcendent les catégories habituellement utilisées pour saisir les flux touristiques, opposant l’international au domestique : entre dedans et dehors, elles interrogent nécessairement pays d’accueil comme pays de départ dans le projet de construction transnationale qu’ils peuvent mener » (Peyvel, 2017 : 306).

21Les obligations sociales (maintien des liens familiaux, de parenté, obligation de rendre et recevoir l’hospitalité), mais aussi aller pour voir, s’imprégner, confronter son imaginaire à la réalité, retrouver les traces de la vie d’avant racontée par un parent génèrent d’importants flux touristiques liés à un besoin d’expérimenter la proximité corporelle. Ce besoin de coprésence dé-exotise – voire décolonise – par ailleurs la vision commune du tourisme qui a longtemps reposé sur des représentations binaires (proche/lointain, endotique/exotique, ordinaire/extraordinaire…). Ces obligations donnent lieu à des pratiques touristiques diverses qui font parfois l’objet de processus d’institutionnalisation par les États d’où sont originaires ces ressortissants non résidents. Tel est le cas notamment de la diaspora indienne et de ses relations avec l’État indien. L’extension de la notion de diaspora aux personnes d’origine indienne est un phénomène récent. Avant les années 1980, on ne parlait que d’une communauté éclatée qui n’avait guère droit à une reconnaissance. L’évolution de cette volonté politique, de l’indifférence voire du mépris des années Nehru à « l’invention de la diaspora » par le parti nationaliste Bharatya Janata Party (ou BJP) traduit le fait que la « diaspora » est devenue progressivement une catégorie particulièrement utile à l’État indien pour renforcer sa politique nationale et mettre en place des politiques économiques en direction des « Indiens » de l’extérieur (Goreau, 2015). D’une certaine manière, on peut dire que ce parti est allé chercher dans les communautés émigrées aux États-Unis un modèle de réussite qui faisait défaut au pays. Plus précisément, le réengagement de l’Inde à l’égard de sa diaspora ne se manifesta véritablement qu’après 1991, lorsque l’économie indienne fut confrontée à une grave crise de la balance des paiements.

22La diaspora indienne est officiellement constituée de deux groupes qui correspondent de façon schématique à des cadres migratoires distincts, et se résument à deux sigles plaçant jusqu’à aujourd’hui la relation Inde-diaspora sous le signe de l’économie : les Non Residents Indians (NRI) et les People of Indian Origin (PIO). La catégorie fiscale des NRI recouvre des citoyens indiens possédant un passeport indien et résidant à l’étranger pendant une période indéterminée, ce qui correspond en pratique à la plupart des émigrants récents partis au Moyen-Orient, en Amérique du Nord, en Europe ou en Australie. La catégorie PIO, quant à elle, désigne les ressortissants étrangers ayant déjà possédé un passeport indien ou dont les ascendants (jusqu’à la quatrième génération) sont nés ou ont résidé de manière permanente sur le territoire de l’Inde indépendante (hors Pakistan et Bangladesh), mais qui ont renoncé à leur nationalité en adoptant celle de leur pays d’installation. Pour le dire autrement, la plupart des PIO correspondent aux émigrés de la période coloniale et constituent la majorité de la « diaspora » indienne. En 2006, après un amendement de la Constitution, le principe d’une citoyenneté d’outre-mer est reconnu et s’accompagne de la création d’une nouvelle « carte OCI » (Overseas Citizenship of India), moins chère que la précédente et apportant de nouveaux bénéfices aux PIO (visa à vie, exemption des inscriptions auprès des autorités à chaque venue en Inde). Les NRI ont aussi la possibilité d’acquérir cette carte OCI.

23NRI et PIO forment une multiplicité de situations tant du point de vue du pays émetteur que des pays récepteurs. Cependant l’utilisation de la catégorie diaspora par le BJP a permis d’une certaine manière de réunifier les communautés émigrées. En effet, en 2000, le gouvernement d’Atal Bihari Vajpayee crée la Haute Commission de la Diaspora indienne qui doit évaluer la situation des PIO et des NRI, leurs ambitions et le rôle qu’ils pourraient jouer dans le développement de l’Inde afin de définir la nouvelle politique de l’Inde à leur égard. Ainsi, l’identification d’une diaspora indienne a commencé par un exercice de dénombrement assurant une illusion de la communauté et de la continuité. C’est également sous l’impulsion du gouvernement BJP de l’époque, et sur une préconisation de cette Haute Commission de la Diaspora indienne, que sont instaurées les journées annuelles dédiées aux Indiens de l’étranger (Pravasi Bharatya Divas), dont les premières ont lieu en 2003 à Delhi. Cette reconnaissance progressive de la diaspora va de pair avec la mise en place – par l’État central et les États fédérés – d’initiatives pour capter les flux de ces Indiens d’outre-mer. Cela a commencé avec la campagne « Incredible India » et s’est poursuivi, par exemple, dans le cas de l’État de l’Uttar Pradesh, par la mise en place du programme « Discover your roots scheme » dont le but est d’aider les personnes d’ascendance indienne à retrouver leur lieu de naissance. Cet État, le plus peuplé de l’Inde, a connu au cours des xixe et xxe siècles une émigration massive de travailleurs engagés vers les colonies britanniques. Cette initiative a donc été développée dans l’hypothèse qu’elle pourrait intensifier les flux touristiques et renouveler une offre déjà diversifiée (cet État concentrait en 2016, selon les chiffres du ministère du Tourisme, 11 % des flux de touristes étrangers et 22,2 % des flux de touristes nationaux). Des initiatives similaires existent dans des pays à forte émigration indienne, à l’instar de l’île Maurice (où la population originaire du sous-continent représente 70 % de la population totale) qui a également mis en place le programme « Tracing roots ». Dans le même ordre d’idée, depuis 2004, le gouvernement indien veut susciter le retour des PIO par la mise en place d’un projet, « Know India », ouvert aux individus âgés entre dix-huit et trente ans qui permet entre autres de voyager en Inde pendant trois semaines (la prise en charge des frais est assurée par le ministère des Affaires étrangères).

24Si ce temps du retour permet aux individus une re-spatialisation du récit de soi, ce séjour peut également englober des pratiques diverses à la croisée de l’étranger et du familier. C’est ainsi que de plus en plus de touristes d’ascendance indienne fréquentent des lieux faisant partie non pas de leur histoire personnelle, mais de celle de la diaspora indienne à laquelle ils s’identifient. Il en est ainsi de l’Aapravasi Ghat à Port-Louis. Ce site, dorénavant classé patrimoine mondial par l’Unesco en 2006, fut le lieu de débarquement des travailleurs engagés indiens majoritairement Biharis – les coolies – dans l’île de novembre 1834 à 1910. En dehors des polémiques quant à l’inscription de ce site au patrimoine mondial, il est visité par les membres de la diaspora indienne à la recherche de leur passé historique. En effet, les référents patrimoniaux à Maurice – à la base de reconquêtes identitaires – semblent matérialiser l’émergence de discours ethnicisant le récit historique ainsi que les relations intercommunautaires au sein de la communauté indo-mauricienne, propulsant l’élite hindoue sur le devant de la scène sociopolitique insulaire (Chan Low, 2004 ; Carsignol, 2011 ; Goreau-Ponceaud, 2014).

25D’autres lieux prennent part à ces pratiques mémorielles : il s’agit des lieux de pèlerinage, qu’ils soient localisés en Inde (songeons par exemple à Bénarès, Allahabad ou encore Tiruvannamalai), ou dans des pôles importants de la diaspora indienne, tels que Ganga Talao (appelé également « Grand Bassin ») à Maurice lors du Maha shivaratree, ou encore des lieux où se mettent en scène une identité indienne, par exemple lors du festival de Ganesh à Paris (Goreau-Ponceaud, 2010). Il faut dire qu’en Inde, les mobilités touristiques (nationales et internationales) se greffent sur la tradition de pèlerinages (Delage, 2004 ; Trouillet, 2013). Si tous les lieux de pèlerinage en Inde n’ont pas une dimension touristique, certains d’entre eux, comme les sources du Gange, sont l’occasion pour les Indiens et les membres de la diaspora de découvrir leur territoire national et de déployer des formes de sociabilité où le profane se mêle étroitement au sacré (Goreau-Ponceaud, 2008). Soulever la question de l’ancienneté de ces mobilités permet de relativiser leur caractère supposé nouveau : s’agit-il de nouvelles mobilités pour ces populations ou de mobilités que nous reconnaissons comme telles aujourd’hui, après les avoir longtemps occultées ?

26Ainsi, l’échelle d’identification dépasse la seule région ou le seul village d’origine pour concerner la diaspora. Cette configuration diasporique nous oblige à réviser certains poncifs sur les relations entre Nord et Sud, entre foyers émetteurs et récepteurs des flux touristiques. Ceux-ci deviennent en effet multidirectionnels et multipolaires. En cela, les diasporas suscitent une nouvelle prise de possession du monde par le tourisme qui repose sur des pratiques mettant sur le devant de la scène des lieux touristiques émergents dans des espaces initialement peu « touristifiés ». En effet, chaque point d’ancrage de la diaspora est susceptible d’être pensé comme un site touristique où s’expérimentera une filiation plus ou moins mythifiée.

III - Les pratiques du dehors : l’empire contre-attaque ?

27Aux déplacements touristiques internes et à l’appel des ressortissants d’outre-mer, comme éléments de soft power et de rentrée de devises, s’ajoutent également la participation grandissante des pays émergents à l’alimentation des flux du tourisme international, selon une logique d’intégration régionale, chaque ressortissant privilégiant son bassin touristique environnant. Les pays pauvres deviennent eux-mêmes des acteurs du tourisme international, participant de fait à provincialiser les foyers historiques de la mondialisation : aujourd’hui l’Asie-Pacifique est à la 2e place du podium, devant les Amériques. Les foyers historiques de la mondialisation touristique enregistrent les croissances les plus faibles, en somme il y a là un véritable renversement. Témoin de ce processus – certes anecdotique – les Galeries Lafayette ont créé leur « shopping et welcome center » pour accueillir ces clientèles des Suds11. Notons que les Chinois, première nationalité étrangère du grand magasin, représentent environ 25 % du chiffre d’affaires.

Photo 4 - Touristes chinois à Sri Lanka

Sur cette plage de Trincomalee, l’organisation de l’espace révèle des pratiques touristiques différentes où cohabitent touristes occidentaux et chinois. Au premier plan, trois touristes chinoises, habillées et se protégeant du soleil se prennent en photographie. Plus exactement, il s’agit d’une mise en scène spatiale de soi qui passe par un égoportrait (ou selfie). Il est d’ailleurs piquant de remarquer que ce qui importe n’est pas l’océan. À l’arrière-plan, les Occidentaux allongés sur des transats ou sur la plage pratiquent le bronzage, tout en scrutant l’horizon.

Cliché : A. Goreau-Ponceaud, août 2015

  • 12 Cette théorie se résume à l’idée que les revenus des plus riches profitent également aux plus pauvr (...)

28Néanmoins, il est vrai que les Pays les Moins Avancés (PMA) restent cependant à l’écart. Forgé en 1971 par le Conseil économique et social de l’ONU, cet acronyme rassemble 48 pays en « difficulté » : 34 sont situés en Afrique, neuf en Asie, quatre en Océanie et un dans les Antilles. Ce sont les pays qui ont à la fois le niveau de revenu par habitant le plus faible et qui ont un retard particulièrement important à la fois en terme social, éducatif et économique. L’analyse des tendances récentes de l’évolution des arrivées et des recettes touristiques internationales permet de montrer que les PMA occupent une place particulièrement faible avec seulement 0,7 % des arrivées touristiques dans le monde (selon les rapports de l’OMT). Ces pays étaient jusqu’à présent largement à l’écart des flux touristiques mondiaux. C’était sans compter les programmes internationaux conduits par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), par l’OMT et par la Banque mondiale. En effet, comme le mentionnent Nathalie Fabry et Sylvain Zeghni, une littérature récente fait du tourisme « un instrument majeur de développement économique et de réduction des inégalités et/ou de la pauvreté. L’OCDE (2006) retient l’hypothèse que dans un contexte de mondialisation, le secteur du tourisme peut prétendre devenir un levier essentiel à la compétitivité internationale d’un pays, quel que soit son niveau de développement » (2012 : 7). C’est ainsi que les PMA connaissent une progression du tourisme supérieure à la moyenne mondiale. Pour l’OMT – en application directe de la théorie du ruissellement (ou trickle down)12 – le secteur touristique peut, pour un certain nombre de ces pays, contribuer de façon sensible à la lutte contre la pauvreté. De plus, le tourisme est la principale source de recettes en devises dans l’ensemble des PMA, compte non tenu du secteur pétrolier, qui n’est présent que dans trois pays (Angola, Yémen et Guinée équatoriale), et a été défini par la moitié des PMA comme un instrument prioritaire pour faire reculer la pauvreté.

Conclusion

29Dans ces pays émergents, ouvertures économiques forcées et réformes de l’État rendent légitimes et banales les idées de loisirs et de plaisir à une classe moyenne hétéroclite qui aspire à produire ses propres valeurs récréatives et ses propres couples lieux-pratiques. Il semble d’ailleurs que ces pratiques deviennent un moyen, parmi d’autres, de saisir les contours de cette classe moyenne. Dans tous ces pays, le tourisme concerne aujourd’hui une diversité croissante de lieux : les bords de mer, les franges montagneuses, certaines campagnes et les principales villes du pays, où il s’imbrique de plus en plus avec des logiques de patrimonialisation, de requalification et de réhabilitation, exacerbant parfois le caractère dual de ces métropoles. De ce fait, le tourisme intérieur et les loisirs sont souvent les reflets des grands écarts sociaux et spatiaux qui structurent ces pays.

30Il n’en reste pas moins vrai que cette double émergence, nous oblige à procéder à un pas de côté, à un décentrement. Ce détour par les Suds nous invite ainsi, en suivant les préconisations de Chakrabarty, à « provincialiser l’Europe » (2000), pour ne plus la considérer comme un ici absolu et à ouvrir une pensée du post-postcolonial.

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Staszak J.-F., 2008 - « Qu’est-ce que l’exotisme ? », Le Globe, t. 148, p. 7-30.

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Taunay B., 2010 - « L’émergence d’une culture chinoise de la plage », EspacesTemps.net, https://www.espacestemps.net/articles/emergence-culture-chinoise-plage/, consulté le 17 septembre 2017.

Taunay B., 2009 - Le tourisme intérieur chinois : approche géographique à partir de provinces du sud-ouest de la Chine. Thèse de géographie, Université de la Rochelle, 471 p.

Taunay B. et Violier P., 2015 - « Un modèle chinois des pratiques touristiques ? Analyse des spécificités et des invariants au niveau des pratiques et des lieux fréquentés par les touristes chinois et internationaux en Chine ». In : I. Sacareau, B. Taunay, E. Peyvel, La mondialisation du tourisme. Les nouvelles frontières d’une pratique. Rennes : Presses Universitaires de Rennes, p. 99-116.

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Zytnicki C., 2016 - L’Algérie, terre de tourisme. Histoire d’un loisir colonial. Paris : Vendémiaire, coll. « Empires », 275 p.

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Notes

1 Pour Dehoorne et al., il semble que malgré l’extension de l’espace touristique, symbolisée par l’ouverture de territoires longtemps retranchés, il n’y a pas pour autant de bouleversement de la hiérarchie mondiale : les grands équilibres demeurent (2009). Les pays les plus anciennement touristiques, qui appartiennent également aux ensembles régionaux les plus riches, restent au cœur de la dynamique : ils sont les principaux pays récepteurs et les principales puissances émettrices. On constate la prégnance dans la plupart des travaux de ce modèle centre-périphérie pour interpréter la mondialisation touristique. Selon ces mêmes auteurs : « L’espace touristique est dominé par des pôles émetteurs majeurs qui structurent leurs bassins régionaux respectifs, intégrant de nouvelles périphéries selon l’intérêt des lieux et dans les limites de leur accessibilité » (Dehoorne et al., 2009). Ainsi, dans ce modèle la Méditerranée fonctionne comme la périphérie touristique de l’Europe et le monde caraïbe (insulaire et continental) comme celui de l’Amérique du Nord.

2 Selon Béatrice Collignon, « on peut parler de paradigme colonial car il s’agit bien d’une forme globale de pensée, qui dépasse largement l’ordre politique lié à la période historique du colonialisme. Son fondement est cet ordonnancement du monde construit en Europe sur une opposition binaire entre “eux”, les Autres, et “nous”, les Européens » (2007).

3 Ce regard (qui est aussi un point de vue, un discours et qui véhicule un ensemble de valeurs et de représentations) a souvent signifié pour les populations locales l’enfermement dans la tradition, les excluant de toute histoire, et pour leur espace environnant la construction d’une nature sauvage. Ce qui est exotique ne l’est souvent que dans les yeux et la bouche de l’Occidental. Comme nous le rappelle Staszak, « l’exotisme, en tant que catégorie de la pensée, détermine des pratiques qui ont un effet réel sur le monde réel, et parmi ces pratiques, celles qui ont permis ou permettent à l’Occident de dominer ou d’exploiter le reste du Monde » (2008 : 28).

4 Dans ces sociétés émergentes, au-delà du poids considérable de la grande pauvreté et de la captation des richesses par un tout petit nombre d’élites, des millions d’individus sortent de la pauvreté, se structurent et développent des stratégies et des actions de promotion sociale. C’est notamment ce que montrent Darbon et Toulabor (2014) à propos de l’Afrique mais également Varrel et Landy (2015) à propos de l’Inde. Pour Dominique Darbon, la classe moyenne est autant une classe objet qu’une classe agie car la survisibilité des valeurs et des pratiques qui lui sont attachées par les discours des médias peuvent faire emprunter des habitudes de consommation communes à des individus susceptibles d’appartenir à cette catégorie sans en avoir conscience pour autant (Darbon et Toulabor, 2014).

5 Nous empruntons cette définition à l’équipe MIT. Constituée en 1993 autour du projet fondateur d’approcher scientifiquement le tourisme avec les outils de la géographie, cette équipe postulait que le tourisme était un sujet suffisamment sérieux pour justifier à la fois de s’y investir et de renouveler la manière dont il était abordé en géographie (Ceriani et al., 2008). Selon cette même définition, les pratiques touristiques se distinguent des pratiques de loisirs car elles impliquent, pour l’individu, un changement de place. Mathis Stock (2007) propose, par exemple, de faire varier le continuum des pratiques recréatives en fonction du degré d’altérité qu’elles impliquent, le tourisme se situant alors dans un degré d’altérité supérieur aux loisirs.

6 On pourrait également évoquer le processus de métropolisation et l’éventuelle capture du « droit à la ville » (Lefebvre, 2009) par une classe moyenne payant des impôts et soucieuse d’imprimer sa marque sur l’espace urbain, en en excluant les populations les plus pauvres (Chatterjee, 2004). Ceci semble être particulièrement le cas dans les métropoles qui désirent marketing urbain et city branding pour accéder au rang des villes globales.

7 En Inde, le « secteur inorganisé » (unorganised, unregistered) est très hétérogène et concerne toutes les échelles d’activité. Si on inclut l’agriculture, c’est désormais 90 % de la population active qui travaille dans ce secteur. Si on l’exclut, on dépasse encore 75 % (Landy et Varrel, 2015). « En Inde comme ailleurs, la croissance ne suffit pas à créer des emplois, et encore moins des emplois stables » (Landy et Varrel, 2015 : 198).

8 Ce processus de structuration du temps libre par rapport au temps de travail se diffuse bien entendu dans d’autres pays émergents, là où l’on assiste à la croissance du salariat. Ainsi, comme le montrent Cabasset et al. (2010), « au Vietnam, le code du travail garantit depuis 1994 douze jours de congé minimum par an, auxquels s’ajoutent neuf jours fériés. En Indonésie, le principe du week-end et des vacances est également bien établi, dans les entreprises publiques (depuis 1995) et privées (notamment étrangères), le nombre de jours de congés annuels augmentant avec l’ancienneté ».

9 La ECR est un important couloir de métropolisation. Le long de cet axe se bâtit un espace de loisirs et du tourisme qui constitue un véritable Entertainment corridor (Marius-Gnanou, 2010) reliant Chennai à Mahabalipuram (devenue une véritable station touristique périurbaine) et se prolongeant progressivement, en saut de grenouille, vers Pondichéry.

10 Comme l’indique Jennifer Bidet : « Contre une vision diffusionniste qui verrait la norme du bronzage circuler du haut vers le bas de la société française, puis des sociétés développées vers les sociétés en développement, les rapports différenciés au bronzage doivent être saisis comme un révélateur des luttes de classement entre différentes échelles de prestige, inscrites dans des contextes nationaux disjoints » (Bidet, 2017).

11http://www.leparisien.fr/paris-75009/paris-les-galeries-lafayette-ont-ouvert-leur-annexe-pour-touristes-chinois-23-03-2017-6790467.php.

12 Cette théorie se résume à l’idée que les revenus des plus riches profitent également aux plus pauvres, grâce à leurs investissements et à leur consommation, qui agit sur l’emploi et le niveau de vie général.

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Table des illustrations

Crédits Clichés : Anthony Goreau-Ponceaud, février 2007
URL http://journals.openedition.org/com/docannexe/image/7915/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 624k
Titre Photo 3 - Une culture balbutiante de la plage, Mahabaliburam, Tamil Nadu, Inde
Crédits Cliché : A. Goreau-Ponceaud, janvier 2018
URL http://journals.openedition.org/com/docannexe/image/7915/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 732k
Crédits Cliché : A. Goreau-Ponceaud, août 2015
URL http://journals.openedition.org/com/docannexe/image/7915/img-3.jpg
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Pour citer cet article

Référence papier

Anthony Goreau-Ponceaud, « Le tourisme aux Suds : vers une double émergence ? »Les Cahiers d’Outre-Mer, 274 | 2016, 291-314.

Référence électronique

Anthony Goreau-Ponceaud, « Le tourisme aux Suds : vers une double émergence ? »Les Cahiers d’Outre-Mer [En ligne], 274 | Juillet-Décembre, mis en ligne le 01 juillet 2019, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/com/7915 ; DOI : https://doi.org/10.4000/com.7915

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Auteur

Anthony Goreau-Ponceaud

Maître de conférences, Université de Bordeaux ; « Les Afriques dans le monde », UMR 5115 CNRS/Sciences Po Bordeaux ; mél : anthonygoreau@yahoo.fr

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