Pour une clinique du travail enseignant

DOI : 10.35562/canalpsy.243

p. 10-13

Texte

Je remercie Georges Gaillard d’avoir pensé à m’inviter pour parler de mes travaux concernant la clinique de l’école, ce champ que Dominique Ginet a déjà parcouru à sa manière, aussi bien dans ses actions que dans ses publications. Je me dois de dire que je n’ai pas eu le plaisir de rencontrer Dominique Ginet même si j’ai eu l’opportunité de lire certaines de ses publications. Faut-il y voir un effet du cloisonnement disciplinaire que notre époque tend d’ailleurs à rendre de plus en plus étanche ? Même si la pluridisciplinarité ou l’interdisciplinarité sont souvent revendiquées ou même affichées, j’ai pu constater que ces modes de coopération restent en général plus évoqués que mis en œuvre effectivement. En tout cas, c’est l’une des explications que je retiendrai et je suis heureuse de constater que les organisateurs de cette journée en associant des personnes issues des sciences de l’éducation pour un échange avec des psychologues et/ou psychanalystes au sein de l’Institut lyonnais de psychologie ont pris soin de tenter de dépasser ce clivage disciplinaire.

Je ne suis ni psychologue ni psychanalyste en exercice. Avant tout je suis enseignant-chercheur universitaire et, à ce titre, je me ressens comme un « pur produit » de la discipline sciences de l’éducation ; et plus particulièrement d’un courant particulier de cette discipline, le courant que je dirais « nanterrois », initié par mon collègue et ami Jacky Beillerot, lui aussi disparu beaucoup trop tôt, un courant de recherches et de formation dont l’organisateur a été longtemps la notion de rapport au savoir, un courant que, pour ma part, j’ai aujourd’hui prolongé du côté d’un regard clinique orienté par la psychanalyse sur les pratiques enseignantes, tout en gardant au cœur de mon travail la question du rapport au savoir, qu’il s’agisse du travail d’accompagnement clinique des professionnels de l’éducation et de la formation ou qu’il s’agisse du travail de recherche.

Si je plaide aujourd’hui pour une clinique du travail enseignant – c’est l’intitulé que j’ai donné à mon exposé –, c’est que j’ai, au fil du temps, construit pour des enseignants des dispositifs d’élaboration de leur pratique, en m’appuyant sur les résultats des recherches que nous menons aussi bien dans les équipes de recherche codisciplinaires de chercheurs confirmés que j’ai animées que sur les nombreux travaux de doctorat que j’ai accompagnés sur ces questions (et que je continue d’accompagner).

Je me sens avant tout chercheur clinicienne ayant choisi une épistémologie clairement identifiée du côté de la clinique d’orientation psychanalytique : d’où, tout un pan de mon travail, et tout un temps consacré à défendre la validité de ce type de recherches, leur rigueur, leur pertinence et leur intérêt au sein de la discipline sciences de l’éducation ainsi que pour faire reconnaître nos préoccupations éthiques. Puisque n’étant pas abrités par la discipline psychologie, nous ne bénéficions pas directement dans ce domaine des acquis de la psychologie clinique. Ce qui peut constituer à certains moments un handicap, mais qui, par ailleurs, nous a aussi octroyé des degrés de liberté supplémentaires, car n’étant pas assujettis à des jurisprudences méthodologiques déjà constituées, nous avons pu creuser un nouveau sillon de manière plus libre. Inconvénients et avantages… J’ai évoqué cette question dans une intervention au cours d’un colloque maintenant publié à l’occasion des 40 ans de notre discipline.

J’ai toujours conduit mes recherches sur les pratiques enseignantes en m’appuyant sur une écoute directe des enseignants au sein des groupes où s’échangent les récits de leur pratique, groupes que j’anime depuis les années 80, au départ selon une inspiration Balint, aujourd’hui dans une perspective un peu liée à partir de ma propre évolution, celle de mon parcours formatif et psychanalytique et donc des groupes conduits aujourd’hui selon un style clinique qui m’est propre. Néanmoins, je crois pouvoir dire qu’au plan manifeste, les dispositifs que je propose restent très proches du protocole Balint avec tous les guillemets nécessaires, eu égard à la transposition qui a dû être pensée pour passer de la pratique médicale à la pratique enseignante.

Ce que j’aimerais dire ici pourrait se dérouler selon trois axes.

Premier point :
Dans la ligne de ce que Dominique Ginet écrivait dans une de ses communications en 2006 en se demandant si les changements actuels relevaient de modifications conjoncturelles ou de changements structurels, j’ai la conviction que les caractéristiques actuelles du contexte social d’exercice du métier d’enseignant relèvent de mutations sociales structurelles auxquelles nous devons prêter une grande attention. J’esquisserai quelques-unes des caractéristiques de ce contexte qui pèsent particulièrement sur l’exercice du métier enseignant.

Deuxième point :
Face à l’examen de ces changements du contexte extérieur, il me semble plus que jamais important de comprendre à quoi est affronté un enseignant dans l’acte même d’enseigner – et le regard clinique nous permet d’identifier les risques psychiques, structuraux eux aussi, de cette position professionnelle spécifique –, car je crois que les facteurs externes viennent se mettre en résonance avec les difficultés internes inhérentes à la spécificité de ce setting particulier de la séance d’enseignement, difficultés qui pouvaient dans certains cas rester muettes ou se manifester à bas bruit lorsque les facteurs externes ne venaient pas les alimenter.

Troisième point :
En fonction de ces connaissances, il est pour moi de la plus haute importance de penser des dispositifs qui peuvent prendre soin de cette professionnalité spécifique malmenée, même si, au plan manifeste, on peut avoir l’impression qu’elle est un peu moins malmenée que celle d’autres professionnels du champ médico-social par exemple.

 

 

Marc-Antoine Buriez

Sur le premier point, je noterai que le contexte social actuel soumet tous les professionnels, et les professionnels de l’enseignement n’y échappent pas, à une série d’exigences paradoxales qui les poussent à des mouvements où « atteindre un idéal d’excellence devient une prescription banale » et où « la lutte des places se généralise », comme le note Vincent de Gaulejac dans sa préface à l’ouvrage de Claudine Haroche L’avenir du sensible. Les sens et les sentiments en question (2008). Dans ces mouvements, chacun « se doit de devenir adaptable, interchangeable, à la fois conforme et autonome, performant tout en apprenant à s’effacer, mobile tout en sachant se fixer si besoin est » pour reprendre ses termes et « l’injonction à agir confronte le sujet à une sorte d’acting out permanent plutôt qu’à prendre le temps de l’élaboration psychique et intellectuelle ». Ainsi ce contexte n’est guère propice à « la permanence, la consistance, la persistance nécessaires à l’étayage psychique, à la construction de soi comme sujet, à la sécurité intérieure, à la confiance en soi ». Car, plus que jamais, nous constatons que les sensations continues influent en profondeur, de façon sourde, sur le moi, la subjectivité, l’élaboration des perceptions, et les capacités psychiques de manière plus générale : elles entravent l’exercice de la conscience, la possibilité de la réflexion et la capacité même de sentir comme le développe Claudine Haroche. Les enseignants n’échappent pas aux répercussions de ces phénomènes dans l’exercice de leur métier. Ils témoignent dans les groupes où l’on prend le temps d’écouter leur parole qu’ils ne sont pas étayés à la hauteur des responsabilités qui pèsent sur eux et des exigences exorbitantes qu’on leur demande de soutenir, ni par leur institution ni par la société qui attendent toujours davantage d’eux. Leurs difficultés, et souvent leur impuissance face à ce malaise contemporain, engendrent chez eux une grande quantité de souffrance, souvent contre-productive ; quelles que soient par ailleurs leurs capacités d’invention et d’ajustement aux situations rencontrées.

Nous sommes devenus aujourd’hui très sensibles à la manière dont la société nous traite et chacun développe une demande insistante de reconnaissance, aussi bien élèves qu’enseignants. Or, cette visibilité positive fait grandement défaut aux enseignants.

Ce métier s’exerce beaucoup dans la solitude. Cette solitude alliée à une difficulté à mesurer l’efficience de son propre travail conduit les enseignants à intérioriser les raisons de leur souffrance et à développer des sentiments d’incompétence et beaucoup de culpabilité.

Enfin, j’insisterai avec Laurence Gavarini sur le fait que, si le

« déclin des institutions nourrit la crise des processus de construction subjective [...] l’institution dépasse le bon vouloir des sujets, ils n’en disposent pas, elle fixe chacun à une place dans un ordre générationnel et sexué [et pour qu’un] sujet puisse émerger du magma sans significations que constituent a priori la vie pulsionnelle, les lois de l’espèce, les besoins et la profonde néoténie de l’enfant, il faut un certain nombre d’opérateurs ».

Tout en nous éloignant du dualisme sujets/institution, nous pouvons reconnaître que ces opérations qu’elle évoque sont bien exécutées par les institutions, mais qu’elles sont dans ces institutions « incarnées et vectorisées par des fonctions symboliques servies par des individus – parents et éducateurs – qui sont là pour soutenir des limites face à l’enfant et transmettre les interdits et les prescriptions de la société ». Ainsi, il s’agit de ne pas confondre le plan du social et celui du symbolique et trouver une voie pour sortir de la crise des subjectivités ; une voie qui ne soit pas l’insistance dans ce mode duel-binaire qui oppose sujets (menacés) et institutions (contraignantes) qui, finalement, ne permet plus de penser aujourd’hui de manière féconde.

Certains travaux laissent entendre qu’il suffirait de renforcer le moi des enseignants pour les aider à faire face à ces difficultés. Ainsi, les auteurs de ces travaux sont conduits à rabattre l’approche d’orientation psychanalytique du seul côté de la pathologie, arguant que les travaux inspirés par la psychanalyse ne seraient bons qu’à se préoccuper de cas paroxystiques qu’ils qualifient d’extrêmes. Or « l’extrême », en l’occurrence, est justement que ce sont les conditions actuelles d’exercice du métier d’enseignant qui portent celui-ci aux limites.

Je prendrai l’exemple d’une enseignante que j’ai accueillie tout récemment et qui, après 23 ans d’exercice heureux de son métier, face à des conditions externes qui ont brusquement changé – suppression de sa spécialité dans son établissement entraînant un changement complet des contenus qu’elle devait enseigner et un nombre plus important de classes avec peu d’heures dans chacune d’elles – s’est vue « basculer » dans l’insupportable ; ne pouvant faire face aux débordements de ses classes, mais n’acceptant pas non plus cet échec après tant d’années de métier exercé avec succès, elle s’est retrouvée pendant toute une année totalement déstabilisée. Aujourd’hui, elle est en capacité de verbaliser que ce sentiment de peur de ne pas être à la hauteur dans son travail d’enseignante l’avait toujours habitée, elle le réalise maintenant, mais que cette peur avait été en quelque sorte suffisamment « tempérée » (c’est le terme que j’utilise) pendant ces 23 ans où son métier l’avait progressivement rassurée et que, tout à coup, face aux attaques externes qu’elle venait de subir, tout s’était effondré d’un seul coup. La voici donc en train de tenter de reconstruire une posture d’enseignante qui « tienne » à nouveau, au-delà de ce violent traumatisme qu’a été pour elle le fait de se voir ne plus arriver à « tenir » ses classes dans ces nouvelles circonstances imposées, oserais-je dire sous l’effet de l’emprise du modèle gestionnaire actuel… pour utiliser l’expression de Georges Gaillard et Jean-Pierre Pinel.

Cet exemple me servira de transition vers mon deuxième point. J’ouvrirai cependant une petite parenthèse ici pour engager une éventuelle discussion autour du fait que j’ai entendu dire à Georges Gaillard et que j’ai lu aussi dans plusieurs de ses textes que pour lui l’institution-école serait une institution de premier niveau qu’il ne rangerait pas sous la bannière de ce que vous nommez à Lyon à la suite de Alain-Noël Henri « le champ de la mésinscription ». Je me demande s’il ne faut pas aujourd’hui repenser cette distinction ou en tout cas si les différences ne sont pas en train de devenir beaucoup plus floues et si l’institution-école n’est pas en train de devenir l’une de ces institutions où l’inscription dans l’ordre symbolique a déjà été empêchée pour un certain nombre de sujets et où le remaillage symbolique est déjà à reprendre presque dès l’entrée à l’école maternelle. Si cette hypothèse a une certaine pertinence, on peut penser que ce glissement dans ce que l’institution doit assumer crée un certain malentendu chez les enseignants qui n’auraient pas pris encore toute la mesure de cette mutation et se trouveraient ainsi dans un grand décalage d’objectifs. Je ferme cette parenthèse.

L’exemple que je viens de donner me semble bien faire appréhender que, dans la mesure où le contexte externe produit des conditions de travail aussi transformées ou qui apparaissent « dégradées » aux yeux des enseignants, les éléments internes à l’exercice du métier, ceux qui sont structuraux et inhérents à la spécificité de la position enseignante (ceux qui font que cette enseignante peut dire « j’ai toujours eu peur de ne pas être à la hauteur ») ne peuvent plus être passés sous silence. Les risques inhérents à cette posture sont exacerbés. Il s’agit donc d’apprendre à les connaître.

Quels sont-ils ?

J’ai montré que l’enseignant dans la classe est exposé psychiquement. La classe n’est pas un groupe comme les autres. L’enseignant y est un leader institué, mais plus que cela. Il est le représentant direct de l’institution qui l’emploie, et ainsi il est un porte-parole de la société et plus spécifiquement à un certain niveau de la communauté scientifique. Il met en scène jour après jour dans une configuration intersubjective groupale son propre rapport au savoir. Sa manière de le faire lorsqu’on la considère au-delà du plan manifeste est tout à fait singulière ce qui m’a fait utiliser le terme de signature didactique. Cette signature à mes yeux serait la manifestation de son je enseignant. Or pour construire un je enseignant qui tienne, que ce soit comme enseignant de l’école élémentaire ou enseignant de collège ou de lycée, nos recherches montrent qu’il faut plusieurs années, et que l’enseignant en construction identitaire arrive à transcender un certain nombre d’épreuves décisives au cours de ces premières années. Le théâtre principal de ce je enseignant est celui de la classe, là où il se fait en quelque sorte porte-liens : c’est lui qui doit instaurer et par la suite maintenir, le temps d’une année scolaire, un lien avec chaque élève de la classe et avec le groupe-classe dans le projet de faire entrer les élèves en lien avec le(s) savoir(s) avec lesquels lui-même se relie.

Ces deux types de liens, lien intersubjectif et lien au savoir sont mis en scène au travers de sa parole en situation, laquelle passe par sa voix, son corps (d’où nos recherches actuelles sur la voix, le regard et le corps de l’enseignant dans l’espace de la classe) ; nous avons pu montrer que, dans cet espace clos, diverses dimensions peuvent être activées chez le sujet-enseignant conduisant à des risques d’abus importants.

L’enseignant a le choix d’osciller entre une séduction narcissique bien tempérée et un sadisme ordinaire bien tempéré lui aussi. Je pourrais dire qu’il ne peut en quelque sorte éviter de balancer entre un registre incestuel quasi-obligé ou en tout cas un espace régi par une topique interactive au sens de Racamier (sous le règne de l’emprise) et des petites humiliations en série qui lui permettent de lier sa haine dans le contre-transfert, comme nous avons pu le montrer en prolongeant une proposition d’Albert Ciccone dans la ligne de Winnicott. Déposant des parties de sa psyché sur les élèves, comme j’ai pu l’analyser dans certaines observations de séquences de cours filmés, installant parfois un couplage pervers avec un élève porteur de la résistance à sa signature singulière ou à l’autre extrême un couplage narcissique avec un élève provisoirement en capacité de répondre à ses attentes narcissiques.

Je ne voudrais pas qu’il y ait méprise, je parle de moi enseignante quand j’évoque tous ces phénomènes, car, pour les appréhender cliniquement, il nous a fallu ne pas éviter d’élaborer notre propre position psychique enseignante et utiliser cette compréhension psychique de l’intérieur en quelque sorte, pour pouvoir analyser les observations auxquelles ont bien voulu se prêter certains autres enseignants ou pour pouvoir entendre sur ce registre les nombreux récits de moments de leur pratique que beaucoup d’enseignants ont accepté de travailler dans nos groupes. Ces phénomènes sont à mes yeux structuraux et spécifiques du dispositif didactique. Je crois qu’ils ont été sous-estimés par les chercheurs non-cliniciens et qu’ils sont largement méconnus par les enseignants qui ont néanmoins à les négocier. J’ai brossé un tableau un peu rapide sachant qu’on peut aller lire le détail de ces analyses dans les diverses publications produites depuis une quinzaine d’années.

J’aborde là mon troisième point. J’estime que s’il était possible de ne pas trop prêter attention à tous ces phénomènes dans des temps où la fonction enseignante tenait debout toute seule si je puis dire, j’ai la conviction qu’il est devenu nécessaire de les analyser dès lors que cette fonction est actuellement l’objet de diverses attaques.

Nous savons que les enseignants n’ont jamais été préparés à « se prêter au transfert », sachant que ce n’est pas leur métier que de traiter du transfert, mais que néanmoins ils sont affectés par cette dynamique, je crois qu’ils sont encore moins bien préparés à subir ces « attaques » aux liens pour reprendre l’expression de Bion, attaques externes, lorsqu’il s’agit de maltraitances de l’institution pression en cascade de leurs supérieurs hiérarchiques, pluie de réformes désordonnées, changements de programme sans transition, évaluations obligées à tout bout de champ, et ces attaques internes-externes qui émanent de leurs élèves eux-mêmes comme je l’ai amplement montré dans mon ouvrage paru en 2001.

Étant donné sa position au sein du dispositif didactique, l’enseignant risque d’être malmené sur tous les plans : au plan narcissique, il est attaqué sur ses assises narcissiques en étant en permanence exposé, attaqué répétitivement sur son lien à l’objet de savoir qui est au cœur de son identité professionnelle et l’enjeu de la rencontre didactique et aussi sur son mode de lien aux autres sujets par le biais de la rencontre intersubjective qu’il arrive à soutenir avec l’élève, les élèves, à soutenir pour de vrai, sans se dérober là où il est attendu, à savoir dans un rapport de place générationnel.

Comment ne pas penser qu’il faille absolument lui procurer un espace pour restaurer sa professionnalité malmenée ?

Un espace où il s’agirait plutôt de recommencer à penser, de retrouver un apaisement psychique, une tranquillité affective, une continuité subjective, pour reprendre les mots de Vincent de Gaulejac. Recouvrer le sens de la mesure, prendre le temps d’éprouver la souffrance comme le plaisir.

Un espace où on peut les aider à donner sens à leur pratique tout en les accompagnant à surmonter des vécus de reconnaissance insatisfaisante et en les dégageant subjectivement de la propension à intérioriser les « raisons de leur malheur ».

Un espace où sortir de leur solitude et pouvoir être renarcissisé professionnellement. Ce qui ne veut pas dire renforcer leurs défenses traditionnelles souvent sur le mode du clivage mutilant, mais travailler sur la fluidité entre leurs instances psychiques notamment entre leur idéal professionnel largement mis à mal, leur surmoi professionnel souvent très cruel et leurs tensions pulsionnelles, pour arriver à construire en situation des compromis plus acceptables pour leur « survie » ainsi que pour la vie de leurs élèves.

Un espace où la manière d’élaborer leur pratique les aide à développer leur capacité contenante. En tout cas, ce que je peux affirmer avec force c’est qu’il faut penser des dispositifs où l’on tienne compte des dimensions psychiques insues des enseignants eux-mêmes dans leurs actes professionnels.

Dans ce sens, il me semble que toutes les méthodes d’analyse des pratiques professionnelles, aussi sophistiquées soient-elles, qui ne prennent pas en compte cette dimension du soi psychique professionnel, ne peuvent avoir qu’une efficacité « limitée » (je construis cette expression sur le modèle de celle développée par H. Simon de « rationalité limitée »). Cette efficacité limitée est sans doute commune à toutes les pratiques humaines, mais pour autant, il m’apparaît qu’en refusant d’admettre que nos conduites professionnelles sont dans une large mesure tributaires de nos scénarii inconscients, certains se privent d’un mode de compréhension et d’action essentiel vis-à-vis de tous les métiers qu’on pourrait dire métiers du lien. En effet, si l’on ne tente pas de s’opposer un tant soit peu à la force compulsive de la répétition, les analyses, à mes yeux, courent le risque de manquer singulièrement de puissance transformatrice de nos conduites professionnelles. En somme, je propose de penser des dispositifs à effet durable sur des phénomènes qui peuvent passer inaperçus, mais ressemblent néanmoins très fort à l’effet-papillon, si je considère par exemple l’hypothèse que j’ai construite à propos de l’enseignant dans l’espace de la classe qu’un micro-déplacement de la posture intérieure du professionnel induit un changement significatif dans le climat subjectif qu’il induit autour de lui.

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Illustrations

 

 

Marc-Antoine Buriez

Citer cet article

Référence papier

Claudine Blanchard-Laville, « Pour une clinique du travail enseignant », Canal Psy, 103 | 2013, 10-13.

Référence électronique

Claudine Blanchard-Laville, « Pour une clinique du travail enseignant », Canal Psy [En ligne], 103 | 2013, mis en ligne le 10 décembre 2020, consulté le 25 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=243

Auteur

Claudine Blanchard-Laville

Professeure émérite en sciences de l’éducation Université Paris Ouest Nanterre La Défense

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