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LE FASCISME ITALIEN ET LA VISION DU FUTUR

Pierre Milza

Quand Hitler, lui, a déjà programmé l'homme nouveau de Mein Kampf, Mussolini rêve de marcher sur l'océan : l'Italie fasciste sera un des grands du 21e siècle. Mais comment forger l'homme totalitaire qui accomplira cette fruste vision de géopolitique, si l'on s'obstine à exalter le soldat-laboureur à l'ancienne ? A moins que, la guerre aidant...

Parmi les critères — peu nombreux — qui autorisent l'historien à rechercher une différence de nature entre le fascisme italien et le national-socialisme, il y a le rapport qu'entretiennent les dirigeants de Rome et de Berlin avec l'avenir du régime qu'ils ont instauré et avec celui du reste du monde. Opposition classique, presque banale, entre le nazisme millénariste et idéologiquement cohérent, faisant coïncider la prophétie et l'histoire conformément au programme minutieux exposé dans Mein Kampf, et l'aventurisme fasciste, plus respectueux du fait que de la doctrine et rompu à tous les compromis, moins tributaire par conséquent de l'idée que se fait son leader du futur de l'humanité. En vérité, comme le montrent des documents exploités depuis peu par l'historiographie italienne \ les choses ne sont pas tout à fait aussi simples, ni le clivage aussi tranché, s'agissant du moins des années qui précèdent immédiatement l'entrée de l'Italie dans la guerre.

Europa 2000

L'histoire du futur, telle que la conçoit alors Mussolini, comporte deux chapitres bien distincts. Le premier définit à grands traits, et dans une perspective temporelle relativement courte, les objectifs de la politique étrangère fasciste. Projet expansionniste classique, moins complet que celui de Mein Kampf, mais non dépourvu de cohérence. Le second, à la fois plus global et plus abstrait, mais d'un poids au moins égal pour les choix qu'il impose au présent du régime, est un essai d'évaluation de la hiérarchie des peuples et des nations à l'horizon lointain du 21e siècle. Utopie à peine esquissée, dans mrlivre dont Mussolini n'a jamais entamé la rédaction mais dont nous connaissons les thèmes essentiels grâce aux témoignages concordants de Nino d'Aroma2 et de Ciano3.

Commençons par le programme à court et à moyen terme de l'impérialisme fasciste. Si les allusions à la vocation méditerranéenne et africaine de l'Italie ne constituent pas une nouveauté dans la rhétorique du régime, il faut attendre le 30 novembre 1938 — le jour même où a lieu à Montecitorio, en écho au discours de Ciano, la fameuse démonstration des

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