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Le baroque au théâtre

Du masque à l’Opéra anglais

Françoise Mathieu-Arth

Texte intégral

1En 1638, William Davenant, poète en renom à la Cour de Charles Ier annonçait dans la Préface de son masque Luminalia ou le Festival de la Lumière qu’il allait présenter à la reine Henriette Marie :

Une variété de scènes, d’étranges apparitions, de chants, de musique et de danses...

2et il ajoutait pour mettre son ouvrage en valeur que :

  • 1 Cf. Luminalia or the Festival of Light : « A masque... that might give occasion for variety of scen (...)

De tout cela résulte le réel plaisir propre aux masques anglais, masques que les étrangers et voyageurs de qualité considèrent comme aussi nobles et ingénieux que ceux des autres nations.1

3En effet, comme le disait ici même, il y a trois ans, M. Denonain, on ne peut étudier les aspects du baroque en Angleterre sans remarquer ses manifestations sur la scène : on est tout particulièrement frappé par l’importance du masque au début du xviie siècle et par le développement ou plutôt les transformations de ce genre au cours du siècle.

4Issus des anciens « déguisements » ou « mummings » des xive et xve siècles – sortes de processions de danseurs masqués – ces divertissements, très appréciés de toutes les Cours d’Europe prirent dès 1512, le nom de « Maske »,

  • 2 Hall : « The Union of the two noble and illustre Families of Lancaster and York » citée dans P. Rey (...)

[...] à la manière d’Italie, chose que l’on n’avait pas encore vu en Angleterre2

nous rapporte Hall. Dès 1512, les « Maskers » exécutaient des danses avec des partenaires choisies parmi les spectatrices. Tandis que la poésie et le drame du xvie en Angleterre allaient se développer d’une façon relativement autonome, l’influence française et italienne se fit sentir très profondément sur le développement du masque anglais. Au cours du xvie siècle, le besoin se fit sentir de varier les costumes et les danses et les « political disguisings » de la fin du xvie siècle ressemblent étrangement aux fêtes données en Italie à la même époque. Il fallut cependant attendre la fin du xvie siècle pour voir la poésie parlée s’unir au chant et à la danse dans le but d’illustrer une action dramatique précise et de former un tout cohérent. Dès lors, « Disguisings » et « Mummings » tombèrent peu à peu dans l’oubli ; les masques se développèrent, devenant de plus en plus complexes : costumes, mise en scène, machines, danses s’associèrent à la poésie et ces divertissements connurent sous le règne de Jacques Ier un lustre et une perfection qui ne devaient plus jamais être égalés par la suite.

5Comment donc apparaissaient ces masques dont le roi Jacques Ier et la reine Anne étaient si friands ? Il y a, en effet, une disproportion considérable entre ces fêtes et ce qui nous en reste ! Si dans certains cas seuls les « libretti » sont parvenus jusqu’à nous, il ne faut pas oublier que pour les spectateurs, témoins de ces festivités, les « mots » aussi divins qu’ils fussent, étaient la partie la moins importante du divertissement. Le masque était avant tout un spectacle de Cour où le Roi et la Reine désiraient apparaître en toute magnificence. La famille royale était au nombre des « Masquers » et il va sans dire que l’honneur de danser aux côtés du souverain ou de la reine, était l’objet de bien des convoitises !

6La tâche du « Master of the Revels », organisateur de ces festivités était alors bien complexe ! S’il est vrai que le soin du « libretto » fut bien souvent confié à un rimailleur inconnu et peu doué, les plus grands poètes de l’époque cependant : Samuel Daniel, Thomas Campion, William Browne, et surtout les poètes dramatiques tels que Chapman, Beaumont, Middleton, Davenant, rivalisèrent d’ingéniosité et d’inspiration au cours de cette première moitié du xviie siècle et laissèrent des « libretti » dont la valeur lyrique et dramatique mérite notre admiration. Comment ne pas considérer le Masque de la Beauté ou le Ballet des Reines comme de véritables chefs-d’œuvre ! Il est vrai qu’ils étaient l’œuvre du « Rare Ben Jonson » pour qui la poésie était « chose divine »,

  • 3 « Everyman in his humour ». Quarto V - I.

[...] blessed eternal and most true divine3

et qui fut le maître du genre !

7En effet, le Ballet des Reines 1608, marquait une étape dans l’histoire du masque de Cour : pour échapper à la monotonie Ben Jonson fit précéder le ballet d’une sorte de mascarade grotesque qu’il appela « antimasque ». Dès lors, l’« antimasque » fut introduit par des danseurs professionnels ; il servait de « repoussoir » au masque proprement dit.

8Mais confier le « libretto » à un poète en renom, trouver un maître de ballet ingénieux n’étaient pas les uniques tâches du « Master of the Revels » ! En effet, avec l’avènement de Jacques Ier, la mise en scène des masques prit une très grande importance. Les souverains étaient avides de plaisir et toutes ces réjouissances furent rehaussées de décors et de machines somptueuses. Les chars ou « pageants » cortèges étaient à peu près tout le décor au début du xvie siècle. Annoncé par une musique éclatante, le char arrivait du fond de la salle, passait devant les gradins garnis de spectateurs. Il représentait tour à tour des montagnes, des châteaux, des jardins. Puis la mise en scène consista en décors fixes dispersés dans la salle. Dès 1605, elle fut confiée au célèbre architecte Inigo Jones qui de retour d’Italie et de France, devait inaugurer dans le Masque de Noirceur un système tout à fait inconnu du public anglais ! Concentrant tous les décors au fond du Banqueting Hall et adoptant le système de Sebastino Serlio, il rangea les bâtiments en une sorte de rue à perspective. La scène était peu séparée de la salle : héros et divinités descendaient de l’Olympe au milieu des spectateurs et les associaient à leurs danses. Nuages, rochers, soleils, sphères de feu : Inigo Jones a recours à tous les moyens pour varier et perfectionner la mise en scène. En 1609, il présentera des « décors successifs » : ce qui constitue un gros progrès sur l’apparition simultanée de toute la mise en scène. Il ira jusqu’à changer cinq ou six fois de décors et en 1640, le masque avait une mise en scène très savante et perfectionnée.

9Les costumes avaient subi cette évolution : forme, couleur, ornements, le moindre détail compte pour Inigo Jones qui recherche avant tout la variété et le pittoresque ;et le librettiste consciencieux qu’est Ben Jonson se doit d’expliquer longuement aux spectateurs le sens de tous ces emblèmes compliqués ; lorsqu’après leur rupture finale Jones sera libéré des contraintes imposées par son rival, les allégories deviendront de plus en plus difficiles à interpréter.

10Mais toute cette féérie de décors et de costumes ne peut exister sans le pouvoir divin de la musique. Comme au temps des « Disguisings » et des « Mummings », la musique est un élément essentiel du masque ; malheureusement la plupart de ces compositions musicales ont été perdues. Pour unifier dans un même charme poésie, mise en scène et danses, le « Master of the Revels » n’hésite pas à faire appel aux plus grands musiciens de l’époque : Ferrabosco, qui fut un précieux collaborateur de Ben Jonson, Lupo, Nicolas Lanier, Coperario sans oublier, bien sûr, William Lawes et le Maître Henri Lawes qui composa les airs du Cornus de Milton.

11Mais laissons-nous prendre par le charme de ces divertissements et assistons aux spectacles grandioses qui eurent lieu à la Cour de Jacques Ier en février 1613, à l’occasion du mariage de la Princesse Élisabeth et de Frédéric l’Électeur Palatin. Trois ballets de Cour furent composés pour la circonstance et deux d’entre eux restent pour nous de parfaites « illustrations » de la richesse et du faste, propres à l’art baroque.

12Le Masque of Lords fut dansé le soir même des noces dans le Banqueting Hall. Il illustrait l’union d’Enthée, la Furie poétique, et d’Orphée. Enthée prisonnière de Mania, la Folie était libérée sur les supplications d’Orphée. Après une danse effrénée de douze Furieux ou « Franticks » autour d’Enthée et l’apparition de huit étoiles dans des nuages de couleurs variées, huit « Masquers » richement vêtus commencèrent un ballet. Soudain, moment suprême du masque : des statues se transformèrent en nobles dames qui se mirent à danser avec les « Masquers ». Le masque se terminait sur une perspective magnifique : un obélisque de la Renommée était entouré de gracieuses statues des jeunes époux tout en or.

Additur Germania, robur Britanicum,

annonçait Sybilla et un chant et une dernière danse des « Masquers » terminaient le spectacle.

13Le second masque : le masque offert par ces messieurs des Middle Temple and Lincoln’s Inn surpassa le premier en richesse et en ingéniosité. De façon à allécher les spectateurs, il fut précédé d’une grande procession qui se déroula dans Chancery Lane et le long du Strand. Cinquante gentilshommes « richement vêtus » étaient suivis d’une « mock maske » de babouins et de deux chars « richement décorés », dit le texte, où avaient pris place les musiciens. Derrière les chars marchaient les « Masquers » habillés en Indiens suivis des porteurs de torches. Sur un troisième char se trouvait un personnage étrange « mi-français mi-suisse », nommé Capriccio. Il était entouré d’Eunomia Vestale de la déesse Honneur et de Phémis, son héraut. Sur le dernier char enfin siégeaient Honneur et Plutus, le Dieu des richesses.

14Le Roi qui avait observé le défilé depuis Whitehall accueillit les « Masquers » et le masque commença. Le texte était l’œuvre de Chapman et Jocquet qui assistait aux fêtes décrit ainsi le thème du libretto :

  • 4 Jocquet, Vérirable Recueil des Triomphes pour le mariage de Frédérick V et de Madame Elisabeth, Hei (...)

L’honneur ayant acquis entre les humains tant de gloire, on luy auroit dressé un Temple comme à une déesse et consacré Eunomia pour estre la prêtresse4 !

15Sur un côté du « Hall » se trouvait un rocher d’où émergea Capriccio, et de l’autre côté on avait érigé le temps de l’Honneur. Après un long dialogue entre Plutus et Capriccio, douze garçons déguisés en babouins se mirent à danser à la grande joie des spectateurs. Puis les Phébades chantèrent et au cours de leur hymne un rocher s’ouvrit, découvrant les « Masquers » et les porteurs de torche dans une mine d’or. Après avoir adoré le soleil, les Phébades dirigèrent alors leurs louanges vers le Roi et le spectacle s’acheva sur un ballet

  • 5 « After rhe eulogis of the couple pronounced by Riches and Honour all the masque began to dance a b (...)

[...] si parfait qu’il ne laissait rien à désirer5.

16En quoi ces deux spectacles, qui charmèrent grandement toute la Cour en cette année 1613, marquent-ils une étape importante dans l’histoire du « Dramma per musica » en Angleterre et surtout, en ce qui nous concerne ici, en quoi sont-ils une illustration inoubliable des manifestations baroques sur scènes ?

17En effet, les thèmes développés dans les « libretti » de ces masques sont ceux de la littérature baroque de ces premières années du xviie siècle : mélancolie, vanité des plaisirs ; un monde doré a été créé mais

  • 6 « A golden world has been created and it reawoke in us strange feelings that il was a work of art t (...)

[...] il éveille en nous une sensation d’irréel6,

le temps

  • 7 « Away ! alas, he that first gave Time wild wings tofly away ». Masque of the Inner Temple.
  • 8 Le masque exprime le souhait que quelqu'un « could catch his scythe as he doth passe and clip his w (...)

[...] a des ailes et s’envole7 »,
et nul n’a le pouvoir de l’arrêter.8

18Un autre thème, très cher à l’époque, y est longuement exposé : Hymen, puissance bienveillante, restaure la paix et l’harmonie. La paix triomphe du Désordre et de la Folie, réconcilie le Bien et le Mal. La Loi et la Vertu l’emportent sur l’ambition. Mais surtout, nous trouvons dans le « masque du Middle Temple »l’idée platonicienne de l’union de la Beauté et de l’Amour. Grâce à l’amour, la nature atteint le divin.

  • 9 « her white band to Eros giving / with a kisse join'd to Earth ». Masque of the Middle Temple.

Le ciel et la terre sont unis.9

et de cette union est engendré un « âge d’or » ou monde céleste : vision sur laquelle s’achevait le masque de Chapman.

19Mais plus encore que les « libretti », les décors et les costumes de ces masques de 1613 illustrent d’une façon frappante cet excès d’ornement et de richesses, cette imagination débordante, si caractéristique du baroque. Si les chars du Middle Temple Masque étaient conformes à la tradition, l’apparition et la danse des étoiles, le rocher d’où émergea Capriccio, les nuages qui montaient et descendaient dans le ciel, ces colonnes se transformant soudain en « Lady-Maskers » bref, tous ces procédés montrent à quel point Inigo Jones était en avance sur le théâtre de son temps. Jamais l’art de la transformation n’avait encore atteint une telle perfection. Les lumières et les couleurs étaient spécialement étudiées : taffetas de couleurs écarlates, pavillons d’or, obélisques d’argent, piliers incrustés de rubis, de saphirs, d’émeraudes.

20Nous avons la grande chance de pouvoir encore admirer quelques-uns des costumes dans les dessins conservés à Chatsworth. Tant qu’il s’agit de personnages mythologiques, nous voyons qu’ici, comme dans les autres masques de l’époque, Inigo Jones se conforme à la tradition: ainsi Orphée est vêtu

  • 10 « Attire'd after the Greek manner, Orpheus had a Laurel on his head... surrounded by Tamed beasts » (...)

[...] à la manière grecque, il porte une couronne de lauriers et entouré de bêtes féroces apprivoisées10

21Si les musiciens sont vêtus assez simplement, les « Masquers » par contre ont des costumes très pittoresques. Les chevaliers de l’Olympe sont ornés de riches dentelles et de broderies d’argent. Nous sommes frappés, en effet, par le luxe et la richesse de ces costumes: velours, satins, brocatelles, « tiffanies » ou gaze, taffetas : nulle étoffe précieuse n’est épargnée. À une époque où sur le continent on ornait les lieux du culte de marbre et d’or, Inigo Jones couvre ses « Masquers » de bijoux et de pierreries : ainsi la barbe et la chevelure de Plutus sont parsemées d’or (Masque du Middle Temple).

22Cependant, dès qu’il s’agit des Allégories, des Abstractions morales, si chères à l’art baroque, les emblèmes deviennent plus précis, car il importe que le personnage soit immédiatement reconnu : la Folie est vêtue d’une « façon étrange et désordonnée », au contraire Honneur aura une robe de soie d’un pur azur. Le costume de Capriccio, qui s’inspirait de l’ouvrage italien Iconologie de Ripa est orné d’un soufflet et d’un éperon avec lequel Capriccio doit «  stimuler les indifférents ».

23Aux côtés des Dieux et Allégories, assez communs à l’époque, nous voyons d’autres costumes se détacher par leur originalité : dans le Masque des Lords, les porteurs de torche sont des esprits du feu

[...] avec des ailes de fou, trois haches et une torche de cire.

24L’antimasque du Middle Temple Masque était dansé par des « babouins » et les « Masquers » tout comme les porteurs de torche étaient

[...] d’étranges Indiens (estrangefull Indians),

exotisme voulu par le thème du masque mais aussi très caractéristique du siècle.

25Ces machines perfectionnées et ces costumes si pittoresques et détaillés ne furent pas sans influencer le théâtre de l’époque !

26Mais notre tableau resterait bien incomplet si nous n’évoquions pas le rôle si important joué par la musique dans ces masques de 1613. Comme pour les autres festivités de l’époque, le spectacle commence par de la musique soit instrumentale soit vocale. Soulignant l’aspect pittoresque des personnages des antimasques,

[...] musique étrange des furieux » (Masque des Lords),

elle annonce, au contraire, d’une façon vibrante l’arrivée d’un personnage important : Prometheus apparaît accompagné

[...] d’un air solennel,

comme dans tous les autres masques, Inigo Jones l’utilise ici à chaque changement de décor : elle marque le rythme et les pas des « Masquers ». Tandis qu’ils descendent de leurs « machines », elle distrait, et surtout elle contribue grandement à accentuer le caractère féérique du spectacle.

27Cependant, dans ces masques. de 1613, la musique occupa une place qu’elle n’avait jamais connue auparavant. Symboliquement représentée par Orphée, la musique apparaît toute puissante : dans le Lords’ Masque Orphée l’emporte sur la Folie et les « Franticks », les Furieux. Nous rejoignons ici un thème à l’honneur aux xvie et xviie siècles :

  • 11 Cité dans les Fêtes de la Renaissance, C.N.R.S., p. 329.

« Les Furieux sont réduits en leur bon sens par le moyen d’une grave musique » dit Bodin dans le Mystagogue11.

  • 12 The merchant of Venice, V, 1
    « There not the smallest orb which thou beholdst
    But in his motion like
    (...)

28La musique guérit le corps, élève l’âme vers Dieu et libère l’homme de ses mauvais penchants. Bodin comparait l’« harmonie des sphères » à l’harmonie qui doit régner dans l’État et le Masque de Chapman nous montre le Roi au centre de cette harmonie des Sphères. Cette idée platonicienne de la « musique des sphères » fut également exprimée par Shakespeare dans Le Marchand de Venise12.

29Outre ce pouvoir de la musique, nous découvrons dans le Masque des Lords le premier essai de déclamation en musique : l’orchestre joua

  • 13 « The musick changed into a very solemne ayre whiah they softly played, while Orpheus spake... » (Q (...)

[...] doucement un air solennel13

pendant qu’Orphée récita son rôle : cet accompagnement banal aujourd’hui, est un premier pas vers le récitatif ; jamais auparavant l’on n’avait utilisé la musique dans le but de souligner les effets d’un texte parlé. Le récitatif fut à nouveau utilisé dans Vision of Delights (1617). Dialogue d’une voix et du chœur récitatif : tous les éléments de l’opéra étaient donc présents dans le masque de Campion.

30Unissant les plaisirs des sens à ceux de l’esprit, ces masques de 1613 sont les plus purs exemples de ces divertissements de Cour qui connurent leur apogée au début du xviie siècle. Ils illustrent l’idéal baroque ; l’union sublime de deux arts : la poésie et la musique dans le but de produire un art plus élevé encore. S’ils ravirent les contemporains par leur luxe et leurs couleurs, le raffinement et l’ingéniosité dont ils sont les fruits nous charment encore aujourd’hui : poésie, danse, musique, décors, tout s’unit en une harmonie parfaite pour :

  • 14 Cité dans E. Welsford, The Court Masque, p. 76.

[...] contenter, disait Beaujoyeulx, en un corps bien
proportionné, l’œil, l’oreille et l’entendement14

***

31Qu’allaient donc devenir ces divertissements de Cour ? Ils illuminèrent encore la Cour de Charles Ier : des œuvres comme Britannia Triumphans 1638, Luminalia 1638, Salmacida Spolia, dansé par les souverains en 1640 furent les derniers éclats de cette gloire royale avant la froide interruption du Commonwealth. Dès la fin du règne de Jacques Ier, le masque avait d’ailleurs perdu de sa beauté : les livrets ne servaient plus qu’à relier quelques effets scéniques et des dansés ; l’antimasque s’était souvent trop développé aux dépens du masque lui-même. Certains masques comme les Triomphes du Prince d’Amour, 1636, étaient entièrement chantés et les vers étaient négligés. Ce déclin signalait-il la naissance de l’opéra anglais ? Pas tout à fait encore ; il faut attendre plusieurs années avant les premiers balbutiements de l’opéra.

32En 1642 les théâtres anglais sont fermés. Cependant, si la vie théâtrale est interrompue, le goût de la musique reste vif et le masque ne tombe pas dans le genre proscrit.

33Le 26 mars 1653, Shirley put présenter son masque : Cupidon et la Mort devant l’ambassadeur du Portugal. Le masque était une allégorie empreinte d’humour. Il était divisé en cinq « entrées », mais bien sûr, il manque la danse à laquelle prenaient part les spectateurs, danse finale qui, nous nous en souvenons, était la raison première des masques ! La musique qui se divise en trois groupes : musique instrumentale, danses et chants, est l’œuvre de Locke et de Christopher Gibbons. Locke était allé sur le continent et l’on remarque combien son récitatif est influencé par le récitatif italien plutôt que par celui de Lawes.

34Cet essai de Shirley d’un « dramma per musica » ne fut pas sans frapper les contemporains : surtout les hommes de théâtre comme Davenant qui avait lui-même composé de nombreux masques pour la Cour de Charles Ier.

35William Davenant s’était réfugié en France pendant la guerre civile; il avait assisté aux opéras italiens que Mazarin avait fait jouer à la Cour de France et il rêvait de composer un divertissement qui pourrait échapper à l’interdiction dont étaient frappés certains genres. Le 23 mai 1656, il donne à Rutland House Le Divertissement de la Première Journée à Rutland House.

  • 15 « The first Days Entertainment at Rutland House by declamations and musick, after the Manner of the (...)

[…] déclamations et musique à la manière des Anciens.15

36C’était un premier essai timide, mais Davenant ne voulait pas éveiller les soupçons. Un prologue, un épilogue en vers, quatre discours, précédés ou séparés par des chants ou des morceaux d’orchestre : tel était l’intérêt de ce que Davenant appelait Le Divertissement de la Première Journée. La musique, œuvre de Coleman, Cook, Lawes et Hudson, constituait à elle seule une attraction suffisante. Davenant mentionne plusieurs fois le nom « d’opéra » dans son œuvre, mais il associe le mot à poésie, musique et mise en scène : il est clair que Davenant fait allusion à des spectacles publics où la musique et la mise en scène ont un rôle important, mais le terme « opéra » n’indique pas ici un drame entièrement chanté, où Je récitatif et la musique sont utilisés à des fins dramatiques. Le public accueillit le Divertissement de la Première Journée à Rutland House avec enthousiasme et les représentations se prolongèrent pendant dix jours.

37Encouragé par ce premier succès, Davenant osa présenter un spectacle plus ambitieux. En septembre de cette même année 1656, il produisit Le Siège de Rhodes. Pour éviter la censure, il avait très prudemment proscrit le nom de « Play » ou « opéra » et avait intitulé sa pièce :

  • 16 « The siege of Rhodes, made a representation by the art of Prospective in scenes, and the story sun (...)

Une représentation selon les règles de l’art de la perspective dans Je décor, avec des paroles chantées en récitatif.16

38Quelle est donc cette pièce curieuse qui

  • 17 « Anything that suggests the ordinary theater of the preceding reigns. ».

[…] voulait éviter tout ce qui évoquait le théâtre des règnes précédents17

et que Reyher appelle non seulement :

[…] le livret du premier opéra.

mais aussi

  • 18 P. Reyher, Les Masques anglais, p. 473.

[…] la première de ces pièces dites « héroïques » si en vogue à la Restauration18 ?

  • 19 English Dramma per Musica : « A study of musical Drama in England from·the·Siege of Rhodes to the o (...)

39Si nous pouvons trouver dans le Siège de Rhodes la conception cornélienne de l’amour, la noblesse des sentiments inspirés des romans de Gomberville, si le terme « d’entrée » nous rappelle les ballets de Bensérilde qui faisaient rage à la Cour du jeune Louis XIV, ce spectacle en vers rimés, entièrement chantés, ne ressemble guère aux opéras italiens et français de l’époque : le sujet même du Libretto, le Siège de Rhodes, l’agencement des chants et des chœurs, le rôle même du chœur qui ne prend pas part à l’action, mais semble être là pour renforcer l’orchestre : tous ces éléments nous rappellent davantage les anciens masques de Cour. Les décors, œuvre de Webb (parent d’lnigo Jones) peuvent être consultés à Chatsworth. Ils évoquent la splendeur des masques jacobéens, hélas avec moins de luxe et de grâce ! Davenant s’en plaint amèrement et regrette cette scène étroite et certains éléments du décor : les rochers par exemple durent être fixés et demeurer pendant tout le spectacle. Webb réalisa cependant une mise en scène importante figurant successivement la Ville de Rhodes, le port, la flotte turque, la ville assiégée, le pavillon de Solyman et l’assaut final. Il dut cependant peindre une foule en action au dernier acte. Les parties vocales, œuvres de Lawes, Locke- et Cook, et instrumentales, œuvre de Hudson et Coleman, ne sont malheureusement pas parvenues jusqu’à nous. The Siege of Rhodes fut chanté d’un bout à l’autre, chaque acte étant précédé d’un prélude de musique instrumentale et se terminant par un chœur. Davenant serait-il dont le père de l’opéra anglais ? Depuis plusieurs années, critiques et musicologues se sont penchés sur ce problème. Dans son Essai sur les Pièces héroïques, Dryçlen considère Le Siège de Rhodes comme la première pièce héroïque et sigriale que l’emploi de la musique est uniquement dû aux circonstances dans lesquelles la pièce fut produite. Davenant fut « contraint » d’introduire le récitatif. Suivant l’emploi de la musique est uniquement dû aux circonstances dans lesquelles la que le seul but de Davenant était d’ouvrir le théâtre et non d’introduire et d’établir l’opéra en Angleterre : la musique n’avait qu’un rôle à ses yeux : éviter la censure. Robert Henigan, dans sa thèse récente, discute et ne partage pas l’opinion de Dent19.

40Que son but ait été ou non d’introduire et d’établir l’opéra en Angleterre, Davenant s’enhardit jusqu’à donner deux nouvelles pièces en 1658 : la première, La cruauté des Espagnols au Pérou, était divisée en six entrées. Chacune commençait par une ouverture en musique et un changement de décor et se terminait par une danse acrobatique rappelant l’ancien antimasque. La seconde pièce donnée en 1658, fut l’Histoire de Sir Francis Drake : elle était également divisée en entrées, mais avec moins de monotonie. Le dialogue, entièrement chanté, faisait songer à celui du Siège de Rhodes, tandis que les décors évoquaient le luxe des anciens masques.

41Utilisant les « dépouilles des anciens masques » comme le dit Reyher

[…] décors ingénieux, musique composée par des artistes les plus en renom, antimasques...

42Davenant avait donc créé, sous la contrainte des événements, les premiers opéras anglais, tout en récitatif et « arias ». Malheureusement, cet essai ne devait pas durer ! Dès la réouverture des théâtres en 1660, le public lassé, sans doute, de ces opéras tout en musique, si peu conformes au génie anglais, et sevré de théâtre depuis près de vingt ans, voulut des comédies et tragédies, du « vrai théâtre ». Le meilleur exemple indiquant ce changement dans le goût du public est le succès considérable que remporta la Seconde Partie du Siège de Rhodes : version que Davenant venait d’adapter pour la scène de la Restauration et qui était beaucoup plus une pièce pour le théâtre qu’un opéra.

43Si le public anglais se lassait vite de ces « opéras » tout en musique, ce qu’il aimait par-dessus tout, c’étaient les pièces agrémentées de musique et de décors importants. Les premières années de la Restauration virent apparaître une quantité de pièces appelées « comédies » ou « tragédies » qui sont en fait des « musical dramas », très influencés par l’ancien masque de Cour : ainsi, en 1663, dans la Slighted Maid de Strapylton, dont la musique était de Banister, nous avons un masque de Vulcain à l’acte V et une « antick dance », véritable antimasque dansé par Vulcain et quatre cyclopes. En novembre 1663, Locke écrivit la musique de The Stepmother, tragi-comédie où nous trouvons de nombreuses danses, un masque d’Apollon et un masque de Diane. Les décors de The Indian Queen, drame héroïque de Dryden, 1664, « peuvent être comparés », dit Walmsley, à des « operatic settings » des décors d’opéra.

44Si ces premiers essais « operatiques », si adaptés au goût du public, sont révélateurs dans leur faste, et décors exubérants d’un certain art baroque, combien plus révélateurs encore

[…] les drames dans la nature d’un opéra

qu’allait à nouveau proposer Davenant.

  • 20 J.-J. Denonain, Aspects du baroque littéraire en Angleterre, Journées internationales d'Étude du Ba (...)

Le baroque présuppose chez l’auteur et son public une parfaite possession de la culture et de la technique traditionnelles... Le baroque voit autre chose et voit autrement, mais pour cela, il faut qu’il ait vu selon les règles établies dont il se rie et qu’il défie.20

45Comme cette excellente définition que j’emprunte à M. Denonain, s’applique magnifiquement aux « operatic versions », c’est-à-dire aux « adaptations » que Davenant fit de ces deux pièces de Shakespeare : Macbeth et La Tempête. Le public anglais connaissait l’œuvre de Shakespeare. Cependant, il faut la transformer au goût du jour, le public, avide de sensations, veut maintenant des spectacles brillants : décors, mise en scène. On utilise tout dans le but

[…] de diminuer  la tension tragique et d’augmenter l’artificiel

dit Nicoll.

46Macbeth parut en 1663. La musique était de Locke et la tragédie de Shakespeare ainsi profanée devenait

[…] in the nature of an opera

47« avait l’aspect d’un opéra » rapporte Downes, un contemporain. Le sujet, il est vrai, se prêtait merveilleusement aux divertissements : coups de tonnerre, éclairs, sorcières volant dans les airs, fantômes descendant à l’aide de machines : bref, tout ce qui pouvait flatter le goût du public était là. La musique présente une. grande qualité dramatique : elle est bien adaptée au sujet, souligne les effets dramatiques et les grands moments de la pièce. Il y eut une deuxième version de Macbeth en 1673, avec des « machines » encore plus perfectionnées.

48Après Macbeth, Dryden et Davenant entreprirent de transformer La Tempête en 1667,

  • 21 Préface to Albion and Albanius, Dryden, 1685 : « A tragedy mix'd with opera... or a drama written i (...)

« en une tragédie », dit Dryden en 1685 dans la Préface d’Albion et d’Albanius, « mêlée d’opéra »
« ou un drame composé en vers blancs21 orné de décors, de machines ». de chansons et de danses, mais on ne peut pas, à proprement parler, l’appeler un opéra puisque le récit n’est pas chanté ».

49Dans cette nouvelle version, on avait donné une sœur à Miranda et créé le personnage d’Hippolito, « un homme qui n’avait jamais aperçu une femme », le petit masque de Shakespeare était bien sûr transformé en un ballet fastueux qui charma les contemporains !

50Ainsi donc, le masque n’avait pas complètement disparu. Il était maintenant incorporé à ce genre hybride : le Dramatic opera, l’opéra dramatique que Dryden avait du mal à définir.

51Quelques années plus tard, en 1673, Shadwell reprit cette adaptation de La Tempête et nous dit Downes

  • 22 « The Tempest or the Inchanted Island made into an opera by Thomas Shadwell having all new in it as (...)

[…] la transforma en opéra, y ajoutant de nouveaux décors et machines.22

52Downes admire grandement les décors et les machines et ajoute que le succès financier du spectacle fut très grand

« nul opéra », dit-il, « ne rapporta autant d’argent ».

53Ne nous laissons pas prendre cependant par ce terme d’« opéra ». Shadwell, utilisant la version de Davenant et de Dryden, ajoute de nombreux chants, danses, et effets spectaculaires; cependant, là encore, nous n’avons pas affaire à un drame « entièrement chanté », mais à un « operatic drama ».

54La musique instrumentale fut écrite avec grand soin par Matthew Locke et la musique vocale par Pietro Reggio et James Hart. Les danses furent composées par Giovanni Battista Draghi : master of the King’s Italian Musick. Nous possédons toute la musique de La Tempête de Shadwell sauf les danses de Draghi. Le côté spectaculaire « opératique » était en effet très développé : à l’acte II, scène 2, Shadwell avait ajouté une danse, des vents, des esprits fantastiques et surtout le splendide Masque de Neptune et d’Amphitrite. Quant aux « machines », on remarque de nombreuses « transformation scenes » : table qui disparaît, esprits volant dans les airs, gerbe de flammes... Pour permettre à cette pompe de s’étaler, Shadwell avait complètement remanié la pièce de Shakespeare ; cependant, chaque coupure, chaque changement fut fait dans un but précis et avec soin. Cet « opéra dramatique » eut un immense succès: le roi le vit cinq fois ; la mise en scène surtout frappa les contemporains et incita Thomas Duffett à écrire la Parodie de la pièce en novembre 1674, intitulée The mock Tempest or the Enchanted Castle.

55Outre ces adaptations de pièces de Shakespeare, il y eut à Londres en cette saison 1674 la représentation d’un opéra français : Ariane ou le mariage de Bacchus. Fuyant Lulli qui avait alors les faveurs du roi de France, Cambert, l’auteur’ du premier opéra français : La Pastorale vint se réfugier à la Cour de Charles II, avec son élève Grabu, ils fondèrent la « Royal Academy of Musicke ». N’ayant pu être représenté à Paris, à cause de la mort de Mazarin, son opéra Ariane connut un vif succès sur la scène du Drury Lane : cet opéra, entièrement chanté, était divisé en cinq actes à sept ou huit scènes ; entre les actes, des intermèdes consistaiept en deux ou trois entrées de ballet.

56Pomone, déjà représenté à Paris en 1671, fut également joué à Londres en 1674. L’influençe française ne tarda pas à se faire sentir sur la scène londonienne. Thomas Betterton était allé à Paris où il avait étudié les nouveaux opéras français et assisté à la superbe tragédie-ballet Psyché qui avait été représentée au Palais des Tuileries en janvier 1671. Œuvre de Molière, Corneille et Quinault, Psyché avait la forme de la tragédie française avec un prologue et des intermèdes. Betterton fut très impressionné du succès de ce splendide spectacle. Ayant le sens des affaires et considérant la soif du public pour ce genre de divertissement, il chercha à adapter Psyché sur la scène anglaise. À qui confierait-il ce soin sinon à Shadwell qui venait de remporter un dernier succès avec La Tempête. Shadwell d’ailleurs ne se fit pas prier : tout fut fait pour exciter la curiosité du public et, le 27 février 1675,

[…] l’opéra si longtemps désiré et attendu Psyché

fut représenté au Dorset Garden Theater.

57La musique était l’œuvre de Locke et de Daghi. Les décors, très recherchés, étaient peints par Stephenson et le célèbre maître de ballet français Saint-André en avait réglé les danses. Lorsqu’il publie la musique de ce qu’il intitule « l’opéra anglais », Locke précise d’une façon très intéressante qu’il a osé donner ce titre à son œuvre,

[…] bien que toute la tragédie ne fut pas en musique.

il a prudemment considéré que si l’Italie est la patrie de la musique et de l’opéra, il n’en est pas de même pour l’Angleterre.

Il a donc mêlé la musique « à des dialogues »,

  • 23 The English Opera or the Vocal Musick in « Psyché », cité par R. Henigan, p. 257.

[…] ce genre étant plus conforme au génie-de (son pays).23

58Nous ne poursuivrons pas ici l’étude de Psyché puisque nous aurons l’occasion d’en parler plus longuement au colloque : « Dramaturgie et Société » qui aura lieu à Nancy. Retenons simplement que

[…] cet opéra si longtemps attendu orné de nouveaux décors et machines

remporta largement le succès désiré. Duffett en profita pour en faire la parodie : et Psyché Debauch’d connut presque autant de succès que l’opéra lui-même.

59- Aux côtés de cette influence française, l’héritage du masque n’était pas tout à fait oublié : dans sa tragédie Circé (1677) dont la musique était de Bannister, Charles Davenant, fils de William Davenant, emprunta de nombreux éléments au masque de Browne et à Tempé restored (Tempé rendu aux Muses) de 1632 : apparition de l’enchanteresse, nymphes, furies, sirènes, antimasque des bons et mauvais rêves.

60- Le succès de la Psyché de Shadwell, et de cette saison française incita Dryden à s’intéresser à nouveau à l’Opéra. En 1685, le poète expose dans la Préface d’Albion et d’Albanius sa conception de l’Opéra

  • 24 Préface to Albion and Albanius, 1685.
    « An opera is a poetic tale or Fiction represented by vocal an
    (...)

[…] c’est, dit-il, une histoire poétique, une fiction représentée à l’aide de la musique vocale et instrumentale, rehaussée de décors de machines et de danses. Les personnages supposés de ce drame musical sont en général surnaturels, c’est-à-dire les dieux, les déesses, le héros sans un peu d’amour il n’y a point d’opéra possible24...

61Dryden admire ensuite l’italien et admet que l’anglais s’accompagne difficilement de’musique à cause de sa pauvreté en rimes féminines.

62Nous voyons à quel point la conception de Dryden est influencée par les opéras français et italiens faits de galanterie et de merveilleux. Il ne signale même pas les œuvres de Davenant ! D’ailleurs nous nous souvenons qu’il considérait le Siège de Rhodes non comme un opéra, mais comme la première « pièce héroïque ». Dryden rêvait d’écrire un opéra précédé d’un Prologue « à la française » et à l’origine Albion et Albanius qui fut représenté le 3 juin 1685 au Dorset Garden Theater devait servir de Prologue à une tragédie mêlée d’opéra. Mais ce prologue qui se poursuit ridiculement pendant trois actes put former une œuvre en lui-même.

63Albion et Albanius devait flatter le Roi sous forme d’une allégorie politique ; malheureusement Charles II mourut avant la représentation et Dryden ajouta le personnage d’Albanius pour honorer James. Tous les personnages sont des allégories : Augusta est Londres, Thamesis déjà figurée dans le masque de Beauté, apparaît également.

64Si ces allégories nous rappellent un peu trop les masques de Ben Jonson, la mise en scène était plus ambitieuse. Betterton était allé en France étudier les nouvelles machines et dès l’acte I, nous sommes frappés par le faste et l’abondance des décors : Junon apparaît sur son char tiré par deux paons dont les plumes occupent toute la scène ! L’acte II s’ouvre aux enfers : nous assistons à un antimasque de Démons au milieu d’une pyramide de « flammes en perpétuelle agitation ». Nous sommes à nouveau sur la terre sur les bords de la Tamise : les cieux s’ouvrent et l’on voit rayonner le char resplendissant du soleil : à l’acte III la caverne de Protée surgit du fond des eaux. Grâces et amours dansent tandis qu’une machine descend du ciel formée de nuages d’or. Malgré tout ce faste, la pièce eut une destinée malheureuse. Dryden avait voulu copier Ariane et ne reconnaissant pas la valeur de Purcell à cette époque, il avait demandé à Grabu, l’élève de Cambert qui avait participé à la musique d’Ariane, d’écrire la partie musicale de son œuvre. La musique d’Albion et d’Albanius qui était un opéra entièrement chanté fut publiée en 1687 et sévèrement critiquée. Dryden ne s’était donc pas conformé à sa définition de l’opéra anglais mi-parlé, mi-chanté; l’œuvre de Grabu, en effet, est très terne et n’apporte aucune qualité dramatique. La ligne mélodique ne convient guère aux sentiments exprimés et au rythme des vers de Dryden: l’opéra fut un échec total et ne compta que six représentations :

  • 25 Voir aussi l'idée très intéressante exprimée dans le Gentleman's Journal, January 1661, 92, p. 5 «  (...)

65Albion et Albanius reste, cependant, pour nous un essai d’opéra entièrement chanté extrêmement intéressant. Dryden comprit vite que ce genre entièrement en récitatif et arias ne pouvait être vraiment populaire en Angleterre et se rangea à l’opinion de Locke, reconnaissant que seuls les « Dramatic Operas » où se mêlaient chants, danses et poésie parlée, pouvaient convenir au génie anglais25.

66Après ces diverses définitions de Locke, Dryden, ces divers essais de « dramatic operas » : Macbeth, The Tempest, Psyché, Albion et Albanius, nous pouvons maintenant essayer de donner une définition plus précise de ces œuvres dramatiques. L’opéra baroque, en Angleterre, loin d’être une forme purement musicale, était donc une œuvre où le pouvoir unifiant de la musique était le moyen de réunir différents éléments, où la musique était une sorte d’articulation. L’opéra anglais ne fut donc pas le fruit d’une théorie artistique longuement élaborée : ce qui n’est pas du tout la façon anglaise de procéder. Il fut à la fois la rencontre fortuite d’éléments divers et un compromis entre ces divers éléments. Les décors et les machines des masques Stuart, auxquels s’ajoutaient des raffinements dus à l’influence- étrangère, appartenaient maintenant à la scène publique. Ce compromis est une attitude typiquement britannique. Rien de tout cela n’aurait été possible en France où conformément au goût français hostile aux mélanges impurs, nous avions, dès cette ’époque, des opéras entièrement chantés. Nous voyons que dans tous ces « dramatic operas » l’accent est mis sur les « new scenes and machines ». L’opéra, comme le Masque, doit allier la mélodie et la poésie aux arts visuels: peinture,·architecture, costumes, danses. Inigo Jones, Lorelli, Bibbina, ne l’oublions pas, étaient avant tout des architectes qui trouvèrent dans ces spectacles baroques des occasions illimitées d’exercer leurs imaginations exubérantes.

  • 26 Cf. p. 5, Robert-E. Moore : Henry Purcell and the Restoration Stage, Heinemann, 1961.

L’opéra baroque fut autant une construction architecturale que musicale26

dit Moore.

67Machines en perpétuelle agitation, visions célestes de héros et de vœux comme le prônait Dryden, temples gigantesques, costumes riches et pittoresques: bref, toute cette pompe splendide, cet aspect monumental tend à exprimer comme le disait Wolflin de, l’art baroque en général, le mouvement, le devenir. Alors que la Renaissance se concentrait sur les choses à l’état de repos, le baroque; aù contraire, exprime l’action, la tension, la lutte entre des forces opposées, la dualité du corps et de l’esprit: cet équi1ibre incertain est exprimé en des formes plastiques, par des mouvements contournés et tourmentés. Mais dans l’opéra baroque,

[…] cette impression de violence est dominée par une admirable maîtrise de la forme.

dit Moore. En effet, convention et révolte s’équilibrent. Si rien n’est en repos, les figures violentes sont soumises à la loi architecturale calme, sereine, qui les anoblit, les épanouit. Dans toute cette pompe nous sentons la maîtrise de l’artiste sur la matière : ces projets grandioses et exubérants, ces éléments riches et tumultueux sont soumis à l’autorité souveraine de celui qui les combine, en un tout harmonieux. Dryden, en effet, rejoindra cette idée lorsqu’il définira le but du dramaturge comme étant « le pouvoir absolu sur l’esprit du spectateur ». Songeons avec quelle maîtrise Rubens, Tintoretto, dominent les couleurs, les mouvements tourbillonnants, les expressions violentes de leurs sujets. Cette dualité, cet équilibre entre des forces souvent violemment opposées, imposés par l’artiste, seront encore réalisés d’une façon plus géniale par Purcell dont la technique baroque saura rendre en quelques mesures dans le chant de « Bess of Bedlam » toute une variété de tons, toute une gamme d’humeurs.

***

68Il y eut pourtant d’autres essais d’opéras entièrement chantés après l’échec d’Albion et d’Albanius : deux surtout méritent notre admiration, le masque de Blow et le premier opéra de Purcell.

69Alors que Albion et Albanius intitulé « opéra » peut comme le dit Saintsbury être considéré comme un masque, .Je masque Vénus et Adonis de John Blow ressemble, en fait, beaucoup plus à un opéra qu’à un masque : c’est un ouvrage entièrement chanté qui commence par une ouverture et semble plutôt influencé par les « Cantatas » italiennes. Il mérite certainement une étude toute particulière, ne serait-ce que pour avoir encouragé Purcell à écrire ce merveilleux chef-d’œuvre qu’est Didon et Enée.

70Le premier opéra de Purcell occupe une place assez particulière dans l’histoire de l’opéra anglais : non seulement il était entièrement chanté, mais il fut représenté en privé, et non sur une scène londonnienne au Josiah Priest’s Boarding school for young gentlewomen at Chelsea (au pensionnat de jeunes filles de J. Priest à Chelsea).

71Nous avons donc affaire à un « chamber opera » plutôt qu’à un opéra proprement dit. Le libretto était tiré de la tragédie de Nahum Tate Brutus of Alba. Il n’a pas grande qualité mais il sert son but. L’opéra a une grande unité dramatique. L’apparition de la sorcière, les dialogues entre Didon et Enée, l’air de Didon « I am pressed with torment », nous frappent surtout par leur haute intensité tragique. Le récitatif très influencé par la cantate italienne (comme dans le masque de Blow) est remarquablement adapté aux personnages : celui de Belinda, par exemple, est plus léger que le récitatif de Didon.

72Avec quel art la mélodie s’adapte merveilleusement à la langue ! Nous sommes loin des mesures hachées du pauvre Grabu. Chœurs et danses (surtout celle des marins) sont également très réussis : nous admirons par exemple le chœur des sorcières faisant écho à « l’aria » de la sorcière.

73Purcell savait qu’il ne pourrait remporter de succès avec un long opéra entièrement chanté, et en quelques pages, il créa un des plus précieux chefs-d’œuvre de l’opéra anglais. Jamais, dit Henigan, l’Angleterre ne fut plus

[...] proche de connaître un drame exprimé grâce à la musique.

74Si cette expérience unique : un opéra de chambre, « privé » pour ainsi dire, ne put se renouveler, elle servit au moins à affirmer le génie de Purcell aux yeux de ses contemporains. Des hommes de théâtre avertis comme Betterton ou Dryden surent vite reconnaître que seul le génie de Purcell pouvait transformer les charmants « Dramatic operas » qu’avaient été La Tempête ou Psyché en véritbles chefs-d’œuvre. Dès lors, le génie de Purcell allait illuminer la fin du xviie siècle, et après ses premiers balbutiements l’opéra dramatique anglais allait enfin connaître son âge d’or !

75Il ne nous appartient pas ici de citer le nombre considérable de pièces, environ quarante au total pour lesquelles Purcell écrivit une musique instrumentale ou vocale. Jusqu’à sa mort, Purcell eut une activité prodigieuse et composa de 1690 à 1695, six « Dramatic operas » dont le premier sur un livret de Betterton : Dioclesian or the Prophetess adapté de Beaumont et Fletchet. En 1691, Dryden lui confia sa pièce Le Roi Arthur ; en 1692, Purcell·produisait une version de « Midsummer Nights dream » : La reine des fées, suivie de Bonduca, La Tempête et The Indian Queen en 1695 ; œuvre qui devait être interrompue par sa mort et terminée par son frère Daniel Purcell. Parmi ces six chefs-d’œuvre, choisissons le plus intéressant : Le Roi Arthur ; en effet, tandis que tous les autres opéras de Purcell étaient adaptés de pièces écrites, seul Le Roi Arthur fut conçu primitivement comme un opéra. En confiant à Purcell son « Dramatic opera ». Le Roi Arthur (dont Albion et Albanius devait être le Prologue) Dryden non seulement reconnaissait enfin le génie de son contemporain, mais réalisait un rêve qu’il chérissait depuis longtemps. L’opéra fut monté avec un luxe considérable, rien ne fut épargné pour les décors et les machines, transformation de la scène en île glacée, flammes sirènes, nymphes, apparition d’Emmelina dans un tronc d’arbre, masque somptueux à l’acte V. Malgré cette exubérance baroque de décors, King Arthur se distingue des autres opéras dramatiques de l’époque. En effet, dans Psyché, La Tempête, la musique était beaucoup moins importante que les machines, ici, au contraire, c’est elle qui dominera tout l’ensemble.

  • 27 Cf. Robert-E. Moore, Henry Purcell and the Restoration Stage, p. 95, 1961.

Chaque acte, dit Moore, est construit autour d’un ou plusieurs « moments musicaux.27.

76Le sujet lui-même, cet essai de réconciliation entre le roi-soldat et les Dieux, entre le pseudo-historique et le surnaturel, rappelle les drames baroques de Dryden : Aurenzzebe, the Indian Queen. Quant à la musique, Purcell réussit à y introduire certains éléments français et italiens, tout en créant dit Moore

[...] une œuvre purement anglaise.

77En effet, le moment était venu après toutes les imitations d’œuvres françaises, de créer un opéra dramatique purement anglais et King Arthur qui se terminait sur un chœur martial et « maestoso » destiné au souverain, rappelant « Rule Britannia » n’avait-il pas pour but d’exalter ce sentiment patriotique sans lequel l’opéra national anglais ne pouvait exister ?

78écrite en « blank verse » vers blancs, l’œuvre était bien supérieure à Albion et Albanius. Chaque acte a deux scènes, une parlée et une chantée. Il n’y a pas de récitatif. Entre les parties chantées il y a quelques lignes de dialogue. Nous sommes frappés, en effet, de voir l’équilibre qui règne entre le « surnaturel » et le « naturel », le dialogue parlé et les chants, les chœurs et les arias. Dryden comprit enfin que l’opéra existait pour le plaisir des « yeux et des oreilles » et que son art devait s’harmoniser au génie de Purcell. Compensant l’échec d’Albion et d’Albanius, le Roi Arthur fut accueilli à l’époque par un tumulte d’applaudissements.

79Jamais plus Purcell ne composa d’opéra dont le libretto égalât en valeur la qualité de sa musique et le Roi Arthur reste pour nous le modèle le plus réussi de ces « dramatic operas ». Il illustre parfaitement cette union des plaisirs des sens (musique, danses, architecture) et de pure extravagance. Cette synthèse d’éléments multiples, ce mélange de genres qui, nous l’avons dit, est si cher au goût anglais. Il est également un chef-d’œuvre de l’art baroque : en effet, la richesse tumultueuse du décor et de la musique est maîtrisée et tous les éléments qui composent l’œuvre, s’harmonisent en un équilibre parfait.

80La mort prématurée de Purcell en 1695 devait hélas mettre fin à l’âge d’or de l’opéra dramatique anglais. Dès le début du xviiie siècle, l’opéra italien déferla en Angleterre et ce que Purcell avait été si proche de réaliser dans Didon et Enée, la création d’un véritable drame en musique, Haendel tentera de l’accomplir dans ses opéras et ses oratorios.

***

81Temples, palais merveilleux, forêts, rochers se sont évanouis dans les airs, musique et chants se sont tus. Devons-nous, comme le faisait Prospero après les noces de Ferdinand et de Miranda, regretter la vanité de ces réjouissances ? Certes non ! Unissant en une parfaite harmonie les beautés de la poésie à celles de la musique, ces masques de Cour qui charmèrent les courtisans de Jacques Ier, ces opéras qui divertirent le public de Londres à la Restauration, furent une des plus exquises expressions du génie musical anglais, et surtout une des plus remar­quables manifestations de l’art baroque en Angleterre : tant par la richesse des décors et des costumes que par les thèmes des « Libretti » et le goût exubérant du public pour lequel ils étaient écrits.

82Je terminerai en évoquant cette ravissante scène du gel « Frost scene » tirée du Roi Arthur où avec un instinct dramatique aussi génial que touchant Purcell a cru bon d’ajouter dans la partie chantée un « tremslando » au-dessus des croches : voulant ainsi exprimer par les voix une sensation de froid, de grelottement, très appropriée aux décors, et destinée à exciter la passion d’Emmeline. Cette écriture pittoresque et étrange est difficile à admettre pour un lecteur moderne

  • 28 Dent : Foundations of English Opera, p. 213.

83« Elle est essentiellement baroque28 », nous dit Dent. Bien qu’appartenant à une certaine tradition du madrigal, n’est-elle point, en effet, le propre d’un âge où il importait de donner une traduction plastique à la moindre émotion, à la moindre allégorie ?

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Notes

1 Cf. Luminalia or the Festival of Light : « A masque... that might give occasion for variety of scenes, strange apparitions, songs, musick and dancing of severall kinds ;. from whence does result the true pleasure peculiar to our English masques, which by strangers and travellers of judgement are held to be as noble and ingenious as those of any other nations ».

2 Hall : « The Union of the two noble and illustre Families of Lancaster and York » citée dans P. Reyher Les Masques anglais : « On the daie of the Epiphanie at night the Kyng with XI other wer disguised after the maner of Italie, called a maske, a thyng not seen afore in Englande... ».

3 « Everyman in his humour ». Quarto V - I.

4 Jocquet, Vérirable Recueil des Triomphes pour le mariage de Frédérick V et de Madame Elisabeth, Heiddberg, 1615. (British Museum 605 a 27).

5 « After rhe eulogis of the couple pronounced by Riches and Honour all the masque began to dance a ballet with such finish that it left nothing to be desired ». Calendar of State Papers, Venitian, Vol. XII, n° 832, p. 532, Foscarini.

6 « A golden world has been created and it reawoke in us strange feelings that il was a work of art too wonderful to end and mingled with the regretful sense of unreality and evanescence ». E. Welsford, The court Masque, p. 373.

7 « Away ! alas, he that first gave Time wild wings tofly away ». Masque of the Inner Temple.

8 Le masque exprime le souhait que quelqu'un « could catch his scythe as he doth passe and clip his wings, and break his glass... ». Masque of the Inner Temple.

9 « her white band to Eros giving / with a kisse join'd to Earth ». Masque of the Middle Temple.

10 « Attire'd after the Greek manner, Orpheus had a Laurel on his head... surrounded by Tamed beasts ». The Lords'Masque.

11 Cité dans les Fêtes de la Renaissance, C.N.R.S., p. 329.

12 The merchant of Venice, V, 1
« There not the smallest orb which thou beholdst
But in his motion like an angel sings
Still quiring to these young-eyed cherubims... »

13 « The musick changed into a very solemne ayre whiah they softly played, while Orpheus spake... » (Quarto 1613).

14 Cité dans E. Welsford, The Court Masque, p. 76.

15 « The first Days Entertainment at Rutland House by declamations and musick, after the Manner of the Ancients ».

16 « The siege of Rhodes, made a representation by the art of Prospective in scenes, and the story sung in Recitative musick ».

17 « Anything that suggests the ordinary theater of the preceding reigns. ».

18 P. Reyher, Les Masques anglais, p. 473.

19 English Dramma per Musica : « A study of musical Drama in England from·the·Siege of Rhodes to the opening of the Haymarket theater », by Robert-H. Henigan, University of Missouri, 1961.

20 J.-J. Denonain, Aspects du baroque littéraire en Angleterre, Journées internationales d'Étude du Baroque de Montauban, 1963.

21 Préface to Albion and Albanius, Dryden, 1685 : « A tragedy mix'd with opera... or a drama written in blank verse, adorn'd with scenes, machines, songs and dances... It cannot properly he called... an opera because the story of it is not sung... »

22 « The Tempest or the Inchanted Island made into an opera by Thomas Shadwell having all new in it as scenes, machines... all things perform'd in it so admirably well that not any succeding opera got more money. »

23 The English Opera or the Vocal Musick in « Psyché », cité par R. Henigan, p. 257.

24 Préface to Albion and Albanius, 1685.
« An opera is a poetic tale or Fiction represented by vocal and instrumental Musick, adorned with scenes, machines and Dancing... ».

25 Voir aussi l'idée très intéressante exprimée dans le Gentleman's Journal, January 1661, 92, p. 5 « Other nations bestow the name of opera only on such Plays whereof every word is Sung, but experience has Taught us that our English genius will not rellish that perpetuaI singing... ».

26 Cf. p. 5, Robert-E. Moore : Henry Purcell and the Restoration Stage, Heinemann, 1961.

27 Cf. Robert-E. Moore, Henry Purcell and the Restoration Stage, p. 95, 1961.

28 Dent : Foundations of English Opera, p. 213.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Françoise Mathieu-Arth, « Du masque à l’Opéra anglais  »Baroque [En ligne], 2 | 1967, mis en ligne le 24 mars 2012, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/baroque/256 ; DOI : https://doi.org/10.4000/baroque.256

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Auteur

Françoise Mathieu-Arth

Agrégée de l’Université Assistante à la Faculté des Lettres de Nancy

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