Jean Lacouture biographe
Brigitte Gaïti
Université Strasbourg III
JEAN LACOUTURE, BIOGRAPHE : dès 196 1, il multiplie les portraits d'hommes politiques ou d'intellectuels. Jean Lacouture, autobiographe : en 1974 et en 1989, il livre le récit de sa vie de journaliste1 et de biographe2. Jean Lacouture, biographie enfin en 19933. Dans le jeu de miroirs de la biographie, Jean Lacouture a occupé toutes les positions et se voit consacré dans un genre qu'il a contribué à redéfinir. On voudrait ici montrer sa contribution à la construction d'une posture biographique renouvelée — entre la distance austère du savant et la complicité d'un journaliste à la plume alerte. Construction sur le long terme : on a d'abord repéré, entre 1961 et 1989, les transformations dans la présentation que J. Lacouture fait de lui-même et de son travail ; ensuite on a montré en quoi ces transformations étaient à rapporter aux propriétés changeantes des relations entre deux univers, celui d'une certaine presse écrite et celui, académique, de l'histoire contemporaine. Les conditions de sa reconnaissance dans des mondes ordinairement distants définissent ainsi étroitement la nature et les limites de la réussite de ce modèle lacouturien. C'est pour finir, en revenant sur la fabrication même des biographies, que l'on a pu saisir cette nouvelle identité, celle du biographe inspiré, revendiquée, mise en œuvre par J. Lacouture, reconnue par ses concurrents les plus proches (journalistes et historiens) et dans laquelle le portraitiste et son modèle sont engagés dans une relation d'élévation réciproque.
Les présentations de soi du biographe
* 1961, Jean Lacouture publie aux éditions du Seuil, Cinq hommes et la France, ouvrage dans lequel on peut lire les portraits de Bourguiba, de Mohammed V, de Ferhat Abbas, Sékou Touré et Ho Chi Minh. C'est la première fois que l'auteur s'aventure aussi visiblement dans le genre biographique. Jusque là, ses livres prolongeaient en quelque sorte son métier de grand reporter : un sur l'Egypte, un sur le Maroc avec Simone Lacouture et un sur la guerre d'Indochine {La fin d'une guerre) avec Philippe Devillers. Il ne s'agit, précise J. Lacouture à propos de Cinq hommes et la France, que de «témoignages» d'un «journaliste que les péripéties de sa vie professionnelle ont conduit parfois au cœur de l'événement». Il ajoute : «L'auteur n'a évidemment pas tenté de faire œuvre d'historien», et plus loin : «Que l'on ne cherche donc ici ni des biographies ni même des portraits biographiques : plus simplement des profils, dessinés par un témoin pour servir à l'histoire sereine de la
1 Un sang d'encre, Paris, Seuil, 1974
2. Enquête sur l'auteur, Paris, Arléa, 1989-
3. Crossman (S.), Biographie du biographe, Paris, Balland, 1993.
76 Pditix, n°27, 1994, pages 76 à 93
