L e Traité de vénerie publié en 1788, que Louis XVI composa avec d’Yauville, son premier veneur, s’ouvre sur cette citation de l’Histoire naturelle de Buffon : «Le cerf est un de ces animaux innocens, doux et tranquilles, qui ne semble être fait que pour embellir, animer la solitude des forêts […], sa tête parée plutôt qu’armée d’un bois vivant, et qui, comme la cime des arbres, tous les ans se renouvelle ; sa grandeur, sa légèreté, sa force, le distinguent assez des autres habitans des bois ; et comme il est le plus noble d’entr’eux, il ne sert aussi qu’aux plaisirs des plus nobles des hommes. […] Les Grands ne sentiroient que le poids de la grandeur, et n’existeroient que pour les autres, s’ils ne se déroboient par instans à la foule importune : ils ont besoin de solitude ; en est-il une plus variée et plus animée que celle de la chasse ? Quel exercice plus sain pour le corps et quel repos plus agréable pour l’esprit1 ? »
par Julien Lacaze
docteur en droit
La chasse, un plaisir souverain et privé
Le naturaliste avait compris le roi et légitimé, presque physiologiquement, la tournure «privée » que prenait la monarchie depuis le règne de Louis XV. «Une figure de bronze représentant Buffon » (fig. 1), mort alors que le traité royal était imprimé, fut d’ailleurs saisie en l’an II à Versailles dans les appartements du souverain2. Séguret, premier commis de ses Petits Appartements, qui avait tout loisir d’observer son maître, ne disait pas autre chose : «dans sa vie isolée et solitaire, la chasse fut sa seule ressource ; l’isolement qu’elle lui procurait, la solitude des bois, tout dans cet exercice, se trouvait en harmonie avec ses idées et l’état de son âme3. » On commençait aussi à trouver belle la nature des environs de Versailles que Saint-Simon qualifiait, jadis, de «petite province du plus triste et du plus vilain
181 Louis XVI et la chasse du cerf ou le miroir d’un prince*
Louis XVI et la chasse du cerf ou le miroir d’un prince
