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Seconde partie
I. Études libres

Remettre l'Algérie à l'heure ottomane. Questions d'historiographie

Tal Shuval
p. 423-448

Notes de la rédaction

Avertissement :
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Texte intégral

1Dans la présente étude, je me propose de tracer les grandes lignes de l'histoire politique de la province ottomane d'Algérie, appelée en turc ottoman Cezayir-i Garp, durant les trois siècles de son existence, en montrant la correspondance entre cette histoire et les développements dans le centre de l'Empire ottoman ainsi que dans d'autres provinces. Les différentes composantes de l'élite militaro-administrative seront étudiées aussi, afin d'examiner les influences des relations du pouvoir central avec la province. Le développement historique de la formation sociale, économique et politique, la « maison » (bayt, kapı) sera abordée aussi. La « maison » est considérée comme «  une clé de l'histoire ottomane » (Hathaway, 1997 : 18). Or, contrairement à la situation pour le centre de l'Empire et pour les autres provinces, cette formation n'a pas été traitée par les historiens de l'Algérie ottomane.

2Les arguments principaux de l'article sont les suivants : l'histoire de la province ottomane d'Algérie est partie intégrante du dessein et de la structure organisationnelle de l'Empire, forgés par des relations complexes et dynamiques entre le centre et ses provinces. Les mutations dans les relations entre le centre et la province ont influé sur l'évolution des différentes composantes de l'élite militaro-administrative. Celle de la « maison » des membres de l'élite ottomane de l'Algérie fut elle aussi liée aux infléchissements généraux caractéristiques de l'Empire et développa son caractère à la fois unique et ottoman. La création d'une idéologie de sauvegarde du caractère « turc » de l'élite locale, notamment au XVIIIe siècle, comme moyen de manifester sa loyauté au centre de l'Empire empêchait la « maison » de devenir un moyen d'intégration de ses membres en province, notamment à Alger.

  • 1  Pour une bonne discussion sur le « déclin de l'Empire ottoman », cf. Gerber, 1994 : 130-136.

3La nouvelle recherche concernant les provinces arabes de l'Empire ottoman se caractérise par le fait qu'elle préfère étudier ces provinces en tant que parties intégrantes de l'Empire, et non comme des entités séparées, que l'histoire aurait menées invariablement à leur émergence comme États-nations modernes. Cette tendance est bénéfique pour la compréhension de l'Empire ainsi que pour celle de chacune des provinces. Les travaux de Jane Hathaway sur l'Egypte ottomane, de Dina Rizk Khoury sur la principauté de Mossoul et de Dror Ze'evi sur la région de Jérusalem, par exemple, apportent un nouvel éclairage sur le rôle de l'administration centrale, y compris lorsque son influence dans les provinces paraît être à son plus bas niveau (Hathaway, 1997 ; Khoury, 1997 ; Ze'evi, 1996). Ces travaux nous permettent aussi d'avoir de nouveaux aperçus sur l'action des élites locales, même lorsqu'elles semblent frôler l'indépendance. D'ailleurs, la nouvelle recherche constitue une alternative bienvenue au trop simpliste paradigme du déclin. Elle nous aide à accéder à une meilleure compréhension du fonctionnement de l'Empire en évaluant les développements considérés jusqu'ici soit comme symptômes du déclin de l'Empire ou soit comme ses causes1. L'historiographie de l'Algérie ottomane, cependant, semble rester en retrait par rapport à cette tendance. Le paradigme du déclin y est encore omniprésent.

4L'Algérie est en outre toujours vue comme une régence dont l'appartenance à l'Empire n'était que symbolique. Cet état de choses fait non seulement surgir la question de la capacité de l'Empire à maintenir l'Algérie sous sa souveraineté, mais aussi celle de l'histoire « algérienne » comme différente de l'histoire du reste de l'Empire ottoman. Cela conduit à considérer que des processus, en fait communs à toutes les provinces ottomanes, seraient uniquement algériens. Le marchandage entre l'élite ottomane de la province et le centre est perçu comme un signe de la volonté de celle-là de se libérer de l'emprise de celui-ci, alors qu'il devrait être compris non seulement comme une des manières très ottomanes de mener des relations entre le centre et ses provinces, mais aussi comme le désir de l'élite algérienne de se rattacher d'avantage au centre. Entre la fin du XIXe siècle avec les travaux d'Henri de Grammont (1887) et d'Ernest Mercier (1891) et la remarque de Bruce McGowan plus d'un siècle plus tard, l'image des « régences » quasi-indépendantes a très peu changé :

  • 2  Noter l'utilisation par MacGowan du terme « ville-État » (city-state) pour désigner les provinces. (...)

« Dans les premières trois décades du dix-huitième siècle, toutes les trois villes-États nord africains [Alger, Tunis et Tripoli] se sont débarrassé de la plupart des vestiges du contrôle politique d'Istanbul » (MacGowan, 1994 : 676)2.

5Dans un article de 1984, Robert Mantran, qui ne partage pas cet avis, analyse le statut des provinces maghrébines dans les diverses phases de leur histoire. Malgré plusieurs changements de régime subis par chacune des provinces, Mantran (1984 : 6-7) souligne qu'elles restaient ottomanes, et étaient considérées comme telles par Istanbul. Ceci semble aussi être l'avis d'André Raymond (1989 : 354-5). Déjà en 1778, Jean-Michel Venture de Paradis voyait la situation de la même façon (Paradis, éd. 1983 : 34-36). Or, la plupart des chercheurs actuels n'acceptent pas cette analyse. Une partie du problème est liée au fait que les historiens colonialistes, cherchant à justifier la prise de l'Algérie par la France, prétendaient qu'avant la conquête ce pays était soumis à une occupation étrangère impérialiste et qu'il n'appartenait à l'Empire ottoman que de nom. Les histoires nationales du Maghreb post-colonial adhérent à la vue de la quasi-indépendance des « régences » nord-africaines, car cela leur permet de dater l'émergence des diverses nations maghrébines longtemps avant l'ère coloniale (Wansbrough, 1968 : 643-50 ; Saidouni, 1978 ; Le Gall, 1997 :95-97).

6Quoi qu'il en soit, le vrai problème réside dans le fait que le divorce entre l'histoire des provinces maghrébines et celle de l'Empire ottoman (une maladie caractéristique de beaucoup des « histoires locales » des autres parties de l'Empire), nous empêche de voir les diverses étapes de l'histoire de ces régions pour ce qu'elles étaient : un élément d'une entité plus large, impliqué dans des processus plus vastes qui se sont manifestés de différentes façons dans plusieurs autres régions de l'Empire.

Le XVIe siècle : la période des beylerbey

  • 3  Le terme ocak (prononcé odjak) définit la province d'Algérie ainsi que son élite militaro-administ (...)
  • 4  Sur la différence entre corsaire et pirate, cf. Fontenay et Tenenti, 1975 : 78-80.
  • 5  Sur l'organisation des corsaires et son importance pour l'histoire de l'Algérie ottomane, cf. Belh (...)
  • 6  Selon Haedo (1870 : 503), à la fin du XVIe siècle « pendant beaucoup d'Années on observa à Alger q (...)

7La création même de l'unité militaro-administrative algérienne (ocak)3, concurremment avec la conquête ottomane de l'empire mamelouk (1516-17), est directement liée à l'établissement de la province ottomane (heylerbeylik) du Maghreb en 1518. L'attaque ibérique contre le Maghreb central et occidental, couronnée par plusieurs victoires, semblait donner le contrôle de toute la région aux Espagnols. La ville d'Alger leur avait livré en 1511 un des îlots qui barraient son port. Pour se débarrasser de la menace que représentait la forteresse (penon) qu'ils y avaient construite, les habitants s'adressèrent aux corsaires ottomans Oruç et à son frère Barbaras Khayreddin qui opéraient dans la région4. En très peu de temps les corsaires avaient pris le pouvoir dans la ville, et commencèrent à élargir leur territoire aux alentours. Se heurtant à une résistance acharnée et après avoir perdu son frère Oruç, Khayreddin s'était rendu compte que le meilleur moyen pour faire face aux Espagnols et aux pouvoirs locaux était pour lui de se rallier à l'Empire ottoman. Ayant répondu favorablement à sa demande, le Sultan Selim Ier (1512-1520) avait accordé le titre de gouverneur général (beylerbey) à Khayreddin et avait envoyé à la nouvelle province ottomane du Maghreb dont la capitale allait être la ville d'Alger une force de deux mille janissaires accompagnés de quatre mille volontaires bénéficiant des mêmes privilèges que les janissaires. Ces soldats formèrent la base de l'armée des janissaires d'Algérie. Depuis sa création, le corps des janissaires avait trouvé un rival dans ce pays, le groupe des corsaires, dont l'importance économique et le pouvoir militaire constituaient un défi permanent à leur suprématie. Au XVIe siècle, plusieurs gouverneurs de la province furent nommés parmi les corsaires, et une partie d'entre eux devinrent ensuite amiraux de la marine ottomane (kapudan pachd)5. Dans la mesure où, pour leur part, les corsaires recrutaient à la fois des Européens convertis à l'islam (renégats) et des Algériens, la milice n'avait, quant à elle, plus beaucoup d'occasions de recruter des soldats sur place6. La compétition entre les corsaires et les janissaires dépassait le problème du recrutement, elle concernait aussi le problème des revenus (notamment ceux provenant de la course maritime, considérée comme la plus importante source de fonds). Depuis 1568 les janissaires avaient acquis le droit de se joindre à la course et, vers la fin du XVIIe siècle, la milice avait réussi à incorporer la corporation des corsaires (ta 'ifa) en son sein.

8Pendant presque tout le XVIe siècle, la province nord-africaine constitua une zone de guerre entre l'Empire ottoman et les Habsbourg présents en Espagne. La trêve signée en 1580 entre Philippe II et Murad III avait réduit l'ampleur de la guerre dans la région, mais n'avait pas amené la paix. En 1587 le Maghreb ottoman fut divisé en trois provinces, établies là où allaient émerger les trois États modernes : la Libye, la Tunisie et l'Algérie, et gouvernées par des pachas envoyés d'Istanbul pour une période qui ne devait pas dépasser les trois ans (les pachas triennaux). La division du Maghreb en trois provinces est le signe de la diminution de l'importance de chacune d'entre elles pour le centre impérial. Paradoxalement, la province algérienne allait être confrontée aux périls de la guerre pendant des siècles. La création de la province d'Alger lançait le processus de la prise de pouvoir de la milice des mains du gouverneur général (Hess, 1977 : 75 ; Mantran, 1984 : 5-6).

Le kapı des gouverneurs au XVIe siècle

  • 7  Voir le récit de cette anecdote dans Al-Jadirî, folio 17.

9La période entre 1518 et 1587 est communément appelée « la période des beylerbey-s ». Comme nous l'avons vu, le gouverneur général était à l'époque le plus souvent une personne qui commençait sa carrière au sein de l'organisation des corsaires. Ainsi, Khayreddin Pacha, qui fut le premier heylerbey de la province du Maghreb, était corsaire avant de devenir gouverneur général du Maghreb. Lorsqu'en 1533 il fut appelé à Istanbul pour prendre le commandement de la marine ottomane, il nomma son lieutenant, Hadim Hasan Agha, gouverneur en son nom. Hadim Hasan naquit en Sardaigne où, enfant, il fut capturé par des corsaires Algériens. Il devint l'esclave de Khayreddin qui l'affranchit par la suite. À partir de ce moment il commença son ascension. Il devint l'homme de confiance de son maître, puis gouverneur de la province en son nom. Après la victoire d'Alger sur Charles V en 1541, Hadim Hasan avait reçu le titre de pacha du sultan Süleyman (1520-1566)7. Cette ascension de Hasan Pacha, qui commença sa carrière comme esclave, est un des traits caractéristique de la « maison » des membres de l'élite militaro-administrative de l'Empire ottoman en général, et de celle des gouverneurs généraux des provinces ottomanes à partir de la deuxième moitié du sixième siècle de l'Hégire (Kunt, 1983 : 39-40).

« Dans la société ottomane, remarque Kunt (1983 : XIII), qui avait partagé avec l'Etat mamelouk une base théorique commune, et qui avait développé des institutions semblables, on doit s'attendre à ce que chez les uléma..., ainsi que chez les groupes qui participaient aux fonctionnes militaro-administratives, les relations personnelles aient joué un rôle important ».

  • 8  Sur le kapi, (Findley, 1980 : 32 ; Ze'evi, 1996 : 35 ; Abou-El-Haj, 1974 : 438-447 ; Toledano, 199 (...)

10Ce genre de relations s'était formé dans le cadre de ce qu'on appelle principalement kapıou bayt8. Au milieu du XVIe siècle,

« relations de patronage et affiliations à des maisons sont devenues un facteur dominant dans l'état » (Kunt, 1983 : 95).

  • 9  Sur le kapi, du sultan, voir l'œuvre de L. Pierce 1993 . Sur le modèle du kapt, du sultan : Göçek (...)
  • 10  Construits selon les mêmes principes, il est évident que les kapi-s se ressemblaient mais, en même (...)
  • 11  Cf. Khoury, 1997 ; Batatu, 1982 ; Hathaway, 1997 ; Schatkowski-Schilcher 1985 ; Ze’evi, 1996.

11La formation des kapı-s n'était pas limitée au seul centre de l'Empire à Istanbul. Dans les provinces aussi, les gouverneurs avaient modelé leurs kapı-s sur le modèle de celui du sultan, mais à échelle réduite9. Ces kapt-s fonctionnaient comme centres de recrutement et d'intégration dans l'élite militaro-administrative des provinces et du centre impérial. Dès la fin du XVIe siècle, et notamment pendant le XVIIIe siècle, le kapt est devenu la principale unité militaire, politique, économique et sociale dans les provinces ottomanes (Toledano, 1997 : 154)10. Cela est mis en évidence par la nouvelle recherche sur ces provinces comme l'Irak, l'Egypte, la Syrie, la Palestine etc.11.

  • 12  Il s'agit d'Oruç, p. 1281 ; Khayreddin, p. 662 ; Hasan Pacha fils de Khayreddin, p. 631 ; Hadim Ha (...)

12Etudiant les entrées concernant l'Algérie au sixième siècle de l'Hégire dans le dictionnaire biographique Sicill-i Osmani, on y trouve onze résumés des carrières des gouverneurs de cette province. Outre les deux fondateurs (Oruç et Khayreddin), six personnes — le fils de Khayreddin et des hommes ayant entamé leur carrière sous son beylicat ou sous des hommes qui avaient servi sous Khayreddin — sont devenus gouverneurs d'Algérie (Sùrreya, 1986)12. Le chroniqueur appelé « Fils du Mufti » donne la liste des gouverneurs de cette province. De 1517 à 1587, ils sont quatorze (y compris Khayreddin) dont neuf au moins furent directement ou indirectement liés à Khayreddin (Delphin, 1922 : 200-201). On voit donc le rôle décisif du kapısur le choix du beyler-bey du Maghreb puis du Grand Amiral (1533-1546), lequel a eu des liens avec les plus hauts fonctionnaires de l'Etat au cœur de l'Empire (Veinstein, 1989 : 185 ; Uzunçarsili, 1988 : 414) et il semble que l'influence de ce kapıait survécu à son fondateur. Cela se passait à l'époque où la province était directement liée au centre, et où le système des kapı-s fonctionnait au Maghreb comme un outil efficace de recrutement et comme moyen d'intégration dans l'élite ottomane provinciale ainsi que dans la hiérarchie impériale. C'était en outre le moment où l'Algérie fonctionnait comme une zone tampon entre les empires des Ottomans et des Habsbourg.

La crise du XVIIe siècle

13Étudier l'histoire de la province ottomane d'Algérie comme l'histoire particulière d'une entité séparée a mené Julien à remarquer que :

« rien n'est plus fastidieux que l'histoire intérieure des régences au XVIIe siècle. À Alger, ce ne furent que complots, émeutes et massacres » (Julien, 1986 : 274).

  • 13  Cf. Goldstone, 1988 : 103-142 ; Barkey, 1994 : 48-54 ; Inalcik, 1994 : 22-25 ; Faroqhi, 1994 : 433 (...)

14Un regard sur le centre de l'Empire ainsi que sur l'histoire des autres provinces montre clairement que les développements en Algérie faisaient partie d'un processus plus large, communément nommé « la crise du XVIIe siècle », qui n'a pas épargné l'Afrique du Nord ottomane. Il s'agit de toute une série de problèmes qui étaient le résultat d'une combinaison de changements démographiques (une croissance très importante de population) et de changements économiques dont le résultat fut une hausse des prix13. Les estimations de la population de la ville d'Alger indiquent une croissance de la population de la ville vers la fin du XVIe siècle (Cresti, 1987 : 130-131), dont la raison ne se bornait pas à la seule croissance naturelle mais aussi l'arrivée plus ou moins massive de musulmans expulsés d'Espagne, ainsi qu'à l'augmentation du nombre des janissaires (Hess, 1978 : 146-147 ; Khiari, 1993 : 119-120 ; Brahimi, 1970). Les succès des corsaires avaient aussi contribué à la croissance de la population par les nombreux captifs amenés en ville (Cresti, 1987 : 131).

15La description de la situation économique à Alger par Grammont au début du XVIIe siècle, malgré les préjugés de l'auteur, est assez éloquente :

  • 14  Voir aussi Boyer, 1973 : 160-162.

« la population de cette ville n'avait pas cessé de s'accroître et, comme elle ne se livrait à aucune industrie et à aucun commerce, elle ne vivait que des produits de la piraterie. [...] Aussi, lorsque la course restait infructueuse, la gêne se faisait d'abord sentir, puis la misère, puis la famine » (Grammont, 11879 : 3-4)14.

16Cette description peut être remplacée par l'explication de Goldstone :

« la croissance de la population n'a pas été accompagnée par une croissance comparable de l'agriculture » (Goldstone, 1988 : 107).

  • 15  Pour une analyse des revenus de la province dans la première moitié du XVIIe siècle, cf. Boyer, 19 (...)

17D'où la dépendance de la population sur les « produits de la piraterie », et les problèmes que des échecs sur mer pouvaient causer sur terre15.

18Évidemment, la ville d'Alger ne peut pas être l'aune à laquelle évaluer la situation de l'ensemble de la province, d'autant plus que, comme nous l'avons vu, la croissance de sa population n'était pas le résultat de la seule croissance naturelle. Or, l'instabilité de la situation dans les campagnes, les rebellions et la famine qui y régnaient à l'époque, s'ils ne peuvent être utiles à une évaluation quantitative de la population, sont au moins les indices qu'un malaise social et que les rebellions dans les campagnes étaient devenus, pendant la première moitié du XVIIe siècle, aussi typiques de la province algérienne qu'ils ne l'étaient en Anatolie (Grammont, 1887 : 151, 159 ; Delphin, 1922 : 203, 209). Que la cause de ce malaise ait été l'incapacité de la campagne à produire en quantité suffisante pour une population croissante ou un niveau d'impôts trop élevé, le résultat était le même. La lutte pour la répartition des revenus entre les différentes composantes de l'élite militaro-administrative de l'Algérie au XVIIe siècle, avait impliqué la totalité de la province.

19Vers la fin du XVIe siècle, les salaires des janissaires avaient augmenté à tel point que les revenus de la province n'y suffisaient pas. En 1593, le gouverneur Chaban Pacha (1591-1594) demanda au sultan la permission de faire participer les janissaires à la course, pour augmenter leur revenu et pour alléger son fardeau. Le fait qu'une permission ait déjà été donnée aux janissaires de se joindre à la course en 1568 peut indiquer qu'elle n'avait pas été suivie d'effet, du moins d'une manière satisfaisante pour les janissaires. Le pacha avait demandé de taxer une plus grande partie encore du butin des corsaires pour le Trésor de la province (Hess, 1978 : 109-110). Des problèmes concernant les salaires des troupes impériales en ce temps d'inflation rapide de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle avait été résolus par la permission accordée aux janissaires « d'augmenter leur salaire par de diverses activités extra-cur-riculaires » (Kunt, 1983 : 83). Si pour d'autres parties de l'Empire cela voulait dire que les janissaires s'étaient mêlés au commerce et à d'autres activités économiques « civiles » (Raymond, 1991 : 16-17), la course, la plus lucrative activité de la province, devait être très alléchante pour les janissaires d'Algérie, d'où cette demande. Notons en passant que la participation des janissaires d'Alger à l'activité économique de la ville au XVIIIe siècle était minimale (Shuval, 1998 : 137).

  • 16  Cf. Raymond, 1989 : 350 ; Inalcik, 1980 : 290-291 et note 16.

20Décrivant la situation à la fin du XVIe siècle, Julien (1986 : 274) estime que « le pacha devait se contenter d'être un gouverneur de parade ». La désobéissance des janissaires et le pouvoir des corsaires sont habituellement considérés comme la cause du déclin du pouvoir du gouverneur dès la fin du XVIe siècle. Or ce phénomène touchait la plupart des provinces ottomanes et on peut y ajouter les décisions du gouvernement central comme celles de limiter la durée d'occupation du poste de gouverneur de province ou d'organiser de tout un système de contre-pouvoirs à son autorité, sans compter les difficultés rencontrées par des gouverneurs à contrôler les soldats, y compris ceux des forces locales. Ces autres facteurs expliquent le déclin du pouvoir du pacha un peu partout dans l'Empire16.

21Nous avons vu qu'à la fin du XVIe siècle les gouverneurs ne pouvaient plus assurer la solde des janissaires, ce qui allait être chronique tout au long du XVIIe siècle (Boyer, 1973 : 160-161). Selon Murphey (1979 : 279), telle était la situation dans la plupart des provinces ottomanes à l'époque, car l'office de gouverneur n'était plus regardé comme « une charge sacrée », mais comme un investissement financier de la part de beylerbey-s qui devaient acheter leur charge. Il n'en allait pas différemment pour la province algérienne. Confronté à un besoin de recouvrir au plus vite le prix payé pour obtenir le poste de gouverneur, le pacha était souvent incapable (ou peu disposé) à rémunérer le nombre croissant de janissaires. Face à une milice en augmentation et à une organisation de corsaires au plus haut de ses pouvoirs, gouverner une province éloignée s'avéra plus que ce que la plupart des pachas triennaux pouvaient faire.

Les kapı-s des pachas triennaux

  • 17  Cf. Sürreya, éd. 1996 : 290, 639-640, 662, 725, 1029, 1115, 1123, 1181, 1281, 1326, 1479, 1639, 16 (...)
  • 18  Cf. Kunt, 1983 : 88-89 ; Inalcik, 1980 : 296 ; Barkey, 1994 : 164-167.

22Après la division du Maghreb en trois provinces, les gouverneurs de chacune d'entre elles n'étaient plus des hommes ayant de fortes relations dans la région, comme l'avaient été les beylerbey-s. À la différence des beylerbey-s du Maghreb, dont la carrière commençait normalement en province, les pachas triennaux étaient des hommes qui avaient d'abord eu un poste au centre de l'Empire, d'où ils avaient été ensuite été envoyés pour gouverner les provinces. Ce fait est confirmé pour l'Algérie par le Sicill-i Osmani17. Ceci était une partie d'un changement général subi par le système militaro-administratif de l'Empire. Metin Kunt (1983 : 67) a démontré l'importance d'avoir un grand kapt pour la nomination de son patron au poste de gouverneur de province18. Ainsi, bien que nous n'ayons pas trouvé de description des kapı-s de ces pachas, il est très vraisemblable qu'ils ne sont pas arrivés dans la province sans leur suite. L'existence d'un divan particulier du pacha, de l'époque de Khayreddin à 1618, semble confirmer cette hypothèse, comme le fait remarquer Laugier de Tassy (1992 : 42), à l'effet que « le Pacha avait sa maison, son train, ses appointements aux dépenses du gouvernement ». Même à l'époque où les pachas d'Alger avaient perdu tout pouvoir réel, il semble qu'ils aient gardé un kapıassez impressionnant. C'est ainsi que l'on trouve la description de Pétis de la Croix au sujet de Mustafa Pacha (1690-1692) :

« il possède seulement une dignité honoraire et illustre, ayant une Cour magnifique, de beaux chevaux et tout ce qui peut contribuer à la magnificence d'un Prince. Il loge même dans le Palais Royal » (Emerit, 1953 : 11).

23Les kapı-s des pachas triennaux semblent avoir perdu leur rôle de recrutement sur place. Au contraire, les descriptions que l'on a d'eux semblent dessiner un isolement croissant des pachas du reste de l'élite ottomane de la province (Arvieux, 1735 : 203, 243-244). Ce genre de kapt « impérial » avait cessé d'exister en Algérie après 1711, depuis qu'Istanbul n'envoyait plus de pachas.

Les kapı-s des corsaires

  • 19  Le problème de l'homosexualité dans une société à forte majorité masculine, comme l'était l'élite (...)

24Le phénomène du kapt n'était pas étranger aux corsaires. Comme nous l'avons vu, une grande partie des gouverneurs pendant le XVIe siècle étaient des marins qui se faisaient une place parmi les grands par le système du kapt ; il est donc logique de présumer que les corsaires aussi étaient liés au système. D'ailleurs, le terme même qui désigne la corporation des corsaires, ta 'ifa, peut être interprété comme « partisans du rais » (amiral de la marine algérienne) (Hathaway, 1997 : 20et n. 10). La description d'Haedo, de la fin du XVIe siècle, ne laisse pas de doute sur l'existence des kapı-s chez les corsaires. Malgré la volonté de l'auteur de présenter cela comme un phénomène homosexuel19, le passage se lit comme une description du kapı :

« les Raïs recueillent dans leurs maisons quelques Levantins ou soldats qu'ils préfèrent, et pour les maintenir contents et disposés à retourner avec eux une autre fois [à la mer], ils leur donnent à manger chaque jour, et leur font la fête à leur manière. C'est alors que les Raïs et les Levantins habillent richement leurs garçons (qui sont femmes barbues) d'habits fort jolis [...]. C'est un point d'honneur parmi eux de lutter à qui aura le plus grand nombre de ces garçons, les plus beaux et les mieux vêtus » (Haedo, 1871 : 49).

25Plusieurs des kapı-s des corsaires avaient été très importants. Kiliç Ali Pacha, beylerbey dela province (1568-1571) et Grand Amiral de la marine ottomane jusqu'à sa mort en 1587 « entretenait dans sa maison cinq cents « renégats » qu'il appelait ses fils et traitait comme tels » (Bennassar, 1989 : 370). La personne qui avait marqué le deuxième quart du XVIIe siècle à Alger était Ali Biçnin, Italien converti, qui devint le chef de la corporation des corsaires. Il possédait deux palais à l'intérieur de la ville, et construisit une mosquée qui portait son nom. Près de sa mosquée il avait ses bagnes qui renfermaient entre cinq et huit cents esclaves

« sans compter ceux qui ramaient sur ses navires et ceux qui cultivaient ses nombreuses métairies » (Grammont, 1880 : 5).

26En comparaison, le Grand Vizir Rüstem Pacha (1er règne : 1544-1553, 2e règne : 1555) possédait, à la veille de sa mort, quelque mille sept cents esclaves (Inalcik, 1975 : III, 1090 ; Ghulam III, 1975 : 1090). Avec le déclin de la course dès la deuxième moitié du XVIIe siècle, les corsaires ont perdu leur principale source de revenus et, par conséquent, leur pouvoir vis-à-vis la milice. Ce développement se produisit parallèlement au désintérêt croissant à Istanbul du bassin ouest de la Méditerranée qui se manifestait, entre autres, par le fait que, dès la fin du XVIe siècle, le chef de la corporation des corsaires ne pouvait plus aspirer au poste de Grand Amiral de la marine ottomane. En d'autres termes, les kapı-s des corsaires avaient perdu, pendant le XVIIe siècle, la possibilité d'injecter leurs hommes dans la hiérarchie militaro-administrative du centre de l'Empire.

Le XVIIe siècle : Gezayir-i Garp marginalisé

27Durant la première moitié du XVIIe siècle, l'autorité ottomane était menacée en permanence, principalement en Anatolie, mais aussi dans d'autres régions (Inalcik, 1980). Les événements politiques dans la province, la lutte pour le pouvoir et pour les revenus au sein des différentes parties de l'élite ottomane de l'Algérie doivent être étudiés dans le cadre de la crise du XVIIe siècle, c'est-à-dire comme partie d'un phénomène plus vaste.

28La présentation de la nature rebelle de Yocak comme un caractère typique de l'Algérie au XVIIe siècle cache le fait qu'il s'agissait d'un mouvement qui affectait en fait la plupart des provinces de l'Empire.

« Dans les années qui suivaient la révolte des sipahi [1609], les beys d'Egypte avaient manifesté un pouvoir retrouvé sommairement pour déposer tout gouverneur qui menaçait leurs intérêts » (Hathaway, 1997 : 33-4).

29Ainsi, en 1631, par exemple, ils déposèrent le gouverneur Mûsâ Pacha, et plus tard quelques autres gouverneurs (Hathaway, 1998 : 41 ; Raymond, 1989 : 351). L'Egypte ne fut pas la seule province où des rebellions semblables aux Celali éclatèrent. Ce fut un phénomène assez fréquent dans plusieurs régions jusqu'à l'époque du Grand Vizir Mehmet Köprölö qui avait pris la situation en mains en 1656.

30C'est dans ce cadre qu'il faut étudier l'épisode de la révolte d'Ali Biçnin au milieu des années quarante du XVIIe siècle. Chef de la corporation des corsaires, le converti italien Ali Biçnin est devenu l'homme fort de la province. D'après Grammont, entre 1630 et 1645, il fut considéré comme le véritable gouverneur d'Algérie par les Pères rédempteurs ainsi que par les captifs européens (Grammont, 1880 : 5 n. 4 ; Boyer, 1974 : 21). Son titre, d'après le Père Hérault était « général des Galères et gouverneur de la ville » (Boyer, 1975 : 40) ou encore « Gouverneur et Capitaine général de la Mer et Terre d'Alger » (Boyer, 1974 : 21). La description de la situation à l'époque, dans la province en général et dans la ville d'Alger en particulier, dresse un tableau fait d'un mélange de succès et d'échecs : victoires des corsaires ainsi que quelques défaites, alors que les janissaires étaient impliques dans la répression de plusieurs rebellions à la campagne, souvent sans succès (Grammont, 1887 :176-194). Plusieurs gouverneurs furent jetés en prison par les janissaires qui n'avaient pas été payés (Boyer, 1974 : 20-21). En outre, la lutte entre les groupes des janissaires et celui des fils de janissaires de mères indigènes (kuloğlu) faisait rage à l'intérieur de la ville d'Alger (Grammont, 1880 : 6-8). Il semble que le chef de la tâ'ifa ait été le seul à pouvoir contrôler la situation dans la province, grâce à sa richesse personnelle et au pouvoir des corsaires dont il était le chef.

31En 1638, la flotte algérienne avait reçu l'ordre du sultan Murad IV (1623-1640) de se joindre à la marine ottomane dans la guerre que l'Empire soutenait contre Venise. À la tête de ses hommes et avec quelques-uns de ses navires personnels, Ali Biçnin avait souffert de pertes importantes lorsqu'il fut pris au dépourvu par les Vénitiens à Valone. Malgré la promesse du sultan de le dédommager pour la perte de ses hommes et de ses navires, il ne reçut pas un sou (de Grammont, 1887 : 187-188 ; Wolf, 1979 : 149). En 1645, le Sultan Ibrahim avait décidé d'attaquer les chevaliers de Malte, mais Ali Biçnin refusa d'obéir à ses ordres de rejoindre la marine ottomane. Le sultan envoya alors deux émissaires à Alger avec l'ordre de ramener la tête du corsaire récalcitrant à Istanbul. À leur arrivée, la population se révolta contre eux ainsi que contre le pacha Mehmet. Ce dernier se réfugia dans une mosquée, et les émissaires se virent être renvoyés à Istanbul bredouilles. D'après Grammont, les janissaires, dont on n'avait pas payé les soldes, décidèrent que Biçnin ayant pris le gouvernement, il devait les leur assurer. Mais Ali Biçnin prit la fuite pour ne pas avoir à payer les janissaires (Grammont, 1880 : 38 ; Gaïd, 1991 : 129).

32Cependant il y a une autre version, basée sur le témoignage oculaire du Père Hérault (Boyer, 1974 : 21-23 ; 1975 : 29-74), selon laquelle il paraîtrait que Biçnin aurait assuré la solde des janissaires avant l'arrivée des émissaires du sultan. Boyer (1974 : 21 ; 1975 : 40) pense qu'il l'avait déjà fait fin décembre 1644. Si cela a bien été le cas, les deux événements, l'arrivée des envoyés du sultan et le paiement aux soldats n'étaient pas directement liés, comme le suggère Grammont. Il semble que Biçnin ait adopté deux lignes de conduite contradictoires : obéissance au sultan et révolte contre lui. D'abord, il participa à l'effort naval ottoman de 1638 pour refuser, en 1645, de rejoindre la marine ottomane. Au même moment il assura la solde des janissaires mais, par la suite, fin mai 1645, il quitta précipitamment la ville d'Alger « pour ne plus faire la paye à la milice » (Boyer, 1975 : 32). Selon Grammont, Ali Biçnin retourna dans la ville d'Alger car le sultan avait cédé à ses exigences

« et lui envoyait le caftan, et seize mille sultanins d'or échangés contre le concours de seize navires » (Grammont, 1880 : 39).

  • 20  Sur la question du retour d'Ali Biçnin à Alger : Boyer, 1975 : 33, n. 17.

33Ali Biçnin mourut peu de temps après, soit en route vers la ville, soit après son arrivée20. Grammont (1880 : 39) et Samih (1936 : 208) remarquent que l'ambition de Biçnin était de recevoir le titre de Pacha (voir aussi : Gaïd, 1991 : 129). Cette remarque permet une spéculation sur le comportement du chef de la tâ'ifa comme un moyen de marchander une promotion dans la hiérarchie de l'Empire, d'une manière qui n'est pas sans ressemblance avec les actions commises par quelques chefs des sekban en Anatolie au milieu du XVIII siècle (Inalcik, 1980 : 297-299 ; Murphey, 1979 : 300 ; Faroqhi, 1994 : 421). Étant arrivée au plus haut poste de l'organisation des corsaires, et devenu de facto gouverneur de la province, il n'aurait été que naturel pour lui d'essayer de trouver un poste encore plus élevé au sein de l'élite militaro-administrative du centre de l'Empire. De là sa participation à l'effort naval de 1638, et sa prise de la responsabilité pour la paye des janissaires, peut-être comme un essai de se créer une base de pouvoir plus large que la seule corporation des corsaires. Son échec, que l'on peut interpréter comme un signe de la marginalité de la province algérienne pour le lancement des carrières impériales, pouvait le motiver à essayer de forcer la main au sultan pour qu'il le promeuve : d'abord par le refus de participer à la campagne navale de 1645, ensuite par l'abandon de son rôle de payeur des janissaires, rôle qui ne lui acquit pas la promotion voulue, mais qui devait lui coûter beaucoup d'argent (Boyer, 1974 : 32). Se retourner contre le gouvernement central fut une méthode employée pendant la première moitié du XVIIe siècle par des hommes ambitieux qui voulaient forcer une promotion ou d'autres concessions de l'État. L'attitude des hauts fonctionnaires, au début du XVIIe siècle, appuyait et récompensait de pareils chantages :

« promouvoir ces bandits, les incorporer, en s'assurant sur le fait qu'ils se sentaient honorés valait bien l'effort car l'incorporation signifiait la paix des armées » (Bar-key, 1994 :224).

34Une comparaison entre Ali Biçnin et les autres rebelles cherchant une promotion, comme Abaza Mehmet, souligne l'importance, pour le succès d'une telle entreprise, d'être lié aux patrons qui faisaient partie de l'administration centrale de l'Etat (Barkey, 1994 : 223-226). Faute des liens nécessaires, Ali Biçnin était voué à l'échec. Autrement dit, il semble que le kapıde Biçnin, qui fonctionnait bien dans la province en lui assurant le pouvoir dont il avait besoin pour réussir localement, n'était pas en relation, au centre de l'Empire avec des personnages suffisamment importants pour assurer son intégration au niveau impérial. Boyer, qui pense que Biçnin était motivé par des raisons politiques, croit qu'il voulait

« sinon à rompre avec Constantinople, tout au moins à distendre les liens » (Boyer, 1974 :23).

35Or, à la lumière des développements dans la capitale, le comportement d'Ali Biçnin semble signifier qu'au contraire il cherchait un haut poste dans le gouvernement de l'Empire. Tout comme dans le cas d'Abaza Mehmet pour lequel

« il n'y eut aucun essai de cession de l'Empire ; il y avait plutôt plusieurs tentatives de créer de meilleures positions pour le chef des bandits lui-même » (Barkey, 1994 : 225)

La « révolution » des Aghas

36Les problèmes causés par la décentralisation de l'Empire jusqu'en 1656, quand Kôpriilu Mehmet Pacha devint Grand Vizir, s'étaient fait sentir dans des régions diverses de l'Empire. En 1659, le gouverneur d'Algérie, Ibrahim Pacha fut informé de l'arrivée d'Istanbul de son successeur, Ali Pacha. Pour garder son trésor personnel, il avait envoyé deux cent mille kuru, à Istanbul.

37Apparemment, une partie de cette somme venait de l'argent envoyé par le sultan à l'intention de la corporation des corsaires pour qu'ils joignent la marine ottomane. Cela avait causé un tollé général aussi bien chez les corsaires que chez les janissaires. Le pacha fut mis en prison, et le nouveau pacha jugea plus prudent de retourner à Istanbul (Samih, 1936 : 211). Rien dans cet épisode ne semble exceptionnel. En 1655 à Alep, par exemple, la population refusa d'accepter le gouverneur venu d'Istanbul. Elle résista à deux mois de siège avant d'obtenir gain de cause (Raymond, 1989 : 377). Les janissaires de cette ville soutinrent une révolte contre le gouvernement central (ibid. : 374). À Damas les janissaires forcèrent le gouverneur à quitter la ville en 1652, et en 1656-1657 ils empêchèrent le gouverneur désigné d'entrer dans la ville et soutinrent la révolte de Hasan Pacha à Alep (ibid. : 354).

38Ce qui semble différent dans le cas algérien n'est pas la décision du Divan de retirer les vestiges de son pouvoir au pacha, mais la réaction du Grand Vizir Köprïliü Mehmet Pacha. Au lieu d'envoyer des forces armées contre les rebelles, comme il le faisait dans les cas semblables, il coupa promptement les relations entre le centre et la province.

« L'impudence des Algériens l'avait exaspéré, et en sa fureur il avait ordonné que le malheureux Pacha soit amené de Smyrne et exécuté. Ensuite il adressa une lettre aux Algériens qui disait : « eh bien, aucun vali ne sera envoyé chez vous. Vous pouvez vouer obéissance à qui bon vous semble. Le Padichah n'a pas besoin des serviteurs de votre genre. Il possède déjà mille pays comme l'Algérie. Que l'Algérie existe ou pas ne change rien pour lui. Dorénavant il vous est interdit de vous approcher des côtes ottomanes ». » (Samih, 1936 : 215).

39Quand le fermanarriva à Alger, un messager fut envoyé à Smyrne pour informer le Grand Vizir de la décision prise par le divan d'accepter n'importe quel pacha que le sultan voudrait leur envoyer « même un chien ». Le messager resta plus d'un an à Smyrne sans obtenir d'audience du Grand Vizir. L'importance de l'épisode réside dans la manière sans équivoque dont Kôprùlii Mehmet Pacha expliqua aux dirigeants de l'Algérie qu'il n'avait pas besoin d'eux, et qu'il ne voulait pas d'eux. Cela devait leur apparaître évident dans la mesure où n'avait pas accordé d'audience au messager algérien jusqu'à son exécution, qu'il subit plus d'un an plus tard. Ce n'est qu'en 1661, après la mort de Kôprùlii Mehmet Pacha et la nomination de son fils, Fazil Ahmet Pacha comme Grand Vizir, qu'un pacha, Bosnak Ismail Pacha fut envoyé à Alger.

40Peu importait que dorénavant le pacha n'ait plus aucun pouvoir et que les janissaires, qui avaient gagné la lutte contre les corsaires fussent devenus les véritables maîtres de la province. L'épisode qui porte le nom de « révolution des Aghas » avait révélé le point faible de ïocak. Le Grand Vizir Koprùlù avait démontré que ïocak algérien avait plus besoin d'appartenir à l'Empire que le centre n'avait besoin de la lointaine province algérienne. Les membres de l'élite ottomane savaient bien que les raisons qui avaient poussé Khayreddin à chercher la protection de l'Empire étaient toujours valables. La menace européenne pesait toujours lourdement sur cette province, et les relations avec le voisin marocain à l'ouest, comme avec la province tunisienne à l'est n'étaient pas toujours amicales. Le prestige de l'Empire était nécessaire aussi pour l'apaisement des pouvoirs locaux. Prendre des distances par rapport au centre de l'Empire n'était pas une option pour eux, ils le savaient, et désormais il devint clair que les dirigeants de l'Empire le savaient bien aussi. Il semble que la dépendance de la province par rapport au centre ait déterminé la conduite de l'ocak en l'empêchant de trop tendre les rapports avec Istanbul.

Factions dans l'ocak

  • 21  La période dite « des aghas » dura jusqu'à 1671 ; ensuite commença la période dite « des deys ».

41Durant la plus grande partie du XVIe siècle, la milice fonctionna comme une armée au service du beylerbey. Le divan des janissaires s'occupait des problèmes relevant des janissaires, laissant l'administration de la province à son gouverneur. Ce n'est qu'à partir de la fin du XVIe siècle que cette organisation commença à se mêler des questions concernant le gouvernement et l'administration de la province (Boyer, 1970 : 102). Les vrais problèmes, pourtant, ne commencèrent qu'après 1659, lorsque l'ocak s'appropria le gouvernement de la province des mains du pacha envoyé d'Istanbul. Suite à la « révolution des Aghas », le gouvernement passa à des personnes issues de l'élite ottomane de la province, corsaires d'abord, janissaires ensuite21. Depuis cette date jusqu'au règne de Sökeli Ali Çavus (1710-1718), qui avait réuni les titres de dey et de pacha, une rapide succession - notamment par assassinat - des gouverneurs de la province témoigne de l'instabilité du poste.

  • 22  Sur la formation des kapi-s dans les corps des janissaires en Egypte : Hathaway, 1997 : 37-46.

42Faute d'information suffisante concernant l'organisation interne du corps de janissaires, une analyse rigoureuse de la formation des kapı-s au sein de la milice n'est pas possible22. Il y a, en revanche, suffisamment de preuves pour permettre de parler de factions de janissaires, notamment pendant la deuxième moitié du XVIIe siècle, de leur suppression depuis la deuxième décade du XVIIIe siècle et de leur réapparition vers la fin du XVIIIe siècle. En évoquant le choix du dey par la milice, Tassy note que, de ce fait,

« il y en a toujours quelques-uns plus ambitieux que les autres, qui font des partis parmi les plus mutins et les plus intéressés, pour tuer celui qui est en place, sur divers prétextes, et en promettant à ses satellites les premières charges de l'état » (Tassy, 1992 : 130).

43Ces factions pouvaient s'organiser autour d'hommes de religion (Devoulx, 1867 : 387), autour des corsaires (Grammont, 1887 : 251 ; Al-Jâdirî, fol. 20 ; Delphin, 1922 : 211-212), ou même des pachas (Tassy, 1991 : 42). La période des aghas se caractérise par la division de l'élite ottomane de la province en plusieurs factions qui aspiraient à prendre le pouvoir, ainsi, les quatre aghas avaient été assassinés par des factions opposantes (Boyer, 1973 : 164 ; Delphin, 1922 : 205 ; al-Jâdirî : fol. 18-19). La fin de la période des aghas en 1671 ne changea rien. L'assassinat politique ou, dans le meilleur des cas, l'expulsion, continuaient à être des moyens de remplacement des deys. Même après le coup dur porté par Ali Çavus aux factions, qui avait la réputation d'avoir fait « étrangler, noyer ou massacrer 1 700 personnes dans le premier mois de son règne » (Tassy, 1992 : 130), et qui avait réussi à recevoir le titre de Pacha du sultan (Grammont, 1887 : 276), des factions continuèrent d'exister dans la milice, mais leur influence sur la vie politique diminua beaucoup.

La période des pachas-deys : une idéologie « turque »

  • 23  Contrairement à Hoexter (1998 : 20-21) qui voit la demande des deys de recevoir le titre de pacha (...)

44Les relations entre l'Algérie et le centre se caractérisent par une marginalisation croissante de cette province depuis la fin du XVIe siècle, mais aussi par un besoin permanent pour elle d'appartenir à l'Empire afin d'assurer sa protection contre les pouvoirs européens et locaux. Comme l'avait découvert le dey Ali Çavus, le chef de la province avait aussi besoin du prestige que lui donnait sa nomination au titre de pacha par le sultan pour pouvoir stabiliser la situation au sein de l'élite ottomane23. La révolution des aghas semble avoir constitué un « carrefour historique » pour les janissaires. Ils pouvaient opter pour une « solution à la tunisienne » ou en revanche pour une réconciliation avec le centre. La solution à la tunisienne impliquait le recrutement local des soldats, l'établissement d'une dynastie locale et par conséquent une détente des liens avec le centre. Mais les janissaires optèrent pour l'autre solution, celle qui maintenait leur dépendance au centre, ainsi que le recrutement au centre de l'empire, clé du système de l'ocak, c'est-à-dire aux mains du sultan. Désormais, on vit un jeu très élaboré de l'élite ottomane d'Algérie, dans lequel elle essayait d'acquérir le plus d'autonomie possible, tout en manifestant sa loyauté au sultan. Avant même que l'affaire avec le Grand Vizir Köprülü ne soit réglé, l'ocak avait entamé la construction de la Mosquée Neuve, en 1660. Cette construction d'un monument dans le style « impérial » peut être considérée comme la réaffirmation de la souveraineté ottomane à Alger (Raymond, 1984 : 106). Une des solutions adoptée par l'élite ottomane d'Algérie pour démontrer sa loyauté fut de souligner son identité turque et d'entretenir son caractère turc au point d'en faire une idéologie. Cette idéologie impliquait la prévention d'entrée des éléments « non turcs » dans l'élite ottomane de la province. Elle s'était manifestée sur trois plans différents : le recrutement de soldats, une politique restrictive de mariages des membres de la milice avec des femmes indigènes et l'attitude de la milice par rapport aux fils des janissaires et des femmes indigènes, les kuloğlu.

Le recrutement

45Le système de l'ocak, reposant sur toute une gamme de discriminations en référence à l'appartenance ethnique, réclamait le renouvellement permanent de l'élément turc. Même les « renégats » qui « avaient les mêmes privilèges que les Turcs, et étaient réputés tels » (Tassy, 1992 : 57) ne pouvaient remplacer le « noyau dur » turc nécessaire à l'existence de la milice. Dans la première partie du XVIIIe siècle ce recrutement était effectué tous les cinq ou six ans (Shaw, 1738 : 313). La cadence de recrutement s'accéléra avec le temps (Colombe, 1943 : 178-179). Cette entreprise fut réalisée à l'aide des « officiers enrôleurs » envoyés d'Alger pour recruter sur place, sans beaucoup de régularité. Outre ces missions, il y avait des « chargés d'affaires » (vekil) entretenus par les autorités algériennes dans quelques-uns des ports du littoral anatolien ainsi que des îles de la mer Egée. Leur rôle était de recruter et d'envoyer les nouvelles recrues à Alger. Le nombre de recrues s'élevait, les trente dernières années de l'existence de l'ocak (1800-1830), à 8 533 (Colombe, 1943 :180). Il faut noter aussi que, malgré les témoignages unanimes pour assurer le contraire, la milice d'Alger comptait dans ses rangs des Algériens de souche, et cela déjà au début du XVIIIe siècle. L'analyse de 1460 inventaires après décès de janissaires morts au XVIIIe siècle révèle la présence de seize Algériens de souche parmi les janissaires (environs 1 % du corpus analysé). Cette présence n'était pas massive, mais les chiffres donnent bien l'impression d'une égalité entre le nombre d'Algériens dans la milice et celui des chrétiens convertis à l'Islam (Shuval, 1998 : 62-63). Toutefois, le recrutement local restait très marginal, et le pourcentage des janissaires indigènes n'a pas changé entre le début et la fin du XVIIIe siècle (ibid. : 63-64). Une comparaison avec les autres provinces ottomanes à la même époque souligne le caractère unique de la situation en Algérie. Selon Marcus (1989 : 58), la ville d'Alep comptait quelques 4000 janissaires indigènes au XVIIIe siècle, alors qu'au Caire il y en avait quelques 14000 (Hathaway, 1997 : 14). Raymond insiste sur l'importance du recrutement local dans une majorité de provinces ottomanes à tel point qu'il pense que

« d'une manière générale, les militaires d'origine locale dominaient l'odjak » (Raymond, 1989 : 354).

46Le même auteur remarque aussi la différence entre l'Algérie où le recrutement local était presque nul, et la Tunisie « où les forces locales prirent de plus en plus d'importance ».

  • 24  Venture de Paradis, 1983 : 234 ; Boyer, 1963 : 19-20 ; Mantran, 1984 : 6-7 ; Hess, 1977 : 84.

47La politique de recrutement de l'ocak visait donc la conservation de son caractère turc. Mais elle coûtait fort cher à la province qui était obligée de payer non seulement les opérations de recrutement elles-mêmes mais aussi le prix de la bonne grâce des autorités ottomanes (Colombe, 1943 : 175). Outre le paiement en argent et en nature, le recrutement en Anatolie impliquait un prix politique sous forme de soumission à la volonté du centre de l'Empire ; les deux côtés n'ignoraient pas ce point de faiblesse de la milice24. Venture de Paradis semble avoir parfaitement compris la situation. Son analyse des relations entre la « Régence » et le « Grand Seigneur » insiste sur le fait que :

« plus une Régence de Barbarie est devenue redoutable aux princes chrétiens, plus le Grand Seigneur y a été le maître absolu [car] la puissance d'un odjac ne provenait que des nombreuses recrues qui se faisaient dans les États de l'Empire ottoman et des secours que la Porte lui envoyait » (Venture de Paradis, 1983 : 204).

Le mariage des janissaires

48L'élite militaro-administrative de la province algérienne avait une politique restrictive des mariages de ses membres avec des femmes locales. Ces mariages, notamment avec les femmes algéroises, pouvaient créer des liens entre les membres de l'élite ottomane et la population locale. L'ocak, qui voulait empêcher ce genre de relations pour garder son identité turque, voulait réduire ce risque au minimum. Cela est clairement manifesté par la distinction entre le statut légal des fils des membres de la milice et des femmes indigènes, les kuloğlu, et les fils que les membres de l'élite ottomane eurent avec des femmes étrangères, qui étaient considérés comme de « véritables Turcs » (Tassy, 1992 : 58).

49Cette politique avait été remarquée par les voyageurs ainsi que par les habitants de la ville d'Alger :

« La raison qui fait ainsi distinguer les soldats qui sont mariés d'avec ceux qui ne le sont pas, c'est que le deylik ou gouvernement, par une constitution de l'Etat, est héritier généralement des Turcs et des Maures qui meurent, ou qui tombent en esclavage sans avoir ni enfants, ni frères. Et comme il est privé de cette espérance, lorsque les soldats se marient, il est aussi dispensé de leur donner autre chose que la paie » (Tassy, 1992 : 127).

50Une explication quelque peu plus bienveillante est donnée par Sidi Ham-dan Khodja :

« Il est des Turcs tellement attachés à la Régence, que beaucoup de ceux-ci ne se marient pas exprès pour laisser leur fortune à la caisse de beït-el-mal » (Khodja, 1985 :117).

51Cette explication n'est pas la seule possible. La politique restrictive de l'ocak vis-à-vis du mariage de ses membres faisait partie de l'effort de l'élite ottomane de la province pour maintenir son caractère turc et sa ségrégation du reste de la population.

52Pierre Boyer (1970a : 88) place le commencement de cette « étonnante politique de restriction des naissances et de célibat » au début du XVIIIe siècle. Elle visait surtout les simples soldats qui constituaient environs 80 % des janissaires. Les soldats, dont la richesse relative était très limitée par rapport à celle du groupe des gradés (Shuval, 1998 : 68), bénéficiaient de toute une gamme de privilèges qui dépendait de leur célibat. Ainsi, par exemple, le mariage était sanctionné par la radiation du soldat de la liste des ayant droit au pain quotidien ainsi que par l'expulsion de la caserne (Peyssonnel ; 236 ; Tassy ; 135 ; Venture de Paradis : 185). Ces sanctions montrent bien que l'ocak avait, effectivement, une politique restrictive par rapport aux mariages. Cette politique paraît avoir eu des résultats remarquables : le taux de mariage relevé chez les membres de la milice (environ 18,5 %) est sensiblement plus bas que celui relevé chez les civils (environ 37 %) (Shuval, 1998 : 104-105).

Les kuloğlu

53Le dernier sujet touchant à l'idéologie de l'élite ottomane qui sera analysé est le problème concernant l'attitude des membres de l'élite vis-à-vis leurs enfants issus de mariages avec des femmes indigènes, les kuloğlu. D'une certaine manière ce sujet en englobe les deux autres déjà discutés : la politique de recrutement de la milice et la politique de mariage. Les kuloğlu étaient des recrues potentielles : leur inclusion dans la milice fut sujet à plusieurs changements (Boyer, 1970a). Ce groupe de « métis » est un hybride quant à son statut dans la société : mi-militaires mi-civils, fruit de mariages que la politique n'encourageait pas entre les membres de la milice, et des femmes issues des familles qui « recherchaient l'alliance des Turcs, tout en les méprisant cordialement » (Boyer, 1970a : 79-80). Plusieurs voyageurs et chercheurs expliquent la politique de mariage de l'élite comme le résultat de la peur d'une augmentation du nombre des kuloğlu (Peyssonnel : 237 ; Tassy, 1992 : 127 ; Boyer, 1970a : 88), lesquels étaient considérés comme les pires ennemis des Turcs (Venture de Paradis : 109). Hamdan ben Othman Khodja, un témoin de la fin de l'époque turque à Alger, lui-même kuloğlu, regrette profondément la déchirure entre les deux « castes », celle des Turcs et celle des kuloğlu (Khodja, 1985 : 135-137).

54À ce point, il faut préciser que le terme de kuloğlu est appliqué uniquement aux cas des fils de militaires et de femmes indigènes. Les fils des Turcs et des femmes étrangères, notamment des esclaves européennes, étaient considérés comme de « véritables Turcs », nous l'avons vu. Les kuloğlu étaient liés à la population indigène par leurs familles maternelles ; leur loyauté à l'ocak était donc suspecte : Les fils des femmes étrangères en revanche, ne présentaient pas de danger pour la milice. Puisque les mères étaient elles-mêmes dépourvues de lien familiaux sur place, leurs fils se trouvaient dans le même cas de figure que le reste de membres de l'élite ottomane. Cette différence d'attitude de l'ocak vis-à-vis d'une part des enfants issus des mariages de ses membres avec des femmes indigènes et, d'autre part, de ceux avec des femmes étrangères, montre clairement que l'élite ottomane d'Algérie avait une politique visant à ne pas favoriser l'intégration algérienne au sein de l'élite turque.

55L'évolution de la position des kuloğlu vis-à-vis du service au sein de la milice est traditionnellement décrite ainsi : interdits de service militaire et de la possibilité d'arriver à de hautes fonctions gouvernementales dès le début de l'époque turque, les kuloğlu se sont révoltés plusieurs fois contre cette situation. Avec le temps ils sont arrivés à entrer dans les rangs de la milice, et même à obtenir des postes très élevés, comme celui de bey, mais le chemin vers les plus hauts grades de l'armée ainsi que vers les charges administratives les plus importantes, notamment dans le centre même de la province, leur restait toujours fermé (Hoexter, 1979 : 2).

  • 25  Nous insistons sur le fait que c'est dans le centre de la province, plus exactement dans la région (...)

56En s'appuyant sur les témoignages de J. A. Peyssonnel pour le début et sur celui de Venture pour la fin XVIIIe siècle, P. Boyer accepte finalement l'idée qu'à la fin de ce siècle comme à son début, l'exclusion des kuloğlu des hautes fonctions et des plus hauts grades, au moins au centre de la province, était la règle25 :

« Les Kouloughli sont évincés des grandes charges du Gouvernement Central. Ils ne peuvent pas être Dey ; non plus que Khasnadji (trésorier), Vekil Hardji (responsable de la Marine), Aga des Arabes (chef de l'armée et des affaires indigènes), Khodjet el Kheil (responsable des impôts en nature et des biens du domaine), etc. Ni bien entendu Aga des Janissaires (chef de l'odjaq) ». (Boyer, 1970a : 85).

57Contrairement à ce qui a été dit à leur sujet, les documents d'archives montrent bien que les kuloğlu occupaient les plus hauts grades et les plus prestigieuses fonctions. On les trouve, et en nombre assez important, accédant au grade le plus élevé de l'armée, celui d'agha qui est explicitement interdit aux fils de militaires dans la liste de postes et de grades inaccessibles aux kuloğlu que présentent la plupart de voyageurs (Shuval, 1998 : 111-117). Ce que l'on voit est la tension entre la réalité et l'idéologie : le fait que les fils des janissaires aient occupé de hauts grades n'a pas empêché l'ocak de présenter une image très différente (Shuval, 2000).

58Toutefois, il semble que ce phénomène ait été limité dans le temps. Les documents montrent une participation, parfois massive, des fils de militaires à des grades qui soi-disant leur étaient interdits, notamment dans la première moitié du XVIIIe siècle, mais beaucoup moins dans sa deuxième moitié (Shuval, 1998 : 115-116). Il semble que le changement du niveau des relations avec le centre de l'Empire que signifia l'arrêt d'envoi de pachas d'Istanbul, en 1711, peut nous donner une explication possible au renouvellement du besoin de renfoncer le caractère turc qu'avaient ressenti les membres de la milice. Certes, le changement avait été voulu et initié par la milice, et le dey Abdi Çavus (1710-1718) avait payé une forte somme d'argent pour y parvenir. Mais ïocak devait affronter quelques défis très importants, comme la lutte continue avec une grande partie des pays européens, notamment l'Espagne ; d'ailleurs, la reprise de la ville d'Oran par les Espagnols en 1732 manifestait que l'Algérie constituait une frontière. Il y avait aussi l'importance des querelles avec des forces locales. Tout cela servait à rappeler à l'ocak que la raison principale pour laquelle Khayreddin avait fait appel à l'Empire c'est-à-dire la défense d'Alger -était toujours valable. En conséquence, il semble que le renforcement de l'identité turque était destiné, notamment dans la deuxième partie du XVIIIe siècle, à répondre en quelque sorte à un affaiblissement possible des liens avec le centre qu'avait entraîné l'arrêt d'envoi des pachas.

Le kapı au XVIIIe siècle

59Les hauts gradés de l'ocak, comme le dey et ses proches collaborateurs, avaient gardé leurs kapı-s même après que le dey eut été nommé Pacha par le sultan depuis 1711. Toutefois, la description de Venture de Paradis semble indiquer que ces kapı-s n'étaient pas très grands :

« Le Dey, le khaznaji, l'aga, le cogea des chevaux ont dans leurs maisons 20 à 30 esclaves. [...] Tous les officiers de l'odjac ont aussi des esclaves en proportion de l'état de leur maison » (Venture de Paradis, 1983 : 156-157).

60En revanche, il semble que les hauts gradés formaient entre eux une sorte d'élite au sein de l'élite ottomane de la province, et que des liens familiaux étaient noués entre leurs différents kapı-s : ainsi, par exemple, la première personne à porter le titre dey, Haci Mehmet (1671-1682) « donna sa fille en mariage » à Baba Hasan, qu'il « chargea de la plus grande partie du gouvernement » (Arvieux, 1735 : 110-111). Le gendre du dey le remplaça après sa mort et devint pacha (1682-1683). Le serasker (commandant en chef) du dey Mehmet Bek-tas était lui aussi le gendre du dey (Delphin, 1922 : 207). Ibrahim Hazindar était le beau-frère du dey Kor Abdi (1723-1731), et le remplaça (1731-1745) après sa mort. À son tour il fut remplacé par son neveu Kiiçùk Ibrahim Pacha (1745-1748). Le dey Mehmet b. Osman (1766-1791) amena ses deux neveux à Alger, l'un d'eux devint le Grand Écrivain (Venture de Paradis, 1983 : 197). Son hazineci Hasan remplaçait son beau-père pour devenir à son tour hazi-neci (ibid. : 214). Plus tard il devint dey (1791-1798) (Grammont, 1887 : 340-41). Son successeur fut son gendre Mustafa Pacha (1798-1805) (Féraud, 1874 : 299, 313). Le dernier dey de l'Algérie ottomane, Hiiseyin (1817-1830), était le gendre de Baba Hasan (Hoexter, 1998 : 132, n. 101).

61Néanmoins, si dans les autres provinces ottomanes le XVIIIe siècle constitua l'apogée du processus d'intégration des membres des élites locales dans les élites ottomanes locales ainsi que celle de la création des élites ottomano-locales par le système des kapı-s (Toledano, 1997 : 154-155), la situation n'était pas la même en Algérie. L'élite ottomane d'Algérie n'avait pas la possibilité d'intégrer l'élite du centre, comme le témoigne l'absence quasi totale de personnes ayant entamé leur carrière militaro-administrative dans la province algérienne parmi les biographies des hommes d'État cités dans le Sicill-i Osmani, notamment pour le XVIIIe siècle. Elle ne pouvait pas, par ailleurs, intégrer de membres des élites locales, car l'idéologie « turque » de l'ocak l'en avait empêché. Dans de telles conditions, il est clair que la province d'Algérie constituait un cas unique parmi les provinces ottomanes du XVIIIe siècle. Cette différence doit être comprise dans le cadre ottoman, comme une sorte de variation sur un thème et non comme le résultat d'une histoire indépendante de « la régence ». Elle est le résultat des développements au niveau local et au niveau impérial, que l'on ne peut apprécier, et moins encore comprendre sans l'arrière-plan des développements historiques du centre de l'Empire et de ses provinces.

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Notes

1  Pour une bonne discussion sur le « déclin de l'Empire ottoman », cf. Gerber, 1994 : 130-136.

2  Noter l'utilisation par MacGowan du terme « ville-État » (city-state) pour désigner les provinces. Voir aussi Julien, 1986 : 274. Norer la dénégation presque rotale de toute influence (certainement toute influence positive) des Ottomans sur l'historie maghrébine chez Laroui, 1977. Voir aussi les livres suivants qui étudient principalement l'Algérie coloniale et indépendante : Entelis, 1986 : 18-22 ; Ageron, 1991 : 18-22 ; Ruedy, 1992 : 17-20.

3  Le terme ocak (prononcé odjak) définit la province d'Algérie ainsi que son élite militaro-administrative. Sur ce terme et les différences d'utilisation entre Alger et Istanbul, cf. Deny, 1920 : 36-37.

4  Sur la différence entre corsaire et pirate, cf. Fontenay et Tenenti, 1975 : 78-80.

5  Sur l'organisation des corsaires et son importance pour l'histoire de l'Algérie ottomane, cf. Belhamissi, 1983. Sur les beylerbeys , cf. Boyer, 1985 : 95. Le premier gouverneur général devenu Grand amiral de la marine ottomane était Barbaros Khayreddin Pacha (1534-1546) ; il fut suivi de Kiliç Ali Pacha (1571-1587) et, finalement, de Uluc Hasan Pacha (1587-1589).

6  Selon Haedo (1870 : 503), à la fin du XVIe siècle « pendant beaucoup d'Années on observa à Alger qu'aucun corsaire ou renégat ne put être janissaire s'il n'était pas Turc de nation ». Selon Boyer (1985 : 95), même après avoir acquis le droit de participer à la course, les janissaires préféraient que les convertis se joignent aux corsaires et non à la milice.

7  Voir le récit de cette anecdote dans Al-Jadirî, folio 17.

8  Sur le kapi, (Findley, 1980 : 32 ; Ze'evi, 1996 : 35 ; Abou-El-Haj, 1974 : 438-447 ; Toledano, 1997 : 145-162 ; Hathaway, 1997 : 18 et passim). Le terme utilisé dans la présente étude est kapi, car l'utilisation du terme « maison » me semble porter à confusion.

9  Sur le kapi, du sultan, voir l'œuvre de L. Pierce 1993 . Sur le modèle du kapt, du sultan : Göçek 1996 : 22.

10  Construits selon les mêmes principes, il est évident que les kapi-s se ressemblaient mais, en même temps, ils variaient selon les différentes régions et les développements historiques.

11  Cf. Khoury, 1997 ; Batatu, 1982 ; Hathaway, 1997 ; Schatkowski-Schilcher 1985 ; Ze’evi, 1996.

12  Il s'agit d'Oruç, p. 1281 ; Khayreddin, p. 662 ; Hasan Pacha fils de Khayreddin, p. 631 ; Hadim Hasan Pacha, p. 631 ; Turgut Pacha, p. 1639 ; Salih Pacha, p. 1471 ; Mehmet Pacha (présenté par erreur comme fils de Khayreddin, mais en réalité fils de Salih Pacha, un des hommes de celui-ci), p. 1029 ; Kiliç Ali Pacha, un homme de Turgut Pacha, p. 290 ; Karaca Hoca, un homme de Kiliç Ali Pacha, p. 870.

13  Cf. Goldstone, 1988 : 103-142 ; Barkey, 1994 : 48-54 ; Inalcik, 1994 : 22-25 ; Faroqhi, 1994 : 433-438 ; Pamuk, 2000 : 112-130.

14  Voir aussi Boyer, 1973 : 160-162.

15  Pour une analyse des revenus de la province dans la première moitié du XVIIe siècle, cf. Boyer, 1974 : 24-26.

16  Cf. Raymond, 1989 : 350 ; Inalcik, 1980 : 290-291 et note 16.

17  Cf. Sürreya, éd. 1996 : 290, 639-640, 662, 725, 1029, 1115, 1123, 1181, 1281, 1326, 1479, 1639, 1644, 1675, 1694.

18  Cf. Kunt, 1983 : 88-89 ; Inalcik, 1980 : 296 ; Barkey, 1994 : 164-167.

19  Le problème de l'homosexualité dans une société à forte majorité masculine, comme l'était l'élite ottomane de l'Algérie, mériterait une étude à part entière.

20  Sur la question du retour d'Ali Biçnin à Alger : Boyer, 1975 : 33, n. 17.

21  La période dite « des aghas » dura jusqu'à 1671 ; ensuite commença la période dite « des deys ».

22  Sur la formation des kapi-s dans les corps des janissaires en Egypte : Hathaway, 1997 : 37-46.

23  Contrairement à Hoexter (1998 : 20-21) qui voit la demande des deys de recevoir le titre de pacha comme un moyen d'augmenter l'autonomie de la province, il me semble qu'il faut interpréter cette demande comme une démonstration du besoin des deys de se lier d'une manière symbolique au sultan. Par conséquent, il s'agit d'une augmentation de la dépendance de la province au centre.

24  Venture de Paradis, 1983 : 234 ; Boyer, 1963 : 19-20 ; Mantran, 1984 : 6-7 ; Hess, 1977 : 84.

25  Nous insistons sur le fait que c'est dans le centre de la province, plus exactement dans la région dite de Dâr al-sultân, qu'ils étaient tenus à l'écart car c'est là qu'ils atteignaient le grade le plus haut de bey.

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Pour citer cet article

Référence papier

Tal Shuval, « Remettre l'Algérie à l'heure ottomane. Questions d'historiographie »Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 95-98 | 2002, 423-448.

Référence électronique

Tal Shuval, « Remettre l'Algérie à l'heure ottomane. Questions d'historiographie »Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 95-98 | 2002, mis en ligne le 12 mai 2009, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/remmm/244 ; DOI : https://doi.org/10.4000/remmm.244

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Auteur

Tal Shuval

Université Ben Gurion du Negev.

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