BERNARD TRAIMOND
Le voyage dans les Landes de Gascogne ou la traversée du Sahara français
"Cette fois, plus d'équivoque, nous voici en plein Sahara" s'exclame en 1857 Mary-Lafon, le prestigieux auteur de VHistoire du Midi de la France en visite dans les Landes [1857 : 558]. Voici qui démontre, si besoin en était, que le regard porté sur une région, ses paysages et ses populations, obéit à des déterminations de point de vue et d'époque. Les formes de l'observation, autant que son produit, diffèrent suivant que l'on se rend dans un lieu pour l'administrer, le découvrir ou simplement le parcourir. Ajoutons-y, ici, le choix d'un genre littéraire, le récit de voyage, et le souci de plaire à une catégorie de lecteurs, quelle liberté réelle de vision reste à l'auteur ?
Suivant quelles modalités s'élabore la manière de rendre compte d'une région ? C'est ce que nous allons examiner à propos des Landes de Gascogne, triangle planté de pins entre la Garonne, l'Adour et l'Atlantique. A l'image de Mary-Lafon, tous les voyageurs du XIXe siècle évoquent à son propos le désert. Or cette référence est si inadaptée à la réalité qu'elle suscite des développements pour le moins incongrus : "Les habitants de la rive droite de l'Adour [...] cultivent des sables, des déserts arides, qui cependant sont couverts d'eau stagnante durant l'hiver" [Annales de statistiques , an X (1802) : 498], "Ces vastes plaines présentent l'aspect d'un désert quoiqu'elles soient couvertes de verdure en partie" [Grasset de Saint Sauveur an VI (1798)].
Ces verdoyants déserts couverts d'eau doivent s'en prendre à Voltaire qui, le premier, les a ainsi baptisés. Dans son Dictionnaire philosophique de 1769, à l'article Judée, il n'avait pas hésité à écrire que "le désert du S in aï est le pays entre Bordeaux et Bayonne"1. Désormais tout voyageur ne verra dans les Landes qu'un désert, Flamichon dès 1772, José de Viera en 17782 et bien d'autres dont il serait vain de prétendre donner une liste exhaustive. L'image fut très vite adoptée par les indigènes ou en tout cas leurs notables
1Nous remercions Ch. Delacampagne de nous avoir signalé ce texte. En fait, Voltaire reprenait une idée répandue ainsi que l'atteste le texte de Ruthière qui n'a été publié qu'en 1882 mais qui date de 1758 (cf. P. Cuzacq, 1893).
2Cités par Pierre Cuzacq 1893: 218-220.
E. R., juil.-déc. 1986, 103-104: 221-234.
