L'Espace Géographique, n° 3, 1986, p. 187-194. Doin, 8, place de l'Odéon, Paris-VJe.

ESPACES ABIDJANAIS : SOCIOGRAPHIES DE LA MOBILITE

Claudine VIDAL, Marc LE PAPE

Laboratoire de Sociologie et de Géographie africaines,

CNRS, EHESS, Pans.

ABIDJAN (RCI)

INSECURITE AUTOMOBILE

RESTAURATION

SOCIOLOGIE

ABIDJAN (ICR)

CAR CASUALITY RATES

EATING HABIT

SOCIOLOGY

RESUME.— L'insécurité automobile, l'obligation de prendre ses repas hors de chez soi : deux situations d'Abidjan dues à l'allongement des distances. Les auteurs analysent comment ces deux situations impliquent des comportements sociaux antithétiques.

ABSTRACT.— Space in Abidjan : a sociography of mobility.— Casualty rates on the roads and lunch taken outside the family home are two consequences of the extension of transport network and increasing distances to work at Abidjan. How antithetic social behaviour is involved is investigated and analyzed by the authors.

Leur extension spatiale impose aux cités africaines des défis multiples dont le déplacement quotidien d'une large part de la population est le principal, et le plus étudié. Et comme il s'établit en général un constat de carence, l'allongement des distances est surtout vu dans ses servitudes et ses conséquences négatives. Pourtant, la dilatation de l'espace urbain ne crée pas seulement un problème de transports : elle est à l'origine d'activités et de comportements qui n'existaient pas avant que le citadin ne soit aussi éloigné des lieux qui lui sont vitaux.

C'est pourquoi, sociologues, nous ne pouvons guère nous dispenser, à l'instar des géographes, d'être attentifs aux comportements liés aux contraintes d'espace et d'observer des manières de vivre les distances. Peut-être pratiquons-nous différemment et les deux « terrains » abidjanais que nous présentons — conduite automobile et consommations alimentaires hors domicile — sont-ils loin des mesures de la mobilité et de tableaux rigoureux d'une économie de la circulation; il n'empêche que nous voudrions suggérer comment des interactions qui tiennent à un rapport espace/temps relativement nouveau pour les

tants d'Abidjan se réalisent selon des modalités pratiquement antithétiques.

En effet, les domaines de rapports personnels (ainsi, les relations entre acheteurs et vendeuses d'aliments, entre cohabitants d'une cour) et les domaines de rapports anonymes (par exemple, les files d'attente ou les déplacements sur route) impliquent deux mondes de comportements, et cette dissociation ne se déduit pas automatiquement des contraintes de l'espace : elle est un traitement culturel de ces contraintes. Ce traitement établit et confirme des frontières entre certains espaces où l'aménagement des rapports personnels est envisageable, et d'autres où les logiques d'affrontement paraissent ne plus dépendre des personnes. Certes, il est nécessaire qu'un très grand nombre de personnes mangent à l'extérieur tandis que d'autres viennent leur vendre la nourriture au plus près des lieux de travail, il est nécessaire également que les chauffeurs abidjanais s'identifient par l'antiphrase « on s'en fout la mort »; cependant en décrivant les rapports de crédit entre vendeurs et acheteurs et la gestion des conflits prévisibles qu'ils impliquent, en soulignant l'acceptation d'une concurrence automobile sans règle de sécurité,