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Esthétiques subversives

Les corps trans : disciplinés, militants, esthétiques, subversifs

The Trans Bodies : Disciplined, Militant, Aesthetic, Subversive
Karine Espineira
p. 84-95

Résumés

La visibilité transgenre a une histoire et elle ne se réduit pas à la une du Time (Cox 2014) ou à celle de Vanity Fair (Jenner 2015). La « fierté trans » qui accompagne cette visibilité récente n’a pas toujours été exprimée comme telle. Les expressions « erreur de la nature » et « un.e femme/homme enfermé.e dans un corps d’homme/de femme » ont souvent fait partie des témoignages des personnes trans dans les médias. Ces expressions associées aux récits de vie trans décrivent l’identité mais aussi un état du corps qui dépasse la question de l’opération de réassignation de sexe. L’auto-invisibilisation comme l’auto-étiquetage comme « trans » engagent les questions parfois croisées et liées aux corps disciplinés, aux politiques de l’émancipation, au passing (oppression, effacement, choix, pouvoir ?) aux usages du corps comme outil militant, aux perspectives esthétiques et subversives d’une marche de visibilité et d’affirmation jusqu’aux estrades des défilés de mode, en passant par les projecteurs des plateaux de tournage. Ces évolutions conduisent-elles vers des corps « trans-formés dépathologisés » ?

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Texte intégral

  • 1 Ces observations s’appuient sur les données d’une recherche menée sur les constructions médiatiques (...)

1Nombreux sont les témoignages de personnes trans, qui pour expliquer leur transidentité1, affirment dans les médias : je suis une femme enfermée dans un corps d’homme ou je suis un homme enfermé dans un corps de femme. S’intéresser aux corps trans, permet de dépasser le cadre des représentations les plus connues des corps masculins et féminins posttransition, présentés ou mis en scène dans les médias (de la presse écrite aux médias audiovisuels) et liés aux recours aux technologies médicales (hormonothérapies, chirurgies).

  • 2 Auto-étiquetage : visibilité en tant que personne trans, un coming out trans.
  • 3 En résumé : ne pas se faire détecter comme personne trans et être anonyme dans l’espace public.

2S’il nous semble important de penser le corps trans au-delà des considérations strictement médicales, poser des cadres à cette réflexion est un premier enjeu que nous souhaitons partager dans cette contribution à travers une exploration dont nous prenons la mesure à l’énoncé des questions et des pistes possibles : Qu’est-ce qu’un corps trans ? Qu’est-ce qu’un corps auto-étiqueté2 trans ? Quels sont les rôles des normes (le corps discipliné et le passing3) et des politiques d’émancipation (le corps comme outil militant) ?

  • 4 Lire entre autres ouvrages : Stryker 2008, 2017 ; Foerster 2006, 2012 ; Meyerowitz, 2004.

3Dans un premier temps, nous proposons quelques perspectives de lectures des corps et identités trans avec les expressions « une âme de femme enfermée dans un corps d’homme », « le mauvais corps », « l’erreur de la nature », et leurs diverses reformulations entendues dans des témoignages et des présentations dans les médias depuis la fin des années 1980 à nos jours ; un exemple récent peut être donné avec l’une des éditions de l’émission Zone Interdite (« Être fille ou garçon, le dilemme des transgenres », de Clarisse Verrier, 2017). L’expression assure-t-elle une fonction décriminalisante pour les personnes concernées ? Le « crime » serait ici d’aller contre un ordre biologique (ce que la nature a fait ou produit) et un « ordre des genres » (les filles ne sont pas des garçons et vice-versa), car la transidentité n’a pas été reconnue et acceptée partout, dans le même temps, aux mêmes conditions et de la même façon4.

4Dans un second temps, nous interrogerons l’opposition entre « corps travesti » et « corps transsexuel ». Sont-ils des corps opposés ou opposables et dans quels cadres ? Dans un troisième temps, nous aborderons la notion de passing et nous expliciterons les cadres des politiques de l’émancipation. Le fait de vouloir ou devoir ne pas se faire détecter comme trans engage-t-il uniquement un processus d’oppression sur un corps à discipliner ? Le corps trans peut-il être abordé comme corps dépathologisé, c’est-à-dire comme un outil militant, esthétique et subversif ?

Le « 3e sexe » : une fonction décriminalisante ?

  • 5 Cette expression est plus rare dans l’histoire de la représentation des transidentités dans les méd (...)
  • 6 Nous nous appuyons sur nos propres recherches universitaires publiées dans deux ouvrages (2015) ain (...)
  • 7 Entre guillemets : le titre de l’édition ou du numéro ; entre parenthèses : titre de la collection, (...)
  • 8 Ces exemples sont donnés à titre indicatif, car ils sont nombreux. Le corpus de l’étude de 2008-201 (...)

5Les expressions « une âme de femme enfermée dans un corps d’homme » et « une âme d’homme enfermée dans un corps de femme »5 font partie, avec l’expression « erreur de la nature », des phrases récurrentes dans les témoignages des personnes trans dans les médias et la littérature6. Dans le cadre des émissions de télévision, l’expression est entendue dans des programmes des années 1970-1980 jusqu’à nos jours, des émissions de l’après-midi, telles que « Demain »7 (Histoire de l’Amour, Antenne 2, 1978), « Les transsexuels » (Aujourd’hui madame, Antenne 2, 1980), « Je suis devenue femme à 60 ans » (Toute une histoire, France 2, 2016), jusqu’aux débats et documentaires des premières ou secondes parties de soirée : « D’un sexe à l›autre, elle ou lui ? » (Les dossiers de l’écran, Antenne 2, 1987), « Les Transsexuels » (En quête de vérité, TF1, 1992), « Je suis né dans la peau d’un autre » (Bas Les Masques, France 2, 1996), « Nés dans le corps d’un autre » (La vie comme un roman, documentaire de Stéphane Trichard, France 3, 2006), « Changer de sexe, pour un instant ou pour la vie » (Nouveaux regards, France 4, 2009), « Être fille ou garçon, le dilemme des transgenres » (Zone Interdite, documentaire de Clarisse Verrier, M6, 2017)8.

  • 9 Traduction : Une femme enfermée dans un corps d’homme.

6L’Anima muliebris in corpore virili inclusa9 a parfois été traduite par « une femme née dans un corps d’homme ». Faut-il traduire inclusa par « enfermée » ou par « née » ? « Enfermée » signifie « prisonnière » et postule un état de l’âme d’un point de vue essentialiste ; « née » postule un état de l’âme d’un point de vue naturaliste. Le sociologue Éric Fassin souligne d’ailleurs que cette « âme de femme dans un corps d’homme » renvoie à l’ensemble de ce qu’on appelait des « psychopathologies sexuelles » (Fassin 2009), troublant à la fois l’ordre des sexes, des genres et celui des sexualités (Fassin 2009). Paradoxalement, dans les deux traductions, la constante est l’âme qui constitue alors l’invariant. La variable devient le biologique, le physique, le corps. Pourquoi en appeler à « l’erreur de la nature » (Thomas & Espineira 2016) sinon pour se décriminaliser aux yeux d’une société, dont estimer le seuil de tolérance tient du pari ? Le verbe expier nous semble apte à qualifier et décrire le ton (façon de dire) d’une grande partie des témoignages trans dans les médias : se faire pardonner sa transidentité et se faire accepter. Les personnes doivent ainsi prouver leur bonne foi (une transidentité vraie), mais aussi démontrer qu’elles sont des victimes de ce fait, toujours inexpliqué par la science.

7Le corpus de l’étude de 2008-2012 (couvrant la période 1946-2010) et des documents récents, illustre cette tendance : les émissions de la collection Aujourd’hui Madame des années 1970 et 1980, dans lesquelles les personnes pointent les difficultés sociales (ce que l’on nomme aujourd’hui la « transphobie ») tandis qu’urologues et généralistes témoignent de l’absence d’explication scientifique ; les débats, du plateau de l’émission Les dossiers de l’écran (Antenne 2, 1987) à celui de La soirée continue (France 2, 2017) en passant par Bas les masques (France 2, 1995) ou encore Ce qui fait débat (France 3, 2001) ; les témoignages de personnes trans, plus ou moins connues, de Marie-Ange Grenier (Le corps de mon identité, FR3, 1983) à Mathilde Daudet (Toute une histoire, France 2, 2016) ou le jeune Isaac (« Être fille ou garçon : Le dilemme des transgenres », Zone interdite, M6, 2017).

  • 10 Normes de la féminité et de la masculinité : vestimentaires, comportementales, linguistiques, etc., (...)
  • 11 L’hétérosexualité après l’opération de réassignation de sexe fait partie du diagnostic différentiel (...)
  • 12 La notion formulée telle qu’elle et définie dans l’usage que nous en faisons a été pensée et partag (...)

8Ainsi, les personnes trans ont été soumises et/ou se sont soumises à ce que nous nommons la règle des « gages à donner à la normalité » (Espineira 2014), selon les normes d’une société donnée, dans un contexte sociohistorique donné. Les gages à donner sont nombreux : adhésion aux normes de genre10 anonymat, hétérosexualité comme sexualité posttransition11, entre autres gages. Rappelons que les premières pressions sur le critère du genre, s’exercent dès l’enfance avec les expressions connues comme « fille manquée » et « garçon manqué », qui sont des sanctions sociales de franchissement de genre (Thomas 2005) 12 pouvant se lire comme des rappels à l’ordre. Tenter de faire rentrer les « choses dans l’ordre » (rentrer dans le rang), peut se comprendre comme un gage à donner à la normalité.

9Pour illustrer autrement la fonction décriminalisante de l’argument « erreur de la nature », nous proposons un détour par l’ébauche du « troisième sexe ». Il s’agit d’une division nouvelle au XIXe siècle et qui prête parfois à sourire aujourd’hui. Elle est avancée par Karl Heinrich Ulrichs (1825-1895), dans ses cinq volumes d’essais, publiés en 1864 et 1865 sous le pseudonyme de Numa Numantius. Nous nous référons à l’édition de 1898, publiée sous son véritable nom. Notons qu’Ulrichs est juriste, journaliste et qu’il est aussi célébré comme un militant gay, pionnier des droits des homosexuels.

  • 13 Taxonomie proposée par Ulrichs : Urning : une personne assignée mâle à la naissance avec une psyché (...)

10Karl Heinrich Ulrichs propose l’idée selon laquelle l’humanité se composerait de trois sexes : les hommes, les femmes et les uranistes13. Ces derniers seraient hommes biologiquement et femmes psychologiquement. Cette catégorisation explique par-là même l’homosexualité/uranisme dans l’analyse d’Ulrichs. Ce faisant, l’homosexualité devient un fait de la nature et ce que la nature fait ne saurait être criminalisé. L’uraniste était susceptible de décriminaliser l’homosexualité en la naturalisant. L’usage de l’anima muliebris in corpore virili inclusa pourrait avoir la même fonction décriminalisante dans les médias pour les transidentités du XXe siècle avec l’idée d’une « erreur de la nature » naturalisant la transidentité.

  • 14 Voir les témoignages dans les programmes suivants, entre plus d’une centaine d’exemples possibles e (...)

11La formule « erreur de la nature » s’est vue doublée par des appels à la tolérance déclinés et reformulés au fil des décennies par les professionnel.le.s des médias (animateurs, journalistes, producteurs) : Alain Jérôme, Jean-Pierre Foucault, Michel Field, Mireille Dumas, Christophe Dechavanne, Jean-Luc Delarue, Jean-Pierre Coffe, Marc-Olivier Fogiel, Olivier Delacroix, Sophie Davant, Ophélie Meunier, Julian Bugier, entre autres, des années 1980 à nos jours14. L’un des exemples les plus récents est offert par le plateau débat France 2 du 22 novembre 2017, dans le cadre de l’émission La soirée continue : « Transgenres, la fin d’un tabou ? ».

12Dans l’introduction au débat-plateau, le journaliste Julian Bugier indique :

« On en parle trop peu. Mais il y a, disons-le clairement, une grande violence à l’égard des personnes transgenres. Des moqueries, des insultes. Des violences donc, dans la rue, au travail, dans l’environnement familial […] C’est un sujet délicat, que nous abordons ce soir avec nos invité.e.s. Mais c’est un sujet qui nous paraît important pour l’égalité justement ».

  • 15 Lesbiennes, Gays, Bi.e.s, Trans.

13Pour donner une perspective à cet exemple, remontons le temps jusqu’au 25 février 1976, pour noter les propos de Jean-Marie Cavada présentant un sujet sur la prostitution « trans/travestie » (dirions-nous aujourd’hui, car à cette époque on parlait de prostitution masculine) sur un ton pouvant être qualifié de précautionneux, pour indiquer qu’il faut « aborder ce sujet avec tolérance, mettant de côté, bien que cela soit parfois difficile, nos préjugés » (« Prostitués », C’est-à-dire, Antenne 2, 1976). Autre exemple, d’un sujet du journal télévisé de la nuit de TF1, consacré à un « congrès homosexuel » à Rome (dans lequel on retrouve des LGBT15) : on relève, dans le reportage, le commentaire suivant : « Étrange atmosphère que ce congrès, aussi étrange pour le moins que ces jeunes hommes habillés en femmes et jeunes femmes habillées en hommes. La France avait même délégué quelques représentants ou représentantes, on ne sait plus ». Suit la conclusion de Jean-Louis Burgat avec le retour plateau : « Même si on ne comprend pas tout, l’un des piliers de la liberté, c’est de savoir respecter les autres » (« Congrès homosexuel », IT1 Nuit, TF1, le 25 avril 1976). L’histoire de la médiatisation des transidentités, qui n’est pas sans lien avec d’autres histoires médiatiques concernant les représentations d’autres populations, propose de nombreux exemples dont on peut suivre les reformulations au fil du temps et en vertu de l’esprit du temps (Morin, 1963).

14L’émission de 2017 offre un autre éclairage avec la question que Julian Bugier adresse à la pédopsychiatre Agnès Condat : « Est-ce que l’on connaît l’origine de ce trouble du genre ? Ce n’est pas une anomalie génique. Ce n’est pas une psychose. Docteure, peut-être quelques mots sur l’origine de ce trouble ? On le connaît aujourd’hui ou ça reste encore très flou ? ». Agnès Condat a cette réponse : « Il est important d’être très clair. Ce n’est pas un trouble psychiatrique. Ce n’est pas une maladie ». Elle poursuit l’échange avec des explications sur les directions que prennent les travaux des équipes tentant de trouver une explication à la transidentité : d’un côté, l’hypothèse d’une cause génétique ; d’un autre côté, l’hypothèse d’une erreur dans l’imprégnation hormonale du cerveau durant l’embryogenèse, aboutissant, par exemple, à un sexe femelle et un cerveau de garçon. Agnès Condat illustre le propos : « un bébé fille ne naît pas avec le même cerveau qu’un bébé garçon […] les organes génitaux dans un sens, le cerveau dans l’autre ». L’idée d’une « erreur » trouve une médiation par l’explication scientifique, dans cet exemple, qui montre à la fois la propension à chercher ce qui a « mal tourné » (l’explication, la genèse) et à indiquer le statut de victime de la personne (elle n’est pas « malade mentale », elle est différente et la société se montre violente à son égard).

  • 16 Dans Le Banquet (de Platon). Il s’agit de l’un des dialogues platoniciens, écrit aux alentours de 3 (...)
  • 17 Murat a notamment travaillé sur la distinction travestissement/transvestisme (Murat 2006).

15À l’instar de nombreuses autres émissions depuis quatre décennies, le débat de La soirée continue a aussi mis l’accent sur la question du genre chez les personnes trans, et la distinguant de la sexualité. Il faut rappeler qu’à l’époque d’Ulrichs, la question du genre était identifiée à celle de la sexualité et comme le souligne Éric Fassin, l’homosexualité masculine était confondue avec l’efféminement (Fassin 2009 : 375). Dans son Étude médico-légale à l’usage des médecins et des juristes, publiée en 1886, Richard Von Krafft-Ebing trace de son côté un tableau de l’ensemble des perversions sexuelles. Il est beaucoup question d’androgynie psychique et d’hermaphrodisme psychosexuel, d’homosexualité et de bisexualité. L’homosexualité est analysée comme « sensibilité » féminine chez un homme ou masculine chez une femme. Le sexologue allemand Magnus Hirschfeld (1868-1935), tentera lui aussi d’apporter sur l’homosexualité « un éclairage scientifique et la dépénaliser » (Groneberg 2004), suivant la pensée d’Ulrichs. Il s’appuie sur le mythe d’Aristophane16 concernant les trois sexes/genres humains originels (l’homme, la femme et l’androgyne) pour proposer des sexes/genres intermédiaires (sexuelle Zwischenstufen) (Hirschfeld [1914] 2001), un ensemble dans lequel on retrouve les hermaphrodites, les androgynes, les homosexuels et les transvestis17. On pourrait voir dans les raisonnements d’Ulrich comme d’Hirschfeld une tentative de débinarisation du genre pour expliquer, dépénaliser et décriminaliser la sexualité. Les discours militants trans les plus subversifs ne vont-ils pas dans le même sens : expliquer pour dépénaliser et décriminaliser (dépsychiatriser, dépathologiser, déjudiciariser) la transidentité ?

  • 18 En résumé : les trans changent de genre pour des questions d’identité et non de sexualité. Nous ren (...)

16L’étude de la construction médiatique des transidentités a montré que l’ensemble des explications données aussi bien par les médecins (généralistes, urologues, psychiatres, pédopsychiatres), que par les personnes définies et/ou autodéfinies comme transsexuelles, insistent sur la primauté du genre dans les questions les concernant18. De fait, on parle de genre mais aussi sous des approches chirurgicales nous amenant à parler des distinctions entre corps opérés et corps non-opérés.

Corps « travesti / transgenre » (changer de genre) vs corps « transsexuel » (changer de sexe)

  • 19 Nous avons proposé deux critères durant notre recherche : recours à des techniques médicales et méd (...)
  • 20 Le 1er décembre 1952, le New York Daily News titre « Ex-GI Becomes Blonde Beauty » (vol. 34, n° 136 (...)

17L’expression « changer de sexe » a dominé l’ensemble des discours sur les personnes trans, que l’on fasse remonter leur histoire aux années 1920 et 1930, avec Dora Dorchen et Lili Elbe19, ou avec « le retour au pays » de Christine Jorgensen20 en 1953. Il semble que l’attention portée sur l’opération de réassignation, aussi spectaculaire que cela ait pu être dans les esprits du début du xixe au xxie siècle, a produit un effacement important : ce que toutes les personnes trans ont en commun c’est le « changement de genre ». Au lieu de se voir associés, lesdits changements se sont vus mis en concurrence ou en opposition. Pourrait-on envisager que l’on ne puisse pas changer de genre sans changer de sexe, mais que le changement de sexe produirait automatiquement le changement de genre ?

18Si le « corps travesti » des années 1970 était dans les médias, un corps marginal et une curiosité de la révolution sexuelle, le « corps transsexuel » réduit au seul « changement de sexe » prend le statut du « corps transformé » par excellence, à la fin de cette décennie. Cette précision est importante, car la fin des années 1970 et le début des années 1980 sont des périodes marquées par deux contextes : la controverse bioéthique et les glissements du lexique de la question trans.

  • 21 Lire les travaux de Dominique Mehl, références en bibliographie.
  • 22 Parler d’experts dans ce contexte, c’est se référer à la terminologie médiatique quant au statut qu (...)
  • 23 Nous proposons de plus amples descriptions et analyses sur les dispositifs et politiques de prise e (...)

19Le premier contexte correspond au début de la controverse bioéthique avec les naissances de Louise Brown (1978) et d’Amandine (1982), deux enfants conçues in vitro. Controverse qui se développe aussi dans les médias21 dans lesquels les experts22 arrivent en nombre : chercheurs, endocrinologues, sexologues, urologues, psychiatres, ou encore psychanalystes. Le second correspond à la mise en place et à la mise en œuvre des dispositifs de prise en charge de la « transsexualité » en France, en 1979 avec la première équipe formée par le professeur Jacques Breton (et son équipe à l’hôpital Fernand Widal à Paris). Pour le décrire brièvement, les experts de la transsexualité investissent à leur tour les plateaux de télévision et y deviennent incontournables jusqu’à la fin des années 200023. Ils disparaissent un temps dans les années 2010, avant qu’on les retrouve à nouveau sur les plateaux via la question de la transidentité chez les enfants et adoslescent.e.s (par exemple Jean Chambry sur M6 (2017), Agnès Condat sur France 2 (2017)).

20Le deuxième contexte correspond au glissement du « lexique médiatique des transidentités » (Espineira 2016) qui s’opère à la fin des années 1970 et montre une préférence pour le terme transsexuel à travesti. Le corps trans-travesti, qui transforme le social avec « le changement de genre », devient presque exclusivement le corps trans-sexuel, c’est-à-dire « le corps médicalement transformé » avec « le changement de sexe » et les traitements hormonaux notamment. Le sujet trans se voit peu à peu cantonné dans des approches médicales et juridiques et l’intérêt pour sa place en tant que sujet inscrit dans un réseau relationnel, affectif, professionnel, familial, le corps social du sujet en somme, semble passer au second plan.

  • 24 L’étude de corpus (2008-2012) a permis de mettre à jour ce glissement lexical à la télévision en pa (...)

21Dans le monde associatif, la figure du travesti devient une figure repoussoir prenant le statut de paria (Thomas, Espineira 2014) ; statut pouvant être décrit de plusieurs façons : assimilation à une sexualité libertine, à la prostitution, aux comportements à risques. Pour expliquer leur état, leur situation, les personnes commencent à adopter les discours des médecins et des journalistes dans les médias. Et ce, d’autant plus que la figure de la transsexuelle devient plus acceptable avec « l’erreur de la nature » sur le ton de « l’expiation » et de la « souffrance ». C’est beaucoup moins le cas aujourd’hui, car les termes transidentité et transgenre sont privilégiés, mais à cette période, les personnes préféraient « transsexuel » à « travesti »24, jugeant le second terme infamant et stigmatisant. Depuis « l’explosion associative » (créations d’associations et de collectifs, en province notamment, et leur visibilité sur internet) des années 2000, la terminologie médicale (transsexualité, transsexualité, transsexualisme) est à son tour rejetée en raison de connotations « pathologisantes » et dans une logique de politisation des groupes trans (Thomas 2007 ; Coll-Planas, Missé 2010, 2012 ; Suess, Walters, Espineira 2014). Les glissements du lexique sémantique médiatique et du terrain relèvent ainsi de deux processus : se nommer et être nommé. Il existe d’autres glissements du lexique médiatique dans l’histoire de la construction des transidentités, mais dans le cas présent, nous nous en tiendrons à ce seul exemple qui se résume dans les grandes lignes à la figure du travesti comme paria d’une part et à la figure transsexuelle comme refuge sémantique d’autre part. L’expérience associative (l’activisme des années 1990 comme l’observation participante des années 2000) semble indiquer que les positionnements lexicaux pourraient être aussi des marqueurs d’un état du corps.

  • 25 Nous ne citons pas le nom de la personne injuriée et mégenrée (utilisation du pronom du genre assig (...)
  • 26 Au XIXe siècle l’expression désigne une femme de caractère ne répondant aux normes de genre imposée (...)
  • 27 Lorsque nous parlons de « corps opposés » ou de « corps opposables », nous nous référons aussi bien (...)

22Les lectures et analyses de fils de discussion sur un site comme trans-forum.biz (2010-2011 ; passé en mode privé depuis) montraient que les personnes publiant (dont certaines étaient aussi des actrices associatives) militaient pour la terminologie transsexuelle-transsexualité – en acceptant transidentité sous condition. L’acte de « se nommer » (« transsexuelle » en l’occurrence), entrait en tension avec le « se faire nommer ». Pour les membres du site les plus actifs, la terminologie permettait de partager publiquement des marqueurs corporels, identitaires et sexuels : « je suis opérée », « je suis une vraie femme issue de la transidentité », « je suis hétérosexuelle ». Ces positionnements sont opposés, par ces mêmes membres, aux « transgenres » au sens de personnes non-opérées : « Et que vient foutre ce fouille-merde gauchiste de X25, dans un sujet sur les gens qui ont changé de sexe, puisque c’est un transgenre ? » ; « il n’y en a pas la moitié qui soient véritablement représentatives des transsexuelles » [parlant d’autres responsables d’associations]. Divers fils de discussion passaient en revue les personnes en vue, connues et présumées comme non-opérées, sous des qualificatifs tenant du registre de l’injure et centrés sur l’image de la femme avec un pénis (la figure de la she-male26). Ces discours opposants « transsexuelles/transgenres »27 existent toujours mais ils sont in-quantifiables, car énoncés en off et dans des cercles difficilement accessibles.

  • 28 Ou « déviance » au sens de violation des normes sociales (Becker [1963] 1985).
  • 29 Procès-verbal d’assemblée générale extraordinaire, 4 décembre 2017.
  • 30 Politique trans : manière dont les personnes et les groupes trans agissent et existent dans les esp (...)

23Si l’on formule l’idée que nommer, c’est faire exister, se nommer revient alors à se permettre d’exister. En nous inscrivant dans la philosophie de Michel Foucault, nous posons ces questions : comment nommer sans classer ? Comment classer sans disqualifier et sans donner à l’autre le statut de la différence permettant de l’exclure28 ? Depuis les années 1990, les mouvements et politiques trans (Stone, 1991, Bornstein 1994, Feinberg 1996, Califia 1997, Reucher 2005, Bourcier 2005, Stryker & Whittle 2006, Thomas 2010, Espineira 2014, Beaubatie 2016, Baril 2017) ont pointé la pathologisation des identités et ont milité contre l’exclusion ou la mise à la marge. Les choix des mots des personnes trans pour se nommer et décrire leur corps ne sont donc pas anodins et s’inscrivent dans une subculture de groupe. Par exemple, le terme transidentité, que nous avons contextualisé précédemment, a une histoire récente qui n’est pas sans faire penser à un rebondissement dans le bras de fer entre l’associatif militant et une partie de l’institution médicale : fondée le 13 juin 2010, la Société française d’études et de prise en charge du transsexualisme (Sofect) substitue transidentité à transsexualisme29. Sur les réseaux sociaux et dans les échanges personnels avec des responsables associatifs, nous avons noté une forme de déception de la part de militant.e.s qui y voyaient une forme d’appropriation, voire d’arraisonnement, d’un de leurs termes, tout en estimant que la politique de l’association, regroupant l’ensemble des équipes hospitalières décriées par les activistes, ne changeait pas. L’abandon de l’un des termes les plus contestés par les politiques trans30 semble être passé au second plan.

Le passing : un pouvoir à discrétion ?

  • 31 Passing : ne pas se faire détecter comme personne trans, c’est-à-dire passer pour homme ou femme da (...)
  • 32 Par Out nous proposons l’idée d’une visibilité volontaire comme personne trans et/ou de faire fi du (...)

24Critiques envers les termes des prises en charge médicales, psychiatriques particulièrement, Sandy Stone (1991), Kate Bornstein (1994) ou encore Patrick Califia (1997) mettent l’accent sur l’invisibilisation tout en questionnant le droit, la nécessité ou l’injonction à l’anonymat. La théoricienne et performeuse américaine Kate Bornstein écrit dans Gender outlaws (le genre hors-la-loi) : « Aujourd’hui, dès que nous allons chez le médecin, on nous dit que nous serons soignés, si nous devenons membre de l’un des deux sexes. On nous demande de ne pas divulguer notre statut de transsexuel » (Bornstein 1994 : 62). De son côté Sam Bourcier, explique que le « passing est oppressif », tout en soulignant « la fixité et la pauvreté des identités de genres » ainsi imposées (Bourcier 2006 : 238). Le passing31, concernant les personnes trans, désigne l’aptitude de la personne trans à ne pas se faire détecter comme trans dans l’espace public, tandis que d’autres attitudes et approches revendiquent un droit à la visibilité « tel.le que l’on est », « tel.le que l’on se ressent ». Nous nous proposons de désigner ces dernières comme out (visibles)32.

  • 33 Note de Ian Zdanowicz : « Autrement dit, ce terme est à mettre en rapport avec les critères de reco (...)

25Dans l’article « L’architecture du passing : la place, le regard, le mouvement », Ian Zdanowicz revient sur l’origine du terme qui « apparaît pour la première fois pendant la deuxième moitié du xixe siècle en Amérique du Nord pour nommer l’expérience des personnes “métisses” qui passent pour des personnes “blanches” (Belluscio 2006, Bennett 1996, Wald 2000) » (Zdanowicz 2015 : 76). Il précise que « si la notion de passing concernait au début le passing racial, le terme et la tactique ont migré vers d’autres champs de signification : le passing peut alors se référer au genre, à la religion ou encore à la nationalité »33 (ibid. : 77). La définition préliminaire qu’il énonce indique que la notion de passing « embrasse l’ensemble des tactiques dont le but est de passer pour quelqu’un·e d’autre – pour un·e membre d’un groupe auquel nous n’étions pas assigné·e·s à la naissance » (ibid. : 77). Pour une personne trans, cela revient à passer pour « homme » si assignée « femme » et à passer pour « femme » si assignée « homme ».

  • 34 Le rapport Transphobie initié et soutenu par le Comité Idaho et République & Diversité, donne le ch (...)

26Dans cette perspective, pour se rendre « invisible », « s’anonymiser » ou « passer », des personnes trans ont dû recourir à des modifications corporelles. Le passing semble à la fois avoir été exigé et être nécessaire, comme les opérations ont parfois été choisies et parfois subies plus que choisies. Se faire détecter comme trans dans l’espace public, c’est encore se trouver en danger. Actes d’humiliations dans l’espace public et assassinats ne sont pas rares34. Les discriminations, qu’elles soient verbales et/ou physiques, familiales et/institutionnelles peuvent être qualifiées de violences symboliques quotidiennes et répétées. Elles ont pour effet de réduire la résilience des personnes jour après jour. Les adolescents font aussi partie de l’équation et sont pris en considération en France comme à l’étranger depuis la médiatisation mondiale des suicides de Leelah Alcorn (17 ans, Lebanon, États-Unis) ou d’Alan Albert Cusso (17 ans, Barcelone, Catalogne), qui ont partagé les raisons de leur suicide (incompréhension familiale pour Leelah ; harcèlement scolaire pour Alan) en diffusant leur témoignage sur les réseaux sociaux.

  • 35 En raison d’un choix et/ou d’un « coup de chance biologique », d’une androgynie prétransition, de l (...)

27Les violences symboliques, verbales, physiques envers les personnes trans forment un ensemble permettant de mesurer la force des sanctions sociales de franchissement de genre qui s’exercent dès l’enfance. Force est de comprendre que des personnes trans optent pour l’anonymat. On doit aussi envisager l’idée qu’elles ont fait ce que l’on attendait d’elles : être et passer pour des femmes et des hommes comme les autres, pour un certain nombre d’entre elles. En effet, à la suite de Ian Zdanowicz, nous précisons que « la question du passing est aussi au cœur de subjectivités trans, où elle est très souvent pensée comme la finalité de la transition » (Zdanowicz 2015 : 85) pour une partie des transidentités, et moins pour d’autres. Chaque partie ne forme pas un camp homogène, opposé et opposable. Des transidentités peuvent passer sans avoir cherché à passer à tout prix35. D’autres, le souhaitent (l’espèrent et le rêvent) pour « rejoindre l’un des deux genres, pour devenir invisible, pour se sentir en “sécurité”, pouvoir trouver un travail, pour se fondre dans la foule afin d’éviter les violences verbales et physiques dans l’espace public (le plus souvent l’espace urbain) » (Zdanowicz 2015 : 85). L’auteur précise que des personnes « pratiquent d’autres styles corporels », plus ou moins dans la « non-conformité de genre, par choix ou par manque de moyens financiers ». On note que l’accès au passing ne semble pas se poser pour les célébrités trans, et qu’elles ne le conjuguent pas avec un accès à l’anonymat qui n’est pas souhaité.

  • 36 Émission Salut les Terriens, « T’es qui toi ? Inès Rau, la trans de “Playboy” », 23 avril 2016, Can (...)

28En considérant le passing dans une approche pragmatique : le corps trans qui passe mais en y agrégeant l’auto-étiquetage (se dire trans alors que l’on pourrait facilement le taire par la force du passing), nous conduit à l’exemple de la top model Inès Rau. Elle est l’un de ces corps trans qui passent et s’auto-étiquettent, ainsi qu’une personne connue sur les estrades des podiums. Le samedi 23 avril 2016, elle était l’invitée de Thierry Ardisson sur Canal Plus36. Sur la question de son coming out en tant que transsexuelle, elle parle avec une certaine désinvolture de sa transition et utilise sans complexe les mots « transsexuels », « transsexualité », « transsexualisme ». Elle semble loin des tensions militantes ou de la critique des normes qui forment deux mondes trans ayant des attentes et des politiques différentes. Pourtant, au sein d’une société fondée sur le sexisme oppositionnel, considérant deux sexes (mâle et femelle) et deux classes de genre (hommes et femmes), le passing a été pour elle libérateur et de deux façons. Son récit de vie indique que l’anonymat et l’invisibilité en tant que trans, avait contribué à sa vie sociale et professionnelle. Sa prestation médiatique nous indique que le passing et la vague transgenre dans les médias, lui ont permis un coming out décomplexé. Pour prendre le contre-pied de l’idée d’une oppression du passing, il faudrait désormais questionner sa dimension libératrice, et peut-être y voir un pouvoir.

  • 37 Nous appuyons sur la traduction de Kira Ribeiro (Stone, 2015).

29Dans l’article « L’Empire contre-attaque : un manifeste posttranssexuel », Sandy Stone écrit : « “Passer” est la chose la plus cruciale qu’un·e transsexuel·le puisse faire, c’est ce qui constitue la réussite d’une transition. Passer signifie vivre avec succès dans le genre choisi, être accepté·e comme membre “naturel·le” de ce genre » (Stone 2015 : 37) 37. Pour Stone, passer signifie nier le mélange, et elle considère que cette démarche, « dans laquelle le/la transsexuel·le et le pouvoir médical/psychologique sont complices » est un obstacle à une « vie fondée sur les possibilités intertextuelles du corps transsexuel ». Le passing et le coming out d’Inès et d’autres personnes trans connues tiennent de deux registres : dans un premier temps le mélange a peut-être été nié, mais dans un second temps, les possibilités intertextuelles du corps trans ont repris leurs droits.

  • 38 Des exemples : « L’avenir de la mode réside-t-il dans le non-genre ? (Clément, Retailleau, Konbini, (...)

30La période 2014-2015, qui pourrait être qualifiée de « vague transgenre dans les médias », engage de nouvelles perspectives malgré un faible recul : l’importante médiatisation de célébrités trans contribue à l’émergence de personnalités people (de l’adolescente Jazz Jennings à Caitlyn Jenner par exemple) ; les chiffres des assassinats se font plus précis tandis que les études sur les discriminations comptent avec les suicides de jeunes personnes trans. Les associations réflexives entre passing et invisibilité (anonymat), entre obligation et nécessité, sont questionnées avec le sujet/objet trans sous les projecteurs, depuis les Unes de Laverne Cox pour le Time (2014) et de Cailtlyn Jenner pour Vanity Fair (2015). Les corps trans visibles dans les médias s’inscrivent comme corps dits « beaux », et sont parfois revendiqués comme performances esthétiques : corps (auto) prescrits ou corps « professionnels », comme dans le domaine de la mode : Carmen Carrera, Isis King, Léa T, Andreja Pejic, Hari Nef, Laith Ashley, Benjamin Melzer, Inès Rau, entre autres. On note le même intérêt ou engouement dans la presse magazine pour les corps et identités trans : National Géographique (2017), Men’s health (2015), Time (2014), Playboy, Vanify Fair (2015), Vogue (2017), Ladygunn (2017), Marie-Claire (2016), Bazaar (2016), Elle (2015), The Muse (2017), Navyaata (2014), entre autres publications françaises et internationales de la presse d’information, de mode, de charme ou encore people. Les corps connus, ou reconnus comme trans, semblent venir concurrencer les corps non-trans, cisgenres (Serano 2007 ; Schilt, Westbrook 2009) ou cisgenrés (Leland 1994) dans les imaginaires médiatiques, comme on peut l’entrevoir dans les développements de la presse en ligne et papier (Libération, Konbini, 20 minutes, France Info, Première, L’Obs, entre autres)38.

31Les modifications corporelles peuvent exister dans une autre optique que passer pour un homme ou une femme comme les autres. On va voir comment ce mouvement s’est initié en France en changeant de perspective.

Le corps trans comme corps subversif du militantisme

  • 39 Nous nous référons aux notions d’imaginaire social (Castoriadis 1975) et d’imaginaire médiatique (M (...)

32Corps et identités trans ne sont pas sans effets sur les représentations culturelles39. David Le Breton écrit à ce sujet que « même si elles demeurent largement dominantes à travers le monde et dans nos propres sociétés, les conventions du genre (masculin et féminin), étayées sur un enracinement biologique, confirmées par les ritualités sociales et les représentations culturelles, contrôlées par l’état civil, et donc par l’État, sont aujourd’hui ébranlées » (Le Breton 2016 : 133). Envisager ou constater le trouble dans les représentations peut être le signe que les variables proposées par les identités et les corps trans ne sont pas sans effets sur les imaginaires, mais aussi sur les institutions.

33Les outils de la sociologie des mouvements sociaux permettent d’envisager les politiques trans comme un mouvement social regroupant des personnes ayant des besoins et intérêts en commun, revendiquant une existence et des droits (Neveu, 2015). Ce mouvement se décrypte à travers les politiques trans : contester [ou pas] l’ordre des genres, le patriarcat, le sexisme oppositionnel ; lutter contre ou travailler avec les équipes hospitalières ; être communicant ou refuser toute forme de médiatisation ; défendre et/ou promouvoir la visibilité ou l’anonymat ; produire de savoirs situés ou produire de savoirs à destination des pouvoirs institutionnels.

34Les marches et les manifestations sont autant d’actions d’affirmation d’une identité, d’une appartenance, mais ce sont aussi des actions militantes d’expression d’un mouvement social mobilisé. Le corps trans peut être ainsi approché comme un outil de revendication et de contestation. Dans le contexte français, la première moitié des années 2000 offre quelques exemples. Nous allons en décrire deux.

  • 40 Le terme est d’origine nord-américaine (to zap, onomatopée de certains sons d’armes à feu, 1942). D (...)
  • 41 Par exemple, s’allonger par terre pour figurer les morts du sida ou d’une répression.
  • 42 Groupe de féministes ukrainiennes, fondé en 2008 à Kiev, par Anna Hutsol, Oksana Chatchko et Alexan (...)

35Le premier exemple d’usage du corps comme outil militant nous est donné par deux collectifs trans français des années 2000. Il s’agit du Groupe Activiste Trans et du Collectif Support Transgenre Strasbourg. Leurs actes politiques prennent notamment la forme de zaps40 et de die-in41, qui sont des actions rapides et ponctuelles dirigées contre des personnes, des institutions, des bâtiments (Patouillard 1998, 2001). Rappelons que le zap a été introduit en France en 1989 par Act Up-Paris sur le modèle d’Act Up-New York. La spécificité de cette forme d’action réside bien dans l’utilisation du corps comme outil de revendication et de contestation. La méthode devient une signature et une marque de fabrique comme on peut le voir avec les femen42 par exemple (Bard 2014 ; Bertini 2014 ; Dalibert, Quemener 2016). Les actions avec le corps comme outil sont, à l’image des slogans, toutes entières construites contre les stéréotypes de la transidentité, et pour aller plus loin, contre les stéréotypes de la « transsexualité », au sens de pratiques validant l’ordre des genres et renforçant la binarité.

  • 43 FtM : female to male ; MtF : male to female ; Mt*, MtU, MtX, etc. marquent des refus d’assignation.
  • 44 Le projet XXboy’s était aussi et surtout un projet artistique du photographe Kael T-Block.
  • 45 <http://kaeltblock.fr/xxboys>

36Le deuxième exemple s’appuie sur un événement de 2005, à l’occasion de la marche Existrans (marche annuelle des personnes trans à Paris, chaque mois d’octobre depuis 1997). Des FtMs43 se visibilisent en tant que groupe (les XXBoy’s44). Le mouvement des XXBoy’s peut se lire de deux façons : il est un mouvement de visibilité globale, mais aussi de visibilité interne aux groupes trans où les femmes trans sont en général les plus visibilisées. Ce mouvement de visibilisation en interne et en externe concerne aussi bien l’espace public que les réseaux, notamment via le site web qui présente les photographies du projet XXBoy’s45. Cette visibilité s’est beaucoup appuyée sur les corps. À cette occasion, on a pu voir des torses, des cicatrices de mammectomie des binder (un bandage du torse) et des « hommes avec des seins ». Cette dernière image rompait d’ailleurs avec la traditionnelle représentation trans.

37En effet, comme nos travaux l’ont éclairé à travers l’analyse d’un processus de popularisation médiatique sur près de quatre décennies (Espineira 2015b), le sujet trans est encore en partie plus une femme qu’un homme. L’imaginaire le plus spectaculaire et/ou le plus sensationnaliste a pris la forme de « la femme avec un pénis », dans les domaines de la caricature et de la pornographie en particulier. La visibilité des hommes trans et de leur corps change donc la perspective. Non seulement les hommes trans existent aux yeux de la société, mais le corps trans est ainsi reconnu comme pouvant aussi être un corps masculin susceptible de proposer de nouvelles formes de masculinités et de combinaisons corporelles (homme avec des seins, homme avec un vagin, etc.) impensées auparavant par la propension à ne considérer que les femmes trans.

38L’exemple de Thomas Beatie est éclairant (Hérault 2014, Espineira 2014). Sacré par les médias « premier homme enceint » après son annonce le 3 avril 2008 dans le Oprah Winfrey Show, il se qualifiait plutôt comme le « premier mari enceint », mais les médias n’en tenaient pas compte. L’idée d’un corps d’homme avec un vagin a causé du trouble à tel point, que le couple Beatie a été l’objet de violences et de menaces de mort. Cet exemple a posé de nombreux questionnements aux institutions, puisque les corps trans pouvaient non seulement troubler la représentation du corps masculin ou féminin, la sexualité et le genre, mais aussi la procréation, la filiation et le faire famille. Dans l’article « La gestion médicale de la parenté trans en France » (Hérault 2015), l’anthropologue Laurence Hérault analyse un certain nombre de ces troubles dans l’institution médicale, sur la base des développements du groupe de travail de l’Académie de médecine saisie par les Cecos (Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains), suite aux demandes d’aide à la procréation de couples comptant un homme trans. Elle explique que l’Académie de médecine fait comme « si le lien entre parenté et procréation était une question de cohérence identitaire plutôt qu’une question de modalités d’action et de relation, elle anormalise les personnes trans et les liens de filiation qu’elles peuvent constituer » (Hérault 2015 : 184). On pourrait transposer cette analyse aux imaginaires et aux discours qui font, comme si le corps trans n’était qu’une question de cohérence identitaire anormalisant les personnes n’allant pas « jusqu’au bout » (l’opération de stérilisation par exemple, ou vers la vaginoplastie ou la phalloplastie) avec des corps et des sexualités assumés. Si bien que la sexualité ne peut être qualifiée ni d’hétérosexuelle ni d’homosexuelle, comme le développe l’ouvrage Trans/Love: Radical Sex, Love and Relationships Beyond the Gender Binary de Morty Diamond (2011).

  • 46 Quand une partie de l’associatif trans et queer a pris la mesure des enjeux de la critique féminist (...)
  • 47 LGBTIQ : Lesbiennes, Gays, Bi.e.s, Trans, Intersexes, Queer.
  • 48 Stop Trans Pathologization, Global Action for Trans* Equality, Transgender Europe entre autres orga (...)
  • 49 Par les protocoles de prise en charge de la transidentité, l’ordre des genres (le sexisme oppositio (...)

39Les développements sur les politiques trans ne peuvent faire l’impasse sur le mouvement d’émancipation qui marque l’évolution des politiques trans et que l’on illustre par la formule « mettre le feu à l’institut de beauté » empruntée à Patrick Califia ([1997] 2003 : 221). Califia décrit le mouvement d’émancipation des dispositifs de « fabrication » de masculinités et de féminités normées. Ce mouvement d’émancipation a aussi pour cadre la rencontre entre les questions et débats trans les plus politisés avec les questions féministes46 et les questions LGBTIQ47. On peut se référer aux revendications trans (dépsychiatrisation, dépathologisation, état civil, lutte contre la transphobie, etc.) qui traduisent des mouvements qui pensent et engagent leur émancipation des dispositifs de prise en charge du « transsexualisme », comme conception pathologique de la transidentité. On parle de mouvements à l’échelle internationale48. Cette émancipation nous semble aussi marquer une résistance à ce que des personnes trans (y compris des personnes non-binaires) ressentent comme une injonction49 au « tout homme » et « toute femme » sachant que le corps est à la fois un enjeu de cette tension et partie prenante de cette résistance. Si l’on peut rencontrer des personnes qui souhaitent être des hommes et des femmes comme les autres, modifications corporelles comprises, d’autres refusent donc ces statuts. Ces personnes proposent des masculinités et des féminités différentes des standards en termes de genre, mais aussi en termes de corps, et ce jusqu’aux possibilités procréatives. On peut l’apprécier avec les revendications contre la stérilisation « exigée » ou « forcée » suivant les argumentaires et revendications associatives (OUTrans, Chrysalide, ANT, entre autres).

kal anton, Tranplacer (trad. fr. « tranplaisir »).

© : kal anton.

Conclusion

40Nous avons appréhendé le corps trans au-delà des approches médicales, tout en ayant évoqué la question des corps « trans-formés » : la seule opération de réassignation ne suffit pas à définir les corps et les identités trans, puisqu’elle n’est pas pensée comme une finalité par toutes les personnes. Cependant, dans les médias généraux particulièrement, les narrations prédominantes suivent le récit « transsexuel » (passage d’un point A à un point B, adhésion à l’ordre des genres, opération de réassignation, une sexualité post-op et de préférence hétérosexuelle, etc.) et la récurrence des expressions, sans cesse reformulées, liées au corps équivoque (le double discours du corps-prison et du corps-réformable) et à l’erreur de la nature.

41Expliquer une identité et un corps trans n’est pas facile si l’on se projette un instant sur le vécu des personnes. De quels mots et quelles expressions ferait usage le quidam, si on lui demandait d’expliquer un état de transidentité ? Si l’on met de côté les aspects émotionnels d’une telle prise de conscience, individuelle et intime, comme du fait de ne pouvoir ou vouloir la contenir, force est de constater que les mots manquent pour exprimer une telle réalité, sommée de créer alors ses propres aspérités pour devenir accessible et intelligible à l’autre : démontrer l’indémontrable pour se faire accepter et éviter la criminalisation, sinon la pathologisation.

  • 50 Les noms sont nombreux et dans la communication donnée lors du colloque de Strasbourg (28-30 avril (...)

42Du côté des médias, mais probablement aussi du côté des représentations sociales, les corps trans50 sont devenus des incontournables dans la mode, dans le sport, les concours de beauté, les séries télévisées, la téléréalité, le spectacle, le cinéma. Sans l’étiquette « trans », ces corps pourraient passer pour cisgenres. Avec l’auto-étiquetage, on peut considérer que les corps trans sont désormais davantage assumés comme tels, voire d’émettre l’idée d’une plus-value professionnelle. Peut-être faut-il considérer que le fait de rendre publique sa transidentité, correspond à la volonté de proposer un marqueur de genre et d’afficher un étiquetage corporel valorisé et valorisable : « en disant je suis trans, je dis que mon corps est trans ». Les top models trans connues ou ayant fait des coming out récents semblent devenir des égéries (enre autres Hari Nef de Mansur Gavriel, Andreja Pejic de Make Up For Ever, Lana Wachowski de Marc Jacobs, Stav Strashko de Diesel, Léa T de Benetton) et participent, plus ou moins consciemment, plus ou moins directement, à l’inscription des personnes trans dans la culture commune, au sens de « la plus partagée ».

43Loin des estrades, des micros et des caméras, la question du passing oppose à l’analyse la complexité de processus croisés. Le passing peut être rêvé mais inaccessible, souhaité et accessible, écarté malgré l’accessibilité ou encore écarté parce qu’inaccessible. Expliquer les rejets de l’anonymat, de l’invisibilité, y compris quand l’accès est possible, se révèle être une tâche exigeante. Entrent désormais en jeu, les effets symboliques de la visibilité des trans célèbres, jeunes et moins jeunes, hommes, femmes, ou non-binaires, que les personnes se définissent transsexuelles ou transgenres, hétérosexuelle ou homosexuelles. La carte des possibilités s’est étoffée et la « honte d’être trans » a perdu de sa force, renouvelant au passage le slogan militant du milieu des années 2000 : « Trans et Fier.e.s », au sens de corps et d’identité dépathologisés, d’outils militants esthétiques et subversifs, à l’image de la devise des XXboy’s : « “fierté”, réappropriation, célébration […] Nous nous autoproclamons sexy » (marche Existrans, 2005).

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Notes

1 Ces observations s’appuient sur les données d’une recherche menée sur les constructions médiatiques des transidentités (2008-2012) : une recherche participante doublée d’une étude d’un corpus audiovisuel constitué sur les bases archives de l’Institut National de l’Audiovisuel (INA). Le corpus regroupait des émissions de télévision couvrant la période 1946-2010. Nous ferons usage du terme transidentité dont nous avions contextualisé et justifié l’usage dans un ouvrage publié en 2008 : « Le terme transidentité a été importé par le collectif Support Transgenre Strasbourg. On doit le mot à l’universitaire allemande Heike Boedeker qui l’a forgé durant l’hiver 1994-1995. Le terme allemand « Transidentität» devait remplacer « Transsexualität». Transidentité, parce qu’on ne parle pas d’un phénomène sexuel (d’orientation ou de pratique sexuelle), mais d’identité de la personne. Le terme s’est vite répandu dans la langue allemande, autant du côté des personnes concernées que du côté des professionnels (médecins et juristes notamment) » (p. 15-16). Le terme peut désigner les personnes transsexuelles, transgenres ainsi que d’autres identités alternatives (non-binaires) en s’affranchissant des catégories de la médecine légale. L’expression « personne trans » permet aussi de désigner l’ensemble des publics concerné par l’étude, sachant qu’elle est aussi utilisée par les transidentités.

2 Auto-étiquetage : visibilité en tant que personne trans, un coming out trans.

3 En résumé : ne pas se faire détecter comme personne trans et être anonyme dans l’espace public.

4 Lire entre autres ouvrages : Stryker 2008, 2017 ; Foerster 2006, 2012 ; Meyerowitz, 2004.

5 Cette expression est plus rare dans l’histoire de la représentation des transidentités dans les médias. Cela peut s’expliquer en partie par l’inégalité de la représentation entre femme trans et homme trans depuis que les médias s’intéressent au sujet (Espineira, 2012, 2015a), inégalité ou « vide » que l’on constate aussi dans la littérature, dans les publications scientifiques, dans l’historiographie (Guillot & Beaubatie 2011).

6 Nous nous appuyons sur nos propres recherches universitaires publiées dans deux ouvrages (2015) ainsi que sur des savoirs-situés et expérientiels, émanant d’activités bénévoles et d’engagements dans l’associatif trans, gay, lesbien, bi, intersexe et queer depuis le milieu des années 1990.

7 Entre guillemets : le titre de l’édition ou du numéro ; entre parenthèses : titre de la collection, chaîne, année).

8 Ces exemples sont donnés à titre indicatif, car ils sont nombreux. Le corpus de l’étude de 2008-2012, comptait 886 documents hors rediffusion et a demandé trois ans de visionnage. Plus de 250 éléments font partie des catégories (actualités, magazines, débats, documentaires, soirées thématiques, etc.) contenant ces formules de façon récurrente. On note que ces discours se retrouvent aussi dans d’autres catégories comme la téléréalité (les coming out d’Erwan Henaux, dans Secret Story, (TF1, 2007) et de Sanaya dans Les Vacances des Anges 2 (NRJ12, 2017), voire le faux coming out de Maya (Secret Story, TF1, 2009). Quand les formules ne sont pas énoncées par les personnes trans dans les conditions du témoignage, c’est parfois le fait des animateurs et journalistes dans leur contextualisation du sujet (Zone interdite, 12.11.2017 ; La soirée continue, France 2, 22.11.2017).

9 Traduction : Une femme enfermée dans un corps d’homme.

10 Normes de la féminité et de la masculinité : vestimentaires, comportementales, linguistiques, etc., en vigueur dans la société considérée.

11 L’hétérosexualité après l’opération de réassignation de sexe fait partie du diagnostic différentiel et c’est un critère positif contribuant à diagnostiquer un « transsexualisme vrai » (Hérault 2010). L’aveu d’une orientation homosexuelle fait partie des caractères productifs négatifs ; par exemple, une femme trans se considérant lesbienne à l’arrivée.

12 La notion formulée telle qu’elle et définie dans l’usage que nous en faisons a été pensée et partagée par Maud-Yeuse Thomas dans sa communication « La société binaire en question », au Colloque Les LGBTI : Évolution des représentations sociales et révolutions culturelles, Universités d’Été Euroméditerranéennes des Homosexualités, Marseille, 2007.

13 Taxonomie proposée par Ulrichs : Urning : une personne assignée mâle à la naissance avec une psyché de femme et dont l’orientation sexuelle est en direction des hommes. Urningin (ou occasionnellement alliant la variation Uranierin, Urnin, et Urnigin) : Une personne assignée femelle à la naissance avec une psyché d’homme et dont l’orientation sexuelle est en direction des femmes. Dioning : Un homme hétérosexuel, biologiquement masculin. Dioningin : Une femme hétérosexuelle, biologiquement féminine. Uranodioning : Un bisexuel masculin. Uranodioningin : Une bisexuelle féminine. Zwitter : Intersexe.

14 Voir les témoignages dans les programmes suivants, entre plus d’une centaine d’exemples possibles et tous genres confondus : Et il voulut être une femme (film documentaire, 1977) ; Les dossiers de l’écran (Antenne 2, 1987) ; Tribunal (TF1, 1989) ; En quête de vérité (TF1, 1992) ; Je suis née transsexuelle (documentaire, 1995) ; Bas les masques (France 2, 1995) ; Ce qui fait débat

Ce qui fait dÈbat

(France 3, 2001) ; Toute une histoire (France 3, 2006) ; Nés dans le corps d’un autre (documentaire, 2005) ; Secret Story (TF1, 2008) ; Changer de sexe, pour un instant ou pour la vie (France 4, 2010) ; les plateaux de télévision avec Mathilde Daudet durant l’année 2016 ; Zone interdite : Être fille ou garçon, le dilemme des transgenres (M6, 2017).

15 Lesbiennes, Gays, Bi.e.s, Trans.

16 Dans Le Banquet (de Platon). Il s’agit de l’un des dialogues platoniciens, écrit aux alentours de 380 av. J.-C.

17 Murat a notamment travaillé sur la distinction travestissement/transvestisme (Murat 2006).

18 En résumé : les trans changent de genre pour des questions d’identité et non de sexualité. Nous renvoyons aux ouvrages et articles relatant nos travaux, parus entre 2014 et 2016.

19 Nous avons proposé deux critères durant notre recherche : recours à des techniques médicales et médiatisation du sujet. Avant Christen Jorgensen, on pense à Lili Elbe dans le Danemark des années 1920-1930 ou encore à Michel-Marie Poulain dans la France de l’après seconde guerre mondiale.

20 Le 1er décembre 1952, le New York Daily News titre « Ex-GI Becomes Blonde Beauty » (vol. 34, n° 136). Christine Comes Home, Universal - International News, Fred Maness, États-Unis, février 1953.

21 Lire les travaux de Dominique Mehl, références en bibliographie.

22 Parler d’experts dans ce contexte, c’est se référer à la terminologie médiatique quant au statut que l’on donne aux médecins, aux psychiatres, aux juristes, aux ingénieurs, etc., et à toute autre forme d’autorité scientifique consultée sur les plateaux de télévision.

23 Nous proposons de plus amples descriptions et analyses sur les dispositifs et politiques de prise en charge de la transidentité dans notre premier ouvrage publié en 2015.

24 L’étude de corpus (2008-2012) a permis de mettre à jour ce glissement lexical à la télévision en particulier. L’implication associative comme l’expérience personnelle (la socialité trans) des années 1990 et sa mise à distance, permettent de proposer cette lecture empirique.

25 Nous ne citons pas le nom de la personne injuriée et mégenrée (utilisation du pronom du genre assigné à la naissance). Nous avons aussi corrigé un certain nombre de fautes d’orthographe rendant la lecture difficile, tout en ne modifiant rien au propos ni à la structure grammaticale des propos.

26 Au XIXe siècle l’expression désigne une femme de caractère ne répondant aux normes de genre imposées aux femmes (voir notamment : Online Etymology Dictionary). Au 20e, dans les années 1970, il désigne les personnes trans prostituées dans le contexte états-unien ou de l’industrie pornographique américaine. Il peut aussi valoir pour insulte entre personnes trans. Dans l’exemple que nous avons donné, « transgenre » assure la même fonction : injurier une personne avec le marqueur corporel et imaginaire : « une trans non-opérée ».

27 Lorsque nous parlons de « corps opposés » ou de « corps opposables », nous nous référons aussi bien aux « intuitions » qu’aux observations nées et constituées à la fois sur des savoirs expérientiels et académiques, tout en reconnaissant les imprégnations symboliques antécédentes à la recherche (l’engagement associatif, l’expérience d’un parcours trans) ainsi que des processus constants de mise en abîme de cette recherche et de mise en tension des savoirs produits et diffusés.

28 Ou « déviance » au sens de violation des normes sociales (Becker [1963] 1985).

29 Procès-verbal d’assemblée générale extraordinaire, 4 décembre 2017.

30 Politique trans : manière dont les personnes et les groupes trans agissent et existent dans les espaces publics et médiatiques en portant des contre-discours et des contre-représentations.

31 Passing : ne pas se faire détecter comme personne trans, c’est-à-dire passer pour homme ou femme dans l’espace public. Des opérations complémentaires de chirurgie esthétique sont parfois nécessaires. Du côté des médecins comme des personnes trans, il y a détection/adhésion des/aux standards des corps perçus sans ambiguïté comme masculins ou féminins. Pour les « détracteurs » aux opérations, l’argument d’une inflation de la chirurgie chez les personnes trans est mis en avant. Le corps médical semble avoir adopté plusieurs positions depuis les années 1980 : le « principe narcissique » (les fondateurs comme René Küss le 29 juin 1982, sur Antenne 2) ; le principe de précaution (comme avec la Sofect) ; le principe de bienveillance (des médecins hors protocoles hospitaliers).

32 Par Out nous proposons l’idée d’une visibilité volontaire comme personne trans et/ou de faire fi du passing et/ou refuser l’assignation (« défaire le genre », refuser l’adhésion au système sexe-genre, dénoncer la binarité, etc.).

33 Note de Ian Zdanowicz : « Autrement dit, ce terme est à mettre en rapport avec les critères de reconnaissance sociale perçus par la société moderne comme « naturels » et « corporels » (« sexe »/« genre », « orientation sexuelle », « race », etc.) et / ou a priori inchangeables (comme la classe sociale ou la nationalité dans certains contextes géopolitiques et pendant certaines périodes historiques). »

34 Le rapport Transphobie initié et soutenu par le Comité Idaho et République & Diversité, donne le chiffre de 85 % de personnes trans ayant subi au moins un acte de transphobie. Le rapport 2017 de Sos homophobie montre une nette augmentation des signalements d’actes de transphobie : 63 signalements pour 2015, contre 121 en 2016. Le Transgender Network Switzerland indique qu’en 2016, 295 meurtres de personnes trans ont été enregistrés dans seulement 33 pays. Aux États-Unis, la Human Right Campaign, signale 27 assassinats de personnes trans en 2017. Le dispositif Trans Murder Monitoring de Transgender Europe indique qu’au 1er mars 2016, plus de 2 000 personnes trans ont été tuées : Brésil (802), Mexique (229), Colombie (105), Venezuela (98), Honduras (79) pour l’Amérique centrale et du sud ; États-Unis (132) pour l’Amérique du Nord ; Turquie (41), Italie (33) pour le continent européen ; Inde (54), Philippines (40), Pakistan (34) pour l’Asie. Il faut noter, que les chiffres de nombreux autres pays feraient sensiblement augmenter les chiffres.

35 En raison d’un choix et/ou d’un « coup de chance biologique », d’une androgynie prétransition, de l’efficacité des traitements, l’âge de la transition, car le corps ne réagit pas à 60 ans comme à l’adolescence, etc.

36 Émission Salut les Terriens, « T’es qui toi ? Inès Rau, la trans de “Playboy” », 23 avril 2016, Canal Plus.

37 Nous appuyons sur la traduction de Kira Ribeiro (Stone, 2015).

38 Des exemples : « L’avenir de la mode réside-t-il dans le non-genre ? (Clément, Retailleau, Konbini, 2015) ; « Mansur Gavriel choisit le modèle transgenre Hari Nef pour sa campagne printemps-été 2016 » (Le cahier tendances de l’Obs, 2016) ; « “Vogue France” célèbre la « beauté transgenre», une première », (le Direct de Libération.fr, 2017) ; « La mode du « transgenre» gagne les enfants et les adolescents » (Smits, Reinformation.tv, 2017) ; « Les mannequins transgenres, à la mode ? » (Chastain, TV5 Monde, 2017) ; « Le « No Gender» ou quand la mode s’affranchit des sexes » (Dupuis, Madame Figaro, 2017).

39 Nous nous référons aux notions d’imaginaire social (Castoriadis 1975) et d’imaginaire médiatique (Macé 2006). Imaginaires que nous estimons consubstantiels dans la construction de modèles et d’archétypes. Notre étude montre qu’il y a eu un modèle valorisé (le modèle transsexe) et un modèle longtemps minorisé (le modèle transgenre) à travers des processus croisés liés au genre et à la sexualité.

40 Le terme est d’origine nord-américaine (to zap, onomatopée de certains sons d’armes à feu, 1942). Depuis, il a pris de nombreux sens, parmi ceux-ci nous retenons : « annuler, changer » et « faire une action ou un mouvement brusque, rapide ». Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, propose une définition complète. Dans notre cadre : « faire annuler une prise de parole ou investir un plateau de télévision pour faire passer des messages, etc. » Nous allons préciser le terme sur la base des écrits de Victoire Patouillard plus bas dans le texte.

41 Par exemple, s’allonger par terre pour figurer les morts du sida ou d’une répression.

42 Groupe de féministes ukrainiennes, fondé en 2008 à Kiev, par Anna Hutsol, Oksana Chatchko et Alexandra Chevtchenko. Le mouvement s’est étendu à d’autres pays et il est connu à l’international pour ses actions seins nus et corps couverts de slogans.

43 FtM : female to male ; MtF : male to female ; Mt*, MtU, MtX, etc. marquent des refus d’assignation.

44 Le projet XXboy’s était aussi et surtout un projet artistique du photographe Kael T-Block.

45 <http://kaeltblock.fr/xxboys>

46 Quand une partie de l’associatif trans et queer a pris la mesure des enjeux de la critique féministe ; pour la France : le Zoo (1998), le GAT (2002), STS (2002), OUTrans (2009).

47 LGBTIQ : Lesbiennes, Gays, Bi.e.s, Trans, Intersexes, Queer.

48 Stop Trans Pathologization, Global Action for Trans* Equality, Transgender Europe entre autres organisations.

49 Par les protocoles de prise en charge de la transidentité, l’ordre des genres (le sexisme oppositionnel), les normes sociales plus largement.

50 Les noms sont nombreux et dans la communication donnée lors du colloque de Strasbourg (28-30 avril 2016), l’énumération était illustrée par de nombreux clichés de visages et de corps de personnes trans désormais célèbres : Inès Rau, Andreja Pejic, Isis King, Laszlo Pearlman, Kye Allums, Laverne Cox, Candis Cayne, Caitlyn Jenner, Balian Buschbaum, Loren Cameron, Jenna Talackova, Carmen Carrera, Chaz Bono, parmi beaucoup d’autres.

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Pour citer cet article

Référence papier

Karine Espineira, « Les corps trans : disciplinés, militants, esthétiques, subversifs »Revue des sciences sociales, 59 | 2018, 84-95.

Référence électronique

Karine Espineira, « Les corps trans : disciplinés, militants, esthétiques, subversifs »Revue des sciences sociales [En ligne], 59 | 2018, mis en ligne le 30 octobre 2018, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/revss/701 ; DOI : https://doi.org/10.4000/revss.701

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Auteur

Karine Espineira

Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis LEGS, UMR 8338

<karine.espineira@me.com>

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