François GEORGEON
LA MONTÉE DU NATIONALISME TURC DANS L'ÉTAT OTTOMAN (1908-1914)
Bilan et Perspectives
24 juillet 1908 : après trente années de pouvoir despotique, le Sultan Abdûlha- mid, devant les menaces de coup d'Etat qui viennent de l'armée de Macédoine, consent à rétablir la Constitution suspendue, et à rappeler le parlement : la révolution jeune turque est en train de s'accomplir. A cette époque, alors que la plupart des nationalités (Grecs, Bulgares, Arméniens, et même Albanais ou Arabes) sont engagées dans un processus national depuis plus ou moins longtemps, il ne semble pas que l'on puisse parler de nationalisme turc comme d'un mouvement vraiment constitué. Est-ce à dire qu'il n'existe rien de tel parmi les Turcs de l'Empire ottoman?
En fait, malgré la prétention de l'Islam à éliminer toute trace de spécificité ethnique, il existait dans l'Empire ottoman une conscience latente de l'identité turque qui s'appuyait surtout sur la langue turque, même si celle-ci s'était imprégnée de termes empruntés aux lexiques arabe et persan. Le sentiment d'une identité turque s'est trouvé renforcé vers la fin du XIXe siècle, quand, sous l'influence de la turcologie européenne, un petit groupe de publicistes, d'hommes de lettres et de savants ottomans, commença à se pencher sur la langue et l'histoire des Turcs (D. Kushner, 1977). En réaction contre la culture «ottomane» du palais, ces écrivains prônaient l'adoption d'une langue simplifiée, plus proche de la langue populaire, donc plus «turque». Ce qu'ils mettaient en évidence dans leurs écrits, c'était à la fois l'ancienneté de la langue turque (dont les premiers monuments, les stèles
RRM.M.M. 50, 1988-4