Daniel DESORMEAUX
Les assassins de Pierre Larousse : encyclopédisme et fait divers
La sociologie contemporaine a fait ressortir l'importance de ce qu'on appelle les faits divers au sein du donné social. Dès les premières pages de son livre, La Conquête du présent, M. Maffesoli a défini en termes précis cette position : « II est maintenant de plus en plus admis de faire porter son attention sur ces petits faits de la vie quotidienne, laissés pour compte de l'investigation sociologique, et qui pourtant constituent l'essentiel de la trame sociale ' ».
Alors que la plupart des écrivains ont vu très tôt l'avantage d'introduire ces « petits faits de la vie quotidienne » dans leurs œuvres de fiction, les lexicographes ont mis un certain temps pour en admettre même une définition globale. Littré n'en souffle mot. Il semble bien que Pierre Larousse soit le premier à réserver une rubrique à la notion et à consacrer certaines de ses notices à ce phénomène de la modernité, où se reflètent au pluriel des modes de pensée collectifs. Rappelons l'entrée, spectaculaire, de la rubrique « Faits divers », vers la fin du Second Empire, dans le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle :
- Littér. Faits divers. Sous cette rubrique, les journaux groupent avec art et publient régulièrement les nouvelles de toutes sortes qui courent le monde : petits scandales, accidents de voitures, couvreurs tombant d'un cinquième étage, vols à main armée, pluies de sauterelles ou de crapauds, naufrages, incendies, inondations, aventures cocasses, enlèvements mystérieux, exécutions à mort, cas d' hydrophobie, d'anthropophagie, de somnambulisme et de léthargie. Les sauvetages y entrent pour une large part, et les phénomènes de la nature y font merveille, tels que : veaux à deux têtes, crapauds âgés de quatre mille ans, jumeaux soudés par la peau du ventre, enfants à trois yeux, nains extraordinaires.
Ces lignes qui font à peine le quart du passage, lequel, rappelons-le, n'est pas autonome mais s'intercale, dans l'article « Fait », entre « Faits » et « Faits mémorables ». Elles ne renseignent guère sur la lexicalisation du terme (qui aboutira à un singulier singulier) mais sacrifient à un certain exotisme ludique : on dirait une de ces longues nomenclatures à la Borges, dont Michel Foucault avait remarqué qu'elles comportaient quelque chose de fantastique et de merveilleux par le jeu même du langage 2. Nous ne saurons donc pas encore ce qu'est un fait divers, mais nous aurons quelques repères thématiques. Le rédacteur semble tirer à la ligne ou vouloir compenser par un étalage d'objets disparates l'absence de définition conventionnelle à moins qu'il n'entende offrir une représentation allégorique de la multiplicité complexe des faits divers, en attente de typologie. Remarquons aussi que la référence aux journaux est première, et décisive : il n'y a pas plus d'ordre dans la rubrique « Faits divers »
1. M. Maffesoli, La Conquête du présent : pour une sociologie de la vie quotidienne, Paris, PUF, 1979, p. 21.
2. M. Foucault, Les Mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 10-11.
ROMANTISME n° 97 (1997-3)
