Jean STAROBINSKI

Diderot et l'art de la démonstration

Dans la pensée de Diderot, la question de la démonstration fut un problème irritant. Il rencontra cette question quand il s'interrogea sur les moyens par lesquels l'on approche de la vérité. Puis, presque aussitôt, quand il considéra les ressources qui permettaient de communiquer le savoir. La question de la démonstration oblige le philosophe à examiner jusqu'où la pensée peut aller par ses seules forces, puis à considérer ce qui l'oblige à ne pas s'enfermer en lui-même, à ne pas s'en tenir à la seule intériorité intellectuelle. Démontrer, c'est toujours chercher une preuve qui sera suivie d'assentiment. Le problème concerne donc le développement des propositions certaines, et le passage vers le dehors, vers l'extériorité.

1 . — Le mot démontrer : trois acceptions

Le mot démontrer et ses dérivés (démonstration, démonstratif) eurent trois sens fort distincts au siècle de Diderot ] . Les divers dictionnaires l'attestent, notamment Trévoux. Il est hors de doute — et je m'emploierai à le démontrer sur pièces — que la question de la démonstration, en chacun de ses trois différents sens, importa considérablement à Diderot. On pourrait partir des trois variétés de la démonstration, et des problèmes que soulève chacune d'elles, pour aboutir à une caracté- risation assez précise du philosophe et de sa doctrine.