POUR RECONSTITUER LES TRAGÉDIES PERDUES DE LA LITTÉRATURE GRECQUE

(Fin) ΠΙ

Quand un poète emprunte le sujet de son poème à un autre ou en général traite une matière déjà traitée par un autre, ses sentiments pour un tel « devancier » peuvent être plus ou moins sympathiques ou bien, plus ou moins antipathiques. Dans le cas de la plus haute sympathie, tout en s'écartant d'un motif admis par le devancier,il l'acceptera tout de même et mettra le sien à côté, en créant ainsi un doublet (conduplicatio) de motifs : un œil attentif néanmoins ne tardera pas à découvrir que de ces deux motifs un seul est efficace, tandis que l'autre est purement rudimentaire ; ce qui donnera lieu à la conclusion que ce dernier appartient au devancier, tandis que le premier a été introduit comme motif nouveau par le successeur.

Une sympathie moins prononcée engagera le successeur à traiter le motif écarté du devancier comme un dessein abandonné (irritum consilium), ainsi que nous l'avons vu plus haut dans l'exemple de Shakespeare et de sa comédie Comme il vous plaira ; on s'apercevra facilement que la proposition rejetée (repudiala propositio), que nous avons trouvée chez St. Luc, n'est qu'une variante de ce « dessein abandonné ».

Un troisième moyen tient déjà plutôt de l'antipathie : le successeur peut désavouer complètement son devancier en traitant son motif de vaine rumeur (vana fàma) et en lui opposant le sien comme un fait réel.

Une antipathie encore plus accentuée a pour effet une opposition directe : le successeur ne se borne pas à désavouer le motif