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Dossier
Outils d'urbanisme

L’implication habitante dans les quartiers dits durables : vers une participation paysagère?

Inhabitant’s involvement in the so-called sustainable neighborhoods : towards a landscape participation?
Théa Manola

Abstracts

In the context of concern about environmental issues and sustainable development, landscape is a recurrent concern. This interest comes along with an increasing consideration of desires and expectations of inhabitants. In this context, this article aims to highlight the links between sustainable neighborhood and inhabitants involvement, and the potential role of landscape in this relationship. We deliver here some of the results of the analysis of a methodological approach articulating 100 interviews, 27 multisensory walks and 23 multisensory pouches, as well as 9 semi-structured interviews with stake holders of 3 sustainable neighborhoods : WGT (Amsterdam - Netherlands), BO01 and Augustenborg (Malmo - Sweden). According to the neighborhoods studied, the inhabitant’s involvement is uneven and the landscape appears to have primarily an object status, supporting inhabitant’s involvement through occasional landscape projects. Despite the potential that it may be carrying, the landscape is often a tool of this involvement.

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Implication habitante dans le contexte du développement urbain dit durable. Quel rôle pour le paysage?

1« Développement durable », prise de conscience écologique, adaptation des pratiques et habitudes… sont quelques-uns des nouveaux mots d’ordre qui font débat. D’où les tentatives des pouvoirs publics pour faire évoluer leurs propres manières de penser et de faire, d’impliquer les habitants dans leurs actions… particulièrement dans les domaines de l’urbanisme, de l’aménagement ou encore de l’environnement. En cela, Laeticia Van Eeckhout (1999), Gérard Chouquer (2000), Philippe Clergeau (2007), comme bien d’autres, rappellent que l’aménagement d’un espace, et ainsi des territoires urbanisés, ne peut être conçu par un seul spécialiste, quel qu’il soit.

Le développement durable, un contexte favorable pour l’implication habitante

2Cette considération et implication des habitants, de plus en plus vues comme nécessaires, est en partie le résultat de deux mouvements. D’une part, la territorialisation appelle à réinterroger les logiques de « production technocratique des politiques publiques » (Rui 2004 : 33), modes de gouvernance, systèmes d’acteurs et figures historiquement légitimées de l’expertise, mettant alors en cause la double délégation politique et scientifique (Callon et al. 2001) au profit d’initiatives plus ascendantes, du moins en théorie. D’autre part, la considération croissante des préoccupations écologiques puis socio-environnementales, mettant la gouvernance, et la participation habitante, au centre de ce système de penser (Zetlaoui-Léger J. et al. 2013). Au moins dans les discours donc, la participation est devenue une règle incontournable de tout aménagement, et plus encore pour ceux qualifiés de « durables », dont les objectifs et les conditions de mise en place sont de mieux en mieux spécifiés par les textes officiels (Bacqué et Gauthier 2011). Toutefois, les effets des dispositifs mis en place (ex. réunions publiques, conseils de quartiers, ateliers participatifs, conférences de citoyens, débats publics) doivent être relativisés car ils ne signifient pas une intégration des habitants à la prise de décision, loin s’en faut. En effet, l’institutionalisation de la participation au travers de l’accumulation juridique qui oblige (rarement) ou incite (toujours) à intégrer les desseins participatifs dans les projets d’action, s’adapte précisément mal à une appropriation spontanée de la part des habitants, tiraillés entre « désaffiliation politique » (Bacqué et Sintomer 2001) et demande sociale de participation (Bacqué et Sintomer 2011).

3Ici, l’implication habitante sera abordée exclusivement à travers la question paysagère. Plus précisément, cet article vise à interroger dans quelle mesure le paysage a pu impulser une véritable participation des habitants dans 3 quartiers durables du nord de l’Europe. Si nous avons choisi de traiter la question de l’implication habitante par le paysage, c’est parce qu’au croisement de la territorialisation de l’action et des démarches socio-environnementales, et plus largement de « développement durable » (supra), le « local » est aujourd’hui placé au cœur des problématiques d’action (Ascher 2001) et semble être une échelle d’autant plus pertinente que la demande sociale, dont le bien-être et la qualité du cadre de vie font l’objet, est aujourd’hui largement prégnante. Plus encore, c’est à travers cette demande de mieux-vivre voire de bien-être et d’une meilleure qualité du cadre de vie que l’intérêt pour la question du paysage est à ce jour grandissant, exprimée directement (Luginbühl 2001) ou non.

Paysage et implication habitante : croisements théoriques

4Certes, le paysage n’a pas fait l’objet de grands discours comme les nuisances, les risques, le réchauffement climatique, etc. Il s’est installé discrètement au cœur des débats ou s’est accolé à d’autres problématiques de recherche : biodiversité, infrastructures, changement climatique, énergie éolienne… et paysage. En cela, pour certains, la question paysagère :

s’est imposée d’elle-même, une thématique dont l’importance s’est affirmée progressivement par la convergence entre deux dynamiques. D’un côté, une élite […] [qui] a progressivement conquis une place dans l’opérationnel et dans la recherche. D’un autre côté, les citoyens ordinaires […]. Partie de la société, cette préoccupation a alors été reprise dans les champs politiques et dans les champs scientifiques […] (Terrasson 2007 : 13).

5Du côté de la recherche, la théorie du paysage (Bedard 2009) est marquée par un « tournant », accentuant son regain d’intérêt. Historiquement, le paysage a été interprété comme un objet de nature exceptionnel, mis en esthétique, perçu à distance. Plus récemment, il revêt des habits plus quotidiens et ordinaires (Bigando 2006). Par une approche plus globale, il est aujourd’hui considéré comme tout autant immatériel que matériel (Luginbühl 2005), comme médiance (Berque 2000), non pas d’un seul rapport visuel et distancié mais d’un rapport multisensoriel et immersif (cf. Berleant 1992), impliquant pratiques et usages. Dans ce cadre, le paysage est considéré comme un rapport sensible entre un habitant et ses territoires de vie, rapport dont l’analyse fait appel à des éléments de connaissance et de débat relevant certes de la dimension physique du milieu, mais aussi du sensible et du symbolique (Berque 2000, Besse 2009). Il est la trace d’une société et en même temps son milieu.

6Dans la mouvance d’évolutions, lentes et encore assez exceptionnelles et en réponse à la prise de conscience croissante de décalages persistants entre l’expertise officielle et les vécus territoriaux, le paysage prend la forme d’un outil apte à traiter de manière innovante les démarches de projet, et, comme certains travaux le montrent (Sgard et al. 2010), semble timidement prendre la place d’un outil de facilitation de cette implication habitante, faisant passer l’habitant du statut de spectateur à celui d’acteur.

7Dans ce contexte, le paysage, par les évolutions récentes que sa pensée connaît, par les défis qu’il sous-tend, par le concernement individuel qu’il suscite, par les mobilisations qu’il nourrit… invite fortement à des modes de penser et d’agir plus pluraliste, collaboratif, et participatif… Pour preuve, la Charte européenne du paysage (2000) incite à la prise en compte du « point de vue des habitants, désignés comme parties prenantes des décisions publiques d’aménagement, la gestion et la restauration des paysages qui les concernent » (Donadieu 2005 : 36). Le paysage est alors clairement attaché aux populations locales (Lagier 2009), à l’habitant. Surtout, le paysage semble être un bon médiateur entre la voix habitante et l’action urbaine car il fait sens tout aussi bien pour les habitants que pour les porteurs de projets, tout en étant applicable à des thématiques multiples allant de la préoccupation écologique à l’attractivité touristique, ou encore l’habitabilité des territoires.

8Les liens entre paysage et participation constitue une thématique en plein essor, faisant l’objet d’un intérêt grandissant comme le prouve par exemple l’Appel à projet de recherche « Paysage et développement durable » lancé par le Ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement en 2011, qui comporte une entrée spécifique « Paysage et participation ». En effet, depuis quelques années, un certain nombre de chercheurs travaillent sur la question de la médiation paysagère. A ce titre, Paradis et Lelli (2010) proposent une ingénierie de la participation appliquée au paysage pour sensibiliser les populations aux paysages, former les acteurs institutionnels et locaux à la gestion des projets territoriaux, et accompagner la mise en œuvre durable des politiques paysagères. Cette ingénierie consiste en la mise en place d’outils spécifiques comme la cartographie des unités de paysage ou encore le photo-reportage. Dans cette approche, le paysage sort de son statut d’objet projeté par un concepteur et devient alors outil de sensibilisation et/ou de gouvernance. En essayant de concilier l’expertise du concepteur et ce qui pourrait être une implication habitante dans des projets et démarches de paysage, H. Davodeau et M. Toublanc considèrent que la médiation permet de placer :

entre le commanditaire et l’expert, […] le paysagiste dans une position médiane entre le commanditaire et les usagers, ou entre plusieurs groupes d’usagers. […] La posture du médiateur ne s’oppose pas au statut de l’expert (paysagiste ou autre) mais fait seulement évoluer son rôle : il consiste à faire s’exprimer les populations sur les qualités de leur cadre de vie […] pour ensuite trouver avec eux les meilleures options d’aménagement sachant que, si l’on peut reconnaître à l’habitant d’être un fin connaisseur de son cadre de vie, il ne s’agit pas pour autant d’en faire un expert de la conception de l’espace (Davodeau et Toublanc 2010 : 12-13).

9Dans ce cadre, le projet de paysage, comme action visant l’aménagement (matériel ou pas) d’un territoire, pourrait être le support voire l’outil de cette médiation. En effet, le projet de paysage peut être considéré, comme le soutient Donadieu (2005), comme un objet hybride (Latour 2004), entre nature et société, marché et démocratie. Il prend en compte aussi bien les préoccupations écologiques, sociales, économiques qu’identitaires, culturelles et politiques d’un territoire donné. Plus encore, par l’intermédiaire de projets de paysage ou plus largement les actions paysagères, il est constaté l’apparition : (i) de nouveaux acteurs, avec notamment une prise en compte des envies, attentes, aspirations habitantes, et (ii) de nouvelles gouvernances avec de nouveaux entrants (par exemple dans le cadre des parcs naturels régionaux). Ainsi, le paysage peut offrir un terrain de dialogue entre différents acteurs (Gorgeu et Jenkins 1995) et inviter au dépassement – du moins en théorie – des clivages disciplinaires et sectoriels de l’action urbaine.

10Cependant, ce potentiel médiateur du paysage et de ses projets n’est que peu exploité. En effet, le paysage reste souvent un objet de l’implication habitante, via des projets paysagers spatialisés (comme les parcs et jardins) et n’est que rarement outil de cette implication. C’est en tout cas la conclusion que nous pouvons tirer suite à une enquête de terrain sur 3 quartiers durables du nord de l’Europe dans le cadre de notre travail doctoral (Manola 2012) qui portait sur les conditions et apports du paysage multisensoriel pour une approche sensible de l’urbain. Ce travail a été mené en parallèle d’une recherche collective sur cette même thématique, réalisée dans le cadre du Programme interdisciplinaire de recherche : Ville et environnement, financé par le Plan urbanisme construction architecture et le Centre national de recherche scientifique (Faburel et al. 2011).

11L’article est composé de quatre parties. Dans un premier temps, nous présenterons les terrains étudiés et la méthodologie mise en place dans le cadre de l’enquête de terrain dont nous livrerons les résultats. Dans un second temps, nous aborderons les résultats de notre travail d’enquête : nous aborderons la définition habitante du paysage et le rôle de celui-ci dans les choix résidentiels et les processus d’ancrage dans les quartiers dits durables étudiés et donc peut-être à une implication plus forte. Dans un troisième temps, une présentation générale de la gouvernance des projets des trois quartiers sera livrée, questionnant la teneur de leur implication habitante. Ce qui nous permettra de mieux saisir quel rôle et selon quel processus le paysage à proprement dit a contribué ou non à faciliter l’implication des habitants dans la fabrique et l’appropriation de ces trois quartiers. Enfin, ces résultats empiriques seront discutés pour exposer certaines des conditions à laquelle semble se heurter la naissance d’une véritable participation paysagère.

Précisions sur les quartiers durables étudiés et l’enquête de terrain

12Les terrains d’étude choisis sont des quartiers singuliers par le soin qui leur a été apporté. Il s’agit de figures emblématiques de démarches qualifiées de durables : des quartiers dits durables, situés au nord de l’Europe – seule région où ce type de quartiers étaient habités depuis assez longtemps au moment de notre enquête. Dans ces quartiers, nous avons déployé une enquête de terrain auprès des habitants par des entretiens ouverts courts, des parcours multisensoriels et des baluchons multisensoriels.

Des terrains d’étude spécifiques : des quartiers dits durables

13Le choix des quartiers durables comme terrains d’étude s’est avéré particulièrement pertinent pour plusieurs raisons : le paysage est au cœur de ces projets ; plus qu’ailleurs, une volonté de faire avec et pour l’habitant est mise en avant dans ces projets et quartiers ; s’il s’agit de projets encore rares, leur multiplication et la mouvance du tout durable laisse penser que tout projet relatif à l’urbain sera une sorte de quartier durable à terme. Choisis pour leur particularisme et leur complémentarité selon différents critères sur lesquels nous ne reviendrons pas ici (dont celui d’être habité depuis assez longtemps), les quartiers étudiés sont au nombre de trois.

14Wilhelmina Gasthuis Terrein (WGT), situé à Amsterdam (Pays-Bas) est un quartier habité depuis 25 ans. Il est le résultat d’une opération de renouvellement urbain d’un ancien site hospitalier, qui a vu le jour dans les années 1980 suite à des contestations locales quant à la démolition de l’hôpital qui a conduit à l’occupation illégale du site (figure 1).

Figure 1 : Vue sur l’entrée du quartier Wilhelmina Gasthuis Terrein (Amsterdam, Pays-Bas)

Figure 1 : Vue sur l’entrée du quartier Wilhelmina Gasthuis Terrein (Amsterdam, Pays-Bas)

Photo : © Manola, 2010.

15Augustenborg, situé à Malmö (Suède) est le lieu d’une opération de « réhabilitation écologique » d’un quartier d’habitat social de 3000 habitants, très stigmatisé. La requalification de cet espace a visé la requalification esthétique et écologique du quartier, mais aussi le respect des modes de vie spécifiques des populations et leur implication dans un processus qui est en mouvement perpétuel (figure 2).

Figure 2 : Espace de jeux sonores pour enfants à Augustenborg (Malmö, Suède)

Figure 2 : Espace de jeux sonores pour enfants à Augustenborg (Malmö, Suède)

Photo : © Manola, 2010.

16Enfin, le quartier Bo01, également à Malmö (Suède), a été créé à l’occasion de l’exposition européenne de l'habitat en 2001. Son esthétique architecturale et paysagère a été très « travaillée ». Ce quartier se caractérise notamment par une mise en avant des écotechnologies, un emplacement en bord de mer, ainsi qu’une extension déjà engagée (figure 3a, 3b, 3c).

Figure 3 : Un des nombreux « squares » à l’intérieur du quartier à Bo01 (Malmö, Suède)

Figure 3 : Un des nombreux « squares » à l’intérieur du quartier à Bo01 (Malmö, Suède)

Photo : © Manola, 2010.

17Ces trois quartiers européens se sont vus appliqués la même démarche méthodologique.

La démarche méthodologique mise en place

18La démarche méthodologique mise en place visait la compréhension des rapports sensibles et sensoriels des habitants avec leur territoires de vie (Manola 2013). Outre une série de diagnostics (bibliographiques, urbanistiques, sensibles), les investigations de terrain étaient composée de deux sous-parties : une première partie axée sur les discours d’acteurs impliqués dans le conseil, la conception, la réalisation et/ou la gestion de nos terrains d’étude par des entretiens semi-directifs (9 en tout) ; une seconde partie, de loin la plus conséquente, centrée sur le discours des habitants, qui a combiné :

  • Des entretiens courts (100 en tout). De type ouverts (Blanchet et Gotman 1992), menés en face à face dans la rue ou chez les habitants suite à un contact spontané dans la rue, ces entretiens nous ont permis d’obtenir des informations sur la qualification et l’appréciation du quartier par les habitants, d’identifier le vocabulaire utilisé par la population autour des notions de paysage, d’ambiance, de bien-être ou de quartier durable, et ainsi de commencer à comprendre les liens tissés entre les populations et le projet réalisé, mais aussi le quartier.

  • Des parcours multisensoriels (27 en tout). Le parcours multisensoriel est une adaptation du parcours commenté inventé par J.-P. Thibaud et de la méthode de l’itinéraire développée par J.-Y. Petiteau. Le déroulement des parcours s’est fait comme suit : 1. Signalétique des personnes participantes ; 2. Dessin sur carte des limites du quartier ; 3. Représentation sur une carte des éléments importants, notamment sensoriels, du quartier et préparation de l’itinéraire ; 4. Parcours à proprement parlé avec focus sur certains lieux ; 5. Questions supplémentaires sur l’appréciation du quartier, les paysages et la durabilité. Les participants ont été sollicités dans les rues des quartiers étudiés.

  • Des baluchons multisensoriels (23 en tout). Cette méthode originale s’inspire des récits mis en place par J.-F. Augoyard (2001) et de différentes méthodes avec appareils photos mises en place dans le cadre de recherches en paysage (Luginbühl 1989, Michelin 1998, Bigando 2006) ou encore en urbanisme (Lelli 2003, Gwiazdzinski 2006). Concrètement, il s’agit d’assigner à un habitant volontaire un carnet avec des plans du quartier incorporés, un appareil photo jetable, un enregistreur numérique de poche, ainsi que plusieurs enveloppes pour recueillir des « objets » au cours d’une semaine.

19Concernant la passation, notons que notre démarche qualitative ne visait pas un échantillon représentatif en tant que tel. Nous avons cependant veillé au respect général des caractéristiques des quartiers étudiés (types de logement et statuts occupations, âge, genre, catégories socioprofessionnelles). Nous tenons aussi à noter que la majorité des entretiens, parcours et baluchons ont été menés en langue anglaise.

20Dans le cadre de cet article, nous mobiliserons des extraits de discours non seulement issus des entretiens auprès des acteurs institutionnels, mais également et surtout des entretiens et parcours multisensoriels auprès des habitants.

Le paysage : source d’ancrage des populations

21L’analyse du corpus recueilli suite à cette démarche méthodologique nous a permis d’obtenir plusieurs résultats. Dans cette partie nous aborderons, suite à une explicitation de la définition habitante du paysage, le rôle que celui-ci occupe dans les choix résidentiels et dans les processus d’ancrage territorial, facteurs potentiels d’une implication habitante. Les extraits de discours sont codés de la manière suivante : la première lettre correspond au quartier (W=WGT, B=Bo01, A=Augustenborg) ; la seconde lettre correspond à la méthode (E=Entretien, P=Parcours, B=Baluchon) ; le numéro correspond à l’ordre de la passation sur le terrain. Les citations sont dans la langue d’origine utilisée au cours de l’entretien, du parcours ou du baluchon.

Quelle définition du paysage par les habitants?

22Dans le cadre de notre travail de terrain, les habitants ont été directement questionnés sur la signification qu’ils donnaient au paysage. Le paysage est décrit par les habitants des quartiers de quatre manières. Par ordre décroissant d’importance, nous pouvons résumer ces manières, tels que :

  • la plus récurrente consiste en une sorte d’idéal naturel, où la présence de l’homme est quasi-inexistante ;

  • la seconde est proche de ce que nous appelons communément « paysage urbain » ;

  • la troisième est liée aux activités et pratiques individuelles et sociales ;

  • la quatrième renvoie plus aux expériences et énoncés sensoriels.

23Ces quatre façons d’aborder le paysage ne sont pas étanches les unes aux autres, mais peuvent se superposer et se combiner dans les discours habitants. Ce qui ressort de manière assez forte, c’est qu’avant toute autre chose, le paysage est une matérialité palpable pour les habitants des trois quartiers étudiés (tableau 1).

Tableau 1 : Composantes du paysage selon les habitants des quartiers

Tableau 1 : Composantes du paysage selon les habitants des quartiers

Source : © Manola, 2012.

24Le paysage des habitants est composé d’un caractère naturel fort mais qui n’exclut pas l’urbanité et l’espace urbain construit, lesquels sont même une de leurs premières composantes : « Usually, it’s outside the city, but there are also urban landscapes. Urban landscapes are composed by architecture, streets, open spaces, smaller places. » (W-E13) Dans le paysage des habitants, si la vue est présente, les autres sens le sont aussi ; les rapports sont aussi bien distanciés, contemplatifs, qu’immersifs et se rapportent principalement aux choses que nous expérimentons – « … the things that I experience » (A-E10). Le passé et le présent s’entremêlent par le biais de la qualification naturelle et urbaine (notamment architecturale) du paysage, et les espaces renvoient aussi bien à des constructions individuelles que collectives, allant du jardin en bas de chez-soi au grand paysage ouvert : « It's what surrounds, the surroundings. It's outside, outdoors. » (A-E16).

25C’est en se basant sur cette définition du paysage que nous allons aborder la suite de notre démonstration. Cette précision semble ici nécessaire car la définition habitante est moins tournée vers l’immatérialité du paysage à proprement parler. Les aspects symboliques et imaginaires du paysage sont présents dans les discours mais de manière indirecte.

Le paysage, une source d’ancrage et peu à peu d’implication dans la vie et l’évolution du quartier

26Lorsqu’on interroge les habitants d’Augustenborg, Bo01 et WGT sur les motifs de leur venue dans le quartier, ce qu’ils y apprécient le plus et les incite donc à y rester, quatre types de raisons émergent :

  • des raisons financières, qui concernent surtout l’accessibilité à des logements de qualité et à moindre coût ;

  • des raisons paysagères, qui regroupent les aménités liées à l’aménagement des espaces extérieurs et à la présence de nature ;

  • des raisons pratiques ou fonctionnelles, qui regroupent l’accessibilité aux services et la proximité du lieu de travail ou du centre-ville ;

  • des raisons sociales, qui rassemblent les sociabilités dues au voisinage et le sentiment d’appartenance à un groupe donné et de sécurité ;

  • des raisons politiques, qui concernent l’implication des habitants dans la vie, la gestion et l’évolution du quartier.

27Plus en détails, et selon quelques nuances pour les trois quartiers, le discours des habitants laisse apparaître que si les raisons de venue dans le quartier sont d’ordre multiple, les raisons pour y rester sont avant tout d’ordre paysager (tableau 2).

Tableau 2 : Les raisons de venue et les raisons de rester à WGT, Augustenborg et Bo01

Tableau 2 : Les raisons de venue et les raisons de rester à WGT, Augustenborg et Bo01

Source : © Manola, 2012.

28A WGT, les raisons paysagères sont seulement en quatrième position dans les motifs des choix résidentiels des habitants mais occupent la première place dans le choix de rester. En effet, les caractéristiques naturelles (« Relaxing, there is some nature, the water, the trees, not too much people. » (W-E9) ; et/ou urbaines voire architecturales (« Il y a des beaux bâtiments » [W-E4]) qui composent le(s) paysage(s) du quartier sont les raisons principalement évoquées concernant le choix de rester à WGT. Ces deux éléments sont étroitement associés à des activités et habitudes quotidiennes : « le petit jardin de jeux pour les enfants, on y vient tous les jours » (W-E20).

29A Bo01, les raisons paysagères sont principalement celles qui attirent les habitants du quartier et qui structurent leur choix résidentiel. Elles sont aussi les premières raisons évoquées lorsqu’il s’agit d’expliquer pourquoi les habitants apprécient leur quartier et souhaitent continuer d’y habiter. Ces raisons de rester dans le quartier et les éléments qui, selon les personnes interviewées, composent le quartier, sont en priorité liées : aux repères architecturaux (« We like it, the architecture, the different size of houses, it stimulates » [B-E7]) ; à la présence de la mer et au caractère côtier qu’elle offre au quartier, élément évoqué par 11 personnes sur 27 (« Nice to live here, because it’s near to the sea » [B-E5]) ; ainsi qu’à d’autres objets paysagers comme la promenade en bord de mer, les jardins, parcs, espaces de jeux pour enfants souvent liés à des pratiques et activités quotidiennes ou saisonnières.

30À Augustenborg, les raisons paysagères sont les dernières (et très peu) évoquées par les habitants quand ceux-ci relatent pourquoi avoir choisi ce quartier pour résidence. Augustenborg constitue, pour la majorité des personnes interrogées, un « non-choix » ou un choix contraint. Or, quand il s’agit des raisons qui participent à l’appréciation positive du quartier et la volonté de continuer d’y habiter, les raisons paysagères ainsi que sociales occupent la première place. Concernant les éléments paysagers qui participent à cette envie de demeurer à Augustenborg, sont à mentionner : le parc, les espaces de jeux pour enfants et, dans une moindre mesure, les aménagements avec l’eau : « The surroundings : many playgrounds for children. A lot of green environment, parks. » (A-E1). Il s’agit aussi d’espaces libres, jugés comme ayant une grande importance : « Free spaces, the green. » (A-E19) ; « Parks, trees, nature, it’s everything. » (A-E11). Ce sont des lieux qui rendent le quartier plus agréable, s’opposant et équilibrant le caractère minéral de la ville (« The green areas, because, buildings in concrete are boring. » [A-E21]), donnant ainsi un sentiment de vivre dans un « village » (« Parks surrounding the buildings, peacefully, don't feel living in the town. » [A-E28]) tout en favorisant des usages, pratiques et comportements singuliers (« Open places for children, we can do some grill, we have the possibility to stay outside, use the bicycle. » [A-E25]) et qui rendent le quartier différent du reste de la ville (« Nature, trees, birds, architecture. It’s best than the rest of Malmö » [A-E30]).

31A la lueur de ces résultats, un regard sur les processus de réalisation des différents projets ne nous permettrait-il pas de mieux comprendre dans quelle mesure les composantes de ces quartiers – dont le paysage – ont pu être souhaitées et alors valorisées et appropriés (ou non) par les habitants?

Implications habitantes variables selon les quartiers durables étudiés. Les objets paysagers, espaces de prédilection pour l’implication habitante

32La gouvernance est une question centrale des projets de quartiers durables, comme par ailleurs de la majorité des réflexions et projets urbains contemporains. Cependant, sa mise en place varie sensiblement selon les projets étudiés. En ce sens, si l’implication d’acteurs institutionnels multiples semble être un trait commun des différents quartiers durables, l’implication d’acteurs non institutionnels est bien moins généralisée.

33Nous verrons que l’implication des habitants dans le processus de projet est bien inégale selon les quartiers. Il ressort cependant de l’analyse des discours que dans les deux quartiers qui ont fait et qui font l’objet d’une implication habitante (WGT et Augustenborg) et même à la hauteur de l’implication effective à Bo01, le paysage et plus précisément les objets paysagers revêtent un rôle central. Dans cette configuration, les habitants se mobilisent autour d’un objet paysager (un jardin, un square, un parc…) et participent à sa conception voire à sa gestion et à son évolution dans le temps. Cette situation est constatée dans les trois quartiers étudiés.

Bo01 : Une dynamique d’action descendante et seulement une appropriation utilitaire des espaces privés et semi-collectifs ouverts

34Bo01 est un projet initié par la Ville de Malmö. Si le projet révèle une coopération entre divers acteurs – aussi bien politiques (échelles européenne, régionale, métropolitaine) que techniques (agences d’énergies, promoteurs), etc. – il semble toutefois marqué par l’absence significative de mobilisation habitante dans le processus de construction. En effet, la participation des habitants au projet et à sa gestion s’est limitée à une participation anecdotique, car non pérennisée, de leur part. Les populations résidentes ont pu néanmoins participer à des groupes de travail, mais qui consistaient plus en des arènes de discussion que de décision, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle ces arènes ont été rapidement désertées par les populations :

They were just consulted. We just consulted them. This was clear and I think that was very important because people get very upset if they get the impression that they are going to have a lot of power. And also no people lived in the Western Harbour, it was empty. It’s very difficult to have a good involvement (entretien avec un architecte).

35D’autre part, aucun dispositif de coordination de l’ensemble des acteurs ne semble avoir vu le jour dans le cadre de ce projet. Les efforts en terme de gouvernance renouvelée au travers d’un projet de développement urbain dit durable n’ont pas été intégrés. Cependant et même si l’implication habitante est restée anecdotique, quant elle a eu lieu, elle a concerné l’aménagement paysager des îlots d’habitation.

36Aujourd’hui, le quartier est habité et une appropriation postérieure au projet semble éclore. Comme relayé par certains habitants du quartier, les espaces ouverts attenants aux habitations sont gérés par les habitants eux-mêmes et donc parfois complètement modifiés pour satisfaire leurs besoins et envies :

Let me show something else more close to home. This is our community part here… When it was built it was like all plants and flowers and it looked very nice but it was completely useless… So we got together and pulled those things up and we put some grass, and it’s very nice because people can come here, we talk, etc. It gives a neighborhood feeling cause of that… it’s nice and we all have our private garden and this one… this wasn’t originally meant to be but now we have some barbecues and parties, children play here. Now it’s a quiet time, people are on holidays but usually there are more people. It doesn’t look really nice but it’s nice to come here and take a coffee and children playing football or something… (B-P2) (figure 4).

Figure 4 : Jardin collectif à Bo01

Figure 4 : Jardin collectif à Bo01

Photo : © Manola, 2010

37L’investissement de ces espaces extérieurs à fort caractère paysager ont été effectifs après la livraison du projet. Cette investissement répond avant tout dans une volonté d’utiliser les espaces de la maison (au sens bachelardien) selon ses besoins et envies, et s’est concentré essentiellement dans les parties privées ou semi-collectives du quartier (comme les jardins en cœur d’ilot) :

and here we have common barbecues and there is wood and grass and children can play… I like gardening as well and we do a lot of things in our garden, for instance this is a Halloween pumpkin that we had, I took out the pot and I plant it and now it’s everywhere and it’s very nice… and everyone does the same thing… (B-P5) (figure 5).

Figure 5 : Jardin collectif à Bo01

Figure 5 : Jardin collectif à Bo01

Photo : © Manola, 2011

38Les espaces publics à proprement parler du quartier n’ont pas été investis matériellement par les habitants de manière permanente ou occasionnelle. Il faut ici préciser que ces espaces (appropriés de manière plutôt usuelle) sont bien plus dessinés et soignés par les concepteurs du quartier et constituent des espaces symboliques forts du quartier (pour les pouvoirs publics mais aussi pour les habitants de Bo01).

Augustenborg : une implication des populations dans un processus orchestré par les gestionnaires du quartier

39Le projet d’Augustenborg (Malmö), réalisé par les mêmes services municipaux que Bo01, est bien différent de Bo01 :

In Augustenborg, this was a quite large department because we had to consult the residents from the start and we organized some workshops… about how they actually what their court-yard to be designed, and also when they would change the waste system there was a lot of education of residents, by showing them how to do with the different materials… and also I think there was an education in schools, looking after the new resources houses for kids… and this kind of things (entretien avec un chargé de mission).

40Mais si cette consultation a été nuancée par certains habitants, des points positifs sont à souligner :

That was thought very much from the start. It was a very open participation project, people were invited in number of occasions and about different topics. But we always finished by having a number of really committed residents that wanted to do more (entretien avec un chargé de mission).

41Ainsi, les habitants volontaires furent directement impliqués afin de leur permettre une meilleure appropriation du projet, et d’autre part d’être sensibilisés sur de nombreuses thématiques environnementales. Comme nous l’a dit la responsable de MKB (équivalent du bailleur social à Augustenborg), la sensibilisation concernant le tri sélectif, les systèmes de laveries partagées, la co-conception d’espaces extérieurs… sont autant d’actions qui visent une sensibilisation, une participation, ainsi qu’une implication des habitants dans la vie et l’évolution de leur quartier :

Involve people… all the neighbours connected to each area and if you were interested to product ideas you had the possibilities and the landscape architect was there and people came or not… we see the difference in some gardens… there were some wide guides given… so sometimes people were disappointed because we didn’t always told them that some thing weren’t possible… but we try to meet people for all material projects (entretien avec un bailleur social du quartier).

42Ainsi, la population du quartier a été intégrée dans la réalisation de nombreux aménagements, allant de l’espace public aux maisons de tri des déchets en passant par la construction de l’atelier de troc et de dépôt des matériaux usés par exemple, et ce de manière continue dans le temps :

We have an 8 step guide : that is important to let everyone know… because everybody has the right to know even if only the ones that want to be involved. And after the meeting, even if there were only 5 people present you have to inform every one… “thank you and those thing have been discussed and that is what it will be done”… and we inform people for every change in Augustenborg. We try… (entretien avec un bailleur social du quartier).

43Les habitants ont donc été impliqués de manière institutionnelle dans le cadre du projet central de l’Ekostaden, à savoir la réhabilitation écologique des espaces extérieurs du quartier par un projet paysager. Ce processus participatif a alors porté en grande partie sur des objets de paysage et il continue à ce jour :

And here we are going to do a landscape project and we want that people participate… so we are going to call them, invite them for like a coffee and discuss what we think to do, to know their opinion… (entretien avec un bailleur social du quartier).

44La société MKB (propriétaire et gestionnaire du quartier) considère le projet non seulement comme une réalisation matérielle à atteindre mais aussi comme une démarche sur le long terme, un processus en perpétuel mouvement (Toussain et Zimmermmann 1998) :

Augustenborg it’s not a project, it’s a process… Before it was more a project, with actors etc… a more classic project… now it’s more like a process… it’s a way of thinking… (entretien avec un bailleur social du quartier).

45MKB souhaite une implication forte des habitants. Dans ce cadre, l’initiative « Cultiver en bas de chez-soi » s’inscrit dans cette volonté et vise, en se basant sur de simples objets (ici des bacs à fleurs), à impulser une dynamique bien plus générale. L’initiative, lancée en 2010, consiste à proposer des jardinières à installer en bas de chez les habitants afin de cultiver des légumes, des herbes aromatiques, des fleurs :

That’s one way to inspire to use to be involved in the landscape transformation… We offer them, growing vegetables boxes… They can buy the plants that they want and make what they like… participate in a landscape way… It’s like an urban agriculture… and it can make people care more about the environment (entretien avec un bailleur social du quartier).

46L’objectif ici n’est pas la réalisation du bac à fleur lui-même mais le lancement d’un processus participatif plus large, avec à terme le réaménagement de la totalité des jardins en bas d’immeubles sur la base d’ateliers participatifs avec les habitants (figure 6).

Figure 6. « Cultiver en bas de chez-soi »

Figure 6. « Cultiver en bas de chez-soi »

Photo : © Manola, 2010.

WGT : un processus (partiellement) ascendant, une co-production et une gestion autonome des espaces extérieurs

47Dans le cas de WGT, le cœur du quartier a été réalisé suite à une démarche ascendante, menée en autogestion à l’issue de luttes locales pour préserver les bâtiments d’un hôpital promis à la démolition au début des années 80. Depuis, une association nommée Wilhelmina Gasthuis (WG) participe activement à la gestion du site de l’ancien hôpital (Entretien Secrétaire de l’association WG). Elle gère la partie centrale du quartier et contrôle les changements de locataires et les entreprises installées sur une bonne partie du site. Dans le reste du quartier, un bailleur gère les logements sociaux de la partie Ouest, et une association de copropriétaires gère la partie Est du quartier. Plus largement et entre autre par cette gestion multiple notamment associative, une certaine implication dans la vie collective est promue. Celle-ci n’est pas seulement relative à la vie et la gestion du quartier mais aussi à son évolution physique. En effet, au moment de la conception des différentes phases du projet, une implication habitante forte a existé :

  • Lors de la première phase de réhabilitation des pavillons 1 et 2, dans un esprit bon-enfant regretté par certains ;

  • Lors de la conception du plan d’ensemble du quartier, des échanges ont été organisés par le gouvernement local.

  • Et même pendant la conception des bâtiments des logements sociaux à l’ouest du quartier et des logements intermédiaires de l’est du quartier.

48Dans ce contexte participatif fort, les espaces paysagers ont eu un rôle central :

Par exemple, la nouvelle conception du square […] fut réalisée avec les populations qui vivent et travaillent ici. […] Les populations ont une grande connaissance de la manière dont tout ceci fonctionne (entretien avec un cadre de l’association).

49En effet, comme nous l’a expliqué Jianho Kwa (architecte ayant participé tout aussi bien à la réhabilitation des pavillons centraux qu’à la construction des logements à l’Est du quartier), la participation des habitants est centrale dans ce quartier, que ceci concerne les parties anciennement squattées ou les parties entièrement rénovées. Cet architecte lui-même souhaitait « let the opportunity at people to be able to do what they want », tel que par exemple :

the small spaces with in front of the houses weren’t planted, it was the same thing for the spaces in the balconies… people should be able to do what they want and it’s the architects place to give them this possibility (entretien avec un architecte).

50Aussi, une participation plus organisée a été mise en place lors du projet de la construction des bâtiments de la partie Est :

Every Friday we met in order to talk about the project… there were plenty of people… those meetings have changed some things… for instant, the garden wasn’t meant to be like that… it was good but it wasn’t always simple (entretien avec un architecte).

51Plus largement, les habitants de WGT ont investi de manière forte les espaces paysagers, notamment les parcs et jardins :

There were everywhere people that did a lot themself… in terms of senses, people with a chicken, a coq… plant a tree, flowers, etc. We what we made, our thought was that, to make a structure and that people can do themselves » (entretien avec un architecte).

52Plus encore, certaines parties ont même été investies sans l’accord de la municipalité :

And this is the gardens of friends of mine… we are a little bit anarchists and we took it to ourself and did it ourself… and they did a really beautiful garden and they spend a lot of time to make it beautiful and all the people enjoying it… I think it’s a very special place… that people take for them self and everybody is enjoying it (W-P4) (figures 7a, 7b).

Figure 7a : Photo du jardin comme réalisé selon les envies des habitants de WGT

Figure 7a : Photo du jardin comme réalisé selon les envies des habitants de WGT

Photo : © Manola, 2010.

Figure 7b : Photo du jardin investi spontanément par les habitants de WGT

Figure 7b : Photo du jardin investi spontanément par les habitants de WGT

Photo : © Manola, 2010.

Passer du paysage objet/support au paysage outil/approche pour une véritable « participation paysagère » 

53Comme nous venons de le voir, le paysage occupe, à des degrés différents, une place importante dans les processus d’implication habitante dans les quartiers durables de Suède et des Pays-Bas ici étudiés. Cependant, ce rôle est limité à celui d’un objet support de l’implication habitante. Ce qui n’est pas sans faire d’écho à bien d’autres quartiers, durables ou non. En effet, les espaces publics, et plus spécifiquement les espaces à caractéristiques naturels, sont les objets d’applications des différents processus participatifs dans une grande majorité de projet en France et plus largement en Europe. Comme une récente recherche portant sur la participation habitante dans les éco-quartiers français le montre :

les espaces publics apparaissent comme les plus petits dénominateurs communs aux expériences participatives les plus ambitieuses menées par les collectivités. Les espaces verts, plus précisément, sont le plus volontiers "concertés", "coproduits" voire envisagés comme pouvant faire l'objet d'une cogestion ultérieure. Il est beaucoup plus rare que des schémas d’aménagement urbains ou des opérations de construction aient été co-élaborés avec des habitants (Zetlaoui-Léger 2013 : 115).

54Si les espaces publics, et a fortiori verts, sont choisis pour être des supports de l’implication habitante, ce n’est pas surprenant. En effet, ces objets paysagers ne sont pas seulement des espaces publics à part entière – espace du partage de ce qui est commun – mais ils cristallisent la totalité des thématiques du développement durable : une approche environnementale, sociale, politique, économique, culturelle… Dans le cas des quartiers durables étudiés, ils ne sont pas seulement des « espaces verts » mais aussi des espaces de sociabilité, de mixité, d’investissement collectif, d’échange et de partage.

55Or, ces avantages multiples qui ont valu à ces objets paysagers leur rôle central dans l’implication habitante ont aussi valu une appréhension du paysage comme un seul objet spatial et ont complètement occulté le paysage comme idée plus générale et comme outil au service de l’implication habitante. En effet, dans les quartiers étudiés, mais aussi plus largement, le paysage est de plus en plus présent dans les processus participatifs (avant, pendant ou après les projets) en tant qu’objet à aménager. Il est bien plus rare de constater l’utilisation du paysage comme outil de cette implication, voire d’une gouvernance, comme moyen d’initier le dialogue et l’échange, le partage des savoirs des différentes parties prenantes du territoire afin de co-construire non seulement un objet spatial mais aussi et avant tout une vision territoriale. Telle est la possibilité qu’offre pourtant une approche par le paysage. Mais cet objectif n’est pas encore atteint.

56Si cette possibilité n’est pas atteinte, c’est parce que le passage d’un paysage objet à un paysage outil n’est pas sans poser un certain nombre de difficultés et questionnements – entre autres :

  • Les routines et habitudes de l’action positionnent encore souvent l’« expert » (notamment les concepteurs) comme seul traducteur du sensible, notamment abordé par ses aspects esthétiques (Gardesse 2011), et donc seul concepteur du paysage, laissant alors à l’habitant la seule place de l’usager qui peut avoir un avis sur les usages et pratiques à venir mais pas sur des éléments autres, esthétiques, symboliques, etc. Cependant, depuis quelques années, nous constatons l’apparition de plusieurs collectifs, tous constitués d’équipes pluridisciplinaires et appartenant à la nouvelle génération (par exemple Bruit du frigo, Alpage, Passeurs), qui mettent en place des démarches paysagères dans le cadre desquelles le paysage est un outil plus qu’un objet et où les habitants s’expriment de manière bien plus large sur les paysages de leurs territoires de vie. Serions-nous au cœur d’un changement des pratiques paysagères (au sens large du terme) ? Y aurait-il, comme le soutient Odile Marcel (2009), un élan naissant chez les jeunes paysagistes de s’intéresser au vécu, à l’expérience ?

  • Ce nouvel élan possible est aussi à rapprocher des liens et passerelles, aujourd’hui peu présents, entre conception paysagère et recherche paysagère. Des échanges entre les deux pourraient s’avérer bénéfiques afin de dépasser le paysage objet car si la conception paysagère pose inévitablement le paysage comme objet (à concevoir, à aménager, à projeter), la recherche paysagère (très active dans les territoires francophones) aborde le paysage bien plus comme un outil, une notion, une approche (Berque 2000, Cauquelin 2002). Ainsi, les outils forgés dans ces deux milieux pourraient se nourrir les uns les autres afin d’aborder le paysage de manière holistique et donc fidèle à son essence.

  • Dans le prolongement, la définition du « projet de paysage », construit après les Trente Glorieuses comme un projet interventionniste et tourné vers le design, serait aussi à reconsidérer. En effet, si nous acceptons ce passage d’un paysage objet d’aménagement participatif à un paysage outil de cette participation, le projet devra dépasser le seul aboutissement physique d’une projection sur papier, et sortir des cadres préétablis d’une procédure linéaire, pour devenir un processus partagé, une démarche.

57Il reste alors encore plusieurs pas à franchir pour une véritable « participation paysagère » : passer de la co-production (déjà difficile) d’objets paysagers à une approche paysagère de l’espace, notamment urbain… Ce qui permettrait d’intégrer les préoccupations écologiques, sociales, économiques, politiques, esthétiques, tout en prenant en compte le vécu et les désirs habitants ainsi que les avis et positions des autres parties prenantes du territoire, notamment des concepteurs.

Bibliographie

58ARENE. 2005. Quartiers durables, guide d’expériences européennes. Île-de-France, ARENE.

59Ascher F. 2001. Les nouveaux principes de l’urbanisme. Paris, L’Aube.

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61Bacqué M-H et Sintomer Y. 2001. Affiliations et désaffiliations en banlieue. Réflexions à partir des exemples de Saint-Denis et d'Aubervilliers, Revue française de sociologie : 217-249.

62Bacqué M-H et Sintomer Y. 2011. « Le temps long de la participation », in Bacqué M-H et Sintomer Y. La démocratie participative. Histoire et généalogie. Paris, La Découverte : 9-35.

63Bacqué M-H, Gautier M. 2011. Participation, urbanisme et études urbaines. Quatre décennies de débats et d’expériences depuis “A ladder of citizen participation” de S.R. Arnstein”. Participation 1 : 36-66.

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65Berleant A. 1992. The aesthetics of environment. Philadelphia, Temple University Press.

66Berque A. 2000. Médiance. De milieux en paysages. Paris, Belin.

67Besse J-M. 2009. Le goût du monde. Exercices de paysage. Arles, Actes sud/ENSP.

68Bigando E. 2006. La sensibilité au paysage ordinaire des habitants de la grande périphérie bordelaise (communes du Medoc et de la Basse Vallée de l’Isle). Bordeaux, Université de Bordeaux 3, thèse de doctorat, http ://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00148440/ (consulté en septembre 2013).

69Blanchet A, Gotman A. 1992. L'enquête et ses méthodes. Paris, Nathan Université.

70Callon M, Lascoumes P, Barthes Y. 2001. Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique. Paris, Le Seuil.

71Cauquelin A. 2002. L'invention du paysage. Paris, Presses universitaires de France.

72Champy F. 1999. Vers une déprofessionnalisation? L'évolution des compétences des architectes en France depuis 1980. Cahiers de la Recherche architecturale et urbaine 2-3, n° spécial « Métiers » : 27-38.

73Chouquer G. 2000. L’étude des paysages : Essais sur leurs formes et leur histoire. Paris, Errance.

74Clergeau P. 2007. Une écologie du paysage urbain. Rennes, Apogée.

75Davodeau H, Toublanc M. 2010. Le paysage outil, les outils du paysage. Principes et méthodes de la médiation paysagère, OPDE Outils pour décider ensemble, Aide à la décision et gouvernance, Recueil des communications du colloque des 25/26 octobre à Montpellier : 375-391.

76Donadieu P. 2005. « Le paysage et les paysagistes. Paysager n’est pas seulement jardiner », in Droz Y, Miéville-Ott V (dir.) La polyphonie du Paysage. Lausanne, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes : 21-52.

77Faburel G, Manola T, Geisler E, Davodeau H, Tribout S. 2011. Les quartiers durables : moyens de saisir la portée opérationnelle et la faisabilité méthodologique du paysage multisensoriel? PIRVE 2008 « Villes durables » pour le CNRS et le PUCA, rapport final, http ://urbamet.documentation.developpement-durable.gouv.fr/documents/Urbamet/0313/Urbamet-0313103/pcaouv00199968.pdf (consulté en septembre 2013)

78Gardesse C., 2011, La « concertation » citoyenne dans le projet de réaménagement du quartier des Halles de Paris (2002-2010), Créteil, Institut d’Urbanisme de Paris-Université Paris-Est, thèse de doctorat, http ://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00765856/ (consulté en septembre 2013)

79Gorgeu Y, Jenkins C. 1995. La Charte paysagère : outil d'aménagement de l'espace intercommunal. Paris, La Documentation Française.

80Gwiazdzinski L. 2006. Traversées nocturnes, in Le Floc’h M (ed.) Mission repérage. Un élu un artiste. Vic-la-Gardiole, Editions L’entretemps : 241-242.

81Latour B. 2004, Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en démocratie ?. Paris, La Découverte.

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83Le Floch S, Fortin M-J. 2011. Le souci de l’acceptabilité sociale des projets énergétiques éoliens : entre consentement passif et adhésion volontaire des populations. Papier présenté au Colloque international « Paysage et Développement Durable », Perpignan, MEDDTL, 16-18 mars 2011.

84Lagier A. 2009. Trois apports de la Convention de Florence, in Bédard M (dir.) Le paysage comme projet politique. Montréal, Presses de l’université du Québec : 277-302.

85Luginbühl Y. 1989. Paysages élitaires et paysages ordinaires. Ethnologie française XIX(3) : 227-236.

86Luginbühl Y. 2001. La demande sociale de Paysage. Rapport de recherche pour le Conseil National du Paysage, Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement, http ://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/014000726/0000.pdf (consulté en septembre 2013).

87Luginbühl Y. 2005. Synthèse scientifique du programme de recherche « politiques publiques et paysages, http ://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/DGALN_synthese_PPP.pdf (consulté en septembre 2013).

88Manola T. 2012. Conditions et apports du paysage multisensoriel pour une approche sensible de l’urbain. Mise à l’épreuve théorique, méthodologique et opérationnelle dans 3 quartiers dits durables européens : WGT, Bo01, Augustenborg. Créteil, Institut d’Urbanisme de Paris-Université Paris-Est, thèse de doctorat, http ://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00732261/ (consulté en septembre 2013).

89Manola T. 2013. Rapports multisensoriels des habitants à leurs territoires de vie. Retours critiques sur une démarche méthodologique. Norois 227(2) : sous presse.

90Marcel O. 2009. L’espace citoyen. Le paysage comme outil de l’action démocratique, in Bédard M (dir.) Le paysage comme projet politique. Montréal, Presses de l’université du Québec : 225-251.

91Michelin Y. 1998. Des appareils photo jetables au service d’un projet de développement : représentations paysagères et stratégies d’acteurs locaux de la montagne thieroise. Cybergeo : European journal of geography, http ://cybergeo.revues.org/5351 (consulté en septembre 2013).

92Paradis S, Lelli L. 2010. La médiation paysagère, levier d’un développement territorial durable? Développement durable et territoires 1(2), http ://developpementdurable.revues.org/8548 (consulté en septembre 2013).

93Pernet A. 2008. Le journal des poirières. Pour une approche relationnelle de la médiation paysagère. Les Cahiers de la compagnie du paysage 5 : 253-269.

94Renaud Y, Tonnelat S. 2008. La maitrise d'œuvre sociologique, les Jardins d'Eole à Paris. Les Annales de la Recherche Urbaine 105 : 55-65.

95Rui S. 2004. La démocratie en débat. Les citoyens face à l'action publique. Paris, Armand Colin.

96Semmoud N. 2007. La réception sociale de l’urbanisme. Paris, L’Harmattan.

97Sgard A, Fortin M-J., Peyrache-Gadeau V. 2010. Le paysage en politique. Développement durable et territoires 1(2) – Dossier Paysage et développement durable, http ://developpementdurable.revues.org/8522 (consulté en mai 2013).

98Stengers I. 2002. Sciences et pouvoirs. La démocratie face à la technoscience. Paris, La Découverte.

99Terrasson D. 2007. Introduction, in Berlan-Darqué M, Luginbühl Y, Terrasson D (eds) Paysages : de la connaissance à l’action. Paris. Quae : 11-17.

100Toussaint J-Y, Zimmermann M. 1998. Projet urbain. Ménager les gens, aménager la ville. Liège, Pierre Mardaga.

101Van Eeckhout L. 1999. Regards croisés sur la ville. La Tour d'Aiguës, L’Aube.

102Zetlaoui-Léger J. et al. 2013. La concertation citoyenne dans les projets d'écoquartiers en France : évaluation constructive et mise en perspective européenne, Rapport final, Programme CDE, http ://observatoire-territoires-durables.org/spip.php?article1565 (consulté en septembre 2013).

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Title Figure 1 : Vue sur l’entrée du quartier Wilhelmina Gasthuis Terrein (Amsterdam, Pays-Bas)
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Title Figure 2 : Espace de jeux sonores pour enfants à Augustenborg (Malmö, Suède)
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Title Figure 3 : Un des nombreux « squares » à l’intérieur du quartier à Bo01 (Malmö, Suède)
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Title Tableau 1 : Composantes du paysage selon les habitants des quartiers
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Title Tableau 2 : Les raisons de venue et les raisons de rester à WGT, Augustenborg et Bo01
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Title Figure 4 : Jardin collectif à Bo01
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Title Figure 6. « Cultiver en bas de chez-soi »
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Title Figure 7a : Photo du jardin comme réalisé selon les envies des habitants de WGT
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Title Figure 7b : Photo du jardin investi spontanément par les habitants de WGT
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References

Electronic reference

Théa Manola, L’implication habitante dans les quartiers dits durables : vers une participation paysagère? Articulo - Journal of Urban Research [Online], Special issue 4 | 2013, Online since 25 November 2013, connection on 29 March 2024. URL: http://journals.openedition.org/articulo/2251; DOI: https://doi.org/10.4000/articulo.2251

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Théa Manola

Chercheuse. UMR CNRS LADYSS, Paris, Lab'Urba, Créteil & Atelier de recherche Politopie, Vitry-sur-Seine. Contact : thea.manola@gmail.com

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