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Point de vue : L'université, la ville et la région

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Année 1990 19-20-3 p. 213
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réside dans l'équipement de puissants centres universitaires ailleurs (y compris dans certaines petites villes), où les professeurs aient envie d'aller et de travailler, qui puissent accueillir des étudiants: mais quand a-t-on pris des mesures qui facilitent réellement la mobilité, l'accueil et les conditions de travail des étudiants et des professeurs?

5. // ne faut pas laisser les universités aux Régions. Toujours victimes de ce faux cartésianisme des hiérarchies (en grec, l'ordre sacré!) nous avons un système qui donne aux communes le soin des écoles élémentaires, aux départements celui des collèges, aux régions celui des lycées; admettons; mais que l'État garde — et donc finance — les universités. Or on sent bien que les régions se positionnent pour y prendre plus de place et d'autorité, en arborant leurs cassettes.

L'évolution est aberrante et dangereuse. Aberrante, car si les Régions ont «de l'argent», c'est uniquement parce que, avec la complicité de l'État, elles bénéficient d'un transfert de ressources publiques, taxes et impôts. Si elles ont de l'argent «de reste» à mettre dans les universités, alors que l'État «en manque», c'est ou bien que le transfert est mal fait, et il doit être rectifié; ou bien qu'il cache insidieusement un réel transfert de compétences en matière universitaire. Je trouve cela dangereux pour deux raisons majeures.

a) D'une part, cela ne peut que renforcer l'étrangeté signalée en 2: on va vouloir «faire cadrer» la production de diplômés avec les «besoins» de la région, on va construire des frontières à l'intérieur d'un pays au moment où elles s'abaissent entre les pays, on va définitivement écraser les universités en les transformant en fournisseurs de services au détriment de leur production de savoir et de compétences.

b) D'autre part, le cadre régional est complètement inadapté à l'enseignement supérieur. Nulle part on n'a d'universités régionales; on connaît seulement quelques universités d'État, comme PennState en Pennsylvanie, et elles sont rares. Les universités sont en ville, et caractéristiques des villes. Ce n'est pas l'université du Connecticut qui est connue, c'est Yale; ce n'est pas l'université du Lan- guedoc-Roussillon (ou celle de l'Hérault) qui est connue en Chine ou au Japon ou en Californie, c'est celle de Montpellier (France). Ce n'est pas seulement une question de notoriété, de nom; c'est parce que les étudiants vivent en ville,

qu'ils ont besoin de travailler ensemble, avec des moyens matériels, et un bon usage du temps d'à côté des études, aussi. Cela ne se fait pas en douze ou quinze petites villes d'une région distendue, où ils s'ennuieront à mourir sans contacts, sans soutien, sans outils. La télématique ne résoudra pas tout, si elle résout quelque chose. Le niveau de gestion de l'université, c'est la ville. Pas nécessairement la grande ville; mais c'est la ville. Si l'Etat veut transférer de l'argent pour se débarrasser de ce souci, c'est aux villes qu'il doit le transférer, pas aux régions. Or, en raison de l'ampleur de leurs charges réelles, ce sont les villes qui sont endettées et les régions qui ont des marges. Ce n'est pas sain. C'est dangereux pour l'université.

6. La situation actuelle du financement en France devient très inquiétante. Le désengagement de l'État, la politique de contractualisation, la pratique et la consigne de l'administration résident dans la recherche de ressources complémentaires. Je reste perplexe sur le fait que l'État renonce à son métier, qui est de redistribuer quelque peu des richesses qui tendent à s'accumuler de plus en plus inégalement: on peut être surpris de ce que certains lieux aient toujours de l'argent à offrir, quand l'État n'en a plus.

Mais gardons un instant l'hypothèse, admettons que «le peuple» l'ait voulu. Or que se passe-t-il? La foire d'empoigne, littéralement. Car l'administration a et aura de plus en plus tendance à ne soutenir de projet que s'il est financé quelque part par quelqu'un d'autre que lui; c'est-à- dire, là où on le financera le plus, et tout de suite. Et que s'ensuit-il? Que plus aucune politique d'aménagement du territoire n'est possible, puisque c'est seulement là où quelqu'un mettra une liasse de billets dans son poing, et son poing sur la table, que se feront les prochains investissements. Comme au Monopoly. «Euh... il faudrait mettre quelque part un institut supérieur des membranes déstructurées radiosuractivées»; — «Ah! je prends!» dit le président de la Région Normandalpes; et va pour l'institut, là où il n'y a personne pour le faire tourner, et aucun milieu d'entreprise, mais de l'argent, simplement de l'argent, et de surcroît de l'argent des contribuables mal réparti. Ce pilotage de l'université et de la recherche par le poker-menteur a toutes chances de se développer si l'on n'y veille. Le Schéma Université 2000 en principe ne le permet pas, puisqu'il fixe des lieux. S'en est-il donné les moyens? Pourvu qu'on les lui donne!

Roger Brunet

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