Alain Touraine et Daniel Pécaut

Conscience ouvrière et développement économique en Amérique Latine

Propositions pour une recherche

La sociologie du développement étudie la manière dont au sein de sociétés non encore industrielles peuvent apparaître des références à la civilisation industrielle. Elle a donc un objet propre qui est l'analyse de la genèse et de la spécificité de ces références.

Une telle définition suscite cependant plus de problèmes qu'elle n'en résout. Elle peut même engendrer des difficultés considérables qui prennent l'allure de deux paradoxes.

Un premier paradoxe réside dans le rapprochement même des deux termes : pré-industriel — et — industriel. Comment prétendre en effet faire apparaître une référence à la civilisation industrielle, si l'on se place dans l'expérience d'un monde «traditionnel » ? Poussée à l'extrême, cette question devient un cercle vicieux que connaissent les sociologues, mais aussi les économistes. En se donnant un monde «traditionnel », les premiers ne peuvent guère comprendre pourquoi il commence à changer ; en se donnant un monde sans épargne, les seconds ne peuvent guère saisir comment l'industrialisation peut s'opérer, qui suppose l'épargne, mais en est aussi la condition. — Comme Descartes demandait à Dieu de donner une chiquenaude au monde pour le mettre en mouvement, on demande à 1' «effet de démonstration » de briser le cercle vicieux. Mais c'est négliger qu' en fait un tel cercle est largement artificiel s'il est vrai que le monde est déjà en changement lorsque intervient le sociologue. Le problème est donc moins celui de l'existence du changement que des conditions de son sens.

Ce premier paradoxe annonce d'ailleurs aussitôt le second qui est une forme de chassé-croisé entre le sociologue et l'économiste. Pour rompre le cercle qu'il s'est créé, le sociologue va se donner comme un fait le phéno-

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